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Yemen - Page 6

  • L’attaque saoudienne contre le Yémen, un évènement grave à condamner et combattre (Lcr.be)

     

    Des combattants rebelles chiites manifestent contre les raids saoudiens menés au Yémen, à Sanaa, le 26 mars.

    (Manif chiite contre le raid)

    Dans la nuit du 25 au 26 mars, l’Arabie saoudite a fait pénétrer massivement ses troupes au Yémen. C’est un évènement d’importance, dont il n’est pas sûr qu’il n’aurait pas été occulté médiatiquement chez nous même si la tragédie aérienne des Alpes du Sud ne s’était pas produite l’avant-veille.

    Qu’on en juge : cette invasion-agression est menée au nom d’une coalition de circonstance groupant rien de moins que tous les pays du Conseil de Coopération du Golfe sauf l’Oman, c’est-à-dire les Emirats arabes unis, le Koweit et le Qatar derrière l’Arabie saoudite, mais aussi l’Egypte, le Maroc, la Jordanie, le Soudan et une puissance nucléaire, le Pakistan. Symboliquement la présence sous l’égide saoudienne du régime militaire égyptien du général al Sissi d’une part, et de l’émirat du Qatar ancien soutien des Frères musulmans massacrés en Egypte par le même al Sissi d’autre part, renforce l’aspect voulu d’une sorte de réconciliation des altesses et des képis dans une ligue de salut sunnite formée derrière le nouveau roi Salman ben Abdelaziz al-Saoud, ligue à laquelle la Turquie apporte également son soutien.

    Mieux encore : les ennemis que vient combattre officiellement cette coalition sous égide saoudienne, les houthistes, sont aussi les cibles désignées de Daesh qui s’est illustré par la revendication d’un effroyable attentat faisant 142 morts à Sanaa le 20 mars. Ce carnage était de fait le prologue à l’agression saoudienne, alors même que le régime de Ryad est censé combattre, comme le Qatar, les forces de Daesh en Irak et en Syrie !

    D’ailleurs, les rivaux que Daesh cherche à renvoyer au rayon des vieilleries inoffensives, nous voulons parler d’al-Qaeda, bien présents au Yémen, combattent eux aussi les mêmes houthistes !

    Les Etats-Unis, qui ont depuis des années mené une triste guerre de drones contre al-Qaeda (en tout cas officiellement) au Yémen, se trouvent maintenant dans le même camp de facto, puisqu’ils apportent un soutien officiel à l’intervention saoudienne et sont censés préter leur soutien logistique, sauf qu’il est évident que dans cette affaire, Ryad les a mis devant le fait accompli.

    Le jeu saoudien consiste à orchestrer une coalition anti-chiites visant l’Iran, comme le souligne l’engagement du Pakistan dans la coalition, particulièrement dangereux et qui ne peut se justifier que pour faire planer la menace de prendre à revers l’Iran, ce qui soulève des mobilisations de protestations au Pakistan, et des doutes jusqu’au sommet de l’Etat.

    Or ce jeu intervient à un moment bien précis : les négociations sur le nucléaire iranien sont censées déboucher, ou non, sur un accord, dans les heures ou jours à venir. Officiellement il y a achoppement sur la durée de la surveillance imposée à l’Iran, la levée immédiate ou non des sanctions économiques, et la proposition iranienne récente de garder une grande partie de ses centrifugeuses plutôt que de les envoyer en Russie et de diluer son stock d’uranium sur place sous forme de gaz. Remarquons d’ailleurs que cette dernière complication des négociations est venue aprés l’intervention saoudienne au Yémen et l’entrée du Pakistan dans la coalition, ce qui pourrait avoir renforcé, à Téhéran, les factions hostiles à un accord.

