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Syrie : « Les bombardements ne changent rien, seuls les civils paient » (Basta)

 Homs, tenu par les rebelles syriens, en juin 2014. Depuis, la cité a aussi subi des bombardements de l’aviation russe / CC Pan Chaoyue

Quelques jours après les attentats du 13-Novembre, l’armée française intensifiait ses frappes militaires en Irak et en Syrie, contre des sites contrôlés par Daech.

Pendant ce temps, 4,5 millions de Syriens ont fui leur pays, et la France n’accueille des réfugiés qu’en nombre très limité. Que pensent les premiers concernés de l’intervention militaire française ? Basta ! a recueilli le point de vue de deux Syriennes installées en France, depuis plusieurs années. Elles donnent leurs avis sur la réponse militaire française aux attaques, l’accueil des réfugiés, et la situation politique en Syrie.

Des pourparlers de paix sur la Syrie doivent commencer ce 29 janvier 2016 à Genève, alors que les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France, avec l’appui de l’Allemagne, et la Russie participent aujourd’hui aux opérations militaires en Syrie [1]. La France avait commencé à frapper des cibles de l’État islamique en Irak en 2014, puis en Syrie à partir de septembre 2015. Après les attentats du 13-Novembre, le gouvernement français a décidé d’y intensifier son intervention militaire. Et d’en modifier la base juridique, en passant d’un régime de défense de l’État irakien – face aux attaques de Daech – à un régime plus ambigu de « légitime défense individuelle », selon l’expression du ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian [2]. Au cours des mois de décembre et de janvier, la France aurait opéré 140 bombardements, selon le ministère de la Défense, soit deux par jour en moyenne [3].

La Russie, qui a entamé une intervention militaire juste après l’été, ne s’attaque pas seulement à des cibles de l’État islamique. Moscou, qui soutient le régime de Bachar el-Assad, cible aussi largement l’opposition et les rebelles non djihadistes. Ces frappes auraient déjà fait des centaines de victimes civiles, selon Amnesty International. L’ONG accuse la Russie de bombarder des zones d’habitations, et même des structures médicales.

Pendant ce temps, les Syriens continuent de fuir massivement leur pays. 4,5 millions se sont exilés à l’étranger, dont 2,5 millions en Turquie, 1 million au Liban, plus de 600 000 en Jordanie, 250 000 en Irak, plus de 100 000 en Égypte [4]. Plus de la moitié des 850 000 réfugiés qui ont rejoint l’Europe par les côtes grecques en 2015 sont syriens [5]. La plupart d’entre eux sont venus trouver refuge en Allemagne, où un million de personnes ont déposé une demande d’asile l’année dernière, dont 400 000 Syriens et plus de 100 000 Irakiens. La France n’accueille des réfugiés syriens qu’en nombre très limité : 3 553 demandes d’asile ont été déposées par des Syriens en 2015, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur. Ces chiffres ne prennent pas en compte les personnes qui ont pu arriver en France avec un visa.

Quant aux Syriens qui vivent en France, que pensent-ils de l’intervention militaire ? Comment observent-ils la crise migratoire ? Comment analysent-ils la situation dans leur pays ? Basta ! est allé posé ces questions à deux Syriennes installées en France [6].

« On a l’argent pour faire la guerre, mais pas pour accueillir les réfugiés politiques ? »

Jasmine [7] a la trentaine. Elle est arrivée en France en 2011, après avoir terminé ses études dans un autre pays européen :

« Quand je suis partie de Syrie, ce n’était pas encore un conflit. Il y avait l’oppression, mais ce n’était pas encore la guerre. C’était la révolution. C’était beau. Mais j’ai essayé de partir rapidement, parce que, pour moi, c’était un peu évident que ça allait se transformer en quelque chose de moche. J’ai vécu presque toute ma vie avec ce régime-là, je le connais bien. Ils sont vraiment très durs.

Je pense que les interventions militaires, dans l’histoire, ont parfois été nécessaires, pendant la guerre des Balkans, en Bosnie, par exemple. En Syrie aussi, il y avait un moment où c’était nécessaire. En 2013, après les attaques chimiques, je ne voyais pas d’autres solutions pour régler ce conflit que l’intervention militaire. À l’époque, il n’y avait pas encore Daech. Mais l’Union européenne n’a rien dit. Obama a d’abord dit que les armes chimiques constituaient une ligne rouge. Puis il a changé d’avis, car la Russie a déclaré que le régime syrien allait rendre ses armes chimiques. Puis tout le monde a oublié. Mais le régime a continué la violence avec toutes sortes d’armes non chimiques, conventionnelles. C’était scandaleux. Il fallait intervenir à ce moment-là. Maintenant, on intervient juste contre Daech.

