Jours 11/12 Mai 2017
Sous titre suivant : " La jeunesse universitaire et la lutte pour la démocratie".
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A l'occasion de la sortie de son ouvrage LE MIROIR DE DAMAS Syrie, notre histoire, paru aux Editions de la Découverte, Jean-Pierre Filiu, universitaire français né à Paris en 1961, historien et arabisant, spécialiste de l'Islam contemporain, professeur des universités à Sciences Po Paris, est invité par la Librairie Le Failler, en partenariat avec le CNL (Centre National du Livre), la Région Bretagne et l'association rennaise Tous Pour La Syrie.
Entrée gratuite dans la limite des places disponibles.
Mardi 23 MAI 18H30
Espace Ouest-France, 38 rue du Pré-Botté, 35000 Rennes
Les caractères seuls sont arabes!(langue persane)
Près de 10 000 travailleurs venus des quatre coins de l’Algérie ont répondu à l’appel à la marche du collectif des syndicats autonomes pour la célébration de la Journée internationale des travailleurs dans la ville de Béjaïa.
La marche s’est ébranlée vers 10h, à partir du stade de l’Unité maghrébine, avant d’aboutir à la place Saïd Mekbel, où une prise de parole a été organisée.
Les syndicalistes ont été rejoints par des dizaines de militants du Parti socialiste des travailleurs (PST) qui se sont réunis dans un carré et marché derrière les initiateurs. Des partis politiques en lice aux élections législatives du 4 mai ont affiché leur soutien aux combats des travailleurs, comme le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), le Front des forces socialistes (FFS) et quelques candidats des listes indépendantes, ainsi que le comité de solidarité avec les travailleurs et la LADDH.
Messaoud Boudiba, chargé de la communication au Cnapeste, a déclaré à El Watan au nom de l’intersyndicale que «c’est la première fois en Algérie qu’un collectif de syndicats autonomes renfermant une quinzaine de syndicats organise une manifestation pour la célébration de la Journée internationale des travailleurs pour nous soulever contre le libéralisme sauvage».
Ce dernier constate qu’il existe «une alliance qui a été scellée entre le gouvernement algérien et le patronat pour négocier de tout ce qui se rapporte aux travailleurs en écartant le front social, comme cela a été fait dans le cadre de l’élaboration du projet de la loi du travail». Pour lui, «le gouvernement applique les décisions et les orientations du patronat et des pseudo représentants de la population qui ont adhéré à ce pacte».
Constatant l’alignement de la politique du gouvernement sur celle des Etats libéraux, les marcheurs ont scandé vouloir adopter la Plateforme de la Soummam et la Déclaration du 1er Novembre, garants d’un Etat social et des libertés syndicales. Autour de la place Saïd Mekbel, un discours au nom des syndicats participants a été prononcé en quatre langues : tamazight, arabe, français et anglais, où le collectif s’est dit prêt à mener des négociations afin de protéger les acquis et arracher d’autres revendications pour peu que tous restent soudés.
Pour eux, «l’union est un rempart contre les manœuvres qui visent la paupérisation des ouvriers ; renforcer l’intersyndicale est un choix stratégique et véritable palliatif pour protéger l’Etat social proclamé dans la Plateforme de la Soummam et du 1er Novembre». Lors de la manifestation, les travailleurs ont dénoncé les pressions dont ils font l’objet de la part «des pouvoirs publics, le patronat et les tenants du levier financier».
L’intersyndicale rappelle, à travers son discours, que «ce 1er Mai est célébré dans une conjoncture de tension sociale engendrée par les signaux négatifs et les orientations émanant des mesures gouvernementales et des textes du projet de la loi de travail qui remet en cause les acquis et les libertés syndicales». A ce propos, les animateurs constatent avec amertume le repli général des aides sociales et des avantages, l’érosion du pouvoir d’achat et l’élargissement du cercle de la pauvreté.
Nordine Douici El Watan, 2 mai 2017
Kerkennah, petit archipel symbolique
« Parce qu’elle n’a pas d’idées, parce qu’elle est fermée sur elle-même, coupée du peuple, minée par son incapacité congénitale à penser l’ensemble des problèmes en fonction de la totalité de la nation, la bourgeoisie nationale va assumer le rôle de gérant des entreprises de l’Occident et pratiquement organisera son pays en lupanar de l’Europe. » Frantz Fanon, Les damnés de la terre.
Cette citation de Fanon n’est pas éloignée du présent.
Tout militant, chercheur ou intellectuel en Afrique se confronte à la bourgeoisie nationale dont parle le psychiatre révolutionnaire algérien. De notre point de vue de militants européens blancs, nous la rencontrons d’autant plus tôt qu’elle est bien souvent notre seule porte d’entrée dans les anciens pays colonisés. Nous avons donc toujours un choix à faire : ou bien taire la réalité de la petite classe dominante à la tête des États post-indépendants, son imbrication avec l’impérialisme, et couler de paisibles séjours exotiques à ses côtés, ou bien partager les luttes populaires qui agitent les sociétés africaines et goûter, juste un peu, de leur amertume. Notre privilège, c’est non seulement le pouvoir de franchir les frontières légalement, mais aussi le confort de choisir le rapport que nous entretenons avec la domination néocoloniale. En cela, certains membres perturbateurs des bourgeoisies nationales nous ont déjà précédé, et nous ont montré la voie avec insistance depuis longtemps.
Au Maghreb, Mohamed Ali El Hammi, Frantz Fanon ou Mohamed Boudia sont des exemples symboliques de fidélité au peuple et à la lutte comme déterminant d’action.
Nous n’avons donc aucune excuse. Aujourd’hui, comme nous allons le voir dans cet article, la bourgeoisie nationale est bien représentée par la direction tunisienne d’une multinationale comme Petrofac, et par le pouvoir politico-médiatique qui la soutient. Depuis la fin du régime de Ben Ali, s’il est possible de noter une légère et relative amélioration en matière de droits et de libertés, la petite classe dirigeante n’a pas cessé de jouer son rôle d’intermédiaire pour adapter la Tunisie aux règles les plus violentes du marché mondial. Pour masquer l’exploitation qui en découle, le néocolonialisme et ses collaborateurs indigènes ne cessent de construire l’image d’une Tunisie balnéaire et idyllique de carte postale dont les regards, surtout s’ils sont étrangers, ne doivent jamais s’éloigner.
Déconstruire l’illusion néocoloniale passe par la découverte d’autres discours, subalternes, ceux du peuple et de ses luttes. Écrire à ce propos, c’est donc faire le choix de qui nous rencontrons, d’avec qui nous dialoguons. Et même, le choix des gens avec lesquels nous partageons le quotidien. « Comment peut-on étudier d’autres cultures et d’autres populations dans une perspective qui soit libertaire, ni répressive, ni manipulatrice ? » [1] se demandait Edward Said dans « l’Orientalisme ». Nous devons tenter de répondre à cette question qui semble nous viser très précisément, nous qui sommes libertaires car partisans de l’autonomie des luttes. En parlant plutôt du Maghreb, la sociologue algérienne Fanny Colonna nous a laissé l’indication suivante : « pas de savoir sur le monde arabe sans un dialogue intense avec ceux qui le font dans le monde arabe. » [2] Dans cette logique, les entretiens qui ont donné la consistance de cet article on été réalisés avec des chômeurs tunisiens de Kerkennah, et avec une employée de la société Petrofac, qui a depuis démissionné. L’étude passe ici par un dialogue qui valorise la parole d’autrui et vise la décolonisation des savoirs en faisant sienne l’affirmation de Said : « il faudrait écouter les peuples colonisés, savoir ce qu’ils pensent. » [3]
Mais ce n’est pas tout, la méthodologie de restitution du savoir doit, selon nous, être questionnée. Il n’est plus possible de toujours se limiter à une écriture journalistique ou scientifique. La parole des entretiens contient aussi sa propre analyse du monde social, et nous ne voulons pas y substituer la nôtre, ou la renvoyer en note ou en annexe, comme chez les universitaires bien intentionnés. Nous voulons rendre visible la parole des dominés sur le néocolonialisme comme la peste sur le festin. Pour parler de Kerkennah, l’article suivant se veut donc « polyphonique », nous avons laissé la parole de nos interlocuteurs avec l’ordre de leurs propres mots comme une partie du texte, ou même comme un texte directement accessible. Notre analyse militante ne la complète pas, elle s’y ajoute. Il nous semble que c’est dans une telle intertextualité que peut se construire un savoir respectueux de chacun, mais également se forger une culture révolutionnaire internationale.
