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Nouveautés sur Agence Médias Palestine
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Les intentions cachées d’une série télévisée sur les juifs égyptiens (Orient 21)
Omissions, mensonges et propagande
Programmer une série « spécial ramadan » consacrée aux juifs était un pari particulièrement audacieux. En Égypte, la chaîne Mehwar Drama l’a tenu. Avant sa diffusion, et tout au long du mois, des polémi- ques ont enflé sur les sujets abordés et la façon dont ils l’étaient. Le problème : les erreurs historiques sont multiples, les combats sont dépolitisés et la propagande actuelle contre les Frères musulmans et les Palestiniens relayée. Analyse de cette série dont les épisodes sont disponibles sur YouTube.
Avec son titre accrocheur, le thème de cette série ramadanesque était un pari risqué pour le réalisateur égyptien Medhat El-Adl. Dans Harat al-Yahoud « Le Quartier juif », il revient en effet sur un chapitre de l’histoire contemporaine controversé et finalement peu documenté : le départ des juifs d’Égypte suite à la création de l’État d’Israël et à la première guerre israélo-arabe de 1948-1949. C’est à travers l’histoire d’amour entre Ali, un officier de l’armée, musulman, et Leïla, une jeune fille juive que le réalisateur tente de réconcilier les Égyptiens avec un partie de leur héritage. Cependant, cette noble intention est desservie par les innombrables erreurs historiques qui parsèment la série et par des discours politiques qui sont le reflet trop manifeste de la propagande du régime actuel.
Un improbable « âge d’or » reconstitué en studio
Si le quartier juif existe toujours, le réalisateur a décidé de le reconstituer en studio. On découvre un quartier lumineux, aux rues larges et propres, avec un cinéma et des immeubles anciens caractérisés par des appartements à hauts plafonds et un mobilier luxueux. Rien à voir avec la réalité décrite par Albert Arié, rencontré par Orient XXI.
Agé de 85 ans, Albert Arié séjourna plusieurs semaines dans le quartier juif à la fin de l’année 1947. Détaché au « quartier juif » dans le cadre d’une campagne de lutte contre l’épidémie de choléra qui touche l’Égypte à cette époque, il raconte : « J’ai découvert l’un des quartiers les plus pauvres du Caire, aux immeubles branlants et en mauvais état, érigés le long de petites ruelles sales et enchevêtrées ». Il explique par ailleurs que s’il existait des quartiers où l’on trouvait des juifs, des musulmans et des chrétiens de classe moyenne vivant ensemble, comme à Abbassiyah ou à Sakakini, les habitants du quartier juif étaient en revanche tous juifs et vivaient bien en dessous du seuil de pauvreté. Avec un faible niveau d’éducation, souvent même illettrés, ils occupaient majoritairement de « petits boulots ». Rien à voir donc avec la mixité religieuse et les personnages cosmopolites mis en scène dans la série : pachas, officiers de l’armée et une classe moyenne petite-bourgeoise, composée d’orfèvres, de vendeurs de tissus, d’employées chez Cicurel1 et de diplômés du collège de la Mère de Dieu2, parlant français et récitant Albert Camus.
- Intérieur riche
Si l’on peut se réjouir par ailleurs de l’histoire d’amour entre Ali et Leïla, elle n’aurait probablement pas été tolérée du temps où l’Égypte était en guerre contre « l’entité sioniste » et où la loi martiale (déclarée en mai 1948 mais non mentionnée dans la série) était en vigueur. À ce sujet, Arié s’indigne : « il est grotesque d’imaginer qu’un officier aurait pu envoyer des lettres à sa petite amie juive depuis le front sans que celles-ci soient interceptées, ou qu’il soit renvoyé ». Il s’étonne aussi de l’ignorance des spécificités du judaïsme et de ses différentes doctrines, ignorance manifeste notamment dans la mise en scène d’un mariage peu probable entre une juive rabbinite et un juif karaïte (9).
La famille karaïte est par ailleurs noble et riche, à la tête d’un réseau finançant l’émigration des juifs égyptiens vers Israël. Or, les juifs karaïtes3 étaient parmi les plus pauvres d’Égypte et parmi ceux dont le sentiment national égyptien était généralement le plus fort. Le réalisateur gomme ainsi les écarts et contraintes séparant les différentes classes sociales de l’époque mais aussi les différentes religions et représente une Égypte telle qu’il se l’imagine, non telle qu’elle était, dans une vision plus romantique que nostalgique d’un « âge d’or » à l’andalouse où tout le monde coexistait4.
Certes, le réalisateur n’échappe pas aux contradictions du cinéma et de la société égyptiens, comme lorsqu’il habille les jeunes actrices de tenues aguichantes, courtes et décolletées, dignes de la haute couture à l’européenne et plutôt associées aux classes moyennes de l’époque. On peut dire aussi qu’il s’agit d’une fiction et que le réalisateur peut donner libre cours à son imagination, comme dans l’épisode 9, lorsque le personnage de l’officier égyptien parvient, après s’être évadé d’une prison de l’armée israélienne, à rejoindre l’Égypte en se jetant dans un train qui relie les États israélien et égyptien... bien qu’il n’y ait jamais eu de train entre ces deux États. Interrogé à ce sujet par Al-Masry al-Youm, le réalisateur a simplement répondu : « je voulais qu’il s’échappe par le train. »
Petits arrangements avec l’Histoire
La série n’en demeure pas moins une fiction historique, et ce qui pourrait passer pour des lubies de la part du réalisateur devient plus problématique lorsqu’il réécrit le cours des événements. La chronologie est en effet bien souvent malmenée, comme lorsque l’assassinat du premier ministre Mahmoud Al-Nuqrashi (décembre 1948, ici épisode 10) se produit après la signature de l’accord d’armistice entre l’Égypte et Israël (janvier 1949 mais épisode 6 !)5.
