Quatre balles tirées par un sniper ont touché Mohammed Amassi, un jeune boulanger palestinien qui se trouvait sur la terrasse de sa maison dans le camp de réfugiés d’Al-Fawwar.
Alors qu’aujourd’hui, il essaie de se remettre de ses blessures, il se souvient des mots provocateurs du soldat avant que celui-ci tire sur lui.
Pourquoi gaspiller les mots quand la vidéo de l’agence d’information palestinienne Ma’an montre pratiquement tout ? Les soldats israéliens sont sur la terrasse de l’immeuble d’à côté : l’un se trouve sur la terrasse du dessous, deux sur le balcon de l’appartement au-dessus de la terrasse, et deux autres sont à l’affût derrière une fenêtre de l’appartement. Quelques adolescentes et des enfants les observent depuis la terrasse voisine. Silence total. Soudain, les deux soldats sur le balcon lèvent les mains, comme pour un signal, et l’un d’eux, le sniper, se met à viser et à tirer. Sur la terrasse de l’immeuble, Mohammed Amassi est touché. Il tombe à terre et commence à ramper pour sauver sa vie, il se penche pour descendre de la terrasse. Enfin, une équipe médicale parvient à le faire descendre par une échelle. La seule chose que tient Amassi, c’est son téléphone portable. Rien sur lui n’a pu apparaître comme menaçant les soldats sur la terrasse d’en face, à environ 80 mètres de là. Le sniper l’a visé et il a tiré, l’atteignant, balle après balle. La paume de l’une de ses mains est couverte de sang ; il se tord de douleur, sidéré.
Quelques semaines plus tard, Amassi, 22 ans, est dans sa salle de séjour, étendu sur un nouveau lit réglable qui lui a été prêté par une organisation caritative palestinienne. C’est un beau jeune homme, souriant et calme. Sa maison familiale est bien tenue, comparée à d’autres à Al-Fawwar – un camp de réfugiés pauvres, le plus au sud de la Cisjordanie et l’un de ceux qui ressemblent le plus aux camps de réfugiés de la bande de Gaza, qui n’en est pas très éloignée.
Le 16 août, un très important détachement des Forces de défense israéliennes, composé de centaines de soldats, a fondu sur Al-Fawwar au milieu de la nuit.
En moins de 24 heures, ils ont tué une personne et en ont blessé des dizaines d’autres. Ce qu’ils ont saisi : deux vieux pistolets. (Amira Hass a écrit sur cette incroyable opération, « Un tué et des dizaines de blessés dans un camp de réfugiés palestiniens, tout cela pour deux pistolets », dans le Haaretz du 21 août). Les résidents du camp étaient convaincus que le raid n’était rien d’autre qu’un exercice d’entraînement de plus effectué à leurs dépens.
Nous sommes arrivés à Al-Fawwar la veille de l’Aïd al-Adha (la fête du sacrifice). Dans la boucherie, une vache est découpée pour la fête. Ceux qui peuvent se permettre d’acheter de la viande se sont rassemblés autour de la bête, attendant leur part. Les FDI effectuent rarement des raids sur ce camp surpeuplé, où vivent environ 10 000 personnes sur une zone d’un kilomètre carré. Les troupes n’y sont pas revenues depuis ce raid.
Amassi est le fils du boulanger du camp, Ibrahim Amassi, et l’aîné de six frères et sœurs. Leur boulangerie familiale est la plus ancienne d’Al-Fawwar, elle date de la fondation du camp de réfugiés au début des années 1950. Au cours des dernières années, elle a fabriqué principalement des bretzels, des biscuits et des pâtes spéciales pour les plats traditionnels. Mohammed a étudié l’aménagement intérieur de maison, mais plus tard il s’est fait boulanger, pour répondre aux besoins de sa famille. Il travaille en deux équipes chaque jour, le matin et l’après-midi, sept jours par semaine. Il n’a jamais été arrêté ni même interrogé par les autorités israéliennes. Au-dessus de la salle de séjour, où il est actuellement en convalescence, un autre appartement a été construit : c’est là qu’il vivra quand il sera marié et qu’il aura sa propre famille.
Il a une main bandée, et ses deux jambes sont marquées par les blessures et les cicatrices des tirs et des opérations qui ont suivi. Cloué sur son lit, Amassi continue de souffrir d’une douleur intense. On ne sait pas s’il sera capable de remarcher et de se resservir de sa main. À l’heure actuelle, il peut seulement boitiller tout autour en s’aidant de béquilles. Le jour de ce gros raid le mois dernier, ses jeunes frères et sœurs l’ont réveillé à 6 h 30 du matin, trois heures après que les soldats étaient entrés dans le camp. Les troupes parcouraient les ruelles et avaient pris le contrôle des immeubles. Dans un premier temps, les habitants du camp ont pensé que les soldats étaient venus pour démolir la maison de Mohammed al-Shobaki, qui a attaqué au poignard un soldat des FDI en novembre dernier et qui avait été tué ensuite. Cependant, il est vite apparu que les troupes avaient d’autres intentions, mais ils ne savaient pas lesquelles.
