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  • Nouveautés sur Association France Palestine Solidarité

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    "Pourquoi je suis sur le bateau des Femmes pour Gaza"

    LisaGay Hamilton, Counter Punch, mardi 27 septembre 2016
  • Les communistes arabes et la lutte contre le fascisme et le nazisme 1935-1945 (Orient 21)

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    Dès l’entrée en scène du fascisme, puis du nazisme, en Europe, les partis communistes des pays arabes ont mis en garde contre l’aspect agressif de ces politiques.

    Cette prise de position les a placés à contre-courant de certains secteurs d’une opinion publique qui voyait avant tout l’Italie et l’Allemagne comme des alliés potentiels dans la lutte contre l’impérialisme colonial du Royaume-Uni et de la France.

    L’attitude des communistes arabes vis-à-vis du fascisme et du nazisme n’était pas différente de celle adoptée par l’ensemble des partis communistes dans le monde, regroupés, dès le début des années 1920, autour de l’Internationale communiste (IC).

    Le septième congrès de l’IC réuni à Moscou du 25 juillet au 20 août 1935 constitua un tournant décisif dans l’histoire du mouvement communiste international. En présence des délégués à ce congrès, parmi lesquels un certain nombre d’Arabes, le dirigeant communiste bulgare Georgi Dimitrov présenta un rapport circonstancié intitulé L’offensive du fascisme et les tâches de l’Internationale communiste dans la lutte pour l’unité de la classe ouvrière face au fascisme1. Il y appelait les partis communistes de tous les pays à agir en vue de former un front populaire uni antifasciste, comprenant la grande majorité des masses de leurs pays.

    Le dirigeant communiste italien Palmiro Togliatti (Ercoli) présenta pour sa part un rapport sur la lutte contre la préparation d’une «  nouvelle guerre mondiale par les impérialistes  »2. Il y dénonçait le fascisme comme étant «  la force principale  » qui fomentait la guerre et il soulignait la nécessité de lier la lutte contre la guerre à la lutte contre le fascisme et les mouvements d’inspiration fasciste.

    Solidarité avec l’Éthiopie et l’Espagne républicaine

    La première campagne organisée par les communistes arabes contre le fascisme et ses politiques de guerre et de colonisation se proposait de soutenir le combat des Éthiopiens contre l’agression italienne. L’on vit se constituer dans nombre de pays arabes, à l’initiative des communistes, des groupes de solidarité avec le peuple éthiopien. Vers le début du mois d’octobre 1935, le parti communiste de Palestine publia, avec l’assistance des partis communistes des pays arabes et africains ainsi que celui d’Italie, une déclaration appelant à organiser une campagne internationale en vue de stopper l’agression fasciste contre l’Éthiopie. On pouvait y lire :

    Nous, les fils des peuples opprimés d’Afrique et des pays arabes, nous, les travailleurs d’Italie…, nous avons parfaitement conscience du fait que, par notre soutien au peuple éthiopien, face à l’aventure fasciste, nous aurons affronté le péril imminent d’une nouvelle guerre mondiale, qui risque d’entraîner le monde entier, en particulier nos pays, vers une destruction sans précédent3.

    La deuxième campagne organisée par les communistes arabes contre le fascisme et ses complots fut la campagne de solidarité avec les républicains espagnols. À l’appel de l’IC, des communistes arabes se joignirent aux Brigades internationales qui allaient combattre en Espagne aux côtés des républicains espagnols. Parmi eux se trouvaient des membres arabes et juifs du Parti communiste de Palestine, tels Ali Abdel Khaleq Al-Jibaoui, membre du comité central, tué en Espagne, et Najati Sidqi, membre du secrétariat du parti, chargé par la direction de l’IC de participer à l’organisation des campagnes d’information à l’adresse des Marocains qui combattaient dans les rangs des insurgés sous le commandement du général Francisco Franco.