Dans un premier temps, ce manque de rigueur du réalisateur a eu pour conséquence de décrédibiliser auprès du public égyptien et arabe l’ensemble de la série, y compris et surtout le portrait « humain » dressé des juifs, inédit dans le cinéma égyptien. Il aura retenu toutes les attentions, dénoncé comme une manipulation supplémentaire destinée à donner une image positive d’Israël6 bien que la série ait son lot de « méchants » juifs, comme le personnage d’un orfèvre avide qui reprend les clichés les plus classiques du cinéma égyptien.
La représentation romantique d’une Égypte tolérante et respectueuse de ses communautés éclipse les moments douloureux qui ont poussé les juifs à quitter l’Égypte, comme la série d’attentats à la bombe contre le quartier juif dès 1947, les dizaines de victimes et la vague d’exode qui s’ensuivit. Les politiques de persécutions et d’exil forcé orchestrées par le gouvernement et notamment le ministère de l’intérieur sont, elles aussi, occultées par la représentation d’une nation égyptienne forte et unie, en lutte contre l’occupant britannique. Le seul cas d’exil forcé mentionné dans la série, sans être pour autant expliqué, est celui d’Henri Curiel, dont le personnage fait une furtive apparition aux épisodes 18 (1 minute 30) et 19 (40 secondes). Finalement, la question du départ des juifs d’Égypte se retrouve dépolitisée et les prises de position politique des personnages, qu’il s’agisse du choix d’émigrer en Israël ou de l’adoption d’un discours anti-juif, sont réduites à une dimension individuelle, résultat de déceptions amoureuses, de querelles ou encore de ressentiment personnels.
Dans ce contexte, les quelques événements historiques et discours politiques qui surgissent en toile de fond de manière grossière, voire caricaturale, s’intègrent mal et il est difficile de ne pas y voir le reflet d’une propagande politique plus actuelle.
Caricature des Palestiniens
À l’image de la question de l’émigration des juifs d’Égypte, les conséquences de la création de l’État d’Israël pour les Palestiniens sont éclipsées et les représentations ponctuelles et caricaturales qui sont faites ne redorent guère leur image dans le contexte politique et médiatique égyptien actuel, particulièrement hostile aux Palestiniens.
Le premier Palestinien de la série apparaît au 4e épisode sous les traits d’un « collabo » des forces d’occupation israéliennes. Bien que par la suite, ce personnage s’avère en réalité un agent double espionnant l’ennemi, on regrette que ce soit l’entrée choisie par le réalisateur, d’autant que la représentation des Palestiniens ne s’améliore pas au cours des épisodes suivants (8, 9 puis 19) où ils apparaissent uniquement sous les traits de quelques villageois (bédouins ?) palestiniens, totalement passifs, aux habits folkloriques, entourés de leurs chameaux, dans un décor semi-désertique.
Il faut attendre l’épisode 18, soit plus de la moitié de la série, pour que la résistance palestinienne entre en scène incarnée par... des Palestiniens attaquant un kibboutz. Cette scène silencieuse d’une durée de 40 secondes ponctuée uniquement par des coups de feu montre les Palestiniens tournant autour de ce qui semble être une antenne relais, tels des Indiens autour du feu. L’épisode se conclut par une seconde attaque sur la personne du dirigeant du kibboutz par un enfant palestinien qui tente de le tuer avec un fusil.
Agents doubles, agresseurs ou spectateurs mais toujours silencieux ou tout simplement absents d’un conflit qui n’est plus le leur, les Palestiniens se trouvent ainsi réduits au rôle de figurants tandis que par ailleurs la série reprend certains éléments du discours sioniste sans aucun démenti : un commandant de kibboutz explique que cette terre est en réalité la terre des juifs « depuis 2000 ans » et que ce qu’il veut c’est vivre en paix : il rêve d’une grande maison, d’amour, de paix et de musique... mais ils doivent se défendre contre les Palestiniens qui les attaquent (16 et 18). En revanche, les propos antisémites sont toujours attaqués par des répliques scandalisées et véhémentes.
Les débats politiques sur la colonisation et l’occupation de la Palestine ainsi mis en scène apparaissent donc simplifiés, pour ne pas dire simplistes, et finalement biaisés dans un contexte où les relations avec Israël n’ont jamais été aussi fortes, du renforcement du blocus sur Gaza après le coup d’État du 3 juillet 2013 au renvoi d’un ambassadeur en Israël après presque 3 ans d’absence en passant par la complicité de l’Égypte dans l’attaque menée par Israël sur Gaza à l’été 2014. Ce n’est donc pas tant l’humanisation des juifs que l’absence de traitement identique vis-à-vis des Palestiniens et des Frères musulmans qui se fait le reflet de la nouvelle phase de normalisation accrue avec l’occupant israélien entamée par les nouvelles autorités égyptiennes.
Frères musulmans, une vision manichéenne
Dès le premier épisode, le ton est donné avec une attaque contre les Frères musulmans et leur rôle dans la guerre contre l’occupant sioniste et le déni de la réalité de l’envoi de brigades fréristes en Palestine. C’est ensuite leur rôle politique dans la réussite du coup d’État des Officiers libres (1952) qui est occulté, alors qu’ils constituaient l’une des principales forces mobilisatrices, sans compter leurs rapports organisationnels avec les Officiers libres dont nombre des membres du comité exécutif ont appartenu à un moment ou un autre aux Frères Musulmans et alors que l’on dénombrait plus de 70 recrues des Frères musulmans parmi les Officiers libres7. Le réalisateur présente les Officiers libres comme une force détachée des courants idéologiques de l’époque et les communistes sont eux aussi vivement attaqués, accusés à tort de « rassembler des juifs pour les envoyer en Israël », alors que les communistes égyptiens rejetaient le sionisme.
