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  • Pour la reconnaissance des crimes de la colonisation: questions à Emmanuel Macron (Anti-k)

     

    Les déclarations d’Emmanuel Macron qualifiant la colonisation de « crime contre l’humanité » ont suscité de violentes critiques de Marine Le Pen.
     
    De fait, ce débat s’est introduit dans le second tour de la présidentielle. La commémoration des massacres de mai-juin 1945 dans le Nord-Constantinois donne l’occasion au candidat Macron de concrétiser ses propos. Par François Gèze et Gilles Manceron.

    Le 20 février dernier, nous avons salué les déclarations d’Emmanuel Macron à Alger, cinq jours plus tôt, qualifiant la colonisation d’« acte de barbarie » et de « crime contre l’humanité » tout en souhaitant qu’elles soient précisées et que d’autres candidats s’emparent du sujet. Le fait est que, suivies des violentes critiques de la part de la droite et de l’extrême droite, ces déclarations ont fait entrer dans le débat de l’élection présidentielle la question de la reconnaissance par la France des crimes de la colonisation.

    L’extrême droite n’est pas la seule à s’y être opposée. Le président du Cercle algérianiste national, Thierry Rolando, accompagné de l’avocat Gilles-William Goldnadel, a déposé à Perpignan, le 27 février, une plainte pour « injures » contre Emmanuel Macron. Symptôme de ce que cette opposition n’est pas le monopole du Front national, Rolando est connu pour être l’un des proches du lieutenant de François Fillon, Bruno Retailleau. Il a signé en 2012, avec le maire de Béziers Robert Ménard, un pamphlet intitulé Vive l’Algérie française (éd. Mordicus) et il a été depuis, comme lui, à la pointe du refus de commémorer la journée nationale du 19 mars, anniversaire de la fin de la « guerre d’Algérie ».

    Mais c’est bien du côté du Front national et de Marine Le Pen que s’est manifestée l’opposition la plus radicale aux propos d’Emmanuel Macron sur ce sujet. Le FN a manifesté contre sa venue à Carpentras et à Toulon en février, aux côtés de groupes extrémistes pieds-noirs nostalgiques de l’OAS. Marine Le Pen a déclaré le 19 avril sur BFMTV que « la colonisation a beaucoup apporté à l’Algérie » et que les déclarations d’Emmanuel Macron constituaient un « crime contre la France » : « Y a-t-il quelque chose de plus grave que d’aller à l’étranger pour accuser le pays qu’on veut diriger de crime contre l’humanité ? » A contrario, elle n’a rien trouvé à redire à propos de son père, Jean-Marie Le Pen, ancien lieutenant parachutiste tortionnaire en Algérie, puisqu’« il a défendu l’Algérie française, comme beaucoup de gens qui ont créé le Front national », parmi lesquels de nombreux anciens activistes de l’organisation terroriste qu’était l’OAS. Le 20 avril, une manifestation du Cercle algérianiste en soutien à la plainte déposée contre Macron a eu lieu devant le tribunal de Perpignan, à laquelle, aux côtés du Front national, le maire Les Républicains Jean-Marc Pujol a participé, ainsi que plusieurs de ses adjoints et d’autres élus LR du département.

    L’indispensable reconnaissance par l’État des massacres de mai-juin 1945 dans le Nord-Constantinois

    C’est dans ce contexte qu’intervient à nouveau la commémoration des massacres de mai-juin 1945 dans le Nord-Constantinois, événements longtemps occultés lors desquels l’armée française et des milices de colons ont fait des milliers de victimes civiles parmi la population algérienne. Cet épisode tragique est essentiel, car il a écarté définitivement toute possibilité d’une évolution politique pacifique de l’Algérie vers l’indépendance et a rendu inévitable à terme une insurrection armée pour y parvenir.

