Fin juillet, une bombe incendiaire lancée à l’intérieur d’une maison palestinienne provoquait le décès d’un bébé, suivi de celui du père et tout récemment de la mère. Le slogan « Prix à payer » signait le crime. Le 26 août, un acte similaire visait d’autres membres de la famille Dawabcheh. L’onde de choc forçait le Premier ministre et le Président israéliens à sortir de leur silence habituel.
Que ne l’ont-ils fait plutôt ? Loin d’être isolée, cette agression s’ajoute à la longue liste des violences commises quotidiennement par des colons. Le Palestine Center a publié, jour par jour et mois par mois, la liste des incidents les plus importants survenus en 2011 (2). Y figurent des attaques à l’arme blanche, des bastonnades, des destructions de maisons et bâtiments, voitures et matériel, l’arrachage/incendie de milliers d’arbres, l’abattage de bétail. A cela s’ajoutent des kidnappings, des incursions et des rodéos dans les villages avec les colons roulant sur les piétons, l’aspersion de gaz et de produits toxiques... Les enfants ne sont pas épargnés, bien au contraire.
Durant la seule année 2011, on recense plusieurs décès et de nombreux blessés, dont certains laissés dans un état critique. Violant leurs engagements internationaux (notamment, la 4ème convention de Genève), les autorités israéliennes ont, par leur inaction et leur silence, encouragé de facto de tels actes qui rappellent le temps où le Ku Klux Klan sévissait dans le sud des Etats-Unis.
Entre 2006 et 2011, leurs agressions commises généralement en bandes organisées ont augmenté de 315 % alors que celles exercées par les Palestiniens de Cisjordanie baissaient de 95 %, rapporte le Palestine Center. Le total atteignait 1 000 incidents en 2011, et autant en 2014 selon les experts palestiniens, soit presque 3 actes par jour. Les rapports publiés par l’ONG israélienne Yesh Din montrent la banalisation du phénomène tout en soulignant les causes. En plus d’être enracinée dans la réalité de l’occupation-colonisation, la violence des colons est encouragée par les dysfonctionnements en cascade de l’appareil militaro/policier/judiciaire en place en Palestine occupée.
En témoigne le taux extrêmement faible de poursuites judiciaires : environ 7 % des 1 067 dossiers, ouverts par la police israélienne en Cisjordanie entre 2005 et la fin de 2014 et constituant l’échantillon Yesh Din, ont entrainé une assignation à comparaître devant un tribunal (3). Fin 2014, 57 affaires avaient abouti sur les 70 concernées avec les résultats suivants : verdict de culpabilité dans 33 cas, assortie d’une condamnation dans 20 uniquement.
La violence des colons, un phénomène non pas accidentel mais structurel
Toute entreprise d’occupation-colonisation qui fait cohabiter deux populations au statut inégal porte en elle les germes du racisme. Dans le cas israélien, ceux-ci sont d’autant plus vivaces que le dispositif de surveillance et de contrôle de la population occupée assigne une place essentielle aux colons. On lira avec profit, à ce sujet, l’ouvrage collectif « Une occupation civile. La politique de l’architecture israélienne » (4). Dans un chapitre consacré à l’urbanisme d’Etat, Zvi Efrat montre comment ce système est « placé pour l’essentiel entre les mains de la population civile », qualifiée de « forces de sécurité sans uniforme », qui œuvre des collines où elle réside.
De nombreux colons remplissent ce rôle de manière passive, se contentant de profiter de leur niveau de vie supérieur en Palestine occupée. D’autres l’assument très activement dans le but avoué de rendre la vie impossible aux Palestiniens et de les pousser à partir. Ceux-là obéissent aux injonctions de leaders bien connus des services de sécurité israéliens et de rabbins extrémistes appartenant au courant national-religieux. Autrefois minoritaire, ce dernier a vu son influence grandir au fil des années. En témoignent la banalisation des discours racistes et la montée des partis d’extrême droite dont certains détiennent des postes clés au sein du gouvernement.
Les colons violents peuvent agir d’autant plus aisément qu’Israël a laissé s’instaurer une culture d’irrespect à l’égard de la loi et d’irresponsabilité à tous les échelons du dispositif militaire/policier/judiciaire en place en Palestine occupée. Saisies du problème, les autorités ont, à leur habitude, commandité quelques rapports (le premier, en 1981, confié au Général Karp) qui sont restés sans effet. Les rapports de 1994 et 2005 notent ainsi « l’échec continu à reformer le système israélien d’application de la loi » en Cisjordanie (5).
Un régime défaillant de délégation de responsabilité
La responsabilité d’assurer la protection de la population occupée incombe en Cisjordanie à l’armée, laquelle peut déléguer une partie de ses pouvoirs à la police. En raison de leurs ressources et de leurs effectifs très limités, les policiers dépendent, toutefois, des soldats sur le plan opérationnel, notamment pour se rendre sur les lieux d’un incident.
