Dans un témoignage posthume, le militant d’extrême droite René Resciniti de Says revendique l’assassinat du militant anticolonialiste Henri Curiel, en 1978. L’avocat de la famille a déposé plainte avec constitution de partie civile.
Qui a tué le militant communiste et anticolonialiste Henri Curiel, le 4 mai 1978 dans l’ascenseur de son immeuble, à Paris ? Depuis trente-sept ans, cette question est restée sans réponse, car ses deux tueurs n’ont jamais été retrouvés, l’assassinat n’ayant été revendiqué que par un mystérieux “groupe Delta”.
“Ces dernières années, René devenait bavard”
Officiellement, l’affaire a été classée sans suite, après un non-lieu. Mais un nouveau témoignage pourrait relancer l’enquête. Pour la première fois, un homme revendique cette exécution dans un livre paru en mai dernier, Le Roman vrai d’un fasciste français, du journaliste Christian Rol (éd. La Manufacture de livres). Celui-ci a recueilli les confidences de René Resciniti de Says, dit l’Elégant, militant nationaliste, avant sa mort en 2012.
“Ces dernières années, René devenait bavard… […] Sa mort a levé le contrat moral qui nous liait, explique le journaliste Christian Rol dans son avant-propos. S’il était exclu de publier quoi que ce soit de son vivant sans son aval, en revanche, rien ne s’opposait à ce que ce récit lui survive.”
Parmi les secrets révélés dans ce livre, celui de la mort d’Henri Curiel, militant tiers-mondiste, cofondateur du mouvement communiste au Caire avant-guerre, exilé en France. Selon le témoignage rapporté par Christian Rol, René Resciniti de Says a abattu Henri Curiel de trois balles avec un comparse avant de disparaître dans la foule et de remettre l’arme du crime (un Colt 45) à un troisième homme, le tout sur ordre de Pierre Debizet, patron du SAC, la milice du parti gaulliste.
“Un agent de Moscou à refroidir, c’est dans le cahier des charges”
L’attentat est revendiqué auprès de l’AFP comme suit :
“Aujourd’hui, à 14 h, l’agent du KGB, Henri Curiel, militant de la cause arabe, traître à la France qui l’a adopté, a cessé définitivement ses activités. Il a été exécuté en souvenir de tous nos morts. Lors de notre dernière opération, nous avions averti. Delta”.
Dans Le Roman vrai d’un fasciste français, René Resciniti de Says assume son acte de manière totalement décomplexée :
“A l’époque, c’est la guerre froide. Curiel nous est présenté comme le super-agent de la subversion – même si à l’époque il n’avait aucune activité contre la France. Nous, on ne se pose pas de questions: un agent de Moscou à refroidir, qui plus est traître à la France en Algérie, c’est dans le cahier des charges.”
Christian Rol reconnaît les limites de l’exercice qui consiste à rapporter ce témoignage, alors que le protagoniste est décédé : comment en vérifier la véracité ? Mais il affirme que celui-ci ne relève pas du délire mythomane, et précise même qu’il y a des acteurs toujours vivants de cette histoire : “Les protagonistes supposés de cette affaire, des amis de certains de mes amis, ne sauraient, évidemment, être cités sous leurs vrais noms… et encore moins être entendus. On ne plaisante pas avec ces gens-là…”
“Des bouches pourraient s’ouvrir”
Pour Me William Bourdon, avocat de la famille d’Henri Curiel, contacté par Les Inrocks, ce témoignage est susceptible de relancer l’enquête : “Il est essentiel : c’est la première fois que quelqu’un s’auto-désigne comme un des auteurs du crime, même si c’est post-mortem. On sait qu’il y a au moins deux auteurs, mais un crime politique comme celui-ci implique une organisation. Il est de bon sens de dire que si un des auteurs est décédé, ce n’est pas forcément le cas de ses complices.”
Pour l’avocat, la plainte avec constitution de partie civile qui a été déposée auprès du doyen du juge d’instruction du Tribunal de grande instance de Paris devrait conduire à la désignation d’un juge, ce qui n’avait pas été le cas précédemment car personne n’avait été identifié. 28/10/2015 | 11h34
http://www.lesinrocks.com/lenquete-sur-lassassinat-du-militant-communiste-henri-curiel
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