    En 1936, le parti communiste palestinien consacra plusieurs pages de son hebdomadaire clandestin, Al-Jabha Al-Chabiyya, à porter à la connaissance de l’opinion publique palestinienne la vérité de la guerre civile espagnole et la nature des forces engagées. Dans le numéro 17 du 25 septembre 1936, paru sous le titre «  La guerre civile en Espagne : une guerre de la réaction fasciste contre la liberté et la démocratie  », le journal écrit : «  L’attention de notre peuple arabe se porte, après notre chère Palestine, à cette guerre civile sans merci qui se déroule en Espagne, depuis plus de deux mois  ». Après avoir passé en revue les prémisses de cette guerre, l’auteur poursuit :

    Le mouvement du général Franco est une guerre fasciste contre la liberté et la démocratie. Ce mouvement n’est pas hostile au peuple espagnol seulement  ; il porte également une grave atteinte au peuple arabe, notamment les Arabes du Maroc qui découvrent la gravité de l’erreur qu’ils ont commise en assistant les fascistes espagnols (p. 4.).

    Ce même organe du parti avait souligné, dans un autre article publié dans le numéro 12 du 21 août 1936, que les chefs du mouvement fasciste en Espagne s’étaient rebellés et avaient combattu le gouvernement populaire «  après avoir reçu l’ordre, l’approbation et l’assistance matérielle des fascistes italiens et hitlériens  » (p. 3).

    Organisations et mouvements antifascistes

    Dès 1937, des mouvements et des organisations opposés au fascisme et au nazisme commencèrent à se former. En mai de cette année un groupe d’intellectuels communistes et de démocrates constitua, au Liban et en Syrie, la Ligue de lutte contre le fascisme. Cette organisation tint à Beyrouth, les 6 et 7 mai 1939, le premier congrès syro-libanais pour la lutte contre le fascisme, auquel participèrent plus de deux cents délégués venus de Syrie et du Liban et représentant trente-deux organisations, sans compter des dizaines de députés qui se présentèrent à titre personnel ou qui adressèrent des messages d’approbation et de soutien moral au congrès.

    En Irak, le Parti communiste mena une campagne pour rapprocher et unifier l’ensemble des forces nationales opposées au fascisme. À son initiative se constitua une Association de lutte contre le fascisme et le nazisme féministe. L’organe central du parti, Al-Qaida, portait comme devise : «  Unissez-vous contre le fascisme, pour le pain et les libertés démocratiques, dans un front national uni  ».

    En Égypte, l’ardeur des fascistes provoqua une recrudescence de zèle dans le camp des communistes et des démocrates où l’on vit les opposants au fascisme et à l’antisémitisme se regrouper dans plusieurs organisations et associations. En 1933, avec l’accès au pouvoir d’Adolf Hitler, le Comité de lutte contre l’antisémitisme fut créé pour entreprendre des campagnes contre le nazisme et organiser le boycott des produits allemands. Ce même comité incitait les juifs à s’engager dans la lutte contre le fascisme dans leurs pays respectifs au lieu d’émigrer vers la Palestine. En 1934 fut fondée la Ligue des partisans de la paix qui lança plusieurs campagnes pour condamner l’agression italienne en Éthiopie et soutenir la lutte des républicains en Espagne.

    Dénoncer la propagande italienne et allemande

    Les communistes arabes s’appliquèrent sans tarder à dénoncer la propagande diffusée par les fascistes italiens et les nazis allemands dans les pays arabes. Cette propagande trouvait un accueil favorable auprès de certains secteurs de l’opinion publique, notamment dans les rangs de la jeunesse.

    L’écrivain communiste libanais Raif Khoury s’en prenait aux idées qui séduisaient les jeunes générations et les rendaient réceptifs au fascisme. Dans un article publié par la revue Al-Taliʻa, il réfuta l’idée que le fascisme se proposait de libérer les Arabes du joug de la colonisation britannique et française. Il soutenait que le fascisme «  croyait fermement en la colonisation et se préparait pour la conquête  »4.

