Ce mois de juin 2015, l’occupation israélienne de la Cisjordanie et de la bande de Gaza entre dans sa quarante-huitième année. C’est l’occupation militaire la plus longue de l’époque moderne. Pendant presque toute son existence en tant qu’Etat, Israël a régné sur des millions de Palestiniens, les privant de droits civils, politiques et humains.
Mais on peut faire remonter l’histoire de la conquête encore plus loin – à 1948 – ce qui nous donne une période encore plus longue embrassant non seulement l’expulsion et la dépossession de la majeure partie de la population locale, mais aussi l’assujettissement de la petite partie de la population – qui par un hasard historique – est resté dans le pays (et s’est même battu pour obtenir la citoyenneté en Israël) et qui a affronté 19 années d’administration militaire entre 1948 et 1966.
Même si nous voulions nous montrer très généreux en ce qui concerne la nature de l’Etat israélien, en laissant de côté sa définition ethno-nationale intolérante et la période violente au début de la colonisation avant 1948, nous devrions admettre que la seule période durant laquelle Israël n’a pas régné sur une population palestinienne dont les droits humains et politiques étaient déniés, est celle de 1966 à 1967. C’est au cours de cette brève période: entre le 8 novembre 1966 au 5 juin 1967 – pour être précis – après la fin de l’administration militaire des citoyens palestiniens et avant que les Palestiniens en Cisjordanie et dans la bande de Gaza ne soient occupées. On ne peut donc parler d’Israël sans parler d’occupation.
Comme ces pratiques coloniales se poursuivent encore, la question clé pour ceux qui soutiennent les droits des Palestiniens est de savoir comment ils peuvent aider les Palestiniens à obtenir justice. Dans le contexte actuel, où les Palestiniens n’ont pas une stratégie claire pour leur libération, pour organiser la lutte de masse politique en Palestine choisir des priorités nationales et inspirer (plutôt que contrôler) la solidarité extérieure, il n’est pas facile de répondre à cette question.
C’est en partie pour remplir ce vide que les organisations de la société civile palestinienne ont lancé à Ramallah l’Appel pour le Boycott, le Désinvestissement et les Sanctions (BDS) le 9 juillet 2005. Sa principale demande est de forcer l’Etat d’Israël à «respecter le droit international et les principes universels des droits humains». Cette déclaration est en train de devenir de plus en plus populaire dans les campus universitaires, auprès de certains syndicats et autres organisations en Europe et aux Etats Unis. Actuellement le boycott académique est également en train de se propager.
Est-ce là un bon signe pour le mouvement pour la justice en Palestine?
Pour évaluer BDS en tant que tactique, il est important d’insister sur trois points concernant le conflit israélo-palestinien – la nature politico-étatique du sionisme, celle de la résistance palestinienne et le rôle de la loi internationale.
Tout d’abord, pour comprendre le comportement d’Israël en tant qu’Etat vis-à-vis des Palestiniens, il est important de comprendre qu’Israël est un projet de peuplement colonial, dans la droite ligne de la colonisation de la fin du XIXe siècle. Il se distingue par le fait qu’il veut expulser plutôt qu’exploiter la population indigène. Contrairement à l’Afrique du Sud, par exemple, où le travail des Noirs était crucial pour la construction de l’Etat, c’est l’expulsion de la population indigène qui a été l’élément clé dans la formation de l’Etat israélien: les Palestiniens sont fondamentalement considérés comme étant inutiles.
Le «travail juif» et la «terre juive» sont les piliers clés du projet sioniste en Palestine. Tout comme les Etats Unis mettent en avant leur «manifest destiny» (destinée évidente), le sionisme politique justifie la conquête de la Palestine en utilisant des notions relevant d’un historico-biblique. En résumé, le sionisme prétend que les Juifs ne font que revenir récupérer des terres et des propriétés qui leur appartenaient déjà. La population non-juive qui vit actuellement dans le pays représente un obstacle sur cette voie. Ils devront donc partir. Et s’ils ne le veulent pas, on les y obligera par la force, en les étouffant politiquement et économiquement, par les différents moyens à disposition que le reste du monde tolérera ou préférera ignorer.
