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  • Moyen-Orient. «Du point de vue de l’intérêt du peuple syrien, la priorité est de mettre un terme à cette guerre» (Al'Encontre.ch)

    Entretien avec Gilbert Achcar

    Il semble que personne en Occident n’a le loisir de détourner le regard de ce qui se passe au Moyen-Orient. Il y a eu, ces dernières semaines, les attentats à Londres et il y a quelques jours à Stockholm. Il apparaît pourtant que les Occidentaux ne parviennent pas à comprendre véritablement ce qui se passe au Moyen-Orient. Comment expliquer cela?

    On ne peut blâmer les gens en général car ce qu’ils savent provient des médias. Il va de la responsabilité des forces progressistes de fournir les informations et les explications que les médias dominants ne procurent pas. Le manque d’information est général. Les gens ne comprennent pas ce qui se passe ou reçoivent un aperçu déformé. Ils ne réalisent généralement pas le rôle que jouent leurs Etats dans le développement de la situation, leur contribution à ce qui se passe.

    Un ensemble de conditions favorise la montée du terrorisme et le profil des personnes impliquées dans les attentats est très différent d’un cas à l’autre. L’attentat de Stockholm a été réalisé par un Ouzbek et c’est un acte plutôt d’un caractère plutôt exceptionnel. Des pays comme la France ou le Royaume-Uni sont, cependant, impliqués dans des guerres en Irak, en Syrie, au Yémen et au Mali. Ces pays, qui ont une longue histoire de violence coloniale, ont été systématiquement sous attaque. Pour ce qui a trait aux Etats-Unis, s’ils n’étaient protégés par le fait d’être situés au-delà des océans ainsi qu’une surveillance de type «big brother»,  ils seraient constamment sous attaque.

    Les motivations qui sous-tendent le terrorisme sont diverses. Un grand nombre de ceux qui ont été attirés par l’Etat islamique étaient des citoyens français ou britanniques d’origine immigrée. Cela indique une combinaison entre des conditions sociales et politiques qui favorisent la montée de cette «radicalisation». La plupart des gouvernements n’ont pas d’autre réponse que la répression et la guerre. Songez à l’état d’urgence en France ou en Egypte. Ce dernier exemple est adéquat en ce qu’il montre comment la violence nourrit la violence. Les Chrétiens ont été transformés en boucs émissaires dans des conditions violentes créées à l’origine par l’instauration brutale du régime lors du coup de 2013. De nouvelles restrictions des libertés et un accroissement de la violence constituent la seule réponse de ces régimes.

    En effet, si l’on se réfère aux émeutes des banlieues de 2005 en France, on remarque qu’elles n’avaient rien de religieux. Si l’on observe toutefois le profil de ceux qui ont rejoint l’Etat islamique, nombre d’entre eux ont trouvé une conviction dans leur action dans les émeutes d’alors. C’est une constante, pour ces personnes, que l’absence d’autres perspectives sociales ou politiques…

    Les prisons sont devenues un centre important de recrutement pour la violence djihadiste. Il n’y a aucun mouvement progressiste capable de représenter ces catégories de personnes comme c’était le cas dans le passé avec les grands partis de la classe laborieuse qui organisaient, au moins partiellement, les migrants. Une partie de la colère qui aurait pu être canalisée vers ces organisations se dirige aujourd’hui dans la violence djihadiste.

    Cette absence d’alternatives progressistes est aggravée par la montée du racisme et de l’islamophobie depuis le 11 septembre 2001. L’Etat islamique joue sur ces aspects en projetant une image hollywoodienne de lui-même en tant que contre-violence, ce qui attire des jeunes désireux d’échapper à leurs conditions sociales difficiles et à leur existence vers une expérience intense de «héros» de leur cause.