    La question de la reconnaissance par la France des conséquences dramatiques de cette répression sanglante a commencé à être posée publiquement en 2005 lors du soixantième anniversaire de cet événement. Le 27 février de cette année-là, l’ambassadeur de France en Algérie, Hubert Colin de Verdière, a pour la première fois qualifié, dans un discours remarqué à Sétif, de « tragédie inexcusable » les « massacres du 8 mai 1945 ». Puis une marche a eu lieu dans les rues de Paris, ainsi qu’une projection du premier film documentaire sur ce sujet, Les Massacres de Sétif, un certain 8 mai 1945 (réalisé par Mehdi Lallaoui en 1995), avec le soutien de la Mairie de Paris. La Ligue des droits de l’Homme a organisé un colloque rassemblant des militants nationalistes algériens acteurs de ce moment d’histoire et des historiens appartenant à plusieurs générations. Dont Annie Rey-Goldzeiguer, qui avait vécu l’épisode dans sa jeunesse algéroise et a publié en 2002, à La Découverte, un livre important, Aux origines de la guerre d’Algérie, 1940-1945. De Mers-el-Kébir aux massacres du Nord-Constantinois, qui souligne le tournant que cette séquence historique, essentielle et jusque-là occultée, a représenté pour l’ensemble des forces politiques et sociales de l’Algérie. En 2015, un collectif d’organisations a lancé un appel à la reconnaissance de ce massacre de masse, signé de nombreuses associations. Des rassemblements ont eu lieu à Paris, devant l’Hôtel de ville, à Rennes et dans d’autres villes.

    Cela avait été précédé par la publication d’autres livres, comme le témoignage posthume de Marcel Reggui, originaire de Guelma et ami de l’écrivain Jean Amrouche, Les Massacres de Guelma. Algérie, mai 1945 : une enquête inédite sur la furie des milices coloniales (La Découverte, 2006) et celui de Jean-Pierre Peyroulou, Guelma, 1945, une subversion française dans l’Algérie coloniale (La Découverte, 2009). La préface de Marc Olivier Baruch, historien spécialiste du régime de Vichy, souligne qu’on ne peut se satisfaire de l’équation simpliste « État colonisateur = État exterminateur », car à Guelma des Français d’Algérie ont mené une rébellion de plus de deux mois contre les autorités de l’État, qui a préfiguré celle de l’OAS.

    Ces livres, comme le film documentaire de Yasmina Adi, L’autre 8 mai 1945, diffusé sur France 2 en 2008 et plusieurs fois rediffusé depuis, ont mieux fait connaître cet événement. En mai 2009, deux importants colloques s’étaient tenus à Paris et à Guelma. Et en 2016, d’autres rassemblements ont eu lieu, notamment à Nanterre, à l’initiative de la ville, à Paris (sur la place du Châtelet, qu’ont rejoint une partie des manifestants de « Nuit debout »), à Nîmes, à Roubaix.

    En 2017, la principale initiative est un colloque international à Paris, le 2 mai, ouvert par la projection d’un autre documentaire, celui de Mariem Hamidat, Mémoires du 8 mai 1945 (2007). Une table ronde aborde le problème de la reconnaissance par la France de la répression de mai-juin 1945 et des autres crimes qui ont ponctué son histoire coloniale. Mais, d’abord, des historiens algériens et français tentent de reconstituer les faits. Abdelmadjid Merdaci, de l’université de Constantine, souligne que la répression de mai-juin 1945 a constitué un tournant dans l’histoire du mouvement national algérien, puisqu’il a alors pris conscience qu’une véritable insurrection nationale impliquait une meilleure organisation pour éviter des violences spontanées inadmissibles et contreproductives. Car, le 8 mai 1945 à Sétif, à la répression coloniale initiale du défilé de manifestants arborant le drapeau algérien ont répondu de la part d’Algériens du Nord-Constantinois, ruraux pour la plupart, des meurtres d’Européens qui ne faisaient pas partie des milices de civils armés criminels. C’est le mérite du livre d’un autre intervenant venant d’Algérie, Kamel Beniaiche, responsable du bureau de Sétif du quotidien El Watan, La Fosse commune, massacres du 8 mai 1945 (El Ibriz, 2016), d’aborder pour la première fois ce qui s’est produit précisément dans les différentes localités autour de Sétif, sans occulter ces cent trois morts européens ; il montre aussi que certains Européens ont protégé des Algériens de la répression et que des nationalistes algériens ont empêché que des Européens soient victimes de violences aveugles.

