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Luttes paysannes, alimentation... - Page 4

  • Inquiétudes en matière de sécurité alimentaire en Mauritanie (Afriques en lutte)

    NOUAKCHOTT - La Mauritanie, un pays affecté par la faim chronique, pourrait voir sa disponibilité alimentaire chuter à son niveau le plus bas depuis de nombreuses années si la sécheresse continue de ravager les cultures, les troupeaux et les moyens de subsistance.

    On estime à 1,3 million le nombre de personnes qui seront touchées par l’insécurité alimentaire cette année, selon la plus récente évaluation du Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC, selon le sigle anglais), qui bénéficie du soutien des Nations Unies. On s’attend à ce que près d’un demi-million d’entre elles souffrent d’insécurité alimentaire grave d’ici juin et « soient incapables de satisfaire leurs besoins alimentaires sans une aide extérieure ». Environ 21 000 personnes souffriront d’insécurité alimentaire extrême ou d’une perte quasi totale de leurs moyens de subsistance.

    « La Mauritanie est un pays qui est perturbé par les changements climatiques et par les chocs récurrents liés au climat, comme la sécheresse », a dit Janne Suvanto, directrice pays du Programme alimentaire mondial (PAM) en Mauritanie. « Au cours des dernières années, il y a eu des chocs successifs qui ont sérieusement affecté la sécurité alimentaire et nutritionnelle du pays. Cela a particulièrement compromis la capacité de résilience des populations les plus vulnérables. »

    De nombreuses familles ne se sont toujours pas remises de la sécheresse de 2012. Plus de 800 000 personnes ont alors eu besoin d’une aide humanitaire.

    Mme Suvanto a dit à IRIN que des évaluations récentes avaient montré que la situation en matière de sécurité alimentaire s’était progressivement détériorée en Mauritanie depuis la mi-2013 et qu’elle était actuellement semblable à ce qu’elle était pendant la sécheresse de 2012.

    Pas suffisamment d’eau

    Environ 75 pour cent du territoire mauritanien se trouve dans le désert saharien et 25 pour cent dans le Sahel. Selon la FAO, les précipitations annuelles moyennes s’élèvent à moins de 100 millimètres par année. Les habitants locaux disent qu’elles sont devenues encore moins fréquentes et plus irrégulières au cours des dernières années.

    Vu la pauvreté du sol et les mauvaises conditions agricoles, de nombreuses personnes sont contraintes de pratiquer le pastoralisme et l’élevage.

    « Ces dernières années ont été de plus en plus difficiles », a dit Hussein Ould Imijen, qui a déjà perdu 10 bêtes cette année à cause de la faim et de la soif. C’est une perte dévastatrice, car, comme la plupart des membres de la communauté, la capacité de M. Imijen à nourrir sa famille dépend de la vente de son bétail.

    Zeinabou Mint Mamadou Ould Neji, une résidente du village de Taboit, a dit à IRIN : « Les faibles précipitations des dernières années n’ont pas permis de recharger la nappe phréatique. »

    Elle a ajouté que les niveaux d’eau dans les puits étaient à peine suffisants pour boire et pour cuisiner, et encore moins pour arroser les cultures et les potagers.

    L’eau est rare, même dans des communes comme Azgueiloum, au Gorgol, une région située dans le sud de la Mauritanie et le long du fleuve Sénégal.

    « Nous avons récolté quelques haricots et du maïs cette année, mais la sécheresse précoce nous a coûté très cher », a dit Aminetou Mint Abeid, qui fait partie d’une association de femmes maraîchères à Nabaam. « L’aide fournie par les ONG internationales nous a permis d’être un peu plus indépendants et de satisfaire nos besoins, mais ce n’est pas suffisant quand les temps sont durs. »

    Souleymane Sarr, en employé d’Oxfam, est du même avis. L’organisation tente d’améliorer l’accès à l’eau au Gorgol.

    « L’eau est primordiale dans toutes ces régions », a-t-il dit à IRIN. « On ne peut pas les aider à accomplir quoi que ce soit sans garantir un accès durable à l’eau. »

    Pas suffisamment de nourriture

    L’an dernier, en raison des faibles précipitations, les récoltes de céréales sèches, comme le millet, le sorgho et le riz, ont été 38 pour cent moins abondantes que la moyenne des cinq dernières années. Selon Mme Suvanto, du PAM, l’écart, relativement important, signifie que la saison de soudure de cette année sera encore plus difficile qu’à l’habitude.