À partir de l’épisode 10, les réunions secrètes qui se multiplient en vue d’une révolte ne font qu’exacerber l’aspect caricatural des discours de chacune des parties : d’un côté, des officiers uniquement préoccupés par le bien du pays veulent rejoindre les Officiers libres, rejetant l’idée d’une adhésion aux Frères musulmans — des « assassins » qui « mélangent politique et religion pour tromper les pauvres et les innocents » (17). De l’autre, des Frères musulmans qui discutent essentiellement de leurs intérêts et de l’avenir de la confrérie après l’assassinat de leur leader Hassan Al-Banna (14, 15).
Hypocrites dans leur solidarité avec les Palestiniens et finalement plus occupés à semer la discorde dans le pays (et dans le quartier) en propageant l’idée que « les juifs ici sont comme les juifs en Israël » (4), le portrait dressé des Frères musulmans est loin d’être aussi humain que celui des juifs. Albert Arié, communiste et juif, qui a côtoyé de nombreux Frères musulmans, notamment pendant ses onze années de détention en tant que prisonnier politique, explique : « Les Frères musulmans ont effectivement mené certaines attaques contre les juifs mais ils avaient d’autres chats à fouetter, surtout après leur dissolution. Réduire l’histoire post-1948 des juifs égyptiens à ces attaques, c’est réductionniste et c’est une insulte à la vérité. Ce n’est pas la peur des Frères musulmans qui a poussé les juifs à partir mais la peur et les pressions de la sécurité intérieure et du ressentiment populaire croissant ».
À l’épisode 11, suite à l’assassinat du premier ministre Nokrachi, les attaques contre la confrérie sont formulées par le personnage d’Al-Banna lui-même : « Ce que j’ai bâti depuis 1928 est en train d’être détruit par des gens qui sont immatures, instables et ne comprennent rien ». « Ce qui nous est arrivé avant est une chose mais ce qui va nous arriver maintenant va être bien pire. Aujourd’hui va commencer la guerre contre nous », ajoute-t-il ; une déclaration presque prophétique si l’on considère la répression actuelle subie par les Frères musulmans. Par ailleurs, la nécessité de lutter contre les idées de la confrérie revient à de nombreuses reprises : alors que dans le quartier, voyous et prostituées deviennent eux aussi les héros de la résistance contre l’occupant (16) entraînés par l’officier Ali, celui-ci explique que les idées des Frères musulmans doivent être combattues, tandis que ceux qui les embrassent sont présentés comme des jeunes trop crédules (la sœur d’Ali) ou fanatiques (son compagnon).
Face aux Frères musulmans (et aux communistes), les jeunes et beaux officiers, courageux, aux discours progressistes et unitaires, sont les seuls véritables patriotes, l’officier amoureux Ali renonçant finalement à son bonheur personnel dans la dernière scène, son amour de la patrie étant plus fort que celui qui le lie à Leïla.
La vision romantique d’une nation égyptienne forte, unie dans toutes ses composantes et conduite par une armée glorifiée fait écho au slogan du coup d’État militaire du 3 juillet 2013 : « le peuple, l’armée, la police, main dans la main ». Et finalement, alors que le réalisateur tente de retracer les deux années qui ont suivi le coup d’État de 1952 et la nouvelle dissolution des Frères musulmans en 1954, les discours anachroniques contre les Frères accusés de vouloir « récupérer la Révolution » ou de faire partie d’une « cinquième colonne » cachent mal les positions assumées du réalisateur qui compare Gamal Abdel Nasser et Abdel Fattah Al-Sissi : « Nous voyons l’histoire se répéter. Les Frères musulmans ont essayé de prendre le dessus sur la révolution de juillet mais ont échoué parce que Nasser était un leader avec une stratégie. C’est arrivé à nouveau avec la révolution du 25 janvier (2011, début du printemps égyptien) comme les événements le prouvent. »8 L’un des éclairs de vérité sur cette question réside peut-être dans cette phrase prononcée dans l’un des derniers épisodes par un jeune Frère musulman : « Quoi qu’il advienne, ils disent toujours que c’est notre faute ou celle des communistes » (28).
Au service du discours dominant actuel
L’histoire des juifs d’Égypte, celle de la révolution de 1952 et la question palestinienne sont des thématiques sensibles qui ont été soumises, au fil des décennies, à l’interprétation et à la manipulation des différents régimes égyptiens. La série Le quartier juif est le reflet de son époque et du discours dominant actuel, alors que la peine de mort de Mohamed Morsi, accusé d’espionnage au profit « du Hamas, du Hezbollah chiite libanais et des pasdarans iraniens » a été confirmée le 16 juin 2015.
Certes, concernant la question des juifs d’Égypte, cette série représente une nouvelle tentative9 de briser un tabou et de bousculer certaines idées reçues auprès de la population égyptienne, comme le montrent non seulement les nombreuses polémiques mais aussi l’intérêt porté par certains médias ces dernières semaines à cet aspect de l’histoire contemporaine négligé jusque-là. Son héritage est menacé ; sur 100 000 juifs égyptiens en 1948, il n’en reste plus que quelques uns10. Nous conclurons alors avec ces mots d’Albert Arie dans un entretien à Ahram online : « Ce qu’il faut maintenant c’est faire en sorte que l’histoire des juifs égyptiens, qui fait en fait partie de l’histoire de l’Égypte, soit bien documentée et leurs monuments préservés pour qu’un jour peut-être, l’histoire complète soit correctement racontée, loin des buts de propagande politique ou de gains commerciaux ».
