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Dette, austérité, Fmi - Page 2

  • Le FMI continue à imposer ses réformes catastrophiques au Maroc (CADTM)

    Une délégation du FMI a visité le Maroc entre le 16 novembre et le 1er décembre 2016 pour superviser l’application des recommandations qui ont conditionné l’octroi, en juillet 2016, de la ligne de précaution et de liquidité (LPL) |1|. Suite à cette visite, la mission du FMI a publié un communiqué de presse |2| avec des conclusions préliminaires.

    Le texte note que « le chômage, surtout celui des jeunes, reste élevé » et que la croissance de l’économie marocaine en 2016 a ralenti (croissance du PIB entre 1,5 et 2 % en 2016). Cette situation rend « nécessaire », selon le FMI, « l’accélération » des réformes structurelles. Parmi lesquelles :

    • 1- Améliorer le climat des affaires. Le FMI appelle à plus d’exonérations fiscales et plus de flexibilité du travail. À la suite d’une rencontre entre le FMI et la direction de l’Union marocaine du travail (UMT), principale centrale syndicale du pays, cette dernière a émis des réserves, à juste titre, concernant la flexibilité du travail : « Cette mesure justifiera tous les abus et, en premier lieu, les licenciements des travailleurs et la remise en cause de tous les droits et acquis » |3|.

    Mais le gouvernement est décidé à aller dans le sens du FMI. Un projet de loi sur le droit de grève a été présenté au conseil de gouvernement en juin 2016. Ce texte de loi signe la fin du droit de grève pour la classe ouvrière. Pour le FMI, attirer les investisseurs passe par une accentuation de l’exploitation des travailleurs, donc geler les salaires, faciliter les licenciements et mettre fin au droit syndical. C’est-à-dire, garantir les profits pour les capitalistes en réduisant la part des salaires dans la valeur ajoutée globale.

    En ce qui concerne les incitations fiscales, le projet de la Loi des Finances de 2017 contient plusieurs dispositions en faveur des grands investisseurs, notamment les sociétés industrielles nouvellement créées qui bénéficieront d’une exonération d’impôt sur les bénéfices pour une durée de 5 ans, les sociétés de transport aérien qui bénéficieront d’une exonération de la Taxe sur la valeur ajoutée TVA, et les exploitations agricoles qui réalisent un chiffre d’affaires inférieur à 5 millions de DH qui seront totalement exonérées. Le montant des dérogations fiscales, appelées « dépenses fiscales » dans la loi des finances parce que leur effet sur le budget de l’État est comparable à celui des dépenses publiques, reste important et avoisine 33 milliards de dirhams |4| en 2016.

    • 2- Réduire la dépense publique. La mission du FMI a salué la dernière « réforme du régime des retraites » ainsi que « les améliorations dans les finances publiques contenues dans la loi des finances de 2017 ». Il s’agit en fait de mesures qui visent à baisser les dépenses du personnel de l’État par la réduction des dépenses de retraite, le non-remplacement des fonctionnaires partant à la retraite, en plus de l’accentuation de l’exploitation des fonctionnaires et la généralisation des contrats à durée déterminée (CDD).

    La santé et l’éducation ne seront plus reconnues comme droits fondamentaux, leur financement ne sera plus garanti par le budget public

    • 3- Ouvrir davantage les services publics à l’investissement capitaliste. Le FMI a réaffirmé son soutien « pour l’investissement dans les infrastructures de base, la santé, l’éducation et la protection sociale ». Le FMI fait même de « l’amélioration de la qualité du système éducatif » une « priorité ». Un système qui devrait répondre aux besoins de l’entreprise et du « marché de l’emploi ». C’est à ce niveau que se situe l’offensive actuelle contre l’enseignement public. La santé et l’éducation ne seront plus reconnues comme droits fondamentaux, leur financement ne sera plus garanti par le budget public et leur contenu sera lié à l’esprit d’entreprise basé sur le profit. Le retrait de l’État de ces deux secteurs se fera au profit de l’investissement privé par des contrats de partenariat public-privé (PPP) et des exonérations fiscales.
    • 4- Poursuivre la libéralisation du secteur financier et du régime de change. « Nous soutenons l’intention des autorités marocaines d’entamer une transition graduelle vers un régime de taux de change plus flexible et un cadre de ciblage d’inflation. Un tel régime favorisera l’intégration à l’économie mondiale en préservant la compétitivité et en renforçant la capacité d’absorption des chocs extérieurs. Nous continuons de travailler avec les autorités pour la finalisation de leur feuille de route pour cette transition », peut-on lire dans le communiqué du FMI. Le changement du régime du taux de change est une mesure aux implications dangereuses, dont les conséquences sur les salariés et les classes populaires doivent être réfléchies. Un régime de change flexible signifie de mettre le prix de la monnaie sur le marché de l’offre et la demande, pour « attirer les investisseurs », répète le FMI. Or cette flexibilité du taux de change appliquée dans plusieurs pays a entrainé la hausse de l’inflation, la stagnation ou même la baisse du PIB et, par la suite, l’envolée des prix des produits et services et la destruction du pouvoir d’achat de larges pans de la population aux revenus limités. Cette libéralisation de taux de change s’accompagne des accords de libre-échange qui ouvrent nos frontières aux produits étrangers subventionnés qui détruisent la production locale, élargissent le chômage et permettent le rapatriement des bénéfices. Le FMI recommande « l’adoption rapide de la nouvelle loi portant sur les statuts de la banque centrale, qui renforcera son indépendance et son rôle en matière de stabilité financière ». Cette loi attribue à celle-ci une autonomie totale qui lui permettra de définir l’objectif de stabilité des prix, mais également de conduire la politique monétaire en toute indépendance. Ce texte réduit au maximum les prérogatives du gouvernement sur la banque centrale, mais pas celles du FMI qui a écrit les grandes lignes de cette réforme.