    Dans un discours prononcé à Beyrouth en mai 1939 devant les délégués du premier congrès syro-libanais pour la lutte contre le fascisme, le secrétaire général du Parti communiste syro-libanais Khaled Bagdache affirmait que l’objectif principal d’Hitler et de Benito Mussolini était d’«  occuper des colonies en Asie et en Afrique  ». Leurs efforts tendant à consolider leur domination au cœur de l’Europe et dans les pays du bassin méditerranéen n’étaient «  qu’un préambule stratégiquement nécessaire pour réaliser leurs rêves de partager des contrées d’Orient, dont en premier chef le Proche-Orient arabe  ». Répondant à ceux parmi les Arabes qui en appelaient à adopter une politique neutre dans le conflit opposant les «  pays démocratiques  » aux «  pays fascistes  » en Europe, Bagdache soutenait que si les partisans de la neutralité ignoraient le fait que si l’Italie et l’Allemagne gagnaient la guerre, les jeunes États arabes, de Bagdad à Riyad en passant par Le Caire, perdraient leur autonomie naissante et deviendraient, à l’instar de la Libye et l’Éthiopie, des provinces italiennes et germaniques… Quant aux jeunes mouvements de libération nationale, en Syrie et en Palestine, ils seraient noyés dans le sang, «  écrasés par les haches des tortionnaires de Rome et de Berlin  »5.

    Le Parti communiste syro-libanais avait consacré une bonne partie des débats de son quatrième congrès, en novembre 1941, à répondre à la propagande fasciste qui était diffusée dans les pays arabes.

    Dans le rapport paru au terme de ce congrès6, il lança un appel aux citoyens syriens et libanais, les invitant à rejeter les mensonges des agents nazis qui prétendaient que «  la victoire allait couronner les efforts d’Hitler, lequel préparait la revanche, au nom des Arabes, contre le colonialisme étranger et ses agents  ». Ceux-ci devraient savoir, en effet, que l’hitlérisme est «  le colonialisme le plus atroce qu’ait connu l’histoire  ».

    En Irak, le parti communiste mit en garde les officiers nationalistes, auteurs du coup d’État de 1941, contre leur politique susceptible de déboucher sur une entente avec l’Allemagne nazie en vertu du principe universel qui veut que «  l’ennemi de mon ennemi est mon ami  ». Dans une lettre datée du 17 mai 1941 et adressée à Rachid Ali Keylani, chef des officiers rebelles, Youssouf Salman (nom de guerre : Fahd), le secrétaire général du Parti communiste, argumentait que les armées des pays de l’Axe n’étaient pas moins portées à l’impérialisme que le Royaume-Uni et que, par conséquent, «  compter sur l’aide d’un État impérialiste, quel qu’il soit, ne signifie rien d’autre que la chute du mouvement national dans les bras d’un autre impérialisme  »7.

    En Palestine, le comité central du parti communiste dut reconnaître, en 1939, que certains dirigeants du mouvement national arabe palestinien «  avaient facilité l’introduction de la propagande fasciste non seulement en Palestine mais dans toute la région du Proche-Orient, et ceci en propageant l’idée que les fascistes allemands allaient aider les Arabes dans leur lutte pour l’indépendance  »8.

    La Tunisie vit les forces allemandes pénétrer, en novembre 1940, dans le pays. En réponse à l’attitude d’un grand nombre de militants du parti Destour qui avaient opté pour la collaboration avec les Allemands, le parti communiste tunisien appela le peuple à «  affronter, coûte que coûte, l’occupant hitlérien et à s’unir dans le combat en vue de la démocratie et de la paix  » 9.

    Préserver le «  seul État socialiste  »

    À la suite de la signature par les démocraties occidentales du traité de Munich avec l’Allemagne, fin septembre 1938, le pouvoir soviétique, redoutant de voir les troupes germaniques envahir son territoire, donna son accord le 23 août 1939 pour un traité de non-agression avec l’Allemagne nazie. En dépit de l’embarras que cette décision soudaine de l’URSS provoqua dans les rangs des communistes arabes, ils la soutinrent, avec la conviction qu’il fallait à tout prix préserver le «  seul État socialiste  ».

    L’agression allemande contre l’URSS de juin 1941 conduisit toutefois les communistes du monde — dont les communistes arabes — à considérer le soutien de l’URSS comme une tâche primordiale. C’est alors que ces derniers se mirent à organiser des campagnes de solidarité avec les peuples soviétiques et à créer des comités ad hoc pour les assister.