Céline Lebrun 7 août 2015 -
Changement d’image pour le Festival du film de Locarno pour essayer de se dérober au boycott d’Israël (Aurip)
Plus tôt cette année, des professionnels de l’industrie cinématographique du monde entier se sont engagés à boycotter le Festival international du film de Locarno, en Suisse, en raison de son partenariat avec l’Israel Film Fund parrainé par l’État israélien.
En dépit des efforts des organisateurs du festival, rebaptisant la section du festival consacrée aux films financés par l’État israélien – et « équilibrant » avec des films arabes d’Afrique du Nord -, les signataires en faveur du boycott restent fermes sur leur engagement à ne pas participer à Locarno.
Avec le soutien financier du gouvernement israélien, la section « Carte Blanche » du festival devait être consacrée aux films venant d’Israël, présentés au dernier stade de la production afin de mettre en valeur les réalisateurs pleins d’avenir devant les représentants de l’industrie.
Aujourd’hui, il semble que le festival est en train d’essayer de se dérober à la condamnation de sa relation avec l’État d’Israël – et au boycott qui monte – en modifiant le nom de la séance « Carte Blanche ».
Évoquant « certaines réactions que l’édition de cette année a provoquées », le site du Festival international du film de Locarno affirme que la décision a été prise de « changer le nom de l’initiative, en la renommant "First Look", parce que le nom précédent de "Carte Blanche" ne reflète pas suffisamment la façon dont le projet est organisé et qu’il donne lieu à de fausses interprétations ».
« Un équilibre »
Dans ce qui paraît être une surenchère cynique sur ce qui est présenté parfois comme un « équilibre », une autre section du festival – le programme Open Doors – va être, cette année, consacrée aux films venant des pays d’Afrique du Nord de langue arabe, Maroc, Algérie, Libye et Tunisie.
Le site du festival avait publié des affirmations tout aussi fallacieuses dans sa déclaration initiale d’avril, défendant le choix d’Israël pour le programme alors nommé « Carte Blanche », quand il prétendait :
« Cela a été le cas en 2007 quand le Festival a consacré la section Open Doors aux pays du Machrek (Syrie, Liban, Jordanie, Israël, Iraq, Territoires palestiniens et Égypte), avec la rétrospective 2006 "Est de la Méditerranée" des Pardi di domani, ou quand il a mis l’accent en 2013 sur les films syriens, produits en dépit de conditions incroyablement difficiles. Pour nous, ces principes de la liberté artistique représentent un symbole auquel on ne peut renoncer. »
Sauf que selon un communiqué de BDS Tunisie, la plupart des réalisateurs et producteurs tunisiens ont retiré leurs films du festival en protestation contre la présence institutionnelle israélienne. La page correspondante sur le site du festival semble bien confirmer l’existence d’un désarroi dans le programme, car elle a été effacée et aucun contenu nouveau n’est venu la remplacer.
Et selon un courriel envoyé à The Electronic Intifada par la réalisatrice palestinienne primée Annemarie Jacir, plusieurs des réalisateurs algériens et marocains se sont également retirés, ce qui montre la réticence des artistes du monde arabe à se laisser utilisés pour blanchir Israël.
Changer de nom
Représentant déjà une vitrine précieuse pour les professionnels de l’industrie, les films projetés au programme « First Look » seront aussi éligibles à un prix comprenant 60 000 € de services post-production par Rotor Film et un soutien publicitaire de 5500 € par le Film français.
Selon le quotidien israélien Ha’aretz, les organisateurs du festival persistent à prétendre que le changement de nom a eu lieu parce que « la nature du projet, qui est consacré au cinéma israélien, n’est pas une "carte blanche" étant donné que ce n’est pas une plate-forme pour l’État d’Israël ni pour l’Israel Film Fund, et parce que le choix des films en post-production est réservé à la seule direction artistique du festival. »
Cependant, Ha’aretz affirme aussi que le programme officiel du festival « montre clairement que le cinéma israélien aurait apprécié bien davantage la représentation ».
Deux autres films israéliens avaient été donnés en très bonne position dans le programme du festival et sur les listes des nominés pour les prix. Le réalisateur israélien Nadav Lapid avait été désigné comme juré pour l’un des prix du festival.
5 août| Sarah Irving pour The Electronic IntifadaDes artistes et des professionnels du cinéma tunisien annulent leur participation au Festival de Locarno 2015, BDS Tunisie, 1er août 2015.
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À propos du cinéma palestinien: l’État d’Israël contre Suha Arraf (Agence Medias Palestine)
Suha Arraf est une cinéaste palestinienne de Mi’ilya en Galilée, en Israël. Elle a aussi une formation de journaliste. Cet interview d’Arraf a été fait à la suite de la projection récente de son premier long métrage, Villa Touma, au Festival International de cinéma de Cleveland aux États Unis.
Isis Nusair (IN): D’où vient l’idée du film, Villa Touma?
