Yemen - Page 2
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Nouveautés sur "Amnesty International"
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Symptômes morbides (Actes Sud)
Trois ans après Le peuple veut. Une exploration radicale du soulèvement arabe, Gilbert Achcar analyse le blocage du processus révolutionnaire déclenché en 2010 et le contre-choc régional.
En Syrie d’abord, il montre comment le soulèvement populaire a été noyé dans les conflits régionaux et souligne l’écrasante responsabilité internationale dans le désastre, qu’il s’agisse des alliés du régime ou de Washington.La consolidation des assises du pouvoir et la montée d’un djihadisme dont Daech est le prototype le plus spectaculaire ont contracté l’espace dans lequel s’exprimaient les revendications populaires et imposé l’image d’un pays pris entre deux barbaries. L’intervention militaire russe, épaulant l’offensive terrestre du régime et des milices pro-iraniennes, a rétréci davantage cet espace.
En Égypte ensuite, le coup d’État du général Sissi, tirant profit de la gestion calamiteuse par les Frères musulmans de leur victoire électorale, a réinstallé au pouvoir les forces dominantes sous Moubarak. L’armée, la police et les services de renseignement prennent leur revanche en réprimant les révolutionnaires, en étouffant les libertés et en acquittant les hommes de l’ancien régime. Mégalomanie, culte de la personnalité, répression de plus en plus féroce, néolibéralisme économique forcené, les ingrédients d’une crise future s’accumulent.
L’auteur conclut par une réflexion sur les guerres civiles en Libye et au Yémen, sur le compromis tunisien et une évaluation sans complaisance de la situation de la gauche dans le monde arabe.
Gilbert Achcar
Vendredi 03 février 19h
Librairie l'Arbre à Lettres Bastille
62, rue du Fb. Saint-Antoine
75012 Paris
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Yémen. Les hôpitaux et personnels de santé sont attaqués par les forces anti-Houthis à Taizz (Amnesty)
Les forces hostiles aux Houthis dans la ville de Taizz (sud du Yémen) mènent une campagne de harcèlement et d’intimidation contre le personnel hospitalier et mettent les civils en danger en postant des combattants et établissant des positions militaires près de centres médicaux, a déclaré Amnesty International mercredi 23 novembre.
Lors d’une mission à Taizz ce mois-ci, des délégués de l’organisation se sont entretenus avec 15 médecins, ainsi qu’avec d’autres professionnels de la santé, qui ont expliqué que les forces armées anti-Houthis les ont régulièrement harcelés, arrêtés, voire menacés de mort ces six derniers mois.
« Certains éléments convaincants montrent que les forces anti-Houthis mènent une campagne de peur et d’intimidation contre les professionnels de la santé à Taizz. En postant des combattants et en établissant des positions militaires près de centres médicaux, elles compromettent la sécurité d’hôpitaux et font fi de l’obligation qui leur est faite, aux termes du droit international, de protéger les civils », a déclaré Philip Luther, directeur des recherches et des actions de plaidoyer pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International.
« Il est impossible de justifier le fait de harceler des professionnels de la santé ou d’empêcher des médecins d’accomplir leur travail vital. Prendre pour cible des établissements médicaux ou des professionnels de la santé est interdit par le droit international, et ces agissements pourrait constituer des crimes de guerre. »
Les forces anti-Houthis, aussi connues sous le nom de forces de la Résistance populaire, sont alliées au président Abd Rabbu Mansour Hadi et à la coalition militaire dirigée par l’Arabie saoudite.
Fermeture d’hôpitaux
Dans au moins trois cas, des hôpitaux ont été fermés à cause de menaces proférées contre leurs personnels. Dans le cas le plus récent, lundi 21 novembre, une faction des forces anti-Houthis a effectué une descente à l’hôpital al Thawra, le plus grand hôpital public de Taizz, en représailles semble-t-il contre le fait que des membres du personnel hospitalier aient prodigué des soins d’urgence à trois combattants houthis blessés.
