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Durant la dernière décennie, et depuis plus longtemps encore, les Houthis ont fait les gros titres depuis leur soulèvement contre le gouvernement du Yémen.
Depuis 2004, les forces armées gouvernementales se sont battues contre cette milice tribale du nord du pays, qui dit se défendre de l’oppression.
Ce conflit long d’une décennie s’est envenimé ces derniers mois quand les Houthis n’ont pas respecté leur partie d’un accord appelé « Accord de paix et de partenariat national » et ont pénétré dans la capitale, Sana’a. Aujourd’hui, alors que l’Arabie saoudite a lancé une offensive militaire au Yémen pour repousser les Houthis, l’attention des médias s’est tournée vers la situation au Yémen.
Les Houthis ont pris des villes telle qu’Amran et ont avancé vers Sana’a, violant leurs engagements pris lors de l’Accord national, où ils ont occupé les ministères et le palais présidentiel, retenant le président Hadi en otage, aux arrêts dans la résidence présidentielle.
Chiites contre Sunnites ?
Avec d’un côté l’Iran, à majorité chiite, soutenant les Houthis, tandis que l’Arabie saoudite, à majorité sunnite, les bombardent, les médias ont adopté une vue simpliste d’un conflit qui se réduirait à des conflits inter-religieux entre les deux plus grandes communautés de l’islam. Jusqu’à la chaine en ligne, AJ+, qui a décrit les Houthis comme étant chiites.
La réalité est cependant plus complexe que 42 secondes de reportage peuvent le laisser croire.
Tous les Houthis ne sont pas chiites
Houthi était à l’origine le nom d’un clan du Yémen, et non d’une appartenance ou mouvance religieuse.
Plus tard, un mouvement rebelle armé, appelé Ansar Allah (signifiant les aides de Dieu ou les soutiens de Dieu), ont adopté ce nom, d’après leur fondateur et principal leader Hussein Badreddin al-Houthi, tué en 2004, ce qui a d’une certaine façon provoqué ce qui a été appelé le « soulèvement des Houthis’.
Des controverses existent sur leur nombre effectif ou sur l’origine des personnes qui se battent à leurs côtés.
La blogueuse yéménite Atiaf Al Wazir dans un post titré “Ce n’est pas un conflit entre sunnites et chiites, idiot !” souligne que tous les Houthis n’appartiennent pas aux Zaïdites, une mouvance de l’islam chiite, comme on a pu le dire.
Bien qu’aucune statistique n’ait été faite sur la composition de Ansarullah, couramment connu sous le nom de Houthis, on pense que beaucoup de leurs membres sont zaïdites, mais qu’ils proviennent également de différentes écoles de pensée chiites et sunnites, ainsi que des Ismaïlites, Shafi’i et Jaafari.
Beaucoup de tribus sunnites et de soldats ont également rejoint les Houthis pour combattre à leurs côtés. Des dirigeants de premier plan comme Saad Bin Aqeel, un moufti de la ville de Taiz, sont parmi les leaders des Houthis : il a fait le prêche du vendredi durant l’un de leurs sit-ins, avant leur avance dans la capitale.
Badreddin al-Houthi, mort en 2004, appartenait aux Zaïdites. Tout comme l’ancien président yéménite Ali Abdullah Saleh, au pouvoir quand les Houthis se sont soulevés pour la première fois en 2004. Al Wazir précise aussi que “tous les Zaidïtes ne sont pas Houthis. La position d’érudits zaïdites et de leurs centres d’études religieuses diverge.”
Qu’est-ce que le zaïdisme ?
Le journaliste britannique-yéménite Abubakr al-Shamahi explique plus en détails ce qu’est le zaïdisme.
“Le zaïdisme (de Zaydiyyah) est une école de pensée au sein de l’islam chiite. Il tient son nom de l’Imam zaïdite Bin Ali, tué dans un soulèvement contre les Omeyyades. Bien qu’il ait été pratiqué autrefois dans des endroits comme l’Iran et l’Afrique du Nord, on trouve aujourd’hui des zaïdites en nombre important uniquement au Yémen.Un imamat zaïdite a gouverné de nombreuses régions du nord du Yémen pendant 1000 ans, jusqu’au dernier Imam, renversé en 1962.
