L’augmentation des expulsions forcées entre dans une politique israélienne qui vise à pousser les Palestinien(ne)s hors de Jérusalem, affirme un groupe de défense juridique.
Raafat Sub Laban, 27 ans, est chercheur juridique, il est né et a grandi dans le quartier musulman de la Vieille Ville historique de Jérusalem. Alors que ses grands-parents ont aménagé dans leur maison il y a plus de six décennies, et qu’ils l’ont transmise à sa mère, la famille Sub Laban se trouve aujourd’hui face à une ordonnance d’expulsion, afin de faire la place à des colons israéliens.
Se tenant devant le tribunal israélien à Jérusalem-Est, Raafat explique que sa famille « n’a nulle part où aller », et il ajoute que ses parents, ses frères et sœurs et leurs enfants habitent tous dans la maison. « Nous sommes neuf, dont deux enfants âgés de trois et neuf ans », dit Raafat à Al Jazeera. « Où sommes-nous censés aller ? C’est ici notre maison ».
En 1953, la famille Sub Laban a loué la maison au gouvernement jordanien, qui a contrôlé Jérusalem-Est et le reste de la Cisjordanie jusqu’à ce qu’Israël occupe ces territoires lors de la guerre de 1967.
Par le Conservatoire général des biens des absents, un organisme qui gère les maisons et les terres confisquées par Israël, la famille a été informée que la propriété des maisons avait été transférée à des colons israéliens, lesquels par la suite affirmèrent qu’elle avait été enregistrée en tant que Hekdesh, ou propriété religieuse juive, avant 1948.
Raafat et sa famille soupçonnent qu’Ateret Cohanim, une organisation juridique de droite à but non lucratif qui cherche à remplacer les habitants palestiniens de la ville par des colons israéliens juifs, est impliquée dans cette tentative de mettre la main sur leur maison. Daniel Lurie, directeur exécutif d’Ateret Cohanim, a nié l’implication de l’organisation. « Ateret Cohanim n’a aucun lien avec l’affaire en question », a indiqué Lurie par courriel à Al Jazeera.
Plus de 300 000 Palestiniens vivent dans Jérusalem-Est occupée. Israël prétend avoir annexé le territoire en 1980, mais cette initiative n’est pas reconnue par la communauté internationale.
Plus d’un demi-million d’Israéliens vivent dans des colonies réservées aux seuls juifs, dispersées à travers la Cisjordanie dont Jérusalem-Est.
Des groupes juridiques affirment que la recrudescence des expulsions forcées, arrestations et démolitions de maison, s’intègre dans un écheveau plus large d’une politique israélienne conçue pour pousser les Palestiniens hors de Jérusalem.
« Le nombre accru des arrestations et des expulsions forcées prouve que le gouvernement (israélien) reste déterminé à réduire au maximum la population palestinienne autochtone et à étendre la présence israélienne illégale », a déclaré à Al Jezeera, Rima Awad, membre de la Campagne des Jérusalémites, une organisation qui milite pour les droits palestiniens dans la ville.
Les membres de la famille Sub Laban ont été en sécurité dans leur maison jusqu’à l’an dernier, quand un tribunal israélien les a dépouillés de leur statut de locataires protégés, au motif qu’ils n’auraient pas habité en permanence la maison et que, prétendument, ils l’auraient négligée.
Les colons ont également plaidé pour l’expulsion des Sub Luban en se référant à une loi israélienne autorisant les juifs à réclamer une propriété palestinienne qui avait été enregistrée comme propriété juive avant l’implantation d’Israël. Adoptée en 1970 et considérée comme loi de Jérusalem-Est, elle permet aux propriétaires d’expulser les habitants qui n’ont pas habité sur les lieux ou payé leur loyer de façon permanente.
Les colons ont cogné à leur porte deux fois cette année, et deux fois ils ont essayé de s’emparer de leur propriété, la première fois en février et la seconde en mars. « La première fois, des militants et des amis les ont empêchés de pénétrer dans la maison » rappelle Raafat. « La seconde fois, notre avocat a réussi à obtenir une injonction provisoire pour empêcher que l’évacuation n’ait lieu ».