En tant qu’historien du mouvement sioniste, Zeev Sternhell argumente dans son livre The Founding Myth of Israel (Princeton University Press, 1997) : «En principe, il n’y a aucune limite à leur extrémisme nationaliste; les limites ont été fixées par des conditions données à une époque donnée, par le pouvoir et par le Yishuv [communauté résidente juive en Palestine avant la création de l’Etat, depuis le terme a pris une connotation de «pré-Etat»].» A propos du premier ministre fondateur David Ben Gourion, Sternhell conclut: «Ben Gourion n’était pas du tout simplement un pragmatique. En aucune mesure. C’était un fondamentaliste qui savait comment choisir les moyens appropriés d’action à un moment et dans un contexte particulier, mais son adhésion à une idéologie rigidement nationaliste n’a jamais faibli.»
Fondé et nourri par cet extrémisme nationaliste, Israël continue à vouloir s’approprier autant de terres palestiniennes que possible avec le moins de Palestiniens possible. Cette configuration reste à la base des pratiques quotidiennes d’Israël et permet de comprendre beaucoup d’aspects du conflit israélo-palestinien: 1948, les occupations de 1967, l’annexion de Jérusalem-Est et du Plateau du Golan, les Accords d’Oslo [voir l’entretien avec Julien Salingue publié sur ce site en date du 24 octobre 2014], les politiques d’enfermement, le mur de séparation, le siège et les guerres contre la bande de Gaza, etc.
Tous ces épisodes découlent de la politique de colonisation et d’expulsion. Même les récentes élections israéliennes et la victoire de Benjamin Netanyahou peuvent être expliquées par le recours à la frontière coloniale d’Israël. C’est son racisme flagrant à l’égard des citoyens palestiniens d’Israël et son déni des droits et d’un Etat pour les Palestiniens occupés qui ont permis à Netanyahou de gagner les élections a été.
L’éditeur du quotidien Haaretz, Alouf Benn, a très bien compris ce que disait Netanyahou lorsqu’il mettait en garde au sujet des «Arabes qui votaient par hordes». Dans un article réfléchi, le lendemain des élections, Benn a résumé comme suit les résultats: «Netanyahou avait raison. Le conflit israélo-arabe était et reste le point principal dans l’agenda d’Israël. Ce n’est pas le prix du logement, ni les frais bancaires, ni même le programme nucléaire de l’Iran. Tout le monde voudrait des logements meilleur marché, des banques aimables et un Iran amical. Mais l’électeur israélien ne définit pas son identité et sa place dans l’éventail politique d’après son attitude à l’égard de Rakefet-Aminoach, le PDG de la Banque Leumi ou de l’Ayatollah Ali Khamenei; il la définit par rapport aux Palestiniens, à la minorité arabe en Israël et aux colonies. Elle est là, la ligne qui divise la gauche de la droite, les «libéraux» des conservateurs et en grande partie les Juifs ashkénaze et mizrahi et les laïques des Juifs traditionnels et religieux.
C’est seulement dans une société de peuplement colonial que les attitudes à l’égard des colonisés peuvent jouer un rôle aussi important dans la politique nationale. Pour l’élite israélienne, il est facile de mobiliser la crainte et la haine à l’égard des Palestiniens pour maintenir sa domination et ses priorités nationales. Le colonialisme n’est donc pas seulement un élément constitutif de la formation de l’Etat et de la construction de la nation, il continue aussi à déterminer la répartition actuelle du pouvoir, des droits et des privilèges en Israël.
Pour les Palestiniens, la signification est claire: l’Etat d’Israël leur dénie la sécurité et le droit à un Etat, il les coupe de leurs territoires avec un mur et avec un régime de ségrégation, il contrôle leurs entrées et leurs existences dans leurs villes et leurs villages, il les enferme pour les séparer entre eux et pour les couper du reste du monde; il les laisse opprimés – mais non exploités en tant que main-d’œuvre bon marché – dominés et pourtant jetables.