    Dans la déclaration publiée au terme de son quatrième conseil national, en novembre 1941, le parti commnuniste syro-libanais considérait que l’appel «  Venez en aide à l’URSS  » devait constituer l’appel de tous les hommes libres de par le monde, y compris ceux du monde arabe. L’idée était que le destin de leurs patries et leur indépendance était lié à «  la victoire de l’État soviétique et des peuples libres contre l’Allemagne nazie  ».

    Les communistes arabes insistaient sur la nécessité de lier la lutte des peuples arabes pour l’émancipation de la colonisation franco-britannique à la lutte universelle contre le fascisme. Dans un article intitulé : «  Notre parti communiste et le pouvoir  », publié dans le journal Sawt al-Chaʻb du 22 juin 1944, Nicolas Chaoui, un éminent chef communiste libanais, soutient que l’indépendance réelle et telle qu’elle est souhaitée «  ne sera aisée et accessible que dans la mesure où la victoire générale sur l’hitlérisme et le fascisme en général, sera totale, solide et enracinée  ».

    Dimension internationale de la question palestinienne

    Tout en prenant une position ferme à l’encontre du mouvement sioniste et de ses visées en Palestine, les communistes arabes condamnèrent la politique de persécution des juifs menée par les nazis en Europe. Farjallah Al-Helou, l’un des leaders du parti communiste libanais, affirmait dans un discours prononcé à Beyrouth le 5 octobre 1944, que le combat mené par les Arabes — y compris les Libanais — contre le sionisme ne découlait pas «  d’une intention religieuse ou d’une rancune raciste, comme le prétendent les sionistes  », car il est indéniable que «  les Arabes n’ont jamais été mus par quelque fanatisme que ce soit  »10.

    Dans sa quête d’une solution démocratique à la question palestinienne, la Ligue de libération nationale, regroupant dès le début de 1944 les communistes arabes, fut la seule force politique, dans le camp arabe, à avoir tenté de donner une dimension internationale à la lutte menée par le peuple arabe de Palestine. Dans ce sens, elle considérait la question palestinienne comme un problème de libération nationale, de même qu’elle y voyait :

    une partie intégrante d’une cause défendue à l’échelle mondiale pour la disparition des régimes racistes, l’indépendance de tous les peuples au sein de leurs propres patries, et l’instauration de la fraternité et de l’égalité entre ces peuples [ [ʻUsbat al-taharrur al-watani fi Filastin, Harakatuna al-wataniyya wal-qiwa al-taharuriyya al- ʻalamiyya (notre mouvement national et les forces de libération mondiales),12 avril 1944  ; p. 1-3.]].

    La Ligue de libération nationale avait cherché, dès le début, à établir une démarcation très nette entre le sionisme, d’une part, et la population juive de Palestine, de l’autre. Elle avait invité le mouvement national arabe à contribuer, par l’adoption d’une politique réaliste et démocratique, «  à l’affaiblissement du potentiel d’action sioniste au sein des masses juives  », tout en soulignant que les intérêts de celles-ci étaient «  directement liés aux succès de la lutte du peuple arabe contre l’impérialisme et le sionisme  »11. Dans une même optique, elle critiquait les positions des dirigeants nationalistes traditionnels qui ne cessaient de proclamer qu’il leur était absolument impossible de vivre en paix avec la communauté juive de Palestine, voire d’accorder à cette dernière le moindre droit démocratique. Pour la Ligue en effet, l’adoption d’une politique de paix en direction de la population juive, ainsi que l’octroi de droits démocratiques, ne signifiaient, en aucune façon, la renonciation aux droits nationaux des Arabes palestiniens.

    Maher Al-Charif
     
  • Yémen : vers le même scénario qu’en Syrie et en Irak (Anti-k)

     

    Chef de mission au Yémen pour Médecins sans frontières, Hassan Boucenine dénonce l’inaction de la communauté internationale dans le pays, ravagé par un an et demi de guerre.

    Fin août, l’Organisation des Nations unies a revu à la hausse son bilan humain de la guerre qui oppose, au Yémen, le président en exil, Abd Rabbo Mansour Hadi, soutenu par une coalition arabe dirigée par l’Arabie saoudite, aux rebelles houthistes, partisans de l’ancien chef de l’Etat, Ali Abdallah Saleh. Au moins 10 000 personnes ont perdu la vie dans le conflit, assurait l’ONU. Chef de mission au Yémen pour Médecins sans frontières, Hassan Boucenine a passé dix-sept mois dans le pays, où il coordonnait l’aide humanitaire de l’ONG dans un pays ravagé par un an et demi de guerre.

