NOUAKCHOTT - La Mauritanie, un pays affecté par la faim chronique, pourrait voir sa disponibilité alimentaire chuter à son niveau le plus bas depuis de nombreuses années si la sécheresse continue de ravager les cultures, les troupeaux et les moyens de subsistance.
On estime à 1,3 million le nombre de personnes qui seront touchées par l’insécurité alimentaire cette année, selon la plus récente évaluation du Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC, selon le sigle anglais), qui bénéficie du soutien des Nations Unies. On s’attend à ce que près d’un demi-million d’entre elles souffrent d’insécurité alimentaire grave d’ici juin et « soient incapables de satisfaire leurs besoins alimentaires sans une aide extérieure ». Environ 21 000 personnes souffriront d’insécurité alimentaire extrême ou d’une perte quasi totale de leurs moyens de subsistance.
« La Mauritanie est un pays qui est perturbé par les changements climatiques et par les chocs récurrents liés au climat, comme la sécheresse », a dit Janne Suvanto, directrice pays du Programme alimentaire mondial (PAM) en Mauritanie. « Au cours des dernières années, il y a eu des chocs successifs qui ont sérieusement affecté la sécurité alimentaire et nutritionnelle du pays. Cela a particulièrement compromis la capacité de résilience des populations les plus vulnérables. »
De nombreuses familles ne se sont toujours pas remises de la sécheresse de 2012. Plus de 800 000 personnes ont alors eu besoin d’une aide humanitaire.
Mme Suvanto a dit à IRIN que des évaluations récentes avaient montré que la situation en matière de sécurité alimentaire s’était progressivement détériorée en Mauritanie depuis la mi-2013 et qu’elle était actuellement semblable à ce qu’elle était pendant la sécheresse de 2012.
Pas suffisamment d’eau
Environ 75 pour cent du territoire mauritanien se trouve dans le désert saharien et 25 pour cent dans le Sahel. Selon la FAO, les précipitations annuelles moyennes s’élèvent à moins de 100 millimètres par année. Les habitants locaux disent qu’elles sont devenues encore moins fréquentes et plus irrégulières au cours des dernières années.
Vu la pauvreté du sol et les mauvaises conditions agricoles, de nombreuses personnes sont contraintes de pratiquer le pastoralisme et l’élevage.
« Ces dernières années ont été de plus en plus difficiles », a dit Hussein Ould Imijen, qui a déjà perdu 10 bêtes cette année à cause de la faim et de la soif. C’est une perte dévastatrice, car, comme la plupart des membres de la communauté, la capacité de M. Imijen à nourrir sa famille dépend de la vente de son bétail.
Zeinabou Mint Mamadou Ould Neji, une résidente du village de Taboit, a dit à IRIN : « Les faibles précipitations des dernières années n’ont pas permis de recharger la nappe phréatique. »
Elle a ajouté que les niveaux d’eau dans les puits étaient à peine suffisants pour boire et pour cuisiner, et encore moins pour arroser les cultures et les potagers.
L’eau est rare, même dans des communes comme Azgueiloum, au Gorgol, une région située dans le sud de la Mauritanie et le long du fleuve Sénégal.
« Nous avons récolté quelques haricots et du maïs cette année, mais la sécheresse précoce nous a coûté très cher », a dit Aminetou Mint Abeid, qui fait partie d’une association de femmes maraîchères à Nabaam. « L’aide fournie par les ONG internationales nous a permis d’être un peu plus indépendants et de satisfaire nos besoins, mais ce n’est pas suffisant quand les temps sont durs. »
Souleymane Sarr, en employé d’Oxfam, est du même avis. L’organisation tente d’améliorer l’accès à l’eau au Gorgol.
« L’eau est primordiale dans toutes ces régions », a-t-il dit à IRIN. « On ne peut pas les aider à accomplir quoi que ce soit sans garantir un accès durable à l’eau. »
Pas suffisamment de nourriture
L’an dernier, en raison des faibles précipitations, les récoltes de céréales sèches, comme le millet, le sorgho et le riz, ont été 38 pour cent moins abondantes que la moyenne des cinq dernières années. Selon Mme Suvanto, du PAM, l’écart, relativement important, signifie que la saison de soudure de cette année sera encore plus difficile qu’à l’habitude.
De nombreuses familles ont commencé à diminuer le nombre de repas qu’elles prennent chaque jour ainsi que la qualité de la nourriture. Plusieurs personnes ont également commencé à vendre des biens pour se procurer des aliments de base.
Près de 140 000 enfants de moins de cinq ans, femmes enceintes et mères allaitantes souffrent maintenant de malnutrition aigüe.
Le programme d’alimentation scolaire du PAM, qui a jusqu’à présent permis de nourrir quelque 86 000 élèves du primaire issus des familles les plus vulnérables du pays, a été suspendu en mars en raison d’un manque de fonds. Cette suspension pourrait affecter gravement la santé des enfants d’âge scolaire. Certaines personnes accusent le gouvernement de ne pas en faire plus.
« Aucune des familles que vous voyez dans ce village n’a reçu un seul des sacs de denrées qu’elles étaient censées recevoir du gouvernement », a dit Isselmou Ould Mohamed. « Sans Oxfam, ACF ou les ONG locales, il y aurait encore plus d’animaux morts. »
« Ce sont des actes criminels », a dit un résident de la commune de Monguel qui a souhaité garder l’anonymat. « Ici, nos enfants ont faim et notre bétail meurt. Et [le gouvernement] ne propose toujours pas de solution », a ajouté l’homme en colère.
Le ministère du Développement rural, qui est responsable des programmes d’agriculture et d’élevage, a refusé de commenter. La majeure partie des personnes qui souffrent d’insécurité alimentaire vivent dans les régions rurales, mais les travailleurs humanitaires disent qu’une attention particulière doit désormais être accordée aux zones urbaines, où la faim se répand.
Selon des évaluations récentes du PAM, la situation en matière de sécurité alimentaire en périphérie de la capitale, Nouakchott, se détériore depuis 2011. Cela est dû en grande partie à l’exode de la population rurale vers les villes en quête de nourriture ou d’emplois.
Mme Suvanto, du PAM, a dit que son organisation travaillait actuellement en collaboration avec le gouvernement et d’autres partenaires sur le terrain pour développer les filets de sécurité des familles les plus vulnérables du pays en distribuant des vivres et de l’argent.
Les pénuries de fonds continuent toutefois de limiter les opérations.
Le projet actuel du PAM est financé à hauteur de 32 pour cent seulement. Au moins 28,1 millions de dollars seront nécessaires pour poursuivre les opérations jusqu’à la fin décembre. Le budget actuel permet au PAM de couvrir 45 pour cent seulement des besoins dans les régions où l’organisation concentre ses efforts.
21 juin 2015 par