    De nombreuses familles ont commencé à diminuer le nombre de repas qu’elles prennent chaque jour ainsi que la qualité de la nourriture. Plusieurs personnes ont également commencé à vendre des biens pour se procurer des aliments de base.

    Près de 140 000 enfants de moins de cinq ans, femmes enceintes et mères allaitantes souffrent maintenant de malnutrition aigüe.

    Le programme d’alimentation scolaire du PAM, qui a jusqu’à présent permis de nourrir quelque 86 000 élèves du primaire issus des familles les plus vulnérables du pays, a été suspendu en mars en raison d’un manque de fonds. Cette suspension pourrait affecter gravement la santé des enfants d’âge scolaire. Certaines personnes accusent le gouvernement de ne pas en faire plus.

    « Aucune des familles que vous voyez dans ce village n’a reçu un seul des sacs de denrées qu’elles étaient censées recevoir du gouvernement », a dit Isselmou Ould Mohamed. « Sans Oxfam, ACF ou les ONG locales, il y aurait encore plus d’animaux morts. »

    « Ce sont des actes criminels », a dit un résident de la commune de Monguel qui a souhaité garder l’anonymat. « Ici, nos enfants ont faim et notre bétail meurt. Et [le gouvernement] ne propose toujours pas de solution », a ajouté l’homme en colère.

    Le ministère du Développement rural, qui est responsable des programmes d’agriculture et d’élevage, a refusé de commenter. La majeure partie des personnes qui souffrent d’insécurité alimentaire vivent dans les régions rurales, mais les travailleurs humanitaires disent qu’une attention particulière doit désormais être accordée aux zones urbaines, où la faim se répand.

    Selon des évaluations récentes du PAM, la situation en matière de sécurité alimentaire en périphérie de la capitale, Nouakchott, se détériore depuis 2011. Cela est dû en grande partie à l’exode de la population rurale vers les villes en quête de nourriture ou d’emplois.

    Mme Suvanto, du PAM, a dit que son organisation travaillait actuellement en collaboration avec le gouvernement et d’autres partenaires sur le terrain pour développer les filets de sécurité des familles les plus vulnérables du pays en distribuant des vivres et de l’argent.

    Les pénuries de fonds continuent toutefois de limiter les opérations.

    Le projet actuel du PAM est financé à hauteur de 32 pour cent seulement. Au moins 28,1 millions de dollars seront nécessaires pour poursuivre les opérations jusqu’à la fin décembre. Le budget actuel permet au PAM de couvrir 45 pour cent seulement des besoins dans les régions où l’organisation concentre ses efforts.

    21 juin 2015 par IRIN

    http://www.afriquesenlutte.org/afrique-du-nord/mauritanie-55/article/inquietudes-en-matiere-de-securite

  • Jeudi 11 Juin 2015 : « Le sionisme en questions » Pierre Stambul

    palestine1900-2000

    Le 11 juin 2015 à 20:00

    Amphi 2 

    29 Boulevard Gergovia, U.F.R. Lettres, Langues et Sciences Humaines,

    Clermont-Ferrand, France

    La guerre qu’Israël mène contre le peuple palestinien avec son cortège de nettoyages ethniques et de crimes de guerre n’a commencé ni en 1967, ni même en 1948. Elle remonte au début du XXe siècle quand les sionistes ont commencé leur conquête coloniale. Les « solutions » comme les accords d’Oslo qui ont voulu éviter d’aborder les questions vives (occupation, colonisation, apartheid, racisme …) ont définitivement échoué. Il est clair aujourd’hui qu’il s’agissait alors d’une grande illusion.

    La question du sionisme est centrale comme l’était celle de l’apartheid quand il a fallu imaginer un autre avenir pour l’Afrique du Sud.

    Le sionisme est à la fois une fausse réponse à l’antisémitisme, un nationalisme, un colonialisme et une manipulation de l’histoire, de la mémoire et des identités juives. Il est aussi une idéologie prétendant transformer les anciens parias de l’Europe jugés inassimilables en colons européens en Asie. Parce qu’il a gommé les différences idéologiques, le sionisme a abouti au gouvernement de type OAS qui gouverne aujourd’hui Israël.

    Cette idéologie n’est pas seulement criminelle pour les Palestiniens, elle n’offre aucune issue pour les Juifs qu’elle met sciemment en danger et qu’elle voudrait pousser à être traitres ou complices.

