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  • Tunisie: Les protestations atteignent Kebili (Webdo)

     

    Les protestations contre le manque d’emplois dans les régions de l’intérieur du pays ont atteint Kebili, ce mardi 2 mai.

    Après Tataouine, Le Kef, Kasserine, Kairouan, Sidi Bouzid et Douz, elles se sont étendues à la région d’El-Golâa, à Kebili.

    Les habitants d’El-Golâa observent, en effet, ce mardi 2 mai 2017, une grève générale pour réclamer des emplois, des projets de développement et une part des bénéfices générés par le pipeline du gaz naturel qui traverse la région.

    Des institutions publiques et éducatives ont fermé leur portes, depuis ce matin, pour s’associer aux protestations contre la marginalisation de la région.

    Dans le même gouvernorat de Kebili, des habitants de la ville de Douz ont manifesté, hier lundi, pour exprimer les mêmes revendications.

  • Criminaliser la résistance : le cas des camps de réfugiés de Balata et de Jénine (Chronique de Palestine)

    Photo : al-Jazeera
    Mars 2017 - Violente répression par les supplétifs palestiniens, lors d'une manifestation à Ramallah - Photo : Zann Huizhen Huang/al-Jazeera
     
    L’Autorité palestinienne (AP) a adopté une réforme du secteur de la sécurité (Rss), dictée par les bailleurs de fonds, qui constitue le pilier de son projet d’édification de l’Etat post-2007.

    Au fur et à mesure de la mise en œuvre de la Rss, la Cisjordanie occupée est devenue un espace de titrisation et le théâtre de campagnes de sécurité de l’AP dont le but affiché était d’établir la loi et l’ordre. Cet article traite des conséquences des campagnes de sécurité de l’AP dans les camps de réfugiés de Balata et de Jénine, du point de vue de la population, par une démarche méthodologique ethnographique ascendante. Ces voix de la base populaire problématisent et examinent les campagnes de sécurité, illustrant comment et pourquoi la résistance contre Israël a été criminalisée. L’article conclut en arguant que la réalisation d’une réforme de la sécurité pour assurer la stabilité dans le contexte de l’occupation coloniale et sans résoudre la question de l’asymétrie des rapports de force ne peut jamais avoir que deux résultats : une « meilleure » collaboration avec la puissance occupante et la violation de la sécurité des Palestiniens et de leurs droits nationaux par leurs propres forces de sécurité.

    La réforme du secteur de la sécurité (Rss) est devenue un élément central de toute entreprise d’édification d’Etat [1]. Sous la direction de Salam Fayyad, Premier ministre de 2007 à 2013, l’Autorité palestinienne (PA) a adopté la Rss comme pilier de son projet d’édification d’Etat [2]. En plus d’améliorer les capacités des forces de sécurité par l’équipement et la formation, l’AP a voulu réformer les structures, la hiérarchie et la chaîne de commandement dans l’objectif déclaré de constituer une gouvernance et un contrôle démocratiques, en accord avec les exigences de ses principaux bailleurs de fonds internationaux [3]. Au fur et à mesure de la mise en œuvre de la Rss [4], la Cisjordanie occupée est devenue un espace de titrisation et le théâtre de campagnes sécuritaires dont le but ostensible était d’établir « la loi et l’ordre ».

    La réforme du secteur de la sécurité en général, des forces de sécurité de l’AP (FSAP) et le renforcement de leur efficacité en particulier, ont été menés sous occupation militaire israélienne et dans le contexte d’une domination coloniale. Compte tenu du rapport de forces asymétriques entre Israël et les Palestiniens, ainsi que des conditions préalables fixées par Israël et par les bailleurs de fonds internationaux, la formulation de la doctrine sécuritaire palestinienne [5] équivalait à un diktat dont l’efficacité et la légitimité ont été accueillies avec un profond scepticisme par l’opinion publique en Cisjordanie. Pour comprendre l’ampleur de l’entreprise, il faut garder en mémoire que le secteur palestinien de la sécurité est aujourd’hui composé de 83.276 individus (Cisjordanie et Gaza), dont 312 brigadiers généraux – pour mettre ce dernier chiffre en perspective, l’armée des Etats-Unis dans son ensemble se targue d’avoir 410 brigadiers généraux – dont 232 rendent compte à l’AP et 80 au Hamas [6]. Le secteur de la sécurité emploie environ 44 pour cent de la totalité des fonctionnaires [7], représente près de 1 milliard de dollars du budget de l’AP [8], et perçoit environ 30 pour cent de l’aide internationale totale allouée aux Palestiniens [9].

    En plus des programmes de formation et de l’amélioration de l’armement, la Rss lancée au lendemain de la Deuxième Intifada s’est appuyée sur les campagnes de sécurité menées par les Etats-Unis – qui ont entrainé les FSAP en Cisjordanie. Les objectifs des campagnes étaient de : – contrôler les activités du Hamas et du Jihad islamique, ainsi que celles de leurs branches armées, – contenir les militants affiliés au Fatah par la cooptation, l’intégration dans les FSAP et des mesures d’amnistie, – réprimer la criminalité et restaurer l’ordre public [10]. Les gouvernorats de Naplouse et de Jénine, plus particulièrement les camps de réfugiés de Balata et de Jénine, au nord de la Cisjordanie, qui étaient désignés comme des « bastions de la résistance » [qila‘a muqawameh] et/ou des « zones de chaos et d’anarchie » [manatiq falatan wa fawda] [11] ont été choisis comme « projets pilotes » de la Rss [12].

    Ce que les Palestiniens ordinaires pensaient de ces campagnes, que ce soit en termes de sécurité ou de dynamique générale de la résistance contre l’occupation, constitue l’objectif principal de cet article. Les données ethnographiques présentées sont basées sur une étude, menée entre août et décembre 2012 dans les camps de réfugiés, qui combine entretiens semi-directifs et discussions de groupe avec des jeunes des deux sexes. L’échantillon de recherche englobe une grande variété de groupes sociaux et tend à refléter la voix des acteurs subalternes qui sont généralement marginalisés dans le discours et la littérature dominants : leaders locaux dans les camps, cadres de factions politiques de rang secondaire, membres de groupes armés, anciens combattants, hommes, femmes et enfants ainsi que des individus ayant été détenus par l’AP dans le cadre de campagnes de sécurité.

    Ethnographiquement parlant, les similitudes entre les camps sont frappantes, et donc cet article ne comparera ni n’opposera les deux, mais utilisera plutôt les deux comme une unité-clé d’analyse unique. Pour l’essentiel, cet article soutient que l’objectif primordial de la Ssr en général, et des campagnes de sécurité en particulier, fut de criminaliser la résistance à l’occupation israélienne et de museler l’opposition à la domination coloniale. En conséquence, on peut considérer les campagnes comme les premières étapes de la transformation autoritaire de l’Autorité palestinienne, manifeste dans l’usage excessif de la détention arbitraire et la torture dans ses prisons, ainsi que dans le rétrécissement de l’espace pour que se fassent entendre les voix de l’opposition ou de la résistance dans le système politique palestinien.

    Les camps de Balata et de Jénine : Préparer le terrain

    Les camps de Jénine et de Balata sont situés au nord de la Cisjordanie occupée et ont été mis en place par l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) en 1953 et 1950 respectivement, pour héberger les Palestiniens déplacés et dépossédés dans le sillage de la Naqba de 1948. Avec une superficie de 0,42 km², le camp de Jénine abrite quelques 16.260 habitants, alors que le camp de Balata, qui est le plus important en terme de population en Cisjordanie, est construit sur une superficie de seulement 0,25 km² pour une population de 23.600 habitants. Les deux camps partagent des indicateurs socio-économiques similaires : la taille moyenne des ménages est de 5,5, environ 60 pour cent de la population a moins de 24 ans, et les taux de pauvreté et de chômage varient entre 35 et 40 pour cent [13].

    Selon l’UNRWA, le chômage élevé, les écoles surpeuplées, la forte densité de population et les réseaux insuffisants d’eau et d’égouts sont quelques-uns des problèmes les plus urgents des camps [14].

    En plus des conditions de vie difficiles, les résidents des camps souffrent de la répression et des persécutions continues de l’armée israélienne, dont des raids brutaux, des mesures répressives/rafles au nom de la sécurité. Ces camps ont été particulièrement ciblés par Israël en raison de leur rôle actif dans la résistance armée et dans l’encouragement à l’émergence des groupes armés. Les camps ont aussi joué un rôle majeur et d’avant-garde pendant les protestations populaires et la désobéissance civile de la Première Intifada (1987–93). Pendant la Deuxième Intifada (2000-2005), lorsqu’Israël s’est emparé de la Cisjordanie, Jénine fut le site d’une bataille éponyme en avril 2002, pendant laquelle, selon Amnesty International et Human Rights Watch, les Forces Israéliennes de Défense (FID) ont commis des crimes de guerre [15]. En plus des pertes humaines, des parties importantes du camp ont été complètement détruites et plus d’un quart de la population s’est retrouvé sans abri.

    La résistance et la détermination du camp de Jénine au cours de cette bataille en ont fait le symbole de la résistance de la Deuxième Intifada, qui a été salué par le président de l’époque Yasser Arafat comme le Stalingrad des Palestiniens. « Jéningrad », comme Arafat l’a appelée, fut et reste une grande source de fierté de ses dirigeants et de ses habitants, et a joué un rôle central pour façonner l’identité collective de la population de réfugiés. Les camps de Balata et de Jénine ont vu la naissance de la branche armée du Fatah, les Brigades des Martyrs d’Al-Aqsa, pendant la Deuxième Intifada. De fait, les FSAP n’ont pas été autorisées à entrer dans les camps car les factions armées contrôlaient les deux zones et y revendiquaient l’autorité [16]. Ce sont quelques-unes des raisons pour lesquelles ces camps sont restés une cible permanente pour Israël, et également pourquoi ils furent les premiers et principaux lieux à être visés par les campagnes de sécurité de l’AP [17].

    Les campagnes de sécurité entreprises en 2007 furent des offensives menées en utilisant des tactiques traditionnelles musclées. Elles ont impliqué le redéploiement de forces de sécurités entraînées et équipées dans des localités qui contestaient l’autorité et le contrôle de l’AP, notamment l’objectif de l’AP d’établir un monopole de l’utilisation de la violence dans la sphère sécuritaire [18]. Ce n’était pas des activités sécuritaires régulières ou des opérations de routine, mais plutôt des offensives ciblées avec des objectifs, un échéancier, des méthodes et des stratégies.

    Le jour de lancement des campagnes, les troupes des FSAP, bien habillées, bien équipées, bien entraînées et la plupart du temps masquées déferlaient dans les camps de Jénine et de Balata dans des dizaines de véhicules militaires neufs et achetés à l’étranger. Approchant des camps depuis de multiples points pour mieux établir leur contrôle, les Forces de sécurité de l’Autorité palestinienne (FSAP) coordonnaient leurs mouvements et leurs opérations avec l’armée israélienne, qui reste l’autorité suprême en Cisjordanie occupée. Elles entraient dans les camps par leurs ruelles étroites, avec des tireurs d’élite positionnés sur les toits des bâtiments stratégiques ou à proximité du centre des opérations. Les FSAP attaquaient les maisons pour arrêter les individus ciblés, chercher des armes dont les caches étaient découvertes et confisquer les armes individuelles. De violents affrontements s’en suivaient, tant avec les groupes armées qu’avec les habitants des camps résistant à l’offensive [19].

     

     

    L’idée était de nettoyer les camps des armes non référées à l’AP, de mener un processus de désarmement, d’arrêter ceux qui remettaient en question l’autorité de l’AP et d’envoyer un message clair aux habitants du camp que l’AP était l’unique structure de gouvernance et de pouvoir autorisée. Etablir un monopole d’utilisation de la violence et consolider le pouvoir dans le secteur de la sécurité furent des objectifs essentiels puisque l’appareil sécuritaire de l’AP n’avait pu entrer dans les camps pendant la Second Intifada, lorsque les groupes armés conservaient le pouvoir ultime. Dans le cadre de son processus de réforme institutionnelle et de projet d’édification de l’Etat, au lendemain des élections législatives et présidentielles palestiniennes de 2006-2007 et de la fracture intra-palestinienne qui s’en est suivie, l’AP a visé les camps et systématiquement criminalisé la résistance [20].

