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Qu’est-ce que « l’islamo-fascisme » ? (L'orient le Jour)

 

Le chercheur franco-libanais Gilbert Achcar répond aux questions de « L'Orient-Le Jour ».

C'est dans un climat des plus tendus, suite aux attentats de Copenhague dimanche, que le Premier ministre français Manuel Valls s'est exprimé hier, brandissant en épouvantail la menace de « l'islamo-fascisme ».

Mais quel est donc ce néologisme étrange « d'islamo-fascisme », repris aussi bien par les hommes politiques, par la presse, qui vient s'inscrire dans la longue liste des « ismes » ?


« Un mot des plus absurdes », fustige Gilbert Achcar, chercheur et écrivain franco-libanais. Pour com- prendre l'apparition de cette appellation, il faut remonter aux années 90. Le terme fait référence « à l'utilisation de la foi en l'islam comme couverture pour la promotion d'une idéologie totalitaire » similaire à celle des « mouvements fascistes européens du début du XXe siècle ». Puis cette notion s'est inscrite dans les discours des néoconservateurs américains, après les attentats du 11 septembre 2001 à New York. « Il fallait trouver un terme fort pour justifier une coalition contre le terrorisme et el-Qaëda. L'administration Bush a usé de ce raccourci facile qui ne veut absolument rien dire », nous explique M. Achcar. Car à la racine même du terme, le fascisme évoqué dans « islamo-fascisme » est aux antipodes de ce que le mot exprime réellement. En effet, cette notion est propre à un phénomène européen, qui se réfère à l'Italie et à l'Allemagne de la Seconde Guerre. « Le fascisme était une manipulation des masses. Or les groupes jihadistes comme l'État islamique n'utilisent que les armes. » Cependant, l'idéologie de l'EI tend à utiliser les outils de propagande à la manière des régimes fascistes et semble liguer autour d'elle de plus en plus de partisans. De plus, « l'objectif des fascistes était de reconstituer l'expansion impérialiste en cassant le mouvement des ouvriers, en pleine période de crise du capitalisme. » Alors que les groupes islamistes comme l'EI n'ont évidemment pas la même dynamique.


D'autre part, il est intriguant de constater que ce terme de « fascisme » s'associe avec un courant religieux. Alors que le fascisme est à proprement parlé antireligieux. « Les musulmans de France ont été sommés de reconnaître les dérives de cet "islamo-fascisme". Pourquoi ne pas évoquer alors "le fascisme-chrétien ou le judéo-fascisme" rappelle le chercheur. Selon M. Achcar, « l'Armée de résistance du Seigneur en Ouganda, visant à instaurer un gouvernement chrétien, n'est pas moins effrayante que Boko Haram. Mais il s'avère que l'islam se retrouve stigmatisé toujours et encore. Les musulmans doivent faire les frais des actions intégristes, comme si tous les catholiques devaient se sentir coupables des dérives pédophiles de l'Église. Il y a véritablement deux poids, deux mesures ».


Pour Gilbert Achcar, cette notion d'« islamo-fascisme » est un terme dangereux et absurde à visée politique, avec une volonté ferme d'instaurer un climat de peur. « Le jeu des États-Unis s'est retourné contre eux. Leur Frankenstein (l'EI) s'étend et leur échappe totalement... »


Par ailleurs, l'Europe, comme les États-Unis, qui s'engagent dans cette lutte comme ils l'ont fait contre les régimes totalitaires il y a 75 ans, abusent de cette notion polysémique. Et il est curieux de constater qu'un Premier ministre de gauche utilise de manière consciente un terme si équivoque. Car si « l'islamo-fascisme » tend à désigner les sociétés peu enclines à institutionnaliser les diversités politiques, comment cette notion ne désignerait-elle pas les pays comme l'Arabie saoudite où l'Iran ?

« Le régime saoudien est le meilleur ami des Américains. Lors de la mort du roi Abdallah, le drapeau anglais était en berne, et cela a choqué de nombreux Britanniques. Mais il faut comprendre que les enjeux économiques nous dépassent. » D'autant que ces courants sectaires, comme el-Qaëda et l'EI, sont « des avatars du wahhabisme. Les États-Unis, dans les années 40, étaient le pays le plus étroitement lié au royaume. Ils ont utilisé leur idéologie contre Nasser, contre l'Union soviétique, puis contre la gauche dans le monde musulman. Le point culminant de cette propagande a été la guerre en Afghanistan ». Mais l'heure n'est plus aux débats sémantiques. Car il est urgent que les États montrent leur implication réelle contre toutes les dérives de tous bords.

Caroline HAYEK 17/02/2015
 

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