    Ouvrir les archives pour permettre le nécessaire travail des historiens

    Côté français, il est essentiel que les historiens reconstituent les faits et établissent les responsabilités précises : celles du chef de l’armée en Algérie, le général Henry Martin (1888-1984), du commandant de la division de Constantine, le général Raymond Duval (1894-1955), du gouverneur général de l’Algérie Yves Chataigneau (1891-1969), du préfet de Constantine André Lestrade-Carbonnel, du sous-préfet de Guelma André Achiary (1909-1983). Qu’ils tentent de savoir aussi le niveau d’information du chef du gouvernement français provisoire de l’époque, le général de Gaulle (1890-1970), le rôle des ministres qui ont encouragé la répression, celui du ministre de l’Intérieur Adrien Tixier (1893-1946), qui semble avoir voulu arrêter l’action des milices en envoyant sur place le général Paul Tubert (1886-1971). C’est le travail des historiens qui, près de trois quarts de siècle après les faits, doivent pouvoir accéder librement à toutes les archives. Et il faut aussi que les programmes et les manuels scolaires français restituent honnêtement cette tragédie. Qu’ils montrent que cette répression de mai-juin 1945 est liée à l’adhésion très majoritaire de la France libre et des principales forces politiques françaises de l’époque, y compris à gauche, au maintien de l’empire colonial.

    Cette question est doublement importante. Pour les relations franco-algériennes d’abord, car la reconnaissance par la France des crimes de sa colonisation est une condition au dépassement du passé colonial et à l’établissement de relations apaisées entre les deux pays. Mais elle est importante aussi pour la société française, afin d’en finir avec toutes les mentalités et les comportements hérités de l’époque coloniale. La reconnaissance de la part d’histoire dont les descendants de l’immigration algérienne sont les héritiers est liée à celle de leur place pleine et entière dans la société française et à la fin des discriminations à leur égard. Elle est indispensable pour que la société française assume, enfin, l’héritage de l’époque coloniale.

    Le fait que, depuis 2015, plusieurs villes françaises ont adopté des résolutions en faveur de la reconnaissance par la France de cette répression de mai-juin 1945 – la Ville de Paris, à l’unanimité de son conseil municipal, plusieurs communes de la banlieue parisienne, les villes de Rennes et de Givors – témoigne d’une évolution de l’opinion par rapport à la question du passé colonial, notamment dans les jeunes générations, qui ont une perception différente de celle de leurs aînés. En atteste également la déclaration d’Emmanuel Macron, qui appartient à une génération regardant cette page d’histoire autrement que les précédentes.

    Les gouvernements de Jacques Chirac et de François Hollande ont fait de petits pas dans le sens de la reconnaissance nécessaire, mais sans oser être clairs ni avoir le courage d’être un pas en avance sur l’opinion moyenne des Français. C’est à la partie anticolonialiste de la société française, aux médias, qui sont avec l’école l’un des principaux moyens d’information de l’opinion, qu’il revient de contribuer aux prises de conscience nécessaires, et de pousser les nouveaux président et gouvernants à prendre courageusement leurs responsabilités. Il ne s’agit absolument pas de « repentance » – vocable imbécile inventé par les nostalgiques de l’ère coloniale pour discréditer les partisans de la vérité historique –, car les Français d’aujourd’hui ne sont pas responsables des crimes des générations qui les ont précédés. Ils n’ont pas à s’en « repentir », mais ils doivent les connaitre, prendre conscience des idéologies racistes qui les ont rendus possibles, les condamner et demander aux responsables politiques de réviser les lois qui font obstacle à cette reconnaissance.

    Ouvrir un chantier législatif pour faire reconnaître les crimes coloniaux comme « crimes contre l’humanité »

    S’agissant des massacres de mai-juin 1945 en Algérie comme des autres crimes commis par la France dans son ancien empire colonial, l’établissement des faits par les historiens est certes incontournable. Mais leur qualification juridique précise l’est tout autant. Car il est avéré qu’en France, la « volonté des juges de verrouiller toute possibilité de traitement des crimes coloniaux » (comme l’explique dans un article récent la juriste Sévane Garibian), redoublée par celle du législateur qui a multiplié dans le même but les lois d’amnistie puis de réhabilitation, a joué un rôle majeur dans la difficulté de la société française – et a fortiori de l’État – de reconnaître pleinement les réalités des violences coloniales.

