Chacun y allant de sa commémoration du cinquantenaire de l’atroce guerre d’Algérie, à notre manière il nous a paru utile de rappeler que nous nous sommes opposéEs à la barbarie colonialiste qui façonne, aujourd’hui encore, l’inconscient français. Pour cela nous avons interrogé notre camarade Georges Fontenis sur son activité à l’époque au sein de la Fédération Communiste Libertaire (FCL) et à l’Ecole Emancipée.
L’Emancipation : "La Toussaint rouge", le 1er novembre 1954, marque le déclenchement de l’insur-rection. Dès le 9 septembre dans Le Libertaire n°391, vous aviez publié un article critique sous la plume de Paul Philippe à propos du congres du MTLD (Mouvement Pour le Triomphe des Libertés Démo- cratiques). Est-ce à dire que vous pouviez prévoir l’imminence du passage à lu lutte armée?
Georges Fontenis: La FCL prévoyait clairement le déclenchement de l’insurrection, sans pouvoir bien entendu donner de date. C’est parce que nous avions, d’abord dans les rangs de la FCL des camarades algériens bien formés qui nous apprenaient quelle était la mentalité générale dans les villes et la cam- pagne algériennes. Et nous avions aussi des camarades directement liés a nous du Mouvement Libertaire Nord Africain (MLNA) qui nous faisaient prévoir aussi des événements.
L’article de Paul Philippe à propos du congrès du MTLD n’a donc rien de surprenant, si ce n’est qu’à cette époque nous étions les seuls strictement à pouvoir nous douter que quelque chose d’extraordi- naire se passerait très bientôt. Nous reparlerons de cet article de Paul Philippe.
Il y avait aussi le souvenir cruel chez beaucoup d’Algériens des évènements de Sétif de mai 1945 [1]), D’ailleurs au cours des événements de 45, L’Humanité et le PC ne s’étaient pas couverts de gloire, c’est le moins qu’on puisse dire, Ils sanctifiaient l’unité derrière un gouvernement De Gaulle dans lequel des communistes étaient présents, dont d’ailleurs le ministre de l’armement Tilion.
L’Emancipation La défaite du corps expéditionnaire de Dien Bien Phû a-t-elle influencé la décision du CRUA [2] pour passer à la lutte armée ?
G.F.: Sans doute la défaite de la France colonialiste au Vietnam n’était pas pour rien non plus, à la fois dans la préparation de l’insurrection algérienne et dans notre clairvoyance. Il ne faut pas oublier que bien des militants qui seront des animateurs du FLN plus tard étaient, au moment de la guerre d’Indo-chine, dans l’année française, et la défaite du corps expéditionnaire français n’a pas été pour rien dans le déclenchement de l’insurrection de novembre 1954.
L’Emancipation: Penses-tu que la position de la FEN et du SNI résolument anti indépendantistes trouve sa légitimation dans l’assassinat de l’instituteur Guy Monnerot dans les gorges de Tighonimine, ou bien faut-il l’imputer à l’allégeance politique des majoritaires à la SFI0 et à Guy Mollet?
G.F. : Il est sûr que les positions de la FEN et du SNI sont violemment nationalistes, au profit de la France bien entendu. La présence au gouvernement où la SFIO a sa place et Guy Mollet beaucoup d’importance, n’est pas pour rien non plus dans la position de la FEN et du SNI au moment de l’insur-rection. Il m’est arrivé de rencontrer quelques responsables qui osaient défendre la présente coloniale en Algérie sous prétexte que l’Algérie avait toujours connu un certain colonialisme et que les Arabes n’avaient pas à revendiquer puisqu’ils étaient eux-mêmes les anciens conquérants d’un pays berbère... N’importe quoi. En tout cas on peut résumer ainsi: oui, il y a eu allégeance politique des responsables majoritaires de la FEN et du SNI à la position des dirigeants de la SFIO. Toutefois, et il en sera de même dans le Parti communiste. Le Parti socialiste est parfois divisé. Dans les sous sections, il y avait un certain nombre de camarades socialistes, même inscrits au parti et là je parle en tant qu’ancien instituteur parisien qui étaient restés dignes et qui n’approuvaient pas du tout la politique de la SFIO et de Guy Mollet, j’en reparlerai à l’occasion,
L’Émancipation: Les jeunes insurgés du CRUA sont en rupture avec le MNA de Messali Hadj. Cette rupture va déboucher sur la fondation du FLN par Ahmed Ben Bella au Caire. L’historien Benjamin Stora évolue à 4 000 les victimes des règlement de comptes entre MNA et RN en métropole, de 1954 à 1962. C’est près de 2% des Algériens de la métropole. Pourrais-tu nous expliquer les différences politiques, culturelles, stratégiques entre le MNA et le FLN. Pourquoi une telle violence politique entre eux ?