Selon les témoins, trois hommes armés ont fait irruption dans un bureau de l’hôpital et menacé de tuer le personnel médical si l’établissement ne fermait pas immédiatement. Ils ont aussi essayé de traîner les deux combattants houthis ayant survécu hors de l’unité des soins intensifs et de la salle de réveil, mais en ont été empêchés par le personnel. Le troisième combattant houthi avait succombé alors qu’il recevait des soins. Cet hôpital ne fonctionne plus que partiellement à l’heure actuelle, ne fournissant que des services d’urgence et de dialyse, malgré la reprise de combats nourris depuis la première semaine de novembre.
« La possibilité pour les blessés - civils ou combattants - d’être secourus et soignés est un principe fondamental du droit international humanitaire. Il est choquant et inacceptable que les forces anti-Houthis s’en prennent au personnel médical parce qu’il fait son travail », a déclaré Philip Luther.
Les personnels médicaux menacés
Plusieurs des médecins ont déclaré à Amnesty International que le chaos qui s’est emparé de Taizz a créé un vide sécuritaire les exposant à un danger accru face aux forces anti-Houthis, qui essaient d’exercer le contrôle dans les hôpitaux.
Un membre du personnel administratif a décrit les forces anti-Houthis comme « l’autorité de fait ». Il a déclaré qu’elles viennent souvent à l’hôpital pour demander que des combattants présentant des blessures de guerre soient soignés. Des médecins ont signalé à Amnesty International que si des combattants anti-Houthis ne sont pas acceptés à l’hôpital en raison d’un manque de place, ils deviennent violents ou insultants. Dans d’autres cas, des professionnels de santé ont indiqué que des médecins ont été forcés à faire leur travail sous la menace d’une arme.
Selon un docteur de l’hôpital al Jamhouri ayant parlé à Amnesty International, un homme a ouvert le feu à l’intérieur de l’hôpital après avoir appris que son fils, un combattant anti-Houthis présentant une blessure mineure à la jambe, n’avait pas besoin de recevoir de soins d’urgence et qu’un infirmier pouvait s’occuper de lui. Il a blessé des professionnels de santé et tué un patient.
Des membres du personnel hospitalier ont également indiqué que les hommes armés refusaient de laisser leurs armes dehors et causaient généralement des problèmes à l’intérieur, en insultant les médecins et en ayant des altercations physiques avec le personnel.
« À des centaines de reprises, [des combattants anti-Houthis] nous ont menacés et ont entravé le fonctionnement de l’hôpital et notre prise de décisions. Lorsque nous nous élevons contre eux, ils menacent de nous tuer », a déclaré un employé administratif placé en détention avec un médecin par des hommes armés après avoir essayé de les empêcher de s’ingérer dans les affaires de l’hôpital.
Le personnel de l’hôpital al Thawra a par ailleurs déclaré que les forces anti-Houthis ont détourné leur alimentation électrique pour leur utilisation personnelle, perturbant l’approvisionnement en électricité de certains services essentiels.
Dans d’autres cas, des combattants ont exigé des médicaments et des fournitures, et confisqué certains équipements dans les hôpitaux.
Des positions militaires proches d’hôpitaux
Le personnel de l’hôpital al Thawra a déclaré à Amnesty International que des combattants ont établi des positions défensives, notamment en garant des tanks autour de l’établissement, ignorant les demandes du personnel et des autorités locales visant à les en dissuader. Tout cela expose des bâtiments hospitaliers, des professionnels de la santé et des patients à un risque grave d’attaques en représailles de la part des Houthis.
Le directeur d’al Thawra a déclaré que les agents de sécurité de l’hôpital n’étaient pas en mesure de s’opposer aux membres des forces armés :
« On compte des dizaines d’hommes armés à l’intérieur de l’hôpital. Est-ce que je dirige un hôpital ou un bataillon ? [...] Ces hommes armés vous créent toutes sortes d’ennuis en dehors de l’hôpital si vous refusez de les laisser entrer. »
Un médecin qui vivait et travaillait à l’hôpital jusqu’au mois de juillet a déclaré que des combattants lançaient des attaques depuis une zone située juste à côté de l’établissement au moins deux fois par semaine en moyenne.Cela se soldait en retour par de féroces attaques contre l’hôpital et ses alentours par les Houthis.
