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Tunisie : cessez de punir les victimes (Amnesty)

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La Tunisie a la réputation de montrer l'exemple en matière de droits des femmes et d'égalité des genres dans la région, mais cette renommée sonne creux quand on sait que la législation du pays permet encore aux violeurs de s'en sortir en toute impunité.

Elle a été violée. Pour protéger son honneur, elle doit désormais épouser son violeur.

Il a été agressé et maintenant il est accusé de sodomie.

En Tunisie, si vous êtes victime de violences sexuelles, vous risquez d'être également la cible de sanctions tandis que votre agresseur reste impuni.

Bien trop souvent, la législation manque à tous ses devoirs envers vous. Bien trop souvent, on vous dit de prendre sur vous pour supporter un mari violent. Bien trop souvent, vous n'avez personne vers qui vous tourner pour obtenir de l'aide. Bien trop souvent, on vous dit d'assumer.

Et vous, la victime, vous qui avez survécu, vous vous retrouvez livré(e) à vous-même. Vous avez survécu au crime, et maintenant vous êtes victime de la loi.

Ce n'est pas ce que l'on pourrait attendre d'un pays qui se targue de montrer l'exemple en matière de droits des femmes et d'égalité des genres dans le monde Arabe. Après tout, la Tunisie a légalisé l'avortement sur demande en 1973, soit deux ans avant la France.

Mais en réalité, la belle réussite de la Tunisie est une histoire inachevée. Des failles dans la législation permettent encore aux violeurs de ne pas être inquiétés pour leurs crimes, des femmes violées par leur mari ne disposent d'aucune protection juridique et les rapports sexuels entre hommes ou entre femmes sont toujours illégaux. Ne serait-il pas temps que la Tunisie cesse d'accuser les victimes et commence à se pencher sur les failles de sa législation ?

Une violence omniprésente à l'égard les femmes

Selon une étude menée en 2010 par le ministère tunisien de la Santé, près de la moitié des femmes en Tunisie ont déjà subi des violences ; 15,7 % d'entre elles ont été victimes de violences sexuelles. Si l'on tient compte de la réticence bien réelle de nombreuses femmes à parler de la violence sexuelle de crainte d'être mises au ban de leur famille et de leur communauté, les véritables chiffres sont probablement bien plus élevés.

L'enquête a également révélé que les violences familiales et conjugales étaient de loin les plus répandues. Pourtant, la législation tunisienne ne reconnaît pas le viol conjugal. En outre, la loi permet encore aux violeurs d'éviter les poursuites en épousant leur victime adolescente - une faille juridique qui a récemment disparu des textes de loi au Maroc.

Les victimes de violences familiales s'entendent souvent dire par la police, ou même par leurs proches, qu'elles doivent « faire avec » ou « assumer [leurs] responsabilités », comme si les femmes devaient accepter que leur mari les violente.

Les femmes censées supporter la violence

Malgré de nombreuses grandes avancées en faveur des femmes en Tunisie, les comportements discriminatoires persistent. Les rapports sexuels sont considérés comme un devoir conjugal à la fois pour les hommes et pour les femmes mais, en réalité, cela signifie surtout que les femmes ont l'impression de devoir se soumettre aux exigences de leur mari.

Une femme a déclaré à Amnesty International : « Dire non n'est pas une option, il n'aime pas ça, alors quel que soit mon état, que je sois fatiguée ou malade, je n'ai pas le choix. Si je dis non, il me force et me bat - jusqu'à ce qu'il obtienne ce qu'il veut. » 

Même si elle le souhaite, une femme aura du mal à dénoncer un viol commis sur elle par son mari car le viol conjugal n'est pas reconnu dans le droit tunisien. Les femmes engagées dans une relation avec un partenaire violent ne sont pas mieux loties : la police rechigne à prendre leurs plaintes au sérieux. 