    Depuis l’échec des dernières négociations, les combats et les bombardements ont repris dans le pays début août. Quelle est la situation humanitaire du pays aujourd’hui ?

    Quatre ou six semaines après l’arrêt des négociations à Koweït, les hostilités ont repris avec une intensité violente, tant par les bombardements que par les combats urbains, comme à Taiz. Non seulement l’intensité est très haute mais cela survient après un an et demi de conflit, le pays est épuisé, et la structure de santé publique n’existe plus.

    L’ONU parle aujourd’hui de 10 000 morts dus au conflit.

    Les morts dus à la violence directe et aux combats, à la guerre, c’est une chose, mais quand le système de santé publique s’écroule, il y a nombre de morts invisibles. La plupart des hôpitaux ont fermé, et dans ceux qui sont encore ouverts, les médicaments ne sont pas disponibles, ou très peu. Il y a des pans entiers de services qui ne fonctionnent plus.

    Un couple avec une femme enceinte qui a besoin d’une césarienne, par exemple, va partir au dernier moment, faire une longue distance pour arriver à un hôpital. Très souvent les patients arrivent dans un état irrécupérable. Beaucoup trop tard. Et on va perdre la maman, ou l’enfant, ou les deux.

    Ce sont des morts qui ne sont pas comptés. Comme ceux qui vont mourir d’une insuffisance cardiaque parce qu’ils n’ont pas les médicaments qu’ils prennent habituellement, etc. Il y a également des morts dus à la malnutrition, parce que dans plusieurs endroits du pays les gens sont mal nourris et contractent plus facilement des infections.

    L’impact sur la démographie de cette guerre et l’effet sur la pyramide des âges vont se faire ressentir dans les années à venir. Nous étions dans une catastrophe humanitaire l’année dernière, aujourd’hui c’est hors échelle.

    Un hôpital soutenu par MSF a subi cet été un bombardement meurtrier de la coalition saoudienne. Quelles sont les zones où MSF est actif au Yémen, et celles qui lui sont inaccessibles ?

    Jusqu’au dernier bombardement d’un de nos hôpitaux qui était dans le gouvernorat de Hajjah, nous étions présents dans la large majorité du pays, Nord et Sud, malgré les difficultés évidentes de sécurité, et nous avons été forcés et contraints de prendre la décision de retirer nos équipes internationales du gouvernorat de Hajjah et de Saada, tout au nord, après quatre destructions directes de nos infrastructures par la coalition saoudienne. Mais nous soutenons toujours les hôpitaux.

    Nous sommes prêts à prendre des risques, mais la sécurité de nos équipes est une chose que nous prenons très sérieusement. Il y a des limites à ne pas dépasser, on ne va pas se mettre sous les bombes sciemment.

    Je ne pense pas qu’il soit impossible pour les Etats-Unis, qui soutiennent l’Arabie saoudite et sont responsables de la coordination des opérations aériennes, de faire en sorte qu’il y ait deux cents ou trois cents endroits qu’on ne cible pas. Je pense que si ce n’est pas fait c’est parce qu’on s’en fiche et que de toute façon il n’y a aucune conséquence. C’est la mort du droit international.

    Quelles sont aujourd’hui les responsabilités de chaque partie dans ces violations du droit international que vous dénoncez ?

    La coalition saoudienne dispose d’une puissance de feu massive, jamais vue ailleurs. Ils bombardent massivement. Nous, nous soutenons beaucoup d’hôpitaux et nous nous faisons bombarder par les Saoudiens.

    Les houthistes ont beaucoup moins de puissance de feu et pas d’aviation. Mais nous avons des soucis sur les lignes de front : à Aden pendant le siège de la ville, et à Taiz aujourd’hui qui est sous le feu constant de l’artillerie houthiste, et où les deux parties se battent au milieu de zones résidentielles, à côté d’hôpitaux et d’écoles.