Il est vrai que, selon les ordres donnés par le pouvoir politique, la protection des Palestiniens constitue, pour les uns et les autres, une mission secondaire. Résultat : alors qu’en l’absence de la police, l’armée israélienne est autorisée à détenir et même à arrêter les présumés coupable d’agression contre des Palestiniens, les soldats se contentent le plus souvent de détourner les yeux, lorsqu’ils ne prêtent pas main forte aux agresseurs et détruisent les preuves. « Dans de nombreux cas, les forces armées et la police ont failli à leur devoir de protéger les Palestiniens », affirme Ban Ki Moon (6).
L’impossible parcours des Palestiniens pour obtenir justice
De multiples obstacles pour loger une plainte. Pour accéder aux postes de police situés en zone C, les victimes doivent solliciter et obtenir un permis spécial. Une fois sur place, il leur arrive d’attendre des heures l’arrivée d’un policier ne parlant pas l’arabe, ou même de devoir revenir. Il se peut aussi qu’on leur demande de fournir des titres de propriété ou une carte délivrée par un expert agréé (exigence qui a un coût élevé et que le régime foncier palestinien rend impossible à satisfaire). Enfin, si elles ont porté plainte par le passé pour d’autres incidents, elles risquent de faire l’objet de représailles de la part des policiers. Dans ces conditions, on comprend qu’elles renoncent d’autant que leur confiance en la justice israélienne est très fragile. Le traitement réservé à leur plainte n’est pas pour leur faire changer d’avis.
Entre 2005 et 2014, 8 dossiers sur dix clos pour des motifs laissant penser à des défaillances de l’enquête,telle est la conclusion de l’enquête publiée en mai dernier par Yesh Din (7). De nombreux cas factuels illustrent l’application illusoire de la loi israélienne en Palestine occupée. Pas de protection de la scène du crime (relevé d’empreintes, vérification de la présence de caméras, archivage des images...). Impasse ou négligence aux étapes suivantes : identification des témoins et des suspects, interrogatoire, confrontation. Pas de vérification non plus de l’historique criminel des suspects ainsi que de leur alibi, etc., etc.
La comparaison avec le traitement réservé aux Palestiniens suspects d’agressions et la diligence déployée pour identifier/arrêter ces derniers est dévastatrice pour l’image « d’Israël, Etat démocratique ». Les suites données à l’attentat contre la famille Dawabcheh n’est pas pour arranger les choses, bien au contraire. Jusqu’à présent, aucun progrès de l’enquête, aucune mesure, aucune sanction.
En définitive, ces observations permettent d’appliquer aux colons violents le jugement lapidaire émis par Ban Ki Moon à propos des exactions des Casques bleus : « L’absence de poursuite légales… signale le règne de l’impunité (8) ». Elles relativisent aussi la réaction des autorités israéliennes qui, pour une rare fois, se sont émues des conséquences d’une situation qu’elles contribuent à banaliser et à renforcer. Une situation intenable et encore nous n’avons pas évoqué les violences de l’armée.
La question de la responsabilité de la communauté internationale se pose également. Il est temps de prendre des mesures à l’encontre des colons violents, comme le recommandent les Consuls européens en poste à Jérusalem-Est. Il est temps d’assurer une protection internationale à la population palestinienne. La France et l’Europe disposent de moyens de pressions ; quand se décideront-elles à les utiliser ?
vendredi 2 octobre 2015 par Olivia Elias
01 OCTOBRE 2015 | PAR LES INVITÉS DE MEDIAPART
(1) La « Palestine occupée, la colonisation à marche forcée », cahiers de l’AFPS, février 2013. Et aussi « Le dé-développement économique de la Palestine », AFPS, octobre 2013.
(2) « When Setters Attack », Palestine Center 2012. Voir aussi : Olivia Elias, Palestine occupée, la colonisation à marche forcée, dossier « Carte blanche à la violence des colons », AFPS, février 2013, pp. 53 à 77.
(3) « Datasheet, May 2015. Prosecution of Israëli Civilians Suspected of Harming Palestinians in the West Bank », Yesh Din Monitoring figures (les statistiques n’incluent pas Jérusalem-Est).
(4) Publié sous la direction d’Eyal Weizman et Rafi Segall, Editions de l’imprimeur, 2004.
(5) « Israeli settlements in the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, and the occupied Syrian Golan », rapport du Secrétaire général à l’AG de l’ONU, A/66/364, 16 September 2011, § 22.
(6) ibidem, § 30.
(7) Mock Enforcement, The Failure to Enforce the Law on Israeli Civilians in the West Bank », Yesh Din, May 2015, p. 34.
(8) Ban Ki Moon, « Tolérance zéro pour les casques bleus auteurs de viols », Le Monde, 23 et 24 août 2015, p.13.
http://www.ujfp.org/spip.php?article4420