    Sans dépassement ou rupture avec le sionisme, aucune paix juste n’est envisageable.

    Pierre Stambul est membre de l’Union Juive Française pour la Paix dans laquelle il exerce ou a exercé de nombreuses responsabilités. Il est l’auteur de « Israël/Palestine, du refus d’être complice à l’engagement » (ed. Acratie, 2012).

    https://amistempsdescerises.wordpress.com/2015/04/03/jeudi-11-juin-2015-le-sionisme-en-questions-pierre-stambul/

  • Mauritanie: la préoccupante situation de l'accaparement des terres (Afriques en lutte)

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    Dans un pays où la souveraineté, voire la sécurité alimentaire, reste encore une chimère, on peut parler d’un gâchis par rapport à la situation des terres agricoles.

    Sur un potentiel estimé à 450 000 hectares, près de 200 000 hectare ne sont pas mises en valeur. En dépit de la règlementation des attributions foncières que gère l’Etat, elles ne font l’objet, en général, que de spéculations.

    Dans les faits, le foncier, en Mauritanie, demeure au centre d’enjeux multiples depuis les années 1980. « Y convergent tous les impératifs nationaux de respect et de consécration des droits humains, de consolidation de l’unité nationale, de renforcement de la cohésion sociale, de promotion de la femme, de gouvernance et de libération des énergies, dans un secteur agricole qui fait vivre plus des deux tiers de la population », constate Sarr Mamadou Moctar, secrétaire exécutif du Forum des Organisations des droits humains (Fonadh), principal initiateur des concertations entre le monde rural et les autorités.

    Cette situation se traduit par un désarroi pour « des centaines de milliers d’hommes, de femmes et de jeunes, issus de groupes agro-pastoraux, (qui) voient leur subsistance de plus en plus menacée », se désole M. Sarr, selon qui « la gouvernance foncière n’est pas plus soucieuse de sécuriser les terres indispensables aux petits cultivateurs que les espaces pastoraux pour leurs homologues pastoraux ». Secrétaire général de l’Ong Kawtaal n’gam Yellitaaré, en pointe dans le combat contre la spoliation des terres, Ba Amadou Alpha, y voit même une flagrante injustice sociale qui risque de mener à une situation explosive. Pour lui, la gestion foncière actuelle « ne respecte ni les lois existantes ni l’intérêt national, encore moins l’expérience des tenures traditionnelles, voire surtout, les intérêts des paysans, principaux acteurs économiques en ce domaine. Notre potentiel agricole ne profite qu’à l’agro-business étranger, via de faux acteurs économiques qui ne travaillent pas la terre, juste objet de spéculations financières pour eux. La facilitation récente de la régularisation des titres fonciers n’est qu’un leurre. Elle ne vise qu’à accentuer la légitimation des propriétés usurpées aux profits de délinquants en col blanc », déplore M. Ba.

    La problématique de l’accaparement n’est pas uniquement économique. Elle est sociétale. Les expropriations foncières ne visent que les terres contrôlées, depuis des siècles voire des millénaires, par les Noirs du pays, négro-africains et haratines, toujours au profit de la couche arabe beydane (maures blancs) du pays. « Une question fondamentale qui risque devenir le principal motif de remise en cause de la construction, toujours en difficulté de gestation, d’un Etat unitaire », prévient M. Ba.

    EXTENSION DU MONOPOLE

    Les terres constituent donc un enjeu majeur. Sarr Mamadou ne pense pas qu’à court terme cette situation de monopole puisse connaître une rupture. Selon lui, elle devrait, au contraire, s’amplifier, compte tenu du contexte actuel. « Depuis 2010, l’attribution des terres agricoles (terres de cultures sous pluie et de décrue) s’est accélérée. Cette année-là, le gouvernement mauritanien avait envisagé d’attribuer 50 500 hectares à une société saoudienne, Tabouk Eziraiya Errajihii, couvrant diverses parties des communes de Boghé, Dar el Avia, Ould Birome et Dar el Barka. Cette décision fut suspendue, grâce à la mobilisation des populations des communes concernées, soutenues par des organisations de la société civile mauritanienne. Mais, en 2013, 50 000 hectares, au Trarza, et 31 000, au Brakna, dans les communes de Dar el Avia, Ould Birome et Dar el Barka, furent alloués au profit d’une autre société saoudienne, Al-Rajihi, sous forme de bail emphytéotique. Des études topographiques réalisées par les autorités laissent entrevoir de possibles attributions de terres dans d’autres départements ».