    A quel point le pays est-il morcelé ?

    Il y a une perte de contrôle total. Dans le Sud la situation est quasiment hors de contrôle. Au Nord ça tient encore, mais sans une manne financière qui permet d’acheter les forces en présence cela ne durera pas longtemps, donc on va vers un éclatement du pays.

    Si on laisse le pays se morceler, la situation qui est celle d’Aden aujourd’hui – éclatement des forces en présence, taux d’insécurité élevé – va être dupliquée dans tout le pays. Le pire scénario, c’est une perte de contrôle et une fragmentation totale du pays, avec des baronnies et milices locales qui gèrent leur district et leur gouvernorat, et une insécurité totale et permanente : assassinats, voitures explosives, attentats-suicides, etc.

    En dehors d’une réponse politique, quelles sont les mesures humanitaires les plus urgentes ?

    Le plus urgent, c’est d’apporter les médicaments nécessaires, de redémarrer les structures hospitalières dignes de ce nom, et qu’il y ait d’autres organisations que Médecins sans frontières qui s’occupent des hôpitaux centraux.

    On ne peut pas tenir ce système à bout de bras bien longtemps. Il faut s’assurer que les programmes d’aide à la nutrition sont mis en place, avec des gens sur place qui les suivent vraiment, ce qui n’est fait nulle part. L’Unicef envoie énormément d’aide nutritionnelle, mais personne n’est là pour faire tourner les programmes nutritionnels et ça ne marche pas.

    Une sortie politique du conflit est-elle toujours possible ?

    Je ne vois pas qui a intérêt à ce que cela perdure, il n’y a rien à gagner. C’est vraiment un manque de volonté de la communauté internationale. Il est temps d’avoir une administration de transition avec au moins les deux parties en présence et que la communauté internationale joue son rôle. Il y a un abandon total.

    Plus nous laisserons passer le temps et plus on va se diriger vers une guerre d’attrition et moins il sera possible de faire la paix. Aujourd’hui, c’est encore possible parce que le pays n’a pas implosé, il y a une résilience extraordinaire du peuple yéménite.

    Sans l’intervention directe ou indirecte des Etats-Unis et de la Russie, je ne vois pas comment cela peut se régler. Les deux camps sont dans une impasse. Donc il faut que la communauté internationale pousse les deux parties à accepter un accord. Il n’est pas encore trop tard pour faire la paix.

    Si on loupe le coche entre maintenant et la fin de l’année il ne faudra pas se plaindre que le Yémen soit irrécupérable pour les cinq à dix prochaines années. Et les conséquences se feront sentir jusqu’en Europe. On a vu ce qu’il s’est passé en Irak et en Syrie. Si on veut le même scénario on en prend la route. Il est encore temps d’agir, mais la fin de l’année c’est demain.

    Le Monde  24 septembre 2016

    http://www.anti-k.org/

  • La « Russie soutient-elle le régime Assad ou bien mène-t-elle sa propre guerre en Syrie ? » (Souria Houria)

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    Il apparaît de plus en plus que le Kremlin poursuit ses propres objectifs de guerre en Syrie, qui vont bien au-delà du simple soutien au régime Assad. Cette nouvelle réalité doit être impérativement prise en compte pour sortir de l’impasse totale qui prévaut à l’ONU.

    La vision actuelle du conflit syrien repose sur l’hypothèse, à mon avis dépassée, que la Russie apporterait un soutien, certes inconditionnel, mais un soutien au régime Assad. Or il semble de plus en plus évident que le despote syrien n’est plus maître des opérations menées en son nom sur le territoire qu’il prétend gouverner. Ce sont les militaires russes, en coordination avec les « conseillers » iraniens, qui décident en premier chef.

    L’ENJEU D’ALEP

    Le bombardement aérien d’un convoi humanitaire de l’ONU et de la Croix Rouge internationale, durant la nuit du 19 septembre 2016, au nord d’Alep, porte toutes les marques d’une initiative du Kremlin. Il s’est poursuivi durant deux longues heures, alors même que le régime Assad avait donné son accord à l’acheminement de cette aide. Une partie des vingt civils tués sont des volontaires du Croissant rouge syrien, dont le président, Abderrahmane Attar, est un proche de Bachar al-Assad.

