La LCR-SAP, en tant que composante des listes PTB-GO, soutient les deux députés fédéraux PTB-GO Raoul Hedebouw et Marco Van Hees qui s’opposent[1] aux bombardements menés en Irak et en Syrie par la coalition internationale autour des USA. Néanmoins, si la LCR-SAP partage leur opposition aux bombardements, la LCR-SAP met en avant d’autres arguments et d’autres solutions, solidaires avec des populations, contrairement à un partenariat avec des gouvernements sectaires complices de crimes contre l’humanité.
La Belgique va donc à nouveau entrer en guerre,
bénéficiant d’un large consensus belliciste, de la N-VA au PS, et une abstention qui signifie l’absence d’opposition d’Ecolo. L’opération belge n’aura lieu qu’en Irak, et la Belgique pourrait aussi envoyer des troupes spéciales pour assister l’armée irakienne et les Peshmergas kurdes. Le coût de cette opération, d’une durée minimale d’un mois, est estimé à 15 à 20 millions d’euros par mois. Les partis de gouvernement évoquent aussi de nouvelles lois « antiterroristes » en complément sécuritaire interne à la guerre menée en Irak.
La LCR-SAP salue l’opposition affirmée par Raoul Hedebouw et Marco Van Hees à ces bombardements pour plusieurs raisons. D’abord, les Etats de la coalition internationale autour des USA, de la France à la Grande-Bretagne (ces deux derniers refusant jusqu’ici de bombarder en Syrie), en passant par les régimes despotiques locaux que sont l’Arabie Saoudite, les Emirats, le Bahreïn ou encore la Jordanie, sont bien mal placés pour offrir une solution à la véritable catastrophe subie par les populations civiles depuis des années, encore aggravée par la montée en puissance de l’EIIL. Cette organisation fondamentaliste a en effet pu naître et prospérer sur le terrain dévasté de la région suite aux multiples interventions militaires impérialistes et à la corruption des dictatures locales, qui jouent donc ici aux pompiers pyromanes. L’organisation de l’Etat islamique conteste en effet la position de l’Arabie Saoudite dans le monde musulman sunnite.
Ensuite, les bombardements à venir vont ajouter encore des morts civils au décompte macabre. Les bastions de l’EIIL à Raqqa et à Mossoul sont de grandes villes : impossible de déloger les fondamentalistes sans massacrer des centaines, voire des milliers d’innocents.
Derrière l’indignation sélective, les intérêts impérialistes
Nous partageons comme beaucoup notre répulsion pour les agissements de l’EIIL dans les régions sous son contrôle, les assassinats de militant.e.s irakien.ne.s et syrien.ne.s comme de journalistes locaux et étrangers, la répression de tout mouvement ouvrier, des femmes et des jeunes.
Mais cela ne doit pas nous empêcher de penser. Les horreurs médiatisées commises par l’EIIL ne sont certainement pas la raison profonde de l’indignation d’Obama, de Hollande, de Rohani, de Di Rupo ou Bart De Wever, pas plus que la « protection des minorités ». Avons-nous oublié les plus de plus de 200.000 morts causées par la dictature d’Assad, y compris des milliers de Palestinien.ne.s, et des milliers assassinés sous la torture, la famine organisée, les armes chimiques, 200.000 prisonnier.ère.s politiques et 9 millions de déplacés et réfugiés… Le silence des élus PTB-GO sur cet aspect précis laisse planer un doute et une ambiguïté suspects et pose un problème évident de cohérence, que nous soulignons. Mais la position des « interventionnistes » pose tout autant problème. Avons-nous oublié les massacres commis par Israël l’été dernier ? Et les crimes des USA en Irak depuis 2003, et en Afghanistan, et au Pakistan, et à Guantanamo ? Sans même parler des décapitations en Arabie Saoudite, ou de la répression qui a fait des centaines de morts et des milliers de prisonniers politiques en Egypte sous la férule du maréchal Sisi…Plus près de nous, puisque nos dirigeants feignent l’indignation, il n’est pas inutile de rappeler que la Belgique soutient Israël, qu’elle a activement participé à la guerre impérialiste en Afghanistan, au Mali. Elle soutient les mesures néolibérales menées par les pays arabes qui sèment la misère dans les classes populaires. La Belgique, comme de nombreux pays européens, a aussi participé au délire islamophobe stigmatisant les musulmans, et particulièrement les musulmanes qui portent le foulard et se voient menacées d’exclusion de l’enseignement et des emplois publics. Daesh (preciser que daesh = Organisation de l’État islamique) est aussi le produit de l’élimination des forces progressistes de la région assurée par l’Occident et par les régimes autoritaires locaux.