    M. Ba juge que « la logique domaniale actuelle et le monopole étatique sont le fait exclusivement d’un pouvoir despotique. Il faut que les Mauritaniens, dans toute leur diversité ethnique et sociale, comprennent que seule la lutte en commun contre les discriminations, pour la transparence, la justice et la démocratie peuvent sauver ce pays du chaos vers lequel il se dirige inéluctablement, si rien de contraire ne s’y oppose ». Il pense que les mentalités évoluent, lentement mais sûrement, vers la nécessité du renversement de l’ordre établi.

    Il reste à évaluer les conséquences désastreuses de l’accaparement des terres.

    Tant sur les relations entre l’Etat et les populations rurales que sur l’environnement. En Mauritanie, signale Ba, « les terres cultivables ne couvrent pas 0,5% du territoire ». L’essentiel des activités agricoles se situe dans la Vallée du fleuve Sénégal où sont concentrées les populations noires. Des communautés villageoises étouffent dans leur espace, au point de ne plus trouver où enterrer leurs morts. D’autres sont privées, par des exploitations de type latifundiaire, des couloirs de transhumance et des pâturages sur les terres qu’elles réservaient à cette fin, selon une répartition experte et fonctionnelle des zones rurales.

    D’après Ba, l’Etat n’a même pas la bonne âme de respecter un espace vital, si petit soit-il. Dans plusieurs localités, il exproprie jusqu’aux pâturages des animaux, au mépris du droit le plus élémentaire. C’est par exemple le cas dans les environs de Dar El Barka où le bétail, privé de pâture, pénètrera, forcément, dans les zones protégées. Encore faudrait-il que ces dernières existent encore. Tout comme les cimetières, elles sont le plus souvent également attribuées aux spéculateurs. Une mise sous coupe réglée qui empêche tout développement de l’agriculture et l’élevage vivriers, sources exclusives de revenus dans ces zones.

    A Diatar, les populations ne disposent plus, autour de leur village, que d’une bande de quarante mètres d’espace vital.

    A Donnaye, on part enterrer les morts au Sénégal. Dans la plaine de Boghé, on a bloqué, à dessein, l’irrigation naturelle des terres cultivables qu’on a vendu à des Marocains. En réalité, on se moque de la nature et même de la nature humaine. « C’est une politique, non seulement, de spoliation inacceptable, mais aussi sauvage de gestion insensée de l’espace qui ne tient aucun compte des besoins élémentaires de la nature et de l’homme », fulmine encore M. Ba.

    Pour avoir dénoncé cette situation, en novembre 2014, lors d’une caravane menée dans le sud mauritanien, destinée à sensibiliser les populations sur les questions foncières et la législation rurale en rapport avec l’esclavage, Biram Dah Abeïd, président d’Ira-Mauritanie, son vice-président Brahim Bilal Ramdhane et Djiby Sow, président de Kawtal N’gam Yellitaaré, ont été condamnés, le 15 janvier, à deux ans de prison ferme, au seul motif de « désobéissance à l’autorité ». Celle-ci ne pouvait pas mieux avouer son implication dans l’exploitation éhontée du terroir et des populations en Mauritanie...

    Thiam Mamadou 10 mai 2015

    Source : http://flammedafrique.org

    http://www.afriquesenlutte.org/afrique-du-nord/mauritanie-55/article/mauritanie-la-preoccupante

  • La réforme agraire au coeur des affrontements (Orient 21)

    Egypte. Vallee du Nil. Sechage de dattes, palmeraie au sud du Caire.jpg

    Luttes de classe dans un village égyptien

    L’histoire du village de Qoutat Qaroun est à l’image de la paysannerie égyptienne, celle d’un conflit permanent entre de gros propriétaires terriens insatiables et proches des cercles de décision politique, et des paysans qui doivent leur survie à des baux de fermage rendus caducs par de nouvelles lois. La liquidation de la réforme agraire nassérienne et la révolution de janvier-février 2011 ont aggravé les conflits.

    Le village de Qoutat Qaroun se trouve dans la région du Fayoum, à 130 kilomètres environ des fameuses pyramides de Gizeh, soit deux heures en voiture. Contrairement aux images des cartes postales, cette immense oasis à l’ouest du Nil, rendue célèbre par son lac féérique de Qaroun, sa pêche au canard et son hôtel de l’Auberge construit en 1937 avant la seconde guerre mondiale, est l’une des régions les plus pauvres d’Égypte.