    Notre dépendance vis-à-vis du FMI s’approfondit. Cette institution, avec la Banque mondiale, l’Organisation mondiale du commerce et les gouvernements des pays impérialistes, nous dictent notre conduite économique. Leurs politiques garantissent les intérêts et les profits des multinationales et du grand capital au Maroc dans un contexte de crise du capitalisme international, au détriment des salariés, des petits producteurs et des classes populaires. Leurs recommandations visent aussi à maintenir le remboursement régulier du service de la dette publique. D’ailleurs, le FMI a recommandé de baisser la dette publique afin « d’accroitre les marges de manœuvre budgétaires », sans pour autant montrer comment atteindre cet objectif. Pourtant, le FMI se veut rassurant en affirmant que « la dette marocaine est soutenable » |5|.

    En réalité, le FMI omet de signaler que le coût de la dette est supporté par les classes populaires, alors que les grandes fortunes s’enrichissent de ces prêts, surtout que la dette publique intérieure représente 63 % de l’encours total de la dette en 2015 (509 milliards de dirhams). Autre fait à noter, la dette publique connait une tendance haussière depuis des années, surtout avec la crise de notre économie dépendante des puissances occidentales en crise elles aussi, notamment les grands pays de l’Union européenne. Le FMI lui-même met en garde dans son communiqué contre les risques liés « aux évolutions dans les économies développées et les pays émergents, ainsi que les prix de l’énergie et les tensions géopolitiques dans la région et les bouleversements du marché financier international ». À ces facteurs d’instabilité externe s’ajoute des facteurs internes : « la hausse des importations des produits d’équipement, des produits alimentaires et la baisse des cours du phosphate ». Les besoins du budget de l’État en financements sous forme de prêts ne feront donc que croitre les prochaines années.

    Les politiques libérales imposées par le FMI dans les pays dépendants comme le Maroc sont parmi les raisons de notre sous-développement et de la perte de notre souveraineté alimentaire, économique, commerciale et politique. Le parlement en place qui ratifie ces choix ne représente pas la volonté populaire. Les luttes menées actuellement par différentes couches sociales et notamment les jeunes répondent à la destruction des droits et des acquis sociaux et démocratiques dans notre pays. Cet état de crise chronique nourrit la nature despotique du régime passée sous silence par le FMI. Cette institution a une longue expérience dans la collaboration avec des régimes despotiques contre les peuples. Toute sortie de crise aura à passer par une organisation des luttes et leur unification pour répondre à cette offensive tous azimuts du régime et rompre avec la servitude vis à vis du FMI et de tous les centres de décisions impérialistes.

    12 février par Omar Aziki

    Source http://attacmaroc.org/

    Notes:

    |1| Communiqué d’ATTAC/CADTM Maroc, Seconde Ligne de précaution et de liquidité du FMI, Le gouvernement hypothèque la souveraineté du Maroc, 15 aout 2014.

    |2| FMI, Communiqué Les services du FMI concluent les discussions relatives aux consultations de 2016 au titre de l’article IV et à la première revue de l’accord, au titre de la ligne de précaution et de liquidité avec le Maroc, 1er décembre 2016.

    |3| Voir à ce sujet : L’UMT rejette les suggestions du FMI pour réformer le Code du travail, 30 novembre 2016

    |4| 3 milliards d’euros, environ.

    |5| Voir notre réponse à ce point, Omar Aziki, La dette publique marocaine est insoutenable, 11 aout 2015.

     
     
    Omar Aziki

    secrétaire général d’ATTAC/CADTM Maroc www.attacmaroc.org


  • Quand la France colonisait le Maroc par la dette (Orient 21)

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    Le rôle de la dette dans l’établissement du protectorat français au Maroc n’est plus à démontrer.

    Guy de Maupassant y fait même allusion vingt ans plus tôt dans son roman Bel-Ami (1885) ! Du milieu du XIXe siècle à 1912, le Maroc affronte en effet des difficultés financières croissantes. L’engrenage infernal de la dette qui lui fut fatal ne commence toutefois qu’au début du XXe siècle, avec l’emprunt de 1904.