Archipel situé au large de Sfax, au Sud-Est de la Tunisie, Kerkennah a été un symbole politique depuis le mouvement de libération national tunisien.
C’est là qu’est né Farhat Hached, celui qui fût l’un des fondateurs de l’UGTT (Union générale tunisienne du travail) en 1946. Depuis 2013, et l’ouverture en France des archives des ministères de l’Intérieur et des Affaires étrangères, on sait désormais que le SDCE (Service de documentation extérieure et de lutte contre l’espionnage), ancêtre de la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure) était impliqué dans l’assassinat de Hached, aux côtés de l’organisation coloniale la Main rouge (du même type que l’OAS en Algérie).
Ce n’était pas la première fois que l’État français assassinait un leader syndicaliste tunisien. En 1924, la CGTT (Confédération générale des travailleurs tunisiens), premier syndicat indigène de l’empire colonial, était dissoute par le protectorat et ses leaders emprisonnés, exilés ou assassinés, comme son principal dirigeant, Mohamed Ali El Hammi. Farhat Hached se référa à ces ancêtres pour reconstruire un mouvement syndical et anticolonialiste. Tout comme Mohamed Ali, il est resté un symbole très important du mouvement syndical tunisien, et à Kerkennah en particulier.
C’est Amira qui nous rappelle cette histoire de l’UGTT. Militante libertaire tunisienne, originaire de Kerkennah, elle travaille à Petrofac, dans les bureaux à Tunis, lorsqu’on se voit pour la première fois en mars 2015, alors qu’un sit-in est en cours dans les locaux de la société à Kerkennah. Elle nous raconte à l’époque comment des hommes payés par Petrofac se rendirent dans les locaux de l’UGTT à Sfax pour aller agresser ses responsables, accusés de soutenir le sit-in. Mais c’est elle aussi qui nous met en contact avec des membres de l’UDC (Union des diplômés chômeurs), qui s’activent dans le mouvement dans l’archipel.
En août 2016, nous rencontrons Ahmad pour la première fois à Al Attaya, au nord-est de Kerkennah, après l’avoir interviewé par téléphone un an auparavant. En mars 2015, lors du premier sit-in dans les locaux de Petrofac par les chômeurs de l’île, ce membre de l’UDC faisait partie de ceux qui n’hésitaient pas à prendre la parole pour dénoncer la complicité du gouvernement avec les pratiques mafieuses des dirigeants de l’entreprise anglaise. Nous reprenons rendez-vous avec lui quelques jours plus tard à Kraten, pour le retrouver avec Karim, ce dernier se déplaçant plus difficilement avec son fauteuil roulant. Avec quelques boissons chaudes pour commencer, nous nous attablons au café du port de la petite ville, spécialisée dans la pêche du poulpe. Nous présentons à Ahmad et Karim nos questions, la façon dont nous voulons mener l’entretien. Ahmad parle bien le français, Karim un peu moins, mais son camarade l’aide chaque fois que c’est nécessaire. On a suivi le sit-in de l’année 2015 et on ne veut pas trop s’attarder dessus, mais bien comprendre comment s’est passé le blocage de Petrofac et la grève générale de 2016. Pour commencer, nous revenons un peu en arrière, au moment de l’arrivée de Petrofac en 2007 dans l’archipel. A quoi s’attendaient les Kerkenniens ? Ahmad nous répond :
« En 2007, avec Petrofac, tout comme avec TPS [4] tout le monde s’attendait à une exploitation de gaz très rentable économiquement pour toute la Tunisie et pour l’île. On attendait l’embauche maximum soit de cadres qualifiés ou bien d’ouvriers un peu partout sur l’île. Mais hélas, dès le début des activités de Petrofac, nous avons vu qu’aucune de ces ambitions ne seraient concrétisées. Ce sont des sociétés qui exploitent, qui gagnent, elles et l’Etat tunisien. Avec ou sans ces sociétés de pétrole, il n’y a pas de redistribution. »
Revenir sur l’installation de Petrofac en Tunisie, c’est revenir sur l’époque du dictateur Zine el Abidine Ben Ali (Zaba), sur ce que signifie la gestion des richesses d’une dictature. Un tel regard rétrospectif, pour celles et ceux qui n’ont pas connu cette période toute récente, ou pour d’autres qui l’auraient un peu vite oubliée, permet de comprendre pourquoi si peu de choses ont changé en Tunisie. En l’occurrence, ce qui est différent, c’est l’apparition d’une parole publique, de la rue, sur l’exploitation et la corruption. Néanmoins, les arrestations et les procès pour délit d’opinion se poursuivent [5]. Le changement c’est surtout un acte de prise de parole, malgré tous les risques, plutôt qu’une véritable liberté d’expression.
Sous Ben Ali, comment une entreprise étrangère peut s’installer si facilement en Tunisie et capter ses ressources en gaz ? En versant des pots de vin à la mafia qui contrôle l’économie du pays, en l’occurrence au clan Trabelsi, dont le montant est estimé à deux millions de dollars [6]. Pour Petrofac, dix ans après les faits, la question est : que fait la justice britannique ? Les théoriciens occidentaux de la nature foncièrement despotique des régimes arabes, et qui ne veulent jamais entendre parler d’impérialisme, peuvent tenter d’y répondre. Le journaliste algérien Hamza Hamouchène, qui révélait la corruption du régime de Zaba par Petrofac, s’est aussi intéressé à la présence de British Gas en Tunisie, le plus grand producteur de gaz du pays. Le géant capitaliste anglais produit 60% du gaz tunisien, avec les champs gaziers d’Hasdrubal et de Miskar, qu’il possède entièrement. Il revend ensuite le gaz extrait à la STEG (Société tunisienne d’électricité et de gaz). : « Le gaz tunisien est vendu aux Tunisiens comme s’il était une matière première importée ! » s’exclame Hamouchène. Le clan Trabelsi s’est enfuit, mais les compagnies de gaz se sont simplement trouvées de nouveaux interlocuteurs, qui continuent de voler la Tunisie. Dans ces dossiers, le pouvoir tunisien post-14 janvier, les présidents Sebsi et Marzouki et leurs différents gouvernements, se sont révélés tous autant soumis et impuissants.
Devant la faiblesse de l’Etat, ce sont donc les habitants de Kerkennah qui vont rentrer dans une lutte pour défendre leurs ressources. Pendant le mouvement révolutionnaire de l’hiver 2010-2011, de grandes manifestations de chômeurs qui demandent du travail ont lieu dans toute la Tunisie et également Kerkennah. Alors, en juin 2011, au lendemain de « l’intifada », un accord est signé entre l’État et les sociétés pétrolières pour participer au « développement » de la région. Sous la pression de l’UDC, celui-ci prévoit le versement de salaires à 267 chômeurs, qui sont embauchés dans la fonction publique locale. Sauf qu’ils n’ont ni contrat ni couverture sociale, mais seulement un salaire de 450 [7] dinars. Trois années passent, jusqu’en janvier 2015 où le versement des salaires s’arrête. Deux mois plus tard, le 10 mars, les chômeurs font une première occupation des locaux de Petrofac et bloquent la production de gaz. Pendant les 37 jours du sit-in, une ambiance pesante, que nous raconte Ahmad, s’installe dans l’île :
« Des bandits payés par la direction de Petrofac essayaient de mettre fin au sit-in, les médias matraquaient les sit-inneurs en nous accusant d’être des terroristes, d’être des casseurs… Leur technique consistait à faire se confronter les travailleurs de Petrofac avec les sit-inneurs en répandant toujours la rumeur que cette société va quitter le territoire tunisien et donc que les travailleurs de Petrofac vont se retrouver eux-mêmes au chômage alors qu’ils sont dans l’obligation de travailler, ils ont des crédits, des familles (…) La police de Sfax est arrivée vers le 10 avril 2015, le chef était sur le terrain et il négociait l’arrêt du sit-in. Il devait s’arrêter ou bien il était obligé d’utiliser la force. Nous avons tenu notre position. Nous avons été clairs avec lui. Nous ne voulions pas rentrer chez nous avec les mains vides. Il fallait qu’une solution soit trouvée pour ce « travail », entre guillemets, au noir, dans le vide, sans contrat, sans couverture sociale. Ils ont passé toute une journée et après vers 16h, ils sont rentrés à Sfax. C’était comme une scène de théâtre menée par les flics pour les journalistes qui répètent, avec Imed Derouiche [8] et son administration, qu’il n’y a pas de sécurité et de flics à Kerkennah, que le ministère de l’Intérieur ne peut pas sécuriser le champ de production de Petrofac. Ils ont voulu montrer qu’ils avaient assez de force pour intervenir. »
En avril 2015, au-delà de cette communication officielle, l’Etat s’aperçoit qu’une intervention dressera face à lui toute une population. Dans les familles de Kerkennah, des lycéens aux travailleurs, il y a eu un soutien aux sit-inneurs. Les autorités rentrent alors dans une stratégie de négociation. Le 16 avril, un accord est proposé à l’UDC, en présence de l’UGTT, dans une réunion chapeautée par le ministère des affaires sociales, des représentants du ministère de l’énergie et le gouverneur de Sfax. La procédure devait prendre fin en décembre 2015, au moment où les revendications des chômeurs seraient appliquées. A Kerkennah, le calme et le travail reprennent. Mais au moment où doivent aboutir les accords, le virement des salaires est interrompu. Début 2016, un nouveau rapport de force va opposer les Kerkenniens et Petrofac.