    Prenons par exemple la Tunisie. Il s’agit, proportionnellement, du pays d’origine du plus grand nombre de jeunes qui sont allés combattre avec l’Etat islamique. Comment cela s’explique-t-il? La Tunisie était un pays relativement laïc ayant peu de tradition de fondamentalisme islamique violent jusqu’à récemment. On ne peut séparer cela du fait qu’il y a en Tunisie un chômage des jeunes massif, des conditions sociales qui se détériorent ainsi qu’une énorme frustration parmi les jeunes qui ont participé à la «révolution» qui s’est achevée par un retour du personnel de l’ancien régime ainsi que d’un président âgé de 90 ans.

    Ce type de frustration produit toujours une couche de gens dans les marges qui cherchent à exprimer leur colère en recourant au terrorisme. Une chose semblable s’est passée en Europe dans le sillage de la radicalisation de la jeunesse à la fin des années 1960-début 1970. En Allemagne, suite à l’échec du mouvement de Rudi Dutschke [le SDS : Sozialistischer Deutscher Studentenbund, très actif dans le mouvement contre la guerre des Etats menée au Vietnam], la Fraction armée rouge est apparue. Des choses similaires se sont déroulées en Italie avec les Brigades rouges, ainsi qu’en France, plus marginalement. Une fraction d’une génération a participé à des luttes avec de grandes espérances et elle a échoué car elle n’a pas eu la capacité de conduire à un changement. La frustration qui en est résultée a créé au sein d’une frange les conditions d’une spirale de la violence. Il en est allé de même avec le printemps arabe. Parce que la gauche a échoué en large mesure et qu’elle est restée dans l’ensemble faible, le fondamentalisme islamique a pris sa place en canalisant une partie de la frustration sociale et politique.

    Nous vivons dans une nouvelle période historique. L’ancienne gauche du XXsiècle a échoué et le besoin de renouveau se fait sentir. Un potentiel immense existe au sein de la nouvelle génération, ainsi que l’ont démontré la campagne Bernie Sanders et l’élan autour de Jeremy Corbyn. Nous assistons, bien sûr, à une bipolarisation entre l’extrême-droite et la gauche radicale. Ce dont nous avons besoin, c’est d’un mouvement progressiste qui ne soit pas une répétition de la gauche du XXsiècle, mais une chose véritablement différente: une gauche du XXIsiècle qui tiendrait compte de l’échec de la gauche du siècle passé. Un certain nombre de groupes et d’individus travaillent dans cette direction, mais les manques sous cet angle sont encore très importants. C’est une question clé pour le XXIsiècle face à la montée de l’extrême droite de gens comme Donald Trump et Marine Le Pen.

    Si l’on se tourne vers la Syrie, quelles sont les possibilités de paix? Federica Mogherini, la Haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, a lancé un appel à la transformation de la guerre par procuration en Syrie en une paix par procuration [proxy war/proxy peace]. Est-ce que l’on va dans cette direction? Comment pensez-vous que la paix puisse être garantie dans la région?

    Je ne pense pas qu’il puisse y avoir une paix en Syrie sans soutien international. De même que cette guerre est prolongée par l’engagement des diverses forces internationales, la paix doit être appliquée grâce à un engagement international. Cela comprend non seulement des négociations de paix, auxquelles une participation internationale est indispensable car tous ceux qui contribuent à cette guerre doivent faire de son arrêt, mais aussi par des troupes internationales de maintien de la paix. Je ne peux imaginer une paix en Syrie sans déploiement de troupes de maintien de la paix.

    Vous avez déclaré qu’il ne peut y avoir de paix en Syrie alors qu’Assad est au pouvoir…

    La présence d’Assad au gouvernement aura pour effet que les tensions resteront élevées. Son retrait de la présidence est donc une condition pour mettre un terme au conflit. Il pourrait s’achever alors qu’il reste à son poste au cours d’une période de transition, mais son départ est une condition indispensable à une paix durable. Tandis que les gouvernements occidentaux prétendent que c’est l’Etat islamique qui est la priorité en Syrie, je considère que la priorité est de mettre un terme à cette guerre sanglante.