Le 28 septembre, un mortier tiré par des combattants houthis a atteint l’hôpital, endommageant ses panneaux solaires, réservoirs d’eau et canalisations, ce qui a amené l’établissement à suspendre temporairement les interventions chirurgicales.
Un médecin de l’hôpital al Jamhouri a déclaré à Amnesty International :
« Aucun projectile n’a été tiré depuis [l’intérieur] [...] Il y a trois portails avant d’atteindre l’hôpital - des hommes armés y tiennent la garde. À l’intérieur de l’hôpital, ils ont des hommes mais ils ne sont pas armés [...] Les hommes qui sont dehors ont des armes et des grenades. »
Il a également déclaré que début novembre une attaque au mortier avait endommagé le toit de l’hôpital et traversé un des étages.
« À peine 12 mètres séparaient l’endroit où il est tombé du secteur où nous travaillons », a-t-il indiqué, ajoutant qu’une cinquantaine de membres du personnel étaient présents dans la zone à ce moment-là.
« En postant des combattants et des véhicules militaires à l’intérieur et aux alentours des centres médicaux de Taizz, les forces anti-Houthis mettent en danger civils et personnels hospitaliers, portant ainsi atteinte à un principe fondamental du droit international humanitaire », a déclaré Philip Luther.
« Les parties au conflit doivent mettre un terme aux attaques ne faisant pas de distinction entre civils et cibles militaires. Elles doivent cesser d’employer de l’artillerie et des mortiers aux alentours des zones civiles, et faire tout ce qui est en leur pouvoir pour éviter de positionner des objectifs militaires près de zones densément peuplées, et en particulier des hôpitaux et des centres médicaux. »
Amnesty International a demandé à plusieurs reprises un embargo total sur les transferts d’armes susceptibles d’être utilisées par l’une des parties au conflit au Yémen. Les forces anti-Houthis sont soutenues par la coalition militaire menée par l’Arabie saoudite, qui est armée par les États-Unis et le Royaume-Uni.
L’organisation demande aussi aux autorités yéménites de renforcer la sécurité des établissements médicaux et de protéger le personnel et les patients contre les attaques.
Complément d’information
Le manquement au devoir de protéger les hôpitaux et les infrastructures civiles s’avère systématique dans le cadre du conflit au Yémen. En 2015, Amnesty International a vu des combattants des deux camps lancer des attaques depuis l’intérieur ou les alentours d’hôpitaux, et lors d’une mission en juillet 2015 a pu constater les dégâts causés à l’hôpital al Thawra par les bombardements des combattants houthis.
Aux termes du droit international humanitaire, les centres médicaux doivent bénéficier d’une protection spéciale contre les attaques, et ne doivent pas servir à des fins militaires ni être pris pour cible par les parties au conflit. Ils ne perdent leur droit à cette protection que s’ils sont utilisés à des fins autres qu’humanitaires, pour commettre des actes nuisibles à l’ennemi.
Soigner des soldats ou combattants blessés correspond au rôle humanitaire que doivent remplir les hôpitaux, et les établissements médicaux ne doivent jamais être attaqués pour cela. Même si un hôpital est utilisé à mauvais escient pour mener des attaques contre l’ennemi, il convient d’émettre une mise en garde préalable, accordant un délai raisonnable, et l’attaque ne peut avoir lieu que si l’avertissement n’a pas été pris en considération.
Amnesty International a recueilli des informations sur des attaques illégales, y compris des crimes de guerre, commises par toutes les parties au conflit. Lors de leur mission dans l’est de Taizz en novembre 2016, des délégués de l’organisation ont parlé à des témoins - notamment à des professionnels de la santé - et à des victimes d’une attaque lancée par les forces anti-Houthis début octobre ayant visé un marché local connu sous le nom de Sofitel, dans une zone contrôlée par les Houthis. L’attaque a fait au moins trois morts et quatre blessés parmi la population civile.