Suha Arraf (SA): L’idée du film m’est venue en 2000, pendant le processus de paix d’Oslo (et avant le début de la deuxième Intifada). À l ‘époque, je travaillais comme journaliste et j’avais rédigé une description de la ville de Ramallah. Les premières années d’Oslo ont été pleines d’espoir, quand des Palestiniens ont pu rentrer de la diaspora. La ville était florissante d’activités culturelles et de festivals. Le maire m’avait suggéré de visiter l’hôtel Ramallah (hôtel Madame Odeh) près de la place al-Manarah. Il disait que c’était un des monuments de Ramallah. L’hôtel de deux étages tenait son nom de sa belle propriétaire, Aida Odeh. Elle vivait seule dans l’hôtel magnifiquement meublé en bois sculpté, avec des lits aux draps blancs. Le jardin n’était pas négligé mais il était sans vie. De l’encens brûlait dans l’hôtel et il y avait quelque chose de triste. C’était comme si vous remontiez dans le temps dès l’instant om vous y mettiez le pied.
Avant 1967, des groupes de flamenco d’Espagne et d’Italie venaient se produire à l’hôtel. Des Palestiniens de l’intérieur de la ligne verte venaient y passer leur lune de miel. Omar Sharif, Faten Hamam, le roi de Jordanie et Shoukri al-Qawatli avaient l’habitue d’y séjourner. L’hôtel a fermé après la guerre de 1967. La ville a beaucoup changé après la guerre et une partie de l’aristocratie s’en est allée, en partie sous la contrainte et en partie parce qu’elle se refermait sur elle-même. Mme Odeh vivait avec ses souvenirs, hors de l’occupation et des déplacements qu’elle a causés. Ses yeux brillaient tandis qu’elle me parlait du passé. Il y a quelque chose de très fort dans cette image.
IN: Pourquoi était-il important pour vous de montrer, dans Villa Touma, l’interaction entre classe, genre et religion ?
SA: Le film est politique sans nécessairement traiter directement de politique. Il décrit le temps, le temps qui s’arrête comme pour l’hôtel Madame Odeh. C’est un film daté de la deuxième Intifada. C’est une métaphore de la condition palestinienne actuelle et d’une guerre d’usure. Le mur autour de la villa que nous avons construit pour le film représente le mur construit par Israël pour encercler la Cisjordanie. J’ai choisi de me centrer sur la maison de l’intérieur pour dépeindre son isolement. Le film montre ce à quoi on est occupé à l’intérieur, le tic-tac de l’horloge et le pépiement des oiseaux. À mesure que la situation gagne en intensité, on commence à entendre le bruit d’un hélicoptère et des clacksons de voitures à l’extérieur. Lentement, l’isolement se délite.
N: Aviez-vous l’intention de réduire l’espoir en insistant sur l’inévitabilité de la défaillance ou de l’effondrement ?
SA: Je voulais laisser quelque espoir. Le bébé du film vivra et la vie continuera. Il y avait aussi un changement dans la solidarité inter générationnelle parmi les trois sœurs envers leur nièce Badea. Je viens de Mi’ilya. C’est un village de Galilée et nous sommes une famille de paysans. Nous n’avons pas d’appartenance aristocrate. Pour faire ce film, j’ai fait de sérieuses recherches. J’ai regardé de vieilles maisons palestiniennes dont les tableaux accrochés aux murs étaient des œuvres d’artistes libanais d’avant la guerre de 1948. Ces maisons avaient leur caractère propre. Nous avons filmé dans une maison de Haifa ayant appartenu à une famille palestinienne qui l’a vendue à un investisseur juif à la suite d’un désaccord entre les propriétaires. Nous avons cassé une partie des murs à l’intérieur de la maison et mis des fenêtres.
Une partie du problème, avec le cinéma, ce sont ses slogans et la division binaire entre héros et victimes. Où est l’humain dans tout cela ? De l’extérieur nous sommes représentés comme des « terroristes » ou des « victimes » et nous nous représentons nous-mêmes comme des « héros » ou des « victimes ». Les humains sont plus compliqués que ça. Je voulais construire des personnages réalistes manifestant leur force. Je voulais montrer des personnages proches de la réalité des gens et pas des personnages faits pour le cinéma ; des personnages auxquels nous puissions nous identifier. Je ne voulais pas qu’ils trimballent des slogans.
N: Que signifie le fait que les quatre personnages principaux du film soient des femmes ?
SA: J’aime écrire sur les femmes et montrer leur complexité, leur vie intérieure et leur volonté. En ce moment j’écris le script d’un nouveau film dont les personnages centraux sont des femmes. Les femmes sont généralement décrites comme mères ou épouses de martyrs emprisonnés. Les femmes du film sont complexes, elles ont des histoires d’amour qui se mêlent à la politique. Nous perdons notre humanité quand nous sommes représentées de façon unidimensionnelle.
IN: Comment le film a-t-il été reçu ?
SA: Les histoires autour du film ont commencé alors qu’il allait être projeté au Festival de Venise 2014, après la guerre d’Israël à Gaza. Israël avait une mauvaise image à l’étranger et les media israéliens ont tout laissé tomber pour se focaliser sur moi. Il sont venus me dire : « Puisque soixante dix pour cent du financement du film sont israéliens, le film est à nous, pas à toi ». Généralement les films appartiennent au réalisateur et au producteur et j’ai ces deux positions, dans le cas présent. Nous, (les Palestiniens en Israël) représentons plus de 20% de la population d’Israël. Nous contribuons à plus de quinze pour cent du budget national de la culture mais n’en bénéficions que de un pour cent. Ils voulaient que je déclare le film « israélien » et non « palestinien » et que le film représente Israël dans des festivals à l’étranger.
En allant me coucher un soir j’étais une cinéaste ; le lendemain matin au réveil j’étais accusée de crime et de fraude. Au début, j’ai gardé le silence, puis j’ai écrit un article dans le journal Haaretz intitulé « Je suis arabe, palestinienne et citoyenne d’Israël – j’ai le droit de définir ma propre identité ».
