Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Aux origines de l’État islamique, la destruction de l’Irak et de la Syrie (ESSF)

Un développement spectaculaire au cours des dernières années, favorisé par la décomposition des appareils étatiques et la violence de la répression des pouvoirs en place.

En Irak...

La naissance de l’État islamique (EI) remonte à l’année 2006 en Irak, et ne peut être comprise que dans le contexte spécifique de l’Irak post-invasion états­unienne. Les bombardements puis l’invasion de l’Irak ont en effet été suivis d’une politique de réorganisation du pays par les forces d’occupation, avec notamment la volonté de mettre en place un gouvernement soumis aux intérêts des États-Unis et de leurs alliés. Au nom de la « débaathification » (du nom du parti Baath, celui de Saddam Hussein), une grande partie de l’appareil d’État a été démantelée, avec notamment la dissolution de l’armée, première institution du pays, dont l’origine remontait aux années 1920 sous le mandat britannique.

Ce démantèlement brutal, et l’incapacité des États-Unis et de leurs alliés irakiens à faire émerger des structures politico-­administratives légitimes et stables, ont non seulement accéléré la décomposition du pays, mais ont de plus contribué à convaincre nombre de soldats et d’anciens officiers de Saddam Hussein, qui se sont retrouvés sans emploi et sans avenir, de rejoindre les rangs de la résistance à l’occupation. La politique sectaire conduite par le Premier ministre chiite Nouri al-Maliki (en poste de 2006 à 2014), qui marginalise la minorité sunnite (dominante durant l’ère de la dictature de Saddam Hussein), et la répression féroce de l’armée d’occupation et de ses supplétifs irakiens, vont quant à elle favoriser non seulement une radicalisation mais une confessionnalisation des affrontements.

C’est dans ce contexte que l’État islamique a pu naître et se développer.

Il ne s’agit évidemment pas de nier l’action et l’idéologie résolues de militants religieux radicaux proches d’Al-Qaïda, mais de comprendre que leur discours et leur projet n’ont pu gagner l’audience qu’ils ont obtenue que dans ce contexte de décomposition de l’État irakien et de confessionnalisation de la politique et des conflits. Tous les spécialistes s’accordent en effet aujourd’hui pour reconnaître que l’on retrouve dans l’ossature de l’EI, et notamment dans son commandement militaire, un nombre significatif d’anciens officiers de Saddam Hussein. Selon l’analyste irakien Hisham al-Hashimi, ce sont aujourd’hui pas moins de 17 des 25 leaders les plus importants de l’EI, parmi lesquels son numéro un, Abu Bakar Al Baghdadi, qui ont transité par les prisons étatsuniennes en Irak pendant les années 2004-2011.

Un basculement s’est opéré à la fin de l’année 2012, lorsque plusieurs villes sunnites se sont soulevées pacifiquement contre le pouvoir central et que ce dernier a tenté d’écraser dans le sang le soulèvement. Dans la ville d’Hawija, au cœur de laquelle un sit-in était organisé depuis plusieurs semaines, les troupes de Bagdad ont commis le 23 avril 2013 un véritable massacre : au moins 50 mortEs et plus d’une centaine de blesséEs dans une opération qualifiée, bien évidemment, d’« antiterroriste » par le gouvernement central. Le silence du pouvoir face aux revendications et la violence de la répression ont achevé de convaincre nombre d’Irakiens de rejoindre les rangs des factions les plus radicales, au premier rang desquelles l’EI, qui a connu un spectaculaire développement après les événements d’Hawija, prenant notamment le contrôle de zones pétrolifères lui permettant de s’autofinancer et remportant de faciles victoires face à une armée irakienne mal préparée, mal entraînée et ne bénéficiant plus du soutien de l’armée US (qui s’est progressivement retirée en 2010-2011).

… et en Syrie

Des causes similaires, quand bien même la situation n’est pas strictement équivalente, ont produit les mêmes effets en Syrie. Le pays n’a bien sûr pas connu d’invasion et d’occupation étrangère. Mais il a lui aussi connu un soulèvement populaire en mars 2011, qui a subi (malgré son caractère pacifique) une violente répression de la part du régime, précipitant le pays dans des affrontements armés de plus en plus violents. On sait désormais que Bachar el-Assad a libéré dès 2011 des prisons syriennes des milliers de militants « djihadistes » dans l’objectif inavoué de durcir et de confessionnaliser les affrontements et de se poser comme seul garant de l’unité de la Syrie et du retour à l’ordre. Ce calcul cynique a en réalité favorisé la jonction entre ces combattants, leurs homologues venus de l’étranger et l’EI.

Dans une Syrie dévastée par les combats et par la violence de la répression du régime, l’EI s’est en effet progressivement imposé, notamment à la lumière de son développement en Irak, comme une force de plus en plus crédible, non seulement pour lutter contre Bachar el-Assad, mais aussi pour ramener un semblant d’ordre dans les villes et régions échappant au contrôle du régime et donc livrées à elles-mêmes. La disparition des structures étatiques a en effet créé une situation de chaos dans ces zones, que l’EI se propose de pacifier et de réorganiser. En effet, en Syrie comme en Irak, l’EI comble le vide laissé par l’État, en rétablissant l’ordre et en fournissant une assistance aux populations : l’EI n’est pas seulement une bande de fanatiques avec une idéologie totalitaire, mais aussi « un système militaire, politique et économico-social bien huilé » (pour reprendre les termes de la chercheuse Myriam Benraad.

À cet égard, et ce malgré les dénégations forcenées des chancelleries occidentales, l’EI possède bel et bien certaines caractéristiques d’un État.

Son développement spectaculaire au cours des dernières années, en Irak puis en Syrie, aurait été impossible sans les processus de décomposition des appareils étatiques et sans la violence de la répression qui s’est abattue sur les populations marginalisées. Il ne s’agit pas de verser dans le complotisme et de proclamer que les États-Unis ou Bachar el-Assad aurait « créé » de toutes pièces l’EI. Force est toutefois de constater que les combattants et les idéologues du mouvement n’auraient jamais pu acquérir une telle audience et une telle puissance si les pouvoirs en place et leurs alliés internationaux n’avaient pas choisi la politique du pire, au mépris des revendications populaires.

Julien Salingue

http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article34242

Les commentaires sont fermés.