    La seule intervention significative des Etats-Unis dans la guerre en Syrie, au-delà du bombardement de l’Etat islamique, s’est faite aux côtés des YPG kurdes [Unités de protection du peuple, liées au parti PYD]. Les seules troupes américaines sur le terrain aident les YPG: les Etats-Unis soutiennent les forces kurdes car ils estiment qu’elles sont les seules efficaces dans le combat contre l’Etat islamique, et qu’il s’agit en outre d’une force laïque dans laquelle sont impliquées des combattantes, ce qui est bien reçu par le public des Etats-Unis. Ceci dit, le soutien aux YPG dans leur combat contre l’Etat islamique est une bonne chose, qu’il provienne des Etats-Unis ou de quiconque. Certains à gauche considèrent que l’on doit s’opposer à une intervention des Etats-Unis, où qu’elle ait lieu. Le fait, toutefois, reste que sans soutien des Etats-Unis, Kobané serait tombé et les Kurdes auraient traversé un désastre. Ceci indique la complexité de la situation, qui n’est pas celle où il y aurait une séparation claire entre les «bons» et les «méchants». Si l’on est quelqu’un de véritablement progressiste, soutenant de véritables valeurs de gauche et affichant comme priorité l’émancipation démocratique des gens, on doit déterminer une position sur cette base – et non par une opposition viscérale envers tout ce que font les Etats-Unis, les Etats-Unis et ses alliés exclusivement, tout en ignorant ce que fait la Russie et ses alliés.

    Du point de vue de l’intérêt du peuple syrien, la priorité est de mettre un terme à cette guerre. Cet objectif supplante tous les autres, y compris le retrait d’Assad. Le but est de créer en Syrie les conditions d’une reprise d’un processus politique ainsi que celles qui permettent le retour de millions de réfugié·e·s. Parmi ces derniers se trouvent les plus progressistes, dont un grand nombre, si ce n’est la plupart, ont quitté la Syrie vers la Turquie, le Liban, l’Europe ou ailleurs car ils ne pouvaient rester libres et en vie sous le régime ou face aux groupes armés fondamentalistes islamiques. En ce sens, il était juste qu’ils partent. J’espère que les conditions permettant le retour de ces personnes en Syrie seront rapidement créées et que le processus politique puisse reprendre. C’est pourquoi des troupes internationales sont nécessaires. Des gens comme vous et moi ne se sentiraient pas en sécurité sans la présence de troupes de maintien de la paix vous protégeant autant du régime que de ses ennemis fondamentalistes.

    Qu’avez-vous à dire au sujet de l’opposition armée, ceux qui l’on nomme parfois les «rebelles modérés» ou l’Armée syrienne libre?

    L’Armée syrienne libre n’existe plus vraiment, bien qu’il y ait toujours des groupes qui y fassent référence. L’opposition armée est désormais dominée par des groupes qui recouvrent le spectre du fondamentalisme islamique, allant d’une modération relative aux djihadistes et salafistes et culminant avec Al-Nosra et l’Etat islamique. Cette situation de l’opposition en Syrie est le résultat de la carte blanche offerte par Washington à la Turquie et aux monarchies du Golfe dans la gestion de l’opposition. Ils ont fait tout ce qu’ils pouvaient pour créer ce type d’opposition syrienne au moyen de la distribution de leurs financements, armes et autres équipements.

    La position envers l’Etat islamique a été ambiguë autant de la part du gouvernement turc que celui de Syrie. Le régime syrien a construit des rapports avec l’ancêtre irakien de l’Etat islamique et les a maintenus longtemps avec le prétendu califat. Le gouvernement turc, de son côté, a longtemps fermé les yeux devant les mouvements de l’Etat islamique le long de ses frontières et soutenu activement Al-Nosra. L’ennemi principal du régime syrien est l’opposition dominante, et pas l’Etat islamique. De même, le principal ennemi du gouvernement turc est le PYD/YPG et la principale raison pour laquelle les troupes turques sont entrées en Syrie l’automne dernier consistait à combattre le mouvement kurde, pas l’Etat islamique. Bien sûr, les Etats-Unis portent la responsabilité principale devant la montée de l’Etat islamique pour en avoir créé les conditions avec son invasion de l’Irak.