    Les racines de l’endettement marocain vis-à-vis de la France menant à l’emprunt 1904 sont multiples. À long terme, la faiblesse des ressources de l’État sultanien réside dans la dichotomie entre l’espace où l’État exerce son autorité, le bled el-makhzen, et l’espace non soumis à l’autorité centrale, dissident, contestataire, le bled Siba. Ce véritable mode de régulation de l’empire chérifien1 entraîne un niveau élevé de dépenses militaires sans que la soumission des tribus ne soit définitivement acquise.

    À moyen terme, le Maroc souffre d’un déficit commercial devenu structurel depuis la fin des années 1870. L’exportation massive de capitaux qui en découle nourrit une crise monétaire sans fin appelant sans cesse des flux de capitaux entrants. Ce déficit commercial est la conséquence directe de l’ouverture commerciale du Maroc, entamée dès 1856 par le traité commercial signé avec le Royaume-Uni. L’expansion du droit de protection — l’exemption de toute taxe — dont bénéficient les Européens vampirise par ailleurs les ressources fiscales du Maroc tout en minant l’autorité du sultan.

    Enfin, un certain nombre d’événements politiques déclenchent la crise dans ce contexte d’affaiblissement structurel. En 1900, le régent Ahmed Ben Moussa dit Ba Ahmed décède et son neveu, le jeune Abdelaziz Ben Hassan (22 ans) accède au trône. Il devient alors le jouet d’influences étrangères. Ses dépenses somptuaires et extravagantes (chemin de fer dans son palais à Meknès, voitures, appareils photos en or massif…) encouragées par des missions européennes à sa cour creusent le déficit commercial, en plus d’accréditer les accusations d’impiété qui le visent. Plus grave encore, la réforme de l’impôt, le tertib, décidée en 1901 sous l’impulsion de l’envoyé britannique Arthur Nicholson désorganise le système fiscal : la suppression des anciens impôts islamiques et l’instauration d’un nouvel impôt basé sur la surface cultivée provoquent une levée de boucliers généralisée. Le sultan est dès lors brusquement dans l’impossibilité de percevoir tout impôt direct auprès de ses sujets.

    Le contexte européen est également crucial pour comprendre la gestation de cet emprunt. En France, le ministère des affaires étrangères cherche à assurer progressivement la prépondérance française au Maroc, en évitant de froisser ses concurrents à une époque d’intenses rivalités impériales. La doctrine de « pénétration pacifique » du ministre Théophile Delcassé le mène à placer ses espoirs dans l’arme financière. Méfiant à l’égard de la Banque de Paris et des Pays-Bas (Paribas), qui incarne la haute finance internationalisée, il soutient d’abord la petite société Gautsch du groupe industriel Schneider. C’est elle qui émet l’emprunt marocain de 1902 de 7,5 millions de francs. Elle ne détient toutefois pas suffisamment de capitaux pour se montrer à la hauteur des ambitions du Quai d’Orsay. Il doit alors traiter avec la banque Paribas, avec laquelle il ne parvient pas à s’accorder. Ces divergences menacent l’avance prise par les Français : en 1903, des emprunts anglais et espagnols subviennent aux besoins immédiats du sultan. Ce n’est qu’après l’Entente cordiale d’avril 19042 entre la France et le Royaume-Uni que l’emprunt peut être conclu, en juin 1904.

    Vers l’instauration du protectorat

    L’emprunt n’améliore pas la situation financière du Maroc, bien au contraire. Sur les 62,5 millions de francs prêtés au Maroc, le sultan n’en perçoit que 10,5 millions, le reste servant à rembourser des dettes précédentes et à couvrir les frais d’émission. Le Makhzen se retrouve à nouveau à court de liquidités avant même la fin de l’année. L’emprunt 1904 inaugure ainsi une décennie de détresse financière durant laquelle l’empire chérifien ne peut que contracter de nouvelles dettes pour rembourser les précédentes. En 1910, un nouvel emprunt de consolidation s’élevant à 101 millions de francs parachève l’asphyxie financière du Maroc.

    Malgré cet engrenage, l’étendue de l’endettement marocain calculé au regard des critères standards apparait étonnamment faible. La dette, mesurée selon l’indicateur le plus courant (dette publique/PIB, voir encadré) n’est que de 10 % en 1904, et s’élève à 35 % en 1912. La faiblesse de cet endettement révèle sa nature. Si le Maroc dans sa totalité produit suffisamment de richesses pour que le poids de la dette n’apparaisse pas écrasant, le pouvoir central n’y a en réalité pas accès. L’expansion européenne a de fait brisé le lien fiscal qui unit le Makhzen à sa population. À la suite de la désastreuse réforme fiscale de 1901, le sultan Abdelaziz accusé d’être à la solde des Européens affronte de surcroît une révolte généralisée. Il est finalement destitué en 1907 au profit de son frère Moulay Abdelhafid Al Hassan, qui ne pourra plus infléchir la situation. Entre 1903 et 1912, la dette représente en effet entre 10 et 16 années de recettes fiscales, tandis qu’en moyenne 40 % de ces recettes sont absorbées par le service de la dette chaque année.