G.F.: Il est clair qu’il y a des différences considérables entre les militants du MNA de Massali Hadj et du FLN qui vient de se fonder. L’analyse globale de la situation soit de la part du MNA, soit du FLN est insa- tisfaisante, bien que le MNA demeure plus proche d’une analyse marxiste. Mais, ni l’un ni l’autre n’ont tenu compte de la complexité de la société algérienne et notamment de l’existence d’une petite bour- geoisie nationale que le colonialisme a laissé se développer (exemple de petites entreprises dirigées par des familles algériennes, se satisfaisant de la présence française). De ce point de vue il est clair que le FLN sera plus adapté que le MNA à la situation du peuple algérien, plus nationaliste que désireux d’un mouvement révolutionnaire. Quant à l’affirmation du nombre de victimes en métropole entre le MNA et le FNL je crois qu’on peut se rallier au point de vue de Benjamin Stora.
L’Émancipation: Pourquoi les libertaires de la FCL et les trotskistes du PCI aidèrent-ils au départ les nationalistes du MNA plutôt que le FLN et comment s’opérera le basculement d’alliance en faveur de ce dernier?
GF. : Il ne faut pas oublier que l’Etoile Nord Africaine, puis le MTLD (sous sa nouvelle forme MNA) existent depuis les années 1930. Pour les camarades de la FCL, il y aura bien sûr peu à peu un passage du soutien au MNA en faveur du FNL. Cela se fera sans que nous rejetions nos contacts et notre soli- darité avec le MNA. Mais il faut bien admettre, quand on est responsable d’un mouvement, des change- ments historiques comme la montée du FLN par rapport au MNA et ce basculement d’alliance sera parfaitement assimilé par nos camarades, car il correspond à une véritable connaissance de la réalité politique.
L’Emancipation : Comment les tendances dons la FEN et le SNI ce situaient-elles par rapport aux questions de la décolonisation ? Quel climat régnait à l’intérieur de la profession et de ses syndicats ?
G.F.: J’en viens à préciser comment nous voyions, à ce moment-là, les tendances dans la FEN et le SNI. J’ai parlé un peu plus haut de la position des majoritaires qui était finalement colonialiste. Mais il y avait, à l’époque, une véritable résistance par l’Ecole Émancipée. Et, il faut bien dire que chez les majoritaires comme d’ailleurs chez les militants disons de la tendance cégétiste étroitement dirigée par le PCF, qui devait devenir Unité & Action , il y avait des différences individuelles considérables. Car, même dans les tendances réformistes, il y avait un certain nombre de militants qui n’étaient pas igno- rants des vraies questions de la décolonisation, je me souviens d’avoir échangé des propos assez violents avec le secrétaire majoritaire de la fédération de la Seine qui était franchement nationaliste et colonialiste, Mais on peut bien penser que l’ensemble des enseignants ne suivaient pas la trajectoire des partis communiste et socialiste. Il y eut donc, dans les premières années de l’insurrection, assez souvent une différenciation entre les chefs des partis et un certain nombre des militants de base. Plus tard, lorsque nous passerons à la clandestinité, nous recevrons des aides très ouvertes, très sympa-thiques de militants communistes en dépit des positions de leur parti et d’un certain nombre de militants socialistes qui d’ailleurs nous rendront un certain nombre de services.
En réalité, il y avait une réponse saine d’un assez grand nombre de syndicalistes en dépit de ce que j’appellerais le colonialisme honteux des directions. Encore que, même dans les directions, il y ait eu des militants qui résistaient.
L’Émancipation: Pourrais-tu nous relater en quoi consistait votre soutien concret aux insurgés ?
GS. : Voilà une des questions les plus gênantes qu’on peut me poser. Notre soutien concret aux insur- gés algériens consistait en dépôt et transport de matériel (armes légères, vêtements et pièces d’état civil. Transport possible grâce à notre système de passage des frontières terrestres (Belgique, Suisse) ou maritimes (Ste) et facilité par nos rapports avec des camarades de diverses nationalités, et aussi des camarades d’autres réseaux.
L’Émancipation: Pourrais-tu lever un coin du voile sur la teneur de vos conversations lors de ta rencontre à Angoulême avec Messali Hadj ?