Avril 2016, deuxième sit-in, intervention policière et grève générale
Par apport au sit-in de 2015, où il y a eu une première occupation des locaux de Petrofac et des négociations avec l’UGTT, cette année ça a été différent, notamment le rapport de force avec la police. Du coup, comment les gens se sont organisés cette fois ?
Ahmad : La différence avec le deuxième sit-in ça a donc été l’intervention policière. Elle a eu lieue au bout de trois mois et demi de sit-in. Leur intention était bien claire, ils voulaient utiliser la force. Avec un nombre qui dépassait les 700 policiers, des véhicules d’intervention (ndlr : « des bagas » comme on les appelle en tunisien). Il y a eu un coup de téléphone à l’hôpital de Kerkennah pour qu’il reste en état d’alerte pendant la nuit. Ils ont fait une tournée dans les bars, les restaurants et les points de vente d’alcool pour leur dire de fermer tout à partir de 18h. Des réservations ont été faites dans les hôtels pour 4 jours pour les flics. Moralement, cela a beaucoup touché les gens de Kerkennah. Les photos des policiers qui viennent pour casser le sit-in et qui mangent des crevettes royales et des dorades dans les restaurants des hôtels. Ils boivent de la bière la nuit avant de faire leur intervention…
Qu’elle a été la réaction des gens face à la répression policière ?
Ahmad : Lorsque nous avons appris que la police était arrivée, nous avons changé le lieu du sit-in. Du site de Petrofac on est allé sur la route principale de Mellita, où la police devait passer. Dès le début, quand nous avons bloqué la route, les jeunes de Mellita, les pêcheurs, les femmes, ils étaient avec nous.
Comment ont-ils débloqué la route ?
Ahmed : Ils ont lancé des bombes lacrymogènes, on les a affrontés avec des pierres. Même des femmes ont lancé des pierres contre ces policiers. Les bombes lacrymogènes étaient un peu partout, même dans les maisons. Les policiers ont gravement insulté les habitants de Mellita. Ils ont attendu la nuit pour que le rapport de force soit plus favorable. Les gens étaient partis dormir en attendant de revenir au moment de l’intervention.
Quand ils sont passés, ils ont remonté toute la route de l’île ?
Ahmed : Ils l’ont juste ouverte pour accéder à Petrofac, et aussi au reste de l’île mais là les routes ont été de nouveau bloquées juste après, et de façon plus sophistiquée, plus professionnelle, avec des gigantesques pierres. Par exemple, il y avait un camion qui transportait des pierres pour un projet de sécurisation des plages, on l’a détourné sur la route principale pour qu’il déverse ses pierres sur la route principale. Bon, il l’a fait de bonne foi ! De toute façon, ce ne sont pas ses pierres à lui, elles sont au bénéfice de Kerkennah pour un projet, on a pensé que ça c’était plus bénéficiaire. Les policiers étaient partout sauf à Mellita où toutes les routes étaient fermées, à part pour les citoyens de l’île. Pendant 12 jours, les flics ont dû prendre une petite route pour contourner celle de Mellita. On ne pouvait pas arrêter de manifester. Certains ont cru qu’une simple manifestation allait suffire pour que la police parte de l’île, ils ont été gravement tabassés et ont pu comprendre que la parole ne sert à rien, qu’il faut une confrontation sur le terrain. Le problème c’est que les gens disent toujours aujourd’hui qu’ils appartiennent à la société civile, ils parlent de la liberté d’expression, que c’est ça qui peut mener le dialogue… Sauf qu’à ce moment, il n’y avait pas de dialogue qui pouvait se faire sur l’île. D’ailleurs, la chose majeure qui a poussé les gens à se confronter avec les flics, c’était les mots qu’ils adressaient aux habitants de Kerkennah, surtout aux femmes.
La fin de la réponse d’Ahmad est riche d’enseignements sur les mouvements sociaux qui secouent la Tunisie depuis une dizaine d’années. Le cas particulier de Kerkennah rejoint sur de nombreux aspects d’autres luttes locales, et montre la nature de la relation que la société tunisienne entretien avec l’État et ses symboles.
Depuis l’intifada de Redeyef en 2008 [9], la question de la violence ne cesse d’être reposée par les mouvements sociaux. Face à un État qui vole les richesses, ou qui se fait le complice du vol par l’impérialisme, et qui réprime par la force toute remise en question pacifique de ce système, la révolte populaire revient à chaque fois comme la seule solution politique possible.
Le comportement de l’Etat et de sa police à Kerkennah rappelle Redeyef : la police envahit complètement l’espace, puis elle provoque et insulte les habitants avant de les agresser. Cette attitude de l’Etat vis-à-vis de sa population n’est pas spécifiquement tunisienne, on la retrouve dans de nombreuses anciennes colonies. En Afrique, la police, ou l’armée des Etat post-indépendant rejouent le même rôle que la police et l’armée coloniales, souvent au service de puissances impériales repositionnées.
De ce point de vue la hogra est une réalité néocoloniale qui prolonge la violence coloniale : « Le régime colonial est un régime instauré par la violence (…) sa durée dans le temps est fonction du maintien de la violence » [10]. Le traitement particulièrement violent à l’égard des femmes rappelle lui-aussi le comportement des anciens colons. Cela provoque une réaction des femmes dans l’espace public, dans les confrontations et dans les manifestations, qui est d’autant plus inédite, depuis les mouvements de libérations nationaux, que ces dernières viennent des classes sociales les plus défavorisées, d’origine rurale (comme les manifestantes de Redeyef, de Sidi Bou Zid ou de Kerkennah), et souvent chômeuses, elles partagent avec les hommes la revendication de l’emploi..
La criminalisation du mouvement social est également une logique qui part de loin. Sur ce point, c’est Ahmad qui fait le lien avec Redeyef et le bassin minier en 2008 :
« Le 4 avril, on avait 4 arrêtés, c’était lundi, ils ont été évacués vers Sfax, et mardi le tribunal à décidé de les mettre en prison en attendant le procès. Et avec eux, il y avait une liste de 17 personnes recherchées, avec le mêmes type d’accusations qui ont été faites contre les habitants du bassin minier en 2008 comme « crime en bande organisé ». C’était le même langage juridique. »
Il apparaît ici la dangereuse confusion entre la figure du révolté et celle du criminel qui tend elle-même à être assimilée à celle du terroriste – les syndicalistes de Redeyef furent accusés de terrorisme par le régime de Ben Ali. Cet amalgame est aussi utilisé en Europe. Dans les mouvements sociaux français, militants de gauche, fils d’immigrés et « terroristes » sont de plus en plus confondus dans l’imagerie des médias dominants, ainsi que dans le langage juridique de l’état d’urgence. Sous la plume de l’universitaire télévisuel Gilles Kepel, ceux qui dénonçaient l’islamophobie, le racisme structurel et la ségrégation qui touchent les communautés musulmanes en France, furent accusés de créer un : « pseudo-concept, machine de guerre destinée à protéger les salafistes » [11].
Au printemps 2016, le premier ministre Manuel Valls reprit à son compte le terme « d’islamogauchiste » développé par Kepel pour désigner les manifestants opposés à la loi travail, tout comme l’avocat d’extrême droite Gilbert Collard qui vit à ce moment en eux : « une minorité agissante qui veut semer d’une manière très évidente la violence et le désordre dans le pays. » Ceux qui manifestaient contre la loi travail et contre l’islamophobie étaient donc d’autant plus susceptibles d’être réprimés qu’ils étaient, grâce à la caution orientaliste de Kepel, identifiés à l’ennemi de la nation, le terrorisme salafiste.