Il n’est donc pas étonnant que les Palestiniens affichent des pancartes où l’on peut lire «Nous ne sommes pas des Indiens peaux rouges». Car c’est exactement ce qu’Israël veut qu’ils soient: dévastés, dispersés et privés de structures économiques et politiques significatives.
Mais il est également important de mettre l’accent sur la résistance palestinienne. Les Palestiniens ont fait presque tout ce qu’ils pouvaient pour arrêter, inverser ou ralentir la colonisation de leur territoire et leur dépossession. Historiquement, leur résistance s’est également exprimée par la résistance armée violente et la résistance de masse populaire non-violente (par exemple la première Intifada), tout comme par la lutte politique et la diplomatie.
Et puisque les Israéliens rabâchent sans cesse la question de la reconnaissance d’Israël et sa sécurité, il est important de rappeler que les Palestiniens ont déjà reconnu cet Etat. En effet, dans l’espoir d’obtenir par là un Etat palestinien indépendant dans les territoires palestiniens occupés en 1967, la direction palestinienne a reconnu l’Etat d’Israël en 1988 et a publiquement renoncé à la violence.
Mais maintenant on exige du Hamas de faire ce que l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) a fait en 1988: «Reconnaissez Israël et nous négocierons avec vous.» Le problème est que la seule chose que l’OLP avait reçue en échange de la reconnaissance d’Israël était une intensification de l’occupation et une exigence encore plus extrême. Il faudrait maintenant que les Palestiniens reconnaissent en plus la nature spécifiquement juive de l’Etat d’Israël. En revanche le droit des Palestiniens à un Etat et à l’autodétermination n’a pas été reconnu.
Lorsque les Palestiniens des Territoires occupés ont été libres d’élire leurs représentants et ont choisi le Hamas, Israël a refusé d’accepter le résultat, simplement parce qu’ils estimaient que cette réponse ne leur convenait pas. C’est ainsi qu’Israël a boycotté le gouvernement – et a encouragé le monde à le suivre dans cette voie – et, en fin de compte, il a assiégé et envahi à plusieurs reprises la bande de Gaza.
Pour Israël, la démocratie palestinienne n’est pas un droit dont peuvent jouir les Palestiniens: elle constitue le privilège que le maître colonial pourrait consentir à population qu’il colonise. Puisque les résultats des élections sont incertains, pourquoi prendre le risque de les accorder?
De la longue série de concessions diplomatiques que les Palestiniens ont dû faire à Israël, les Accords d’Oslo ont été les pires. En fait, ces accords ont écarté le seul atout qu’avaient les Palestiniens, à savoir le fait que les lois et traités internationaux déclarent que l’occupation permanente et le fait d’acquérir des territoires par la force sont illégaux et reconnaissent le droit des Palestiniens à l’auto-détermination et à un Etat en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza.
En réalité, les accords d’Oslo contrevenaient à la loi internationale: le terme d’occupation n’y apparaît jamais, les colonies n’y sont jamais bannies, et ces accords ont transformé un conflit sur l’occupation des terres en une dispute entre parties symétriques ayant des droits et des obligations. Selon les accords d’Oslo, le principal droit qui doit être sauvegardé est celui d’Israël et des Israéliens à vivre dans la sécurité, et la principale obligation des Palestiniens est de fournir cela. Oslo n’est pas un traité de paix mais un traité de sécurité qui a renforcé ce qui aurait dû être supprimé: l’occupation israélienne.
Cela pose la question du droit international: la Convention de Genève stipule que tout ce que fait Israël dans les territoires de 1967 est illégal: la construction de colonies et de murs, le fait d’y transférer sa propre population et celui de modifier ses caractères démographiques et géographiques. Les pratiques de l’occupation israélienne violent les lois internationales et sont régulièrement condamnées. L’Assemblée générale des Nations unies renouvelle chaque année la demande d’un Etat palestinien et soutient le droit au retour des réfugiés palestiniens.