    Les 5 000 habitants du village de Qoutat Qaroun ne reçoivent l’eau potable que deux fois par semaine. Certes, on y trouve deux écoles primaires et deux collèges. L’électricité y est aussi raccordée, ce qui permet aux habitants de regarder la télévision et les chaînes satellites. Mais le lycée le plus proche se trouve à trente kilomètres et les villageois doivent parcourir dix kilomètres supplémentaires pour accéder aux soins de base à l’hôpital central situé dans la ville d’Ebshoway.

    Réminiscences féodales

    Le tribunal local a récemment prononcé, en un seul mois, près de vingt condamnations en première instance à l’encontre de huit fellahs pauvres accusés d’avoir volé les récoltes des terres qu’ils cultivaient. Les plaintes ont été déposées par la famille Wali, au long passé féodal et très influente dans l’appareil d’État. Près de 65 familles ont ainsi été obligées de renoncer à 150 hectares de terre cultivable du village (environ 3 hectares par famille), que ces paysans pauvres avaient pu acquérir et exploiter en 1966 grâce à l’une des dernières mesures de la réforme agraire du temps de Gamal Abdel Nasser, sans pour autant disposer des titres de propriété officiels.

    Dans un pays comme l’Égypte, l’histoire de l’acquisition par des familles féodales de vastes étendues de terres cultivables renvoie d’emblée au type de relation avec le pouvoir et le gouvernant. C’est ainsi que le conflit autour de la terre entre les paysans et la famille Wali à Qoutat Qaroun est entré dans sa nouvelle phase néolibérale, avec le vote de la loi numéro 96 en 1992 qui a libéré les baux ruraux et les a soumis au marché, aux règles de l’offre et de la demande. Le montant du bail d’un hectare de terre cultivable a été multiplié par 27 en 18 ans depuis la mise en application de cette loi en 1997. Du fait de ces politiques, près de 900 000 paysans pauvres en Égypte (31 % des paysans de l’époque, selon les statistiques officielles du ministère de l’agriculture) ont été expulsés de terres dont ils avaient toujours disposé en fermage, et contraints d’émigrer ou de travailler comme journaliers agricoles ou dans le bâtiment. Des mesures préjudiciables économiquement et socialement pour près de 5,3 millions de personnes.

    Mais dans le Fayoum, Qoutat Qaroun et les villages environnants sont affectés par un drame particulier, qui tient au fait que la famille féodale évoquée plus haut compte parmi ses membres Youssef Wali. Il était vice-premier ministre, ministre de l’agriculture, secrétaire général du parti au pouvoir (le Parti national démocratique), et député au Parlement au moment où la loi a été votée et mise en application. Autrement dit, dans son conflit avec les fellahs, Youssef Wali a utilisé sa position au sein du gouvernement, du Parlement et du parti pour faire voter une loi qui lui est profitable ainsi qu’à ses proches. La spécificité réside dans le fait que cette famille puissante a réussi à faire expulser, outre des familles du village de Qoutat Qaroun, des familles paysannes d’autres villages, avec lesquelles la famille Wali n’avait pas de bail de fermage et dont les terres n’avaient pas fait l’objet de mesure judiciaire.

    L’expropriation et l’expulsion des fellahs démunis a été possible avec la mise en application de la loi 92 de 1996, et grâce à des opérations de police qui ont touché des centaines de villages égyptiens à travers l’Égypte. Selon un rapport du centre Terre en Égypte, il y aurait eu 334 paysans tués entre 1997 et 2003, dont une centaine la première année. Selon les témoignages recueillis à Qoutat Qaroun, les opérations de police se sont multipliées en 1997, des arrestations ont eu lieu au centre de police à Ebshoway, et les détenus ont été torturés individuellement au moyen d’électrochocs. Ils ont également subi des tortures collectives, telle celle qui consiste à faire circuler le courant électrique au sol de la cellule après l’avoir inondé d’eau. À son retour à son domicile, Ismaël Khalil, l’un des prisonniers, est mort des suites de ce type de torture.