A Kerkennah, au mois d’avril 2016, le premier ministre Habib Essid usa du même amalgame, en accusant les protestataires d’être liés à la mouvance salafiste. Amira, notre camarade employée chez Petrofac, nous alerta à ce propos. Pour elle, comme pour d’autres Kerkenniens, l’État est tout à fait capable d’instrumentaliser certains groupes salafistes pour casser la mobilisation. La crainte d’un attentat est vécue à Kerkennah comme une potentielle manipulation du pouvoir contre les luttes.
Quoi qu’il en soit en coulisse, les mouvements sociaux tunisiens montrent comment une ancienne colonie peut servir à la fois de terrain d’expérimentation de techniques répressives, et de caisse de résonance aux discours de « guerre contre le terrorisme » pour un pays comme la France [12].
La figure du criminel, du terroriste, vient pour masquer celle du manifestant et la délégitimer. Ce que craignent toujours l’État et les classes dirigeantes, c’est l’autonomisation des luttes et des communautés de résistances. Lorsque des musulmans construisent des luttes, ou lorsqu’ils y participent, ils sont systématiquement accusés d’être des terroristes. A Kerkennah, comme nous allons le voir maintenant, c’est pourtant bien la communauté qui a eu un rôle émancipateur d’entraide et de solidarité.
Comment était organisé le blocus de Mellita, j’imagine qu’il fallait être sur place, il faut tourner, il faut manger, il faut pouvoir dormir, est-ce qu’il y avait des tentes ?
Karim : Quand on a déplacé le sit-in de Petrofac vers Mellita, on a bloqué les deux accès de la route à Mellita, l’entrée et la sortie. Nous étions chez nos familles.
Ahmed : Nous sommes Kerkenniens, les gens nous ont donné tout ce qui était nécessaire. On se sentait même mieux que chez nous. Un jour c’était du couscous au poulpe, le lendemain du poisson grillé, et après des spaghettis aux seiches. Même ceux qui n’étaient pas de la ville étaient aussi chez eux, il n’y avait pratiquement aucune différence. Et puis il y avait la liste des gens recherchés, qui devaient partir en cas de descente la nuit dans des maisons éloignées…
Que fait Petrofac ? Il extrait du gaz mais en parallèle il extrait aussi du condensat (ndlr : hydrocarbure obtenu au moment de l’extraction). Le gaz est envoyé vers Sfax par pipe-line sous marin et le condensat est stocké dans 4 grands réservoirs sur le champ de production. Au bout d’un moment si tu ne vides pas ces réservoirs, ils sont pleins et tu dois arrêter la production, faire un shut-down. Au bout de 15 jours ces réservoirs sont pleins, donc c’est une question de patience.
En parallèle, la question c’était comment mobiliser toute l’île contre l’intervention. Non, ce n’est pas juste l’affaire des diplômés chômeurs. Les flics ont ciblé toute l’île. D’ailleurs l’une de nos interprétations du déploiement d’une telle force, c’est que de la part des autorités il s’agissait de donner un exemple de répression à tous les mouvements sociaux à Kasserine, à Gafsa, à Tozeur, aux sit-inneurs devant le ministère de l’emploi à Tunis, au sit-inneurs de Gafsa qui sont allés à Mourouj dans la banlieue de Tunis... L’intention du gouvernement c’était de passer un message aux protestataires : leur destin sera le même que celui de Kerkennah. C’est pourquoi ils sont intervenus avec une telle force.
Karim : En hiver, il y a 15000 habitants à Kerkennah, mais durant l’été la population dépasse les 150 000 personnes, il y a les touristes mais aussi beaucoup de Kerkenniens qui reviennent chez eux. Les manifestations du 9 avril ont réunis beaucoup de ces gens, à Tunis, à Sfax...
Le 9 avril est une date symbolique pour le mouvement de libération national tunisien. C’est une journée de manifestation et d’émeutes réprimées dans le sang par l’armée française. Mais ce 9 avril 2016, où toute la diaspora de Kerkennah en Tunisie sort dans la rue pour soutenir les habitants de l’archipel, fait aussi écho à un autre grand mouvement social tunisien, les révoltes du pain de l’hiver 1983-84. Le premier ministre Mohamed Mzali s’était fait chasser de l’archipel en décembre 1983 :
Ahmed : Les manifestations pour le pain c’était en janvier 1984, et Mzali à Kerkennah c’était en décembre 1983. Tous les habitants se sont soulevés pour le dégager le l’île. Depuis cette année là, il n’y avait pas eu une aussi grande manifestation. Les Kerkenniens sont venus avec un message : on ne va jamais laisser notre île aux flics, et si vous voulez nous tabasser, on est Kerkenniens, on est présents ici, et on sortira à Sousse, à Tunis, les choses ne se calmeront pas. A Sfax, on peut parler de 100 000 habitants qui sont originaires de Kerkennah. Ce mouvement pouvait mettre en danger même un gouvernement comme celui-là.
Durant les 12 jours d’occupation de Kerkennah par la police, une deuxième date va s’avérer décisive dans la lutte : la grève générale du 12 avril. Dès le 4 avril, ce sont les élèves de Kerkennah qui lancent la grève, et refusent de se rendre en cours pendant toute la durée de l’occupation policière. Ils sont progressivement rejoints par l’ensemble des catégories sociales, la fonction publique, les commerces, les pêcheurs. Et le blocage des routes finit par signifier le blocage de toute l’économie le 12 avril. C’est Karim qui nous raconte comment il a vécu ce jour là :
Karim : Je ne pouvais pas me déplacer mais j’étais sur facebook pour relayer l’appel dans toutes les villes où il y a eu des manifestations. J’ai voulu bloquer la route aux policiers avec ma chaise roulante à Remla pendant la grève des élèves (ndlr : il y a l’un des principaux collègue-lycée de Kerkennah à Remla). Ils ont soutenu la grève. J’ai tenté de bloquer le passage des flics au moment où ils faisaient face à un cortège d’élèves.
Ils se sont organisés ?
Karim : Spontanément. Au niveau des médias, facebook, on a fait un appel, et tous les gens ont suivis.
Après la grève générale, la tension continue à monter entre Petrofac et le gouvernement d’un côté, les Kerkenniens de l’autre. Tout l’enjeu c’est de bloquer les camions de condensat pour que la production ne puisse pas reprendre. A Sfax, des milliers de policiers s’apprêtent à venir prêter main forte à ceux qui sont sur l’archipel. Dans la nuit du 14 avril, la police intervient pour faire passer en force les camions :
Ahmed : Le jeudi 14 avril, ils ont fait passer de force les camions de Petrofac de Sfax vers le champ de production. C’est la chose qui a beaucoup aggravé la situation, tout le monde est descendu dans la rue à 22h. Il y a eu 5 heures de confrontations avec les flics. C’était très grave pour nous de voir que le ministère de l’intérieur travaille directement pour le bénéfice de Petrofac. Le vendredi 15 avril, dès l’aube, les Kerkenniens de Sfax bloquaient l’accès aux bateaux à la police. Nous avons même des vidéos avec des voitures de police qui étaient quand même montées dans les bateaux, mais les voyageurs, les Kerkenniens empêchaient le capitaine de bouger tant que les voitures n’étaient pas redescendues du bateau. Vers 13 ou 14 heures, des manifestations ont eu lieu contre la présence des flics à Kerkennah et pour demander la libération des chômeurs arrêtés depuis le 4 avril. Toutes les routes ont été bloquées. Les flics présents au port de Sidi Youssef se sont retrouvés isolés. Isolés de Sfax…
Karim : Et isolés des autres flics présents dans Kerkennah. Ils voulaient envoyer des renforts et des munitions, car les policiers avaient utilisés toutes leurs bombes lacrymogènes. Et leur seule solution de contact pour se réapprovisionner, c’était le bateau qui part de Sfax. S’ils avaient voulu continuer la bagarre, ils n’auraient plus eu que leurs matraques, ou bien les balles.