    Et le gouvernement syrien a en quelque sorte favorisé les fondamentalistes islamiques comme son pendant…

    C’est ce que je nomme les «ennemis préférés» du régime. Au début, Assad a libéré de prison de nombreux djihadistes. L’un d’entre eux a fondé l’Armée de l’Islam. Un de ses proches dirige désormais l’opposition syrienne aux négociations d’Astana [capitale du Kazakhstan] sponsorisées par la Russie. Les exemples de ce type abondent: des djihadistes relâchés par Assad qui deviennent des figures clés de l’opposition armée fondamentaliste islamique. Cela permet au régime d’effrayer les minorités religieuses ainsi qu’une partie des Arabes sunnites de Syrie en affirmant que l’opposition est principalement composée de djihadistes, d’Al-Qaida, etc. Il s’agit effectivement des ennemis préférés du régime de la même façon que ce sont les amis préférés des monarchies du Golfe ou d’Erdogan qui préfèrent traiter avec de tels groupes qu’avec des forces progressistes.

    Qu’en est-il de l’opposition officielle, tel Conseil national syrien?

    L’opposition officielle a échoué lamentablement. L’échec du soulèvement syrien a débuté lorsque sa direction est passée des comités de coordination de base en Syrie au Conseil national syrien basé à Istanbul sous la tutelle qatarie-turque et avec une place de choix dévolu aux Frères musulmans. Cela a représenté le commencement de la fin de la première étape du processus révolutionnaire syrien. Lorsque, fin 2011, ces gens ont pris le contrôle et se sont exprimés au nom de la révolution syrienne, on pouvait déjà prédire l’échec. Au début, ils ont placé à sa tête des personnalités progressistes: un professeur de gauche, un homme d’origine kurde ainsi qu’un chrétien. Mais ce jeu s’est terminé au bout d’un certain temps et le royaume saoudien a repris les rênes lorsque le Conseil national syrien a cédé la place à la coalition nationale syrienne.

    L’argent a corrompu le tout. Alors que des millions de réfugiés se rassemblaient aux frontières dans des conditions effrayantes, ces gens se réunissaient dans des hôtels cinq étoiles. Il s’agissait d’une corruption délibérée de la part des financiers [de l’opposition officielle]. La même chose s’est produite avec le mouvement palestinien après 1967, lorsque les Saoudiens lui a lancé des dollars. Il s’agissait d’une manière d’empêcher que l’opposition syrienne devienne progressiste car cela aurait constitué une menace autant pour les monarchies du Golfe que pour le régime Assad. Cette corruption des mouvements de libération est un problème majeur dans la région. On commence avec la révolution palestinienne et l’on finit avec Mahmoud Abbas ou encore on débute avec le mouvement de libération kurde et l’on finit avec des gens comme Massoud Barzani [dirigeant depuis 1979 du Parti démocratique du Kurdistan et du gouvernement régional du Kurdistan] qui est un allié de la Turquie, le principal oppresseur du peuple kurde.

    Une complète régénération du mouvement et une nouvelle direction sont évidemment nécessaires. Prenons par exemple les Etats-Unis et le phénomène surprenant de la campagne Bernie Sanders. C’est peut-être la première fois aux Etats-Unis depuis les années 1930 que de larges masses, comprenant des millions de jeunes Américains, s’identifient à une personne qui se qualifie de socialiste. Le potentiel est grand, mais il a besoin d’organisation politique et de clarification. Nous sommes au commencement d’une nouvelle période historique. L’ancien système s’effrite et le potentiel de renouveau est énorme. Pour emprunter une citation à Gramsci – que j’ai utilisée dans le titre de mon dernier ouvrage: «l’ancien meurt et que le nouveau ne peut pas naître : pendant cet interrègne on observe les symptômes morbides les plus variés.». La dérive vers l’extrême droite et la montée du terrorisme figurent au nombre des symptômes morbides.