23 novembre 2016
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Chef de mission au Yémen pour Médecins sans frontières, Hassan Boucenine dénonce l’inaction de la communauté internationale dans le pays, ravagé par un an et demi de guerre.
Fin août, l’Organisation des Nations unies a revu à la hausse son bilan humain de la guerre qui oppose, au Yémen, le président en exil, Abd Rabbo Mansour Hadi, soutenu par une coalition arabe dirigée par l’Arabie saoudite, aux rebelles houthistes, partisans de l’ancien chef de l’Etat, Ali Abdallah Saleh. Au moins 10 000 personnes ont perdu la vie dans le conflit, assurait l’ONU. Chef de mission au Yémen pour Médecins sans frontières, Hassan Boucenine a passé dix-sept mois dans le pays, où il coordonnait l’aide humanitaire de l’ONG dans un pays ravagé par un an et demi de guerre.
Depuis l’échec des dernières négociations, les combats et les bombardements ont repris dans le pays début août. Quelle est la situation humanitaire du pays aujourd’hui ?
Quatre ou six semaines après l’arrêt des négociations à Koweït, les hostilités ont repris avec une intensité violente, tant par les bombardements que par les combats urbains, comme à Taiz. Non seulement l’intensité est très haute mais cela survient après un an et demi de conflit, le pays est épuisé, et la structure de santé publique n’existe plus.
L’ONU parle aujourd’hui de 10 000 morts dus au conflit.
Les morts dus à la violence directe et aux combats, à la guerre, c’est une chose, mais quand le système de santé publique s’écroule, il y a nombre de morts invisibles. La plupart des hôpitaux ont fermé, et dans ceux qui sont encore ouverts, les médicaments ne sont pas disponibles, ou très peu. Il y a des pans entiers de services qui ne fonctionnent plus.
Un couple avec une femme enceinte qui a besoin d’une césarienne, par exemple, va partir au dernier moment, faire une longue distance pour arriver à un hôpital. Très souvent les patients arrivent dans un état irrécupérable. Beaucoup trop tard. Et on va perdre la maman, ou l’enfant, ou les deux.
Ce sont des morts qui ne sont pas comptés. Comme ceux qui vont mourir d’une insuffisance cardiaque parce qu’ils n’ont pas les médicaments qu’ils prennent habituellement, etc. Il y a également des morts dus à la malnutrition, parce que dans plusieurs endroits du pays les gens sont mal nourris et contractent plus facilement des infections.
L’impact sur la démographie de cette guerre et l’effet sur la pyramide des âges vont se faire ressentir dans les années à venir. Nous étions dans une catastrophe humanitaire l’année dernière, aujourd’hui c’est hors échelle.
Un hôpital soutenu par MSF a subi cet été un bombardement meurtrier de la coalition saoudienne. Quelles sont les zones où MSF est actif au Yémen, et celles qui lui sont inaccessibles ?
Jusqu’au dernier bombardement d’un de nos hôpitaux qui était dans le gouvernorat de Hajjah, nous étions présents dans la large majorité du pays, Nord et Sud, malgré les difficultés évidentes de sécurité, et nous avons été forcés et contraints de prendre la décision de retirer nos équipes internationales du gouvernorat de Hajjah et de Saada, tout au nord, après quatre destructions directes de nos infrastructures par la coalition saoudienne. Mais nous soutenons toujours les hôpitaux.
Nous sommes prêts à prendre des risques, mais la sécurité de nos équipes est une chose que nous prenons très sérieusement. Il y a des limites à ne pas dépasser, on ne va pas se mettre sous les bombes sciemment.