GF: Il est évident qu’avec Messali Hadj nous avons abordé des problèmes de fond concernant l’avenir, voulu par lui et ses amis, pour l’Algérie et sur le poids limité que nous avions dans l’opposition en France. Messali envisage une société algérienne démocratique et basée sur l’autogestion, mais il reste flou. On sent qu’il n’est pas sûr de ses troupes. Messali, que j’avais rencontré grâce à l’aide et à l’insis- tance de Daniel Guérin en dépit de l’opposition du parti trotskiste, le PCI de Lambert, qui a tenté d’empêcher ma rencontre avec Messali. Je précise que ce parti lambertiste restera inconditionnellement partisan du soutien au MNA alors que les autres groupes trotskistes sont pour le soutien au FLN.
Il est clair que ce fut une conversation très libre, très ouverte, au cours de laquelle j’insistais sur la nécessité d’une analyse révolutionnaire de la situation et de l’orientation nécessaire du mouvement de libération. En fait, Messali Hadi était d’accord avec notre position de "soutien critique". Messali, au cours de cette conversation, fut d’accord avec ce que je pouvais avancer. Mais il me laissa entendre qu’il n’était pas toujours entendu et que quelquefois les militants du MNA n’avaient pas toujours une position parfaitement claire. D’où, bien entendu, accord minimum avec la FCL sur ce que nous appelions à l’époque "le soutien critique’.
L’Émancipation: La question du contenu politique du nationalisme algérien a pu poser problème. Comment expliques-tu ta position d’alors : le "soutiens critique" aux natio- nalistes et, surtout, comment as-tu pu participer à la réflexion d’abord dans le MNA ensuite dans le FLN ? En quoi certains cadres de la lutte armée ont-ils modifié leurs positions grâce aux positions critiques que la FCL développait ?
G. F. : Il est vrai que le courant politique du nationalisme algérien n’a pas été toujours très clair. C’est pourquoi notre "soutien critique" qui peut convenir à d’autres cas et à presque toutes les guerres de libération demande une analyse de la situation, en particulier des différentes forces qui se trouvent opposées à la puissance colonialiste. Et je dois dire que, dans les rencontres que nous avions avec les représentants du MNA d’abord et du FNL ensuite, nous n’avons jamais caché notre inquiétude a propos des insuffisances politiques du nationalisme algérien.
Mais notre position selon laquelle il Fallait se libérer sur le plan national mais aussi sur le plan intérieur, pour une Algérie nouvelle, dans une direction disons socialiste, il est sûr que cela a fini par toucher un certain nombre de nos correspondants. C’est si vrai que certains des militants du MNA n’étaient pas loin de nous rejoindre et que même certains cadres de la lutte armée ont modifié leurs positions et adopté les nôtres grâce aux positions critiques que nous développions. Je suis même persuadé d’une certaine réussite lorsque, au cours d’une rencontre, j’eus la surprise d’entendre Mohammed Boudiaf reprendre pratiquement nos positions. A ce sujet, voir son livre "Ou va l’Algérie ?" (Editions de l’Étoile, 1964).
Il est peut-être utile de rappeler ce qu’était notre position de "soutien critique". Nous pouvons pour cela nous reporter a l’article du Libertaire paru dès septembre 1954, c’est-à-dire quelques mois avant l’insurrection, sous la signature de Paul Philippe, membre du secrétariat de la FCL. C’est une position de "soutien critique" aux luttes de libération nationale parce qu’elles font partie de la guerre contre le capitalisme et ses extensions colonialistes et que, affaiblir les métropoles est toujours une chose indis- pensable dans un processus de libération. Mais l’aspect critique de ce "soutien critique est dû au fait que le mouvement algérien (le MTLD à l’époque) n’a pas le bases théoriques révolutionnaires propre- ment dites. C’est pourquoi dans ce soutien critique", nous rappelions que le but final révolutionnaire était indispensable, c’est-à-dire précisément : socialisation de la propriété. Notre "soutien critique", c’était notre soutien aux luttes de libération nationale mais dans une perspective révolutionnaire partant d’une analyse de classe.
L’Emancipation: On s’imagine souvent que le PCF, parce que stalinien, était monolithique. Mais à l’épreuve des evenements, qu’en a-t-il été ?