En observant la scène
Ce jour-là, tout le camp est monté sur les terrasses, observant la scène, et Amassi ne fait pas exception. Sa maison a deux terrasses : une, avec un garde-corps pas très haut, où les gens s’installent les chaudes nuits d’été ; et au-dessus, une terrasse non fermée, pour la citerne à eau et l’antenne parabolique. Amassi est monté sur la terrasse supérieure pour avoir une meilleure vue. C’est dangereux à cet endroit : pas de clôture, ni rien pour se mettre à couvert. Les équipes de Ma’an et de la chaîne de télévision, Palestine Aujourd’hui, se sont placées sur la terrasse de l’immeuble adjacent, qui offre une meilleure protection contre les soldats. Les affrontements ont lieu entre les soldats et des lanceurs de pierres dans la rue principale du camp, le calme prévaut ici, sur cette colline élevée où se situe ce quartier.
Les troupes investissent quelques maisons – une trentaine selon Musa Abu Hashhash, chercheur de terrain de l’organisation israélienne des droits de l’homme B’Tselem – et ils fouillent quelque 200 maisons, creusant des trous dans des murs pour y embusquer des tireurs. Vers 9 h du matin, Amassi est en train de parler aux journalistes sur la terrasse d’à côté. Soudain, il entend un soldat qui s’est déployé sur le balcon de l’immeuble du dessous l’interpeller en arabe : « Où veux-tu la recevoir ? ». Amassi est pétrifié. Il sait ce que cela veut dire : dans quelle partie de ton corps veux-tu être touché par ma balle ?
Amassi estime que rien ne justifie la question effrayante du soldat.
La rue est calme, et Mohammed n’a rien fait qui puisse être interprété comme une menace pour les troupes qui se trouvent à 80 mètres de là à vol d’oiseau. Son père, Ibrahim, pense que les soldats ont tiré sur son fils pour montrer leur pouvoir devant les équipes des cameramen sur la terrasse d’à côté.
« Qu’est-ce que le soldat t’a dit ? » lui demande Ismail Najar, un ami d’Amassi, depuis la terrasse voisine. Mais avant qu’Amassi puisse lui répondre, il voit le soldat le viser et commencer à tirer sur lui. Trois balles vont le frapper, à un rythme rapide. La première le touche à la jambe gauche, près du genou, la deuxième entre la hanche et sa cuisse gauche, et la troisième lui fracasse la jambe droite. Quand il lève les mains et crie au soldat : « Assez, assez », le sniper tire une fois encore, comme pour un « encore, encore ». La dernière balle le touche dans la paume de la main. Ce sont des balles Ruger de calibre 22, ou Toto, et qui ne le tuent pas.
Amassi tente alors de se trouver un abri sur cette terrasse exposée, qui n’a pas d’abri. Il aurait pu tomber. Dans la vidéo publiée par Ma’an, on le voit ramper désespérément. Une échelle métallique légère, improvisée – sur laquelle j’avais peur de grimper – est le seul moyen d’accéder à la terrasse du dessus. Sans que l’on sache bien comment, les ambulanciers vont réussir à le redescendre. Ils l’emmènent à pied sur environ 150 mètres par une étroite ruelle jusqu’à leur ambulance, qui prend un chemin de déviation des soldats pour le conduire à l’hôpital Al-Ahli, dans la ville voisine d’Hébron. Amassi est à peine conscient. Il a subi des dommages au niveau des vaisseaux sanguins. Pour éviter d’avoir à l’amputer de sa jambe, il est transféré dans un autre hôpital d’Hébron, celui d’Alia. Mais là aussi, ils n’ont pas le spécialiste nécessaire. Le soir, il est alors transféré à l’hôpital gouvernemental de Ramallah, où il subit une intervention chirurgicale.
En réponse à une question de Haaretz, le porte-parole de l’unité des FDI a répondu cette semaine : « Le 16 août, une opération militaire a été conduite dans le camp de réfugiés d’Al-Fawwar, avec l’objectif de contrecarrer et de frapper les infrastructures terroristes qui existent dans tout le camp. L’opération a compris des fouilles approfondies afin de s’emparer des moyens de combat, et aussi l’arrestation de cinq individus recherchés. Durant l’opération, les forces armées se sont trouvées sous des tirs réels et des troubles violents se sont développés avec des jets de pierres et de blocs de béton et des dizaines d’engins explosifs et cocktails Molotov, auxquels les forces ont répondu avec toute une série de moyens de dispersion et des tirs. La vidéo citée est tendancieuse et ne reflète pas la situation violente qui s’est développée dans le camp des réfugiés. »
Amassi va passer dix jours à l’hôpital de Ramallah. Une balle reste logée profondément tout au fond de lui, quelque part entre sa taille, sa hanche et sa cuisse gauche, et les médecins ne sont pas sûrs de pouvoir l’extraire. Si tel n’est pas le cas, il devra probablement subir une nouvelle intervention chirurgicale, en Jordanie. Près de son lit, un bocal en plastique contient des fragments des deux balles qui furent avec succès extraites de son corps. Il prend cinq types différents d’analgésiques pour tenter de soulager la souffrance.
Nous le laissons, et nous montons sur la terrasse. Il y a des tiges de fer enchevêtrées là où il est tombé. Quelques heures après qu’il a été touché, les troupes tuent Mohammed Abu Hashhash, 19 ans, qui est abattu au moment où il sort de sa maison, à quelques centaines de mètres de là, dans une autre rue. Les soldats ouvrent le feu à travers une brèche qu’ils ont ouverte dans le mur d’une maison voisine. Cette brèche, avec un portrait de l’adolescent tué peint sur le mur, constituent un monument à la mémoire de ce jeune homme dont le meurtre fut probablement inutile, comme le fut le tir sur le jeune boulanger d’Al-Fawwar.