Ahmed : Tous les gens présents à Mellita sont partis pour chasser les flics présents à Sidi Youssef. Ils ont été harcelés au point de devoir enlever leurs uniformes. On a laissé personne les frapper gravement, on a permis qu’ils appellent le garde côte pour les évacuer de l’île immédiatement. C’est l’armée qui a permis leur évacuation. Nos collègues ont été libérés de la prison de Sfax. En hiver, le dernier bateau qui vient de Sfax est à 18h30. A l’heure où ils ont été libérés, il n’y en avait plus. On a donc exigé qu’un jet-ski de garde-côte les ramène pour qu’ils passent la nuit chez nous à Kerkennah. Ils l’ont fait. C’était une partie déjà gagnée, on pouvait leur demander ce qu’on voulait. Et la nuit du 15, nous avons célébré notre victoire.
Au-delà de l’issue du conflit avec Petrofac, c’est l’avenir de l’île qui est en question, et la capacité des habitants à s’organiser pour construire un projet. L’extraction du gaz met en danger les équilibres naturels liés à la pêche. Les compagnies de gaz sont accusées de pollution, et se renvoient la balle. Si dans notre entretien avec Ahmad et Karim, c’est plutôt TPS qui est pointé du doigt, un autre membre de l’UDC, Ramzi, interviewé en 2015 désignait Petrofac : « Les pêcheurs sont touchés. Cette société a eu plusieurs fois des fuites dans la mer. Les poissons meurent, il y a un impact sur l’environnement. » Dans l’échange qui va suivre, la discussion porte donc sur l’avenir de Kerkennah, sur les choix en matière économique, d’après le point de vue de ces fils de pêcheurs au chômage.
Que s’est-il passé depuis le 15 avril ?
Ahmed : Depuis le 15 avril, on a créé nos propres instances. La récolte de cette solidarité menée par les Kerkenniens doit être formelle, passer de la clandestinité vers la formalité, l’organisation. On a fait deux réunions générales avec des citoyens de tout Kerkennah et on a finit par avoir une instance représentative pour une négociation prévisionnelle avec le gouvernement. Cette organisation a été constituée par des représentants de l’UDC, de l’UGTT locale et des représentants élus ou choisis de chaque village de Kerkennah qui représentent les pêcheurs surtout. Du côté du gouvernement, rien n’a été fait. On attend toujours des solutions satisfaisantes pour les Kerkenniens et pour la société de pétrole elle-même puisque c’est le seul souci du gouvernement. Même les initiatives faites par l’UGTT ont trouvé en face d’elle un gouvernement faible, qui ne gère rien, et comme vous avez vu, qui va bientôt être dissout [13].
Est-ce que Petrofac est indispensable ? Doivent-ils partir ?
Karim : Si Petrofac reste, il faut qu’on sache exactement quels sont les bénéfices qu’il tire.
Toi qu’est-ce que tu voudrais ?
Karim : Qu’ils s’en aillent. Ce sont des mafieux, tout comme Ben Ali.
Est-ce qu’il faut prioriser d’autres activités comme la pêche, l’agriculture ou le tourisme, ou bien est-ce que cette activité doit cohabiter avec les autres ?
Karim : Pourquoi pas les activités en même temps, mais il y a le problème de la pollution.
Ahmed : On n’a pas de problème avec l’exploitation du pétrole si ça ne gène pas les autres activités. C’est quelque chose de technique.
Karim : Pour moi, comme pour tous les Kerkenniens, il faut du développement et du tourisme en parallèle, sans gêner la pêche.
Ahmed : Petrofac parle d’encourager des initiatives, des micro-projets, mais à condition que ces projets ne doivent pas être dans le secteur du tourisme, car la loi ne leur permet pas. On peut le comprendre car toute initiative, ou tout développement dans le secteur du tourisme sera contradictoire avec l’exploitation du pétrole. On a déjà un problème avec un projet depuis la fin des années 90 sur la plage de Sidi Fenkhal. C’est un endroit magnifique et l’intention c’était qu’il devienne un projet touristique écologique loin de la pollution. Les rumeurs disent que le blocage, qui dure depuis 1998, est lié aux gisements de pétrole qui se trouveraient sur le site. Si des hôtels sont construits, qu’ils soient écologiques ou pas, on ne peut pas installer des gisements de pétrole au même endroit. C’est pourquoi on se trouve toujours bloqué à cause des décisions de ceux qui gouvernent. Va-t-on chercher à améliorer le tourisme ou bien investir dans le secteur du pétrole ? Parmi les revendications qui ont été formulées depuis 2011, après tout on fait partie de l’UDC mais on n’est pas sectoriels dans nos revendications, on cherche le profit des diplômés chômeurs dans le cadre d’une amélioration de tous les citoyens de l’île. On a toujours pensé que si leur intention c’est le développement de l’exploitation du gaz, pourquoi ne pas faire un centre de formation qui serait financé par les compagnies ? Comme ça on aura une main d’œuvre qualifiée qui pourra répondre aux besoins d’ouvriers et de cadres.
Dans son rapport d’activité de 2015, Petrofac prétend embaucher 57% des habitants de l’île.
Ahmed : Au maximum 25 a 28 personnes travaillent directement à PETROFAC et une centaine travaillent dans la société de sous-traitance de surveillance.
Karim : Ça ne fait pas 57%.
Après, ce qu’ils revendiquent, c’est que l’activité économique de l’île est liée à leur présence, c’est ça qu’ils affirment.
Ahmed : Bon, déjà, la meilleure réponse c’est que depuis le mois de janvier, PETROFAC est bloqué, depuis 7 mois pratiquement, mais on n’a pas faim, on vit toujours. La seule chose qui manque, c’est le poisson, les volumes de pêche ont gravement diminué. C’est PETROFAC qui nous salarie, moi et Karim, dans le cadre de notre travail pour les institutions. Nous n’avons pas eu nos salaires depuis le mois de décembre, et pourtant on vit. Même les travailleurs qui sont dans la société de surveillance, ils étaient pêcheurs avant de faire ce boulot à partir de 2007, et même en travaillant pour la société de surveillance, ils travaillent 3 semaines avec un repos d’une semaine. Cette semaine là, ils pêchent. Ils ne vivent pas avec leurs 600 dinars2. Les Kerkenniens sont en rapport avec la pêche, ils sont préoccupés par sa baisse.
A quoi cela est dû ?
Ahmed : Essentiellement à la pêche au chalut qui endommage abusivement les abris des poissons, les œufs car ils pêchent pendant les 12 mois de l’année avec cette méthode. Il y a d’autres méthodes qui ont été créées, surtout pour la pêche au poulpe qui endommage la richesse en poulpe, et Kerkennah est connue pour la qualité de ses poulpes. Ce sont les raisons principales de cette diminution. En deuxième lieu, on peut parler de la pollution à cause des fuites de pétrole, ça a surtout été le cas avec TPS. Cela influence la quantité de poissons.
Petrofac a eu des fuites aussi ?
Ahmed : Petrofac travaille sur terre et pas dans la mer. La seule chose qui le relie à la mer, c’est le pipe-line qui va à Sfax et transporte du gaz. Et le condensat est transporté par camions. On a jamais entendu parler de fuite de gaz, mais ce n’est pas pareil, ils peuvent la récupérer sans que personne ne le sache.
Par contre TPS a eu des fuites.
Ahmed : TPS, la dernière fuite c’était au mois de février 2016. Je me rappelle qu’en novembre 2009, il y a eu une grande fuite. Quotidiennement il y a des petites fuites qui sont liées à l’état de l’infrastructure. Tous les 5 ans les pipe-lines doivent être changés, mais puisqu’il n’y a pas de contrôle, et puisqu’il y a de la corruption entre les sociétés de pétrole et l’ETAP, il n’y a pas de maintenance qui est faite. Parce que ça coûte cher cette maintenance et le seul intérêt de ces sociétés de pétrole c’est le profit. Ils veulent faire des bénéfices sans se soucier des dégâts qu’ils peuvent occasionner, la pollution qui a un impact sur la pêche. Et la pêche sera toujours le premier secteur auquel resteront attachés les Kerkenniens.
Nous publions cet article proposé par Virginia (Infoaut.org) Elie Octave (Groupe Afrique de la CNT) sur des luttes en cours en Tunisie. Nous les remercions pour cette proposition. Une version traduite en italien est en ligne sur le site infoaut.org.
Virginia (Infoaut.org)
Elie Octave (Groupe Afrique de la CNT)
2 mai 2017
Signé jeudi 4 mai par la Russie, l’Iran et la Turquie, le texte n’a été validé ni par le régime syrien ni par l’opposition.
