Mohammed al Halabi
Israël/Territoires palestiniens occupés
Les autorités israéliennes doivent veiller à ce que le procès d’un travailleur humanitaire de l'organisation World Vision soit équitable et public, a déclaré Amnesty International à la veille de son procès, alors que des informations indiquent que la procédure devrait se dérouler à huis clos.
Mohammed al Halabi, responsable des opérations à Gaza de World Vision, ONG internationale de développement qui se consacre aux enfants, est inculpé de 12 accusations, notamment d'appartenance à une « organisation terroriste » et de détournement des fonds de l'association à des fins « terroristes ». Au départ, il n’a pas pu consulter d’avocat. Lorsque son avocate a enfin pu le rencontrer, il a affirmé avoir été sérieusement maltraité en détention.
Les autorités israéliennes imposent à son avocate toute une série de restrictions portant sur le fait d'évoquer plus en détail cette allégation, ainsi que de nombreux éléments de l'affaire.
« Les procès secrets constituent la violation la plus flagrante du droit à un procès public. Tenir ces audiences derrière des portes fermées rendrait toute condamnation sujette à caution, a déclaré Magdalena Mughrabi, directrice adjointe du programme Afrique du Nord et Moyen-Orient à Amnesty International.
« L'accusation de détournement de fonds destinés à soulager la crise humanitaire à Gaza est extrêmement grave. Il est donc d'autant plus important que les droits de Mohammed al Halabi soient pleinement respectés et qu’il soit jugé avec équité et transparence. »
D'après les normes internationales, les procès ne peuvent se dérouler à huis clos que dans des circonstances exceptionnelles. Si des motifs de sécurité nationale peuvent justifier de mener la totalité ou une partie du procès à huis clos, les autorités israéliennes n'ont avancé aucun élément expliquant pourquoi de telles conditions sont nécessaires au déroulement de ce procès.
L'Agence israélienne de sécurité (AIS) a arrêté Mohammed al Halabi le 15 juin au point de passage d'Erez, séparant Israël et la bande de Gaza occupée, alors qu'il rentrait chez lui à Gaza d'une réunion qui s’était tenue dans les locaux de World Vision à Jérusalem. Il a été conduit au centre de détention d'Ashkelon, en Israël, où il a été interrogé avant d'être transféré à la prison de Nafcha, dans le désert du Néguev.
On ne l'a pas autorisé à consulter un avocat avant le 6 juillet, soit trois semaines après son arrestation. Aussi a-t-il dû répondre à des interrogatoires intensifs sans l'assistance d'un avocat. Il n'a pas été inculpé avant le 4 août, plus de sept semaines après son interpellation.
En outre, selon les médias, il a été roué de coups et ses « aveux » concernant le détournement de 6,6 millions d'euros par an ont été obtenus sous la contrainte. Ce chiffre semble très élevé : selon World Vision, Mohammed al Halabi et les managers occupant des postes similaires sont habilités à valider des dépenses maximales de 13 500 euros en une fois et le budget total de l'organisation des 10 dernières années pour Gaza s'élève à environ 20 millions d'euros.
« Les autorités israéliennes doivent immédiatement enquêter sur les allégations selon lesquelles Mohammed al Halabi a subi des mauvais traitements en détention et a pu faire des " aveux " sous la contrainte. Les preuves obtenues sous la torture ou tout autre traitement cruel, inhumain ou dégradant doivent être exclues de la procédure. Si ces allégations ne font pas l’objet d’investigations indépendantes et impartiales, le procès risque d'être fondamentalement biaisé », a déclaré Magdalena Mughrabi.
Entre 2001 et 2016, le nom de l'Agence israélienne de sécurité a été cité dans près de 1 000 plaintes pour torture et mauvais traitements, sans qu'aucune information judiciaire ne soit ouverte.
Amnesty International a également appris que les autorités israéliennes ont sévèrement restreint la divulgation d’informations concernant l'affaire Mohammed al Halabi. D'après son avocate, ces restrictions sont beaucoup plus marquées que ce qu'elle a vu en plus de 40 ans d'expérience.
Par ailleurs, les autorités israéliennes ont fait des déclarations qui risquent d'influencer le cours de la justice. Dans une déclaration, le ministère des Affaires étrangères présentait comme un fait établi les allégations selon lesquelles Mohammed al Halabi est membre du Hamas et a détourné 6,6 millions d'euros par an.
« Les autorités israéliennes doivent s’abstenir de toute déclaration susceptible d’influencer le dénouement du procès. Considérer des allégations comme des faits constitue une violation de la présomption d'innocence », a déclaré Magdalena Mughrabi.
Mohammed al Halabi travaille pour World Vision depuis 2005 et a été promu responsable des opérations dans la bande de Gaza en 2014. World Vision a ouvert une enquête indépendante sur les accusations et suspendu son travail humanitaire à Gaza à la suite de l'arrestation de Mohammed al Halabi. Plusieurs gouvernements ont annoncé la suspension du financement des projets de World Vision dans les Territoires palestiniens occupés dans l'attente des conclusions de ces investigations.
Depuis 2007, les forces israéliennes imposent un blocus aérien, maritime et terrestre à la bande de Gaza, ce qui limite fortement l'entrée et la sortie des biens et des personnes sur ce territoire et s'apparente à une punition collective. Ces dernières années, l'Égypte a très souvent fermé le point de passage de Rafah. En raison du blocus et des conflits armés qui ont opposé Israël aux groupes armés palestiniens ces 10 dernières années, près de 80 % de la population de Gaza dépend de l'aide humanitaire internationale.
« Pour vivre, la majorité de la population civile à Gaza dépend de l’acheminement de l'aide humanitaire. Il est crucial que cette affaire ne nuise pas à la capacité des organisations humanitaires et de développement telles que World Vision de faire leur travail sans être la cible de restrictions arbitraires et de mesures de harcèlement et d'intimidation », a déclaré Magdalena Mughrabi.
29 août 2016
https://www.amnesty.org/fr/Israel-opt-secret-trial-of-gaza-aid-worker-will-not-deliver-justice