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Connu pour sa vitalité avant la révolte contre Bachar Al-Assad, Yarmouk, le plus grand camp palestinien de Syrie jusqu’en 2011, est devenu un tombeau.
Symbole de l’inhumanité infligée par le régime syrien aux civils, soumis à un implacable siège depuis près de deux ans, ce faubourg, situé à sept kilomètres au sud de Damas, vit à l’heure des avancées de l’Etat islamique (EI), des retournements d’alliance au sein de la rébellion et de la peur d’une offensive majeure de l’armée syrienne.
L’attaque lancée par les djihadistes de l’EI, le 1er avril, impose aux milliers d’habitants restés à Yarmouk de violents combats, qui débordent au sud du camp. Les civils redoutent les exactions cruelles de l’EI. Le largage de meurtriers barils d’explosifs au-dessus des ruelles, par des hélicoptères de l’armée, participe à la destruction, dans un camp dont les résidents sont démunis de nourriture et d’aide médicale.
Pour les militants palestiniens, l’irruption de l’EI, qui, selon eux, disposait déjà d’éléments dans l’enclave depuis plusieurs mois, est un nouveau chapitre dans la descente aux enfers de Yarmouk. « Le cauchemar n’a pas commencé aujourd’hui », souligne Salim Salameh, exilé de Yarmouk vers l’Europe, à la tête de la Ligue palestinienne des droits de l’homme-Syrie. Au moins 170 résidents sont morts de faim depuis fin 2013, à cause du siège.
Empêcher tout cessez-le-feu
L’infiltration des djihadistes de l’EI, estimés à plusieurs centaines, a eu lieu depuis Hajar Al-Aswad, localité voisine située dans le périmètre au sud de Damas assiégé par le régime, où l’EI s’est développé. Son entrée à Yarmouk n’a été rendue possible que par la complicité du Front Al-Nosra présent dans le camp, affirment des militants palestiniens, peu convaincus par les déclarations de neutralité des djihadistes affiliés à Al-Qaida. « Le Front Al-Nosra a trahi Yarmouk », accuse Wessam Sabaaneh, membre de la fondation Jafra qui apporte de l’aide aux déplacés du camp dans les localités voisines.
A Yarmouk, le groupe Aknaf Beït Al-Maqdess, émanation du mouvement islamiste palestinien Hamas, est le principal fer de lance de la résistance contre l’Etat islamique. Il contrôlerait une petite partie dans le sud-ouest du camp, alors que l’est serait sous la joug de l’EI et du Front Al-Nosra. Le nord du camp, lui, reste sous la coupe de groupes palestiniens prorégime, accusés par les habitants de Yarmouk d’affamer le camp au même titre que le pouvoir syrien.
Pour Ali Barakeh, le représentant du Hamas au Liban, l’offensive des djihadistes « a cherché à ruiner la tentative d’un cessez-le-feu local à Yarmouk, à la manière de ceux qui existaient dans les localités de Yalda, Babila ou Beit Sahem, sous contrôle de l’opposition ». Il en veut pour preuve l’assassinat d’Abou Souheib, fin mars aux portes de l’hôpital Palestine, au sud du camp, imputé aux djihadistes. Volontaire du Croissant-Rouge palestinien, ce membre du Hamas négociait un allégement du blocus du camp, devenu un terrain de guerre depuis la fin 2012 entre le régime et les rebelles syriens, appuyés chacun par des groupes palestiniens.
Le gouvernement entend se poser en « libérateur » du camp et contrer un essor de l’EI autour de Damas. Mais les faits contredisent cette posture. Selon une source médicale palestinienne, plusieurs membres du Croissant-Rouge palestinien qui fuyaient Yarmouk ont été arrêtés par les forces de sécurité syriennes début avril. Des militants du camp se savent menacés de torture s’ils quittent Yarmouk. Ils se cachent aujourd’hui également de l’Etat islamique.
Damas a tenté de s’assurer un semblant de légitimité, en recevant, jeudi 9 avril, l’appui de factions palestiniennes pour une intervention coordonnée. Mais l’Organisation de libération de la Palestine a aussitôt rejeté l’idée d’une participation. Le Hamas, quant à lui, veut que la bataille soit menée par Aknaf Beït Al-Maqdess. « Nous avons demandé à Ahmed Jibril [à la tête d’une faction palestinienne pro-Assad] qu’il arme le groupe, affirme Ali Barakeh. Nous redoutons une destruction totale du camp. Nous voulons que l’EI et Nosra quittent le camp, mais pas aux dépens de l’opposition syrienne, et pas pour servir le régime. »
Dépêché à Damas, Pierre Krähenbühl, le commissaire général de l’Agence de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés palestiniens, cherche à arracher un accès humanitaire à Yarmouk, pour permettre le départ des civils et l’entrée de l’aide.
Laure Stephan, Le Monde, mardi 14 avril 2015
http://www.france-palestine.org/La-descente-aux-enfers-du-camp-palestinien-de-Yarmouk