    Qu’en est-il alors du PYD-YPG et des Forces démocratiques syriennes? Indiquent-elles une voie différente des «deux forces contre-révolutionnaires», pour reprendre votre qualificatif du régime syrien et des fondamentalistes islamiques, y compris l’Etat islamique?

    Les YPG-YPJ [les YPJ sont les unités féminines] représentent les forces armées les plus progressistes sur le terrain en Syrie mais elles ne peuvent constituer un modèle pour le reste du pays en raison de son facteur ethnique. Les Forces démocratiques syriennes sont multi-ethniques, mais les gens considèrent celles-ci comme un instrument du PYD. Reconnaître le fait que les cantons kurdes constituent l’expérience la plus progressiste en Syrie ne doit pas amener au romantisme. Même avec les meilleures intentions, les choses ne peuvent être bonnes dans des conditions de guerre. Les groupes de défense des droits humains font état d’abus politiques et ethniques dans les zones sous hégémonie du PYD.

    Il est vrai que ceux qui, du côté arabe, dénoncent cela devraient d’abord reconnaître le long héritage d’oppression nationaliste arabe des Kurdes. Nous devons dépasser les tensions ethniques et accepter les droits de chaque peuple. Chaque peuple devrait jouir du droit à l’auto-détermination et le peuple kurde devrait pouvoir décider s’il veut vivre dans des cantons autonomes ou même dans un Etat séparé – ce ne sont pas les affaires des Arabes, mais une décision qui revient aux seuls Kurdes dès lors que cela les regarde et ne porte pas atteinte aux droits des autres peuples. C’est là, bien entendu, l’un des problèmes clés auquel fait face la région. Alors que tout le monde se concentre actuellement sur l’Etat islamique en Irak, cette question a seulement renvoyé à plus tard les tensions confessionnelles entre sunnites et chiites et ethniques entre les Arabes, les Turkmènes et les Kurdes. Il n’y a pas d’issue à ce casse-tête en dehors des droits démocratiques et des libertés fondamentales, la liberté de chacun étant limitée par la liberté des autres sans que les uns prennent le dessus. (Entretien publié le 13 avril 2017 sur le site komnews.org; traduction A l’Encontre)

    Alencontre le 18 - avril - 2017

    http://alencontre.org

  • Agitation sociale dans l’arrière-pays tunisien (Le Monde)

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    La fermeture annoncée d’une usine au Kef réveille la rancœur des provinces reculées, qui n’ont pas profité de la révolution.

    « Ça peut dégénérer », grimace Mehdi Bennani. Cet ouvrier tunisien est inquiet. Il dit souhaiter que la protestation demeure pacifique. Mais comment savoir, « si l’impasse se prolonge » ? Au pied du Kef, cité du nord-ouest tunisien agrippée à flanc de montagne, le camp de fortune des employés d’une usine de câbles, affiliée au groupe Coroplast – un équipementier automobile –, est devenu le cœur militant de toute une région au bord de la crise sociale.

    Le camp a été installé sur la grand-route qui relie Tunis à la frontière algérienne, située à 40 km. Sous une bâche de toile, des matelas sont posés au sol. Un fourgon de police veille, au-delà d’un semblant de barricade formé de poubelles et de ferraille. Ce soir-là, dans l’obscurité trouée de loupiotes, les ouvriers sont impatients de s’épancher, tirant sur leurs cigarettes et buvant du Coca-Cola dans des gobelets en carton.