    A Naplouse, la campagne de sécurité a commencé en novembre 2007 et a été suivie en mai 2008 par une campagne similaire à Jénine qui fut nommée, de façon ironique, « Sourire et Espoir », pour suggérer que l’AP venait dans les camps pour ramener le bonheur des gens et leur redonner espoir après des années de non-droit [falatan amni]. Du point de vue de l’Autorité palestinienne, l’idée qui sous-tendait les campagnes était simple : « Nous voulions montrer aux donateurs et à Israël que l’AP pouvait gouverner la société palestinienne, » m’a dit un haut fonctionnaire de l’Autorité, « même dans des zones aussi intraitables que les camps de Balata et de Jénine. » [21]

    L’idée de créer une réforme sécuritaire modèle était partagée aux plus hauts échelons internationaux [22]. Lors d’un diner avec Tony Blair, alors représentant du Quartet, et de hauts diplomates dans la région, le général états-unien Jim Jones avait « proposé une nouvelle approche » pour la pacification : plutôt que de se lancer dans un grand accord avec les Israéliens, il avait préconisé une approche fragmentaire qui impliquait de faire un « modèle » d’un endroit sous occupation israélienne et « Jénine Pilote » est né [23]. Décrit comme « une initiative israélienne », Jénine Pilote était « un programme actuellement mis en œuvre grâce à une coordination directe entre les Palestiniens et Israël, avec une participation américaine limitée. Le programme incluait la tentative de renforcer le camp palestinien modéré, dirigé par Abou Mazen [le président de l’AP Mahmoud Abbas], et d’appliquer les conclusions de la Conférence d’Annapolis. » [24] En conséquence, Jénine, a écrit un journaliste, « a acquis la réputation de zone de sécurité modèle où des bandes armés et des chefs de guerre ont été remplacés par des forces de sécurité organisées qui respectent une chaîne de commandement. » [25] L’ancien maire de Jénine a décrit plus tard 2008-2009 comme « l’âge d’or » [26] et un journaliste étatsunien comme une « révolution tranquille » [27].

    De nombreux chercheurs ont critiqué le fait de transformer Jénine et Naplouse en modèles pour combattre d’autres localités cisjordaniennes [28]. Linda Tabar a fait remarquer que « au fil du temps, la résistance à Jénine a été matée en faisant intervenir séparément les technologies de pouvoir, y compris notamment une longue campagne de contre-insurrection coloniale qui a été suivie par des projets déterminés par des donateurs pour réorganiser le camp et rétablir la collaboration sécuritaire avec Israël. » [29] Dans le cas de Balata, Philip Leech a écrit que le succès apparent de l’AP à imposer la loi et l’ordre dans le camp (et à Naplouse en général) après 2007, ainsi que l’adhésion populaire initiale au programme sécuritaire de l’AP, « n’a pas recueilli l’aval de la légitimité de l’AP par l’opinion publique. Au contraire, le consentement fut superficiel et, à long terme, l’accélération du glissement de l’AP vers l’autoritarisme s’est avérée profondément invalidante pour la société palestinienne en général. » [30] En d’autres termes, un examen plus approfondi révèle que « ce consensus était superficiel et n’a pas duré. En avril 2012, le scrutin a suggéré que le niveau d’adhésion populaire au gouvernement Fayyad s’était globalement affaissé. » [31]

    Ces observations critiques sont soutenues et amplifiées par les points de vue des résidents des camps interrogés pour cette étude. Un chef du Fatah du camp de Jénine s’exprimait comme suit pendant notre entretien : « Il n’y avait aucun phénomène de chaos sécuritaire [falatan amni]. L’AP a juste exagéré, ce qui reflète son incapacité à diriger. Ils ont utilisé la machine médiatique pour nous présenter comme une menace à la sécurité, tant aux niveaux national que local. » Une personne interrogée du camp de Balata, avec des opinions politiques de gauche, a utilisé la description suivante : « Il y a trois mots clés pour les campagnes sécuritaires de l’AP : mensonges, médias et argent [kizib, i‘lam, masari]. La machine médiatique était avec eux [l’AP] partout, à couvrir leurs mensonges ; et il n’y a pas pénurie de ressources lorsqu’il s’agit de la sécurité de l’AP. » Une jeune femme de Balata a dit que les campagnes sécuritaires étaient comme « donner à quelqu’un de l’aspirine [Tylenol] pour soigner un cancer. »

    L’écart apparent entre le récit du peuple et celui des autorités est frappant. Dans le récit des gens de la base populaire, les mots associés aux projets d’édification de l’Etat post-2007 sont bailleurs de fonds, corruption et Etat policier [mumawilleen, fasad, dawlat bolees] [32]. Mais, plus intéressant, ces voix se concentrent sur la résistance comme le prisme à travers lequel explorer les implications de la Rss sur leurs vies et sur leur lutte nationale. En d’autres termes, ils mesurent les conséquences et l’efficacité de la Rss par rapport à son impact sur la capacité des gens à résister à l’occupation israélienne.

    Les personnes interviewées estimaient que mener une réforme de sécurité pour assurer la stabilité dans le contexte d’une occupation coloniale, sans résoudre le déséquilibre du rapport de forces et sans revisiter les conditions des « accords de paix », ne peut jamais avoir que deux résultats : une « meilleure » collaboration avec la puissance occupante et la violation de la sécurité du peuple palestinien et de ses droits nationaux par son propre gouvernement et ses propres forces de sécurité.

    Les réussites techniques à court terme des FSAP furent considérées comme fragiles, temporaires et subordonnées à la bonne volonté israélienne et à la générosité des donateurs. Le consensus de la base populaire était qu’en fin de compte il s’agissait de rapports de force. « La sécurité n’était que ça, » a résumé une personne interrogée dans le camp de Jénine. Les outils déployés par l’AP dans le processus comprenaient l’utilisation de la coordination sécuritaire comme doctrine ; l’utilisation (abusive) du système judiciaire pour consolider l’Etat de droit plus que rendre la justice ; l’usage des mécanismes de conciliation informelle et le recours à la force excessive qui a perpétué une culture de la peur et a jeté le discrédit sur la résistance à l’occupation israélienne.

    Méfiance et crise de légitimité

    En dépit des différences de contexte, de milieu social et autres variables démographiques, la grande majorité des personnes interrogées dans les deux camps partageaient des points de vue semblables sur l’efficacité des FSAP et affichaient des niveaux comparables de méfiance envers elles. Les attitudes qu’elles ont exprimées et les déclarations qu’elles ont faites au sujet des campagnes de sécurité vont à l’encontre du propre récit ronflant des autorités, qui met en évidence le manque de transparence et l’implication de la prise en main nationale.

    Une Palestinienne travaillant dans un centre pour les femmes dans le camp de réfugiés de Jénine m’a dit : « Lorsque les campagnes de sécurité ont commencé en 2007, nous avons ressenti un peu d’optimisme. Mais ensuite les choses ont commencé à se détériorer, nous n’arrivions pas à comprendre ce qu’elles voulaient faire, quels types d’armes elles visaient, pourquoi elles arrêtaient les leaders locaux qui avaient mené l’Intifada ou pourquoi elles en tuaient d’autres. Nous leur donnions [aux FSAP] des fleurs et de la nourriture, nous leur faisions du café mais ils nous ont remercié avec des balles et en entrant dans nos maisons en défonçant les portes. » Un cadre du Fatah du camp de Balata, qui avait été un chef local pendant la Première Intifada, a dit : « Les campagnes sécuritaires ont fait des trous dans notre cause et dans notre lutte nationale comme dans nos corps, et les Forces de sécurité de l’AP n’ont jamais essayé de les réparer. Avec les campagnes de sécurité, l’AP a transformé nos communautés en gruyère… pleines de trous. »

    Pendant mon travail sur le terrain, le manque de confiance entre les FSAP et les habitants du camp était tangible dans le langage dominant sur l’autre (« eux » et « nous »). Un jeune du camp de Jénine a conclu que « le camp a été visé non pas parce que nous sommes une bande de voyous et de criminels, comme nous dépeignent les FSAP, mais parce que nous sommes comme un arbre plein de fruits : tout le monde veut lancer une pierre pour en attraper un pour son bénéfice égoïste. » Pour sa part, un cadre féminin dans le camp de Balata a affirmé que « lorsque les gamins des camps commencent à accueillir les FSAP avec des fleurs et non des pierres, » alors il peut y avoir une lueur d’espoir pour combler l’écart de légitimité.

    En plus de la sphère opérationnelle, la méfiance envers le système sécuritaire de l’AP s’est étendue aux sphères judiciaires, formelles et informelles. Afin de donner au processus un peu de légitimité, les FSAP se sont d’abord appuyées sur les leaders locaux dans les camps pour faciliter les campagnes de sécurité et exécuter des opérations particulières. Ces chefs faisaient partie intégrante du désarmement et de la collecte des armes et percevaient des compensations financières quand les armes étaient remises à l’AP. Non seulement les résidents du camp ont fortement contesté ce rôle de facilitation, mais ils ont aussi allégué que les chefs locaux ont tiré des profits financiers des campagnes de sécurité. De façon ironique, après la reprise en main, les FSAP ont écarté les leaders locaux et ont arrêté beaucoup d’entre eux.

    Le chef de la commission des services du camp de Jénine dirigée par le Fatah était impatient de relater ce qui suit :

    « Une fois que nous avons livré… remis… les agents du Hamas et du Jihad Islamique, ainsi que les voyous ordinaires à l’AP, ce fut notre tour (au Fatah). Les dirigeants de l’AP, aidés par leur doctrine et leur appareil sécuritaires, ont démantelé notre branche armée, ils ont confisqué nos armes, au fond en nous roulant – et nous avons dit d’accord, nous acceptons ça. Mais maintenant, ils nous raflent, ils essaient de nous faire renoncer à nos principes et à nos idéaux, à changer nos convictions politiques, et par-dessus le marché ils nous menacent de perdre nos emplois. En mai de cette année, après le décès du gouverneur de Jénine, l’AP a arrêté et torturé quelques sept cents personnes du camp. En bref, ces opérations de sécurité inutiles ont abouti à la perte de toute légitimité de l’AP dans le camp – si elle en avait jamais eu. »

    En outre, les FSAP ont contraint les gens à obéir aux conclusions des mécanismes informels de justice et les ont dissuadés de chercher à obtenir réparation par des voies plus officielles [33]. Les FSAP ont commis de nombreuses violations des droits de l’homme, telles la torture de prisonniers politiques, l’humiliation publique et la détention sans inculpation, et les familles et les clans ont été contraints de faire face à ces excès à titre personnel, par les dispositifs traditionnels de la conciliation tribale plutôt que par des tribunaux ou par le système judiciaire officiel. Ces questions furent réglées entre « tasse de café et conciliation » [finjan qahwa wa ‘atwa], renforçant encore l’écart de légitimité et amplifiant la méfiance.

    Une femme de 35 ans vivant dans le camp de Jénine m’a dit :

    « Mon époux a été arrêté et torturé par l’AP pendant quarante-cinq jours. Lorsque nous avons voulu porter plainte contre l’AP, l’ainé de la famille est venu chez nous, à la demande de l’Autorité palestinienne, avec cinquante hommes derrière lui pour pousser mon mari à résoudre le problème à l’amiable. Ils nous ont tués et ils voulaient qu’on résolve la question à l’amiable ! Nous n’avions pas le choix… Mais bien sûr, ce que cela signifie, c’est que nous porterons en nous cette souffrance et cette humiliation jusqu’à la fin de nos jours. Je ne pardonnerai jamais quiconque nous oblige à renoncer à nos droits. »

    La priorité des FSAP était de consolider le pouvoir et de garantir qu’elles avaient le monopole de l’utilisation de la violence dans la sphère politique, quelles qu’en soient les conséquences. Leur mission était d’établir la règle de « un fusil, une loi, une autorité » [34], un slogan électoral majeur de la campagne électorale d’Abbas en 2005 et un principe cardinal des gouvernements Fayyad successifs après 2007 – même si cela se faisait au détriment de la sécurité du peuple, des droits humains fondamentaux ou bien sûr de leur capacité à résister à l’occupation. En fait, la mise en œuvre du slogan « un fusil, une loi, une autorité » signifiait d’affronter bille en tête la notion et la pratique de résistance, et en particulier la résistance armée à l’occupation israélienne.

    Mater les camps, mater la résistance : transformation autoritaire et détention arbitraire

    Les campagnes sécuritaires de l’AP ne furent pas seulement illégitimes aux yeux de leurs cibles mais elles ont également eu des effets délétères sur le mouvement de la résistance, et c’est ce message qui a constitué l’essentiel de ce que les voix de la base populaire exprimaient. L’« échec délibéré » de l’AP, comme l’a dit une personne interviewée pour faire une distinction claire entre « les armes de l’anarchie » et celles de « la résistance armée » signifiait que les gens étaient également ciblés, qu’ils fussent des criminels ou des résistants. Comme l’a demandé avec éloquence un résident du camp de Balata, « comment un voleur peut-il être détenu dans la même prison qu’un muqawim (combattant de la liberté) ?