Le quatrième round de pourparlers à Astana s’est conclu, jeudi 4 mai, par un accord entre la Russie et l’Iran, alliés de Bachar Al-Assad d’un côté, et la Turquie, soutien des rebelles syriens de l’autre, pour la création de quatre « zones de désescalade en Syrie » en vue de parvenir, annoncent les chefs des délégations des trois pays parrainant les pourparlers, à une trêve durable.
Les pays garants doivent désormais définir avant le 4 juin les contours de ces zones, qui seront instaurées avec une validité initiale de six mois, avec possibilité de prolongation.
Ni les émissaires du régime syrien ni ceux des rebelles n’étaient invités à signer ce texte. L’accord d’Astana avalise ainsi le fait que le futur immédiat de la Syrie dépend désormais de la capacité à s’entendre des seuls parrains étrangers des belligérants syriens sur le terrain.
Le terme, flou, de « zones de désescalade », désignées également comme des « zones de sécurité », s’approche de l’idée de zones tampon séparées du reste du territoire par des postes de surveillance contrôlés par les pays« garants ». Des « forces tierces » pourraient être déployées après « consensus » entre la Russie, la Turquie et l’Iran. Sans que l’on sache pour l’instant si le terme désigne d’autres pays ou, plus vraisemblablement, les forces du régime syrien dans le cadre de patrouilles mixtes.
Seraient concernées la province d’Idlib (nord-ouest) et des zones des provinces limitrophes de Lattaquié, Hama et Alep, des zones dans le nord de la province de Homs (centre du pays), la Ghouta orientale à l’est de Damas et un territoire englobant une partie des provinces de Deraa et de Kuneitra dans le sud du pays. Soit les réduits contrôlés par la rébellion.
Dans ces territoires, « les hostilités entre les parties en conflit [le gouvernement syrien et les groupes armés de l’opposition qui ont signé ou vont signer le cessez-le-feu] doivent cesser, tout comme l’emploi de tout type d’armes, y compris de moyens aériens », affirme le mémorandum, qui précise toutefois que les « pays garants doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour continuer de combattre “Daech” [acronyme arabe de l’organisation Etat islamique], “Al Nosra” [aujourd’hui Front Fatah Al-Cham] et tous les individus, groupes ou entités associées à Al-Qaida ou Daech à l’intérieur comme à l’extérieur de ces régions ».
La lutte contre le Front Fatah Al-Cham, ancienne branche d’Al-Qaida en Syrie, se poursuivra. Et avec elle le risque de représailles que pourraient mener les djihadistes contre des groupes de l’opposition déjà affaiblis qui s’associeraient à ce processus.
Les représentants de l’opposition armée ont eux dénoncé, vendredi 5 mai, un « marché de dupes ». Si la création de zones de sécurité est une demande de longue date de l’opposition, celle-ci dénonce la présence de l’Iran en tant que « garant » de l’application de cet accord et exige toujours le retrait des forces de Téhéran et de ses alliés chiites du pays.
« Les Iraniens tentent de se présenter et d’agir en tant que garants. C’est quelque chose que nous ne pouvons accepter. Depuis le premier jour, ils tuent des civils sur le terrain », dénonçait jeudi Yasser Abdul Rahim, un membre de la délégation de l’opposition armée, qui a spectaculairement claqué la porte des négociations devant les caméras.
« Nous voulons des garanties sur l’intégrité territoriale de la Syrie », a ajouté Ossama Abou Ossama Abou Zaid, un des porte-parole de la délégation rebelle, qui critique aussi tout accord dont l’Iran serait le garant et a dénoncé « le gouffre entre les promesses et les actes de la Russie ».
Les rebelles syriens accusent l’aviation russe et Damas de ne pas respecter la trêve théoriquement entrée en vigueur après la chute d’Alep, en décembre 2016. Depuis, les bombardements, loin de cesser, se sont mêmes intensifiés, notamment dans la province d’Idlib, où le régime a fait usage d’armes chimiques le 4 avril, entraînant une frappe américaine contre une base aérienne du régime deux jours plus tard.
Les Etats-Unis, pays observateur dans les négociations d’Astana, ont d’ailleurs salué avec grande prudence cet accord : « Nous continuons à avoir des préoccupations au sujet de l’implication de l’Iran comme un soi-disant garant. Les activités de l’Iran en Syrie n’ont fait que contribuer à la violence, et le soutien inconditionnel de l’Iran au régime a perpétué la souffrance des Syriens », a réagi le département d’Etat.
Comme en écho à cette posture circonspecte, Moscou a annoncé vendredi que les avions de la coalition internationale menée par les Etats-Unis pour combattre l’EI ne pourront pas opérer au sein des « zones de désescalade ».« Les opérations de l’aviation dans les zones de désescalade, en particulier celles des forces de la coalition internationale, ne sont absolument pas prévues. Qu’il y ait avertissement en avance ou non. Cette question est close », a déclaré Alexandre Lavrentiev, l’envoyé spécial du président russe, Vladimir Poutine, pour la Syrie.
Lancés le 23 janvier sous le triple parrainage de la Russie, de la Turquie et de l’Iran, les pourparlers d’Astana ont couronné un succès diplomatique obtenu par le Kremlin avec le soutien, par le Conseil de sécurité de l’ONU, le 31 décembre 2016, à l’accord russo-turc pour un cessez-le-feu et des négociations en Syrie. Les quinze membres avaient alors voté à l’unanimité la résolution 2336 présentée par Moscou et Ankara.
S’ils appuient ces tentatives d’établir un cessez-le-feu et les voient comme un complément des négociations politiques de Genève (sous l’égide de l’ONU), les Occidentaux, comme les capitales arabes sunnites aujourd’hui marginalisées, insistent sur leur côté « technique » et la nécessité d’en revenir à la résolution 2254. Votée en décembre 2015, à un moment où la Russie et les Etats-Unis s’étaient accordés sur un texte, cette résolution établissait une feuille de route détaillée de sortie de crise. Celle-ci prévoyait l’instauration d’un cessez-le-feu, l’ouverture de négociations pour une transition politique, l’élaboration d’une nouvelle Constitution et des élections générales.
« Nous continuons à soutenir fermement le processus dirigé par l’ONU à Genève, sous la direction de Staffan de Mistura, comme le cadre des efforts internationaux pour parvenir à un règlement négocié », a rappelé le 5 mai le département d’Etat américain.
« La France appelle à une reprise des négociations politiques à Genève entre le régime et l’opposition sous l’égide des Nations unies. Seule une authentique transition politique, conforme à la résolution 2254, permettra de mettre un terme à la crise syrienne et de vaincre le terrorisme », a indiqué de son côté Paris, en référence aux négociations de Genève sur la Syrie, aujourd’hui à l’agonie.
Le dernier cycle de ces négociations, qui devait « se concentrer sur la transition politique, sur la gouvernance et sur les principes constitutionnels », a été reporté sine die à la suite de la décision prise par les représentants de l’opposition syrienne d’y mettre un terme après des raids aériens gouvernementaux contre des marchés de la province d’Idlib, mi-avril.
« Nous respecterons l’accord [d’Astana], mais nous continuerons à combattre le terrorisme là où il existe », a annoncé pour sa part le gouvernement syrien, qui n’a jamais cessé de qualifier de « terroriste »l’ensemble des groupes de l’opposition ni fait mystère de sa volonté de « reconquérir » l’ensemble du pays.
La position de Damas est comme une piqûre de rappel : les précédentes tentatives de cessez-le-feu se sont jusqu’ici toutes soldées par un échec.
LE MONDE | 05.05.2017 Madjid Zerrouky
Souria Houria 7 mai 2017
Le 22 avril dernier, 47 des 54 membres du Conseil économique et social de l’ONU ont approuvé l’entrée de l’Arabie saoudite au sein de la Commission de la condition des femmes des Nations unies.
Le vote s’est fait à bulletin secret, mais plusieurs pays européen dont la Belgique ont voté pour.
En Arabie saoudite, les femmes, privées de toute liberté, sont traitées comme des mineures à vie. Elles doivent avoir la permission d’un mâle de la famille pour ouvrir un compte en banque, détenir un passeport, sortir du domicile ou se soigner. Cette monarchie intégriste d’un autre âge va pouvoir participer à partir de 2018 à un organisme censé promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomie des femmes.
Immédiatement, des femmes d’Arabie saoudite, en lutte contre la dictature quotidienne, ont dénoncé cette décision qui va conforter ce régime patriarcal où la misogynie a force de loi.