Il faut aller chercher ailleurs : comme le rappelait notre camarade Joseph Daher, un des objectifs principaux de la coalition en Irak est de protéger les diplomates et les transnationales du secteur pétrolier, protéger les hydrocarbures, Israël, ainsi que le régime irakien hérité de l’invasion américaine. Les autres acteurs régionaux, qui ont laissé se développer Daesh, considèrent maintenant celui-ci comme une menace trop grande et ingérable pour rester passifs.
Consensus sur la guerre contre le terrorisme…y compris à gauche ?
Plus largement encore, un consensus « antiterroriste » inédit a émergé entre les grandes puissances et les acteurs régionaux. On a vu à quel point cette notion de « terrorisme » peut être manipulée à souhait en fonction de celui qui l’utilise. La société de contrôle, condamnée mondialement suite aux nombreuses révélations ces dernières années, reçoit un nouveau boost de la guerre en cours. La coalition est aussi à la pointe d’une manœuvre coordonnée qui vise à ce que l’impérialisme reprenne la main une bonne fois pour toute sur le processus révolutionnaire régional, et à poursuivre l’offensive contre-révolutionnaire généralisée dans la région. La guerre et le sectarisme, encouragés dans la région par la Russie et les USA, l’Iran et l’Arabie Saoudite entre autres, servent d’antidotes à l’émancipation des peuples. C’est vrai en Ukraine comme en Syrie. Dans le capitalisme actuel, qui est toujours en crise, les équilibres mondiaux changent, ainsi que les alliances opportuniste entre les différents Etats capitalistes, et c’est précisément maintenant qu’il faut être en état d’alerte face à une folie et une fuite en avant militariste des grandes puissances impérialistes, pour écraser violemment toute opposition interne et externe dans l’œuf.
Et c’est précisément ici que la LCR-SAP a des divergences importantes avec les alternatives proposées par nos camarades élus PTB-GO. Nous reprenons ici un extrait de leur intervention :
« Mais des opposants à l’EI comme la Syrie et l’Iran sont laissés en dehors de ce partenariat, ce qui n’a pas de sens. Les questions régionales doivent avoir une solution régionale dans laquelle on discute avec toutes les parties. Ces solutions doivent permettre aux peuples de la région de recouvrer leur souveraineté. Nous proposons de mettre la pression sur la Turquie, membre de l’Otan, pour qu’elle ferme sa frontière avec la Syrie, et sur l’Arabie saoudite et le Qatar pour qu’ils cessent toute forme de soutien ou de financement aux groupes réactionnaires de la région.»
Y a-t-il une bonne et une mauvaise intervention étrangère ?
Puisque l’on parle d’ « intervention étrangère », la première et la plus importante en Syrie, complice donc des crimes contre l’humanité commis par le régime, est de loin celle de l’impérialisme russe et de l’Iran : leur support financier, politique, militaire et humain (notamment avec les milices chiites sectaires et les conseillers envoyés par l’Iran) à la contre-révolution d’Assad est incomparablement plus important que le soutien extrêmement limité des USA ou de la France à l’insurrection armée. Ce soutien explique les regains du régime après la percée de l’insurrection en 2012. A la différence des cas égyptien et tunisien, les alliés les plus proches d’Assad, Russie et Iran, ne pouvaient jusqu’ici se permettre de prendre le risque d’un changement de dirigeant en Syrie. Mais aujourd’hui, les appuis du régime syrien, Russie, Iran et Hezbollah à l’extérieur, et une partie importante des minorités alaouites et chrétiennes, s’affaiblissent et s’épuisent petit à petit en voyant qu’aucune solution durable n’est possible dans le pays avec le maintien de la clique Assad au pouvoir, qui est précisément le contraire de toute forme de souveraineté populaire et démocratique que nous devons défendre.
Un « partenariat régional » avec des responsables de crimes contre l’humanité ?
Les camarades élus sur les listes PTB-GO évoquent donc le nécessaire soutien de l’ONU, de l’Iran et de la Syrie dans ces frappes, ce qui laisse planer une autre sérieuse ambigüité : les bombardements deviendraient-ils légitimes dès lors qu’ils seraient approuvés légalement par les génocidaires locaux et Moscou (qui tient le rôle-veto au Conseil de sécurité sur ce dossier comme les USA le font pour Israël)? Si nous défendons l’émancipation des peuples, nous ne pouvons tomber dans un tel piège. Le problème c’est que la Syrie et l’Iran sont déjà partenaires de facto de la coalition menée par les USA. Chacun s’en défend mais de nombreux témoignages de diplomates de tous bords confirment que tous les acteurs étatiques prétendant lutter contre « le terrorisme » s’informent sur le terrain et évitent de s’attaquer entre eux. Ainsi, jusqu’à présent, la Syrie d’Assad s’est réjouie publiquement des bombardements aériens, qui l’ont épargnée, et auxquels elle a même supplié de pouvoir participer de manière plus ouverte et directe.