    Criminaliser la résistance contre l’occupation israélienne fut un thème commun invoqué par les personnes interrogées. Un ancien membre des Brigades des Martyrs d’Al-Aqsa du Fatah, qui fut arrêté pendant les campagnes de sécurité de Jénine, a fait ces commentaires :

    « Ils nous considèrent comme des criminels et nous traînent devant les juges des tribunaux militaires parce que nous résistons à l’occupation. Est-ce un crime de résister à l’occupation ? C’est certainement un devoir pour un peuple occupé ! Ils veulent juste nous soumettre et nous dépouiller de notre dignité (…). J’ai été torturé dans la prison de Jéricho de l’AP pendant quatre-vingt-trois jours, sans inculpation ni accès à un avocat. Ensuite, ils m’ont désigné un avocat qui m’a conseillé d’avouer et de signer une déclaration disant que je m’abstiendrai de m’engager dans une soi-disant activité criminelle. Je suis un combattant de la liberté. Je ne suis pas un voleur ! »

    Un autre ancien membre des brigades qui a également été arrêté lors d’une des campagnes de sécurité à Naplouse a été détenu par l’AP pendant cinquante-quatre jours à al-Juneid (Naplouse), puis pendant trente-deux autres jours à la prison d’Al-Dhahiriyya à Hébron (du 25 juin au 27 juillet 2012). Bien qu’il ait réussi à intégrer la police civile de l’AP et qu’il soit père de quatre enfants, il a été mis en détention sur plusieurs accusations ambiguës et parfois contradictoires, parmi lesquelles : constituer une menace sécuritaire pour sa communauté ; être toxicomane et dealer ; participer à des activités criminelles et de corruption ; détention et trafic d’armes ; être un partisan de Mohammad Dahlan [35] ; et même être membre du Hamas ! En novembre 2007, il avait remis deux fusils à l’AP, un M16 court avec un logo israélien et un M16 long arborant un cèdre du Liban ; il a reçu 18.500 $ pour les deux armes, ainsi qu’une amnistie israélienne conditionnelle d’un mois après leur remise. Le document d’amnistie, qu’il a sur lui en permanence (et qu’il m’a montré pendant l’entretien), indique que si quiconque le signale, ou s’il est vu en compagnie de personnes recherchées par les autorités, ou s’il porte n’importe quel type d’arme, y compris son arme de service remise par l’AP, l’amnistie sera annulée.

    « Dans la prison al-Dhahiriyya, c’était la ‘fête au terrorisme’ [haflet irhab]. Il y avait du sang sur les murs et les bruits des tortures se répercutaient dans tout le bâtiment – alors qu’on avait les yeux bandés, on entendait les gens crier et hurler, les portes claquaient, le bruit des gens qu’on cognait contre les murs (…). Je pose la question, où ont-ils appris toute cette agressivité ? Ils ont pris du plaisir à me torturer. J’ai passé des jours dans une cellule minuscule, 1m20 x 2m. Un jour, ils sont arrivés avec un seau d’eau sale et ils l’ont jetée dans la cellule. C’était un cauchemar : torture, interrogatoire, être suspendu pendant des heures selon la technique du ‘shabeh’ [36], être sous surveillance constante avec des caméras et des capteurs sonores partout, être privé de sommeil la nuit, l’irruption dans les cellules après minuit, le changement d’interrogateurs tous les jours, etc. etc. – et tout ça parce qu’ils voulaient que je cesse de résister à l’occupation ! »

    Notre conversation fut interrompu par une sirène très forte, qui s’est avérée être la sonnerie de son téléphone portable. Il a continué son récit, avec de l’amertume dans la voix, ses jambes tremblaient et il transpirait abondamment. « Ces cinquante-quatre jours furent les pires de ma vie. J’avais de longues conversations avec les araignées, les fourmis et les moustiques dans ma cellule. Je ne cessais de leur dire : prenez votre part de mon sang et laissez-moi tranquille ! J’observais intensément les mouvements des fourmis dans ma cellule (…) ! Je les nourrissais puis je les tuais. C’est exactement ce que l’AP fait avec nous. Ils paient nos salaires puis ils viennent nous tuer. »

    Il s’est interrompu, a mis les mains sur son ventre et a dit qu’il se sentait mal. Continuant à transpirer et à trembler, il a ajouté : « Chaque fois que je parle de ça j’ai d’énormes douleurs dans le ventre et dans tout le corps. » Cet homme a fini par être libéré de prison après que le Président Abbas a signé des amnisties sécuritaires au moment du Ramadan et de l’Eid al-Fitr cette année. Craignant qu’il aille voir une organisation de défense des droits de l’homme pour porter plainte, les FSAP lui ont demandé une garantie fiscale de 7.000 livres jordaniennes (environ 10.000 $) souscrite par la Chambre de Commerce de Naplouse. Elles lui ont également demandé de signer l’engagement, écrit en arabe, en anglais et en hébreu, de ne porter aucune arme, de ne pas voyager ou circuler en Cisjordanie, et d’être en garde à vue la nuit au poste de police principal de Naplouse entre 20h et 8h du matin, toutes les nuits.

    Pendant nos deux heures de conversation, l’un des chefs de la bataille de Jénine en 2002 qui était sur la liste israélienne des personnes les plus recherchés pendant la Deuxième Intifada, a décrit son arrestation et sa détention dans la prison de l’AP à Jéricho entre mai et octobre 2012 :

    « Le chef de la Police civile m’a appelé pour aller prendre un café avec lui, mais quand je suis arrivée, c’était un piège. Tout d’un coup, des membres des forces de la sécurité préventive ont surgi dans le bureau, m’ont brutalement attaché les mains dans le dos, m’ont mis une capuche sur la tête et m’ont traîné dans les escaliers jusqu’à leur jeep. Ils m’ont conduit à Jéricho, en passant tous les checkpoints israéliens. Quelle ironie de voir que chaque checkpoint israélien s’ouvrait pour moi pendant que l’AP m’arrêtait ! Je les ai même entendu dire [les FSAP], en hébreu par téléphone, ‘On l’a eu!’. J’ai des problèmes de santé, j’ai toujours cinq balles dans les jambes et quatre dans le dos depuis 2002. Une bombe m’a aussi explosé à la figure en 2002 mais les FAPS ont refusé que les médecins m’examinent en prison. Après avoir été enfermé dans une cellule au sol sale et humide pendant une semaine, j’ai eu une infection bactérienne au dos. Après ils ont commencé les tortures physiques, ils me cognaient violemment contre le mur et ils m’ont maintenu renversé et attaché par les mains et les pieds à une petite chaise selon la technique du « shabeh » pendant trois jours. Après huit jours de ce régime et bien que j’avais le droit d’avoir un matelas, ils ont refusé de m’en laisser avoir un si je n’avouais pas un crime que je n’ai jamais commis. Pendant mes cinq mois de prison, je n’ai pas été une seule fois interrogé par le procureur. Ils ont fait un exemple avec moi, pour montrer à tous les autres prétendus prisonniers sécuritaires qu’il n’y a pas d’exception et que même les dirigeants de la résistance armée peuvent être arrêtés et torturés. Ils m’ont bandé les yeux et m’ont jeté au sol, la tête sous les bottes de celui qui m’interrogeait et ils ont ouvert la petite lucarne d’observation en haut de la porte pour que les autres prisonniers me voient dans cet état. C’était tellement humiliant (…), en parler me perturbe, je suis bouleversé. »

    Un habitant de Balata a résumé les conséquences de la campagne de sécurité sur l’espace disponible pour la dissidence de la façon suivante : « Depuis 2007, les rassemblements publics ne sont autorisés qu’à trois occasions : les mariages, les funérailles ou les rassemblements de prison. » Un chercheur de terrain local travaillant pour une grande organisation palestinienne de défense des droits de l’homme m’a dit que les violations du droit étaient courantes, notamment « les arrestations et les raids des domiciles sans mandat judiciaire, les interrogatoires prolongés dans les locaux des forces de sécurité sans inculpation ni procès, la comparution devant un tribunal après des semaines de détention sans inculpation, pas d’inculpations officielles ou d’accusations spécifiques. » Il a ajouté : « En fait, je viens de recevoir un appel des Forces de la sécurité préventive me demandant d’aller les voir, et je suis sûr qu’ils veulent m’interroger sur le dernier rapport que j’ai écrit. »

    Quelques semaines après sa libération, un jeune de 18 ans du camp de Jénine, avec de marques de torture toujours visibles sur de nombreuses parties du corps, m’a dit : « J’ai été accusé de trouble et menace à l’ordre public en tant que chef du gang des Diables. Ils m’ont accusé d’avoir écrit une déclaration et de l’avoir distribuée dans tout le camp, mais il se trouve que je ne sais ni lire ni écrire ! »

    Debout dans son atelier, un charpentier de 24 ans, le visage triste et les mains et les jambes tremblantes, me raconte :

    « J’ai été arrêté et emprisonné trois fois dans les geôles de l’AP à Jéricho et à Jénine. Je n’ai jamais été autant humilié de toute ma vie que pendant cette année-là. Douze jours sans dormir, attaché dans une position douloureuse à une chaise cassée. Les chaînes que j’avais aux mains mordaient ma peau et mes os. Dix-sept jours d’isolement dans une cellule glaciale, avec un matelas pourri et dégoûtant et les pires repas possibles. Je me croyais à Guantanamo. A Jéricho, la prison est souterraine et elle compte vingt-huit cellules, trois salles plus grandes, une cuisine qui est souvent utilisée pour la torture, et une salle d’interrogatoires qui comprend une unité dite de soins de santé. C’est le même modèle que les prisons israéliennes. »

    Il ressort clairement de ces témoignages et d’autres similaires que beaucoup de gens, dans les deux camps, qu’ils soient des acteurs de la société civile ou des membres d’organisations locales, considèrent que les objectifs des campagnes de sécurité furent la création d’une culture de la peur pour que l’AP puisse consolider son pouvoir et montre sa capacité à gouverner des espaces réputés difficiles. La dynamique de la coordination sécuritaire avec Israël est telle que pour les résidents des camps, les sources d’insécurité internes, ou d’origine intérieure, forment encore une autre strate de peur et d’humiliation dans leur expérience de l’occupation israélienne.

    Coordination sécuritaire: la domination comme coopération

    La coordination de la sécurité avec Israël est une caractéristique déterminante de la doctrine de l’Autorité palestinienne en matière de sécurité, et une source majeure de tension entre le peuple palestinien et ses représentants. [38] Bien qu’elle soit un sous-produit des Accords d’Oslo de 1993 [39], cette coopération est devenue la question principale dans le projet d’édification de l’État par l’AP. Elle a ensuite été écrite dans le marbre dans la période qui a suivi 2007. [40]

    Mais ses détracteurs considèrent que la coordination sécuritaire a eu un impact préjudiciable sur la légitimité de l’Autorité palestinienne, et elle est perçue par beaucoup de Palestiniens comme une forme de trahison nationale. [41] Cette collaboration entre les PASF et l’armée israélienne se manifeste de plusieurs façons, notamment: l’arrestation par les PASF des suspects palestiniens recherchés par Israël; la suppression des manifestations palestiniennes contre les soldats israéliens et/ou les colons; le partage du renseignement entre l’armée d’occupation et les PASF; la politique de la porte tournante entre les prisons israéliennes et palestiniennes par laquelle les militants palestiniens font des passages successifs pour les mêmes infractions; des réunions, des ateliers et des formations régulières etre israéliens et Palestiniens. [42]

    En mai 2014, le président Abbas a déclaré que « la coordination de la sécurité [avec Israël] est sacrée, [c’est] sacré. Et nous allons continuer, indépendamment de nos désaccords ou accords sur le plan politique »[43]. Cependant, la grande majorité des Palestiniens ne sont tout simplement pas d’accord. Un sondage auprès des habitants palestiniens de Cisjordanie et de la bande de Gaza par le «Arab Center for Research and Policy Studies» [Centre arabe pour les études de la recherche sur les politiques] en 2014, a montré que 80% des personnes interrogées s’opposaient à la poursuite de la coordination sécuritaire avec Israël. [44]

    Ce désaccord fondamental entre le public palestinien et sa direction politique officielle a entraîné une colère populaire, ce qui a mené à des manifestations qui ont été violemment réprimées. Une telle colère se reflète également dans la façon dont les PASF sont perçus. Après 2007, les PASF étaient souvent appelées « les forces de Dayton », en référence au lt. Gen. Keith Dayton, l’architecte en chef de l’équipe des coordonnateurs de la sécurité des États-Unis (USSC), responsable de la formation des neuf bataillons qui ont mené les campagnes repressive dans les camps de réfugiés de Balata et Jénine.

    Dans un discours tenu en 2009 à Washington, Dayton a salué les « nouveaux hommes palestiniens » que son équipe avait formés et a cité des commandants de l’IDF qui lui demandaient: « Combien de plus de ces nouveaux Palestiniens peuvez-vous produire et à quelle rythme ? » Le général américain a également fait référence aux paroles d’un haut fonctionnaire palestinien qui s’exprimait devant une classe de gradués du PASF en Jordanie, formés sous les auspices de l’USSC. « Vous n’avez pas été envoyés ici pour apprendre à lutter contre Israël », a déclaré le fonctionnaire, selon Dayton: « mais vous avez été plutôt envoyés ici pour savoir comment conserver l’ordre public, respecter le droit de tous nos citoyens et imposer la loi afin que nous puissions vivre en paix et en sécurité avec Israël ». [45] De telles déclarations, en plus des révélations des Documents palestiniens [46], ont encore alimenté les perceptions négatives du public sur la doctrine de la collaboration sécuritaire et sur ses implications sur la vie des Palestiniens. [47]

    La grande majorité des personnes interrogées dans les camps [de réfugiés] ont exprimé leur mécontentement à l’égard de la coordination sécuritaire. Un responsable communautaire dans le camp de Jénine m’a dit: « Je n’ai pas de problème avec [cela] tant que c’est réciproque. Cependant, ce n’est pas le cas. Ce sera une histoire entièrement différente lorsque l’AP pourra demander à Israël d’arrêter un colon et de protéger la sécurité des Palestiniens. Il n’y a pas de sens dans la coordination, mais seulement de la domination ». Un responsable de communauté du camp de Balata l’a dit plus brutalement: « Les campagnes de sécurité ont fait une chose: elles ont minimisé le nombre des agressions israéliennes et ont confié aux PASF le rôle des forces d’occupation. Elles ont en fait instaurer une division du travail ».