Il est donc évident que la loi internationale est un atout pour la lutte des Palestiniens, et qu’elle peut protéger les Palestiniens des agissements de d’Etat d’Israël.
Un autre exemple du consensus international légal qui existe sur l’occupation est la décision de la Cour pénale Internationale de 2004 concernant le mur de séparation. La décision exige un démantèlement du Mur et des colonies illégales et de mettre un terme à l’occupation: «Tous les Etats sont soumis à l’obligation de ne pas reconnaître la situation illégale entraînée par la construction du mur dans les Territoires palestiniens occupés…[et] de veiller à ce qu’un terme soit mis à toute entrave qu’entraîne la construction du mur pour l’exercice du peuple palestinien à exercer son droit d’autodétermination.» La Cour pénale internationale a également recommandé que des «actions complémentaires soient prises pour mettre un terme à la situation illégale découlant de la construction du mur et du régime qui lui est associé.» Un seul juge a manifesté son désaccord avec cette opinion, le juge états-unien, mais même lui était d’accord sur le fait que les colonies étaient illégales.
On peut considérer que BDS fait partie de ces «actions complémentaires» nécessaires. L’innovation de BDS est de mettre en évidence le spectre d’une action globale contre cet Etat qui viole de manière aussi claire et persistante la loi internationale par son occupation de longue durée.
Un embargo militaire contre Israël, par exemple, pourrait changer la donne. De nombreuses résolutions des Nations Unies demandent: «que tous les Etats cessent de fournir des armes et d’autres formes d’aide ou d’assistance à Israël qui pourrait lui permettre de consolider son occupation ou d’exploiter les ressources naturelles des territoires occupés.»
Mais plutôt qu’un embargo sur les armes, c’est l’inverse qui se produit: on continue à armer Israël jusqu’aux dents [et l’Etat d’Israël exporte sa technologie militaire]. Pourquoi? En un mot: à cause des Etats-Unis. Sans le parapluie diplomatique états-unien, Israël deviendrait un Etat paria. Tout comme Israël, les Etats Unis rejettent le consensus légal international sur Israël-Palestine. Les Etats-Unis permettent ainsi à Israël de maltraiter les Palestiniens, en piétinant les résolutions des Nations Unies qu’ils n’ont pas réussi à bloquer.
Les Etats-Unis ont leurs propres raisons de soutenir Israël. C’est l’Etat auquel ils peuvent faire davantage confiance qu’à aucun autre pays de la région (y compris les alliés de l’OTAN comme la Turquie) pour obéir aux demandes états-uniennes. En effet, contrairement à la Turquie lors de la guerre contre l’Irak en 2003, Israël n’est pas entravé par une opinion publique négative ou des contraintes politiques populaires.
Israël aide les Etats-Unis à combattre le nationalisme (tel que celui de Nasser) et des formes de fondamentalisme islamiste dans la région, perçues comme représentant une menace pour les Etats-Unis. Israël représente également un atout potentiel contre l’Iran et il est allié avec les dictatures du Golfe contre la démocratie et les mobilisations populaires de la région. Les Etats-Unis ont en effet besoin de gérer et de stabiliser cette région pour faciliter son contrôle sur le pétrole, cette fabuleuse ressource globale. Israël et les dictatures du Golfe arabique sont également de grands importateurs d’armement des Etats-Unis, ce qui alimente du même coup le complexe militaro-industriel aux Etats-Unis [qui collabore avec celui de l’Etat d’Israël].
Ou se situent les Palestiniens dans ce réseau d’alliances? Puisque les Palestiniens n’ont actuellement pas d’importance à niveau régional, les Etats-Unis se contentent de laisser Israël gérer sa propre frontière coloniale sans trop intervenir (la seule chose qu’ils demandent c’est de conserver l’illusion du processus de paix d’Oslo qu’ils ont sponsorisé). Pourquoi contrarier leur puissant et coriace allié stratégique sur une question qui ne les intéresse que très peu? C’est ainsi que les Etats-Unis laissent Israël humilier et maltraiter les Palestiniens sans chercher à l »entraver.