    Or, il ne fait pas de doute que les massacres de mai-juin 1945 (comme bien d’autres « massacres coloniaux ») constituent bien un « crime contre l’humanité » imprescriptible au sens de la définition du Statut de Rome de 1998 qui a fondé la Cour pénale internationale, selon laquelle sont réputés tels les meurtres, les exterminations, la réduction en esclavage, la déportation, la torture, les viols ou les persécutions commis « dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre une population civile et en connaissance de cette attaque dans l’application ou la poursuite de la politique d’un État ou d’une organisation ». Bien sûr, les compétences de la CPI ne concernent que les faits survenus postérieurement à sa création, mais cette non-rétroactivité, indiscutable en l’espèce, a d’une certaine façon bon dos. Car, depuis la définition du crime contre l’humanité par le traité de Londres du 8 août 1945, la législation et la jurisprudence de la Cour de cassation ont évolué dans le sens d’un « “deux poids, deux mesures”, qui mène à terme à l’exclusion implicite de toute possibilité de répression des actes inhumains et persécutions perpétrés par des Français, pour le compte de la France », comme le soulignait Sévane Garibian en 2008, dans un article aussi pondéré que remarquablement documenté.

    Ainsi, comme l’ont relevé Éric Conan et Henry Rousso dans leur livre Vichy, un passé qui ne passe pas (p. 328), « la France n’a pas signé la convention internationale de 1968 sur l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre, par peur de voir des membres de l’armée française être l’objet de procédures pour des faits commis durant la guerre d’Algérie ». Et Sévane Garibian souligne dans son article de 2008 que l’arrêt du 20 décembre 1985 de la Cour de cassation, rendu dans le cadre de l’instruction du procès du nazi Klaus Barbie, introduisait dans le droit français une définition des crimes contre l’humanité comme étant des « actes inhumains et [des] persécutions qui, au nom d’un État pratiquant une politique d’hégémonie idéologique, ont été commis de façon systématique, non seulement contre des personnes en raison de leur appartenance à une collectivité raciale ou religieuse, mais aussi contre les adversaires de cette politique, quelle que soit la forme de leur opposition ». Cette définition large pouvait à l’évidence s’appliquer aux crimes coloniaux. Ce que « corrigera » la même Cour de cassation en novembre 1992, avec un arrêt « opportuniste » concernant le procès du milicien Paul Touvier et stipulant que « les auteurs ou complices de crimes contre l’humanité ne sont punis que s’ils ont agi pour le compte d’un pays européen de l’Axe ».

    « Depuis, expliquait en 2008 Sévane Garibian, deux séries de textes applicables aux crimes contre l’humanité coexistent en France, ayant chacune son propre champ d’application dans l’espace et le temps : d’une part, les dispositions du Statut de Nuremberg de 1945 et la loi du 26 décembre 1964 pour la répression exclusive des crimes nazis commis au nom des pays européens de l’Axe durant la Seconde Guerre mondiale ; d’autre part, les articles 211-1 à 212-3 du nouveau Code pénal (NCP) pour la seule répression des crimes contre l’humanité perpétrés après leur entrée en vigueur (soit après le 1er mars 1994), au regard du principe de non-rétroactivité des nouvelles incriminations françaises. Une telle configuration juridique soulève évidemment le problème de l’impunité des crimes contre l’humanité autres que les crimes nazis, exécutés avant le 1er mars 1994, et souligne la réalité d’une “différence flagrante de traitement”en la matière – au-delà même de la problématique de la répression des crimes coloniaux. »

    Aujourd’hui, il nous semble essentiel d’en finir avec cette étrange « configuration juridique » qui entrave gravement la pleine reconnaissance des crimes de la colonisation. L’enjeu n’est plus de juger intuitu personæ les responsables de ces crimes, qui, pour la plupart, ne sont plus de ce monde. Il s’agit, parallèlement au chantier historiographique déjà bien engagé (même si beaucoup reste à faire), d’ouvrir enfin un chantier juridique et législatif visant à mettre fin aux entraves légales que nous avons évoquées, consacré notamment : a) à l’abrogation des grandes lois d’amnistie des années 1960 et 1980, objectivement contradictoires avec l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité (loi n° 66-396 du 17 juin 1966 « portant amnistie des infractions commises en relation avec les événements d’Algérie » ; loi n° 66-409 du 18 juin 1966 « portant amnistie de tous les crimes ou délits commis en liaison avec les événements consécutifs à l’insurrection vietnamienne » ; loi n° 68-697 du 31 juillet 1968 « portant amnistie générale de toutes les infractions commises en relation avec les événements d’Algérie » ; loi n° 82-1021 du 3 décembre 1982 « relative au règlement de certaines situations résultant des événements d’Afrique du Nord, de la guerre d’Indochine ou de la Seconde Guerre mondiale ») ; b) à l’adoption d’une loi précise et détaillée de reconnaissance des crimes de la colonisation française (et non une simple résolution), dans l’esprit de la loi du 21 mai 2001 « tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité », dite loi Taubira. Même si, vu le temps écoulé, une telle loi ne pourra plus, très vraisemblablement, déboucher sur des poursuites judiciaires contre des personnes.