    La politique de la porte tournante (al-bab al-dawar) était particulièrement sensible pour ceux qui en avaient souffert. Une des personnes interrogées dans le camp de Jénine qui avait passé du temps dans les prisons israéliennes et palestiniennes m’a expliqué : « J’ai été détenu pendant neuf mois dans la prison des Forces de sécurité préventives de l’AP parce que j’appartenais au Hamas. Trois semaines après ma libération de la prison de l’AP, Israël m’a arrêté exactement sur les mêmes accusations. Ils ont littéralement utilisé les mêmes mots. » De son côté, un cadre de Fatah âgé de trente-trois ans du camp de Balata m’a raconté : » Après six mois de détention administrative [sans inculpation ni procès] dans une prison israélienne et avant que je puisse jouir de la liberté, les forces de la PA ont attaqué notre maison après minuit et m’ont emprisonné pour une période de huit mois. Ils ne m’ont pas posé de questions en prison. Ils m’ont simplement montré un document et ont dit « beseder » [« bien », en hébreu]; « beseder, votre dossier est prêt, et maintenant tout ce que vous avez à faire est d’attendre la miséricorde de Dieu! » Même ceux qui pensaient que les campagnes de sécurité et les réformes avaient permis des résultats positifs restaient prudents en exprimant une satisfaction muette.[48]

    « Nous faisons notre travail »

    Le personnel de sécurité de l’Autorité palestinienne a des vues complètement différentes de celles du grand public. Ils ont compris leur travail en termes techniques et ont exprimé une forte volonté d’en appliquer les règles, car cela leur a été expliqué par leurs commandants. « Les affaires sont les affaires et je fais mon travail », m’a déclaré un membre des PASF à Naplouse. « Allez demander aux gens et vous vous rendrez compte que nous faisons bien les choses et que tout les autres ont tort », a-t-il ajouté. « Vous ne pouvez pas avoir deux coqs dans la même basse-cour », a déclaré en toute confiance un autre agent local de sécurité. « Ce sont les forces de sécurité de l’AP ou les milices et les factions armées. Il n’y a pas de justification pour l’existence de l’Autorité palestinienne si sa tâche numéro un n’est pas une application de la sécurité. » Un agent des forces de sécurité préventive mentionnées ci-dessus le déclare comme suit: » Il n’y a pas de résistance (et encore moins de résistance armée) et c’est pourquoi les conditions de sécurité sont meilleures. Malheureusement, les campagnes de sécurité signifient également que l’AP doit s’occuper de celle [de ses agents] (al-Sulta lazim ta’kul wladha). Je veux dire que tout le monde parle de prisonniers et de torture, même s’il n’y a rien de tel, mais personne ne parle des problèmes auxquels sont confrontés les interrogateurs. C’est leur travail et ils doivent interroger les prisonniers, mais personne ne les protège si les prisonniers décident plus tard d’appliquer des représailles ».

    Lorsqu’on l’interroge sur la violence des PASF et leur utilisation excessive de la force pendant les descentes de police et dans les prisons de l’AP, un agent de sécurité au bureau de liaison de la police de Naplouse m’a dit: « Bien, l’utilisation excessive de la force peut être un problème, mais dans certains cas il n’y a pas d’autre choix que d’y recourir. Le droit international permet l’utilisation de la force selon ce que les experts européens et locaux nous ont enseigné. Mais ces lois sont très biaisées [vers l’humanitarisme] et elles doivent être adaptées parce que nous avons besoin de plus de marge de manœuvre pour utiliser la force physique avec les détenus. » Lorsque j’ai cité ces paroles à un haut responsable du ministère de l’Intérieur de l’AP, sa première réaction a été de demander: « Pourquoi êtes-vous surpris ? C’est notre travail. » Il a ensuite ajouté: « En fin de compte, le fait que les forces de sécurité palestiniennes opèrent sous le contrôle de l’occupant est embarrassant pour tout le monde parce que les gens souhaitent que ces forces de sécurité les protègent contre les Israéliens, mais cela n’arrivera jamais. »

    La réforme du secteur de la sécurité dans le cadre de l’édification de l’État post-2007 de l’AP ne visait pas seulement à améliorer le fonctionnement et l’efficacité des PASF et à assurer la stabilité et la sécurité d’Israël, mais elle a également cherché à endiguer la résistance à l’occupation et à la domination coloniale d’Israël en criminalisant le militantisme et en démantelant son infrastructure de base. L’AP et ses forces de sécurité ont utilisé le harcèlement, la mise à l’écart, l’arrestation, la détention et la torture contre ceux qui se sont engagés à résister à Israël, et ont démantelé les structures qui soutiennent une telle résistance grâce à la conduite de campagnes de sécurité agressives dans les espaces les plus militants de la Cisjordanie occupée.

    Comme l’ont suggéré les témoignages recueillis auprès des personnes ordinaires – ce que j’ai appelé les voix de base – dans les camps de réfugiés de Balata et Jénine, les campagnes de sécurité ont été largement perçues comme illégitimes et inefficaces. Ces voix de base contestent fondamentalement l’affirmation selon laquelle les PASF faisaient leur travail pour maintenir l’ordre public, et soutiennent que plutôt que d’éprouver un sentiment de sécurité plus élevé, ils ont assisté à la transformation de l’AP en un régime autoritaire dont les forces de sécurité se rapprochent de celles d’un Etat policier en gestation. En somme, alors que la référence de la réforme de la sécurité était de mettre en place une institution de sécurité professionnelle, les gens ordinaires voulaient une protection contre leur principale source d’insécurité, à savoir l’occupation militaire israélienne. Comme l’a dit une des personnes interrogées : « Cela ne signifie rien pour moi si nous avons les forces de sécurité et l’armée les meilleures du monde si elles ne sont pas capables de me protéger. »

    Épilogue

    Recueillir l’opinion des gens ordinaires est une tâche particulièrement difficile. Dans le cas présent, non seulement parce que les problèmes de sécurité sont sensibles en soi, mais aussi en raison du degré élevé de frustration et de désespoir parmi les Palestiniens après les deux dernières décennies d’occupation israélienne, et à cause d’une Autorité de plus en plus répressive. En sortant du camp de Jénine le dernier jour de mon enquête de terrain, j’ai vu un certain nombre de personnes se rassembler autour d’un homme. « Quand mon enfant veut mourir, il est si douloureux d’entendre un tel souhait », criait-il aux passants. « Comme je n’ai pas un shekel à lui donner, je préfère encore mieux me tuer. Lorsque les dirigeants palestiniens nous pendent à l’envers dans les airs, qu’est-ce qui reste de cette vie ? » Tenant une bouteille remplie d’essence et des allumettes d’une main, et sa fille dans l’autre, il n’a été dissuadé de se mettre le feu que par les cris terrorisés de son enfant. De tels incidents ne sont pas particulièrement exceptionnels lorsque la misère, la colère et l’injustice sont les caractéristiques dominantes de la vie quotidienne.

    * Alaa Tartir est directeur de programme d’al-Shabaka : The Palestinian Policy Network, et chercheur post-doctorat à l’Institut universitaire des Hautes Études internationales et du développement, à Genève.

    Articles du même auteur.

    mercredi 3 mai 2017

    http://chroniquepalestine.com/

  • Respect des droits de l’homme : la Tunisie a encore des efforts à faire (MEE)

    Rassemblement marquant le sixième anniversaire de la révolution de 2011, le 14 janvier 2017 à Tunis (AFP)
     

    Alors que la Tunisie a procédé ce mardi à l’Examen Périodique Universel du Haut-commissariat des droits de l’homme, la société civile tunisienne se dit déçue par le manque de progrès concrets

    « Je suis déçue. Déçue par le rapport présenté aujourd’hui qui me rappelle les temps passés. On ne parle que de l’arsenal administratif alors qu’il faut parler de défense des droits de l’homme, de garanties. »

    Voici ce qu’affirmait mardi Hafidha Cheki, vice-présidente de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), à l’issue de l’Examen Périodique Universel (EPU) du Haut-commissariat des droits de l’homme des Nations unies consacré à la Tunisie.

    ​Mené par les États sous les auspices du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, l’EPU consiste à passer en revue les réalisations d’un pays dans le domaine des droits de l’homme, fournissant à chacun l’opportunité de présenter les mesures qu’il a prises pour améliorer la situation en la matière sur son territoire. Il s’agissait de la troisième audience de la Tunisie, la dernière ayant eu lieu en 2012.

    L’audience, qui s’est déroulée ce mardi à Genève en présence des représentants de divers  pays membres de l’ONU, était retransmise en direct au Rio, un cinéma du centre-ville de Tunis, où les membres de la société civile s’étaient réunis.

    À Genève, la matinée a commencé par la présentation du rapport gouvernemental par le ministre tunisien des Relations avec les instances constitutionnelles, la société civile et les droits de l’homme, Mehdi Ben Gharbia, qui s’est dit « déterminé à continuer le processus démocratique et à lutter pour protéger les droits humains », tout en évoquant des « challenges économiques sans précédent. » Une façon d’expliquer les manquements, concernant notamment les recommandations de 2012, qui n’ont pas toutes étaient suivies d’actes.

    C’est le représentant du Soudan qui s’est exprimé le premier, insistant sur la lutte contre le terrorisme et la radicalisation. La plupart des pays de la région d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient évoqueront par la suite cette question qui touche à la sécurité des citoyens. La Tunisie est considérée comme le plus gros exportateur de militants partis rejoindre le groupe État islamique, avec 5 500 combattants à l’étranger selon un rapport de 2015 de l’ONU et 3 000 selon le ministère tunisien de l’Intérieur.

    Les pays européens ont, quant à eux, mis l’accent sur les discriminations. La Suisse a, par exemple, recommandé une modification du code tunisien du statut personnel. Promulgué en 1956, le texte, considéré comme moderne à l’époque, semble aujourd’hui dépassé. Il précise notamment que l’homme est le chef de famille.

    Bien que la nouvelle Constitution instaure l’égalité entre hommes et femmes, ces dernières héritent généralement de la moitié de la part d’un homme. Autre discrimination : une Tunisienne de confession musulmane ne peut pas épouser un non-musulman, alors qu’un Tunisien peut épouser une non-musulmane.

    En 2012, déjà, le Conseil des droits de l’homme avait promulgué un certain nombre de recommandations concernant le droit des femmes. Un rapport alternatif (c’est-à-dire soumis par la société civile en vue de l’EPU) rédigé, entre autres, par l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), Avocats sans Frontières et la FIDH, remarque ainsi que « les discriminations polluent toujours la législation ».

    C’est ce qui inquiète Yosra Frawes, membre de la FIDH : « Le gros point noir, pour nous, c’est que la Tunisie ait pris des engagements en 2012 sans aller au bout », a-t-elle déclaré à MEE.

    Azaiz Sammoud, membre d’Avocats Sans Frontières, exprime lui aussi sa déception auprès de Middle East Eye : « La Constitution de 2014 a été un événement majeur. Mais la Tunisie n’a pas réussi à avancer face à ses défis. Depuis 2012, il y a tout un arsenal juridique qui a été créé, mais aucune mise en oeuvre. »

    Toujours sur la question des discriminations, la Belgique a demandé une loi de « portée générale sur les violences faites aux femmes » et l’abrogation de l’article 230 du code pénal. Celui-ci criminalise la sodomie, passible de trois ans de prison ferme. Les forces de l’ordre font constater l’acte sexuel par le biais d’un test annal pratiqué par un médecin légiste.

    Au diapason de la plupart des représentations, le Togo a demandé « la fin de la peine de mort et de mieux lutter contre la torture ». En Tunisie, la peine de mort est placée sous moratoire depuis 1991. « C’est censé être la phase préalable à l’abolition », explique Wahid Ferchichi, professeur en droit public présent à la retransmission de l’EPU à Tunis.

    Or, l’expert note que « la peine de mort est consacrée dans la loi anti-terrorisme de 2015 ». Des peines sont donc toujours prononcées, sans être appliquées. Wahid Ferchichi critique dès lors un État qui « n’a pas tranché ». Pour se justifier de ne pas avoir suivi les recommandations de 2012 concernant l’abolition de la peine de mort (114.45, 116.6 et 116.7), la Tunisie a prétexté l’absence de consensus national.

    Au sujet de la torture, qui faisait l’objet d’une petite dizaine de recommandations en 2012, les autorités tunisiennes se sont à nouveau engagées à lutter contre cette pratique en mettant notamment en place un organe indépendant. La délégation tunisienne a tout de même souligné que les plaintes étaient en baisse. 153 cas enregistrés entre janvier et novembre 2016 contre 250 en 2015 selon l’Organisation tunisienne contre la torture.

    Dans son rapport de 2016 intitulé « L’Impunité, pourquoi ? », l’OMCT note que 80 % des cas de torture qui lui sont rapportés accusent la police ou la garde nationale, qui emploieraient ces méthodes pour soutirer aveux ou informations.