On m’a accusée de voler l’argent de l’État d’Israël et j’ai une menace de saisie qui court du fait d’une décision de justice contre moi. Adalah, le centre juridique pour les droits de la minorité arabe en Israël, s’occupe de mon cas. Les autorités israéliennes n’ont pas de base légale et nous avons l’intention d’aller en justice. C’est dans le psychisme de l’occupant de prétendre « tout est à nous ». Ils ont modifié des contrats en cours si bien que maintenant tout film recevant un financement israélien doit s’appeler « israélien ». Cela veut dire que je ne pourrai pas m’adresser à des organisations financières israéliennes pour soutenir mon travail à l’avenir. Il est peut-être temps que nous créions un fonds palestinien pour le cinéma. C’est une guerre sur la culture, étant donné que le cinéma a un très large public.
Le film a du succès. Il a participé à plus de quarante festivals internationaux de cinéma et la liste est longue des projections à venir. Je suis la distributrice du film et l’accueil a été formidable de la part du public palestinien et étranger.
Traduction: SF pour l’Agence Media Palestine 15 juillet 2015
Par Isis Nusair
Source: Jadaliyya
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Pourquoi et comment le boycott culturel de l’apartheid israélien (UJFP)
Partout dans le monde progresse le boycott de l’apartheid israélien, comme hier le boycott du régime d’apartheid d’Afrique du Sud.
Exemple tout récent : ce mardi 2 juin, l’Union nationale des étudiants du Royaume-Uni a voté une motion "Justice pour la Palestine" qui décide l’adhésion des étudiants du Royaume-Uni à la campagne de boycott BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions) !
Le boycott se développe dans tous les domaines, et en particulier dans le domaine culturel. Là, il est nécessaire de préciser de quoi il s’agit. C’est ce qui est en cours à propos du prochain Festival de cinéma de Locarno, en Suisse, qui s’ouvre début août et donne une "carte blanche au cinéma israélien" (Sept films en phase de postproduction seront présentés aux professionnels pour faciliter leur finalisation et distribution).
En avril, PACBI (Palestinian Campaign for the Academic and Cultural Boycott of Israel) a publié un appel titré « Ne donnez pas carte blanche à l’apartheid israélien » signé par plus de 200 cinéastes, artistes et acteurs culturels [1]. Signataire de cet appel, et de passage en Suisse, Eyal Sivan a expliqué au journal "Le Courrier" pourquoi et comment le boycott culturel d’Israël...
Boycott contre propagande... "Ne donnez pas carte blanche à l’apartheid israélien"
(...) Relayée par le mouvement international BDS (Boycott, désinvestissement, sanctions) et en Suisse par le Comité des artistes et acteurs culturels solidaires avec la Palestine, cette lettre ouverte exhorte Locarno à reconsidérer son partenariat avec le Fonds israélien du cinéma, organe national de financement et de promotion. Parmi les signataires figure le documentariste israélien Eyal Sivan, qui a réalisé Un Spécialiste, portrait d’un criminel moderne (1999) avec Rony Brauman, Route 181, fragments d’un voyage en Palestine-Israël (2004) avec le Palestinien Michel Khleifi, ou encore Jaffa, la mécanique de l’orange (2009).
De passage cette semaine à Genève pour débattre du sujet, le cinéaste défend avec véhémence le principe controversé du boycott culturel.L’appel de PACBI dénonce la collaboration entre Locarno et le Fonds israélien du cinéma. En quoi est-elle problématique ?
Eyal Sivan : En 2005, l’Etat hébreu a lancé une grande campagne nommée « Branding Israël ». Elle formule la nécessité de redorer l’image du pays, ternie dans le monde, selon trois axes : promouvoir la culture dite progressiste, recourir à des personnalités publiques en tant qu’ambassadeurs de bonne volonté et vendre Tel Aviv comme une ville accueillante pour les homosexuels. Faute de pouvoir défendre sa politique, le gouvernement envoie donc à l’étranger des artistes - qu’il tient par ailleurs pour des traîtres - afin de présenter une vitrine positive du pays. Dans son discours au Festival de Haïfa, Shimon Peres s’est adressé ainsi aux cinéastes israéliens : « L’Amérique a imposé sa culture à travers le cinéma, nous allons imposer notre image à travers le cinéma, c’est votre devoir. »
Tout cinéaste qui montre son film à l’étranger sous la bannière officielle d’Israël serait de fait récupéré à des fins de propagande. Même s’il exprime un point de vue critique
Eyal Sivan : Sachant que 85 % de la société juive israélienne a soutenu l’attaque sur Gaza l’été dernier et que 70 % de la société israélienne vote à droite ou à l’extrême droite, comment se fait-il que la majorité des films dont on soutient la diffusion à l’étranger soient critiques ? Ils ne le sont en fait pas tant que ça. A y regarder de plus près, leur propos peut souvent se résumer en une phrase : nous sommes misérables parce que nous sommes obligés d’opprimer les autres. La figure victimaire par excellence, c’est le pauvre soldat de Tsahal contraint de participer au massacre de Sabra et Chatila - vous voyez certainement de quel film je parle (le documentaire animé Valse avec Bachir, ndlr). En déchirant ce voile progressiste, que voit-on ? Que des films plus radicaux comme ceux d’Avi Mograbi ou les miens ne sont pas vus dans le pays, pas distribués dans le circuit commercial. Le public israélien s’en fout ou nous insulte !
Le boycott culturel vise donc les cinéastes qui participent à la campagne « Branding Israël » ?
