Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • « On assiste aujourd’hui à une montée de grèves et de luttes urbaines »(PST)

    Membre de la direction nationale du Parti des travailleurs socialistes, Nadir Djermoune revient sur la situation sociale et politique en Algérie aujourd’hui.

    Quels sont les effets de la crise sur la prétendue politique d’industrialisation et d’intégration dans le marché mondial de l’État algérien ? L’effet des privatisations ? Et quelle part y prend la bourgeoisie algérienne ?

    La politique d’industrialisation poursuivie par le pouvoir algérien est plutôt une politique de « désindustrialisation », après une politique économique centrée sur une industrie « industrialisante » menée avec beaucoup de volontarisme les premières décennies de l’indépendance. Le pouvoir, dès les années 1980, sous la présidence de Chadli Benjedid a engagé une restructuration de tout l’appareil productif tant industriel qu’agricole.

    L’offensive des libéraux dans la décennie 1990 a trouvé chez Bouteflika son homme providentiel, un « Bonaparte éclairé ». Celui-ci a mené une politique de privatisations tous azimuts avec cependant une intégration très prudente au marché mondial. Cette prudence est dictée par deux considérants. Le premier est économique : l’impérialisme vise surtout les richesses énergétiques et une sous-traitance sans condition des secteurs économiques les moins porteurs. Le deuxième est surtout social : l’équilibre acquis par la société algérienne, tout relatif par ailleurs, est historiquement attaché à la souveraineté nationale et à une protection du marché national et de ses secteurs énergétiques. Il s’avère donc difficile voire impossible d’effacer ces acquis d’un revers de main. La résistance populaire, des travailleurs, y compris des secteurs de la bourgeoisie et de la bureaucratie bourgeoise au pouvoir, a eu raison des velléités néolibérales de la présidence.

    Mais aujourd’hui, cette prudence n’a mis hors privatisation que les seuls secteurs énergétiques du pétrole et du gaz sous contrôle de la Sonatrach et de la Sonelgaz. Tous les autres secteurs sont pratiquement privatisés ou en cours de privatisation. Et l’ensemble de l’activité économique reste ainsi très dépendante des prix du pétrole, dont la baisse accentue les tensions.

    Quelles en sont les conséquences pour les travailleurs et la population ?

    Les effets de ces privatisations commencent à se faire sentir dans le monde du travail par une grande précarisation et une montée du chômage, notamment chez les jeunes et les nouveaux diplômés.

    Bien évidemment, ces privatisations enrichissent des secteurs de la grande et moyenne bourgeoisie qui devient de plus en plus agressive et offensive sur le plan politique.

    Si d’un côté, le monde du travail, les jeunes chômeurs, les étudiantEs se battent, mènent des grèves et des protestations d’une manière récurrente – avec malheureusement une grande faiblesse sur le plan de l’organisation syndicale –, le patronat en revanche exerce des pressions plus organisées, avec une forte présence au niveau médiatique et des liens forts avec les rouages du pouvoirs, avec son lot de corruption.

    Quels sont les appuis qui permettent à Bouteflika de se maintenir au pouvoir ? En particulier quel rôle joue l’armée ?

    Si Bouteflika se maintient au pouvoir malgré sa maladie et les effets néfastes de sa politique économique au niveau populaire, c’est grâce à deux faits. Une certaine aisance financière durant son mandat, ce qui lui a permit de construire et de nourrir une clientèle diversifiée, chez les petits et grands commerçants et entrepreneurs, chez les paysans, des secteurs des fonctionnaires et même chez les jeunes, avec des aides pour la création d’entreprise...

    Il a aussi réussi à neutraliser ses oppositions politiques et à verrouiller toute expression politique. De plus, le fantôme de la guerre civile des années 1990, l’insécurité régionale, lui ont facilité la tache.

    Comme au début des années 1990, la crise pourrait-elle profiter à nouveau aux forces fondamentalistes islamistes ?

    La crise des années 1990 était aiguë, sur le plan économique mais aussi politique. Elle a touché les couches populaires mais aussi les couches moyennes. La montée des islamistes a surfé sur un processus de fascisation dans la société. Aujourd’hui, la crise n’est pas si aiguë. Entre-temps, les islamistes ont été défaits politiquement, même si idéologiquement, ils restent présents dans l’espace algérien. Mais les défaites subies sur le plan militaire et politique et l’intégration des forces islamistes dans le système, notamment pour les Frères musulmans, les ont fragilisés. Ils ont perdu toute crédibilité au yeux de pans entiers de la population, notamment chez les travailleurs. Les bouleversements qui traversent la région et le monde musulman, les effets néfastes de Daesh sur la Libye ou encore l’Irak et la Syrie introduisent des méfiances pour leurs discours de la part de larges couches de la société.

    Quelles sont les perspectives, alors que le processus révolutionnaire engagé en 2011 en Tunisie se heurte à une offensive réactionnaire ?

    L’effet domino du processus révolutionnaire engagé en Tunisie n’a pas eu de répondant direct en Algérie, même si on a assisté à des protestations de rue. Mais il faut aussi noter que l’Algérie avait connu un mouvement de même ampleur en 2001. Si ce mouvement n’a pas débouché sur un changement de régime, il n’en reste pas moins qu’il est resté vif sous forme d’émeutes et de révoltes sporadiques.

    Les protestations sociales continuent. On assiste aujourd’hui à une montée de grèves et de luttes urbaines qui gagnent les catégories tels les diplômés chômeurs, les étudiants, le mouvement contre la cherté de la vie, les mouvements environnementaux, notamment concernant l’exploitation du gaz du schiste... Récemment, l’augmentation des prix de électricité et du gaz mais aussi de l’essence et ses conséquences sur le transport, ont fait sortir des gens dans la rue dans certaines régions les plus défavorisées. De son côté, le mouvement syndical tente de se réorganiser en dehors de la centrale syndicale UGTA, bureaucratisée et de plus en plus inféodée au pouvoir.

    La perspective reste aujourd’hui l’organisation de la protestation, la construction d’une résistance aux offensives des libéraux et du patronat et une politique de défense des acquis sociaux non encore démolis. Politiquement, il faut construire une convergence des luttes sur le plan démocratique, antilibéral et anti-impérialiste.

    Propos recueillis par Yvan Lemaitre

  • Les seigneurs de la guerre d’Israël tournent à nouveau leurs yeux vers Gaza (A l'Encontre.ch)

     

    «Come you masters of war, … I can see through your masks… You lie and deceive, a world war can be won, you want me to believe, but I see through your eyes, and I see through your brain. … You’ve thrown the worst fear that can ever be hurled, fear to bring children in to the world.» (From Bob Dylan’s «Masters of War»)

    «Venez, les seigneurs de la guerre… Je peux vous voir sous vos masques… Vous mentez et trompez en prétendant qu’une guerre mondiale peut être gagnée, vous voulez que je vous croie, mais je vois ce qu’il y a dans vos yeux et dans vos cerveaux… Vous avez créé la pire des craintes, celle de mettre au monde des enfants.»

    Et voilà, ils sont de retour nos seigneurs de la guerre. Les va-t-en-guerre arrivent. Ils ne manquent pas une occasion de saisir un micro pour proférer des menaces concernant le déclenchement d’une nouvelle guerre. Et pourtant personne ne leur pose les questions évidentes: Pourquoi? Pour quoi? Le Nord est tranquille, comme le Sud aussi, relativement.

    Mais deux ans et demi se sont écoulés depuis la dernière guerre contre Gaza, et l’ADN israélien exige une nouvelle série de carnages. Et leurs postes respectifs – ministre du Logement ou ministre de l’Education – sont ennuyeux pour des gens comme eux. Le fait d’encourager des gymnasiens à aborder des mathématiques avancées ou construire de nouveaux logements publics est mortellement ennuyeux. Ils ont besoin d’une nouvelle guerre, qui leur permettra peut-être d’atteindre les postes qu’ils convoitent.

    La Bande de Gaza se meurt. Un rapport des Nations Unies a prédit qu’en 2020 Gaza ne serait plus capable d’assurer la vie humaine, il ne resterait donc à ses habitants que trois ans à vivre. Il y a longtemps que Gaza est devenue une cage impropre à la vie. Mais lorsqu’il n’y a pas de tirs de Gaza vers Israël, personne ne s’intéresse au sort des Gazaouis. Le Hamas arrête ses tirs, mais il a suffi que des rebelles tirent deux fusées depuis la Bande pour susciter 19 (!) attaques aériennes israéliennes et faire sortir tous nos va-t-en-guerre de leurs trous.