« Notre maison est l’une des quinze à Jérusalem-Est actuellement exposées à une expulsion pour y faire entrer des colons juifs » ajoute Raafat. Les autorités israéliennes démolissent aussi régulièrement des maisons palestiniennes, partout dans Jérusalem-Est comme dans le reste de la Cisjordanie.
Noura Sub Laban, la maman de Raafat, a fait appel de l’ordonnance d’expulsion devant un tribunal israélien le 31 mai. Devant les juges, son avocat, Mohammed Dahleh, plaidait en son nom. « L’argument consistant à prétendre que (la famille Sub Laban) n’a pas habité la maison est faible » a-t-il déclaré, soulignant que la famille avait payé régulièrement les factures de téléphone, d’électricité et d’eau de la maison. « Le tribunal doit revenir sur sa décision d’autoriser l’expulsion ».
Le lendemain, 1er juin, la famille Sub Laban recevait un courrier de l’Agence d’assurance nationale d’Israël, les informant qu’ils n’étaient pas considérés comme habitant Jérusalem à temps plein depuis août 2013.
Du fait que les Jérusalémites palestiniens détiennent des permis de résidence, émis par les Israéliens, pour vivre dans la ville, ils sont confrontés à des expulsions vers la Cisjordanie ou ailleurs, si leur permis de résidence leur est retiré.
Depuis qu’a commencé l’occupation de Jérusalem-Est par Israël, en 1967, cet État a retiré le droit de résidence à plus de 14 000 habitants palestiniens, dont 107 rien qu’en 2014, selon l’organisation juridique israélienne HaMoked.
À l’instar d’Elad, autre groupe israélien de colons, Ateret Cohanim a engagé un procès en début de mois, exigeant l’expulsion d’une autre famille palestinienne dans le quartier Silwan, à Jérusalem-Est. Ces groupes prétendent que la famille Rajabi vit dans un immeuble qui a été acheté par un fidéicommis religieux juif, il y a 134 ans.
Bien qu’il ait refusé de commenter l’expulsion en attente de la famille Rajabi, Daniel Luria, d’Ateret Cohanim, affirme : « Tout juif, en tant que partie intégrante du seul peuple autochtone de cette Terre, a le droit d’acquérir, et de vivre en paix partout dans sa patrie ancestrale, particulièrement dans le cœur d’Israël, Jérusalem ».
Revenons à octobre 2014, Ateret Cohanim a aidé neuf familles de colons juifs à s’emparer de deux immeubles à Silwan. Sous la protection de gardes de sécurité fournis par Elad, les colons ont envahi de force les bâtiments et ainsi, ils ont doublé la population de colons dans le quartier, selon les articles de la presse israélienne.
Le 21 mai, les bulldozers israéliens sont entrés dans Silwan et ils ont rasé trois immeubles commerciaux appartenant à des Palestiniens, sous le prétexte qu’ils avaient été construits sans l’autorisation de la municipalité israélienne de Jérusalem. Moins d’une semaine plus tard, un autre ensemble d’appartement était démoli à Silwan.
Selon un communiqué publié par la suite par le Centre d’information Wadi Hilweh à Silwan, quelque 80 familles, totalisant 300 personnes, sont actuellement menacées d’expulsion dans le quartier.
« Silwan est un microcosme des tendances qui montent dans tout Jérusalem-Est », dit Awad de la Campagne des Jérusalémites, faisant allusion à la recrudescence apparente des démolitions de maisons et des cas de prises par la force des propriétés par les colons.
Revenons maintenant au tribunal de Jérusalem, selon Raafat Sub Laban, sa famille n’est pas optimiste pour l’avenir. « Naturellement, nous n’attendons pas de justice d’aucun tribunal israélien », fait-il remarquer, « mais nous espérons le meilleur possible ».
Traduction : JPP pour l’Agence Média Palestine 13 juin 2015
Patrick Strickland – 7 juin 2015 – Al Jazeera
Source: Al Jazeera
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