Par Laure Stephan et
témoignage du Dr Raphaël Pitti
C’est une lutte capable de changer le cours de la guerre d’après les partisans du régime; une bataille «à la vie à la mort», pour les militants anti-Assad. Dans les deux camps, les combats en cours, qui pourraient sceller le sort d’Alep, la seconde ville de Syrie divisée en deux depuis 2012, apparaissent cruciaux. Le face-à-face militaire ne se joue pas dans le cœur de la ville, mais dans ses alentours, sur un front situé au sud-ouest de l’ancienne capitale économique, autour de positions dont la consolidation reste précaire.
Vendredi 5 août au soir, les forces anti et pro-Bachar Al-Assad se disputaient le contrôle de bâtiments d’une école militaire, après une nouvelle attaque lancée par les rebelles. Ceux-ci ont investi le principal bâtiment du complexe militaire, l’école d’artillerie, mais les troupes syriennes ont repoussé l’offensive. Les insurgés, dont les rangs sont dominés dans cette zone essentiellement par des brigades islamistes, ont essuyé plusieurs revers depuis le début de leur offensive quelques jours plus tôt, afin de briser le siège le siège des quartiers rebelles d’Alep encerclés par le régime. «Mais les combattants de l’opposition savent que la bataille qui se joue est celle de la dernière chance, ils vont continuer de tenter d’ouvrir des brèches», indique Haïd Haïd, un jeune analyste syrien originaire de la province d’Alep, installé au Royaume-Uni.
Depuis le début de l’année, la situation militaire dans la grande ville du nord de la Syrie a déjà failli basculer à deux reprises: en février, lorsque les forces pro-régime ont avancé dans le nord, appuyées par de massives frappes aériennes russes, puis fin avril, lorsque ces mêmes forces ont multiplié les bombardements contre les faubourgs est de la ville, tandis que les rebelles effectuaient des tirs intenses contre les quartiers contrôlés par le gouvernement. A chaque reprise, ces poussées ont été utilisées par Damas et Moscou comme moyen de pression dans les négociations internationales. Le nouveau «tournant» pourrait aussi être le prélude à d’autres pressions.
Dans les faubourgs orientaux d’Alep tenus par les rebelles, le siège imposé aux quelque 250’000 habitants depuis la mi-juillet par les forces pro-régime se double d’intenses frappes aériennes, au moyen d’avions de chasse russes ou syriens. Depuis début août, les médecins de l’hôpital Al-Qods soignent chaque jour «une cinquantaine de blessés à la suite des frappes aériennes», affirme Hamza Al-Khatib, le directeur de la structure médicale située en zone rebelle. Les bombardements ont aussi fait 10 morts, vendredi 5 août, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme. «J’ai commencé à me préparer au fait que la bataille d’Alep pourrait être très longue, poursuit le médecin. On sait ce qui est arrivé aux autres assiégées: la soumission à des bombardements de plus en plus rapprochés, la tentative du régime de diviser la région assiégée en plusieurs quartiers, les habitants réduits à la faim. Si le siège se maintient, on va vers ce scénario.»
Si, à l’inverse, les rebelles réussissent à briser le siège, ils pourraient à leur tour encercler la partie ouest de la ville, sous contrôle gouvernemental – comme en 2013 –, soit plus d’un million de personnes. Les résidents des quartiers périphériques, proches de la ligne de front au sud-ouest d’Alep, ont vu les tirs rebelles de mortiers et de RPG se multiplier. Ils sont aussi la cible, si l’on en croit certains témoignages, du vandalisme de milices locales pro-régime, actives sur le front aux côtés des milices étrangères financées par l’Iran.
Deux semaines de nourriture
Dans l’est de la ville, le siège se fait déjà. Selon Alexa Reynolds, l’une des coordinatrices des programmes de CARE en Syrie «en deux semaines, la nourriture pourrait être épuisée à Alep». La cuisine communautaire appuyée par l’ONG et chargée de servir des repas quotidiens à près de 3000 familles «n’a plus de stocks». A cause de la pénurie et de la spéculation, les prix des denrées ont explosé.
Sur le front au sud-ouest d’Alep, le Front Fatah Al-Cham, nouveau nom du Front Al-Nosra, dont la distanciation d’avec Al-Qaida laisse sceptiques de nombreux observateurs, apparaît comme l’un des principaux acteurs. Selon Haïd Haïd, le groupe djihadiste «absorbe de nouvelles recrues, parce qu’il apparaît à même de briser le siège». Hostiles aux groupes djihadistes, qui les ont à plusieurs reprises pris pour cible, les militants civils qui ont porté la révolution contre Bachar Al-Assad voient cependant dans l’offensive au sud-ouest d’Alep l’une des rares options possibles pour que l’est d’Alep ne tombe pas. Cette partie de la ville a été un lieu d’engagement pour les militants qui ont continué, envers et contre tout – en premier lieu, les bombardements aux barils d’explosifs du régime, mais aussi le racket exercé par certains groupes rebelles –, à faire fonctionner des écoles, des hôpitaux et tenter d’administrer la ville.