    Lorsqu’il a parlé de Gaza, les yeux de Yoav Galant, ministre du Logement, se sont allumés et son visage a semblé reprendre de la couleur. «Je pense que nous devrions être prêts d’ici le printemps», calcule ce seigneur de la guerre, qui rêve de retourner à Gaza pour tuer encore, comme il l’a si bien fait lors de l’opération «Plomb durci» il y a huit ans. Pourquoi au printemps? Il ne faut pas poser la question. Il y a certainement une raison que vous ignorez. C’est peut-être parce que Charles Aznavour a chanté au sujet du retour au printemps.

    La semaine dernière, Galant a saisi toutes les opportunités médiatiques – sauf sur la chaîne de musique classique Kol Hamusica – pour attiser les flammes et pousser vers une guerre. Il est vrai que personne ne prendrait la peine d’interviewer ce ministre du Logement barbant – que son collègue de parti Moshe Kahlon, ministre des Finances, déteste également – si ce n’est pour parler de Gaza. Comme il n’a pas brillé dans la construction, Galant, un ex-militaire, tente de revenir aux destructions. Le parti du Likoud l’attend.

    Le ministère de la Défense est aussi convoité par Naftali Bennett, ministre de l’Education. Mais pour y parvenir il faut attiser les flammes. Puisque le rapport officiel sur l’échec à gérer les tunnels du Hamas à Gaza n’a pas suffi, Bennett rêve lui aussi d’une nouvelle guerre. «La prochaine séquence de guerre approche», a-t-il déclaré, et c’est une prédiction qui se réalise toujours en Israël. Il n’a pas caché à quel point il est pressé de retourner sur les champs de la mort de Shujaiyeh [massacre de civils en juillet 2014] et les briefings confidentiels avec des officiers de l’armée.

    Et puis il y a évidemment l’actuel ministre de la Défense, Avigdor Lieberman, qui. même dans son rôle actuel de modéré, ne manquera pas non plus une occasion. «Nous n’arrêterons que lorsque l’autre côté crie “Oh Dieu, à l’aide!” (gevalt)», a déclaré avec arrogance le ministre. Il y a de nouveau eu les promesses creuses d’une victoire décisive qui ne se réalisera jamais, et pourtant tout le monde est d’accord d’accepter l’argument.

    Une fois de plus tout le monde attend l’année prochaine, comme s’il s’agissait d’un destin transmis par le tout-puissant s’il ne l’est pas par Gaza. En fait, Gaza crie gevalt. Mais aucun des va-t-en-guerre n’écoute. Gaza constitue pour eux une possibilité d’avancer leurs carrières, de mobiliser les forces et pour conceptualiser une guerre contre l’ennemi qui n’est qu’un assaut contre une population impuissante, et «une armée de hooligans». Gaza leur permettrait de faire à nouveaux les grands titres, de connaître à nouveau la gloire, et de retourner au bon vieux temps des vestes de combat. Sinon il n’y aurait aucune raison de se lancer dans une nouvelle attaque contre Gaza.

    La dégradation de la situation pourrait être rapide. Il suffirait à peine de quelques nouvelles déclarations de guerre, de quelques réponses «disproportionnées» de l’armée israélienne à chaque pétard ou cerf-volant lancé depuis Gaza, pour que nous nous y rendions. C’est Israël plutôt que Gaza qui avait également provoqué la guerre en 2008 et en 2014. L’armée peut se trouver à Gaza avant de pouvoir dire «cigares et champagne».

    Et il n’y a personne pour crier «stop», personne pour dire que ceux qui ne veulent pas une guerre à Gaza devraient arrêter le blocus plutôt que de détruire la Bande pour la troisième, la quatrième, la cinquième fois. Mais pour le dire il faudrait du courage, une qualité qui fait défaut parmi nos seigneurs de la guerre qui, comme l’expriment les paroles de Dylan, ne seront jamais pardonnés. (Article publié dans Haaretz en date du 12 février 2017; traduction A l’Encontre)

    Publié par Alencontre le 20 - février - 2017 Par Gideon Levy

    http://alencontre.org/

  • 51 prisonnières palestiniennes sont détenues dans des conditions dramatiques (AFPS)

    Le centre d’études pour les prisonniers de Palestine a déclaré mercredi que 51 prisonnières palestiniennes détenues dans les prisons israéliennes vivent dans des conditions dramatiques.

    Riyad Al-Ashqar, chercheur et porte parole du centre a indiqué que les autorités de l’occupation maintiennent les prisonnières palestiniennes dans l’isolement total, dans les prisons de "Hasharon et Damoun" où elles sont soumises à toutes les formes d’abus et de tortures, en précisant que les juges de l’occupation ont récemment prononcé à leur encontre plusieurs condamnations à la prison ferme.

    Il précise que 9 prisonnières sont détenues dans deux cellules dans la prison de Damoun, 45 autres sont détenues dans la prison de Hasharon et que plus de la moitié d’entre elles ont été condamnées au cours des deux derniers mois pa les tribunaux militaires à des peines allant de 1 à 17 ans de prison.

    La prisonnière Shouruq Ibrahim Dwayyat, 19 ans, de Jérusalem, détenue depuis le 7/10/2015, a été condamnée à 17 ans de prison ; Shatila Souleiman Abu-Ayadeh, 22 ans, de la ville de Kafr Kassem, a été condamnée à 16 ans de prison ferme, sur des accusations d’attaque au couteau ; ainsi que la prisonnière Maysoun Moussa, de Bethléem, détenue depuis juin 2015, et qui a été condamnée à 15 ans pour les mêmes raisons.

    Al-Ashkar rappelle qu’au cours de l’interrogatoire, les agents de renseignement déploient toutes les techniques d’interrogatoire psychologiques et physiques tels que les passages à tabac, la privation de sommeil, l’intimidation et le "shabah" qui consiste à suspendre la prévenue pieds et mains liés pendant de longues heures dans une position inconfortable, sans aucun égard à leur spécificité en tant que femme. Mais leurs souffrances ne s’arrêtent pas là, au contraire elles continuent pendant et après leur transfert dans les prisons où les services pénitentiaires s’y emploient pour les humilier et les accabler.

    Et la pire des souffrances ressentie par les prisonnières est le transfert vers les tribunaux à bord de véhicules appelés "Al-Bostah", une opération qualifiée de désastre, de punition et de torture délibérée, que l’occupation renouvelle délibérément au gré des comparutions fréquentes devant les tribunaux, mais le comble de la souffrance c’est en hiver très tôt le matin où la température est basse et le plus souvent les gardiens interdisent aux détenues de prendre des couvertures ou des vêtements chauds, ce qui multiplie leurs souffrances.

    Parmi les prisonnières se trouvent 13 jeunes filles mineures. 7 d’entre elles ont été blessées par balles lors de leur arrestation et malgré les premiers soins elles souffrent et se plaignent encore de douleurs insupportables et de complications mais aucun soin ni traitement adéquat ne leur a été fourni.

    Istebriq Ahmed Nour, 15 ans, de Naplouse est considérée comme la plus jeune prisonnière palestinienne. Elle a été arrêtée par des soldats israéliens le 21/10/2015 après lui avoir tiré dessus à bout portant à la main et à la jambe alors qu’elle rentrait de l’école, parce qu’elle avait "l’intention" de commettre une attaque au couteau.

    Le centre d’études pour les prisonniers de Palestine a appelé les institutions internationales pour les droits des femmes à intervenir pour soutenir et défendre les droits des femmes palestiniennes et appliquer les dispositions des accords que les autorités d’occupation violent au quotidien.

    Traduction : Moncef Chahed

    Ma’an News, lundi 20 février 2017

    Groupe de Travail Prisonniers

    http://www.france-palestine.org/

  • Ne pas lâcher prise sur la Ligne verte : c’est le talon d’Achille d’Israël Nadia Hijab (BDS)

    cndpfakinadojbag

    Nadia Hijab est directrice exécutive d’Al-Shabaka : le réseau politique palestinien, dont elle est co-fondatrice en 2009. Elle intervient fréquemment comme conférencière et commentatrice dans les médias, et elle est maître de conférences à l’Institut des Études palestiniennes.