    Ville à l’agonie

    Voilà deux semaines qu’ils sont entrés en rébellion contre la fermeture jugée inévitable – bien que non expressément annoncée – de leur usine, qui emploie 430 salariés dont une majorité des femmes. Dans cette ville de 55 000 habitants, chef-lieu d’un gouvernorat souffrant de mal-développement, l’usine de Coroplast est tout un symbole, celui d’un investissement étranger (en l’occurrence allemand) attiré par un généreux dispositif d’incitations fiscales. Un échec mettrait à mal tout un modèle. Lors d’un rassemblement, fin mars, des milliers de manifestants ont fait cortège à un grand cercueil blanc, emblème de leur ville à l’agonie.

    Cette agitation du Kef survient alors que d’autres mouvements sociaux secouent Kairouan, Tataouine, Gafsa. Six ans après la révolution de 2011, la Tunisie n’en finit pas de buter sur la question sociale, le talon d’Achille de sa transition démocratique. Avec une croissance stagnant à 1 % et un taux de chômage de 15,5 % – le double pour les diplômés de l’enseignement supérieur –, la tension sourd à travers le pays, notamment dans les régions de l’intérieur s’estimant discriminées par rapport à un littoral mieux loti.

    Selon le Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES), la Tunisie a été le théâtre, en mars, de 1 089 protestations – collectives ou individuelles –, en hausse de 14,7 % par rapport à février. Si la perspective proche du ramadan, fin mai, devrait neutraliser à court terme tout risque de contagion à grande échelle, « la rentrée de septembre-octobre promet d’être dure », prédit Abderrahman Hedhili, le président du FTDES, qui surveille à la loupe les mouvements sociaux en Tunisie.

    « Marginalisation délibérée »

    Au Kef, le malaise est profond. Avec son fort ottoman aux murs crénelés surplombant une vaste plaine verdoyante, la cité respire la quiétude. Mais les apparences sont trompeuses, et l’ambiance s’est durcie depuis que les ouvriers soupçonnent la direction de l’usine de Coroplast de préparer le transfert des activités du Kef vers un autre site du groupe, à Hammamet, fleuron touristique du Sahel, le littoral développé du nord-est du pays. A les croire, la manœuvre est le fait du directeur tunisien de l’usine, originaire lui-même de cette région côtière, qui n’aurait cessé de discréditer le Kef auprès de l’état-major du groupe allemand. « Il a tout fait pour nous étrangler, pour nous empêcher de travailler dans des conditions normales », s’indigne Mehdi Bennani.

    Le bras de fer touche une corde sensible, celle du ressentiment des régions tunisiennes de l’intérieur à l’égard du Sahel, accusé d’accaparer les ressources du pays. « Je ne veux pas faire de régionalisme, clame Mihoubi Ayachi, un retraité de l’enseignement solidaire des ouvriers de Coroplast, mais les Sahéliens dominent le pouvoir politique à Tunis tandis que notre région du Nord-Ouest ne dispose d’aucun relais au sommet. » « Depuis cinquante ans, le Kef est victime d’une politique de marginalisation systématique et délibérée », renchérit l’historien Mohamed Tlili. Derrière le vernis de la transition démocratique, la fracture régionale demeure plus béante que jamais en Tunisie.

  • « Nous aspirons de toute urgence à la renaissance des mouvements et de l’esprit du printemps arabe, seuls à fournir une possibilité de rompre avec la spirale mortelle des politiques du Moyen-Orient » (ESSF)

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    Non à la brutalité d’Assad ! Non à l’Etat islamique ! Non aux bombardements et aux forces militaires des Etats-Unis et de la Russie en Syrie ! Pour une renaissance du printemps arabe !

    • Nous sommes terrifiés par les attaques incessantes et cruelles du régime Assad, assisté de Moscou et de Téhéran, contre le peuple syrien. En termes de brutalité pure, les bouchers de Damas ont peu d’équivalents dans le monde d’aujourd’hui. Nous condamnons toutefois aussi sans réserve le bombardement par les Etats-Unis, ainsi que la présence de leur armée en Syrie qui tueront des innocents et qui ne contribueront en rien en une solution juste au conflit syrien tout en concourant à renforcer la présence militaire réactionnaire des Etats-Unis au Moyen-Orient et à consolider l’affirmation rhétorique d’Assad selon laquelle il défend le peuple syrien contre l’impérialisme occidental, aussi creuse que cette déclaration puisse être.