«Ces corridors sont tout sauf une solution idéale»
Fin juillet, Damas et Moscou ont annoncé la mise en place de quatre corridors humanitaires, appelant les civils à quitter la ville et les combattants à se rendre. Selon une source indépendante, ces couloirs «existent bien, mais à peine quelques dizaines de personnes les ont utilisés». Les autorités syriennes souhaitent obtenir l’appui d’organisations internationales pour organiser l’évacuation de l’est d’Alep, mais celles-ci posent leurs conditions: entrée de l’aide humanitaire, cessez-le-feu.
«Si l’on fait des corridors humanitaires, mais que les bombardements continuent, quel est le sens?, s’interroge un acteur humanitaire. Ces corridors sont tout sauf une solution idéale. Ils sont très risqués pour les civils, qui peuvent être attaqués sur la route par le régime, ou par des combattants de l’opposition qui ne veulent pas qu’ils sortent. Et ils risquent d’être détenus par le régime à leur sortie, s’ils comptent un combattant dans leur famille ou tout simplement, parce qu’ils ont vécu en zone rebelle.»
La crainte est aussi que Moscou et Damas tentent de «légitimer» leurs attaques contre les civils, s’ils refusent de sortir d’Alep, comme le souligne CARE, avec une trentaine d’autres ONG, dans un appel commun. Faute d’un cessez-le-feu, une «catastrophe humanitaire» s’annonce à Alep. D’autant que, depuis la fin juillet, les forces pro-régime ont multiplié les attaques contre les infrastructures civiles de l’est d’Alep, y compris les hôpitaux. (Article du quotidien Le Monde, datée du 6 août 2016; correspondance de Beyrouth)
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Manifestation de solidarité devant l’ONU à Genève le 5 août 2016
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Syrie: «La plus grande catastrophe humanitaire
depuis la dernière guerre»
Les lectrices et lecteurs trouveront ci-dessous le lien permettant d’écouter le docteur Raphaël Pitti, ancien médecin militaire durant plus de 20 ans, puis professeur de «médecine d’urgence» en France et aux Etats-Unis. Il est engagé sur le terrain, en Syrie, depuis 2012, pour apporter une formation et une aide à des équipes médicales qui sont la cible systématique du régime. (Rédaction A l’Encontre)
«De plus en plus d’hôpitaux et de centres de soins sont visés par les bombardements en Syrie. Ce week-end, trois hôpitaux ont été visés, vendredi une maternité a été bombardée. «Nous sommes devant la plus grande catastrophe humanitaire depuis la dernière guerre», s’alarme sur France Info le docteur Raphaël Pitti, professeur de médecine d’urgence et de catastrophe.
Pour le chargé de mission de formation à la médecine de guerre auprès de l’UOSSM-France en Syrie (Union des Organisations de Secours et de Soins Médicaux): «Il y a une vraie volonté de cibler les hôpitaux.»
A Alep, la population est prise au piège au milieu d’assauts extrêmement violents. UOSSM-France tire la sonnette d’alarme et a lancé le hashtag #SOSMedecinsAlep. «Il y a une vraie volonté de terroriser la population» en ne lui donnant pas «d’accès aux soins». Nous sommes devant une atteinte à notre éthique», explique le médecin qui était en Syrie il y a trois mois.
«C’est tout un peuple qui est en train de se faire assassiner tout ça pour le jeu d’un seul homme», continue le Docteur Raphaël Pitti, faisant allusion à Bachar al-Assad. «Je suis étonné que les prix Nobel de la paix ne soient pas les premiers à faire une pétition pour appeler à ce qu’on arrête de faire ces crimes de guerres», citant, parmi eux, Barack Obama.
Les médecins occidentaux ne peuvent plus passer en Syrie, «notamment depuis le coup d’Etat turc», cela «rend toute pénétration extrêmement difficile et dangereuse». Il n’y a plus de médecins occidentaux à Alep» détaille-t-il. Cette situation est «épouvantable de révolte», conclut le docteur.» (France Info)
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Vous pouvez écouter ci-dessous une deuxième contribution
du Dr Raphaël Pitti, sur la chaîne Arte, le 2 août 2016