    Le poète Dylan Thomas exhortait son père – et tous ceux qui approchent de la mort – « N’entre pas apaisé dans cette bonne nuit » mais « rage, rage encore lorsque meurt la lumière ». La mort de la solution à deux États est prédite depuis près de vingt ans, depuis qu’il est devenu évident qu’Israël a signé le processus de paix d’Oslo en 1993 sans aucune intention de permettre un État palestinien souverain.
    Et pourtant, la lumière a refusé de mourir. Il était dans l’intérêt de tous les pays, dont Israël et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP/Palestine), de maintenir des lueurs de vie dans la possibilité de deux États, en dépit de la colonisation acharnée du territoire palestinien occupé (TPO) par Israël qui, jusqu’ici, y a implanté quelque 200 colonies de peuplement avec 600 000 colons, des actes qui constituent des crimes de guerre en droit international.


    Pour les Palestiniens vivant dans la zone grise de l’occupation, les libertés les plus fondamentales de la vie d’un peuple, le droit à la liberté, au mouvement, à la santé, et l’accès à l’eau, entre autres, ces libertés sont violées quotidiennement. Les réfugiés et les exilés palestiniens sont grandement abandonnés à leur sort, et les citoyens palestiniens d’Israël doivent faire face, du mieux qu’ils le peuvent, à la discrimination et leur dépossession par Israël. Dans l’ensemble, la stagnation du corps politique palestinien empêche une action collective efficace.


    Mais si les Palestiniens sont trop impuissants, jusqu’à présent, pour s’évader de cette zone grise, ce n’est pas le cas de l’aile droite israélienne et du mouvement des colons. Ils se sont renforcés au cours des décennies et ils ont pénétré l’armée, le système politique, et le système judiciaire, leur pouvoir considérable est entièrement soutenu et financé par l’État israélien. Ni les États-Unis ni l’Union européenne ne lui ont fait payer sa colonisation de la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est. Au contraire, les USA, et l’UE avec ses États membres, tout comme les pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine, veulent maintenir leurs relations militaires et commerciales avec Israël.


    Le mouvement des colons ne veut plus exister dans l’opacité d’un scénario à deux États : il recherche la clarté d’une annexion officielle de ce qui reste du TPO (Israël a déjà annexé Jérusalem), illégalement ou, au moins, de la Zone C qui représente quelque 60 % de la Cisjordanie. Tel est l’objectif, pour l’instant, du dirigeant de droite israélien, et ministre de l’Éducation, Naftali Bennett, qui a annoncé, avec jubilation, que « l’ère d’un État palestinien est finie » après que Donald Trump a remporté les élections présidentielles américaines.


    Le projet de loi que le parti de Bennet, le Foyer juif, a fait voter à la Knesset le 6 février 2017, pour « régulariser » les avant-postes illégaux comme Amona, construits sur une terre palestinienne privée, avait pour but de faire une déclaration claire sur qui possède la terre, et qui détient un pouvoir réel en Israël. Le projet de loi a été qualifié de vol de terre, même en Israël, au milieu de mises en garde que l’initiative atterrirait à la Cour pénale internationale.


    La réaction horrifiée de la communauté internationale à ce projet de loi pour la « régularisation » a été presque comique. Le ministère allemand des Affaires étrangères a déclaré que sa confiance dans l’engagement du gouvernement israélien pour une solution à deux États se trouvait « fondamentalement ébranlée », tandis que la France appelait Israël à revenir sur la loi et à honorer ses engagements. Où étaient-ils passés depuis 50 ans alors que ces crimes de guerre étaient commis ? Toutes les colonies qu’Israël a construites, que ce soit sur des terres non habitées ou sur les ruines de maisons et les terres privées palestiniennes, toutes sont illégales au regard du droit international, comme l’exploitation incessante des ressources naturelles des Palestiniens. En outre, le recours continu d’Israël à la force pour maintenir son occupation empêche le peuple palestinien de jouir de son droit, internationalement reconnu, à l’autodétermination. Actuellement, les puissances mondiales sont en train d’espérer qu’une décision de la Haute Cour israélienne, contre le projet de loi, leur évitera d’avoir à agir pour stopper les pratiques néocoloniales d’Israël.

    Israël ne peut pas légaliser ses conquêtes : cela menacerait l’ordre mondial

    Ce que cet épisode a démontré, plus que tout autre chose, c’est qu’en dépit de toutes ses manœuvres, Israël n’a pas encore réussi à gommer complètement la Ligne verte, ni à légaliser l’acquisition permanente du TPO. À ce jour, la communauté internationale ne reconnaît ni son annexion officielle de Jérusalem-Est, ni sa revendication unilatérale sur Jérusalem-Ouest. Le monde maintient que Jérusalem a un statut distinct (corpus separatum) en vertu du Plan de partition de 1947 et que son statut ne peut être accepté que par des négociations.


    Même si la communauté internationale n’a pas tenu Israël pour responsable de façon efficace – par exemple, l’étiquetage, autour duquel l’UE a fait tant de battage, des produits des colonies qui entrent sur le marché de l’UE a eu un impact minime -, elle n’approuvera pas le projet d’Israël de colonisation, et elle ne lui accordera aucune légitimité aux yeux du monde.


    En bref, Israël ne peut répéter la victoire initiale du mouvement sioniste avec la création d’un État en Palestine, incluant l’expansion des frontières de cet État bien au-delà de celles définies par le Plan de partition de 1947, sur lequel repose son existence. Israël est dans le mauvais siècle pour ce projet colonial.


    La Ligne verte – la ligne d’armistice à la fin des combats entre les armées arabes et israéliennes en 1949 – est à la base du refus de la communauté internationale de légaliser l’occupation d’Israël car elle distingue ce que le monde considère comme l’État israélien, du territoire qu’il a occupé en 1967 et des actes illégaux qu’il y a commis.
    Plus important, le statut du TPO, ce n’est pas une chose qui concerne uniquement le peuple palestinien : il concerne tout État exposé à une perte de territoire. Et la menace posée par les changements israéliens unilatéraux pour la stabilité de l’ordre mondial concerne l’Europe en particulier, qui a souffert de deux guerres mondiales.


    C’est pourquoi la Résolution 2334 du Conseil de sécurité des Nations-Unies, votée le 23 décembre 2016, n’est pas importante seulement pour les Palestiniens : elle l’est pour l’ensemble de l’ordre de l’après-guerre, car elle réaffirme l’illégalité des colonies et l’application du droit international – notamment les lois régissant l’occupation militaire – au territoire occupé. Et c’est pour cela qu’Israël a été si en colère après la 2334 : sa capacité à effacer la Ligne verte en a pris un gros coup.


    Bien que l’hypocrisie de la communauté internationale soit évidente dans sa façon de traiter très différemment l’occupation de la Palestine par Israël et l’occupation de la Crimée par la Russie, ces deux occupations ont comme base la même législation internationale. Peut-être que la déclaration la plus importante nous venant de la nouvelle Administration US est celle de l’ambassadrice des USA aux Nations-Unies, Nikki Hayley, devant le Conseil de sécurité, à propos de la flambée de violences en Ukraine au début de ce mois. Elle a appelé à une cessation immédiate de l’occupation russe de la Crimée, et déclaré que les USA ne lèveront pas leurs sanctions contre la Russie tant que la Crimée ne sera pas rendue à l’Ukraine. Étant donné les mots chaleureux de Trump à propos de la Russie, la déclaration a été une surprise mais, sans aucun doute, elle a été bien accueillie par les Européens.


    Lâcher prise sur la Ligne verte en ce moment serait une erreur grave, peut-être irréversible. Le caractère illégal des activités israéliennes dans le TPO conserve la faculté pour les Palestiniens de poursuivre Israël et les dirigeants israéliens devant les tribunaux internationaux et nationaux. C’est aussi un élément important dans le renforcement des efforts du mouvement de boycott, désinvestissement et sanctions (BDS), créé et dirigé par la société civile palestinienne.


    À ce jour, les efforts visant l’État n’ont eu qu’un succès modeste parce qu’Israël s’est positionné comme précieux pour la communauté internationale dans les domaines du commerce, du développement des armes, et de la géopolitique. La révélation de l’intention véritable  des dirigeants israéliens, concernant l’acquisition permanente du TPO par la force, rend le moment opportun pour une pression concertée par l’OLP/Palestine pour, au minimum, obtenir l’interdiction totale des produits des colonies et la fin des relations avec l’État israélien et les organismes du secteur privé, telles que les banques, qui financent les colonies de peuplement.