Traditionnellement, des endroits comme Sana’a, Dhamar, Hajja et Amran sont zaïdites, et le cœur du zaïdisme se trouve dans la région de Saada. Un dicton se référant aux zaïdites dit qu’ils sont ‘les sunnites des chiites, et les chiites des sunnites’, indiquant par là qu’il n’y a pas une énorme différence de doctrine entre les zaïdites et les sunnites (ou du moins, c’est ainsi qu’ils sont perçus).”
Arab News Blog donne davantage de contexte, sur la proximité du zaïdisme et du sunnisme.
“Ils sont appelés en anglais les ‘Fivers’ (cinq) parce qu’ils reconnaissent les quatre premiers imams reconnus par les duodécimains et les Ismaéliens ainsi que Zayd comme le successeur légitime de son père ‘Ali Zayn al-Abidin, tandis que d’autres groupes reconnaissent son frère Muhammad al-Baqir.
Ils n’exigent pas que tous les imams légitimes descendent de Zayd. En fait, la doctrine de l’Imamat zaïdite diffère énormément de celles des autres chiites.
L’école juridique zaïdite est très similaire à celle d’Abou Hanifa dans le sunnisme, et certains ont décrit la loi zaïdite comme une cinquième école’ du sunnisme (sauf pour la doctrine de l’Imamat).”
Tribus, ou mouvances religieuses ?
L’ancien président Ali Abdullah Saleh, contre lequel la rebellion des Houthis a commencé, appartient à une tribu appelée Al Ahmar. La tribu Al Ahmar compte parmi ses membres des chiites et des sunnites. Ceci dit, feu l’ex-leader des Houthis Badreddin al-Houthi comme le président Saleh sont techniquement des chiites. Ce qui signifie que les conflits tribaux ont beaucoup à voir avec ce conflit. Michael Collins Dunn, rédacteur en chef du Middle East Journal, explique sur son blog :
Le Président Ali Abdullah Salih est lui-même zaïdite, comme l’est une partie importante de sa base de partisans. Il vient d’une petite tribu de la plus grande confédération tribale, le Hached. Le Hached et l’autre grande confédération zaïdite, le Bakil, étaient désignées comme les “ailes de l’Imamat”, quand les imams zaïdites statuaient encore dans ce qui était alors le Yémen du Nord.
Al-Shamahi semble aller lui aussi dans ce sens :
“D’abord, les al-Ahmars sont traditionnellement zaïdites, comme les Houthis. Je ne peux pas garantir la confession religieuse de chaque Ahmar individuellement, mais je dirais que beaucoup de leurs combattants tribaux s’identifieraient, tout au moins vaguement, comme zaïdites. Ali Abdullah Saleh, qui a fait six guerres contre les Houthis, était aussi zaïdite. Donc, s’agit-il d’un conflit entre zaïdites ? D’une guerre civile entre zaidïtes ?”
Al Wazir explique :
“[...] si c’était un problème religieux, le président Saleh (qui est techniquement zaïdite) n’aurait pas fait six guerres contre les Houthis entre 2004 et 2010. Il semble que les anciens ennemis aient forgé une alliance temporaire. Ceci indique que ces conflits sont de nature politique.”
Al Wazir fait allusion au fait que l’ex président Saleh, qui a été démis après plus de trois décennies au pouvoir durant la révolution de 2011 au Yémen, est soupçonné d’appuyer ses anciens adversaires dans leur campagne pour renverser le gouvernement actuel.
Il se trouve que Al-Houthi a des liens personnels avec la République islamique d’Iran, ce qui a rajouté un angle religieux au conflit au Yémen.
En résumé...
Voici ce que l’on peut retenir. Une partie du conflit au Yémen est un conflit entre les Houthis, une tribu et non une mouvance religieuse, et la tribu Ahmar. Les deux comprennent des membres et alliés sunnites tout comme chiites.
Deux des dirigeants de premier plan de ces tribus sont chiites, la différence étant que l’un a des liens étroits avec l’Iran tandis que l’autre a des liens étroits avec l’Arabie saoudite.
Idéologiquement, les chiites du Yémen sont plus proches du sunnisme d’Arabie que du chiisme iranien.
Aujourd’hui, l’ex président Saleh et les Houthis dirigés par Abdul-Malik al-Houthi semblent agir d’un commun accord, ce qui fait apparaitre des alliances entre différentes tribus et obédiences religieuses, pour le moment.
Et pour le moment, le sang des Yéménites, de toutes confessions et tribus, coule.
http://rue89.nouvelobs.com/2015/04/11/non-tous-les-houthis-yemen-sont-chiites-autres-erreurs-258615