La question palestinienne est également liée au rôle d’Israël dans la région parce que l’occupation et la colonisation donnent à Israël de bonnes et solides raisons de rester une société militarisée et de continuer à stimuler sa technologie militaire. Même si les intérêts états-uniens dans la région n’ont pas besoin de l’occupation militaire en tant que telle, un Israël militarisé est clairement ce que veulent les Etats-Unis.
Est-ce que l’Etat d’Israël serait aussi utile aux Etats-Unis s’il perdait ses caractéristiques spartiates? Tant que l’occupation israélienne ne contredit pas ou ne perturbe pas sérieusement les intérêts régionaux états-uniens, les Etats-Unis et Israël peuvent continuer à travailler la main dans la main pour repousser la paix et bloquer l’application du droit international et des résolutions des Nations unies.
C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre BDS. La question pragmatique que doivent poser les militants favorables à l’autodétermination des Palestiniens est: pourquoi ne pas utiliser et mobiliser la loi internationale alors que son application dans le cas de la Palestine pourrait contribuer à mettre un terme aux souffrances d’un peuple opprimé depuis si longtemps? BDS est une tactique efficace qui attire l’attention de manière non-violente sur la politique coloniale israélienne qui est à la racine du conflit en Israël-Palestine.
BDS est aussi un mouvement large qui est en train de gagner de l’élan, surtout dans les pays occidentaux.
Comme stipulé dans l’Appel de 2005, l’objectif de BDS est qu’Israël respecte les lois et les résolutions internationales. Pour ce faire, Israël doit :
- mettre un terme à son occupation et à sa colonisation de toutes les terres arabes et démanteler le Mur;
- reconnaître les droits fondamentaux des citoyens arabo-palestiniens d’Israël à l’égalité complète;
- protéger, respecter et promouvoir le droit des réfugiés palestiniens de retourner à leurs foyers et à leurs propriétés, comme stipulé dans la Résolution 194 des Nations Unies.
Cette liste comprend l’ensemble des droits des Palestiniens: pas d’occupation, pas de déni du droit au retour et pas de discrimination institutionnelle à l’égard des Palestiniens en Israël. L’Appel est une tentative importante de détailler tous les torts historiques faits aux Palestiniens et de mobiliser des militant·e·s pour soutenir les Palestiniens dans leur lutte pour la liberté. Les Palestiniens se sont battus tout au long de leur histoire pour ces droits, lesquels sont largement soutenus par les Palestiniens, moi y compris.
Certains de ces droits sont clairement irréalistes dans le contexte politique actuel, et c’est la raison pour laquelle ces demandes ne devraient pas devenir une liste pour mesurer la solidarité. La cause palestinienne est un combat démocratique qui nécessite un large soutien populaire. La question clé qu’il faut poser est comment amener le plus possible de gens à soutenir les Palestiniens et comment contribuer à approfondir l’engagement des activistes et des organisateurs de campus universitaires pour cette cause juste. Pour soutenir les Palestiniens et leur manifester de la solidarité, il suffit d’une chose: soutenir leur droit à l’autodétermination. Il ne s’agit pas de faire accepter aux militants potentiels une liste de revendications, mais de considérer les Palestiniens comme étant des acteurs de leur propre émancipation, capables de calculs politiques rationnels et d’autodétermination démocratique.
Il appartient aux Palestiniens de décider collectivement et démocratiquement quels droits ils peuvent réaliser et soutenir dans le contexte actuel et comment ils entendent mener leur combat. Et c’est au mouvement de solidarité de protéger leur droit à le faire. Prétendre que les organisations non-élues de la société civile et des ONG incarnent ou épuisent la démocratie palestinienne revient à trop prendre en charge.
Cela signifie qu’il ne devrait avoir aucune précondition pour le travail de solidarité autre que cette condition élémentaire qui consiste à soutenir le droit à l’autodétermination d’un peuple opprimé. Cela signifie aussi que tant que le mouvement de solidarité répond à ce critère, il devrait être libre de décider laquelle lui semble la meilleure manière de poursuivre cet objectif politique. Les militants locaux enracinés dans leurs propres traditions de lutte savent comment il convient d’organiser et comment être les plus efficaces pour aider les Palestiniens à réaliser leur droit à l’autodétermination.