    La Ligne verte n’entre pas dans l’opposition un État contre deux États

    La Ligne verte est considérée comme la frontière sur laquelle reposerait une solution à deux États. Pourtant, arguer que les Palestiniens ne doivent pas laisser tomber la Ligne verte, ce n’est pas se déclarer comme partisan d’un résultat politique avec une solution à deux États. En revanche, c’est un argument pour utiliser toutes les sources possibles et efficaces d’une force disponible, sans renoncer aux droits inaliénables des Palestiniens.


    Il est important de plaider cette cause à présent, car les voix sont plus nombreuses chez les Palestiniens et dans le mouvement de solidarité avec la Palestine à demander de changer le but politique des Palestiniens, d’une solution à deux États vers une solution à un seul État, ou vers une lutte pour les droits civils. Ces voix vont probablement devenir plus fortes à l’approche de l’anniversaire de la 50e année d’occupation en juin prochain, avec les Palestiniens qui, tant en Israël que dans les TPO, sont confrontés aux menaces israéliennes les plus draconiennes pour leur existence sur leur terre depuis le début de l’occupation.
    Il est naturel qu’un peuple en quête de ses droits nationaux et humains, et ses alliés, veuillent la clarté et l’unité sur le but politique final. En outre, la fissure croissante entre ceux qui plaident pour un État ou une lutte pour les droits civils, dont beaucoup sont des militants palestiniens et de leurs sympathisants populaires, d’un côté, et ceux qui sont favorables à deux États de l’autre, dont beaucoup sont des dirigeants et hommes d’affaires palestiniens (aussi bien que les sionistes libéraux), cette fissure a nui à la capacité des Palestiniens à s’unir autour d’une action collective.


    Malheureusement, parvenir à la clarté du corps politique palestinien sur l’objectif final n’est pas réalisable à ce stade. Cela a été possible autour d’un État unique de 1969 à 1974 quand le programme de l’OLP se fondait sur un État démocratique et laïc. C’était également possible autour de deux États dans les années entre la déclaration d’indépendance palestinienne en 1988 et la reconnaissance ultérieure d’Israël jusqu’à la fin des années 1990 et l’échec du processus d’Oslo.


    Aujourd’hui, les Palestiniens n’ont pas le pouvoir de réaliser un objectif politique final dans un avenir prévisible. Ce qui ne devrait pas empêcher, et n’empêche pas, d’œuvrer pour obtenir des acquis intermédiaires, sans compromettre les droits fondamentaux. Telle est en fait la position que défend le mouvement BDS : il se base sur le droit et non sur une « solution ». En ne se prononçant pas pour une issue politique finale, le mouvement peut mobiliser le plus grand nombre d’acteurs palestiniens et de la solidarité, encourageant chacun à agir à sa façon pour contester les violations du droit par Israël. Ils peuvent, en effet, se concentrer sur l’occupation et/ou sur les droits des citoyens palestiniens d’Israël, et/ou sur les droits des réfugiés palestiniens.


    Beaucoup d’énergie est gaspillée sur la question de l’objectif final, une énergie qui serait mieux utilisée pour élaborer des stratégies spécifiques afin de mettre un coût sur l’occupation et les violations du droit par Israël. Elles pourraient adopter soit une démarche basée sur le droit afin d’aider la société civile, soit une démarche basée sur une solution afin d’établir un contact avec les gouvernements et les entreprises. Nul besoin de nier le résultat politique ultime de deux États, Israël et Palestine, dans lesquels tous les citoyens jouissent des droits humains, ou d’un seul État palestinien-israélien, où tous jouissent de tout l’éventail des droits.
    Cela n’aurait donc aucun sens d’abandonner toutes les sources de pouvoir disponibles pour arrêter et faire reculer les actes illégaux d’Israël et promouvoir les droits des Palestiniens, y compris, et peut-être surtout, la Ligne verte. Les questions les plus immédiates sont dans la façon d’éviter les pièges à venir dans les négociations menées par l’Administration Trump, tout en tirant parti de l’objectif d’Israël de révéler ses véritables intentions à l’endroit du TPO, d’une manière qui rende impossible pour quiconque de fermer les yeux.

    Traiter avec les Opérateurs

    L’initiative de la droite israélienne de légaliser ses avant-postes a souligné la réalité que, en dépit de sa force écrasante, elle n’a aucune voie unilatérale pour une reconnaissance internationale de son statut dans les territoires. Seule, l’OLP/Palestine, en tant que représentante du peuple palestinien, peut accepter un changement dans le statut qui permettrait à Israël de conserver certains de ses « butins » – et il va sans dire qu’elle ne doit pas agir ainsi ; la société civile palestinienne doit faire tout son possible pour s’assurer qu’elle ne le fera pas. La période à venir est pleine de dangers et de défis qui nécessiteront des stratégies et des actions claires et collaboratives de la part des Palestiniens.


    L’un des principaux dangers est le désir de Trump de faire un « deal » sur la Palestine et Israël. Israël fera probablement monter la pression économique et militaire qu’il exerce sur les Palestiniens sous son occupation, et qui sont déjà sous très haute pression. En outre, la démarche de l’Administration Trump pèse déjà lourdement sur les Palestiniens avec la nomination du partisan des colons par excellence, David Friedman, au poste d’ambassadeur US. Le défi ici est de réfléchir à la façon dont l’OLP/Palestine peut résister à cette poussée, avec le soutien (et la pression) des citoyens palestiniens d’Israël et le soutien international, et quelles stratégies elle peut adopter pour qu’elle n’apparaisse pas comme un « partisan du refus », qu’elle ne s’écroule pas sous la pression (notamment des États arabes), et qu’elle puisse exercer une contre-pression. En interne aussi, elle doit trouver les moyens de supprimer peu à peu toute coordination sur la sécurité avec Israël, ce qui peut ne pas se justifier dans les meilleurs délais, mais qui ne peut plus du tout maintenant être excusée.


    Un autre défi concerne les tensions qui pourraient monter entre la société civile palestinienne et le mouvement de solidarité Palestine aux États-Unis, qui est l’une des sources de pouvoir les plus fortes pour le peuple palestinien, si et quand l’OLP/Palestine entreprend des négociations parrainées par l’Administration Trump. Le mouvement solidarité Palestine et ses alliés naturels – notamment les communautés noires, latino-américaines, et autochtones des USA – ne peuvent envisager une situation qui « normalise » les relations avec l’Administration Trump et ses aspects nationalistes et racistes en faveur des Blancs. En outre, il sera difficile de maintenir la Palestine à l’ordre du jour avec autant de questions conflictuelles auxquelles sont confrontés les citoyens américains – notamment l’accès aux soins, l’environnement, l’éducation, et les droits des salariés.


    Cependant, la situation pourrait changer d’ici les deux ans. La mobilisation de vastes secteurs de la société civile américaine sur les droits des immigrés, la santé et l’éducation, et contre le racisme et la discrimination, pourrait changer radicalement la composition du Congrès lors des prochaines élections, passant des Républicains au Parti démocrate. Et les forces progressistes comme celles qui soutiennent la cause palestinienne – soutenant notamment des sanctions contre Israël – grandissent au sein du Parti démocrate.
    L’Europe, l’autre grande arène, est aussi préoccupée. L’UE fait face au retrait de la Grande-Bretagne, aux menaces d’élections de dirigeants d’extrême-droite dans des pays clés, et à l’imprévisibilité de la nouvelle Administration américaine. Mais les Européens craignent aussi un affaiblissement de l’ordre mondial, et les actions d’Israël peuvent fournir l’occasion pour la société civile de faire pression sur leurs gouvernements afin qu’ils prennent leurs responsabilités et mettent fin à leurs relations avec les entités israéliennes qui fonctionnent au-delà de la Ligne verte, ou qu’ils envisagent les mêmes sanctions qui sont appliquées contre la Russie après son occupation de la Crimée.


    L’OLP/Palestine a évolué sur des fronts qui peuvent être, et qui sont, mis en avant plus efficacement, tels que l’adhésion de la Palestine à la Cour pénale internationale (CPI), et son engagement auprès du Conseil des droits de l’homme, incluant la décision du Conseil de créer une base de données de toutes les entreprises engagées dans une activité illégale dans le TPO. Ces points d’entrée peuvent aussi être utilisés par les organisations palestiniennes de défense des droits de l’homme qui sont engagées directement avec la CPI et le Conseil des droits de l’homme, entre autres organisations internationales, en coordination avec ou par les activités de lobbying de l’OLP/Palestine.