    Mais le bras de fer réel se déroule au sein de l’administration US voire dans la tête de certains hauts responsables, dont Obama : l’intérêt bien compris, à moyen terme, de l’impérialisme nord-américain, est de s’entendre avec l’Iran, ainsi qu’avec Bachar el Assad en Syrie, contre les peuples de la région. Cela supposerait un esprit de décision à Washington dont la carence actuelle renvoie à la crise globale ouverte depuis 2008, et au bilan d’échec accablant sur tous les plans de 15 années de soi-disant guerre sans fin contre le terrorisme.

    Début mars le ci-devant général Petraeus, ancien chef de l’OTAN, de la CIA et de l’occupation US en Irak et Afghanistan, débarqué en 2012 pour … adultère, déclarait que “L’Etat islamique n’est pas le plus grave danger qui menace l’Irak.“.

    Remarquons bien que cette spectaculaire déclaration dit tout haut ce que tous pensent tout bas : mais non, l’Etat islamique, cet abominable chose qui diffuse en vidéos ses barbaries, n’est pas pour eux le véritable danger. Le véritable danger, ce sont les peuples !

    Ceci étant, c’est en l’occurrence l’Iran que Petraeus désigne évidemment ici, et c’est là une attaque directe contre la politique qu’Obama et John Kerry semblent tenter de mettre en oeuvre.

    Deux Etats, ayant des ramifications dans l’appareil d’Etat US tout en dépendant étroitement de sa tutelle ou de sa clientèle, veulent empêcher Washington de matérialiser ce tournant, de signer un accord avec l’Iran, et lui tiennent rigueur de son incapacité croissante à jouer les gendarmes : Israël et l’Arabie saoudite. De sorte que l’on peut dire que l’intervention saoudienne au Yémen s’ajoute à la réélection de Benyamin Netanyahou, aprés sa visite au Congrés US contre Obama, pour essayer maintenant de contraindre Washington à s’aligner sur les initiatives de ses clients !

    Les gesticulations saoudiennes veulent faire croire au monde entier que les houtistes au Yémen serait par rapport à l’Iran dans une relation d’alliance comparable à celle du Hezbollah au Liban. Or, ceci est complétement faux.

    Les chiites du Yémen, zaydites, sont plus proches de l’islam sunnite chafféite que les chiites duodécimains d’Iran et ont toujours cohabité avec lui jusqu’à ce jour, fréquentant y compris les mêmes mosquées. Le régime monarchique de supposés descendants du Prophètes, zaydites, fut renversé en 1962, mais l’intervention égyptienne refusant la prise en compte des revendications paysannes et populaires a “réussi ce tour de force de faire revenir le pays à son point de départ“ (Samir Amin, La nation arabe, Nationalisme et lutte de classe, Editions de Minuit, 1976) et de ramener les “féodaux“ soutenus par la monarchie saoudienne au pouvoir au Nord du Yémen. C’est donc aprés la faillite du nationalisme bourgeois qu’un renouveau zaydite se produisit, d’abord sous la forme d’une évolution religieuse le rapprochant du chiisme duodécimain (par exemple par la reprise de la fête de l’Achoura, mais sans les rituels sanglants), réagissant aux pressions de l’islamisme sunnite pour aligner tout l’islam, évolution d’où sortit le mouvement “houthiste“, du nom du leader politico-religieux Abd Al-Malik Al-Houti, assassiné lors d’un raid aérien saoudien – déjà.

    Ce mouvement a une base territoriale dans des zones paysannes pauvres, et a participé au “printemps arabe“ à Sanaa en 2011, qui a réussi aprés de terribles affrontements à renverser le dirigeant dictatorial et corrompu Ali Abdalla Saleh (lui-même d’origine zaydite), mais sans déboucher sur une issue démocratique, un dirigeant analogue, Saadi, lui succédant en 2013. Tout s’est alors passé comme si le mouvement houtiste avait progressivement, et sans toujours l’avoir cherché, comblé les vides politiques se formant dans l’Etat. Allié depuis 2014 à des secteurs proches de l’ancien président Saleh, les houthistes ont pris le contrôle de Sanaa en septembre 2014. La fuite de Saadi à Aden en janvier 2015 a conduit les houthistes à marcher sur le Sud et à prendre cette ville et c’est alors que Ryad intervient massivement.