Eyal Sivan : Ce moyen de pression a été défini par BDS de manière très précise. Tout n’est pas noir ou blanc, nous sommes dans une « zone grise ». Ce n’est pas une censure thématique, nous n’entrons pas en matière sur le contenu des œuvres. Pas question non plus d’exiger des cinéastes qu’ils renoncent aux fonds israéliens qui leur permettent de financer leurs films. Le boycott concerne les institutions nationales et les personnes qui agissent en leur nom. Si Locarno invite demain les mêmes réalisateurs en récusant toute collaboration avec l’Etat israélien, je soutiendrai ces cinéastes sans avoir vu leurs films !
Dans les faits, même si les institutions sont visées, des cinéastes appellent à boycotter d’autres cinéastes. N’est-ce pas déplorable d’en arriver là ?
Eyal Sivan : BDS existe parce que les pays occidentaux refusent d’imposer à Israël des sanctions diplomatiques pour son non-respect du droit international. Nous réclamons la fin de l’occupation militaire, de la discrimination envers les Arabes israéliens qui représentent 20 % de la population, et l’application de la résolution 194 de l’ONU sur le droit de retour des réfugiés. Le boycott est un aveu d’impuissance et un appel à la solidarité. Aidez-nous à faire peser sur la société israélienne le poids de l’occupation. Celle-ci paraît bien lointaine depuis Tel Aviv. Or on ne peut pas vivre dans cette normalité sans accepter d’en payer le prix. Il y a parfois aussi une hypocrisie de classe. Ceux qui s’opposent au boycott culturel et académique sont souvent favorables au boycott économique, qui va peser sur l’ouvrier israélien. On considère donc que ce dernier peut en faire les frais, mais pas les artistes et les professeurs d’université.
Comment interprétez-vous la réaction de Locarno ?
Eyal Sivan : Le festival, qui a donné carte blanche au Fonds israélien du cinéma et pas « au cinéma israélien », nous répond qu’il est contre le boycott de la culture. C’est de la mauvaise foi, car notre lettre dit clairement : « Si le but du festival est d’appuyer certains cinéastes israéliens ou de diffuser des films israéliens, il existe de multiples façons de le faire sans accepter de financement ou toute autre forme de soutien de la part d’organismes étatiques et gouvernementaux israéliens ». Locarno aurait pu contacter directement des cinéastes ou des associations de producteurs, lancer un appel à candidatures pour choisir lui-même des projets. Quand il invite un réalisateur iranien opprimé par le régime islamique, il ne s’adresse pas au ministère des Affaires étrangères ! Le cinéma n’est certes pas censuré en Israël, mais instrumentalisé. Les organisateurs du festival le savent et prétendent pourtant ne pas mélanger culture et politique. Ils en appellent à la fonction sociale et politique de la culture, mais ne créent pas les conditions du dialogue. Celui-ci ne peut exister qu’entre interlocuteurs égaux, pas sous la bannière d’un Etat oppresseur. Cela dit, je prends le pari que Locarno rejoindra un jour le boycott, quand ce sera dans l’air du temps.
L’Etat soutient souvent le cinéma et aucun gouvernement n’est irréprochable. Ne faudrait-il pas boycotter aussi le cinéma suisse, comme le propose ironiquement le cinéaste lausannois Lionel Baier ?
Eyal Sivan : Je vous répondrai en citant Hannah Arendt : « Si tout le monde est coupable, plus personne ne l’est. » C’est la défense du dignitaire nazi Adolf Eichmann à son procès à Jérusalem en 1961.
Pourquoi si peu de cinéastes israéliens soutiennent l’appel ?
Eyal Sivan : Le courage politique est toujours minoritaire. De nombreux réalisateurs palestiniens d’Israël ont signé la lettre envoyée à Locarno, mais seulement trois cinéastes juifs : Simone Bitton, Rachel Leah Jones et moi. Notre position est très précaire. Les réalisateurs israéliens ont souvent besoin de la caution étatique, car les producteurs européens réclament désormais des fonds israéliens par crainte d’être accusés d’antisémitisme. Ils préfèrent donc ne pas s’exposer, mais beaucoup approuvent notre démarche. On peut parler de boycott gris. Plusieurs cinéastes ne veulent pas devenir des ambassadeurs pour le prix d’un billet d’avion. Avi Mograbi sollicite l’argent des fonds israéliens, mais refuse celui du ministère des Affaires étrangères.
Et vous, en tant que cinéaste, quelle est votre ligne de conduite ?
Eyal Sivan : Je ne me considère pas cinéaste et citoyen, mais les deux à la fois. Je veux pouvoir me regarder dans la glace, voilà ma ligne de conduite. J’ai la chance d’avoir pu jusqu’à présent réaliser mes films sans faire appel aux fonds israéliens. Tout ce que je dis là me met dans une situation délicate. Beaucoup de festivals se diront que je risque de leur créer des ennuis. Ma marge de manœuvre pour réaliser des films se restreint. Et la Cour suprême israélienne vient de valider une loi contre le boycott. Quand je vais rentrer samedi en Israël, je pourrai donc être traduit devant un tribunal pour avoir signé cet appel. Mais j’ai le devoir de monter au créneau alors que les jeunes réalisateurs ne peuvent pas encore le faire.
Interview réalisée par Mathieu Loewer
[1] Lancé par les cinéastes palestiniens Annemarie Jacir et Elia Souleiman, l’appel est également soutenu par Ken Loach, Mira Nair ou encore les réalisateurs romands Francis Reusser, Frédéric Choffat et Nicolas Wadimoff.