    Dans une vidéo postée le 16 février 2017 sur son site Web, Emmanuel Macron a déclaré à propos de la colonisation de l’Algérie : « Sommes-nous aujourd’hui condamnés à vivre à jamais dans l’ombre de ce traumatisme pour nos deux pays ? Il est temps de clôturer ce deuil. Il faut pour cela avoir le courage de dire les choses et de ne céder à aucune simplification. » En le prenant au mot, nous lui demandons de s’adresser directement aux Français, de préciser ses déclarations d’Alger et d’en tirer toutes les conséquences. La prochaine commémoration du 8 mai 1945 pourrait en être l’occasion.

    1 MAI 2017 –  FRANÇOIS GÈZE – BLOG : LE BLOG DE FRANÇOIS GÈZE

    http://www.anti-k.org/

  • L’Autre 8 mai 1945 et sa reconnaissance par la France (Médiapart)

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    Le 2 mai de 19h à 23h, et pour la troisième année consécutive, les collectifs « l’Autre 8 mai 1945» et «Sortir du colonialisme» se mobilisent pour remettre dans le débat public la question de la reconnaissance par l’Etat français des massacres commis en son nom dans le nord Constantinois.
     
     2 mai 2017
    Salle Jean Dame, 17, Rue Léopold Bellan,
    Paris 75002 Métro : Les Halles ou Sentier

    « La question de la reconnaissance par la France des massacres de mai-juin 1945 dans le nord Constantinois a commencé à être posée publiquement en 2005 lors du cinquantenaire de cet événement.

    Une marche a eu lieu dans les rues de Paris, une projection du film documentaire de Mehdi Lallaoui a été organisée avec le soutien de la Mairie de Paris. La Ligue des droits de l’Homme a organisé un colloque avec des militants nationalistes algériens de l’époque et des historiens. En 2015, un collectif a lancé un appel à la reconnaissance de cette répression aveugle, signée par de nombreuses associations, et des rassemblements ont eu lieu à Paris, devant l’hôtel de ville, et dans d’autres villes.

    En même temps, des livres, des films documentaires, dont celui de Yasmina Adi diffusé sur France 2, ont mieux fait connaitre aux Français cet événement. En 2016, d'autres rassemblements ont eu lieu, notamment à  Nanterre, à  Paris, à  Nîmes, à  Roubaix. Cette année, la principale initiative sera un colloque international qui réunira des historiens algériens et français et où une table ronde posera avec force le problème de la reconnaissance par la France de la répression du 8 mai 1945 et des autres crimes qui ont ponctué son histoire coloniale.

    C’est une question importante pour les relations franco-algériennes, car la reconnaissance par la France des crimes de sa colonisation est une condition au dépassement du passé colonial et au rétablissement de relations apaisée entre les deux pays. Mais, au sein de la société française, elle est importante aussi pour le dépassement par de toutes les mentalités et de tous les comportements hérités de l’époque coloniale. La reconnaissance de la part d’histoire dont les descendants de l’immigration algérienne sont les héritiers est liée à celle de leur place pleine et entière dans la société française et de la fin des discriminations à leur égard. Elle est indispensable pour que la société française en finisse avec l’héritage de l’époque coloniale. »

    Extrait de l'entrevue de Gilles Manceron, historien et membre de la Ligue des Droits de l'Homme, avec le quotidien algérien El Watan.