    • Assad prétend représenter la seule force entre la « stabilité » et une victoire de l’Etat islamique. C’est ignorer le fait que des régimes autoritaires et répressifs comme ceux d’Irak, d’Arabie saoudite, de Bahreïn et de Syrie sont très efficaces quant au recrutement de l’Etat islamique et de djihadistes du même type. L’autre terreau majeur dans le recrutement des extrémistes religieux et de terroristes au Moyen-Orient est, avec leur histoire sanglante d’interventions, les Etats-Unis et leurs alliés. A cela s’ajoute, dans le cas des Etats-Unis, la carte blanche presque totale accordée à l’Etat Israël. S’il est possible que l’attaque par missile de Trump contre la base aérienne de Shayrat [suite à l’attaque « chimique » contre Khan Cheikhoun, dans la province d’Idleb] ait été limitée, un tel bombardement a sa propre logique, mettant dangereusement en jeu le « prestige » impérial des Etats-Unis, déclenchant ainsi potentiellement des attaques en escalade ainsi que des contre-attaques.

    • Nous assistons en Syrie à un ensemble de symbioses mortelles : Assad et l’Etat islamique s’utilisant l’un l’autre comme justification de leur propre sauvagerie alors que les Etats-Unis et ses alliés, d’un côté et, de l’autre, la Russie et l’Iran, pointent le doigt sur les crimes tout à fait réel des uns et des autres afin de justifier des interventions qui ne protègent ou défendent en aucune mesure le peuple syrien. Ils n’ont d’autre objectif que de servir leurs intérêts impériaux dans la région (ou, dans le cas de l’Iran, de puissance sous-impériale).

    La guerre en Syrie ne peut être comprise en dehors du paysage politique plus large de l’ensemble du Moyen-Orient. Les soulèvements révolutionnaires populaires du printemps arabe, de la Tunisie à l’Egypte, à Bahreïn en passant par la Syrie, la Libye et le Yémen ont offert une perception d’un avenir juste et démocratique pour les peuples de la région. Jusqu’à maintenant ces aspirations ont été frustrées et, dans la plupart des cas, elles semblent avoir été écrasées par la conjugaison de forces locales réactionnaires et le soutien de leurs parrains étrangers.

    La résistance en Syrie s’est toutefois montrée étonnamment résiliente : pas plus tard qu’au mois de mars de l’année dernière, des manifestations de rue courageuses se déroulaient dans les villes syriennes sous le slogan « la révolution se poursuit » lors des brefs arrêts des hostilités. Le New Statesman indiquait : « Lorsque des combattants de Jabhat al-Nosra ont tenté d’attaquer l’une de ces manifestations dans la ville de Maarat al-Numan, les manifestants les ont expulsé en scandant “Un, un, un ! Le peuple syrien est un !”. Il s’agit d’un slogan des premières phases, laïques, du soulèvement lorsque les Syriens se battaient pour endiguer les tensions confessionnelles et ethniques croissantes injectées par l’engagement djihadiste dans le conflit. » [1]

    • Nous vivons à une époque de doubles standards énormes et obscènes.

    Nous voyons Donald Trump, accompagné de la plupart des médias dominants ainsi que des politiciens démocrates et républicains de premier plan, déplorant hypocritement le massacre d’hommes, de femmes et de bébés innocents en Syrie – alors qu’ils restent froidement indifférents devant les massacres et les victimes perpétrés par les Etats-Unis et les forces qu’ils soutiennent à Mossoul et au Yémen. Au même moment, des réfugiés syriens désespérés par le carnage de Syrie sont cruellement rejetés hors des frontières des Etats-Unis.