UNE INTERVIEW D’EYAL SIVAN AU JOURNAL SUISSE "LE COURRIER"
jeudi 4 juin 2015http://www.ujfp.org/spip.php?article4201
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Dinan film
Le 5 mai à 19 h,
amphi L1
l’université de Rennes 2
À Dol de Bretagne
le 7 mai à 20 h 20
Salle de l’Odyssée -
Le 1er festival Ciné-Palestine (Ujfp)
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La première édition du Festival Ciné-Palestine (FCP) est prévue du 29 mai au 7 juin 2015, à Paris et dans le département de la Seine-Saint-Denis. Il s’agit d’une première du genre en France, par l’ampleur du projet, dédié avant tout à l’aspect culturel et à la diversité des formes d’expression cinématographique palestinienne.
En proposant une programmation de qualité et en développant un important travail de communication, ce Festival entend promouvoir la richesse de l’œuvre cinématographique palestinienne et soutenir une nouvelle génération d’artistes qui fait preuve d’une créativité foisonnante.
Le Festival Ciné-Palestine est piloté et mis en œuvre par le comité d’organisation, émanation de l’association éponyme, en partenariat avec l’association de l’Autre Journal.
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Hommage Faten Hamama, une grande actrice et une femme rebelle (Courrier Inter)
L'actrice égyptienne Faten Hamama, icône du cinéma arabe et ex-épouse du célèbre comédien Omar Sharif, est décédée le 17 janvier et a été inhumée le 18 janvier au Caire. Le site tunisien Leaders revient sur le parcours de cette grande dame de l'écran arabe.Tout un chacun, dans tous les pays arabes, connaît, ne serait-ce que par ouï-dire, la grande Faten Hamama qui vient de disparaître le 17 janvier à l'âge de 84 ans. Tout le monde connaît "la grande dame de l'écran", tout le monde l'a vue dans au moins un des cent films dans lesquels elle a joué.En effet, depuis ses 7 ans, cette séduisante – c'est le sens du mot "faten" en arabe – brune a tourné avec les plus grands réalisateurs : Ezzedin Zoul-Fikar – son premier mari qu'elle a épousé contre la volonté de son père qui s'y opposait en raison de leur écart d'âge –, Henri Barakat, Youssef Chahine... On l'aura compris, Faten Hamama a touché à tous les genres, les mélodrames populaires, les comédies musicales et les films réalistes et engagés. La variété de cette offre lui a gagné une large popularité qui explique la haute fréquence du prénom Faten dans l'onomastique arabe contemporaine.
Un splendide couple mythique
La séduisante colombe – traduction littérale du prénom [Faten] et du nom [Hamama] – a eu comme partenaires à l'écran tous les jeunes premiers et tous les grands acteurs égyptiens, mais elle a attiré le plus séduisant et le plus célèbre d'entre eux, un certain Michel Demitri Chalhoub, un Grec catholique melkite d'Alexandrie [d'origine libanaise, ses parents s'étaient installés en Egypte au début du XXe siècle] qui, par amour et pour pouvoir l'épouser, s'est converti à l'islam et pour harmoniser son nom au sien est devenu Omar Sharif. Ainsi, après la transgression du tabou paternel en s'opposant à la volonté de son père, elle en a accompli une deuxième en divorçant de son réalisateur de mari et en épousant un non-musulman.
Après la naissance de leur fils Tareq, Faten Hamama et Omar Sharif constitueront jusqu'aux années 1970 un couple mythique. Mais aussi mythique fût-il, ce couple sera défait par la volonté de la rebelle Faten. En effet, lorsque son époux a cédé aux sirènes d'Hollywood, où il deviendra une star internationale en jouant notamment dans Docteur Jivago et Lawrence d'Arabie, elle a refusé de le suivre et a continué son combat social et féministe en Egypte.
Et, pour se libérer et libérer Omar, elle a décidé de divorcer. Sans doute inspirée par son vécu, elle est parvenue à tourner en 1975 dans le film Ouridou Hallan [Je veux une solution], où elle interprète le combat d'une femme égyptienne pour obtenir un divorce. Ce film a suscité des débats houleux et des polémiques passionnées et a permis en fin de compte une révision de la législation égyptienne en faveur des femmes désirant le divorce.
Engagement féministe
C'est sans doute en raison de sa popularité, de ses combats pour la liberté – elle a manifesté un soutien sans faille à la guerre d'indépendance des Algériens – et surtout de son engagement féministe qu'elle a été nommée docteur honoris causa de l'Université américaine de Beyrouth (AUB) en même temps que trois autres lauréats dont Noam Chomsky, l'esprit américain le plus libre et le plus rebelle.
Quant à l'ultime rébellion, l'ultime transgression, elle ne sera pas accomplie par Faten, mais par son petit-fils, Omar Sharif Jr, le fils de Tareq. Titulaire d'une maîtrise en sciences politiques de la London School of Economics, le petit-fils de l'interprète de Lawrence d'Arabie et du Docteur Jivago est top-modèle et il parle l'anglais, l'espagnol, le français, l'hébreu et le yiddish. En mars 2012, le jeune homme, qui a fui son pays après l'arrivée au pouvoir des Frères musulmans, a fait son coming out dans un article du magazine The Advocate : "Je suis égyptien, je suis juif et je suis gay", lâchait-il. Son grand-père, Omar Sharif, a alors pris la parole pour soutenir de tout son cœur son petit-fils : "Personne n'a le droit de contrôler ses actions ou de limiter sa liberté", a-t-il affirmé.
Et ainsi la boucle de la tolérance, de la rébellion et de la liberté se trouve-t-elle bouclée.
Slaheddine Dchich 19 janvier 2015