    Programme de la réunion publique du 2 mai organisée par la LDH, Au Nom de la Mémoire et les quotidiens Mediapart et El Watan, avec le Collectif de reconnaissance du 8 mai 1945 :

    19h : Introduction

    - Mehdi Lallaoui, de l’association Au Nom de la Mémoire,
    - Robert Simon, de la Ligue des droits de l’Homme, section Paris centre de la LDH.

    19h15 : Projection du film de Mariem Hamidat « Mémoires du 8 mai 1945 »

    20h : Colloque international avec des intervenants algériens et français.

    Que s’est-il passé en mai-juin 1945 dans le Constantinois ?

    - Abdelmadjid Merdaci, Université de Constantine : mai-juin 1945, un tournant dans l’histoire du mouvement national algérien ; Malika Rahal, IHTP-CNRS : Ferhat Abbas et les Amis du Manifeste et de la Liberté (AML) ; Kamel Beniaiche, responsable du bureau de Sétif de El Watan, auteur de La fosse commune, massacres du 8 mai 1945 (éd. El Ilbriz, 2016) : que s’est-il produit dans les localités autour de Sétif ? ; Jean-Pierre Peyroulou, docteur en histoire EHESS : mai 1945 à Guelma.

    21h30 : Table ronde sur la reconnaissance par la France de cet événement et des autres crimes coloniaux, animée par Edwy Plenel,

    avec Catherine Coquery-Vidrovitch, professeur émérite d’histoire de l’Afrique à l’Université Diderot Paris 7 ; M’hamed Kaki, association Les Oranges ; Olivier Le Cour Grandmaison, maitre de conférence en sciences politiques et philosophie politique à l’Université d’Evry-Val d'Essonne ; Gilles Manceron, historien, LDH ; Emmanuelle Sibeud, professeur d’histoire contemporaine à l’Université Paris 8 ; Louis-Georges Tin, président du CRAN.

    22h30 : Conclusion : Patrick Farbiaz, animateur de Sortir du colonialisme, et les organisateurs.

    27 avr. 2017 Claire Denis

    https://blogs.mediapart.fr/

     

  • La question kurde dans l’impasse (Souria Houria)

     

    Fresque célébrant à Erbil les peshmergas (combattants kurdes) 

    Les batailles contre Daech, à Mossoul et à Rakka, loin de servir les intérêts des populations kurdes, risquent fort d’aggraver les conflits entre les différentes milices qui prétendent les représenter.

    La question kurde se trouve aujourd’hui dans une impasse paradoxale, alors même que la lutte de la coalition menée par les Etats-Unis contre Daech a fait du PDK (Parti démocratique du Kurdistan) son bastion en Irak et du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) son fer de lance en Syrie. Ces deux partis utilisent en effet la lutte anti-jihadiste pour pousser leur accaparement de la cause kurde. Les mouvements citoyens et les autres partis kurdes sont les premières victimes d’une politique aussi agressive.

    LES ETERNELS RIVAUX DU PDK ET DU PKK

    Le PKK est largement parvenu, dans l’opinion européenne, à associer « les Kurdes » à sa double stratégie partisane : d’une part, la confrontation armée depuis 1984 avec l’Etat turc, relancée en 2015, après deux années de « processus de paix » inabouti ; d’autre part, l’établissement d’une entité majoritairement kurde en Syrie, dénommée « Rojava » à partir de 2013, sous l’égide du PYD, la branche locale du PKK. Ce détournement de l’image d’un peuple entier au profit exclusif d’une organisation d’inspiration marxiste-léniniste est impressionnant.

    Le PDK, formation historique du nationalisme kurde depuis 1946, dirige pour sa part le Gouvernement régional du Kurdistan (GRK), formé dans le cadre de la constitution irakienne de 2005, et doté de son propre cadre budgétaire, dix ans plus tard. L’Union patriotique du Kurdistan (UPK), qui a fait scission du PDK en 1975, a longtemps contesté la position dominante du PDK, imposant son fief de Souleymanié en regard d’Erbil, capitale du GRK. Mais les querelles de succession et les luttes de faction ont considérablement affaibli l’UPK.