Georges Fontenis: Dés le début de la guerre d’Algérie, il y a eu des des problèmes à l’intérieur du Parti communiste. Et quand nous serons dans la période où un certain nombre de militaires refuseront de partir, où les trains s’arrêteront et où les gares seront envahies par les opposants, nous verrons tout de suite qu’il y a à l’intérieur du parti toute une tendance de militants communistes qui ne sont pas satisfaits de la politique du parti. Nous verrons par exemple cela dans la région parisienne mais aussi à Grenoble Nous retrouverons bien sûr l’esprit de la Résistance. C’est un véritable vent de fronde qui se manifeste. Au fond, ces militants ne faisaient que participer à la cause de la Révolution algèrienne comme les militants du PCA dans le FNL
Officiellement, le PCF n’était pas pour la libération de l’Algérie. Il avait d’abord beaucoup critiqué les insurgés de novembre 54. L’Humanité, à l’époque, avait condamné les nationalistes en prétendant que les émeutiers faisaient le jeu des nazis. Le PCF ne se ralliera que très tardivement à la cause de l’Algé- rie indépendante. La position officielle était défendue, proclamée par Maurice Thorez. Une abomination sera le vote des pouvoirs spéciaux a Guy Mollet par le Parti Communiste, Et ce ne sera guère plus beau que les positions du Parti socialiste de Guy Mollet ou de Mitterrand qui voulaient voir en Algérie des départements français.
L’Émancipation : On a quasiment oublié, comme le rappelle l’article du Monde du 29/10/04, que la FCL a été la première a réclamer l’indépendance de l’Algérie et à dénoncer la tor- ture. De même que vous avez été les premiers à aider les "rebelles". Pourrais-tu nous rappeler l’ampleur de la répression qui vous a frappés et ses conséquences politiques?
GF. : Comme ce serait évidemment beaucoup trop long de faire la liste des persécutions que nous subissions, je me contenterai de citer quelques exemples.
Le Libertaire , le journal de la FCL, avait été saisi sept fois en peu de temps . car ce décompte date de juillet 56 dont trois saisies en quatre semaines ! Et pour parler des inculpations de nos militants, il suffit de savoir que tous les numéros du Libertaire, même ceux qui n’ont pas été saisis, ont été poursuivis. Ces poursuites étaient nominales. J’y étais en bonne place en tant que directeur du journal. Et à mes côtés Robert Joulin, Paul Philippe, Michel Donnet, etc. [3]. Il est bon de signaler que nous avions été obliges de changer d’imprimeur parce que l’imprimerie du Croissant où nous sortions au début de la guerre d’Algérie ne voulait plus nous éditer! (...)
L’Émancipation : Qu’est-ce qui a poussé à vous rendre à la justice? Tu totalisais en tout 18 mois de prison, si j’ai bien compté tes condamnations sans parler de la lourdeur des amendes. Comment as-tu « néqoclé » ta sortie de la clandestinité?
G.E. : D’abord je dirai qu’il faut préciser que nous ne nous sommes pas rendus à la justice. Person- nellement, j’ai été arrêté par la DST alors que je me camouflais comme je pouvais. Je n’ai pas été le seul dans cette situation. Nous n’avons donc pas eu à négocier la sortie de la clandestinité. Elle s’est faite par l’arrêt de nos activités du fait que la plupart des camarades responsables étaient arrêtés ou devaient se cacher davantage qu’auparavant. Et nous étions réduits à nos propres forces.
L’Émancipation: Lors des poursuites et de la clandestinité, as-tu été défendu par le SNI ou la FEN?Et, à ton retour à la vie normale le syndicat t’a-t-il aidé à retrouver ton métier?
G.E.: En ce qui me concerne, jamais le SNI ou la FEN dans leurs directions n’ont agi en ma faveur, ou pour essayer de me défendre. Le retour à une vie normale a demandé des mois après la sortie de prison. Et je dois là saluer, non pas un responsable syndical mais un militant déjà ancien du Parti socia- liste qui avait été mon directeur d’école et qui, ancien déporté, n’avait toujours estimé. Ce personnage, monsieur Dirand, du fait de son parcours politique, avait réussi à intégrer de hautes fonctions au minis- tère de l’éducation nationale. C’est grâce a lui que lefus réintégré car il insista beaucoup auprès de la direction de l’enseignement du département de la Seine pour que je retrouve un poste.
L’Émancipation: Y avait-il débat à l’intérieur de l’École émancipée sur la question algérienne? Quels étaient les clivages politiques dans l’EE de l’époque?