Je ne pense pas qu’il soit impossible pour les Etats-Unis, qui soutiennent l’Arabie saoudite et sont responsables de la coordination des opérations aériennes, de faire en sorte qu’il y ait deux cents ou trois cents endroits qu’on ne cible pas. Je pense que si ce n’est pas fait c’est parce qu’on s’en fiche et que de toute façon il n’y a aucune conséquence. C’est la mort du droit international.
Quelles sont aujourd’hui les responsabilités de chaque partie dans ces violations du droit international que vous dénoncez ?
La coalition saoudienne dispose d’une puissance de feu massive, jamais vue ailleurs. Ils bombardent massivement. Nous, nous soutenons beaucoup d’hôpitaux et nous nous faisons bombarder par les Saoudiens.
Les houthistes ont beaucoup moins de puissance de feu et pas d’aviation. Mais nous avons des soucis sur les lignes de front : à Aden pendant le siège de la ville, et à Taiz aujourd’hui qui est sous le feu constant de l’artillerie houthiste, et où les deux parties se battent au milieu de zones résidentielles, à côté d’hôpitaux et d’écoles.
A quel point le pays est-il morcelé ?
Il y a une perte de contrôle total. Dans le Sud la situation est quasiment hors de contrôle. Au Nord ça tient encore, mais sans une manne financière qui permet d’acheter les forces en présence cela ne durera pas longtemps, donc on va vers un éclatement du pays.
Si on laisse le pays se morceler, la situation qui est celle d’Aden aujourd’hui – éclatement des forces en présence, taux d’insécurité élevé – va être dupliquée dans tout le pays. Le pire scénario, c’est une perte de contrôle et une fragmentation totale du pays, avec des baronnies et milices locales qui gèrent leur district et leur gouvernorat, et une insécurité totale et permanente : assassinats, voitures explosives, attentats-suicides, etc.
En dehors d’une réponse politique, quelles sont les mesures humanitaires les plus urgentes ?
Le plus urgent, c’est d’apporter les médicaments nécessaires, de redémarrer les structures hospitalières dignes de ce nom, et qu’il y ait d’autres organisations que Médecins sans frontières qui s’occupent des hôpitaux centraux.
On ne peut pas tenir ce système à bout de bras bien longtemps. Il faut s’assurer que les programmes d’aide à la nutrition sont mis en place, avec des gens sur place qui les suivent vraiment, ce qui n’est fait nulle part. L’Unicef envoie énormément d’aide nutritionnelle, mais personne n’est là pour faire tourner les programmes nutritionnels et ça ne marche pas.
Une sortie politique du conflit est-elle toujours possible ?
Je ne vois pas qui a intérêt à ce que cela perdure, il n’y a rien à gagner. C’est vraiment un manque de volonté de la communauté internationale. Il est temps d’avoir une administration de transition avec au moins les deux parties en présence et que la communauté internationale joue son rôle. Il y a un abandon total.
Plus nous laisserons passer le temps et plus on va se diriger vers une guerre d’attrition et moins il sera possible de faire la paix. Aujourd’hui, c’est encore possible parce que le pays n’a pas implosé, il y a une résilience extraordinaire du peuple yéménite.
Sans l’intervention directe ou indirecte des Etats-Unis et de la Russie, je ne vois pas comment cela peut se régler. Les deux camps sont dans une impasse. Donc il faut que la communauté internationale pousse les deux parties à accepter un accord. Il n’est pas encore trop tard pour faire la paix.
Si on loupe le coche entre maintenant et la fin de l’année il ne faudra pas se plaindre que le Yémen soit irrécupérable pour les cinq à dix prochaines années. Et les conséquences se feront sentir jusqu’en Europe. On a vu ce qu’il s’est passé en Irak et en Syrie. Si on veut le même scénario on en prend la route. Il est encore temps d’agir, mais la fin de l’année c’est demain.
Le Monde 24 septembre 2016
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En 2011, le Che ...
Après une accalmie pendant les négociations de paix de Koweït, le conflit au Yémen a repris de plus belle.