    Pour la société civile réunie ce mardi au Rio de Tunis, le bilan de cette audience est plus que mitigé. « Le rapport présenté par les autorités tunisiennes à Genève a mis l’accent sur ce qui a été fait, notamment par rapport à la Constitution, note Wahid Ferchichi. Alors que les questions fondamentales adressées depuis 2011 ont obtenu les mêmes réponses. »

    Les aspirations qui ont mené à la révolution de 2011 étaient en effet basées sur un désir de libertés, de justice et d’égalité plus fortes. Azaiz Sammoud, d’Avocat Sans Frontières, attend des actes concrets : « Nous souhaitons que la Tunisie s’engage vraiment à mettre en œuvre les recommandations de 2012. »

    Un avis partagé par Hafidha Cheikh : « Je n’ai pas vu grand-chose de concret dans l’application de la Constitution. »

    Maryline Dumas 3 mai 2017
     
  • Un État palestinien selon les frontières de 1967 : le Hamas a-t-il un train de retard ? (MEE)

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    Le Hamas accepte les frontières de 1967 au moment où tous les autres qui souhaitaient un État palestinien à côté d’Israël y renoncent

    La révélation de la nouvelle déclaration de principes du Hamas lundi soir s’est avérée aussi complexe que le document lui-même.

    La direction de l’hôtel Intercontinental de Doha a annulé la réservation pour la conférence de presse au dernier moment, et la semaine précédente, la délégation du Hamas au Caire n’a pas pu partir car l’Égypte réclamait une partie de l’action.

    Le Hamas vise les frontières de 1967 au moment précis où tous ceux qui souhaitaient un État indépendant à côté d’Israël abandonnent ce terrain

    La difficulté logistique de tenir une conférence de presse à l’extérieur de Gaza illustre parfaitement l’emprisonnement du Hamas à l’intérieur de l’enclave. Et une bonne raison pour laquelle ses dirigeants politiques veulent aujourd’hui sortir de ce confinement en adoptant une position plus proche des autres factions palestiniennes.

    Ce processus est néanmoins très difficile pour le Hamas.

    Presque d’une seule voix, les médias occidentaux ont interprété le document comme un assouplissement de la position du Hamas sur Israël et comme un défi pour le monopole du principe d’un État palestinien selon les frontières de 1967 détenu par le Fatah.

    Cependant, le document lui-même a fixé trois conditions qui l’ont presque entraîné à la suite du Fatah sur un chemin voué à l’échec. Il a refusé de reconnaître Israël, a refusé de renoncer à sa revendication sur l’ensemble de la terre de la rivière à la mer et a exigé le retour sans entraves de tous les réfugiés palestiniens.

    Néanmoins, mardi, la réaction de l’opinion palestinienne et sur les réseaux sociaux a suivi la même logique : s’il n’y a pas de différence entre le Hamas et le Fatah concernant les frontières d’un futur État palestinien, pourquoi toutes ces années de luttes entre les deux factions ? Et pourquoi voter pour le Hamas ? En quoi est-il différent ?

    Évolution stratégique

    Voilà une bonne question. Il ne fait aucun doute que le Hamas s’est lancé dans ce débat en toute connaissance de cause. Contrairement à la charte originale qui a été écrite par un seul homme en situation de guerre, ce document est le fruit de quatre années de débat interne. Le document lui-même a été largement divulgué. Le message a été soutenu par les dirigeants. Il ne fait aucun doute que cela représente une évolution stratégique délibérée et majeure.

    Mais cette stratégie elle-même est-elle juste ?

    Le Hamas vise les frontières de 1967 au moment précis où tous ceux qui souhaitaient un État indépendant à côté d’Israël abandonnent ce terrain. Presque 24 ans après Oslo, les lumières éclatantes des colonies illuminent tous les soirs presque toutes les collines de Cisjordanie.

    Il y a 200 000 colons dans les zones palestiniennes de Jérusalem et 400 000 en Cisjordanie. En dehors des trois principaux blocs de colonies, qu’Israël refuse d’abandonner, on dénombre 150 000 colons supplémentaires. Deux décennies de processus de paix ont conduit à la fragmentation irréparable d’un putatif État palestinien.

    Israël lui-même a pratiquement abandonné l’idée d’un État palestinien distinct. Hormis la petite représentation  théâtrale produite par l’évacuation d’Amona (voici un problème mathématique : si 3 000 policiers ont passé 24 heures à évacuer 40 familles, combien en faudrait-il pour évacuer 600 000 colons ?), l’état d’esprit politique en Israël penche maintenant pour l’annexion.

    Pour utiliser l’avertissement arabe standard donné aux retardataires, le Hamas va-t-il au hadj quand tout le monde en revient ?

    Rester fidèle aux principes

    Lors de la conférence de presse à Doha, le responsable politique sortant Khaled Meshaal a été interrogé sur de potentielles négociations entre le Hamas et Israël. C’est également une bonne question.

    La nouvelle position stratégique du Hamas le place dans une situation unique. Si le Hamas reste fidèle à ses principes, lesquels ne sont pas de reconnaître Israël, il ne peut s’asseoir à une table de négociation avec des représentants de l’État israélien.

    Pour être fidèle à ses principes et pour tirer parti des avantages politiques d’entrer en politique, le Hamas devrait accepter la solution à un seul État

    Cela signifie qu’il faut compter sur d’autres factions palestiniennes pour faire les compromis nécessaires sur les frontières, les réfugiés, Jérusalem, tandis que le Hamas ferme les yeux au nom du consensus. Ceci, à son tour, implique que le Hamas ne peut pas mener le processus politique, ni en tirer beaucoup de profit.

    Cela place le Hamas dans une position différente de l’IRA, par exemple, sous la direction de Martin McGuinness. Le Hamas et l’IRA ont vu les limites de l’action militaire, bien que l’IRA n’ait pas commencé le processus de démantèlement avant de parvenir à un accord de paix. Les deux ont été attirés par la politique comme moyen de parvenir à une Palestine unie et à une Irlande unie.

    La mort récente de McGuinness a suscité des hommages des quartiers les plus improbables. Des gens qui, lorsque j’étais journaliste à Belfast, auraient rejeté McGuinness comme le diable incarné, ont salué le chemin qu’il a parcouru : de chef de l’IRA à vice-premier ministre d’Irlande du Nord. Lady Paisley, l’épouse de feu Ian Paisley, premier partenaire de McGuinness dans le gouvernement fondé sur le partage du pouvoir, a affirmé que ce républicain avait vécu quelque chose semblable à la conversion de St Paul à Damas.

    Gerry Adams l’a nié à juste titre. Il a déclaré que McGuinness restait un républicain engagé, qui n’a jamais abandonné ses camarades de l’IRA à la suite du processus de paix ou du partage du pouvoir avec les unionistes.

    En d’autres termes, le mouvement républicain a mis fin à la lutte armée tout en restant fidèle à ses principes d’Irlande unie (qui, si Brexit se concrétise, est probablement plus proche que jamais, ironiquement sur ordre de Bruxelles).

    C’est exactement le dilemme auquel est maintenant confronté un Hamas qui reconnaît les frontières de 1967. Comment peut-il entrer dans l’OLP et faire partie de la classe dirigeante du peuple palestinien et rester fidèle à ses principes ? S’il négocie, il abandonne ses principes et efface toute différence avec Fatah. S’il laisse la négociation à d’autres, il ne peut appartenir aux dirigeants.

    Sinn Féin est devenu le plus grand parti politique sur l’île irlandaise. Ce n’est pas le destin qui attend le Hamas s’il limite sa vision d’un État palestinien aux frontières de 1967. Cela ne mettrait pas fin à la fragmentation du peuple palestinien et ne résoudrait pas le problème de l’abandon des Palestiniens en 1948 en Israël ni ne résoudrait pas le problème des réfugiés.

    Le véritable choix, le véritable ennemi

    Israël a depuis longtemps abandonné le droit de retour pour les réfugiés palestiniens, et même les modèles les plus généreux évoquaient le retour de seulement 100 000 personnes, sur une éventuelle diaspora de six millions.

    Le véritable choix réside aujourd’hui entre une solution à un seul État imposée par Israël ou une entité politique où les Juifs et les Arabes sont traités comme égaux

    Et pourquoi Israël accepterait-il le Hamas en tant que négociateur alors qu’il a rejeté le Fatah, qui depuis plus de 20 ans est son ami le plus flexible ? Quelle incitation Israël aurait-il à négocier un « hudna » avec le Hamas, alors qu’il sait que du point de vue du Hamas, ce ne serait pas une fin de conflit ?

    Pour demeurer le Hamas, pour être fidèle à ses principes et pour tirer parti des avantages politiques à entrer en politique, le mouvement devrait accepter la solution à un seul État, lequel se plierait à tout ce à quoi le Hamas a œuvré. Cela permettrait au Hamas de diriger l’OLP. Il réunirait un peuple palestinien fragmenté. Cela représenterait les Palestiniens qui sont citoyens d’Israël et de la diaspora palestinienne.

    Cela donnerait aux Palestiniens une vision claire dans un monde où le véritable choix n’est pas entre une solution à un seul et à deux États. Le véritable choix réside aujourd’hui entre une solution à un seul État imposée par Israël ou une entité politique où les Juifs et les Arabes sont traités comme égaux.

    La réalisation majeure de ce document est de redéfinir l’ennemi. Dans la charte d’origine, ce sont les juifs et le judaïsme. Dans ce document, l’ennemi du Hamas est le projet sioniste de colonisation et d’occupation. Les deux sont très différents, et l’ont été tout au long de l’histoire juive, après et avant la Déclaration Balfour.

    Cette redéfinition pourrait ouvrir la voie à des discussions et à la paix. Cependant, il faudra une vision claire de la voie à suivre. C’est certainement une étape audacieuse. Ce n’est peut-être pas la dernière.

    David Hearst 3 mai 2017

    http://www.middleeasteye.net/

    - David Hearst est rédacteur en chef de Middle East Eye. Il a été éditorialiste en chef de la rubrique Étranger du journal The Guardian, où il a précédemment occupé les postes de rédacteur associé pour la rubrique Étranger, rédacteur pour la rubrique Europe, chef du bureau de Moscou et correspondant européen et irlandais. Avant de rejoindre The Guardian, David Hearst était correspondant pour la rubrique Éducation au journal The Scotsman.

    Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

    Photo : Yahya Sinouar (deuxième en partant de la gauche), le nouveau dirigeant du mouvement islamique Hamas dans la bande de Gaza et le leader politique Ismaël Haniyeh (au centre) assistent à un rassemblement pour regarder le discours du chef du Hamas en exil, dans la ville de Gaza le 1er mai 2017 (AFP).

    À LIRE : 

    Guerre ou paix : ce que réserve l’été 2017 pour le Hamas et Israël

    Le Hamas reconnaît l’OLP comme le « cadre national » des Palestiniens

  • Le Hamas reconnaît l’OLP comme le « cadre national » des Palestiniens (MEE)

    Un partisan du Hamas et sa fille commémorent le 29e anniversaire du mouvement à Gaza en décembre (AFP)
     

    Dans un nouveau document politique, le mouvement indique que l’Organisation de libération de la Palestine devrait servir un projet national et assurer les droits des Palestiniens

    Le Hamas a officiellement reconnu l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) comme le « cadre national » du peuple palestinien, mais demande qu’elle « soit reconstruite sur des fondements démocratiques pour protéger les droits des Palestiniens ».

    Cette reconnaissance historique est énoncée dans un nouveau document « de référence » dévoilé à Doha lundi et tranche énormément avec la charte d’origine du Hamas qui était conçue comme une alternative à l’OLP.

    Le Hamas demande la refonte de l’OLP. Il stipule que l’organisation : « doit donc être préservée, développée et reconstruite sur des fondements démocratiques afin d’assurer l’implication de toutes les composantes et forces du peuple palestinien, d’une manière qui protège les droits des Palestiniens. »

    L’OLP doit donc être préservée, développée et reconstruite sur des fondements démocratiques – Document du Hamas

    En outre, le Hamas mentionne le rôle de l’Autorité palestinienne, qui doit consister à « servir le peuple palestinien et assurer sa sécurité, ses droits et son projet national ».

    Autre grande première, le Hamas a officiellement accepté les frontières du 4 juin 1967 pour un État palestinien. Cette reconnaissance est loin d’être une solution à deux États, car le Hamas refuse de reconnaître Israël ou « toute alternative à la libération pleine et entière de la Palestine, du fleuve [Jourdain] à la mer ».

    Il rejette également les accords d’Oslo et tous les accords qui en découlent.

    Il précise qu’il accepte les frontières de 1967, uniquement avec Jérusalem comme capitale et le retour des réfugiés dans leurs foyers, comme une « formule de consensus national ».

    S’exprimant à Doha après la révélation du document lundi, le dirigeant politique du Hamas, Khaled Meshaal, a déclaré que celui-ci visait à rendre « limpides » les véritables convictions du Hamas.

    « Le Hamas est un mouvement viable et renouvelable en matière de sensibilisation idéologique et de performance politique, de même qu’il se développe dans ses aspects de lutte et de combat », a-t-il déclaré.

