L’OAS est au pouvoir en Israël et le rouleau compresseur colonial s’emballe. Nétanyahou, Lieberman et Bennet estiment que la situation régionale et l’absence de sanctions internationales leur laissent les mains libres pour consolider le fait accompli.
Jérusalem
C’est à Jérusalem que nos apprentis sorciers allument le feu. Quand l’armée israélienne a conquis Jérusalem Est en 1967, il y avait eu consensus pour que la mosquée al-Aqsa reste un des lieux saints de l’islam et que les Juifs ne viennent pas prier sur l’esplanade des mosquées. Pourtant, depuis des années, les provocations se multiplient : des tunnels sont construits sous le « Mont du Temple » et des sectes intégristes menacent de détruire les mosquées pour y « reconstruire » le « Temple de Salomon » (temple présumé, à cette époque, Jérusalem n’était qu’un village de l’Âge de Fer). C’est sur l’esplanade des mosquées qu’Ariel Sharon a fait, le 28 septembre 2000, la provocation qui l’a conduit au pouvoir et qui a déclanché la « deuxième Intifada ».
Aujourd’hui la police protège les sectes intégristes et on parle de transformer une moitié de la mosquée en synagogue comme cela s’est déjà fait avec le Caveau des Patriarches à Hébron. Si un jour, Nétanyahou « cède » à ces intégristes, le Proche-Orient sera à feu et à sang et il sera bien difficile de rappeler que cette guerre est avant tout une guerre coloniale et pas un choc religieux.
Dans le reste de Jérusalem, chaque jour, de nouvelles constructions de colonies ou d’appartements sont annoncées. Dans les quartiers palestiniens de Sheikh Jarrah et Silwan, des colons protégés par la police occupent des appartements et rendent la vie impossible aux autochtones. Tout cela au nom de la Bible : le légendaire roi David aurait vécu à Silwan.
C’est contre la judaïsation à marche forcée de Jérusalem que la ville s’embrase. Les attentats suicides traduisent la colère et le désarroi d’une population palestinienne abandonnée et progressivement marginalisée. De façon symbolique, l’attentat contre la synagogue de Har Nof a eu lieu dans un quartier situé sur l’ancien territoire de Deir Yassin, le village palestinien où toute la population a été massacrée en avril 1948 par les milices terroristes de l’Irgoun et du Lehi.
Gaza, la cage
Les médias ne parlent plus de Gaza, on n’y meurt plus comme cet été. Pourtant tout est fait pour que Gaza explose à nouveau. Le blocus est impitoyable, tant du côté israélien que du côté égyptien. Les entrées et sorties du territoire se font au compte-goutte. Des milliers d’habitantEs de Gaza sont bloquéEs en Égypte sans pouvoir rentrer chez eux/elles. La pénurie et l’étouffement sont tels à Gaza que tout le monde s’attend à un nouvel embrasement alors que des centaines de milliers de personnes ont dû quitter définitivement leurs appartements détruits. La jeune afghane Malala, Prix Nobel de la Paix, a décidé de faire don du montant du prix des « Enfants du Monde » à la reconstruction des écoles à Gaza. Reconstruction qui attendra : seul le ciment israélien parvient, en quantité très insuffisante, à Gaza.
La fuite en avant
Le gouvernement Nétanyahou attaque de tous les côtés. Dans le désert du Néguev, les expulsions s’amplifient contre la population Bédouine (pourtant de nationalité israélienne) et le village d’al-Araqib a subi une nouvelle destruction.
Par 14 voix contre 5, le cabinet israélien a décidé de faire d’Israël « l’État-nation du peuple juif ». Autrement dit, les 6 millions de Palestinien-ne-s qui vivent entre Méditerranée et Jourdain deviennent officiellement des sous-citoyenNEs et les 60% de Juifs/ves qui vivent hors d’Israël se voient signifier qu’ils/elles sont des touristes n’ayant pas compris qu’Israël est leur mère patrie.
Il faut noter que Tzipi Livni et Yair Lapid ont voté contre, ce qui traduit les premières fractures dans l’extrême droite israélienne.
De même un des principaux partis religieux de la coalition au pouvoir, le Shas (environ 10% des voix), désapprouve clairement l’attaque menée contre l’esplanade des mosquées.
Fragilisé, le gouvernement Nétanyahou lance sa propagande, toujours aussi peu imaginative : la reconnaissance de l’État de Palestine serait un « acte antisémite » !
Un État oui, mais pas hors sol.
Bien sûr, une reconnaissance de l’État de Palestine par la France et par tous les pays de l’Union Européenne serait vécue en Palestine comme une grande victoire, comme une reconnaissance des droits et de la dignité du peuple palestinien. Elle mettrait incontestablement en difficulté Israël transformé ainsi, juridiquement, en un État colonial occupant le territoire d’un autre pays. Elle donnerait à cet État palestinien des armes juridiques dans les instances internationales. Elle mettrait en exergue « l’illégalité » de l’occupation des territoires conquis en 1967. Elle donnerait aux PalestinienNEs une citoyenneté dont ils/elles sont de fait privéEs. Elle permettrait à l’État palestinien de porter plainte contre Israël devant la justice internationale pour les crimes de guerre, crimes contre l’humanité et incitation au génocide commis.