    Et l’adoption de la Résolution 2334 du Conseil de sécurité des Nations-Unies, malgré tous ses défauts, notamment le maintien de la coordination de sécurité avec Israël, peut encore être marquée comme une victoire de l’OLP/Palestine. Bien qu’il n’y ait pas pénurie de résolutions similaires, sa réaffirmation, à l’époque actuelle, était un avertissement à Israël qu’il aura à faire face à une grande bataille dans ses tentatives de formaliser son acquisition illégale de territoires par la force. De plus, la RCSNU 2334 va plus loin que les textes précédents des Nations-Unies en demandant à « tous les États » de « faire la distinction dans leurs relations » entre territoire israélien et territoire occupé en 1967.


    C’est pourquoi Israël lutte durement contre la RCSNU 2334, notamment au niveau de chaque État des États-Unis. Déjà, des États US essayaient de s’opposer au succès du mouvement BDS en boycottant les entreprises qui refusaient de faire des affaires dans les colonies – une vingtaine d’États ont une législation à cet effet. Maintenant, des États citent expressément la RCSNU 2334 comme un élément de leur contre-attaque. Par exemple, l’État de l’Illinois a mis en garde l’UE contre le fait d’encourager les entreprises à suivre ce chemin, disant que « l’adoption de sanctions conformément » à la RCSNU 2334 (laquelle ne mentionne pas la menace de sanctions) pourrait « faire prendre le risque aux entreprises européennes d’une violation de la législation de l’Illinois ».


    Le manque d’un progrès assuré sur la réalisation du droit dans un avenir prévisible laisse les Palestiniens vivant sous l’occupation et le siège israéliens, les citoyens palestiniens en Israël, et les réfugiés palestiniens, face à des jours très sombres. Cependant, il y a encore des raisons d’espérer, notamment la détermination de la société civile palestinienne et les points d’entrée que l’OLP/Palestine a obtenus à la CPI, entre autres. La hâte de la droite israélienne à s’emparer du pouvoir en Israël et à terminer l’annexion de la Palestine va créer plus d’ouvertures pour l’action. Alors que la société civile américaine se mobilise contre Trump, c’est le moment de tenir ferme, de défendre les acquis, d’exploiter les opportunités, et de se prémunir contre les concessions.

    Et c’est le moment de s’accrocher à cette Ligne verte.

    Nadia Hijab – 15 février 2017 – Al Shabaka

    https://al-shabaka.org/
    Traduction : JPP pour BDS FRANCE

    https://bdsf34.wordpress.com/

  • Crise historique du mouvement national palestinien (Orient 21)

    « La mosaïque éclatée », de Nicolas Dot-Pouillard

    Le mouvement national palestinien traverse la plus grave crise de son histoire depuis 1967. Il est confronté à des défis internes et externes sans précédent et à des clivages qui traversent tous les courants et toutes les organisations.

    « Vingt-trois ans après Oslo, le bilan du mouvement national palestinien est négatif », avertit le chercheur Nicolas Dot-Pouillard1. La formule tient de l’understatement. Les accords d’Oslo sont morts. L’État palestinien n’existe toujours pas. Le gouvernement Nétanyahou a cessé d’y faire allusion, n’ayant plus à s’embarrasser de précautions langagières face à Donald Trump, qui le soutient ouvertement et souhaite déplacer l’ambassade américaine à Jérusalem. Fort de ce soutien, la colonisation de la Cisjordanie s’accélère et avale petit à petit le territoire d’un hypothétique État palestinien. La bande de Gaza, gouvernée jusqu’ici par le Hamas, est soumise à un siège pratiquement total par Israël et l’Égypte. L’Autorité nationale palestinienne (ANP), dont la durée de vie ne devait pas dépasser cinq ans selon les accords d’Oslo, se perpétue dans le rôle de protecteur de l’occupant à travers des accords de coopération sécuritaire.

    Division du mouvement

    Le mouvement national palestinien dans son ensemble est profondément divisé, en désaccord, y compris à l’intérieur de chaque parti, sur à peu près tout : « Sur la géographie de l’État palestinien, entre un État et deux États, israélien et palestinien, côte à côte ; sur le devenir de l’ANP et de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) ; sur la stratégie à établir face à Israël, entre référence au droit international et résistance populaire …. »

    En dehors des territoires occupés, c’est encore pire. Dans les camps de réfugiés du Liban, on s’est affronté les armes à la main entre partisans du président de l’Autorité nationale palestinienne (ANP) Mahmoud Abbas et de Mohammed Dahlan, prétendant à la succession du Fatah, le parti d’Abbas et de Yasser Arafat. En Syrie, la guerre civile « est devenue, au fil des mois, une guerre interpalestinienne » : dans le camp de réfugiés de Yarmouk, près de Damas, des combats ont eu lieu entre le Hamas et divers groupes d’opposition d’un côté, l’armée syrienne et des factions palestiniennes inféodées au régime de l’autre. Résultat : en 2015, l’organisation de l’État islamique (OEI) pénètre dans le camp.

    Incapable de protéger son peuple, le mouvement national « a perdu de vue son long terme » et se contente de « gérer la catastrophe », commente Nicolas Dot-Pouillard.

    Mais le sujet du livre, c’est que tout n’est pas perdu. Pour une bonne raison : l’idée nationaliste est toujours vivante. Il y a bien une crise du mouvement national, mais pas de l’idéal, ni de la conscience nationale, analyse l’auteur. Un nationalisme « en fragments et abîmé », mais qui résiste. La récente annonce à Moscou de la création d’un gouvernement d’union nationale le 17 janvier paraît d’ailleurs confirmer cette thèse. Certes, ce n’est pas la première fois, et les précédentes tentatives ont échoué. Mais la Russie a changé le braquet des négociations en rassemblant pratiquement tous les mouvements palestiniens, les rivaux islamistes du Djihad islamique et du Hamas, leur adversaire le Fatah, mais aussi les factions de Damas comme le Front populaire pour la libération de Palestine — commandement général (FPLP-CG), une très vieille dissidence du FPLP. Une première que les précédents « parrains » (États-Unis, Arabie saoudite, etc.) n’avaient jamais pu réaliser.

    Une nouvelle « table rase » ? Le mouvement national palestinien est « né plusieurs fois, alors qu’il semblait mort ou à la dérive », dit l’auteur. La mort en 1935 d’Ezzedine Al-Qassam, leader de l’insurrection paysanne, est suivie de la grande révolte de 1936. L’éviction de Beyrouth en 1982 précède la première intifada de 1987. L’« intifada des couteaux » de 2015 peut avoir poussé les organisations palestiniennes à changer d’époque.

    Tout reste à faire, de la constitution du futur gouvernement à l’élaboration d’une stratégie commune : un État, deux États ? Lutte armée ou pacifique ? Sur le papier, le fossé entre les signataires peut paraître infranchissable, et l’accord une façade destinée surtout à faire face à la nouvelle donne internationale. Quoi de commun entre des partis se réclamant de l’islam politique et refusant de céder un seul arpent de la Palestine de 1948, des partis de gauche laïcs et refusant eux aussi les accords d’Oslo, et un Fatah hégémonique dans l’ANP, acceptant une Palestine dans les frontières de 1967, c’est-à-dire 22 % de la Palestine historique ? Comment concilier les partisans de la lutte armée et le Fatah qui se fait l’auxiliaire d’Israël, réprimant les manifestations et pourchassant ses opposants ?

    Un nationalisme toujours vivant

    L’idéologie nationaliste, répond Dot-Pouillard. C’est elle qui empêche cette « mosaïque » de s’éparpiller complètement. Les militants palestiniens, quelle que soit leur affiliation, restent liés par un objectif commun, plus important que n’importe quelle alliance étrangère ou confession. La démonstration passe par une analyse fine de l’histoire récente, suivant quatre grandes thématiques stratégiques : territoire, pouvoir politique, moyens de la lutte, et reconfigurations idéologiques et identitaires. Sans vouloir résumer une étude très détaillée, chaque chapitre révèle souvent une complexité qui dépasse de loin les idées reçues. Ainsi la fracture entre ceux qui acceptent les frontières de 1967 et ceux qui pensent toujours à la « Palestine historique » peut passer à l’intérieur même du Fatah ou de la gauche. Le thème de la volonté de « destruction d’Israël » par le Hamas, pilier de la propagande israélienne, s’accommode mal des déclarations des leaders du parti islamiste, qui ont régulièrement proposé une « trêve de longue durée » pouvant même aller « jusqu’à la génération suivante » selon Cheikh Ahmed Yassine, le guide spirituel du Hamas, assassiné par Israël dans son fauteuil de tétraplégique en mars 2004 à Gaza.