    Rappelons enfin que l’opposition et les jihadistes n’ont aucune force aérienne, tandis que l’aviation pro-Assad n’a aucun moyen de bombardement nocturne. Le raid du 19 septembre a d’ailleurs été prolongé, durant la nuit suivante, par de nouveaux bombardements aériens d’installations médicales, cette fois au sud d’Alep. J’avais décrit sur ce blog, en avril dernier, le caractère systématique de la destruction de toute infrastructure de santé dans les zones tenues par l’insurrection à Alep. Il s’agit de briser les derniers ressorts d’une population civile, privée de soins comme de nourriture, afin de contraindre la résistance locale à la capitulation.

    C’est ce scénario implacable qui a déjà conduit, à une échelle plus restreinte, à l’évacuation des combattants, mais aussi de la population civile du bastion révolutionnaire de Daraya, à proximité de Damas, le 26 août 2016. C’est bien cette alternative entre la reddition et la mort que la Russie entend imposer dans toute sa brutalité aux habitants des secteurs rebelles d’Alep. Le Kremlin a en effet ressenti comme une humiliation la rupture du siège des quartiers insurgés d’Alep, au milieu de l’été, et a tout fait pour rétablir un blocus impitoyable, au début de septembre.

    La carte ci-dessous des bombardements russes sur le Nord de la Syrie, du 20 au 22 septembre, établie par l’Institute for the Study of War, prouve que les zones tenues par Daech (en gris) sont épargnées, alors que les frappes se concentrent sur le territoire tenu par l’opposition (en jaune).

    Russia 20-22 Sept 2016

    LES BUTS DE GUERRE DE MOSCOU

    On ne crédite pas assez Vladimir Poutine d’une vision mondialisée de son engagement en Syrie. Le président russe a parfaitement compris que le retrait ostensible des Etats-Unis hors du Moyen-Orient lui offrait le privilège de restaurer, à partir de cette région, un statut de superpuissance disparu avec l’URSS. Les intérêts anciens de Moscou en Syrie et les affinités multiples entre Poutine et Assad pèsent dès lors moins que ce grand dessein russe qui se développe depuis le Moyen-Orient vers le reste du monde.

    L’intervention militaire russe en Syrie, directe et massive depuis septembre 2015, se fonde sur un discours-programme prononcé quelques jours auparavant par Poutine à la tribune de l’ONU. Le président russe s’y pose en farouche défenseur de la souveraineté des « Etats », en fait des régimes en place, contre les aspirations des peuples. Il lance ainsi une campagne idéologique qui ne peut se comparer qu’à la « guerre globale contre la terreur » de George W. Bush, elle aussi conceptualisée à la tribune de l’ONU, en 2002.

    De même que la vision des néo-conservateurs américains rejetait dans l’enfer de la « terreur » toute forme d’opposition, dès lors associée à Al-Qaida, la propagande pro-Poutine stigmatise comme « terrorisme » toute contestation organisée du statu quo, aussitôt assimilée à Daech. Mais, de même que « W » s’est heurté à la réalité de l’Irak et a embourbé ses troupes dans ce pays « libéré », Poutine fait désormais l’expérience de l’incapacité d’Assad à rétablir sa position autrement que sur des champs de ruines.

    MILICIENS PRO-IRANIENS ET IRREGULIERS SYRIENS

    La contre-insurrection en milieu urbain, que la dictature Assad a été incapable de mener, a été assumée à partir de 2013 par les milices pro-iraniennes, d’abord le Hezbollah libanais, puis différents groupes irakiens et afghans. Les Gardiens de la Révolution, venus d’Iran, ont donné sa cohérence opérationnelle à ce dispositif disparate. C’est d’ailleurs le général Qassem Soleimani, le chef des troupes de choc des Gardiens de la Révolution, qui s’est rendu à Moscou en juillet 2015 pour alerter ses alliés russes sur les défaillances du régime Assad, alors en recul sur tous les fronts.