Par cette nouvelle insulte pour la moitié de l’humanité, la décision de l’ONU démontre une fois de plus toute l’hypocrisie de cette institution. Elle a toujours servi de feuille de vigne aux grandes puissances, justifiant leurs rapines au nom de grandes déclarations sur les droits de l’homme. En montrant tout son mépris pour les droits humains les plus élémentaires, l’ONU en fait une nouvelle fois la démonstration.
Professeur à l’Université Sorbonne Nouvelle III, Catherine Brun, dont les travaux se situent au confluent de la littérature, de l’histoire et de la politique n’en est pas à son coup d’essai.
Après avoir publié « Engagements et déchirements » en 2012 aux éditions Imec/Gallimard, « L’Algérie d’une guerre à l’autre » et « La Guerre d’Algérie, les mots pour la dire » (CNRS éditions), Catherine Brun a co-dirigé avec Todd Shepard, professeur associé à l’Université Johns Hopkins de Baltimore, auteur de plusieurs ouvrages sur l’Algérie, dont «Comment l’indépendance algérienne a transformé la France» (éd Payot), «Le Sexe outragé», un ensemble d’études et d’essais sur les violences sexuelles pendant la guerre et leurs représentations, paru aux CNRS éditions.
Reporters : Qu’est-ce qui vous a conduit à vous pencher sur la question des représentations sexuelles pendant « la guerre d’Algérie » ou « la guerre de libération nationale » comme la nomment les Algériens ?
Catherine Brun : Les raisons sont multiples. D’abord, bien entendu, le hiatus entre l’ampleur des exactions sexuelles exercées pendant le conflit et le peu d’études portant sur ces questions, si l’on excepte les travaux de l’historienne Raphaëlle Branche sur les viols. Des forçages, émasculations, exacerbations viriles, tortures ciblées, outrages sexuels des cadavres, commerces des corps, féminisations de l’ennemi, on trouve surtout mention et trace dans les témoignages et romans qui évoquent la période, que ces récits en aient été contemporains ou qu’ils aient été conçus après coup. La conviction, ensuite, que ces traumas et représentations, que l’on pourrait croire périmés parce qu’anciens, continuent de peser sur nos sociétés et sur les imaginaires communautaires et nationaux, car les outrages sexuels n’ont pas valu seulement comme armes de guerre : ils ont porté le trouble dans le(s) genre(s). La certitude, enfin, qu’il faut les interroger et les faire parler au croisement des disciplines, entre histoire, psychanalyse, littérature, anthropologie.
Vous écrivez : « Les représentations sexuelles obsèdent les discours et les figurations » pendant cette guerre, ça mérite un commentaire…
En effet. Il est frappant de constater que la presque totalité des œuvres artistiques, qu’elles soient picturales ou littéraires, des récits et témoignages, mais aussi des discours médiatiques témoignent de la sexualisation du conflit. Les scènes, les discours, parfois même les ellipses rendent manifestes non seulement l’instrumentalisation des sexes, mais leur transformation en champ de bataille. L’oubli et le refoulement ne relèvent pas seulement d’un réflexe, culturel, de pudeur, mais d’une volonté politique de censure d’épisodes anti-héroïques. Il faut donc revenir à la source pour prendre conscience de cette prégnance – d’où le parti d’insérer dans l’ouvrage des extraits de romans et de récits (je pense par exemple au Journal de Feraoun, mais aussi bien aux romans d’Assia Djebar ou de René-Nicolas Ehni). Mais nous aurions aussi bien pu citer (certaines des études de l’ouvrage le font, qui évoquent des affaires médiatiques et des rumeurs) des extraits de presse, qui sexualisent avec insistance le conflit, prêtant aux militants indépendantistes des mœurs dissolues, ou regardant les activistes d’extrême-droite comme des invertis.
Dans l’imaginaire colonial, le colonisé, dit-on, est assimilé à une « femelle qui aspire à être possédée ». Comment expliquez-vous la permanence de cette représentation. Pourquoi est-il impératif de la déconstruire ?
Ne pas demeurer sous l’emprise de représentations fausses et fabriquées est un objectif politique de première importance, a fortiori pour toutes les postcolonies. Il s’agit de débusquer ces artefacts idéologiques, appelés abusivement « sens commun ». Aux colonisés, l’on a aussi bien prêté une sexualité hors normes et des besoins délibérément effrayants qu’une posture, prétendument féminine, de soumission. Dans un roman intitulé « Lucien chez les barbares », Claude Bonjean imagine ainsi, comme le rappelle Philip Dine dans l’ouvrage, une riposte : faire de la révolution nationale une victoire de la puissance mâle sur la grande ville coloniale femelle. Il est ainsi frappant de constater que si les catégorisations sont politiquement réversibles (les puissants d’hier devenant les impuissants d’aujourd’hui), l’identification demeure de la puissance à la force mâle et de l’impuissance à la femelle. Raison supplémentaire d’en appeler à la défaite des stéréotypes…
Étant donné la chape de plomb qui s’est abattue en France sur la guerre, peut-on dire que les violences notamment sexuelles ont atteint un degré de violence telle qu’elles ont pu relever de l’indicible ?
Que les violences, notamment sexuelles, aient été nombreuses et exacerbées, est indiscutable ; qu’elles n’aient guère été prises en considération politique l’est aussi ; qu’elles aient même été tues, en France comme en Algérie, l’est également. Je préfère toutefois ne pas utiliser le terme « indicible ». Car des tentatives de dire et de dénoncer ont bel et bien existé, et ce, dès le moment des faits. Je pense notamment au recueil « Des rappelés témoignent », publié par le comité chrétien Résistance spirituelle en 1957 ou au très célèbre témoignage de Djamila Boupacha, assistée de Gisèle Halimi et Simone de Beauvoir, en 1962.
Bien que certains historiens « n’ignorent pas l’existence de tels quolibets (homophobes), ils tendent à les vider de toute implication sexuelle », comment l’expliquer ?
Les implications politiques fortes des désignations et des anathèmes homophobes ont souvent été sous-estimées, comme s’il ne s’agissait que de gestes sans contenus. Je ne saurais apporter sur le sujet de réponse définitive. On pourrait voir dans cette minimisation une négligence d’hétérosexuel ; on pourrait aussi l’imputer à une erreur de jugement : ces stigmatisations importeraient d’autant moins qu’elles affectent toujours l’autre camp ; on pourrait enfin penser qu’une telle négligence évite de penser les similarités entre des féminisations symétriques, de part et d’autre de l’échiquier politique (la « tante », c’est tantôt le « para », tantôt le rebelle).
Au terme de cet ouvrage, qu’est-ce qui fait la singularité de votre propos et de celui des contributeurs ?
Cet ouvrage a, je crois, le mérite de se situer à la fois à la croisée des disciplines, comme je l’ai signalé, des discours (médiatiques, politiques, artistiques…) et des regards : y contribuent des universitaires et des auteurs des deux rives, et au-delà, puisque Todd Shepard, co-directeur de l’ouvrage, est états-unien. Surtout, il contribue à désessentialiser et à déculturaliser les violences sexuelles : ces violences ne sont ni le fait obligé des guerres, ni la signature de telle ou telle communauté. Elles sont inscrites dans un contexte historique et politique qui les impulse, les instrumentalise et qu’elles contribuent à transformer. L’ouvrage permet de réinscrire ces violences, réelles et symboliques, dans le temps long de la domination – une domination que notre postcolonialité commune n’a pas fini de devoir déconstruire.
Omar Merzoug, docteur en philosophie (Paris IV Sorbonne)
Le secrétaire général du Parti socialiste des travailleurs (PST), Mahmoud Rechidi, a appelé, hier, depuis Béjaïa, à constituer un «front social le plus large possible» afin de barrer la route aux partisans du « système ultralibéral et impérialiste » qui menace la cohésion sociale et la stabilité du pays.
Animant un meeting, hier après-midi, au Théâtre régional Abdelmalek-Bouguermouh de Béjaïa, M. Rechidi a estimé que son parti est en passe de livrer une bataille politique à un «régime dictatorial» qui favorise les partisans de la chkara et d’un « libéralisme désastreux». «Notre parti ne se fait aucune illusion sur les élections législatives du 4 mai prochain. Car, ce scrutin, à l’instar des autres, est loin d’être libre et transparent.