La position de la Syrie (et de la Russie de Poutine l’ « antiterroriste ») ne peut nous surprendre après le soutien très actif des Assad à l’écrasement de la résistance palestinienne et libanaise dans les décennies précédentes, à la première guerre du Golfe, ou encore plus récemment au dispositif sécuritaire antiterroriste mis en place par les USA dans le monde entier après les attentats de 2001. Plus encore si on lui accordait un rôle officiel de partenaire, ce serait la consécration pour le régime de sa prophétie : « Assad ou les jihadistes », qu’il a tout fait pour rendre réelle en libérant des milliers de fondamentalistes des prisons du pays au début du soulèvement populaire en 2011, alors qu’il massacrait allégrement les civils, puis en épargnant systématiquement Daesh tout en lui achetant du pétrole, alors qu’il concentrait ses forces sur les zones libérées par l’opposition démocratique…la même opposition civile et armée (Armée syrienne libre) qui affronte Daesh depuis des mois, avec parfois du succès, ce qui explique pourquoi l’écrasante majorité des victimes de Daech faisaient partie de l’opposition à Assad. Daesh et le Front Al-Nusra (Al-Qaeda en Syrie) connaissent un certain succès à cause du sectarisme anti-sunnite qui sévit dans la région, et parce qu’ils disposent de moyens (finances, armes, nourriture et équipement) bien plus grands que les forces démocratiques de la région. De nombreux témoignages montrent que ceux qui ont quitté des brigades « modérées » pour ces deux organisations l’ont fait simplement pour…éviter d’être tués faute de moyens face au régime syrien et à ses alliés.
L’alliance de fait avec Assad et le gouvernement irakien qui bombarde également les civils et utilise des milices sectaires qui commettent également des massacres ne va donc qu’aggraver les crispations sectaires. Or le sectarisme nourrit Daesh, mais il permet de perpétuer la politique du «diviser pour régner» menée par l’Occident depuis plus d’un siècle dans la région. Ces frappes de l’impérialisme sont déjà rejetées par de larges secteurs de l’insurrection armée, dans et hors de l’Armée Syrienne Libre.
Nous voyons donc qu’un début de « partenariat régional » est non seulement déjà là a minima, mais allons plus loin : qui seraient les partenaires régionaux desquels devraient émerger une solution à la situation dramatique dans la région ? L’Irak à la solde de Téhéran et Washington ? Assad le meurtrier de masse ? Israël, dernière colonie de peuplement dans la région ? La Turquie de l’autoritaire Erdogan qui joue un rôle ambigu par rapport au jihadisme, mais dont les frontières ouvertes ont permis à 200.000 kurdes d’échapper à l’horreur fondamentaliste ? L’Egypte du maréchal Sisi ? Les pétromonarchies du Golfe ? Aucun « partenaire » de ce genre ne vaut autre chose qu’écraser ou contrôler toute forme de révolte populaire. Croire le contraire serait se bercer d’illusions dangereuses.
Le mythe de l’aide des prétendus « amis de la Syrie »
Toutes les magouilles et ingérences des soi-disant « amis de la Syrie », Washington et Paris en tête, ne visent qu’à laisser s’affaiblir la Syrie d’Assad ainsi que l’opposition, tout en laissant la population à la merci du régime et des fondamentalistes. La suite du scénario : trouver un compromis avec le régime et ses alliés pour une « transition à la yéménite », ou à l’irakienne préservant l’appareil d’Etat et sécuritaire du régime tout en changeant la tête de celui-ci. Bien qu’il y ait un intérêt israélien et US à affaiblir le régime des Assad, ils n’ont aucune envie de voir la révolution syrienne réussir et faire émerger une démocratie contrôlée par le peuple syrien. Encore moins avec des armes anti-aériennes qui pourraient être utilisées contre Israël (qui occupe le Golan depuis des décennies avec la bienveillance du régime syrien) ou les USA. Une telle victoire révolutionnaire, si elle ne réglerait pas tout, loin de là, pourrait donner un énorme souffle à tous les peuples de la région pour suivre cet exemple.