    L’intervention saoudienne est donc motivée par la volonté de contrôler le Yémen, pays le plus peuplé et le plus pauvre de la péninsule arabique, un pays qui n’a pas de pétrole mais qui contrôle le passage de Bab el Mandeb (l’entrée Sud de la mer Rouge) et par la grande opération diplomatico-militaire décrite ci-dessus avec la formation d’une coalition sunnite, contraignant les Etats-Unis à la soutenir en espérant saboter un accord avec l’Iran. Ces raisons suffiraient à caractériser cette intervention de réactionnaire sur toute la ligne, devant donc être condamnée et combattue.

    Mais il est vraisemblable que l’attaque saoudienne a été aussi motivée, tout simplement, par la peur panique de voir une crise éclater dans le royaume wahabite lui-même, tant sont profonds les liens entre ses populations et les yéménites. Les chiites, duodécimains, zaydites ou ismaéliens, sont des minorités opprimées et discriminées en Arabie saoudite, et leur mise en mouvement, loin d’être la “manipulation iranienne“ que dénonce le régime pour mieux le circonscrire, annonce l’entrée dans la lutte pour leur émancipation des prolétaires, dont beaucoup ici sont des immigrés africains et asiatiques qui ont déjà manifesté en écho aux grèves de beaucoup de pays asiatiques ces dernières années, et celle des femmes. Bref, le combat contre la discrimination des chiites, 17 à 20% de la population, est une brêche par où tout peut s’engoufrer en Arabie saoudite.

    Le régime de Ryad se met en danger pour éviter ce danger : car son intervention au Yémen, pour peu qu’elle pâtine ou tourne mal, produira un choc en retour très profond. A son tour, le régime risque de vouloir conjurer cette possibilité en pratiquant la fuite en avant dans le sens de la guerre des sunnites contre les chiites et de l’encerclement de l’Iran, alors que tel n’est absolument pas le contenu réel des mouvements sociaux qui ont commencé dans tout le monde arabe. Ce sont les régimes en place et les mécanos monstrueux qu’ils ont activé, comme Daesh, qui sont porteurs des guerres de religion. Le régime iranien et le régime pakistanais sont tout aussi dangereux. Mettre la guerre à la place de l’émancipation, voila leur seul programme.

    L’alternative est l’émancipation, la démocratie, la destruction de toutes les théocraties comme des dictatures militaires. Ce n’est pas une utopie : c’est le réalisme.

    1 avril 2015 par Vincent Présumey

    http://www.lcr-lagauche.org/lattaque-saoudienne-contre-le-yemen/

  • Le Yémen en morceaux (Orient 21)

    Qui se bat contre qui ?

    Le processus de transition qui a fait suite au « printemps » de 2011 avait un temps érigé le Yémen en modèle. Porté à bout de bras par l’ONU, il est moribond et a laissé place à un entrelacement de conflits et d’inimitiés qui, bien que prévisibles, frappent par leur brutalité. Face à une telle illisibilité, la communauté internationale est tentée de plaquer quelques grilles de lectures binaires (Nord/Sud, sunnite/chiite) qui risquent pourtant, comme en Libye, de précipiter encore plus le pays dans la guerre.

    Et l’implication directe de l’Arabie saoudite risque d’aggraver la situation1.

    L’épisode rocambolesque du 21 février 2015 qui a mené le président de la transition Abd Rabbo Mansour Hadi à fuir Sanaa et à gagner Aden, dans le Sud, avait placé le Yémen dans une situation intenable. Dans l’impossibilité de travailler face à la poussée des rebelles houthistes, il avait un mois plus tôt annoncé une première fois sa démission pour être ensuite placé en résidence surveillée à Sanaa, la capitale, par cette même «  milice chiite  ». Profitant de l’inattention de ses gardiens au petit matin, il avait pu s’enfuir de son palais par une porte dérobée et rejoindre l’ancienne capitale du Yémen du Sud, d’où il est originaire. Le 25 mars 2015, certains officiels annoncent son départ du pays alors que les houthistes sont aux portes d’Aden et bombardent la ville. La localisation de Hadi reste incertaine mais il a clairement perdu la main. Comment expliquer une telle débâcle  ?