    Un acteur majeur, la banque Paribas

    Mais la force de la dette en tant qu’instrument de conquête coloniale ne réside pas seulement dans sa nature financière. Car la dette est politique : elle implique la création d’institutions nécessaires à sa gestion qui empiètent nécessairement sur les fonctions étatiques. Dès la signature du contrat de l’emprunt 1904, une administration du contrôle de la dette est créée pour prélever les revenus douaniers nécessaires à son service. À la suite de celui de 1910, cette administration collecte la totalité des douanes et des taxes urbaines de Casablanca, en plus d’organiser la police et la sécurité à l’intérieur même du pays.

    Le contrat de l’emprunt 1904 prévoyait également une Banque d’État du Maroc (BEM) qui ne sera créée qu’en 1907, après la conférence d’Algésiras3 (1906). Si la BEM est gérée par les puissances occidentales signataires d’Algésiras, elle détient néanmoins les clés du système monétaire marocain : elle obtient le monopole d’émission de la monnaie, le statut de trésorier-payeur et un droit préférentiel pour l’émission des emprunts futurs.

    En 1912, un acteur économique est en position de force dans le Maroc nouvellement conquis : Paribas. La banque a de fait pris la tête du consortium bancaire émetteur des emprunts 1904 et 1910. À ce titre, Paribas dirige la BEM : son président à sa création, Léopold Renouard, n’est autre que le vice-président de Paribas. Dès 1912, Paribas est soucieuse de développer son activité au Maroc : à travers le consortium bancaire qu’elle pilote, elle fonde la Compagnie générale du Maroc (Génaroc), vaste conglomérat présent dans tous les domaines de l’économie marocaine. Un président de la BEM, Edmond Spitzer, résumait : « La Banque de Paris et des Pays-Bas est le chef de file indiscuté de tous les groupes intervenant au Maroc : en fait, elle contrôle la plupart des secteurs importants de l’économie en liaison avec notre Banque d’État, la Compagnie générale du Maroc et l’Omnium nord-africain »4.

    La dette, en tant qu’elle implique des transferts financiers réguliers, à long terme et formalisés par de nouvelles institutions, modifie durablement l’équilibre des pouvoirs au sein d’une économie. Le fait qu’elle ait joué un rôle majeur dans la colonisation du Maroc -– comme en Égypte ou en Tunisie -– a façonné l’économie du pays pendant sa période coloniale. Ainsi, si l’importance de Paribas dans l’économie coloniale marocaine est considérable, il est important de noter que le marché marocain est négligeable pour Paribas, qui opère dans le monde entier. L’intensité de cette asymétrie synthétise le déséquilibre de la relation coloniale.

    Adam Barbe

    1L’opposition entre le bled el-makhzen et le bled Siba ne doit pas être exagérée ni comprise comme dysfonctionnelle. La reconnaissance par le Makhzen d’un espace de dissidence en son sein est au contraire un fait structurant de la sociologie politique du Maroc au XIXe siècle. Voir Ben Mlih, Structures politiques du Maroc colonial (1990).

    2NDLR. Le Royaume-Uni et la France signent le 8 avril 1904 une série d’accords bilatéraux couramment désignée sous le nom d’«  Entente cordiale  » pour résoudre plusieurs différends coloniaux, notamment la reconnaissance de la domination britannique sur l’Égypte et du protectorat français sur le Maroc.

    3NDLR. La conférence d’Algésiras est une conférence internationale sur le Maroc qui se tient du 16 janvier au 7 avril 1906 sous l’égide des États-Unis, réunissant l’empire allemand et ses alliés, l’Autriche-Hongrie et le royaume d’Italie  ; la France, son allié l’empire russe, et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande  ; le royaume d’Espagne, celui du Portugal, ainsi que la Belgique, les Pays-Bas et la Suède. Ses conclusions placent le Maroc sous observation de ces grandes puissances, sous couvert de réforme, de modernité et d’internationalisation de l’économie marocaine.

    4Michel Poniatowski, Mémoires, éditions Plon/Le Rocher (Paris), 1997, p. 243.

    http://orientxxi.info/

  • Ce jour-là : le 29 décembre 1983 les émeutes du pain embrasent la Tunisie (Jeune Afrique)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Le Fond Monétaire International (FMI) souhaite depuis un certain temps remettre de l’ordre dans l’économie du pays, et propose un plan d’austérité.

    Le 29 décembre 1983, à la surprise générale des Tunisiens, le gouvernement du Premier ministre Mohamed Mzali réduit les subventions sur les produits céréaliers. 

    Résultat : le prix des aliments de base flambe. La baguette coûte désormais 90 millimes, au lieu de 50, et le prix de la semoule augmente de 70% !

    Dès cette annonce, les braises de la révolte se propagent, du sud au nord du pays. Le Sud, désertique, est la région des déshérités, des plus pauvres, mais le Nord lui aussi se lève et sort manifester sa colère dans la rue. C’est le début des émeutes du pain de 1983-1984.

    La plus grande révolte populaire depuis l’indépendance

    Douz, Kebili, Kasserine, Gafsa, puis El Hamma s’embrasent tour à tour. Les centres urbains se transforment en lieux d’émeute. Les manifestants − surtout des jeunes, des chômeurs et des paysans pauvres − inondent les rues pour crier leur rage. Ils brandissent une baguette ou du pain, tel un drapeau ou une pancarte de protestation.