Les bavures de la coalition emmenée par l’Arabie saoudite se multiplient et la communauté internationale accroît, bien qu’encore timidement, la pression sur celle-ci. Les États-Unis réduisent leur coopération avec Riyad, alors que les Russes s’impliquent dans une guerre qu’ils ont longtemps négligée. Parallèlement, les parties yéménites en conflit tentent d’avancer leurs pions, chacun cherchant à affirmer sa légitimité.
Le 6 août 2016, l’envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies, Ismaïl Ould Cheikh Ahmed a annoncé la fin du cycle de pourparlers de paix sur le Yémen. Ces négociations avaient débuté le 21 avril 2016, après deux premières sessions en Suisse. Malgré la longueur de ce troisième round et la grande variété des questions et des propositions avancées par les délégations, aucun accord n’a été conclu. L’envoyé spécial a promis de nouvelles négociations, sans qu’une date ait été convenue. En même temps, les deux parties au conflit, le gouvernement du président Abd Rabbo Mansour Hadi et l’alliance entre les houthistes et l’ex-président Ali Abdallah Saleh ont chacune laissé entrevoir les actions qui leur garantiront, espèrent-elles, une meilleure position dans le prochain round.
Étrangler l’alliance houthistes/Saleh
Le gouvernement Hadi devrait agir sur deux fronts : militaire et économique. Les forces du gouvernement et leurs alliés tribaux ont lancé une nouvelle offensive1 sur le front de Nihm (à l’est de la capitale Sanaa). En outre, peu de temps après la fin des négociations au Koweït, le porte-parole de la coalition menée par l’Arabie saoudite a annoncé une relance de son opération « Restaurer l’espoir »2. En plus du front de Nihm, on s’attend à ce que les forces gouvernementales et leurs alliés, soutenus par la coalition, tentent de progresser sur le front de Marib et de Midi, (voir ce rapport de Chatham house pour comprendre ces différents fronts).
- Les lignes de front en avril 2016
- In Peter Salisbury, « Yemen : Stemming the Rise of a Chaos State », Chatham House, mai 2016.
2016 بيتر ساليزبيري، شاتام هاوس،أيار/ مايو
Sur le plan économique, le gouvernement et les pays de la coalition vont essayer d’étrangler l’alliance houthistes/Saleh en augmentant la pression sur l’accès à leurs ressources financières. La Banque centrale du Yémen (BCY), qui reste basée dans la capitale Sanaa — contrôlée par l’alliance houthistes/Saleh — a réussi à éviter l’effondrement total de l’économie en gardant sa neutralité et son indépendance vis-à-vis des belligérants, et en continuant à verser les traitements des fonctionnaires, y compris ceux des militaires sans se préoccuper de savoir de quel côté ces derniers combattent3. Après de nombreuses menaces de « relocaliser » la Banque, et malgré l’opposition de la communauté internationale à toute initiative mettant en danger l’indépendance de la BCY, le gouvernement d’Abd Rabbo Mansour Hadi a envoyé le 30 juin une lettre officielle au Fonds monétaire international (FMI). Il lui demande de geler les réserves du Yémen et de cesser d’accepter la signature du gouverneur et du gouverneur adjoint actuels de la BCY. Après que la lettre a « fuité » dans la presse, et à quelques heures de la cérémonie de clôture des pourparlers du Koweït, le gouvernement Hadi a déclaré à l’agence de presse officielle Saba news Agency qu’il avait non seulement écrit au FMI, mais aussi à toutes les banques et institutions financières, pour leur demander la même chose. Les mandats du gouverneur et du gouverneur adjoint expirent en août 2017. Toutefois le mandat des trois autres membres du conseil des gouverneurs prend fin en ce mois d’août 2016, et le gouvernement Hadi a fait savoir clairement son intention de remplacer les membres actuels par d’autres plus loyaux, favorables à une position anti-houthistes/Saleh.