    Reconquérir le Yémen depuis Aden

    Au cours de la captivité de Hadi à Sanaa, le vide institutionnel avait été rempli par les houthistes eux-mêmes. Ce mouvement politico-religieux issu de la branche zaydite du chiisme, bien qu’initialement marginal, avait au fil des ans gagné en popularité et en capacité de nuisance. Depuis l’été 2014, les houthistes avaient réussi à mettre la pression sur le gouvernement et sur Hadi, prenant le contrôle de la capitale, obtenant le limogeage du premier ministre Mohamed Basindwa et opérant, sans l’assumer véritablement, un coup d’État. Cette prise de pouvoir n’avait été possible qu’à travers une alliance de circonstance entre les houthistes et l’ancien président Ali Abdallah Saleh, démis de ses fonctions par la rue en 2011 et qui continuait à bénéficier de l’allégeance d’une part significative de l’appareil de sécurité. L’alliance entre des anciens ennemis qui s’étaient combattus dans le contexte de la guerre de Saada entre 2004 et 2010 permettait à tous deux de se venger de leur adversaire commun, le parti al-Islah, branche yéménite des Frères musulmans, allié au président Abd Rabbo Mansour Hadi.

    En rejoignant Aden, Hadi affirmait le maintien de sa légitimité constitutionnelle. Il annulait sa démission et prononçait le transfert provisoire de la capitale vers Aden. Il entendait faire de ce port la base de sa reconquête face aux houthistes, mais semblait en réalité précipiter le pays vers la partition. Bien qu’il soit originaire d’Abyan, province qui jouxte Aden à l’est, son assise politique dans cette dernière ville et dans l’ex-Yémen du Sud en général était maigre. La population de l’ex-Yémen du Sud, largement acquise à l’option sécessionniste, lui tenait rigueur d’avoir réprimé pendant son mandat le mouvement sudiste mais également, en 1994, lors d’un précédent conflit, d’avoir en tant que ministre de la défense mené une offensive militaire contre Aden. Par ailleurs, Hadi se trouvait être en tension avec l’un des principaux leaders sécessionnistes, Ali Salim Al-Bidh suite à une sombre et meurtrière histoire de purge sudiste en 1986.

    En dépit de la fragilité de ses appuis locaux, Hadi continuait de recevoir le soutien de la communauté internationale. Ainsi l’Arabie saoudite avait-elle rouvert son ambassade à Aden et le conseil de sécurité de l’ONU maintenu sa confiance sans tenir compte du fait que la logique portée par Hadi depuis son départ pour Aden produisait des polarisations binaires forcément guerrières. En mal de repère, l’ONU et les grandes puissances, tout en appelant à un retour des négociations, avaient choisi un camp. Ce faisant, elles avalisaient ainsi une lecture certes portée par les acteurs eux-mêmes, mais néanmoins partielle et largement destructrice. Avec la chute de Hadi, ils perdent encore davantage leurs repères.

    Polarisations binaires

    L’arrivée de Hadi à Aden a précipité cette ville dans la confrontation avec les houthistes, semblant polariser le conflit yéménite autour d’une logique binaire Nord/Sud d’une part, mais aussi chiite/sunnite. Aden était pourtant largement restée depuis 2011 à l’écart de la compétition entre élites qui se jouait à Sanaa et impliquait houthistes, Frères musulmans, partisans de Saleh et soutiens de Hadi. La population du Sud, largement acquise au mouvement sécessionniste ne se sentait plus concernée par les affaires du Nord et réclamait donc son indépendance. La donne a brutalement changé et la violence est venue à Aden, importée en quelque sorte par Hadi : l’aéroport, situé en centre-ville, a été le théâtre de violents affrontements mi-mars entre pro et anti-Hadi et le palais de ce dernier a été bombardé par des avions de combats envoyés par Sanaa, vraisemblablement pilotés par des officiers restés loyaux à Saleh et alliés aux houthistes.

