Alors que l’Etat islamique se sert de civils comme boucliers humains, des dizaines, voire des centaines d’entre eux auraient été tués par des frappes aériennes de la coalition. Une enquête a été ouverte.
Ayman a d’abord été marqué par l’odeur. «Elle était atroce, si forte qu’on a hésité à avancer», dit-il. Quand il s’est approché avec d’autres habitants du quartier al-Jadida de Mossoul, il a découvert une scène d’horreur. Des dizaines de cadavres, d’enfants, de femmes, d’hommes, de personnes âgées, coincés sous les gravats de maisons écroulées. «Nous avons retiré environ 200 corps des décombres. Mais il en reste», affirme-t-il.
Ayman habite de l’autre côté de la rue où se serait produite la pire bavure de la coalition internationale depuis le début de son intervention contre l’Etat islamique, il y a deux ans et demi. Aucun bilan précis n’a été fourni mais il s’élève au minimum à plusieurs dizaines de morts, peut-être plusieurs centaines, selon des témoignages d’habitants.
Dans un communiqué, la coalition menée par les Etats-Unis a reconnu avoir procédé à des frappes aériennes dans «la zone correspondant aux allégations de victimes civiles». Elle affirme avoir agi à la demande des forces contre-terroristes irakiennes (CTS) déployées dans ce quartier de Mossoul-Ouest. Une enquête a été ordonnée. L’armée irakienne a de son côté affirmé dimanche qu’aucun signe de frappe aérienne n’était visible. Elle accuse l’Etat islamique d’avoir piégé et fait exploser les bâtiments. «Il n’y a pas eu de bombardement. Ce sont les jihadistes qui les ont détruits», explique un haut gradé des CTS. La veille, dans le New York Times, un général des CTS affirmait l’inverse, reconnaissant que des frappes aériennes avaient bien été demandées à la coalition.
«A chaque fois, c’est pareil»
Les bombardements ont visé des maisons et des bâtiments situés derrière la mosquée Fath el-Ali, à proximité du principal supermarché du quartier. Les premiers remonteraient au 17 mars et d’autres auraient suivi. «Pendant plusieurs jours, les forces antiterroristes nous ont interdit d’y aller, à cause des combats. On n’a pu enlever les premiers cadavres qu’à partir de jeudi», explique Ayman. Vendredi, les secouristes de la Défense civile de Mossoul se sont rendus sur la place. «Nous avons retiré 85 cadavres», dit l’un d’eux. Selon lui, le bilan final s’établirait à plus de 100 morts. Le quartier était toujours bouclé et interdit à la presse dimanche par les forces irakiennes.
Dans son communiqué, la coalition affirme avoir frappé des combattants et des «équipements» de l’Etat islamique. D’après des habitants du quartier, les civils étaient dans les caves tandis que des jihadistes étaient postés sur les toits. «A chaque fois, c’est pareil. Je l’ai souvent vu ces dernières semaines, les combattants de Daech étaient en face de chez moi. Dès qu’ils tirent, deux ou trois missiles visent le bâtiment où ils sont», poursuit Ayman.
Ce samedi, plusieurs habitants d’Al Jadida se sont regroupés à la sortie sud de Mossoul, au carrefour d’Al-Aagrab, à quelques kilomètres de leur quartier, sur la route de Bagdad. Certains ont décidé de fuir et de s’installer chez des proches ou dans un camp de réfugiés, d’autres, comme Ayman, attendent de remplir des jerricans de fuel avant de rentrer chez eux. Tous racontent la violence des combats entre l’EI et les forces irakiennes.
«C’est ma sœur»
«Le quartier n’est qu’une immense ruine. C’est infernal, il y a sans arrêt des bombardements. Ce n’est pas possible que des avions frappent pour ne tuer qu’un ou deux jihadistes alors que des civils sont dans les maisons», explique une femme au voile noir pailleté. «J’ai perdu trois membres de ma famille comme ça. Un bombardement a anéanti leur maison parce qu’un sniper yéménite était sur le toit», poursuit-elle.
Samedi, les forces irakiennes ont annoncé que l’offensive à Mossoul était suspendue, en raison du nombre de victimes civiles. Elle n’est en réalité que ralentie, des combats se déroulant toujours à la lisière de la vieille ville. La résistance de l’EI a toutefois poussé l’Etat-major irakien à revoir ses plans. «L’objectif est désormais d’encercler la vieille ville, et de laisser un passage pour que les jihadistes puissent sortir. On les attendra dans les quartiers où les rues sont plus larges. Nous avons le temps», assure le colonel Falah, commandant de la 1ère brigade de l’ERD.
Samedi en fin d’après-midi, une famille est arrivée au carrefour d’Al-Aagrab. Elle aussi venait du quartier Al-Jadida. Une heure et demi plus tôt, elle s’était réfugiée dans une pièce de la maison. «On s’était cachés là pour se protéger mais un obus a explosé. Un mur s’est écroulé et nous est tombé dessus», explique Mizer Alewi, la vingtaine. Il ne sait pas qui a tiré l’obus, des forces irakiennes ou de l’EI. Quatre personnes ont été tuées.
La famille a été emmenée à une station-service transformée en dispensaire. La mère est assise par terre, elle a du mal à se tenir droite, elle pleure. Elle est entourée d’enfants, dont le plus jeune n’a pas deux ans. Ils sont pieds nus, recouverts de poussière, hagards. L’un d’eux a le crâne bandé. Derrière lui, sur une civière, un corps est enveloppé dans un sac en plastique bleu. «C’est ma sœur», dit Mizer Alewi.