Face au tarissement rapide des réserves yéménites, les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) ont fait savoir qu’ils n’avaient aucune intention d’injecter des fonds dans la Banque centrale pour sauver l’économie de l’effondrement. Le gouvernement Hadi et la coalition saoudienne semblent vouloir mettre ainsi la pression sur l’alliance houthistes/Saleh. Ils espèrent que ces derniers ne pourront plus payer les salaires du secteur public, entraînant la chute de l’économie et le mécontentement populaire.
Le « Conseil politique suprême » de l’opposition
L’opposition agira pour sa part sur le front politique et sur le front militaire. Sur le front militaire, elle a lancé une offensive en profondeur dans les zones rurales du gouvernorat de Taëz4, en bordure de celui de Lahej, pour tenter de prendre le contrôle de la dernière route logistique connectant Taëz au sud. En outre, l’alliance déploie de nouvelles forces sur le front de Marib, tout en essayant de tenir ses positions sur les fronts d’Al Jawf, Shabwa et Al-Bayda.
L’alliance houthistes/Saleh a également redonné le nom de Garde républicaine à l’unité d’élite que Hadi avait rebaptisée « forces de réserve ». Cette troupe recevra des financements supplémentaires pour mieux la préparer au combat. L’initiative est symbolique, cependant le message est clair : les anciennes structures du temps de Saleh vont être réorganisées afin de prendre part à la guerre.
Plus important sans doute, l’alliance houthistes/Saleh devrait prendre des initiatives politiques importantes. Elle a commencé en annonçant la création d’un Conseil politique suprême de dix membres, issus du Congrès général du peuple (CGP, le parti de Saleh) et des houthistes. Après avoir nommé les membres de ce conseil le 6 août dernier, le jour même de la fin des négociations, l’alliance prépare un certain nombre de mesures. En premier lieu, l’installation du Conseil suspend de facto la déclaration constitutionnelle des houthistes de février 2015, ainsi que le comité révolutionnaire suprême installé alors dans la foulée. Le texte créant le Conseil précise qu’il travaillera selon la Constitution, une façon de contester la légitimité de Hadi et de son gouvernement. La prochaine étape sera de convoquer une session du parlement.
Finalement, le nouveau Conseil politique suprême pourrait désigner son propre conseil des gouverneurs de la Banque centrale, dans le but d’annuler toute nomination de la part de Hadi. Si chacune des deux parties nomme son propre conseil d’administration, on assistera à la création de deux banques centrales, comme en Libye.
Le plan B de La communauté internationale
Jusqu’ici la communauté internationale est restée unie dans son approche de la situation au Yémen, soutenant sans équivoque le gouvernement Hadi et les efforts déployés par l’envoyé spécial de l’ONU pour aboutir à un accord de paix. Toutefois en l’absence de succès des négociations, la pression monte pour rechercher un « plan B »5 . Celui dont on parle le plus consisterait à abandonner l’idée d’un accord de paix national et de commencer à travailler avec des forces locales dans les différentes régions du Yémen, pour établir la sécurité et la stabilité partout où c’est possible. Le point de départ le plus vraisemblable est l’Hadramout, où les États-Unis par exemple envisagent de créer, en partenariat avec les Émirats arabes unis, un modèle de règlement qui devrait réussir, car il serait soutenu par les communautés tribales et d’affaires de la région. Mais contrairement à une éventuelle présence militaire et à une influence émiratie ou saoudienne dans l’Hadramout ou à Aden, qui ne rencontrerait pas d’opposition sur le plan international, toute initiative unilatérale d’une grande puissance pour établir son influence dans toute région du Yémen ouvrira la porte à d’autres grandes puissances qui chercheront alors à exercer leur propre influence dans d’autres régions (en premier lieu la Russie, qui soutiendrait l’alliance houthistes/Saleh au nord).
Les deux belligérants savent qu’ils ne peuvent obtenir une victoire totale d’ici le prochain cycle de pourparlers. Il est déchirant de savoir que des centaines — sinon des milliers de vies seront perdues entre-temps — simplement pour s’assurer une position légèrement plus favorable à la table des négociations.
Orient XXI Rafat Al-Akhali 23 août 2016