    Face à ces manifestants, pacifiques, s’oppose une répression policière féroce. Les lacrymogènes brûlent les yeux, les coups de matraque pleuvent. Toutefois, ils n’arrêtent pas la colère des lycéens qui bientôt rejoignent la fronde. 

    Le vent de la révolte souffle fort et atteint Gabès – où une statue de Bourguiba est renversée – le 2 janvier 1984, puis c’est au tour de Sfax et de Monastir de s’enflammer.

    État d’urgence et intervention de l’armée

    Le 3 janvier, la révolte atteint son paroxysme lorsque la capitale Tunis se soulève également. Le président Habib Bourguiba décrète un couvre-feu et déclenche l’état d’urgence.

    Pour la troisième fois en 27 ans d’indépendance – après la grève générale du 26 janvier 1978 et l’insurrection armée de Gafsa le 26 janvier 1980 – l’État fait appel à l’armée, qui investit alors la capitale avec ses blindés.

    Les émeutes se poursuivent durant trois jours, dans un climat de guérilla urbaine. Une épaisse fumée noire recouvre plusieurs points de la capitale. Pillages de commerces, incendies de voitures, bâtiments publics investis, barricades dressées : la ville et, plus largement, le pays sont totalement paralysés.

    Devant cette fronde populaire, le président Bourguiba intervient le 6 janvier à la télévision nationale. Dans un bref discours, il annonce que « toutes les augmentations sont annulées » et termine son allocution par « Que Dieu bénisse le peuple tunisien ». La Chambre des députés confirme la décision du « Combattant suprême » et vote l’annulation immédiate des augmentations céréalières.

    Pour la première fois, le régime cède face à la gronde de la rue. L’annulation des augmentations est accueillie avec ferveur par la foule qui rend hommage à Bourguiba.

    Jeune Afrique dresse le bilan de 143 morts 

    Dans les jours qui suivent cette semaine d’émeute, à cheval sur 1983 et 1984, Jeune Afrique parvient à interviewer le Premier ministre, Mohamed Mzali.

    Dans le n°1201 de JA du 11 janvier 1984, le chef du gouvernement évoque 70 morts, plus de 400 blessés et environ 800 arrestations. Après enquête, Jeune Afrique annonce pour sa part environ 143 morts et plus d’un millier d’arrestations.

    Si le Premier ministre conserve son poste (jusqu’à son remplacement par Ben Ali en 1986), la semaine suivante Bourguiba renvoie son ministre de l’Intérieur Driss Guigah pour sa gestion des troubles.

    Pierre Houpert 29 décembre 2016  
     
  • Maroc, acquittement pour les deux inculpé.e du procès microcrédit à Ouarzazate (CADTM)

    Photos Souad Guennoun

    Depuis 2011, les femmes de la région de Ouarzazate mènent une longue lutte contre les organismes de microcrédit. Lutte inégale contre des organismes de microcrédit au-dessus des lois, défendus, soutenus par la Finance et la « société civile ». Par leur résistance, les femmes ont démontré que le système du microcrédit, censé lutter contre la pauvreté, enfonce encore plus les familles et surtout les femmes dans la spirale infernale de l’endettement, la misère, la criminalisation…

    Dans cette région du sud du Maroc, où les hommes émigrent pour travailler et subvenir aux besoins de leur famille, pendant que les femmes travaillent la terre, cultivent, font les tapis…
    La région de Ouarzazate a vécu autour du tourisme et du studio de cinéma, or avec la crise économique, les hôtels ferment, licenciements et chômage accompagnent les plans d’ajustement structurel et la destruction des secteurs sociaux de base. Ouarzazate est pleine de pauvres et de femmes… et les organismes de microcrédit se sont précipités pour endetter la population. La majorité des victimes sont des femmes. Elles ont commencé à se rassembler, parler et ont pris conscience que ces organismes de microcrédit les ont entraînées dans la spirale de la dépendance par l’endettement.

    Les femmes ont mené une longue lutte contre les rebondissements et retombées des nombreux procès judiciaires menés contre l’association de défense des victimes du microcrédit.

    Attac CADTM Maroc a soutenu ce mouvement et organisé plusieurs caravanes de solidarité nationales et appelé à une large solidarité, nationale et internationale contre la criminalisation de la lutte des victimes des microcrédits.

    En avril 2014 , la Caravane internationale de solidarité a parcouru la région de Ouarzazate en soutien au mouvement des femmes et à l’association.

    Après de nombreux procès, les deux représentants de leur mouvement, Amina Morad et Nasser Ismaïni, ont été acquittés en novembre 2016.

    Par leur lutte, les femmes de la région de Ouarzazate ont démontré comment, avec les organismes de microcrédit, la finance dépossède les pauvres pour s’enrichir de leur pauvreté.