Pis encore, il n’apportera pas le changement tant attendu par les travailleurs et les masses populaires », a-t-il lancé devant une assistance visiblement acquise aux thèses du PST.
Afin d’étayer ses propos, l’orateur a mis en avant plusieurs arguments politiques, en s’interrogeant : «Comment croire en ces élections quand nos libertés démocratiques sont bâillonnées, quand l’autoritarisme et la répression sont érigés en mode de gouvernance et quand la corruption et le pouvoir de l’argent décident du résultat des élections ? »
Pour le premier responsable du PST, la politique « néolibérale » en vigueur en Algérie tue notre économie et offre aux firmes mondiales et impérialistes le contrôle de nos richesses minières.
Tout comme, elle appauvrit l’humanité, détruit la nature et empoisonne l’environnement, a-t-il ajouté. Poursuivant son réquisitoire contre les politiques d’austérité, M. Rechidi a sévèrement critiqué la politique menée ces dernières années par le gouvernement Sellal, à la lumière des deux dernières lois de finances (2016 et 2017), dont les conséquences sur le plan social s’avèrent «désastreuses».
Et pour contrecarrer cette politique «néolibérale», le PST prône «la défense du secteur public, la nationalisation et la relance économique », en proposant dans son programme électoral « la protection de notre patrimoine agricole et de son environnement », « la nationalisation des secteurs stratégiques (eau, gaz, pétrole, agriculture, ports, banques...)», «encouragement de la politique d’industrialisation basée sur le secteur étatique et créatrice d’emplois »...
Avant d’appeler toutes les forces de l’opposition à s’unir autour d’une «convergence démocratique, antilibérale et anti-impérialiste».
CHAFIK AÏT M’BAREK
Sur le site de Intymag, un webzine lancé en mars 2016 par un collectif de journalistes algériennes afin de rendre compte de la condition des femmes en Algérie et plus largement au Maghreb, Zoulikha se présente sobrement, économe de mots, elle qui pourtant les manie avec succès, à l'écrit ou en rimes slamantes.
La jeune femme vient de rejoindre, en février 2017, le magazine en ligne pour "apporter du réconfort, du courage et de la volonté [aux lectrices de Inty]. On partage un peu toutes et tous les mêmes peines. Je veux leur parler de mes peines pour qu’elles s’y reconnaissent. Je veux qu’elles aient foi en elles et qu’elles ne se limitent pas et qu’elles détachent leur envie des conventions sociales et autres. Je veux du courage et de l’investissement pour toutes. Je veux leur montrer qu’elles peuvent faire autant que moi j’ai pu. Je veux leur ouvrir une brèche d’expression."
J'ai pour passion l'expression
Zoulikha Tahar, dite Toute Fine, slameuse
Zoulikha Tahar, de son nom de scène, Toute Fine, dit encore qu'elle est "doctorante en deuxième année, mécanique des matériaux." Qu'elle a 24 ans et "pour passion l’expression".
Toute Fine est sa voix, toute fine sa silhouette, toute fine sa délicatesse dans un tempo musical qui mêle Orient, Maghreb et Europe. Zoulikha slame la tête couverte d'un foulard coloré, loin des clichés, libre de toute entrave. La plateforme culturelle ONORIENT.com lui a consacré un long article biographique en janvier 2017 : "Elle refuse les clichés et les cases dans lesquels les gens aiment classer les autres. Ni revendication identitaire, ni symbole religieux proclamé, Toute Fine aime considérer le voile comme un medium d’expression, un message fort, une façon de jouer avec l’identité, les traditions, comme objet esthétique à part entière. En d’autres termes, elle a fait du voile une arme à son arsenal, une arme d’expression et de jeu. A contre-pied des clichés et des préjugés, elle reprend un vêtement devenu dominant dans l’espace public pour s’amuser et montrer sa singularité. Finalement, c’est un peu cela la démarche artistique de Toute Fine, prendre sa souffrance et les travers de sa société, pour en faire des armes douces et fines dirigées vers la société."
L'un de ses combats prioritaires, c'est de mettre le doigt sur la plaie ouverte du harcèlement de rue, fléau en Algérie aussi. Et d'ouvrir une brèche dans le patriarcat. Mais sans stigmatiser les hommes, parce que, dit-elle, "Le problème ce n'est pas l'homme mais la culture et l'éducation qu'on lui impose". Et de citer des proverbes algériens qui montrent l'enfermement dans lequel grandissent les filles, et en miroir les normes de virilité supérieure auxquelles doivent se plier les garçons.
Ces sujets, "une vue sur les jeunes Algériennes", ont pourtant fait défaut lors de la campagne électorale des législatives du 4 mai 2017 en Algérie. Pourtant, l’enjeu est d’importance. L’hebdomadaire Jeune Afrique nous apprend que si « en 2012, les députées algériennes étaient les championnes du Maghreb en nombre de sièges obtenus au Parlement, cinq ans plus tard, leur influence au sein de l'institution est contrecarée par le conservatisme grandissant de la société. (.../...) Avec 143 femmes élues sur un total de 474 sièges, les Algériennes ont, à l’époque, surclassé les Tunisiennes [et même les Françaises avec 26%] − qui se sont rattrapées en 2014 en s’octroyant 30,88% des sièges au Parlement − et carrément battu les Marocaines (17% des sièges en 2011, 21% en 2016). Mais c’est un pourcentage en trompe-l’œil, car beaucoup de partis politiques ne conçoivent la participation féminine que pour faire du « remplissage. »
Au delà de ce quasi universel plafond de verre, les droits des femmes se sont invités dans la campagne de façon tragiquement anecdotique. Avec la proposition d'un chef de gouvernement "inspiré" pour "inciter" les époux récalcitrants à aller voter, et des affiches électorales amputées des visages de candidates.
L'édition maghrébine du Huffington Post suit avec beaucoup d'attention la campagne électorale. Et voici que ses journalistes nous révèlent ce dérapage commis au plus haut niveau de l'Etat : "Dimanche 30 avril 2017 à Sétif, dernier jour de la campagne électorale des législatives du 4 mai, le Premier ministre Abdelmalek Sellal a refait des siennes en appelant les femmes à... battre leurs maris qui refusent d'aller voter. Blagueur comme à son habitude, M. Sellal a appelé à réveiller les maris tôt le 4 mai, à ne pas leur préparer de café et à les "traîner" aux bureaux de vote. "Et celui qui ne vote pas, frappez-le avec un bâton!", a conseillé le Premier ministre à une audience féminine présente lors d'un discours qu'il a prononcé à Sétif (ville de petite Kabylie à l'Est d'Alger où le 8 mai 1945 des manifestations autour de la fin de la seconde guerre mondiale furent réprimées dans le sang, point de départ de la guerre d'indépendance, ndlr)."
La chaîne de radio internationale RFI met au jour une autre particularité qui nous laisse pantoises : "Sur les affiches du Front des forces socialistes, un parti de gauche laïc, pour ses candidates femmes aux élections législatives, pas de photo, mais un dessin et un blanc à la place du visage. Relevé par la presse, l'affaire fait réagir le parti qui évoque une « initiative malencontreuse » et affirme se battre pour l'émancipation des femmes. La Haute autorité de surveillance des élections commence par demander le remplacement des affiches. Mais deux jours plus tard, le président de l'instance fait volte-face : « Ces partis ont bien le droit de ne mettre que le nom des candidates, réagit-il. Cela est lié à leur politique de la communication. Nous ne voulons pas porter atteinte aux mœurs et aux traditions algériennes. »"
Le collectif pour les Droits et la Dignité de la femme algérienne (CDDFA) avait réagi dès le 15 avril 2017 pour faire part de sa stupéfaction : "un phénomène inattendu et pour le moins consternant retient l’attention d’une bonne partie de la société civile, celui de présenter pour la première fois dans l’histoire de notre pays, des candidates appartenant à diverses formations politiques dans une posture des plus inquiétantes, à savoir "sans visages", complètement couvertes ou présentées de dos. Nous, les initiatrices du Manifeste pour l’intégrité et la dignité de la femme algérienne, regroupées en un Collectif portant le nom de CDDFA (Collectif pour les Droits et la Dignité de la femme algérienne), une fois de plus, nous nous indignons fortement des pratiques alarmantes et réductrices de l’image de la femme par des partis politiques candidats aux législatifs algériennes."
Cette année, sur plus de 11000 prétendants aux 462 postes de députés, 30% sont des femmes. On leur souhaite bon courage et bonne chance.