Interrogeons-nous : qu’est-ce qui est en train d’être reconnu par les pays européens ?
Les initiateurs/trices de la « reconnaissance » demandent des « négociations » alors que toutes celles qui ont eu lieu et qui ont été soutenues par l’Union Européenne étaient des demandes de capitulation des PalestinienNEs sur leurs revendications.
Pour l’instant, la Palestine serait un État hors-sol, un territoire non-viable, un bantoustan constitué de cantons éclatés.
La question des sanctions
Il est illusoire de penser qu’à froid et sans sanctions, la « communauté internationale » puisse changer le cours des choses. Il y a le précédent du jugement de la Cour Internationale de Justice de la Haye (9 juillet 2004) condamnant Israël pour la construction du mur (de l’apartheid) en Cisjordanie. À l’époque, ce mur mesurait 250 Km, il en fait 3 fois plus aujourd’hui. Israël a bafoué cette décision défavorable comme ce pays en a bafoué des dizaines.
En 120 ans d’existence, le sionisme a toujours fonctionné de la même manière : on crée le fait accompli puis on le consolide, on le légalise et on poursuit le rouleau compresseur colonial. Deux fois dans son existence, l’Erat d’Israël a été (très légèrement) sanctionné : en 1957 sur l’évacuation du Sinaï et en 1991 sur l’ouverture de négociations. Les deux fois, ce pays très mondialisé, qui dépend totalement de ses échanges avec l’Occident et de l’aide américaine, a cédé instantanément.
La Suède vient de reconnaître la Palestine. En même temps, elle maintient sa coopération militaire avec Israël et ne s’oppose pas à l’accord qui permet aux produits israéliens (même ceux des colonies) d’inonder les marchés européens. Ça ne crée aucune véritable pression sur Nétanyahou.
La reconnaissance de l’Etat palestinien doit donc impérativement s’accompagner de sanctions. Et elle doit s’accompagner d’un véritable changement de la politique européenne. Jusqu’à présent, les dirigeants européens sont complices de l’occupant à l’image du gouvernement français qui refuse de libérer le militant du FPLP Georges Ibrahim Abdallah, en prison depuis plus de 30 ans pour un crime imaginaire.
Un agenda dépassé
À l’occasion de la bataille sur la reconnaissance de la Palestine, on voit ressurgir la revendication « d’un État palestinien » sur l’ensemble des territoires conquis par Israël en 1967 ayant Jérusalem-Est comme capitale et vivant en paix avec Israël. Charles Enderlin lui-même vient d’expliquer que ce n’est plus possible et la quasi-totalité des internationaux qui vont en Palestine le disent depuis longtemps. La majorité des Palestiniens n’y croit pas ou ne le souhaite pas. Plus de 10% de la population juive israélienne (650000 personnes) vit au-delà de la ligne verte (la frontière internationalement reconnue). 40% des militaires (professionnelLEs ou conscritEs) sont des colons. Les n°2 et 3 du gouvernement sont des colons. Évacuer les colons coûterait 30% du PIB israélien.
Bien sûr l’État unique est pour l’instant également utopique.
Il faut comprendre que le projet historique du sionisme (un État juif homogène) est loin d’être réalisé et que la situation est ouverte.
Il serait navrant que la reconnaissance de l’État de Palestine fasse apparaître comme unique revendication la solution à deux États. Cela solution est irréaliste et elle n’est ni juste, ni souhaitable. Elle abandonne les Palestiniens d’Israël et les réfugiés, entérinant l’apartheid israélien et la fragmentation de la Palestine. Elle fait croire que l’Autorité Palestinienne est la seule représentante du peuple palestinien, ce qui est manifestement inexact.
Le BDS
La voie diplomatique toute seule ne changera pas le rapport de forces. C’est la capacité de résistance des PalestinienNEs et l’ampleur du soutien international qui seront déterminants et qui auront des conséquences diplomatiques.
La campagne mondiale BDS multiplie les succès. Les pressions pour empêcher la publicité pour Téva se multiplient. Orange est interpellé par ses syndicats pour sa participation à la téléphonie mobile dans les territoires occupés.
La campagne BDS a provoqué l’écroulement de l’action « Sodastream ». Cette firme envisage de déménager son usine depuis la colonie de Maale Adoumim vers le Néguev (là où on expulse les Bédouins, ce qui est tout aussi immoral). En Californie, les dockers ont refusé à plusieurs reprises de débarquer des cargos de la compagnie israélienne Zim. L’image d’Israël est sérieusement atteinte. Cette campagne doit s’amplifier et accompagner la reconnaissance de l’État de Palestine.
Pierre Stambul (25 novembre 2014)
Article de Pierre Stambul à paraître dans la revue "Emancipation"