    En attendant, le pragmatisme règne. Les adversaires les plus farouches d’Oslo ne veulent pas la mort de l’ANP, institution qui a le mérite d’exister. Même le Djihad islamique ne demande pas sa dissolution. L’objectif reste toutefois l’inclusion de tous (et notamment du Hamas) dans l’OLP, seule habilitée à représenter et à parler au nom de tous les Palestiniens, diaspora comprise. Cette promesse maintes fois avancée a été réitérée à Moscou. L’évolution des esprits favorise la rencontre entre « laïques » et islamistes. Pour Dot-Pouillard, si l’islamisme se nationalise, le nationalisme s’islamise. Le Fatah, à l’origine non confessionnel, prend désormais en compte la religion, qu’un cadre du mouvement de Mahmoud Abbas peut qualifier de « principale composante du patrimoine palestinien ».

    Le nationalisme arabe reste toutefois présent chez des militants de gauche.

    Les « printemps arabes » ont aussi affecté une nouvelle génération palestinienne, indépendante des partis politiques, qui refuse la division et cherche des alliances avec les jeunesses révolutionnaires d’Égypte ou de Tunisie, comme en témoigne la Conférence de la jeunesse arabe et de la dignité organisée à Tunis en décembre 2012 par le Mouvement des jeunes Palestiniens (connu sous son acronyme anglais de PYM). Ces divergences peuvent s’appeler pluralisme. Ce n’est pas par hasard, dit Nicolas Dot-Pouillard, que l’on parle d’« irakisation » ou de « syrianisation » pour désigner la fragmentation d’un pays en entités rivales sur des bases confessionnelles, mais que le mot « palestinisation » n’existe pas. « Face à la communautarisation du politique, conclut l’auteur, la Palestine demeure une ligne de fuite encore salvatrice ».

    Pierre Prier

    1Nicolas Dot-Pouillard fait partie du comité de rédaction d’OrientXXI.

    http://orientxxi.info/

  • Nouveautés Syrie sur LUNDI AM

    ich al.jpg

    Expériences de communes autonomes dans la Syrie en guerre

    « Burning Country » Les syriens dans la guerre et la révolution...

    Révolutions et Contre-Révolutions - Des printemps arabes à aujourd’hui

    "La révolution syrienne est une révolution acéphale " Entretien avec Arthur Quesnay

    https://lundi.am/

  • Syrie

    syrr.jpg

     

    Facebook

  • L’interview du dimanche avec Ahlem Belhadj, membre du bureau de l’Association tunisienne des femmes démocrates: «La violence est le dernier bastion du patriarcat» (Le Temps.tn)

    L’interview du dimanche avec Ahlem Belhadj, membre du bureau de l’Association tunisienne des femmes démocrates: «La violence est le dernier bastion du patriarcat»
    Ahlem Belhadj

    La semaine dernière a été marquée par la colère des médecins qui ont réclamé la mise en place d’une loi qui détermine la responsabilité médicale. Toutefois, le corps médical s’est retrouvé au cœur d’une grande campagne de dénigrement après avoir été accusé, par certains, de vouloir légitimer l’erreur médicale. Ahlem Belhadj, pédopsychiatre et militante féministe au sein de l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD), est revenue, au cours de notre interview dominicale, sur la délicate nuance entre ces deux concepts, les réelles attentes des médecins et sur l’incontournable projet de loi relatif aux violences et discriminations faites aux femmes.

    -Le Temps: Les médecins ont exprimé, la semaine dernière, leur colère après l’éclatement du dossier du nouveau-né à l’hôpital Farhat Hached. Plusieurs versions relatives à cette affaire nous ont été présentées et, bien que l’affaire soit dépassée, la confusion plane toujours. Que s’est-il réellement passé à la maternité de Sousse ?

    Ahlem Belhadj:Ce qui s’est passé à l’hôpital Farhat Hached n’est pas une exception ; cela arrive dans tous les hôpitaux de la République. Malheureusement, cette affaire témoigne de l’état des lieux de la santé publique dans le pays. Toutefois, sur le plan technique et s’agissant de la conduite médicale, il n’y a eu aucune erreur. Il s’agit d’un fœtus de vingt-six semaines, né suite à une complication maternelle et qui pèse un 1,6 Kg. Il est vrai que, dans certains pays, il est peut être viable mais cela demeure très difficile et implique un coût trop important. En Tunisie, nous n’avons pas les moyens pour un cas pareil. Le médecin a tout-de-même réanimé le fœtus pendant vingt-minutes comme l’indique le protocole ; même s’il n’est pas né mort à la naissance, le fœtus n’était pas viable d’où toute la confusion dans cette affaire. Ce qui peut trancher dans un cas pareil c’est l’acte médicolégal et l’acte de décès qui n’a pas été signé. Reste qu’au niveau de la description de l’état du fœtus, il y a eu plusieurs termes techniques qui ne sont pas toujours évidents pour quelqu’un qui n’est pas du domaine.

    Maintenant, s’agissant de l’humanisation de l’hôpital, je dirai que cela fait en effet défaut au niveau de la santé publique qui va très mal. Pour moi, ce qui a réellement fait défaut c’est tout ce qui a suivi l’affaire et qui en a fait une affaire d’opinion publique. La faute médicale est écartée dans ce cas et cela nous ramène aux conditions d’exercice en Tunisie où la faute, ou la responsabilité médicale, n’est pas correctement définie, où les médecins sont jugés sur la base du Code pénal qui comprend l’homicide volontaire et les coups et blessures ce qui est totalement inadmissible puisque l’on ne pratique pas dans un cadre de violence mais, au contraire, on pratique dans une relation qui doit être basée sur la confiance mutuelle et d’obligation de moyens et non pas de résultats. Nous avons besoin d’un cadre légal qui définit la responsabilité médicale et la conduite à tenir en cas de faute médicale. L’emprisonnement préventif ne peut être une réelle solution. D’ailleurs, nous luttons contre cet emprisonnement pour toutes les affaires. Je trouve que la prévention de liberté est un acte trop facile chez nous ; on ne devrait priver les personnes de leur liberté que lorsqu’un procès clair est en cours.

    -L’emprisonnement préventif et l’emprisonnement rapide et facile en Tunisie est devenu un réel problème puisqu’une majorité de nos prisons connaissent une surpopulation importante. On explique cela par les problèmes que pose aujourd’hui le Code pénal avec, entre autres, sa loi 52 relative à la consommation du cannabis.

    Il y a une grande résistance aux tentatives de changement des mentalités. Finalement, on ne conçoit la punition qu’en privant l’individu de sa liberté et cela n’est pas du tout adapté et donne, surtout, l’effet inverse. La punition doit, normalement, amener les personnes à se remettre en question et à revoir ce qu’elles ont commis pour réparer leur faute et pour apprendre à respecter autrui et savoir vivre en respectant la loi. Mais nous, nous allons directement à la privation de liberté ce qui est totalement dépassé. La machine judiciaire est très difficile à changer et les mentalités ne sont pas prêtes à changer non plus. Nous avons mené plus d’actions par rapport à ce problème et il ne faut surtout pas baisser les bras dans ce combat. Il faut que la Justice prenne son temps avant de priver quelqu’un de sa liberté. En plus, il existe plusieurs situations où l’on peut se passer de cette punition pour aller vers d’autres formes de peine qui peuvent améliorer l’individu qui a commis le délit et apporter le plus pour la société. Il ne faut pas fonctionner avec l’esprit de la vengeance ; c’est une étape que nous n’avons pas encore réussi à atteindre.

    -La rigidité de cet appareil judiciaire et des mentalités risque-t-elle de bloquer la loi organique de lutte contre les violences et discriminations faites aux femmes ?