G.E. : le ne me souviens pas qu’il y ait eu débat à l’École Émancipée sur la question algérienne. Sur le fond, tout le monde à l’époque était d’accord. Et naturellement la position de la FCL était connue et estimée. Le clivage politique entre libertaires et trotskistes au sein de l’École Emancipée était peu marqué à l’époque, au moins sur le sujet de l’anticolonialisme.
Du côté trotskiste, il y avait le PCI de Lambert qui devient l’OCI lorsque Frank et Pablo sont majo- ritaires dans la 4°t Internationale. L’opposition entre eux à propos de la guerre d’Algérie est violente, l’OCI restant obstinément fidèle au MNA. En ce qui concerne les libertaires, il faut préciser qu’il y avait eu scission au début des années 50 entre les militants de la FCL et ceux qui créèrent Le Monde liber- taire. Nous regroupions surtout des camarades ouvriers, des jeunes, sur des positions de classe alors que les autres s’en tenaient à un pacifisme qui renvoie dos à dos le colonialisme et les luttes de libé- ration nationale. Et nos camarades du MLNA (Mouvement Libertaire Nord Africain), voisin de la FCL, voyaient le Monde Libertaire en vente en Algérie pendant que Le Libertaire - le nôtre – était poursuivi.
Cependant je dois préciser qu’il y aura une évolution parmi certains militants de la FA. Leurs positions, sans aller jusqu’au "soutien critique" se rapprocheront des nôtres dans l’affirmation du combat anti- colonialiste. En 1957, Le Monde libertaire sera saisi en Algérie et des militants subiront à leur tour des poursuites, surtout au début des années 60. La FCL du fait de sa position révolutionnaire, en particulier dans la guerre d’Algérie, se retrouvait aux côtés de l’opposition interne du PC (La Voie Communiste), cette collaboration s’étendit naturellement à d’autres regroupements comme le Réseau Jeanson. La FCL cessant de fonctionner, même clandestinement, se transforme en « Action Communiste ».
De cette époque j’ai conservé le souvenir d’une bonne entente avec les militants encore au PC mais dans la mouvance « Voie Communiste ». Certains, comme Blumental, Folgalvez, ont été membres, voire responsables du PCF, d’autres ont rompu avec la IVème Internationale. Il y a aussi à la Voie Communiste d’anciens membres du Parti Communiste Algérien. La plupart des militants de la Voie intégrèrent le réseau « Jeune Résistance".
C’est la "Voie" et ses militants qui organisent l’évasion de la prison de la Roquette, le 1 janvier 1961, de six militantes françaises et algéniennes. Je veux signaler aussi l’activité incessante de nos camarades de Macon et de Genève, activité gérée par Guy Bourgeois, décédé récemment,
L’Émancipation: Quand tu vols les évolutions en Algérie depuis l’indépendance, regret- tes-tu tes engagements d’alors ou y trouves-tu matière à renouveler tes enthousiasmes et tes espoirs? Rétrospectivement, quel regard portes-tu sur les jeunes militants que vous étiez, au-delà du courage exemplaire dont la mémoire fait dorénavant partie de noire histoire?
G.E. : Je ne regrette en rien les engagements de l’époque en dépit de la disparition des espoirs et, bien sûr, des enthousiasmes. Notre "soutien critique", au cours des années depuis la libération et depuis la paix de 62, s’est manifestement valorisé car il fallait bien que la nation algérienne se constitue, mais il aurait fallu promouvoir un système d’autogestion beaucoup plus général et démocratique, et éliminer la toute puissance de l’armée et des cadres de l’industrie. Les jeunes militants que nous étions, étaient suffisamment conscients du fait qu’une insurrection particulière ne peut aboutir indépendamment de la situation de la lutte des classes dans le monde, notamment dans les métropoles.
Néanmoins, notre soutien à la Révolution algérienne nous a confortés dans notre opposition révolu- tionnaire et nous a donné le courage de continuer notre lutte qui intègre une véritable libération pour le peuple algérien. C’est pourquoi je reste fidèle ainsi que mes vieux camarades de la FCL au slogan que nous avions élaboré avec Daniel Guérin « Il y a toujours un point du globe où la guerre de classes se rallume".
Propos recueillIs par Gilbert ESTEVE Novembre 2004
• Ouvrages et documents consultés : Georges Fontenis. Changer le monde, Ed Le Coquelicot/AL Une résistance oubliée (1954-1957), un documentaire de D. Goude et G. Lenormant. K7 Le Fil du temps ; L’insurrection algérienne et les communistes libertaires, Edition en facsimilé du Libertaire. Ed. AL (La signature de A. Coursan est un pseudonyme de G. Fontenis).