    Et la lutte continue…

    4 décembre par Souad Guennoun

    Auteur.e

    Souad Guennoun

    Architecte et photographe renommée, vit à Casablanca. Elle témoigne depuis plusieurs années des crises sociales du Maroc d’aujourd’hui : émigration clandestine, enfants des rues, situation des femmes, luttes ouvrières, etc. Elle filme les luttes menées contre la concentration des richesses, les restructurations d’entreprises provoquées par le néo libéralisme, les choix du régime monarchique visant à soumettre la population aux exigences de la mondialisation financière. Elle est membre d’ATTAC-CADTM Maroc.

    http://www.cadtm.org/Acquittement-pour-les-deux-inculpe

  • Tunisie, la jeunesse conteste l’austérité et la corruption (Nawaat)


    Rassemblement des jeunes de l’UDC et de l’UGET devant le théâtre municipale. Mardi 29 novembre 2016

    Sur les marches du théâtre municipal, Salem Ayari, secrétaire général de l’Union des diplômés chômeurs, s’adressent aux manifestants encerclés par les agents de police « Nous continuerons à investir les rues et à contester jusqu’à ce que ce gouvernement de honte trouvera une autre réponse à nos demandes que celle de la répression ». Mounir Fallah, un des manifestants arrêtés, revient après sa libération pour soutenir ses camarades. « La police nous a dit qu’il est interdit de manifester ces deux jours pour ne pas perturber la conférence sur l’investissement » ironise-t-il avant de rappeler que manifester est un droit constitutionnel qu’aucune condition politique ni économique ne pouvait l’entraver. Mounir Fallah a été arrêté avec les trois discriminés politiques Zied Khaloufi, Abdelhak Kileni et Wafa Kherayfiya.

    L’accord du 18 janvier 2016 entre les discriminés politiques et le gouvernement engage ce dernier à recevoir les dossiers des victimes, enquêter sur le harcèlement policier et administratif dont ils ont été la cible, et l’insertion professionnelle comme dédommagement des années de répression. Après des mois d’attente et de promesses non-tenues, de rassemblements et de grèves de la faim, Mehdi Ben Gharbia, ministre chargé des Relations avec la société civile, avance la date du 15 novembre pour donner les résultats de l’enquête du ministère de l’Intérieur.

    Wael Nouar, président de l’Union générale des étudiants tunisiens et négociateur, précise que « les noms reconnus comme des discriminés ne dépassent pas les 195 alors que nous avons des preuves que la liste est encore longue. Le déni du ministère de l’Intérieur et la complicité du gouvernement ne mènera à rien. Si les négociations sont bloquées, la rue sera notre champ de bataille » promet Wael Nouar. Parmi les oubliés du ministère de l’Intérieur, d’anciens étudiants de l’UGET et des militants politiques reconnus par l’Instance vérité et dignité comme victimes de la répression tels que Abdelkarim Silliti et Lotfi Hammami, ex-prisonniers politiques ou Safa Mansouri, torturée sous la dictature dans les locaux du ministère de l’Intérieur.

    Le 22 novembre, les discriminés politiques, en colère, décident un sit-in au siège du ministère chargé des relations avec la société civile aux auberges du lac. Deux jours après, Mahdi Ben Gharbia refuse de les recevoir et les forces de l’ordre mettent fin au sit-in en utilisant la force. Le 24 novembre, ils manifestent à l’avenue Habib Bourguiba où ils ont étaient harcelés et agressés par la police.

  • Egypte. En 2011: «le pain, la liberté et la justice sociale». Cinq ans après, à nouveau… (Al'Encontre.ch)

    desperation-in-the-bread-line

    Par Noor El-Terk

    «C’est une mort lente.»

    Par ces mots, Soliman Bakar et sa femme résument la situation économique en Égypte, où les rapports montrent de plus en plus à quel point la situation est aujourd’hui désespérée, beaucoup sont incapables de s’offrir de la nourriture de base et ont du mal à joindre les deux bouts.

    Bakar, père de trois enfants, est un employé du gouvernement. Après sa journée de travail, il travaille comme chauffeur de taxi toute la nuit jusqu’au petit matin. «Je jongle avec deux emplois et ma femme travaille aussi, mais même avec les trois salaires, nous parvenons à peine à vivre.»

    «Les problèmes semblent sans fin, peu importe où vous regardez, vous êtes confronté à de plus en plus de difficultés. Le prix du gaz, l’électricité, l’eau, l’essence, tout a subitement augmenté. Maintenant que le prix de la nourriture a augmenté, la livre a également pris un coup. Le lait subventionné que nous avions pour nos enfants n’est plus disponible. Le prix des médicaments a quadruplé – et encore, quand vous parvenez à en trouver. Les pharmaciens nous disent soudainement qu’il y a une grave pénurie pour des milliers de médicaments, y compris les médicaments pour les insuffisances cardiaques et hépatiques. Nous mourons.»

    Avec sa plus jeune à l’école primaire, la plus grande crainte de Bakar est d’anéantir l’adoration innocente de sa fille. Elle croit encore en son père – son héros. «Je me sens impuissant», dit Solimon d’un air abattu. «Il n’y a rien qu’un père ne souhaite plus que d’être en mesure d’offrir le meilleur à ses enfants. Mais comment? Comment puis-je faire face à mes enfants?»