Cette intervention militaire française me déçoit. Et c’est triste que les Français ne réagissent pas. J’ai l’impression qu’ils ne savent rien. Que si l’État dit qu’il faut aller faire la guerre, on va y aller. Mais c’est la guerre, il y a aussi des innocents derrière. Et comment fait-on la guerre contre Daech ? Où est Daech ? Parmi les civils, comme à Rakka [Syrie, Ndlr], où vivent un demi-million d’habitants [8]. Pour l’instant, on n’a pas vu de victimes civiles des frappes françaises. Mais de celles de la Russie, oui. Et les Russes bombardent des villes aux mains de l’opposition, de l’armée libre.

C’est une question très grave que de faire la guerre en Syrie. Je pense qu’il faut la poser aussi aux Français eux-mêmes. Personne ne leur a demandé. Cela représente aussi beaucoup d’argent. On a l’argent pour faire la guerre, mais pas pour accueillir les réfugiés politiques ? La France a joué un rôle très important dans les débuts de la révolution. Elle a accueilli des opposants, elle a rapidement rompu ses relations diplomatiques avec le régime. Mais là, j’ai l’impression que la France a été entraînée dans cette guerre par les attentats. Et je n’aurais pas imaginé que l’Allemagne décide, elle aussi, d’aller faire la guerre en Syrie.

Je connais beaucoup de Syriens qui sont partis en Allemagne. Je n’aurais jamais imaginé cette vague de migration avant. Bien sûr, je ne pensais pas que les Syriens allaient continuer à supporter ce régime. Je pensais que beaucoup allaient émigrer pour chercher un peu de dignité. Mais pas dans cette proportion. Là, on est en train de vider un pays entier. Les Syriens qui sont en Allemagne, je ne pense pas qu’ils vont rentrer. Et après leur avoir offert une éducation et la protection, l’Allemagne ne va pas les laisser partir si facilement. Mais la crise migratoire, ce n’est pas seulement la crise syrienne, c’est la crise de ce tiers-monde qui est vraiment désespéré et qui veut faire partie du monde. Je me demande pourquoi la France rejette cette migration ? » 

« Nous voulions négocier avec Assad, c’était naïf »

Samar Diab [9] est activiste au sein d’une association humanitaire franco-syrienne. Elle vit en France depuis plus de vingt ans :

« L’Ouest a encouragé la révolution, mais a fait très peu pour l’aider. Les gens sur le terrain, ils s’en fichaient de ce que Hollande disait ici. Là-bas, ce qu’ils veulent, c’est ne pas mourir, ils veulent quelqu’un qui les aide. Aucun Syrien n’a demandé une intervention militaire au début. Moi, au début du conflit, j’étais aussi contre l’envoi d’armes à l’opposition démocratique. Nous voulions négocier avec Assad pour qu’il parte. C’était naïf.

En 2013, il y a eu les armes chimiques. C’est la deuxième fois que l’Ouest n’a rien fait. Les États-Unis ont dit que l’emploi d’armes chimiques par le régime était une ligne rouge. Mais quand Assad l’a dépassée, personne n’a rien fait.

Après les attentats du 13-Novembre, Hollande devait faire quelque chose, c’est sûr. Mais il a choisi quelque chose qui n’a pas de sens. L’existence de Daech est liée à l’existence d’Assad. L’Ouest n’a pas aidé l’opposition modérée à se rassembler et à avoir un relais sur le terrain. Maintenant, vu la situation, on ne peut plus dire qu’il n’y aura pas d’intervention militaire. Mais l’intervention aérienne n’apporte rien. Ou alors il faut apporter un soutien logistique militaire aux brigades de l’armée libre. Les bombardements ne changent rien. Seuls les civils paient. Surtout avec les bombardements russes. S’il n’y a pas de stratégie pour résoudre le conflit, ce n’est pas avec des bombardements qu’on le résoudra. Il faut le départ de Bachar el-Assad et une intervention sur le terrain. Ou bien aider ce qui reste de l’armée libre.

Sur la question kurde, moi, en tant que Syrienne, j’aimerais que nous trouvions un terrain d’entente avec les Kurdes syriens. Il faut qu’on leur donne l’assurance d’être des citoyens à part entière. Ce qui n’était pas le cas avant. Le problème, c’est que nous, les Syriens arabes, nous ne connaissions pas toutes les discriminations que les Kurdes subissaient.

Dans notre association, nous sommes de générations, de milieux sociaux, de communautés très différentes. Il y a des musulmans, des Druzes, des alaouites, des chrétiens… Mais l’engagement est dur, parce que la situation en Syrie descend toujours plus bas. Quand on voit les Français qui nous aident, ça nous fait tenir. Même si nous voyons que les gens ont peur des réfugiés. Moi, j’ai la nationalité française, j’ai fait venir ma mère, qui a plus de 75 ans. Ça a pris quatre mois de démarches pour qu’elle obtienne un visa de visiteur, de seulement six mois, sans droit à aucune aide. »

 Rachel Knaebel

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