    « C’est un résultat naturel du développement du Hamas en tant que mouvement. »

    Il a ajouté que le Hamas « se développait sans perdre de vue ses principes fondamentaux ni renoncer aux droits établis et aux exigences de notre peuple. »

    Une source du Hamas a déclaré à MEE : « Ce n’est pas la solution à deux États, car les deux États ne se reconnaîtront pas. Peut-être que certains États arabes se réjouiront de voir évoquées les frontières de 1967, mais les conditions nécessaires pour accepter cela ne seront pas acceptées par l’Initiative de paix arabe. »

    « Quand on parle du droit au retour, de ne pas reconnaître le droit d’Israël d’exister, de ne céder aucune partie de la Palestine, Israël n’en sera pas satisfait. Ce n’est pas fait pour satisfaire ces acteurs extérieurs. C’est pour que les gens du mouvement s’expriment. »

    Israël a immédiatement dénigré le document. David Keyes, un porte-parole du bureau du Premier ministre, a déclaré : « Le Hamas essaie de tromper le monde, mais il ne réussira pas. »

    « Ils construisent des tunnels terroristes et ont lancé des milliers et des milliers de missiles contre des civils israéliens. Voilà le vrai Hamas. »

    Le troisième engagement majeur du document publié lundi stipule que le combat du Hamas est contre le sionisme et non le judaïsme. C’est le principal revirement par rapport à sa charte d’origine, qui a été largement condamnée par les libéraux au sein du mouvement et ses détracteurs extérieurs comme étant grossièrement antisémite.

    Le nouveau document indique : « Le Hamas affirme qu’il s’oppose au projet sioniste et non aux juifs en raison de leur religion. Le Hamas ne lutte pas contre les juifs parce qu’ils sont juifs, mais lutte contre les sionistes qui occupent la Palestine. »

    Le document continue toutefois d’ajouter la mise en garde selon laquelle c’est le sionisme qui se réfère au judaïsme et aux juifs dans son identification de la terre d’Israël.

    Le statut du nouveau document a fait l’objet d’un débat interne. Des responsables du Hamas soutiennent que le document est censé servir de nouveau « point de référence », bien qu’il ne remplace pas sa charte originale, écrite en 1988 lors de la création du mouvement.

    « Le Hamas affirme qu’il s’oppose au projet sioniste et non aux juifs en raison de leur religion » – Document du Hamas

    Une source ayant connaissance du processus interne qui a permis de produire le document a déclaré : « Le Hamas est très sensible en raison de l’histoire de l’OLP, lorsque l’OLP a subi des pressions pour qu’il annule sa charte. »

    « Le Hamas ne le fera pas sous la pression. C’est pourquoi il est délicat d’affirmer que le document remplace la charte. »

    Néanmoins, la source a déclaré que contrairement à la charte, qui a été écrite par un seul homme, le document de ce lundi a été le fruit de quatre ans de débat interne et a obtenu un large consensus à travers le mouvement.

    Le document, qui comporte d’autres ruptures par rapport au passé, tente de moderniser la vision et les objectifs politiques du Hamas.

    Le document ne fait aucune mention des Frères musulmans, abandonnant ainsi dans les faits la connexion qui a été énoncée explicitement dans la charte de 1988.

    Il indique seulement que le Hamas est un mouvement national palestinien « avec une référence islamique ».

    Le document mentionne également les Palestiniens chrétiens et leurs lieux saints et décrit plus clairement l’importance des femmes et des jeunes.

    « Les femmes palestiniennes jouent un rôle fondamental dans le processus de construction du présent et de l’avenir, tout comme elles ont joué un rôle fondamental dans l’histoire de la lutte palestinienne, souligne le document. Ce rôle est central dans le projet de résistance, de libération et de construction du système politique. »

    Alors que la charte du Hamas prenait la lutte armée comme base de la résistance à l’établissement d’Israël, le nouveau document se réfère également à la résistance non violente.

    « La gestion de la résistance, en matière d’escalade ou de désescalade ou en matière de diversification des moyens et des méthodes, fait partie intégrante du processus de gestion du conflit et ne doit pas se faire au détriment du principe de résistance », précise le document.

    « L’indemnisation des réfugiés palestiniens […] va de pair avec leur droit au retour » – Document du Hamas

    Le document évoque également le rôle de la société civile palestinienne pour mettre fin à l’occupation : « La société palestinienne est enrichie par ses personnalités de premier plan, ses figures, ses dignitaires, ses institutions de la société civile et ses groupes de jeunes, d’étudiants, syndicaux et de femmes qui œuvrent ensemble en vue d’atteindre les objectifs nationaux et de parvenir à la construction de la société, de poursuivre la résistance et d’obtenir la libération. »

    Ce n’est que sur un point phare que le nouveau document durcit le ton officiel du Hamas : le mouvement rejette toutes les tentatives visant à effacer les droits des réfugiés, y compris les efforts déployés pour les installer en dehors de la Palestine et les projets de patrie alternative.

    « L’indemnisation des réfugiés palestiniens pour le préjudice qu’ils ont subi en raison de leur bannissement et de l’occupation de leurs terres est un droit absolu qui va de pair avec leur droit au retour », stipule-t-il.

    « Ils doivent recevoir une compensation à leur retour et cela ne nie ni ne restreint leur droit au retour. »

    Ce document est considéré comme le dernier acte de Meshaal, démissionnaire de son poste de chef du bureau politique du Hamas.

    David Hearst 02 mai 2017

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  • Éveil et révoltes du « deuxième sexe » en Arabie saoudite (Orient 21)

    « Deux femmes de Djeddah »le 3 mai prochain à 18 h 30 à l’Iremmo, 7, rue des Carmes 75005 Paris.

    À travers l’histoire de deux femmes aux prises avec le machisme d’une société très conservatrice, Deux femmes de Djeddah, de la romancière saoudienne Hanaa Hijazi démonte le système patriarcal qui la régit socialement. Un roman non censuré dans le royaume et qui participe aussi de la vitalité méconnue de la création saoudienne contemporaine.

    Le lecteur du roman de la Saoudienne Hanaa Hijazi Deux femmes de Djeddah, dont L’Harmattan vient de publier la traduction française1 ne sera pas surpris du tableau que l’auteure dresse de la condition de la femme à Djeddah, pourtant réputée la ville la plus libérale d’Arabie saoudite : une description qui s’apparente à une descente aux enfers. L’auteure fait pourtant évoluer ses personnages dans des milieux qui ne comptent pas parmi les plus rétrogrades. Mais elle montre bien comment le conformisme social vient à bout de l’homme le plus libéral qui soit, en partie par simple machisme et en partie pour prix de son intégration dans la société. La femme, elle, reste la victime. Tout est fictif, mais rien n’est inventé.

    Pourtant, contrairement au cliché de la Saoudienne accablée par la tradition au point de s’y soumettre, la victime n’est ici pas consentante, et c’est là que le roman prend son intérêt et son originalité. Elle est, certes, tentée par la prison dorée offerte à toute Saoudienne soumise, pourvu qu’elle appartienne aux classes aisées. Une vie confortable et futile qui ferait rêver bien des Occidentales, libérées de la tyrannie masculine pour tomber dans celle du travail… Les héroïnes rebelles de Hanaa Hijazi se démènent pour maîtriser leur destin mais, livrées à elles-mêmes, échouent face à un système qui rejette pareil comportement. L’auteure relate leur révolte sans didactisme aucun et dans une langue simple qui rend son œuvre très accessible.

    Ce faisant, Hanaa Hijazi traduit bien deux traits fondamentaux de la société saoudienne contemporaine. Tout d’abord son atomisation, le système patriarcal en place empêchant avec efficacité la formation de groupes contestataires ou alternatifs. Dans ces conditions, le dissident se trouve face à lui-même dans un combat perdu d’avance. Le second enseignement est que le système autoritaire auquel se heurte les Saoudiennes — mais aussi les Saoudiens — est d’ordre social avant d’être politique ou religieux. L’alliance du sabre et de la chahada (profession de foi musulmane) qui régit la société figure bel et bien sur le drapeau national, mais elle repose sur un soubassement invisible qui forme l’obstacle premier à l’émancipation : le système patriarcal. Hanaa Hijazi en montre bien la puissance, qui parvient à faire de ses victimes des alliées, quand la mère accable sa fille à son tour. Camille Lacoste-Dujardin l’avait bien expliqué dans un travail fondateur2.

    Dynamisme culturel

    On pourrait désespérer face au pessimisme de l’auteure. Mais c’est celui-là même qui porte au contraire à ne pas perdre espoir. Hanaa Hijazi connaît la réussite professionnelle dans la ville même où se déroule son roman — elle est médecin à Djeddah — et rencontre en Arabie une véritable reconnaissance sur le plan intellectuel. Malgré la critique sociale radicale qu’il contient, son roman est autorisé dans un pays où la censure est tatillonne, et elle tient une rubrique hebdomadaire dans le principal quotidien, Al-Riyadh. Rançon du succès, les milieux conservateurs la dénigrent sur les réseaux sociaux, mais il y a de quoi déjouer les idées simples des pourfendeurs de l’obscurantisme de l’Arabie saoudite. Car voilà un pays plus divers et complexe qu’il ne paraît à ceux qui le critiquent en méconnaissance de cause, un pays misogyne où une féministe jouit d’une grande estime… Elle n’est ni la seule romancière à s’élever contre l’inégalité entre hommes et femmes, ni le premier écrivain contestant le caractère inique de l’ordre local. Depuis les années 1990, nombre de Saoudiens ont pris la plume pour s’opposer au conservatisme social par le biais de la littérature.

    Le roman de Hanaa Hijazi participe au contraire d’un courant alimenté par les diverses facettes d’une culture saoudienne contemporaine dont le dynamisme échappe largement à un œil occidental focalisé sur le politique et le religieux. On disait autrefois que l’Égypte écrivait, le Liban publiait et l’Irak lisait. L’Arabie saoudite a désormais supplanté ce malheureux pays. Les foires du livre y rencontrent un succès croissant et le grand public trouve dans la lecture le traditionnel moyen d’évasion dont il a tant besoin, en particulier via le roman3. Ceci éveille des vocations et les jeunes auteurs saoudiens foisonnent désormais.

    Mais l’éveil culturel ne se borne pas à l’écrit. Il touche tous les domaines de l’art, devenu le vecteur privilégié de l’expression dans un pays où elle est bridée sur le plan politique. Les espaces de liberté bourgeonnent au sein d’une Arabie moins monolithique qu’on ne le croit. Ce bouillonnement culturel en prépare-t-il d’autres ? À long terme peut-être, mais certainement pas tant que les liens traditionnels ligoteront la société de la manière dont l’illustre le roman.

    Libéralisation des mœurs ?

    D’aucuns en Occident regretteront que les opprimé(e)s ne se rebellent pas davantage. Mais les Saoudiennes courageuses qui ont défié l’ordre social en défilant dans les rues au volant se sont heurtées au marais de l’indifférence tout autant qu’au mur des gardiens de la tradition. D’autres ont choisi un mode plus adapté aux pesanteurs locales, qui sont loin d’être limitées à la condition de la femme. Alliant clarté et fermeté, loin de tout extrême et dénué de violence, le style de Hanaa Hijazi exprime bien le mode de révolte calme mais déterminé, adopté avec réalisme par la plupart des femmes saoudiennes qui luttent pour leur émancipation. On peut y voir une prise de recul salutaire.

    Tout d’abord, la société saoudienne n’a pas toujours été conservatrice. Nombreux http://orientxxi.info/ecrire/?exec=article_edit&id_article=1839#sont les nostalgiques de la période qui a précédé la vague islamiste de 1979 et des années qui suivirent. L’attaque cette année-là de la grande mosquée de La Mecque par Juhayman Al-Otaibi a provoqué un traumatisme durable dont les conservateurs ont profité pour mettre la société au pas, au désespoir des nombreux progressistes relégués dans l’ombre. Ici comme dans l’ensemble du monde arabe, le conservatisme des mœurs n’a rien d’un atavisme et une nouvelle vague de libéralisation n’a rien d’une hypothèse absurde, quelque incongrue qu’elle puisse paraître aujourd’hui. À Djeddah, les aînés se souviennent d’un temps où des femmes circulaient en ville au volant de leur voiture ou déambulaient dans la rue habillées à l’occidentale, le temps des piscines mixtes… Si l’on remonte avant même l’occidentalisation des mœurs qui a suivi la seconde guerre mondiale, on pourra rappeler la liberté de mouvement et d’habillement de la Bédouine des steppes d’Arabie ou de la paysanne de ses montagnes, avant que l’urbanisation ne cloître la femme et ne l’enserre sous des atours noirs moins traditionnels qu’il n’y paraît.

    Sous une critique d’autant plus féroce qu’elle semble objective, Deux femmes de Djeddah contribue à humaniser une société dont on comprend mieux la complexité, en relatant l’histoire poignante de deux amies alliées contre l’adversité. Ce roman réaliste témoigne aussi de la vitalité de la création saoudienne contemporaine, encore trop méconnue.

    1Hanaa Hijazi, Deux femmes de Djeddah, traduit de l’arabe par Philippe Mischkowsky, Paris, L’Harmattan, 2017. Édition originale Dar al-Saqi, Beyrouth, 2015.

    2Camille Lacoste-Dujardin, Des mères contre les femmes. Maternité et patriarcat au Maghreb, Paris, La Découverte, 1996.

