J’ai choisi l’Europe pour faire mes études de droit, la France en particulier.
J’ai ensuite vécu six ans à Bruxelles où j’ai travaillé plus d’un an au Parlement européen, pour ensuite rejoindre la Délégation générale de la Palestine en tant que diplomate. Souvent, on m’interroge sur telle ou telle position européenne. Conscient des enjeux et lucide sur les dynamiques de prises de décision de l’Union européenne, je réponds : « les Etats sont divisés et cherchent avant tout à obtenir une position commune. Tout langage est longuement négocié. Chaque déclaration est le résultat d’un fragile équilibre... ». Toutefois, depuis l’agression israélienne contre la bande de Gaza, je ne cherche plus d’explications et reçois les prises de position européennes comme autant de reniement, voire de trahison. Les mots sont durs, n’est-ce pas, mais les miens au moins ne tuent pas.
Mes collègues européens à Bruxelles et dans les capitales me connaissent, ils savent que je crois au rôle et à l’apport de l’Europe et que j’œuvre à ma petite échelle au rapprochement entre l’Europe et la Palestine. Oui, l’Europe a fait beaucoup ces 30 dernières années pour la Palestine et pour son peuple afin que nous ayons notre Etat et que nous puissions vivre dignement, même si paradoxalement, l’Union Européenne n’a pas encore reconnu l’Etat qu’elle nous a aidé à construire. Sur l’essentiel des questions politiques, nos positions et les positions européennes sont quasiment alignées, car basées sur le droit international. C’est bien pour cela que je trouve les positions européennes face à la tragédie que vivent les palestiniens à Gaza incompréhensibles, parce qu’elles viennent anéantir ce que l’Union Européenne a aidé à construire : la Palestine. Dans cette guerre, ce n’est pas le Hamas qui est visé. La cible de la puissance occupante et coloniale israélienne a toujours été la Palestine et son peuple, quel que soit le prétexte utilisé. Après ces décennies d’engagement pour la paix au Proche-Orient, l’Union européenne est-elle réellement incapable de voir cette réalité où préfère-t-elle simplement continuer à la nier ?
Le consensus européen s’est construit immédiatement autour de l’affirmation du droit d’Israël à se défendre et de la condamnation des roquettes. La déclaration du Conseil de l’Union européenne du 22 juillet est sans équivoque et les différentes déclarations de dirigeants européens lui font écho. Aussi, l’Union regrette les morts palestiniens mais refuse d’imputer expressément la responsabilité de ces morts aux attaques israéliennes. J’ai lu et relu les différentes déclarations et la conclusion est sans appel, Israël s’en est servi comme d’un blanc-seing à sa politique criminelle.
Est-ce qu’un Etat qui occupe un autre, et qui impose un siège à 1,8 millions de personnes ne crée pas les conditions mêmes de son insécurité et ne peut donc pas se prévaloir de son droit à se défendre ? Depuis quand le droit de se défendre autorise-t-il à commettre des massacres, tuer des civils, y compris des familles entières ? N’avons-nous pas le droit de nous défendre ? N’y-a-t-il pas en droit international un droit à la résistance, y compris militaire ? Fallait-il attendre qu’il y ait plus de 1850 Palestiniens tués par Israël, dont plus de 400 enfants, que les écoles de l’ONU, les hôpitaux, la principale centrale électrique soient bombardées pour commencer à critiquer Israël ?!
Je me souviens alors que je plaidais pour le retrait du Hamas de la liste européenne des organisations terroristes et notamment depuis 2006 contre le boycott européen du gouvernement formé par celui-ci, mes collègues européens me disaient : « Mais ils tuent des civils ! ». Que dire alors d’un Etat dont le premier partenaire économique est l’Union européenne, et qui tue depuis ces dernières semaines maintenant jusqu’à parfois cent civils par jour ? A quand des sanctions contre la puissance occupante israélienne ? L’impunité d’Israël tue, et il faut y mettre un terme. C’est cette impunité qui a permis à Israël de commettre des massacres à répétition, de poursuivre son siège illégal contre notre peuple à Gaza, et sa colonisation de nos terres, autant de crimes de guerre contre un peuple qui aspire à vivre librement et dignement sur sa terre.
Tous les états européens membres du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies se sont abstenus lors du vote d’une résolution prévoyant l’envoi d’une commission d’enquête composée d’experts internationaux pour vérifier les violations du droit international commis ces dernières semaines. Comme à l’occasion du vote pour l’Etat palestinien à l’ONU, si le prix de l’unité est le silence, autant que chacun reprenne sa voix.
Les Palestiniens ont souvent regardé vers l’Europe avec espoir. Et au cours des trois dernières décennies, ils ont réussi à construire avec ceux, pourtant en partie responsable de leur Nakba et de leurs drames, une relation de partenariat et d’amitié. Aujourd’hui, le regard des palestiniens est rempli de colère, de larmes, d’incompréhension. Et à la question qu’ils me posent avec insistance « pourquoi l’Europe agit ainsi ? », je n’ai qu’une réponse : par lâcheté.
Nul ne peut se cacher désormais derrière un appel aux négociations délégitimées par la poursuite de la colonisation et de l’occupation. Les négociations n’ont de sens qu’une fois que la puissance occupante a décidé de mettre fin à son occupation et qu’elle le démontre, or Israël nous a démontré à chaque fois le contraire. Car on l’oublie parfois, mais il ne s’agit pas d’un conflit de bon voisinage où on appellerait les voisins à venir délimiter chacun son terrain, il s’agit bien d’un déni des droits d’un peuple, d’une occupation illégale, d’une lutte pour la liberté.
Il faut donc isoler le pouvoir colonial en Israël comme fut isolé le gouvernement d’apartheid en Afrique du Sud, et un jour pas très lointain, tous les Etats seront amenés à faire un choix clair : soit la complicité avec l’apartheid, soit le soutien à la fin de l’oppression. Les peuples européens qui ont manifesté massivement en solidarité avec la Palestine et les citoyens qui ont relayé les appels au boycott-désinvestissements-sanctions ont fait leurs choix. Il serait largement temps que les gouvernements européens s’en inspirent.
vendredi 8 août 2014 Majed Bamya, le 6 août 2014