    Bakar n’est pas le seul à lutter. Ahmed, un avocat, analyse les dépenses mensuelles de sa famille pour illustrer la situation de plus en plus désespérée.

    «Donc, 1250 [livres égyptiennes] pour le loyer. L’électricité, le gaz et l’eau reviennent à 500. Les cours de mon frère cadet 1000 et la nourriture 2000… et cela ne comprend pas les dépenses personnelles et les transports.»

    Ses revenus? 1500 livres égyptiennes (LE) – près de trois fois plus que le seuil de pauvreté qui est fixé à 500 LE par mois, l’équivalent de 50 euros. «Je ne sais vraiment pas comment nous parvenons à vivre, ni comment nous parvenons à joindre les deux bouts. Comment survivons-nous? Honnêtement, je ne saurais le dire. Dieu seul le sait.»

    Alors que le taux d’Égyptiens vivant sous le seuil de pauvreté est de 28% selon les chiffres officiels, ce taux s’élève jusqu’à 60% en Haute-Égypte et semble augmenter.

    Jasmine Ali, mère célibataire, figure parmi les milliers d’Egyptiens vivant en dessous du seuil de pauvreté et estime qu’il est difficile, comme unique soutien de famille, de ne pas excéder ses moyens.

    «Comment peut-on attendre de quelqu’un gagnant 500 LE qu’il vive avec ses dépenses et trois enfants? Les dépenses liées à la maison, les frais de voyage, les études… Nous n’avons pas mangé de viande et de fruits depuis des mois et deux des garçons font des petits boulots pour payer leurs études.»

    «Les fruits? Les fruits sont un luxe. C’est de sucre, d’huile et de riz dont nous avons besoin, et même ces nécessités de base sont introuvables, et encore faut-il que vous puissiez vous le permettre. Et si vous avez assez de chance pour en trouver dans un magasin privé, ils refusent de vous vendre plus d’un kilo ou deux.»

    Le manque de viande abordable a conduit à l’escroquerie, avec un phénomène choquant de bouchers qui tentent de faire passer de la viande d’âne pour du bœuf. L’escroquerie et la corruption ne sont pas nouvelles en Egypte, ni la vente de viande d’âne, ce qui est toutefois nouveau, c’est l’assurance d’un certain nombre de «spécialistes» qui cherchent à rassurer l’opinion publique sur le fait que la viande d’âne est comestible sans danger.

    Hussein Mansour, chef de l’organisation de la sécurité alimentaire, une ramification du ministère de la Santé, a provoqué la controverse lorsqu’il a affirmé qu’il était pratiquement impossible de faire la différence entre les différents types de viande, qu’il s’agisse d’âne, de chat ou de chien, si celle-ci a été hachée. Lofty Shawer, un ancien employé du ministère de la Santé, a déclaré que la viande d’âne avait contribué à réduire un écart alimentaire au cours des dernières années.

    Scandales de sécurité alimentaire

    La sécurité et la qualité des aliments produits localement suscitent une inquiétude croissante. «De plus en plus, j’entends parler de gens intoxiqués par les fruits et légumes. Même lorsqu’on peut se le permettre, on ne sait pas s’il faut le risquer», explique Ali.

    L’enquête sur l’intoxication alimentaire qui s’est produite à l’école Awlad Nour à Manzala plus tôt ce mois-ci – 33 enfants de l’école primaire sont tombés malades après la vente de sacs de pop-corn périmé – a révélé que les dates sur les emballages avaient été changées par le propriétaire du supermarché.

    Cet incident n’est qu’un des nombreux incidents récents en matière de sécurité alimentaire. Plus tôt cette année, une épidémie d’hépatite A a éclaté – laquelle aurait été causée par des fraises produites en Égypte – ce qui a donné lieu au retrait de produits égyptiens des rayons de chaînes de supermarchés.

    Ahmed, l’avocat, a affirmé que beaucoup de produits locaux sont contaminés à cause de l’eau polluée qui est utilisée suite à une sécheresse provoquée par la construction du barrage géant en Ethiopie, lequel réduit le débit du Nil en Égypte. «En raison de la pénurie d’eau après [la construction du] Renaissance Dam, des sources alternatives ont dû être trouvées et les cultures ont été irriguées avec de l’eau recyclée venant du système d’égout.»

    «L’eau est toujours sale, sombre, parfois même brune. Les enfants sont constamment malades», indique Jasmine Ali.

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    Les inquiétudes concernant la sécurité alimentaire ne sont pas nouvelles.

    La Russie, l’un des plus grands fournisseurs de blé de l’Egypte, a déclaré qu’elle allait interdire l’importation de fruits et légumes égyptiens après que son organisme de surveillance réglementaire a déclaré que ces produits violaient les normes internationales. Cependant, à l’époque, les rumeurs prétendaient qu’il s’agissait de représailles à propos de la débâcle concernant le blé qui s’était produite plus tôt dans l’année, lorsque le ministère de l’Agriculture égyptien a rétabli sa tolérance zéro à l’égard de la contamination par des champignons du blé importé, rendant les achats de grains extrêmement difficiles.