    3Voir à ce sujet l’article de la Saoudienne Salwa Al-Maiman «  Le roman contemporain saoudien face à ses défis  », in Arabian Humanities, 3, 2014.

     

    http://orientxxi.info

  • Révolution dans la révolution au Hamas (Orient 21)

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    Fin des liens avec les Frères musulmans

    Trente ans après sa naissance, le Hamas connaît des évolutions substantielles, aussi bien programmatiques qu’organisationnelles. À bien des égards, l’année 2017 constitue un tournant dans l’histoire du mouvement islamiste palestinien, avec le départ de Khaled Mechaal, le renouvellement de ses cadres dirigeants et la publication d’un nouveau document politique.

    Président du bureau politique du Hamas depuis 1995, Khaled Mechaal quitte la direction du mouvement. Si, depuis 2009, les procédures internes limitent la présidence à deux mandats successifs et ne lui permettent pas d’être de nouveau candidat, il affirme à Orient XXI (17 avril) que cette restriction coïncide avec sa décision personnelle de se désengager de la direction de l’organisation. C’était d’ailleurs ce même choix qu’il avait formulé dès 2013, affirmant clairement à l’époque : « Lors des dernières élections je ne souhaitais pas me représenter à la direction du bureau politique (maktab al-siyassi), mais mes frères m’ont encouragé dans le sens inverse et ont fini par me convaincre ».

    Son retrait ne l’empêchera pas de continuer à peser sur la ligne politique du mouvement dans le futur, comme il le confirme :

    Je suis l’un des membres élus de la nouvelle assemblée consultative (majlis al-choura). Mais ce qui m’importe le plus est de savoir comment servir au mieux la cause palestinienne qui continue de souffrir des divisions politiques internes et de l’occupation. Ma seule responsabilité est de savoir comment améliorer la situation des Palestiniens. Je ne suis pas obligé d’être dans le parti pour cela. Le parti n’est rien d’autre qu’un moyen pour servir la cause.

    « À chaque époque ses textes »

    Le départ de Khaled Mechaal coïncide avec l’annonce de la publication officielle d’un nouveau « Document de principes et de politique généraux » (en anglais :A Document of General Principles & Policies). Loin du ton antisémite de la charte de 1998, ce nouveau document propose un programme politique conforme aux résolutions onusiennes et à la légalité internationale. Les principes intangibles de la charte sont abrogés : du combat contre les juifs on passe à la lutte contre le sionisme, et la lutte armée est euphémisée en faveur de moyens plus légaux pour combattre l’occupation. À ceux qui y verront des positions irréconciliables, Khaled Mechaal répond :

    Il n’y a pas de contradiction. Le Hamas reste attaché à toute la Palestine et refuse de reconnaître l’occupation, mais dans le même temps il reconnaît les frontières de 1967 en tant que programme national partagé par l’ensemble des acteurs politiques palestiniens.

    Les prémices de cette évolution datent de 2005, lorsque le Hamas avait fait le choix de participer aux élections législatives qu’il remportera en janvier 2006. À l’occasion de plusieurs accords interpalestiniens, il avait évoqué son attachement à un programme politique commun avec le Fatah reposant sur la validité des frontières de 1967. Les différents points abordés dans ce document sont donc déjà présents dans la plupart des accords officiels signés par le Hamas depuis une décennie, y compris celui de la « résistance populaire et pacifique ». C’est d’ailleurs sur cette continuité qu’insiste Khaled Mechaal :

    Ce document reflète l’évolution de notre pensée et de nos pratiques depuis 2005 avec l’accord du Caire, le document d’union nationale en 2006, l’accord de La Mecque en 2007 puis les autres accords de réconciliation de 2011 (accords du Caire) et de 2012 (accords de Doha). Ces réunions avec le Fatah constituaient des tentatives de parvenir à un programme politique commun. La différence c’est qu’aujourd’hui nous présentons ce programme dans un document qui nous est propre. Qu’il s’agisse des États, des organisations ou des partis, toute entité politique est soumise à des évolutions. À travers ce nouveau document, nous avons voulu présenter les évolutions de notre pensée politique, de notre position concernant le combat contre l’occupation, le droit des Palestiniens, nos relations avec nos environnements palestinien, arabe, régional.

    D’après Khaled Mechaal, ce document ne devrait pas être compris comme étant « adressé » à quelque partie que ce soit. Son destinataire est autant palestinien qu’étranger. Toutefois, fragilisé par son départ de Damas en 2012 et par une configuration régionale défavorable, le Hamas a plus que jamais besoin de conforter son rapprochement avec de solides partenaires régionaux, aux premiers rangs desquels l’Égypte, seul pays qui dispose d’une frontière avec la bande de Gaza hormis Israël.

    L’un des points de ce document qui déroge à la ligne politique adoptée par le mouvement depuis 2005 est celui des relations avec les Frères musulmans égyptiens. Alors que la charte présentait le Hamas comme la « branche palestinienne des Frères musulmans », ce nouveau document ne fait plus mention du lien organisationnel (irtibat tanzimi) qui unirait le Hamas aux Frères musulmans. En 2012 pourtant, lorsque Mohamed Morsi avait été élu président de l’Égypte, le Hamas n’avait pas hésité à se présenter comme un mouvement issu de la confrérie égyptienne. Son rapprochement avec Mohamed Morsi l’avait même conduit à organiser ses dernières élections internes au Caire en 2013. Depuis l’arrivée au pouvoir du maréchal Abdel Fattah Al-Sissi et dans l’espoir de bénéficier d’une tolérance relative de la part des nouvelles autorités égyptiennes très hostiles aux Frères musulmans, le Hamas se présente désormais comme un mouvement « palestinien nationaliste islamiste », gommant tout lien avec la confrérie.

    Malgré les évolutions que connaît le Hamas depuis 2005, la grande majorité des journalistes, experts et politiques continuent d’agiter l’épouvantail de la charte comme le seul document qui reflèterait les intentions réelles du Hamas. Résultat d’une stratégie israélienne qui a pris soin de faire traduire ce texte dans toutes les langues et de le diffuser, la cristallisation des analyses atour de ce texte tournerait [à l’obsession, d’après Ahmad Youssef, ancien conseiller du premier ministre Ismaël Haniyeh et directeur du centre de recherche « la maison de la sagesse » à Gaza. Refusant de le considérer comme une nouvelle charte, Khaled Mechaal affirme néanmoins que c’est ce document qui fait désormais office de « référence » politique du Hamas. Pour autant, la charte ne doit pas être considérée comme caduque, explique Meshaal à Orient XXI :

    Le Hamas refuse de se soumettre aux désidératas des autres États. Sa pensée politique n’est jamais le résultat de pressions émanant de l’extérieur. Notre principe c’est : pas de changement de document. Le Hamas n’oublie pas son passé. Néanmoins la charte illustre la période des années 1980 et le document illustre notre politique en 2017. À chaque époque ses textes. Cette évolution ne doit pas être entendue comme un éloignement des principes originels, mais plutôt comme une dérivation (ichtiqaq) de la pensée et des outils pour servir au mieux la cause dans son étape actuelle.

    Une nouvelle direction politique

    Khaled Mechaal s’est particulièrement investi pour faire exister ce texte, aussi bien dans sa phase de réflexion amorcée en 2015 que dans sa phase rédactionnelle. Confirmant l’importance de son rôle dans ce processus, il affirme néanmoins que ce document est loin d’être l’œuvre d’un seul homme. Bien au contraire, l’ensemble des membres des institutions du mouvement aurait œuvré à sa rédaction, aussi bien ceux résidant à l’intérieur des frontières de la Palestine que ceux résidant à l’extérieur. D’après lui, l’annonce d’une nouvelle direction politique ne menacerait en aucun cas la validité de ce document qui incarnerait la ligne officielle du mouvement, inchangée malgré le renouvèlement de ses cadres :

    Il ne faut pas comparer notre situation avec vos élections en Occident, aussi bien en Amérique qu’en France ou en Allemagne et en Grande-Bretagne. Chez vous quand il y a des élections il y a parfois changement total de la ligne politique d’un État, aussi bien de sa politique intérieure que de sa diplomatie. Nous non. Il n’y a jamais de changement total. Ce nouveau document représente le Hamas dans son étape actuelle, mais aussi dans son étape future.

    Toutefois, le fait que ce document ait été sanctifié par l’ancienne assemblée consultative — et non la nouvelle — invite au contraire à s’interroger sur les risques qui pèsent sur sa mise en œuvre. Afin de le présenter comme la référence principale de la nouvelle direction politique, la date de promulgation de ce nouveau document a été décidée pour la fin du mois d’avril, moment de l’annonce des résultats finaux des élections internes au mouvement. Ces élections étant particulièrement longues du fait de la dispersion géographique de ses membres, le successeur de Khaled Mechaal à la tête du bureau politique n’a pour l’heure pas encore été désigné.

    C’est l’élection, le 13 février 2017, de Yahia Al-Sinouar à la tête de la direction du Hamas dans la bande de Gaza qui alimente ces doutes. Ancien détenu ayant passé près d’un quart de siècle incarcéré en Israël et présenté par la presse israélienne comme le plus radical des radicaux du mouvement islamiste, Al-Sinouar est connu pour son intransigeance vis-vis de l’occupation et son refus de toute concession vis-à-vis d’un accord avec le Fatah.

    Ces craintes ont notamment été exprimées par Ahmad Youssef. Dans un article publié dans le quotidien Amad, il déclare qu’Al-Sinouar, militaire issu de la branche armée du mouvement n’est pas le choix le plus pertinent pour consolider les acquis du Hamas dans son étape actuelle. D’après lui, son élection aurait stupéfié Gaza. Oussama Hamdan, représentant du Hamas au Liban considère au contraire que l’élection d’Al-Sinouar n’est en rien une surprise puisque ce dernier est, depuis 2013, membre du bureau politique du Hamas1. Tous deux s’accordent néanmoins sur un point : son affiliation aux brigades Al-Qassam n’implique pas nécessairement une politique de confrontation directe avec Israël. Pour corroborer cette thèse, Ahmad Youssef donne l’exemple du révolutionnaire républicain irlandais Michael Collins qui, bien que commandant en chef de l’armée nationale avait pourtant réussi à donner à l’Irlande son indépendance. Oussama Hamdan souligne quant à lui la porosité des statuts des dirigeants israéliens, la plupart des chefs de gouvernement, de Yitzhak Rabin à Shimon Peres en passant par Ehud Barak ayant été par le passé des officiers de haut rang de l’armée israélienne. L’absence de réponse du Hamas à l’assassinat à bout portant d’un de ses commandants militaires le 24 mars dernier, Mazen Fuqhah, semble valider ces lectures.

    Le Hamas n’est pas prêt à s’engager dans une nouvelle confrontation armée avec Israël après les trois opérations militaires qui se sont succédé depuis 2009. Libéré en octobre 2011 à l’occasion de l’accord Wafa al-Ahrar (« Fidélité des libres ») en échange du soldat israélien Gilad Shalit, Al-Sinouar pourrait bien être celui qui parviendra à conclure un accord avec Israël pour un nouvel échange de prisonniers.

    Leïla Seurat  1er mai 2017
     
    Note:
  • Syrie : un 1er mai sous les bombes (Collectif)

     
     
     
     
     
     
     
     
     

     

     

    Le 04 avril, le régime syrien larguait des bombes contenant du gaz sarin sur Khan Cheikhoun, faisant 87 morts.
     
    Trois jours plus tard, les USA bombardaient la base aérienne de Shayrat, après avoir averti les Russes pour que ces derniers évacuent auparavant leurs propres équipements.

    Depuis ? Les massacres continuent : jusqu’à ce jour, les avions syriens et russes poursuivent leurs bombardements, sur les civils notamment (les marchés, les hôpitaux, les camps de réfugiés...). Ainsi entre le 7 et le 11 avril, les avions russes et syriens massacraient plus de 98 civils. Entre mars 2011 et mars 2017, plus de 320 000 morts ont été comptabilisés (dont plus de 206 900 civils). Le régime d’Assad et les régimes russe et iranien (avec leurs bras armés tels le Hezbollah libanais) sont responsables de plus de 94 % des morts civils.

    Pourquoi ? Car en 2011, le peuple syrien s’est soulevé massivement et pacifiquement contre plus de 40 ans de dictature dirigée par Assad, père puis fils. Une aspiration à la liberté totalement juste, à laquelle le régime syrien a répondu par une répression sans nom, relâchant nombre de chefs islamistes de ses prisons en 2011, et laissant Daech prendre sans combat nombre de villes et casernes. Cette révolution, aucun gouvernement ne l’a soutenue. Ainsi, les USA et la France délivrèrent des armes au compte goutte à l’opposition qui se vit refuser toute arme pour défendre les civils contre la mort venue du ciel. L’aide humanitaire de l’ONU a pour l’essentiel été livrée au régime. Quant au Qatar, l’Arabie Saoudite et la Turquie, ils ont préféré financer les forces islamistes pour étouffer la révolution.