    Cette reconfiguration est venue figer une conflictualité complexe dans des cadres simplistes, tant historico-géographique que confessionnels. L’appartenance des houthistes au zaydisme chiite, les accusations récurrentes de soutien iranien, leur rivalité avec les Frères musulmans d’Al-Islah donnent indéniablement une coloration confessionnelle au conflit. Le Nord incarne l’identité zaydite et, à rebours d’une logique historique de convergence religieuse, le zaydisme est entré dans une dynamique de rejet du sunnisme dominant au Yémen mais minoritaire autour de Sanaa. L’assassinat de l’intellectuel houthiste Abdel Karim Al-Khaywani le 18 mars 2015, puis deux jours plus tard l’attentat contre les deux mosquées zaydites à Sanaa ayant fait plus de 150 morts renforcent cette polarisation confessionnelle qui semble de plus en plus en mesure de mobiliser. La revendication des attentats par l’organisation de l’État islamique (OEI), jusque-là inactive au Yémen, illustre une dynamique dévastatrice. Pour leur part, les avancées houthistes dans les régions sunnites de l’ex-Yémen du Nord, Taëz en particulier et dorénavant Aden, produisent un profond ressentiment.

    De l’autre côté, au Sud, la population est exclusivement sunnite. Hadi lui-même pouvait espérer apparaître comme une incarnation de cette identité qui se cristallise autour d’un rejet de la rébellion houthiste et donc du chiisme mais aussi du Nord. Il reste que le principal rempart de l’avancée des houthistes est Al-Qaida dans la Péninsule arabique (AQPA) qui s’allie avec les tribus des zones frontalières entre Nord et Sud à Al-Baida, Al-Dhala ou dans le Yafea. Dans ce cadre, l’anti-houthisme, transformé en anti-chiisme, est un puissant ciment. Toutefois, il n’efface pas les divisions internes à chaque camp.

    Chaque camp divisé

    L’option choisie par Hadi a conduit, in fine, à affirmer l’idée d’une rupture politique que les sudistes réclamaient depuis plusieurs années : Sanaa et ses environs, sous la coupe des houthistes, se voient déconnectés du reste du pays et même isolés, Iran mis à part, du reste du monde. Il n’est toutefois pas certain que cette fragmentation produise réellement ce que les sécessionnistes sudistes en attendaient. En effet, elle vient directement souligner les divisions internes au mouvement sudiste.

    Les houthistes se sont engouffrés dans la brèche en annonçant avoir offert à Ali Salim Al-Bidh un passeport diplomatique qui permettrait à ce leader sécessionniste et ancien président du Yémen du Sud de revenir dans son pays après plus de deux décennies d’exil. L’alliance objective qui se nouait entre Hadi et les groupes djihadistes dans leur lutte commune contre les avancées houthistes plaçait le premier en porte à faux vis-à-vis de la communauté internationale qui le soutient. Les logiques régionales au Sud jouaient également à plein. Les rivalités historiques entre tribus d’Abyan et celles d’Al-Dhala et Lahj (au nord d’Aden) fracturent le Sud. Le Hadramaout, province orientale du Sud, semble s’appuyer sur ses connexions marchandes dans le Golfe pour prendre un chemin différent. Les Hadramis sont en tout cas peu concernés par ce qui se joue entre Sanaa et Aden. Dans ce contexte, une démission de Hadi et son départ d’Aden étaient inévitables.

    Le camp des houthistes, soudé par une volonté de revanche à l’égard des islamistes sunnites et de leurs alliés, n’est pas lui-même exempt de divisions internes. Le succès militaire de la milice zaydite ne peut se comprendre qu’à la lumière de l’intégration dans celle-ci de pans entiers des forces de sécurité restée loyales à l’ancien président. L’alliance entre Saleh, lui même d’origine zaydite, et les houthistes est certes fonctionnelle mais elle est difficilement pérenne entre deux anciens ennemis qui, de plus, sont engagés dans des stratégies différentes.

