Des Palestiniens se réunissent en hommage au défunt Président vénézuélien Hugo Chavez dans la Ville de Gaza le 7 mars 2013 - Photo : AFP
La gauche arabe aurait survécu si elle s’était affirmée sur de solides plateformes sociales, mais les regrets du passé ne suffiront pas à raviver la marée socialiste dans le monde arabe, écrit Ramzy Baroud.
Un groupe d’étudiants m’a récemment demandé de parler du socialisme dans le monde arabe. Ceci avec l’hypothèse de départ qu’il y a en effet un tel mouvement capable dans cette région de refondre des régimes par nature incompétents et totalement corrompus. Mais aujourd’hui un tel mouvement ou un ensemble d’organisations socialistes, n’existent que sur le papier.
Je me souviens d’une intervention que j’avais faite à Londres peu après que le Hamas ait été assiégé à Gaza en 2007.
« Le Hamas est le plus grand et le plus efficace mouvement socialiste en Palestine », ai-je dit à la surprise de certains et avec le visible assentiment d’autres. Je ne me référais pas à l’adhésion du Hamas à la théorie marxiste, mais plutôt au fait que c’était le seul mouvement politique et populaire qui par certains côtés avait réussi à diminuer la fracture entre les diverses classes sociales et économiques en les réunissant sur un programme politique radical.
Par ailleurs, c’était un mouvement en grande partie composé de fellahins (paysans) et de travailleurs de Palestine en majorité issus des camps de réfugiés. Si on les compare aux mouvements « socialistes » isolés, élitistes et en grande partie issus des milieux urbains en Palestine, la grande masse des islamistes dans les territoires occupés est aussi socialiste qu’un mouvement peut l’être – du moins dans ces circonstances.
Mais que devais-je dire à ce groupe d’étudiants, fait de jeunes et enthousiastes socialistes désireux d’assister à la montée en force du prolétariat ?
Un point de départ serait qu’il y a une différence entre le socialisme occidental et le « le socialisme arabe », qui est une expression inventée par les nationalistes arabes au début des années 50.
Une fusion entre les mouvements nationalistes et socialistes avait commencé à prendre forme, abou- tissant à la formation des partis Baas en Syrie et en Irak. L’idée était à l’origine portée par Salah al-Din al-Bitar et Michel Aflaq, fondateurs du parti Baas.
Beaucoup de nationalistes arabes étaient réticents à l’égard du socialisme dans sa version occidentale. Non seulement était-il intellectuellement à l’écart des contextes culturels et socio-économiques des peuples arabes, mais il était aussi peu ouvert sinon totalement chauvin. Beaucoup de socialistes occi- dentaux ont idéalisé la création et la signification d’Israël, une implantation coloniale qui réunit depuis plusieurs décennies les forces coloniales et néo-coloniales dans leur opposition aux aspirations arabes.
Mais le nationalisme arabe a également échoué, n’offrant aucune alternative assez puissante et ne proposant en pratique aucun changement sérieux de paradigme. Hormis quelques réformes agraires en Egypte après la révolte de 1952 contre le pouvoir royal - entre d’autres initiatives - le socialisme arabe n’a jamais pu s’extraire des idéaux sonnant bien ni des influences extérieures qui s’acharnaient à contrôler, influencer ou écraser ces mouvements.
Plus tard, cet échec est devenu bien plus marqué alors que l’influence de l’Union Sovié- tique commençait à s’affaiblir vers la fin des années 1980, jusqu’à son effondrement complet au début des années 90. Les socialistes arabes, qu’il s’agisse des gouvernements qui adoptèrent ce slogan ou d’organisations qui gravitaient autour des objectifs soviétiques, dépendaient trop de ces relations. Les Soviétiques se retirant de la scène, ils leur fut difficile de survivre à la domination de plus en plus pesante des Etats-Unis.
Cependant, cet échec n’était pas simplement le résultat de la disparition du bloc socialiste et de la refonte de la géopolitique régionale, mais il était également lié au fait que les pays du Moyen-Orient - sous l’influence ou en raison de la pression des hégémonies occidentales – vivaient une remise en cause. C’était la période de la montée en force de l’alternative islamique. C’était pour une part une réelle tentative de galvaniser les ressources intellectuelles de la région elle-même, et aussi dépendant de financements venant des riches pays arabes du Golfe et qui avaient pour fonction de garder sous contrôle cette vague islamique.