    L’abandon du peuple syrien, le pourrissement de la situation en Syrie ont favorisé l’émergence de Daech et de forces proches d’al-Qaida, puis leur renforcement. C’est alors qu’une coalition internationale, menée par les USA (et dont fait partie la France), est intervenue militairement en Irak puis en Syrie, contre Daech, confortant ainsi la propagande djihadiste et causant nombre de morts civils (plus de 3100 depuis 2014, en Irak et Syrie). Ouvrant la voie à l’intervention russe qui vise à écraser la révolution syrienne. Puis ouvrant la voie à l’intervention turque dont l’objectif premier est d’écraser les forces kurdes du PYD.

    Malgré les bombes, les civils syriens continuent de travailler, d’organiser la vie au quotidien (éducation, secours, logement…) et de manifester : contre certaines forces islamistes (notamment contre Hay’at Tahrir al-Cham), contre les déportations qui se poursuivent, contre les massacres du régime et de ses alliés. Dans des zones sous contrôle du régime, comme à Sweida le 17 avril, des hommes et femmes syriens exigent aussi, toujours, le départ de Assad.

    Aujourd’hui, le peuple syrien est l’otage des grandes puissances et certains acteurs politiques, comme le dictateur Sissi ou, en France , Marine Le Pen, soutiennent Assad. A l’inverse, nous considérons que le combat du peuple syrien pour la liberté et le droit à vivre dignement reste entièrement légitime ; l’accueil de ses exilés ne saurait être transigé. Et c’est au mouvement ouvrier que revient en premier lieu la tâche de le soutenir dans ces luttes. Car la défense des libertés est un combat qui n’a pas de frontières.


    ° Arrêt immédiat de tous les bombardements en Syrie !
    ° Levée immédiate de tous les sièges !
    ° Libération immédiate de tous les prisonniers politiques !
    ° Départ de toutes les forces armées étrangères de la Syrie !
    ° Mobilisation internationale pour l'aide humanitaire et l'accueil des réfugiés !

    Ni Assad, ni Daech ! C'est au peuple syrien et à lui seul de décider de son avenir. La revendication du peuple syrien pour le départ de Assad et la fin de son régime, immédiatement et sans condition, est légitime.


    Collectif Avec la Révolution Syrienne :
     
    Alternative Libertaire, Cedetim, Émancipation, Ensemble, Forum Palestine Citoyenneté, L’insurgé, NPA, UJFP, Union syndicale Solidaires
     
    http://aveclarevolutionsyrienne.blogspot.fr/
  • À Poitiers Conférence Débat : Un boycott légitime, pour le BDS culturel et universitaire de l’Etat d’Israël (AFPS)

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    Depuis 2005, la société civile palestinienne a lancé la campagne BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions) jusqu’à ce qu’Israël mette fin à l’occupation, à la colonisation et à l’apartheid.

    Si le refus d’acheter des produits israéliens est une action qui "passe" bien au niveau des citoyens conscients de l’énorme injustice qu’Israël fait subir aux Palestiniens, le boycott culturel et universitaire est beaucoup moins bien accepté avec des arguments qui prennent une apparence d’universalisme tels "la culture, comme le sport, rapproche les peuples" ; ou "le savoir est un pont permettant le dialogue par-dessus les frontières" ; ou "il ne faut pas mélanger culture et politique" ...

    Eyal Sivan et Armelle Laborie ont un autre point de vue sur la question. Lui est réalisateur israélien (Jaffa, la mécanique de l’orange ; Izkor, les esclaves de la mémoire ; Un spécialiste, portrait d’un criminel moderne ...). Elle est productrice de films documentaires.

    Nous vous invitons à venir les rencontrer et à échanger sur cette question qui se pose à chaque fois qu’un boycott est décidé (Olympiades de Barcelone en 1936, apartheid en Afrique du Sud, Coupe du monde de foot en Argentine, ...).

    La soirée se terminera autour d’un pot offert par le Comité poitevin Palestine.

     

    Document(s) joint(s)

    Flyer

    1er mai 2017
    info document : PDF
    933.6 ko

    Rendez-vous

    • À Poitiers (86), conférence – débat : Un boycott légitime, pour le BDS culturel (...) 
      Le mercredi 3 mai 2017 à 18h15
      dans les locaux de la FSU

      16 avenue du Parc d’Artillerie à Poitiers.

    Organisée par le Comité poitevin Palestine

    http://www.ujfp.org/

  • Tunisie : chronique d’un retour annoncé de la dictature (La Nation)

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    En Tunisie, depuis 6 ans, tout se passe comme si les profiteurs, désarçonnés par la Révolution, agissent pour retrouver leur pouvoir d’antan.

    Ayant échappé à la justice grâce à une corruption généralisée, ils tentent désormais , d’influencer syndicats, politiciens, fonctionnaires, médias, et tous les autres « prépondérants » pour remettre en place un régime fort basé sur un homme fort, ce que beaucoup de Tunisiens, las du chaos, attendent avec impatience sans se soucier du fond.

    Dans une dictature, outre les proches, il y a des légions de profiteurs de tous acabits, douaniers, policiers, mafieux, etc., mais il y a surtout les richissimes oligarques. Quand le dictateur tombe, certains de ces oligarques, les plus en vue et les moins discrets, tombent. Mais la majorité reste. Pour sauvegarder biens et influence, elle arrose responsables politiques, police, juges, journalistes, administration.
    Une fois la tempête passée, ces oligarques se réorganisent pour retrouver influence et gains d’antan. Il faut garder à l’esprit qu’il sont très riches et ont le bras long, très long.

    Il y a plusieurs genres d’oligarques.

    Il y a les grands arroseurs, ceux qui achètent tout le monde, ce sont des ambitieux sans vergogne ni limite, capables de recourir à tous les moyens pour sauvegarder et accroître puissance et influence. Mais il y a également ceux qui, honnêtes à la base, capables d’entretenir ou de constituer des fortunes faramineuses, ont subi durant des décennies les affres d’un système abominable, celui de la « protection » par les proches du dictateur ou par le dictateur lui-même. Certains se sont compromis, d’autres ont réussi à garder une certaine respectabilité. Au début de la révolution, ces derniers se sont sentis libérés, ils ont cru en l’avènement d’une ère de prospérité naturelle, sans ingérences des racketteurs d’État. Mais l’accalmie a été de courte durée et, si le dictateur est tombé, le régime – en l’occurrence les milliers de fonctionnaires, de juges, de policiers, de douaniers, etc., qui vivaient de petits bakchichs – a réactivé le système, avec plus de force encore, poussant ces oligarques à se compromettre à nouveau, au risque de se ruiner.
    La différence entre le système d’avant le 14 janvier et celui d’après ? Les effectifs et les tarifs des intermédiaires et des protecteurs ont explosé. Avant, le système était simple, il fallait payer les proches et graisser quelques pattes. Désormais, il faut payer des dizaines de fonctionnaires, juges, policiers, journalistes, syndicalistes et responsables politiques.

    En clair, la corruption de l’ancien régime, qui remplissait surtout les poches des anciens proches dont la plupart étaient hors du système étatique, est devenue une corruption d’État à tous les niveaux de l’administration. Désormais, du factotum au cabinet du ministre, tout se négocie.

    La corruption s’est démocratisée, mais ce nouveau système ne sied pas aux oligarques qui préfèrent négocier avec des chefs plutôt que de rester dépendant d’une flopée de profiteurs dont le seul mérite est leur statut de responsables administratifs. De plus, la situation du pays est abominable, la moitié de l’économie leur échappe pour être tombée dans les mains d’une mafia de trafiquants alors que d’autres nouveaux arrivés se sont concoctés des zones d’influence dans les domaines les plus divers.

    Les sept composantes majeures de la corruption : oligarques, mafieux, cadres administratifs, magistrats, syndicalistes, médias et politiques cherchent la panacée : un système qui leur garantit discrétion et stabilité et qui est capable de faire taire les voix discordantes. Pour eux, ce n’est qu’une question de temps, ils sont certains qu’ils finiront par remettre en place le système d’antan, un genre de « démocratie à la tunisienne » où toutes les conditions d’une apparente démocratie seront appliquées, mais, « à la tunisienne », c’est à dire avec cette propension à vider, de façon réglementaire, les règles de leur substance.

    En fait, Zine el Abidine Ben Ali s’en était fortement rapproché, mais il n’avait pas laissé les médias et les politiques faire œuvre de soupapes pour évacuer cette colère.

    En outre, il avait laissé se développer une insupportable arrogance des profiteurs. Aujourd’hui, les oligarques ont compris que démocratie et liberté d’expression donnent encore plus de possibilités que la dictature, surtout qu’il n’existe aucun mouvement assez fiable représentant pour eux un danger. Deux obstacles tout de même se dressent devant la mise en place de la grande imposture. D’abord la société civile, consciente des enjeux et capable de se mobiliser, ensuite quelques symboles dont il faut poursuivre la destruction entamée depuis 6 ans. Le premier symbole détruit, c’est Bouazizi. Plus personne ne défend le vendeur ambulant qui s’est immolé et que le monde entier avait sacralisé en 2011. Bouazizi, qui n’a vécu ni le soulèvement, ni la fuite du dictateur, ni même sa propre gloire, est désormais haï et honni jusque dans son propre quartier. Sa famille, lasse, a même quitté le pays.

    Après avoir détruit le vendeur de légumes, il a fallu détruire la révolution elle-même, souvent qualifiée aujourd’hui de « révolution de la barouita » (la brouette).

    Plus insidieusement, elle est devenue un mouvement téléguidé par l’étranger, par « la CIA » pour « diviser le Moyen Orient ». Entre temps, la CIA a échoué partout et c’est Vladimir Poutine qui a profité de l’aubaine, mais on n’en a cure, l’objectif local est atteint pour  les « destructeurs de symboles » puisqu’au bout de quelques années, le mot « Révolution », est devenu louche et on ne cesse de se chamailler sur sa définition. Reste à détruire la liberté d’expression. Là, ce sont en grande partie les médias eux-même qui ont fait l’essentiel du travail en la transformant en une inaudible cacophonie. Aujourd’hui, très peu de médias gardent une certaine crédibilité.

    Enfin, reste à détruire l’aura des victimes de la révolution et des très rares personnes qui y ont participé. Pour les victimes, 6 ans après, accusées de tout, leur prestige de « révolutionnaires » s’est éteint en même temps que le mot lui-même, galvaudé et jeté aux oubliettes d’une histoire jamais reconnue, même par les officiels qui ne s’en tiennent qu’à des déclarations formelles sans jamais entrer dans les détails d’une histoire pourtant essentielle pour le pays. Quant aux rares personnes qui, à l’intérieur du régime, ont fait preuve de courage, elles sont harcelées, pratiquement depuis le départ du dictateur. Samir Tarhouni, Sami Sik Salem, Larbi Lakhal, Hafedh el Ouni et tous ceux qui ont plus ou moins participé au déclenchement de l’imbroglio final, subissent depuis des problèmes administratifs, des attaques personnelles, des campagnes de désinformation et toutes sortes d’accusations, et c’est le cas de tous ceux qui ont participé à la chute du système, martyrs compris, pratiquement rejetés, considérés comme des voleurs, alors que la plupart d’entre eux sont morts par balles devant des commissariats.

    L’histoire est un éternel recommencement. Les États ne sont trop souvent que la superstructure qui assure la domination d’une classe sur les autres.

    Rarement, les peuples, las de leur misère et de l’arnaque généralisée, se soulèvent, mais ceux qu’ils veulent abattre, les « gardiens de l’ordre établi », sont trop riches, puissants et rusés pour perdre leur influence.
    Aujourd’hui, la Tunisie a atteint ce moment fatidique où l’échec politique et le chaos social sont tels que les oligarques ne sont pas loin d’avoir remis en place leur système. Outre le travail de sape des valeurs, ils sont en train de placer, partout, dans le service public, les administrations, les sociétés et les compagnies nationales, des gens qui leurs sont soumis et dont le rôle est précisément de renouer avec les pratiques qui ont fait leur puissance. Pour soumettre la galerie, ils utilisent nombre de médias, partis et autres organisations pour vulgariser le rejet de la révolution et d’une démocratie déclarée « inapplicable sous nos cieux ».

    La Tunisie, qui vit une mascarade de démocratie où les trafiquants, les maffieux les corrupteurs et les exportateurs de terroristes sont dans l’impunité totale, a-t-elle la force de résister au plan des oligarques ?

    Quelle organisation, quelle personnalité politique, qui va se lever contre ce plan et avec quels moyens ? L’État lui-même, dont le fonctionnement est soumis à une mauvaise Constitution, croule sous sa propre inertie, il est incapable d’appliquer la loi, il ne maîtrise pas sa justice, la corruption le gangrène, il est incapable d’assumer son rôle.

    Sans un sursaut de conscience, ces dernières années ne seront que celles d’une expérience ratée, d’un espoir impossible. La fatalité de l’ignorance triomphera à nouveau. Ignorance de la sincérité du mouvement qui a libéré les Tunisiens, ignorance de la vraie démocratie, de la bonne gouvernance, du débat politique fiable, ignorance des logiques de la corruption, ignorance de ses instigateurs. Absence de clairvoyance et de la vigueur que tout un pays attend désespérément. Espérons que cette vigueur viendra d’un responsable respectant les valeurs, et non d’un aventurier qui surfera sur une vague porteuse pour nous jeter dans un nouvel obscurantisme.