*
Yarmouk. Situé à quelques kilomètres du centre de Damas, c’était, jusqu’en 2014, le principal camp de réfugiés palestiniens en Syrie et la place forte du Front Populaire de Libération de la Palestine – Commandement Général. A Yarmouk comme dans les camps palestiniens du Liban dans les années 1980, la dynamique de la guerre civile interne a pris le dessus sur le combat pour le droit au retour et contre le sionisme. Dès 2011, le FPLP-CG a pris le parti du régime du dictateur Al-Assad et l’Armée Syrienne Libre, soutenue par les impérialistes, a attaqué le camp, à plusieurs reprises. Yarmouk est par la suite tombé aux mains d’Aknaf Bait al-Maqdis, une milice palestinienne liée au Hamas, et le camp se retrouve aujourd’hui pris en étau entre les forces loyales au régime de Damas et les bourreaux du groupe Etat Islamique.
Les images pourraient être celles de Gaza après l’Opération Bordure Protectrice. A l’origine des bombardements, cependant, on ne trouve pas Tsahal mais les forces du régime de Damas, d’un côté, et Daesh, de l’autre. Au milieu du feu croisé de la guerre civile syrienne, quelque 18.000 Palestiniens essayent de survivre. Ou plutôt de ne pas mourir. Ce sont ceux qui n’ont pas pu fuir. Parmi eux, 3 500 enfants, à la merci de l’artillerie et des obus. La situation est désespérante. Cela fait plus de six mois qu’il n’y a plus d’eau potable ni de médicaments. Selon l’URNWA, l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens, les rations alimentaires qui entrent dans le camp suffisent à peine à assurer 400 calories par jour et par habitant. Lorsqu’ils n’ont pas été détruits, les hôpitaux comme le Palestine Hospital ou le Al-Basil Hospital sont l’objet d’intenses bombardements. Dans les 20 écoles financées par l’UNRWA, les rares enseignants qui sont restés font cours dans les caves.
Le camp de Yarmouk a été créé en 1957. La première génération de réfugiés est arrivée quelques années après la Nakba, quand, en 1948, les milices sionistes et les forces armées de l’Etat israélien ont expulsé près d’un million de Palestiniens, forcés de prendre la route de l’exil. Après la Guerre des Six jours, en 1967, ce sont des dizaines de milliers de Palestiniens qui ont à nouveau dû fuir leurs terres. Nombre d’entre eux se sont installé à Yarmouk également, sorte de ghetto de deux kilomètres carré qui a accueilli jusqu’à 250.000 palestiniens, entassés dans des conditions humiliantes. Mais avec le temps et avec le manque de perspectives de la lutte pour la libération nationale palestinienne, les tentes se sont transformées en maisons et en petits immeubles. De tout cela, il ne reste quasiment plus rien.
Cela faisait deux ans déjà que le gouvernement d’Afez Al-Assad avait instauré une sorte de blocus complet du camp de Yarmouk, soumettant les résidents à de terribles pénuries. Le conflit entre milices palestiniennes opposées puis l’occupation d’importantes zones stratégiques du camp par les milices de l’Etat Islamique (EI) début avril n’ont fait qu’aggraver la situation. Dans une orgie de sang, les djihadistes de l’EI ont semé la terreur, assassinant plus de mille Palestiniens, dont un imam lié au Hamas, décapité en place publique pour hérésie. Le massacre a atteint un tel degré de férocité que certains journalistes arabes ont rebaptisé le camp « la nouvelle Srebrenica », en référence au génocide des 8.000 Bosniaques musulmans perpétré impunément par les milices serbes en 1995.
Dans sa lutte contre l’EI, le gouvernement syrien, qui n’a pas hésité à bombarder certains districts du camp, après 2012, pour appuyer les milices du FPLP-CG qui perdaient du terrain, assure aujourd’hui vouloir appuyer les combattants palestiniens, quels qu’ils soient, pour ouvrir un corridor humanitaire. Selon plusieurs spécialistes, dont Lira Khativ, du Carnegie Middle East Center, basé à Beyrouth, c’est en réalité Assad, lui-même, qui aurait permis la progression de l’EI sur Yarmouk. L’enjeu était d’affaiblir les milices d’Aknaf Bait al-Maqdis ayant définitivement pris le dessus sur le FPLP-CG, les forces d’Aknaf Bait al-Maqdis étant liées au Hamas et alliées au Jabhat Al Nusra, la branche syrienne d’Al-Qaeda et qui combat dans plusieurs régions du pays le régime baathiste.
Comme le faisait son père Hafez Al-Assad, Bashar Al Assad utilise et instrumentalise les revendications du peuple palestinien et certaines factions du mouvement de libération national pour légitimer son régime assassin. En 1976, déjà, Hafez Al-Assad avait commandité des tueries de Palestiniens dans les camps de réfugiés de Tal Al Zaatar, Jesr Al Basha et Dbayeh. Plus tard, pendant la guerre civile libanaise, il n’a pas hésité à collaborer avec les milices libanaises chrétiennes-maronites et avec les troupes israéliennes en 1982.
Sous la pression de milliers de Palestiniens de Cisjordanie qui essayent d’avoir des nouvelles de membres de leur famille résidant à Yarmouk, le président de l’Autorité Palestinienne Mahmoud Abbas a exigé de l’aide pour le camp. Déjà, en 2013, face aux conséquences catastrophiques de la guerre civile syrienne, Abbas avait proposé le départ des Palestiniens de Yarmouk pour Gaza et la Cisjordanie. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu avait alors répondu positivement à la sollicitude d’Abbas à condition que les réfugiés de Yarmouk renoncent formellement au droit au retour. L’ultimatum formulé par Tel-Aviv avec le soutien de Washington avait été rejeté. La triste ironie du sort, c’est que l’Autorité Palestinienne, que dirige aujourd’hui Abbas, est née des accords d’Oslo de 1993, qui nient le droit au retour, l’une des principales revendications démocratiques du peuple palestinien. Pendant ce temps, les Palestiniens de Yarmouk continuent de se faire massacrer. Miguel Raider 17/04/15
http://www.ccr4.org/Yarmouk-les-portes-de-l-enfer
Commentaire: Le CCR est un courant au sein du NPA