    Nous voyons aussi Donald Trump accueillir le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi [le 3 avril 2017], alors qu’il écarte de manière éhontée toute préoccupation en termes de droits humains et continue la politique généreuse d’aide militaire d’Obama malgré l’horrible liste d’assassinats et d’emprisonnements de milliers d’opposants. On peut néanmoins prédire sans l’ombre d’un doute, que si et lorsque l’Etat islamique gagnera un nombre toujours croissant de partisans en Egypte face au règne dictatorial de Sissi, nous entendrons un chœur de défenseurs affirmant qu’aussi détestable qu’il puisse être, Sissi est, en tant que dirigeant laïc, meilleur que les djihadistes barbares, qu’il bénéficie d’un soutien populaire et qu’il doit donc être soutenu.

    • Au même moment, Vladimir Poutine, le gouvernement russe et l’agence « d’informations » RT (Russia Today) déplorent l’abominable destruction de quartiers ainsi que la mort de civils à Mossoul et au Yémen. Ils dénoncent également l’insensibilité de l’armée américaine – tout en justifiant les attaques d’Assad contre les populations d’Alep et du reste du pays. En réalité, la participation militaire russe, qui comprend le soutien aérien aux attaques contre les opposants civils et militaires du régime, a joué un rôle significatif, probablement critique, dans le maintien au pouvoir du régime Assad.

    • Nous rejetons totalement ces alternatives aberrantes. Nous aspirons de toute urgence à la renaissance des mouvements et de l’esprit du printemps arabe, seuls à fournir une possibilité de rompre avec la spirale mortelle des politiques du Moyen-Orient. Nombreux seront ceux qui écarteront cette perspective comme étant impraticable ; ce qui est toutefois vraiment impraticable, c’est l’idée que les grandes puissances, chacune avec son propre programme impérial, apporteront la justice ou la démocratie. Si, envers et contre tout, les forces démocratiques parviennent à arracher un accord les protégeant de la poursuite des massacres par Assad et l’Etat islamique et qu’il leur permette de lutter à nouveau plus tard, leur décision d’accepter un tel accord limité devra être respectée. Cependant, même un tel accord ne pourra être gagné qu’à la suite de pressions provenant du peuple syrien, et non par l’initiative de puissances extérieures qui, malgré leurs différences et rivalités, partagent une profonde hostilité devant le renouveau de forces populaires autonomes en Syrie ou n’importe où ailleurs.

    • Les forces populaires démocratiques peuvent bien être actuellement faibles, mais notre position de principe ainsi que pratique consiste à affirmer notre solidarité avec leurs luttes, à tenter de les renforcer ainsi qu’à nous opposer à tous ceux qui tentent de les renverser ou de les détruire.

    Déclaration de la Campaign for Peace and Democracy


    http://alencontre.org/

  • Solidarité avec les prisonniers palestiniens en grève de la faim ! (NPA)

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    Ce lundi 17 avril, à l’occasion de la Journée des prisonniers, 1500 prisonniers politiques palestiniens ont entamé une grève de la faim pour protester contre leurs conditions de détention, autour du mot d’ordre « Liberté et Dignité pour les prisonniers ».

    Nous apportons tout notre soutien aux 7000 prisonniers palestiniens, victimes de l’arbitraire de l’administration coloniale israélienne, et détenus dans des conditions contraires à toutes les conventions internationales.

    Nous tenons, au-delà de la solidarité avec les prisonniers politiques, à exprimer notre soutien au peuple palestinien en lutte contre l’occupation, la colonisation et les discriminations, face au gouvernement d’extrême-droite de Netanyahou qui leur mène une guerre sans merci.

    L’État d’Israël est un État hors-la-loi et le soutien dont il bénéficie de la part des pays occidentaux, France en tête, est un scandale qui n’a que trop duré. Israël doit au contraire être sanctionné jusqu’à ce que les droits nationaux du peuple palestinien soient satisfaits.
    Palestine vivra, Palestine vaincra !


    Montreuil, le 17 avril 2017