    On considère que la loi organique est le fruit et l’aboutissement des luttes féministes depuis plusieurs années et dont l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD) a été une principale actrice. Le projet de loi est aujourd’hui soumis à l’ARP et la Commission en charge vient d’entamer sa discussion. Toutefois, on constate beaucoup de résistance. Nous avons une lecture assez critique du texte – même si on se félicite de cette loi organique qui comprend une vision intégrale de la violence à l’égard de la femme – et nous avons d’ailleurs une publication critique du texte article par article avec les avancées et les propositions. Nous avons préparé ce travail depuis quelques temps et nous avons demandé à être auditionné par la Commission de l’ARP.

    -Pouvez-vous nous présenter quelques exemples des articles qui font défaut à ce projet de loi ?

    Le référentiel, bien que l’on fasse référence aux droits humains, est manquant à nous yeux parce qu’on aimerait bien qu’il y ait un préambule qui évoque clairement tout ce référentiel. Nous avons, aussi, quelques remarques relatives aux définitions existantes dans ce projet de loi pour les améliorer. Par contre, au niveau de la prévention, nous pensons qu’il est vital de mettre un terme à toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes comme étant la base de toutes les violences ; la violence existe aujourd’hui parce qu’il existe un système de domination homme/femme, c’est le patriarcat en quelque sorte.

    -Le système actuel de l’héritage entre-t-il dans cette formule ?

    Justement, toute forme de discrimination est un préalable à la violence contre la femme et c’est pour cela que l’on s’attaque à toutes les lois discriminatoires. D’ailleurs, nous avons demandé l’harmonisation de la loi avec la Constitution parce qu’on pense que cette dernière est avancée par rapport à nos lois et qu’il n’y a pas moyen de lutter contre la violence si on n’abolit pas toutes les lois discriminatoires. Le noyau dur de ces lois existe au sein de la famille où le chef c’est le père et la tutelle est toujours paternelle sauf cas réglementé par la loi (il n’existe pas de tutelle conjointe). Quand l’enfant est élevé dans un milieu où, dès sa naissance, le père est toujours le chef, il ne peut pas échapper à la déduction que la domination est toujours masculine. Le garçon comprend donc qu’il a un rôle supérieur à celui de la fille. Cela crée la mentalité que nous sommes en train de combattre et fait le lit des violences à l’égard des femmes. La violence existe pour maintenir les femmes dans une forme de soumission. Parfois je me dis que plus la femme progresse, plus les violences, à son encontre, augmentent. En Tunisie, on s’étonne de la croissance du phénomène de la violence puisque c’est un pays où il y a pas mal d’avancées en termes d’acquis de la femme.

    Pour moi, la violence est le dernier bastion du patriarcat ; quand on sent que ce système est menacé, on tente de le réinstaurer par tous les moyens et notamment par la violence. On n’a recours à la violence que lorsqu’on n’arrive plus à dominer. Donc, il faut que les lois qui favorisent cette mentalité de discrimination soient revues conformément aux engagements de la Tunisie au niveau de sa Constitution et des conventions internationales. En ce qui concerne l’égalité successorale, il est clair qu’il s’agit d’une discrimination ; au-delà de la part qui revient à la femme, l’héritage est une manière de voir les femmes comme étant des sous-catégories. Aujourd’hui, les femmes sont responsabilisées dans tout ce qui est dépense mais elles continuent d’hériter la moitié et cela est inadmissible.

    Pour revenir aux points qui font défaut à ce projet de loi, je citerai les articles relatifs à la violence sexuelle ; bien que des avancées existent, elles demeurent insuffisantes. Par exemple, l’article 227 bis où il n’y a plus de mariage, le consentement existe encore. Comment peut-on parler de consentement lorsque la fille n’a que treize ans ? Pour nous, du moment où la fille est mineure, on ne peut pas parler de consentement. La loi évite de parler de la majorité sexuelle alors que cela est vital.

    -C’est peut-être parce que toute la notion de sexualité est taboue en Tunisie.

    A partir du moment où l’on réglemente le Code pénal on est bien obligé d’en parler, de bien fixer les définitions. En tout cas, l’article tel qu’il est actuellement est inadmissible puisqu’un homme de trente ans ou plus peut avoir des relations avec une fille de treize ans ‘consenties’. Certains pays réglementent en fonction de l’âge et cela peut être intéressant mais le problème, pour eux, c’est que cela veut dire que l’on reconnait les relations sexuelles hors cadre du mariage.

    -Est-ce que le viol conjugal a été introduit dans cette loi organique ?

    Le texte comprend une définition mieux adaptée du viol conjugal mais qui nécessite encore quelques autres arrangements ; on n’exclut plus le mari comme un violeur mais, après, la punition ne cite pas le viol conjugal. On aimerait bien qu’il y ait une citation explicite du viol conjugal. Dans notre centre d’écoute, nous avons accompagné beaucoup de femmes victimes du viol conjugal avec des lésions graves : ce n’est pas parce qu’on est l’époux que l’on possède le corps de son épouse. Il existe une autre amélioration relative à la définition de l’harcèlement sexuel mais il y a d’autres points qui doivent être revus.

    Par ailleurs, le rôle de la société civile dans l’accompagnement des femmes victimes de violence n’est pas très clair ; nous avons, à cet effet, proposé l’article 11 bis où on parle de ce rôle puisque c’est la société civile qui s’est chargée, pendant de longues années, d’accompagner ces femmes et aujourd’hui, on responsabilise l’Etat tout en tentant de mettre en place une prise en charge multisectorielle. Il faut que l’Etat s’engage à aider la société civile afin qu’elle puisse ce rôle crucial. Donc, nous avons des critiques mais on accompagne ce processus et on essaie de jouer correctement notre rôle dedans. On demeure inquiet par rapport à certaines réactions de ceux qui attaquent ce projet de loi et qui le considèrent comme étant dicté par l’Occident.

    -Il y a justement eu une conférence à cet effet où le syndicat des Imams a prévenu contre ce projet de loi en expliquant qu’il va autoriser le mariage homosexuel.

    Ce syndicat attaque la loi en se basant sur l’homosexualité – qui n’a aucun lien avec la réalité – parce que cela représente l’argument qu’ils utilisent à tout bout de champ. En 2011, et lorsqu’ils avaient voulu attaquer l’ATFD, ils avaient annoncé que notre association, qui est pour toutes les libertés individuelles et on ne s’en cache pas, défendait le mariage homosexuel. La question du mariage ne s’est, à aucun moment, posé en Tunisie. Depuis bien longtemps, nous évoquons la dépénalisation de l’homosexualité et nous avons mentionné cela au niveau de notre rapport adressé au CEDAW. Donc, pour faire peur au grand public, le premier argument qu’ils emploient c’est le mariage homosexuel. Or, cette loi n’évoque pas du tout ce sujet. Ceux qui avancent cela, veulent en fait que la violence et la domination continuent et je les appelle à dire cela directement sans passer par des arguments pareils. Faire peur à la société sans aucun argument solide, c’est se moquer de l’intelligence des autres. Il est toujours bon d’avoir un débat d’idée surtout autour de questions pareilles mais faut-il encore que chacun dise clairement ce qu’il pense. Cette loi vise le bien des femmes, des hommes et, surtout, le bien être des enfants. La société a besoin d’une loi qui protège tous les Tunisiens contre les violences. On n’a pas besoin de régler nos différends avec autant de violence, il faut que cela cesse. Ceux qui utilisent à cet argument doivent nous dire, clairement, qu’ils sont pour la violence !

    -Récemment, la ministre de la Femme, de la famille et de l’enfance, a annoncé des chiffres alarmants relatifs aux abus sexuels contre les enfants (une augmentation de six cent cas). Ce sujet n’est plus tabou en Tunisie et c’est devenu un sujet de plus en plus médiatisé. Qu’en pensez-vous ?

    Le problème c’est qu’on n’est pas en train de respecter les intérêts de l’enfant victime d’abus sexuel. En tant que pédopsychiatre, j’ai assisté à des situations catastrophiques et je peux en témoigner. L’impact à moyen et court termes est terrible. Après traitement médiatique, quelques enfants se retrouvent dans une situation désastreuse avec, entre autres, leur sortie de l’anonymat (on les reconnait au niveau de leur école et de leur entourage). Certaines histoires sont surmédiatisées et cela donne l’effet inverse et l’enfant est, par la suite, abandonné : 80% des cas n’aboutissent pas et les familles finissent par abandonner. Cependant, je considère qu’il est très positif que le débat soit publiquement ouvert aujourd’hui autour de cette question mais le parcours de l’enfant victime d’abus sexuel est un parcours terrible. Cela fait quelques années que je m’occupe de ce dossier que cela soit au sein de l’ATFD ou au niveau de mon travail et je peux vous assurer qu’à plusieurs reprises, j’hésite à signaler les cas que je traite même si j’y suis obligée ; le parcours judiciaire est tellement infernal pour l’enfant que la victimisation secondaire est plus importante que la victimisation primaire. Parfois, l’abus sexuel a moins d’impact traumatique que le processus qui s’en suit.