Rappelons que les USA parlent d’entraîner 5000 insurgés « soigneusement choisis par la Washington », pendant un an… sur un total de près de 100.000 rebelles, et ce « en vue de combattre Daech ». Autrement dit, les USA veulent coopter pour de bon une partie de l’opposition et diviser celle-ci, pour que ces insurgés servent directement les intérêts impérialistes en Syrie sans combattre le régime. Et ce alors que le besoin criant d’armes anti-aériennes pour stopper les bombardements du régime syrien est rappelé ad nauseam depuis 3 ans par l’opposition démocratique, sans réaction des puissances impérialistes. Certes quelques rares brigades ont suivi un entraînement aidées par les faux-amis impérialistes, des équipements non-létaux et des armes légères ont été livrées à dose homéopathique pour éviter l’écrasement total de l’insurrection. Mais près de 4 ans après le début de la révolution, il est maintenant un fait incontestable qu’aucun prétendu « ami de la Syrie » n’avait de volonté sincère de donner au peuple syrien les moyens de renverser la dictature.
Sortir des alternatives infernales, soutenir l’autodéfense populaire et démocratique
Notre conclusion est donc que le vote des élus PTB-GO est un vote correct, même si les alternatives proposées par eux ne permettent en rien d’espérer l’avancée des forces progressistes et démocratiques et la fin des massacres. La guerre contre Daech et Al-Nusra a déjà augmenté la popularité de ces forces dans la région. Elle renforce un climat étouffant de paranoïa islamophobe et raciste dans le monde entier, qui profite à l’extrême-droite et aux classes dominantes en Europe, en pleine crise économique.
Pour sortir de cette spirale mortelle, le rôle de la gauche radicale et anti-impérialiste est de réaffirmer notre soutien aux forces populaires, démocratiques et de gauche dans la région, aux structures d’auto-organisation qui n’ont toujours pas disparu en Syrie malgré le déchaînement contre-révolutionnaire. Nous devons nous opposer aux régimes en place et dénoncer le double discours et les mensonges de nos gouvernements impérialistes et leurs alliés qui n’ont que faire du sort de millions de syrien.ne.s et d’irakien.ne.s. Nous devons refuser le délire antiterroriste et réclamer que nos gouvernements retirent le Parti des travailleurs du Kurdistan de la liste des organisations « terroristes » alors qu’ils risquent leur vie face à Daech.
Nous devons réclamer le droit d’asile pour tou.te.s les syrien.ne.s et un investissement massif dans l’aide humanitaire d’urgence pour les millions de réfugié.e.s et déplacé.e.s. Nous devons combattre toutes les lois liberticides « antiterroristes » et les lois racistes contre les musulman.e.s. Nous devons exprimer notre solidarité féministe avec les femmes de la région qui subissent l’oppression, la torture, le viol, l’assassinat tant des régimes prétendument « laïques » et leurs alliés que de groupes réactionnaires. Elles aussi jouent un rôle sur tous les terrains : dans l’aide aux personnes comme dans la lutte armée et la lutte politique. Nous devons exiger que l’impérialisme retire toute ses bases militaires de la région, que ce soit les bases américaines ou celle de la Russie à Tartous (Syrie). Nous devons tout faire pour imposer une paix juste et durable en Palestine, basée sur les droits humains et démocratiques de tou.te.s ses habitant.e.s, par un large mouvement de Boycott-Désinvestissement et Sanctions contre le régime sioniste. Nous devons condamner aussi fermement la barbarie génocidaire du régime syrien et du gouvernement irakien (et leurs alliés) que celle de Daech, des USA ou d’Israël.
Enfin, nous devons réclamer que les forces démocratiques qui combattent en ce moment Daech sur le terrain, notamment les kurdes et l’Armée Syrienne Libre qui ont joint leurs forces, puissent bénéficier de tous les moyens (équipements, soins, nourriture, armement) nécessaires à leur auto-défense, et qu’elles puissent rester souveraines dans l’utilisation de ces moyens contre les régimes oppresseurs de la région.
C’est la clé pour que puisse advenir une réelle souveraineté et une auto-détermination populaires par en bas, pour relancer la vague révolutionnaire dans la région et faire vaciller les équilibres impérialistes dans le monde entier.
[1] Les membres du Parlement fédéral Raoul Hedebouw et Marco Van Hees expriment sur cette question la vision du PTB-PVDA. Cette question n’a jusqu’à présent pas été discutée dans le partenariat PTB-GO (Gauche d’ouverture). Les partenaires qui font partie de la Gauche d’ouverture (LCR, PC et des personnalités) n’ont pas été consultées sur le sujet.