    Le chaos profite à Saleh qui, depuis sa résidence à Sanaa, donne des ordres. La fragmentation ambiante, qui débouche sur une lassitude des citoyens face au désordre qu’a produit la «  révolution  » pourrait bien imposer le retour en force de ses réseaux, à travers son fils Ahmed Ali, ancien dirigeant de la garde républicaine. Depuis son poste d’ambassadeur du Yémen à Abou Dhabi où il a été nommé en 2012, ce dernier est en mesure d’établir des connexions fondamentales avec des acteurs régionaux qui comptent — les Emirats arabes unis mais aussi l’Arabie saoudite — et ainsi apparaître en tant que recours.

    Les houthistes pour leur part expriment un antagonisme clair à l’égard des Saoudiens qu’ils ont récemment menacés. Leur objectif passe par le contrôle de ressources naturelles, notamment dans la région pétrolière de Marib où ils sont confrontés à la résistance de tribus (pas nécessairement d’origine sunnite). La stratégie houthiste s’incarne surtout dans une lutte frontale contre les groupes djihadistes sunnites proches d’Al-Qaida, ou aujourd’hui se revendiquant de l’État islamique. Tout le problème réside dans le fait que chacune des avancées houthistes renforce en réaction la solidarité sunnite selon une logique perverse et auto-réalisatrice. La volonté apparente des houthistes de s’inspirer de l’expérience du Hezbollah libanais et de l’État iranien se serait probablement accommodée d’une assise territoriale limitée et d’une cohabitation avec d’autres forces politiques qui lui auraient servi de paravent mais aussi d’interface avec la communauté internationale. Les événements récents en ont décidé autrement…sans doute pour le pire.

    Mise à jour le 26 mars à 9h30 : L’Arabie saoudite a pris la tête le 25 mars 2015 au soir d’une coalition de dix pays incluant les autres membres du Conseil de Coopération du Golfe (Oman excepté), l’Égypte, le Pakistan, la Jordanie, le Soudan (qui avait pourtant été accusé d’avoir transféré de l’armement aux houthistes) et la Turquie en vue de défendre le "gouvernement légitime" Abd Rabbo Mansour Hadi. Le rôle opérationnel des différents pays membres reste à définir. Des bombardements saoudiens ont visé différentes cibles militaires houthistes ou tenues par leurs alliés, notamment des proches d’Ali Abdallah Saleh. Plusieurs leaders militaires de la rébellion auraient été tués. Les États-Unis ont annoncé apporter un soutien logistique à ces frappes. Une intervention au sol pourrait se profiler. Une telle stratégie de la part des puissances régionales apparait comme largement contre-productive. Elle n’est aucunement en mesure de relégitimer Hadi qui apparaitra, y compris auprès d’une large part de la population du Sud, comme celui qui a appelé à une intervention étrangère au mépris de la souveraineté du pays. Elle produira inévitablement un rassemblement des populations autour des houthistes. L’anti-saoudisme de la population et les souvenirs amers de l’intervention égyptienne dans les années 1960 (qui s’était soldée par une déroute de l’armée de Gamal Abdell Nasser) risquent par ailleurs de produire un réflexe nationaliste et une polarisation de plus en plus forte tant confessionnelle que régionale. La stratégie univoque et simpliste des puissances régionales apparaît comme symptomatique de leur perte de repères au Yémen. Elle peut également sans doute être percue à l’aune des discussions sur le nucléaire iranien. Si certains prédisaient qu’Israël chercherait à torpiller l’accord sur le nucléaire iranien en lançant une guerre contre le Hezbollah libanais afin de précipiter l’Iran dans le conflit, ce pourrait bien être au final l’Arabie saoudite qui jouerait les Cassandre en s’étant attaqué frontalement aux houthistes.

    Laurent Bonnefoy Article mis à jour le 26 mars