Parmi les femmes à bord du Zaytouna, une activiste israélienne déterminée à montrer au monde le « crime contre l'humanité » que commet son pays.
Ils auront tout essayé. Ou presque... Pour briser le blocus de Gaza imposé par les autorités israéliennes en 2007, les activistes d'une coalition d'ONG propalestiniennes lancent une nouvelle initiative, répondant au projet Flottilles de la liberté qui remonte à 2008. Cette année, ce sont des femmes des quatre coins du globe et d'horizons divers, qui ont pris la mer en direction de Gaza, dont Israël contrôle tous les accès depuis l'arrivée au pouvoir de son ennemi, le Hamas, il y a 10 ans.
Le Zaytouna (olive, en arabe), transportant douze activistes et trois membres d'équipages, tous féminins, a quitté Barcelone – ville jumelée avec Gaza – le 15 septembre. Un autre bateau, le Amal (espoir), n'a pu se joindre au périple pour raison d'avaries. Lundi, c'est à Ajaccio, en Corse, que le Zaytouna a fait escale, après une traversée houleuse. « Certaines d'entre elles (les activistes) ont eu beaucoup de mal durant le voyage, mais restent cependant déterminées à rejoindre Gaza vers le 1er octobre », confie Claude Léostic, porte-parole en France de la Flottille de la liberté, et présidente de la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine.
Hier, au petit matin, l'équipage requinqué après deux nuits dans le port corse se préparait à affronter à nouveau la mer, avec, comme prochaine étape, Messine en Sicile. À la tête du voilier, Ann Wright, colonelle américaine à la retraite et ancienne diplomate démissionnaire en 2003, lors de l'invasion américaine en Irak. Politiciennes, médecins, journalistes ou même actrice hollywoodienne, telle que Lisa Gay Hamilton, les 15 femmes à bord du Zaytouna sont mues par la même détermination. « J'ai des amis à Gaza et je sais ce que la population endure », confie le Dr Fauziah Hassan, de nationalité malaisienne, contactée par L'Orient-Le Jour. « Je sais aussi combien ils sont résilients et forts malgré les épreuves, et je tiens à partir sur ce bateau pour leur exprimer notre solidarité et montrer au monde entier qu'il y a de l'espoir », poursuit-elle. À bord également, une passagère israélienne: Yehudit Ilany, assistante parlementaire auprès de la députée arabe israélienne Haneen Zoabi. Pour Mme Ilany, le blocus de Gaza a provoqué un véritable « désastre humanitaire ». « Je suis une femme israélienne et je ne peux pas supporter la situation des Palestiniens. Mon pays a commis un crime contre l'humanité », estime-t-elle. L'enjeu est de taille. Si rien n'est fait pour permettre aux plus de 1,86 million d'habitants, et plus particulièrement aux femmes et aux enfants, de vivre décemment, l'Onu prévient qu'en 2020, la bande de Gaza sera inhabitable.
« Prison à ciel ouvert »
L'envoi de ce nouveau navire a notamment reçu le soutien de 55 parlementaires européens, à l'initiative de la parlementaire suédoise Malin Björk (qui a fait la traversée Barcelone-Ajaccio, avant de repartir pour Bruxelles). Une lettre cosignée a été envoyée à Federica Mogherini, la haute représentante de l'Union européenne pour les Affaires étrangères, dénonçant l'injustice subie par les Palestiniens de Gaza, véritable « prison à ciel ouvert », et rappelant le « cauchemar » de la population suite aux récentes attaques de l'armée israélienne.
Depuis 2008, six bateaux ont déjà tenté de briser le blocus terrestre, aérien et maritime. Si seuls deux navires sont parvenus à atteindre Gaza, les opérations ont néanmoins permis d'attirer l'attention de l'opinion publique, parfois de manière tragique. En 2010, le Mavi Marmara est arraisonné dans les eaux internationales par les forces spéciales israéliennes. Huit ressortissants turcs et un Américain seront assassinés par les commandos israéliens, ce qui provoquera une sérieuse dégradation des relations entre Tel-Aviv et Ankara, qui exigera des excuses ainsi que la levée du blocus de Gaza. La récente normalisation des relations diplomatiques entre les deux pays, suite à la signature d'un accord le 28 juin dernier, a tenté d' « effacer » l'incident, l'État hébreu acceptant d'indemniser à hauteur de 20 millions de dollars les familles des victimes. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a toutefois affirmé n'être « pas prêt à renégocier » le blocus.
En 2011, c'est au tour du bateau Dignité de subir le courroux des autorités israéliennes. Aucune violence physique ne sera à déplorer à l'encontre des passagers, pour la plupart de nationalité française, mais le navire sera pillé et sérieusement endommagé, tandis que les militants et l'équipage seront emmenés de force en Israël.
« Acte de piraterie »
L'an dernier, la Flottille pour la liberté III qui se dirigeait vers les côtes de Gaza a elle aussi été interceptée dans les eaux internationales par l'État hébreu. Trois bateaux ont dû être redirigés vers la Grèce, tandis que le Marianne, un navire norvégien-suédois, a été intercepté par la marine israélienne qui l'a escorté vers le port d'Ashdod. À son bord, se trouvaient entre autres l'ex-président tunisien Moncef Marzouki, la députée européenne Ana Miranda, ainsi que deux Israéliens et le député arabe israélien Bassel Ghattas. Claude Léostic avait alors parlé « d'acte de piraterie » et de « kidnapping ».
Toutes ces tentatives infructueuses et surtout dangereuses auraient pu décourager les activistes. La délégation exclusivement féminine à bord du Zaytouna parviendra-t-elle, cette fois-ci, à obtenir gain de cause ? Rien n'est moins sûr. « Un bateau de femmes, c'est quelque chose d'inattendu, et c'est ce qui peut les protéger des violences israéliennes. Comment faire croire au monde entier, comme les autorités israéliennes le font d'habitude, que ce bateau va être un danger pour leur sécurité ? » veut malgré tout croire Claude Léostic. « Les Israéliens tiennent beaucoup à leur image, et je pense que s'ils useront de la violence, leur image sera rapidement détériorée », poursuit l'activiste.
Selon le Jerusalem Post, les autorités israéliennes se préparent néanmoins à empêcher la flottille de forcer le blocus. « S'ils comptent user de la violence contre des femmes pacifistes et loin d'être costaudes, alors ce sont des lâches », estime le Dr Hassan. Yehudit Ilany sait, elle, de quoi ses compatriotes sont capables. « Certes j'ai peur, car je les connais et je sais qu'ils sont dangereux. Mais les gens doivent savoir ce qui se passe à Gaza quoi qu'il arrive », conclut-elle.
Caroline HAYEK