C’était l’époque où le nouveau slogan : « l’islam est la solution », devint dominant et s’imposa dans la psyché collectif de divers groupes intellectuels arabes musulmans dans l’ensemble du Moyen-Orient et au-delà, car il semblait une tentative de se rattacher aux propres références historiques et culturelles de la région. L’argument général était : le modèle américano-occidental comme le modèle soviétique ont échoué ou échouent en même temps que les régimes à leur botte, et il y a un besoin urgent d’une alternative.
Le socialisme arabe aurait pu survivre s’il s’était en effet appuyé sur des plateformes sociales fortes, relayées et soutenues par de larges mouvements populaires. Mais cela n’a pas été le cas.
D’une façon générale, il y avait une présence intellectuelle relativement forte de la gauche dans le monde arabe. Mais la gauche intellectuelle n’a jamais réellement franchi le pas du monde des théories et des idées - qui était l’apanage des classes instruites – vers le monde du travail ou avec les paysans et les hommes et femmes de la rue. Sans mobilisation des travailleurs, des paysans, et des masses opprimées, la gauche arabe avait peu à proposer excepté une rhétorique en grande partie exempte d’expérience pratique.
Il y avait naturellement des exceptions dans chaque pays arabe.
Les premiers mouvements socialistes en Palestine avaient une forte présence dans les camps de réfugiés. Ils étaient des pionniers dans toutes les formes de résistance populaire, une situation qui peut être expliquée par le caractère unique de la situation palestinienne et qui était assez contraire à la tendance plus générale dans la région.
Une chose importante à noter est que l’oppression tend à unir les groupes opprimés, aussi insurmontables que paraissent être leurs différences idéologiques. Du fait de cette oppression commune entre l’islam politique et la gauche radicale, il y avait un certain degré d’affinité entre les militants des deux groupes alors qu’ils partageaient les cellules de prison, étaient côte à côte torturés et humiliés.
Le tournant, cependant, pourrait bien être le début des années 1990 quand l’Union Soviétique s’est effondrée. Cela a ouvert un large espace politique tandis que l’argent du pétrole continuait à affluer. Beaucoup d’universités islamiques ont vu le jour partout dans le monde, et des dizaines de milliers d’étudiants à travers le Moyen-Orient ont bénéficié d’une formation supérieure dans divers domaines, depuis la charia islamique jusqu’à l’ingénierie.
Regardez le mouvement du Hamas à Gaza. Plusieurs de ses dirigeants et membres sont éduqués dans des domaines comme l’ingénierie et la médecine, et ce trait est commun à beaucoup de partisans des groupes islamiques en Palestine, en Egypte, au Maroc et ailleurs. Ainsi l’hégémonie dans l’éducation et l’articulation des discours politiques n’était plus aux mains des élites politiques ou intellectuelles. Et d’autre part, un programme politique faisant références aux idéaux islamiques était né.
Avec le temps, les socialistes ont été confrontés à des choix difficiles : ou vivre aux marges de la société - imaginez un intellectuel communiste non-conformiste et stéréotypé dans un café au Caire théorisant sur tout - ou rejoindre les ONGs et les institutions officielles ou semi-officielles afin de rester financièrement à flot ou dans le coup. Ceux qui ont opté pour ce dernier choix ont dû faire des compromis dans la mesure où certains d’entre eux sont maintenant des porte-parole pour les régimes mêmes qu’ils ont par le passé combattus.
Par conséquent, le pouvoir politique des socialistes en tant que groupe a considérablement diminué tout au long des années. Étant plus institutionnalisés, ils se sont encore plus éloignés des masses au nom desquelles ils ont pourtant continué à s’exprimer. En Egypte, il est difficile d’y trouver une seule organisation de gauche qui soit puissante et active. Il y a des « gauchistes » mais leur rôle se limite à tenter d’agiter le paysage politique actuel.
Le rêve à lui seul ne fera pas revivre une vague socialiste dans le monde arabe. Il y a peu de signes que le déclin soit prochainement inversé, ou qu’une interprétation locale du socialisme - pensez au mouvement considérablement réussi du bolivarisme en Amérique Latine – puisse rapprocher des objectifs nationalistes et des idéaux socialistes dans un mélange qui puisse fonctionner.
Mais le Moyen-Orient vit son plus grand bouleversement politique et social de ces cent dernières années. De nouvelles variables s’ajoutent régulièrement à l’équation multiforme. Tandis que le présent demeure sinistre, l’avenir semble porter en gestation de grandes possibilités.
* Ramzy Baroud est doctorant à l’université d’Exeter, journaliste international directeur du site PalestineChronicle.com et responsable du site d’informations Middle East Eye. Son dernier livre, Résistant en Palestine - Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Scribest.fr. Son site personnel : http://www.ramzybaroud.net