    -Ce que vous dites est extrêmement grave, que se passe-il après la signalisation de l’abus pour que l’enfant en sorte encore plus traumatisé ?

    Tout d’abord, l’enfant peut ne pas être cru par son entourage ; au lieu d’être écouté et soutenu, il peut être taxé de menteur et peut même subir des violences physiques en signe de punition pour son supposé mensonge. Parfois, il peut même être responsabilisé de l’abus qu’il a subi surtout lorsqu’on parle d’inceste. Par moment, la réaction de la famille est tellement dramatique que les parents décompensent totalement. J’ai eu à faire à un cas où le père est décédé suite à l’abus sexuel de l’enfant. Après le niveau de la famille, arrive le niveau des institutions où commence la descente aux enfers ; nous avons une seule brigade des mineurs qui existe à Tunis. Donc l’enfant passe, ailleurs, par un poste de police normal où les agents ne sont pas forcément habilités à mener des enquêtes pareilles. J’ai suivi un cas où l’enfant victime a été confronté à son père. Je n’oublierai jamais cet adolescent que j’ai suivi à l’hôpital Razi : il avait cinq ans lorsqu’il a été abusé par son père et le procureur de la République l’avait mis devant son père et lui a demandé de lui raconter ce que ce dernier lui avait fait subir. L’enfant été incapable de placer un mot. Je l’ai revu lorsqu’il avait treize ans et il n’avait qu’une seule idée en tête : voir son père puni pour ce qu’il lui avait fait. Le jeune adolescent avait plein de troubles psychiatriques et il ne parlait que de la punition de son père. L’affaire n’a pas abouti puisque l’enfant a retiré sa plainte et la mère a préféré quitter sa ville et s’est réfugiée, avec son fils, à Tunis pour le protéger de son père.

    Parfois, nous avons à faire à des enfants à peine âgés de trois et quatre ans qui, après être passés par toutes les étapes de l’enquête, sont malmenés par une procédure pénale totalement inadaptée. Normalement, l’enfant est entendu par une juridiction spéciale représentée, en Tunisie, par le juge de la famille mais, comme l’accusé est adulte, l’enfant victime est obligé d’être entendu par une juridiction habituelle. Il y a une Commission qui est en train de revoir actuellement les conditions de ces procédures spéciales et il existe, depuis 2010, un projet de loi dans ce sens. La prise en charge de ces enfants n’est pas toujours possible, faite à temps, suivie, l’accès aux traitements est difficile etc. 

     Entretien mené par Salma BOURAOUI

    http://www.letemps.com.tn/

  • Les armes de la BD pour lutter contre la «post-vérité» en Syrie (Libération)

    haytham-1.jpg

    L’histoire de Haytham al-Aswad, racontée en bande dessinée, est le meilleur moyen de contredire ceux qui accusent les réfugiés venus de Syrie ou d’Irak d’être attirés par nos allocations.

    On assiste depuis plusieurs mois à un débat renouvelé sur la qualité de la couverture médiatique de la guerre en Syrie. Partiale, biaisée, partisane, «droit-de-l’hommiste», elle aurait conduit l’opinion publique française à se leurrer sur la situation, et aurait invité les cancres du Quai d’Orsay à se fourvoyer gravement.

    Alors que la bataille d’Alep se déroulait, un autre conflit se jouait dans nos médias : celui pour nous faire croire que «la vérité» serait «la principale victime de cette guerre». Quelle indécence, alors que les chiffres sont là : quelque 500 000 morts et disparus, plus de 10 millions de déplacés et réfugiés. S’il y a bien faillite de l’Occident dans ce conflit, elle est morale et elle résulte de l’incapacité que nous avons eue à le prévenir.

    De grâce, n’ajoutons pas la vérité aux victimes, déjà trop nombreuses, de la guerre en Syrie.

    Comment informer ? A cela, pas de secret. Que l’on soit journaliste, chercheur, historien, documentariste ou diplomate : il faut des sources. Revenir toujours aux sources. A ceux qui ont vécu l’histoire et qui peuvent témoigner. La Syrie crève depuis six ans de tous ceux qui kidnappent la parole des Syriens, qui s’identifient dans telle cause ou communauté et fabriquent ensuite un discours pour confirmer leurs a priori.

    Haytham al-Aswad, le héros de Haytham, une jeunesse syrienne, est un jeune Syrien de Deraa, dans le sud du pays, près de la frontière jordanienne. Bien sûr, il n’est pas comme les autres (mais qui viendrait prétendre qu’il existe un «Syrien moyen»?) : il est le fils d’un opposant historique à la dictature des Al-Assad. Et il est brillant, ce qui lui a permis une intégration en France remarquable. Mais ce qu’il nous raconte de sa jeunesse, à la première personne et avec une grande fraîcheur, casse toutes les propagandes.

    On découvre, à travers son parcours, les tâtonnements d’un enfant confronté à une réalité politique extrême. La dictature d’abord, dont il prend conscience qu’elle n’est pas un état normal, puis la révolte. Alors que son père est le tout premier «reporter citoyen» de la révolution syrienne, le jeune homme, 14 ans à l’époque, voit tomber les premiers manifestants sous les balles de la répression.

    Et ensuite ? Les menaces, la clandestinité, l’arrestation de sa mère, l’exil. Et le regard presque candide d’un adolescent, descendu de sa province syrienne, qui découvre Paris, son RER, sa tour Eiffel et ses fast-foods. Qui découvre aussi, avant la grande crise des réfugiés de 2015, les écueils rencontrés par les réfugiés. Qui se bat, enfin, pour ne pas être cantonné dans les recoins du système scolaire, mais pour pouvoir faire valoir ses talents, là où beaucoup de jeunes étrangers, parce qu’ils maîtrisent mal la langue, sont simplement rangés parmi les mauvais élèves.

     

    Bien sûr, j’aurais pu narrer l’histoire de Haytham dans un livre «classique». Mais la BD offre une formidable économie de mots. La précision toute documentaire des dessins de Kyungeun Park plonge le lecteur dans l’environnement syrien et permet d’évoquer, avec légèreté, à la fois une enfance syrienne, la construction «à la dure» d’une conscience politique dans les tourbillons d’une révolution et le parcours courageux d’une famille réfugiée en France.

    La force de la BD, c’est sa capacité à restituer une ambiance. Comment raconter en une page le stress d’un interrogatoire ? Et même en deux vignettes la torture ? Des gros plans, suggestifs mais dignes. Des profils, des ombres. La sueur sur le front et la peur dans les yeux. En quelques traits, l’ambiance est installée. Il aurait, sinon, fallu de longues descriptions ou sombrer dans le voyeurisme.

    La BD est aussi remarquablement accessible. Elle reste un livre, donc un objet qu’on s’approprie, auquel on dicte son rythme, qu’on dévore ou qu’on picore, dans lequel on revient avec joie. Mais il est aussi ouvert à tout public. Là où un jeune lecteur, ou quelqu’un qui ne lit pas avec aisance, sera rebuté face à un gros pavé plein de mots, la BD offre le dessin en support.

    Le savoir pour tous ! C’est important pour une fiction, mais aussi pour un ouvrage de reportage ou documentaire. Après, il se trouvera toujours des gens pour crier à la propagande. Pour accuser de désinformation. Pour décréter que la révolution syrienne était dès le départ illégitime, violente et radicale. Hurler d’indignation que les réfugiés sont des privilégiés attirés par nos allocations. L’histoire de Haytham est la meilleure arme pour les contredire. Parce que c’est un récit à la première personne. Un témoignage sans prétention. Parce qu’il ne fait pas de politique. Qu’il ne fait que se raconter et que la magie des bulles rend son récit splendide. 15 février 2017 

    Nicolas Hénin Journaliste, scénariste de Haytham, une jeunesse syrienne

    http://www.liberation.fr/