    L’intervention russe en Syrie, en septembre 2015, a beau avoir été « cadrée » à l’ONU par Poutine, elle est donc motivée également par les faiblesses intrinsèques au régime Assad. L’armée gouvernementale, épuisée par l’hémorragie des désertions et par cinq années de conflit, n’est plus que l’ombre d’elle-même. Les troupes combattantes dignes de ce nom sont réservées à la protection du régime lui-même. La seule unité reconfigurée pour l’offensive est commandée par Suhail al-Hassan, général des services de renseignement de l’Armée de l’Air, les plus puissants de tous les « services » en Syrie. Hassan est surnommé « le Tigre » (pour mémoire, Assad signifie « lion » en arabe).

    Cette contraction du périmètre d’action de l’armée loyaliste a amené l’émergence d’un vaste éventail de milices, aux titres d’autant plus ronflants que leur valeur militaire est discutable. Les militaires russes engagés sur le terrain, depuis plus d’un an, ont dû, après les « conseillers » iraniens, se frayer un chemin dans le maquis des groupes armés pro-Assad. Rien ne permet d’affirmer, contrairement aux allégations de certaines sources, que des soldats russes auraient combattu aux côtés d’irréguliers syriens.

    Il est en revanche certain que le Kremlin a pris la mesure, avec un déplaisir à chaque fois croissant, du degré de corruption et d’indiscipline prévalant dans les rangs des pro-Assad. C’est pourquoi le président syrien a été convoqué à Moscou, en octobre 2015, dans un avion militaire russe. Ce déplacement est le seul de Bachar al-Assad à l’étranger depuis le début de la révolution syrienne en 2011 et il n’a été annoncé qu’après le retour du dictateur à Damas.

    Poutine a jugé nécessaire de préciser qu’il était lui-même à l’initiative de ce sommet russo-syrien. De manière plus générale, les officiers russes en Syrie ont pris directement en mains la conduite des opérations, notamment lors de l’expulsion de Daech hors de l’oasis de Palmyre. Cet interventionnisme russe de plus en plus pesant amène à s’interroger sur l’insistance mise par le Kremlin à un maintien d’Assad au pouvoir : il est désormais possible que le dictateur syrien, pieds et poings liés par Moscou, soit le seul dirigeant capable d’accepter un tel degré d’ingérence multiforme de la part de son « protecteur » russe.

    NEGOCIER A ALEP PLUTOT QU’A NEW YORK

    En tout état de cause, le destin de la Syrie et de son président importe moins pour Poutine que la montée en puissance mondiale de la Russie, gagée sur le succès de l’aventure syrienne. Il est dans ces conditions vain d’espérer régler entre Washington et Moscou le sort de la Syrie, puisque, dans ce jeu à somme nulle, la Russie ne peut accepter qu’une victoire totale. La séquence récente à l’ONU le démontre d’autant plus crûment qu’elle a été suivie, depuis le 23 septembre 2016, d’un déluge de bombes russes sur Alep, avec destruction ciblée de trois des quatre centres de la Défense civile.

    Pour sortir d’une impasse aussi désastreuse pour le système international, il est urgent de s’atteler enfin à un cessez-le-feu entre belligérants syriens à Alep. Cette approche « locale », que je prône depuis janvier 2014, à rebours des grands-messes diplomatiques sur les bords du Lac Léman, passe par la neutralisation de toutes les forces étrangères, qu’elles soient russes, pro-iraniennes ou jihadistes. Elle a l’immense avantage de ne pas poser la question du pouvoir à Damas et de contourner ainsi un blocage assuré au Conseil de sécurité de l’ONU.

    Que Staffan di Mistura, l’envoyé spécial de l’ONU pour la Syrie depuis 2014, cesse de se lamenter dans les couloirs de New York ou de Genève. Qu’il se rende sur-le-champ à Alep pour travailler à cette « paix des braves » entre Syriens de l’Est et de l’Ouest de la ville. Le défi est immense, mais si, comme l’affirme Ban Ki-moon, le destin de l’ONU est en jeu, alors cette voie doit être explorée jusqu’au bout. La Russie est en guerre en Syrie, il est temps d’en tirer toutes les conséquences, au moins diplomatiques.

    Jean-Pierre FILIU

    Souria Houria le 25 septembre 2016