En résumé, ce dont les Palestiniens ont besoin c’est d’un mouvement de solidarité auto organisé, démocratique, libre de tout sectarisme, de tout veto idéologique, et de toute pratique antidémocratique.
Les Palestiniens ont aussi besoin d’un mouvement qui a suffisamment d’élan pour transformer en pratique le consensus international sur la Palestine (pour mettre un terme à l’occupation brutale d’Israël). C’est la première et la plus importante revendication de toutes les organisations politiques palestiniennes, pour la Liste conjointe de Palestiniens en Israël et du Hamas, qui pendant plus d’une décennie donnaient une priorité à obtenir un Etat en Cisjordanie et à Gaza qui aurait en contrepartie un cessez-le-feu durable avec Israël.
Les Palestiniens, comme n’importe quel autre peuple méritent de vivre en paix et en sécurité, sans être harcelés au quotidien, sans invasions, occupations, guerres tueries et punitions collectives. La tâche la plus urgente est de les protéger de l’Etat Israël et de réduire leurs souffrances quotidiennes en mettant un terme à l’occupation. Briser le siège de la Bande de Gaza et y permettre la reconstruction et le libre accès au monde extérieur est un pas concret et crucial.
C’est là que BDS peut être le plus efficace, en frappant Israël sur le plan politique justement là où ça fait le plus mal, à savoir sur ses pratiques d’occupation illégales. Israël sait que la meilleure chose à faire concernant cette occupation est de ne pas en parler, d’en distraire l’attention en insistant plutôt sur l’autre Israël, celui dont parlent principalement les mannequins et les auteurs soutenus par le bureau des Affaires étrangères.
En réalité, Israël n’a rien d’un pays normal. A ma connaissance aucune autre société coloniale ne se retrouve tous les matins à régner par la force sur des millions d’autres êtres humains, tout en faisant semblant que tout va bien. A ma connaissance aucune autre société ne soutient systématiquement les guerres que mène son gouvernement contre des populations occupées et dépossédées. Existe-t-il une autre société où 94% de sa population est d’accord sur quoi que ce soit?
BDS est la meilleure manière d’alerter les Israéliens sur le fait que leur société actuelle – où le racisme et l’occupation sont routinières – n’est pas normale. Cette campagne dit aux Israéliens que leurs principales entreprises et universités sont complices parce qu’elles soutiennent la plus longue occupation des temps modernes. Elle leur dit que l’armée israélienne n’est pas une armée de défense comme son nom l’implique, mais une police coloniale agressive et que leurs troupes et leurs colons devraient rentrer chez eux.
Les 48 années de tentatives infructueuses montrent bien combien il sera difficile de mettre fin à l’occupation. Mais cela reste la tâche la plus réalisable parce que c’est là que les Palestiniens ont le plus de soutien à niveau mondial. Si cela est impossible, alors rien d’autre n’est possible et le statu quo sera permanent: les Palestiniens seraient destinés à vivre emmurés, dépossédés et dominés à tout jamais. Aucun être humain raisonnable ne devrait accepter ce destin pour un autre peuple – cela violerait notre sens moral élémentaire et notre sens de justice. Un BDS démocratique et efficace est une des meilleures manières d’exprimer cela aujourd’hui.
Le fait de mettre un terme à l’occupation reste la meilleure voie pour atteindre les droits que l’on a déniés pendant longtemps aux Palestiniens. (Traduction A l’Encontre; article publié le 23 avril 2015, dans Jacobin, The reason in revolt. Bashir Abu Maneh est enseignant à l’Université de Kent).
Remerciements pour leurs commentaires à Gilbert Achcar – auteur, entre autres, des Arabes et la Shoah. La guerre israélo-arabes des récits (Sindbad, 2009) – et à Stephen Rosskamm Shalom, professeur à la William Paterson University, New Jersey.