Une femme d'une quarantaine d'années a décrit à Amnesty International la manière dont son mari l'a rouée de coups un jour : « Quand nous sommes entrés dans la maison, il a commencé à me donner des coups de poing sur la tête et au visage et à me frapper avec sa chaussure. J'avais un œil au beurre noir », a-t-elle expliqué. Mais tenter de signaler cet épisode à la police ne l'a menée nulle part. 

« J'ai porté plainte au poste de police et j'ai obtenu un certificat médical, après quoi la police a convoqué mon mari. Mais le policier était l'un de ses amis et il ne s'est rien passé. Tout ce que la police a fait, c'est lui dire de penser aux enfants. »

Violé et accusé

La réaction de la police face aux femmes est déjà loin d'être satisfaisante, mais lorsque vous êtes homosexuel et avez des relations sexuelles avec un homme, ce qui est illégal en Tunisie, la discrimination à laquelle vous êtes confronté est tout aussi forte, voire pire.

Fin 2009, Hedi, 37 ans, a été arrêté et poursuivi pour relations sexuelles avec une personne du même sexe après qu'il eut signalé une agression. Il avait été poussé dans sa voiture par trois hommes alors qu'il quittait le domicile d'un ami. L'un des hommes l'a violé et son téléphone et son argent lui ont été dérobés. La police a demandé à Hedi de signer une déclaration.

Distrait par l'arrivé de ses parents au poste de police, il a signé le document sans le lire. « J'ai été arrêté et placé dans une cellule », a-t-il déclaré. « Les trois hommes qui m'avaient agressé y ont eux aussi été placés. »

Hedi a expliqué à Amnesty International que sa déclaration avait été modifiée et indiquait qu'il avait accepté d'avoir des relations sexuelles avec les trois hommes. Il a été condamné à six mois de prison mais libéré quatre mois plus tard, après que sa peine eut été réduite en appel.

La riposte

La situation n'est pas complètement noire. Les Tunisiens réclament déjà des changements législatifs afin d'en finir pour de bon avec les violences liées au genre et les violences sexuelles.

L'affaire qui a tout déclenché, c'est celle de Meriem Ben Mohamed. En 2012, elle a été inculpée d'« atteinte aux bonnes mœurs » après avoir porté plainte contre deux policiers qui l'avaient violée.

Les Tunisiens, scandalisés, se sont tournés vers les médias sociaux et sont descendus dans les rues pour protester jusqu'à ce que les charges soient abandonnées et les policiers traduits en justice. Grâce au soutien de l'opinion publique et de sa famille, Meriem a obtenu justice. En 2014, les policiers ont été condamnés à 15 ans de prison, une issue sans précédent dans une telle affaire.

Plus récemment, le public s'est fédéré autour du cas de « Marwan », un étudiant de 22 ans condamné pour sodomie en septembre 2015 et dont le procès en appel est en cours.

Le concert de protestations, au premier rang duquel se trouvent les militants tunisiens en faveur des droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexuées (LGBTI), soutenus par des militants des droits humains et des droits des femmes dans le pays et à l'étranger, a poussé les autorités à se réveiller et à prêter attention à la situation.

C'est le meilleur moment pour que des personnes du monde entier s'allient aux militants tunisiens en relayant leur message. Avec une impulsion supplémentaire, les changements sont à portée de main.

Il est temps pour la Tunisie de ne plus laisser les violeurs s’en sortir, de cesser de prétendre que le viol conjugal n’est pas un viol, de cesser d’emprisonner des hommes parce qu’ils sont homosexuels. On dit aux victimes de violences sexuelles et liées au genre de « faire avec », mais n’est-il pas temps pour les autorités tunisiennes d'assumer leurs responsabilités ?

En août 2014, les autorités ont promis de protéger et de soutenir les victimes de ce type de crimes. Il est désormais temps pour la Tunisie de marquer l'histoire en tenant cette promesse.

https://www.amnesty.org/fr/latest/campaigns/2015/12/my-body-my-rights-tunisia/ 

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