    Avec la révolution, l’occupation des terres

    La révolution du 25 janvier a changé la donne dans le village de Qoutat Qaroun. Dès que les paysans ont vu sur les chaînes satellite l’effondrement de l’appareil policier le 28 janvier et la démission de Hosni Moubarak lui-même le 11 février, ils ont repris la terre. En 2012, les petits propriétaires ont constitué leur propre syndicat indépendant dans le village, après une longue période de privation du droit de se constituer en syndicat. C’est ainsi qu’à la suite d’un décret émis en mars 2011 par le ministère de la main-d’œuvre, près de 350 syndicats se sont constitués, même s’ils ne se sont pas regroupés en une union syndicale.

    Les 65 paysans et leurs familles, qui disposent de petites propriétés à Qoutat Qaroun, ont ainsi trouvé, dans le conflit qui les oppose à la famille Wali, un cadre collectif qui les représente auprès des autorités. Le rôle du syndicat s’est confirmé lorsque la famille Wali a repris son souffle et s’est remise à monter les forces de l’ordre contre les fellahs, en les accusant de vols et de destructions de leurs propres récoltes. Les syndicats ont alors organisé des sit-in devant le bureau du procureur général. Durant la présidence de Mohamed Morsi, ils ont également agi pour obtenir à des taux préférentiels des engrais qui ont été redistribués aux paysans. De même qu’ils se sont engagés dans une tentative de commercialisation collective des récoltes d’olives et de poires en 2012.

    C’est aussi au cours de cette période que Mohammad Juneidi a été emprisonné pendant un mois, au début de l’année 2013, au motif qu’il aurait volé la récolte de la terre qu’il cultivait. À ce propos, il convient de rappeler que les Frères musulmans étaient opposés aux lois de réforme agraire depuis les années 1950, mais se sont montrés plus souples vis-à-vis de celles concernant les baux ruraux au début des années 1990.

    Un chapitre d’histoire sociale

    Mais les choses se sont compliquées pour les paysans après le 3 juillet 2013 et la chute du président Morsi. À Qoutat Qaroun, la famille Wali est revenue à l’attaque, en même temps que les anciens apparatchiks et fonctionnaires du régime de Moubarak qui n’hésitent pas à abuser de leur pouvoir contre les citoyens en prétextant la préservation du prestige de l’État, la lutte contre le terrorisme ou encore la poursuite des Frères musulmans. La famille Wali a incité les autorités à la haine des paysans, allant jusqu’à les accuser d’avoir participé au sit-in de Rabaa au Caire et d’être des sympathisants des Frères musulmans. Ces pressions ont fini par payer et des fellahs ont renoncé aux baux de fermage. Ahmad Mohammad Issa, quant à lui, a été emprisonné en mars dernier, accusé de vol de récolte.

    Telle que dépeinte plus haut, la multiplication des peines d’emprisonnement subies par les paysans de Qoutat Qaroun est sans nul doute le résultat de discriminations en hausse de la part de l’administration publique et de fausses accusations portées contre eux. Mais les événements actuels ne sont qu’un chapitre, parmi d’autres, d’une histoire sociale conflictuelle étendue à l’ensemble du monde rural égyptien. Ce conflit est affecté de fait par la manière dont évolue la situation au sommet de l’État au Caire, même si les médias et les journaux de la capitale n’y prêtent pas grande attention.

    Karem Yehia 30 avril 2015
     
  • Les paysans de 36 wilayas réunis hier à Boumerdès : La mafia du foncier pointée du doigt (El Watan)

     

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    Des centaines d’agriculteurs venus de 36 wilayas du pays se sont rencontrés, hier à Boumerdès, pour «échanger leurs expériences» et faire part de leurs difficultés. Ce colloque a permis de faire remonter à la surface le  désarroi qui habite les paysans face à la dilapidation du foncier agricole par une mafia vorace.

     

    Le discours des responsables du secteur de l’agriculture ne colle plus avec la réalité que vivent les paysans aux quatre coins du pays. Hier, plus de 450 agriculteurs venus de 36 wilayas se sont rencontrés à Boumerdès pour «échanger leurs expériences afin d’améliorer la qualité et la quantité de leurs rendements».

    Mais les paysans ayant assisté à ce regroupement en ont gros sur le cœur. Ils sont unanimes à dire que les promesses des pouvoirs publics quant au développement de ce secteur névralgique n’ont jamais été traduites dans les faits. Ce colloque a été inauguré par le ministre de l’Agriculture et du Développement rural, Abdelwahab Nouri, mais les belles paroles qu’il a prononcées pour la circonstance ne cachent guère le désarroi du gros de l’assistance. Les présents font état d’énormes problèmes qui les empêchent d’aller de l’avant pour réduire la facture des importations de  produits alimentaires.