    Tout concourt à opposer le PDK « traditionaliste » au PKK « gauchiste ». Le premier joue la carte de la Turquie, tandis que le second coopère avec le régime Assad et l’Iran (où la minorité kurde est pourtant privée de l’essentiel de ses droits). L’implantation de la direction militaire du PKK dans la chaîne montagneuse de Qandil, au nord-est du territoire du GRK, aggrave les différends. Les milices des deux partis s’affrontent dans la région du Sinjar/Shingal pour le contrôle des populations yézidies qu’elles affirment toutes deux avoir sauvées de l’horreur jihadiste. Malgré ce conflit ouvert entre PDK et PKK, les Etats-Unis continuent de s’appuyer dans leur lutte contre Daech sur celui-ci en Syrie et sur celui-là en Irak.

    MILICES ET « SECURITE » CONTRE SOCIETE CIVILE

     Le PDK et le PKK ont cependant en commun la préférence pour la répression armée à l’encontre de la contestation interne. La montée en puissance de l’aile militaire du PKK, aux dépens de sa direction politique, s’est déroulée en parallèle de la consolidation du pouvoir des différents services de « sécurité » (en kurde Assayich) à l’ombre du GRK. La lutte contre Daech et les attentats jihadistes n’ont pu que conforter cette militarisation du contrôle social (le terme Assayich désigne également la « sécurité » intérieure du PKK dans le « Rojava » de Syrie, distincte là comme ailleurs des peshmergas).

    L’émergence du parti Goran (Changement), aux élections régionales du Kurdistan d’Irak en 2009, laissait espérer une troisième voie citoyenne au bipartisme historique entre le PDK et l’UPK. Mais la crise d’octobre 2015, aggravée par l’escalade milicienne du PDK, a paralysé le fonctionnement du Parlement régional et rejeté Goran dans une opposition impuissante. L’UPK collabore depuis à l’étouffement de la protestation dans la zone de Souleymanié, par exemple lors de la récente grève des enseignants, pourtant dénuée de revendication politique (les professeurs ne sont depuis longtemps payés qu’au quart de leur salaire officiel).

    En Turquie, le HDP (Parti démocratique des Peuples), en sensible progression au sein de la population kurde, a remporté un score historique de 13% des voix aux législatives de juin 2015, privant l’AKP du président Erdogan de la majorité absolue. Le chef de l’Etat s’est acharné à réparer cet affront au scrutin suivant de novembre 2015, tandis que la reprise des hostilités avec le PKK semait la désolation dans les provinces majoritairement kurdes du sud-est de la Turquie. Quant au HDP, sa direction politique et sa représentation parlementaire ont été la cible d’une répression sans précédent.

    Ce double raidissement autoritaire à Ankara et à Erbil installe la question kurde dans une impasse qui risque d’être durable. La reprise d’un processus de paix entre Ankara et le PKK est moins que jamais à l’ordre du jour, ce qui amène la guérilla séparatiste, sur le recul en Turquie, à concentrer ses forces en Syrie, à la fois contre l’opposition anti-Assad (en coordination avec la Russie) et contre Daech (avec le soutien croissant des Etats-Unis). On voit pourtant mal ce que la cause kurde aurait à gagner d’une percée du PKK/PYD vers Rakka, où les peshmergas seraient rejetés comme des forces aussi étrangères que les milices pro-iraniennes aujourd’hui à Alep.

    Le PDK vient, pour sa part, de relancer l’idée d’un référendum sur l’indépendance du Kurdistan d’Irak, repoussant toute ouverture intérieure à cette échéance symbolique. Nul doute qu’une écrasante majorité de la population se prononcerait en faveur de l’indépendance du GRK, où le drapeau kurde flotte d’ores et déjà sans partage. Mais cela signerait l’avènement d’un Etat-PDK, fondé sur la redistribution clientéliste de la rente pétrolière, d’une part, et sur l’étouffement méthodique de toute contestation, d’autre part.

    Le PDK et le PKK sont ainsi tous deux engagés dans une fuite en avant : le premier vers le référendum pour l’indépendance, afin d’éluder la question de la démocratie au Kurdistan d’Irak ; le second dans une expansion territoriale en Syrie, afin d’éluder la question de son alliance de fait avec le régime Assad. A la lumière de tels développements, une question se pose aux « amis des Kurdes », nombreux en France et, pour certains d’entre eux, aussi estimables que sympathiques. De quels Kurdes au juste sont-ils aujourd’hui « les amis » ?

    Source : Blog Le Monde - Date de parution le : 30/04/2017
     
     Souria Houria le 1 mai 2017