    400 ha pour Saadani !

    Certains agriculteurs, notamment ceux des wilayas du Sud, se sont plaints surtout des entraves bureaucratiques les empêchant d’accéder au terrain de l’Etat. Ils dénoncent même les spéculateurs du foncier qui ont revendu les terrains qui leur ont été octroyés par l’Etat pour les exploiter dans le cadre de l’agriculture. «On ne donne jamais les terrains à ceux qui veulent les labourer», dénonce un fellah de la daïra de Guemmar, dans la wilaya d’El Oued.

    Notre interlocuteur parle d’un vaste trafic du foncier agricole. «Même Saadani y est impliqué. Il a eu 400 ha et les a revendus, mais personne n’a levé le petit doigt, alors que de nombreux agriculteurs ont été poursuivis en justice et chassés des terres qu’ils avaient mises en valeur par leurs propres moyens pour la simple raison qu’ils n’avaient pas d’autorisation», regrette-t-il. Un terrain de 10 ha, selon lui, est cédé à raison d’un million de dinars dans la région.

    Hachifa Imad, un jeune agriculteur de la commune d’El Rebbah, dans la même wilaya, a affirmé que les autorités locales lui avaient même détruit un champ de pomme de terre, un forage et des centaines de dattiers pour cause d’absence d’une autorisation d’exploitation dudit terrain, ce qu’il avait pourtant demandé 5 ans auparavant. «On nous dit que la terre appartient à celui qui la met en valeur, mais en réalité c’est le contraire qui se fait», déplore-t-il. Imad n’est pas le seul à avoir subi «l’injustice et la hogra» de la part des services qui devraient les encourager à cultiver les vastes terres arides du Grand-Sud.

    Son collègue Hmidat Mohamed a, lui aussi, été saboté par ceux-là mêmes qui sont censés le soutenir. «J’exploitais une assiette de 8 ha depuis plusieurs années, mais il y a un an, on a détruit mon verger et saisi même le groupe électrogène que j’ai acquis à 100 millions de centimes», dénonce-t-il. Kahlif Débar (34 ans), lui, dit avoir reçu une mise en demeure il y a quelques semaines pour évacuer le terrain de 12 ha qu’il exploite depuis des années. Khalif cultive la pomme de terre et a réalisé 7 forages avec ses propres moyens. «Je suis un Algérien. Normalement je n’ai pas besoin d’avoir une autorisation, que j’ai d’ailleurs demandée, pour labourer des terrains abandonnés», estime-t-il.

    1200 km pour acheter de l’engrais

    Dif Larbi (35 ans) est un éleveur d’El Oued qui dispose de 600 têtes d’ovin et d’un champ de pomme de terre qui s’étend sur 5 ha. Cet ingénieur en planification avait formulé une demande, en 2010, pour l’obtention de 5 ha pour développer son activité et accroître sa production. En vain.

    Les agriculteurs venus de Tindouf, eux, se plaignent du manque d’eau et de main-d’œuvre qualifiée et des difficultés qu’il rencontre pour obtenir un crédit bancaire. «Les responsables des succursales des banques se trouvant chez nous n’ont aucun pouvoir de décision. Ils doivent aller à Béchar (800 km) pour avoir une réponse à leur demande», précise Zaâf Ahmed, ajoutant que les paysans de Tindouf partent parfois jusqu’à Oran et Mostaganem (1200 km) pour acheter l’engrais et les semences. «On souffre du manque d’eau.

    Le meilleur forage de la wilaya donne 13l/minute. J’exploite 10 ha en plasticulture, mais je rencontre d’énormes problèmes pour irriguer mes vergers. Et on n’a pas le droit de creuser des forages sans autorisation», dit-il, en soulignant que l’Etat leur a interdit même de construire des maisons sur les terrains qu’il leur a cédés. Notre interlocuteur indique que l’Etat ne subventionne pas les engrais dans les wilayas du Sud. Contrairement au Nord où il rembourse 20% de son coût aux fellahs

     

    Ramdane Koubabi le 17.03.15 | 10h00

    http://www.elwatan.com/actualite/les-paysans-de-36-wilayas-reunis-hier-a-boumerdes-la-mafia-du-foncier-pointee-du-doigt-17-03-2015-290027_109.php