    L’Égypte a tergiversé sur la réglementation relative à l’ergot [qui contamine le blé], un champignon qui touche les céréales, dans un contexte de débats quant à son caractère cancérogène. L’ergot peut provoquer des hallucinations s’il est consommé en grande quantité, mais est considéré comme inoffensif en faibles quantités. Plus tôt cette année, l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a mené une évaluation des risques et a constaté que l’ergot ne représentait aucune menace pour les cultures égyptiennes. Le ministère de l’Agriculture, cependant, a formé un comité pour enquêter sur les risques, lequel a conclu que le grain doit être importé de régions depuis lesquelles les précédentes expéditions ne contenaient pas d’ergot, comme la Russie, l’Ukraine, la Lettonie et la Lituanie.

    Comme la dispute sur la sécurité des céréales importées perdurait, les marchés mondiaux ont pris peur avec l’Egypte stipulant la tolérance zéro sur l’ergot, revenant sur sa décision précédente, puis en infirmant à nouveau sa décision avant un appel d’offres.

    Avec des estimations à 11,5 millions de tonnes par an, l’Egypte est actuellement le plus grand importateur de blé au monde, et le blé reste une question de vie et de mort pour les dizaines de millions de personnes qui dépendent du système vital de subvention du gouvernement. Des changements dans les conditions d’achat signifient des prix alimentaires encore plus élevés, bien loin des prétentions du gouvernement d’essayer de rendre les aliments plus abordables.

    L’approvisionnement en pain peu onéreux est essentiel à la survie du gouvernement égyptien et avoir du pain était le slogan de la révolution égyptienne en 2011. En 1977, une hausse du prix du pain a forcé le gouvernement à déployer des chars dans les rues pour réprimer les émeutes qui s’en sont suivies.

    «Le pain, la liberté et la justice sociale»

    C’est sur ces trois exigences, «le pain, la liberté et la justice sociale», que le gouvernement Moubarak semble s’être effondré en Egypte. Des milliers de personnes étaient descendues dans les rues en 2011 pour demander sa chute et la satisfaction de ces trois nécessités de base. Cinq ans plus tard, la liberté et la justice sociale s’érodent rapidement et les prix montent en flèche.

    Dans une vidéo choquante, filmée par des témoins sur leurs téléphones, un chauffeur de taxi – dont l’identité n’est pas encore connue – s’immole en face d’un centre de l’armée à Alexandrie, après avoir critiqué vivement le gouvernement du président Sissi et protesté contre les prix élevés et les conditions de vie médiocres. Au moment de la rédaction de cet article, il était soigné pour des brûlures sur 95% de son corps. Par cet acte, le chauffeur de taxi désespéré reflète celui du vendeur de rue tunisien qui s’est immolé il y a six ans, mettant le feu aux poudres de ce qu’on appelle aujourd’hui le Printemps arabe.

    La dévaluation de la livre affecte le prix du sucre et la spéculation limite sa disponibilité

    La dévaluation de la livre affecte le prix du sucre et la spéculation limite sa disponibilité

    «La situation économique a été mauvaise pendant un certain temps, mais elle empire à un rythme auquel peu de gens s’attendaient. Elle est sur le point d’entamer un virage plus net, tandis qu’on prévoit que le gouvernement supprime davantage de subventions – quelque chose de plutôt inévitable – et dévalue la livre égyptienne», explique le Dr H. A. Hellyer, chercheur non-résident à Atlantic Council et au Royal United Services Institute à Londres.

    «Tout cela est susceptible de conduire à une inflation et une hausse de prix – hélas, plutôt inévitable, mais cela frappera très durement les franges les plus vulnérables de la société», ajoute le Dr Hellyer.

    À mesure que la situation économique du pays se détériore, de plus en plus de gens expriment leurs préoccupations, avec un certain nombre de vidéos apparaissant sur les réseaux sociaux, tandis que les Egyptiens expriment leur frustration et leur désespoir par rapport à leurs conditions de vie.

    La réponse du gouvernement a consisté à offrir des platitudes vides de sens, conseillant aux gens de «se serrer la ceinture» et, peut-être le plus étrange, leur demander de faire don de leur petite monnaie à l’Egypte.

    Dissidence croissante

    «Certains des projets du gouvernement nous donnaient de l’espoir – que ce soit les projets de construction d’une nouvelle capitale ou le canal de Suez ou d’autres encore – et nous espérions que cela permettrait d’améliorer notre qualité de vie, mais ce que nous voyons à la place est un rapide déclin de l’économie», a déclaré Bakar. «Tout va de pire en pire, la livre égyptienne n’a plus aucune valeur, les jeunes sont massivement au chômage et encore plus choisissent de risquer leur vie pour émigrer illégalement. Ils ont choisi de risquer la mort ou d’être emprisonnés plutôt que de rester et faire face à une mort certaine.»

    Tandis que la foi dans le gouvernement diminue, les troubles dans les rues sont de plus en plus prononcés, avec des appels à une «révolution des pauvres» prévue pour le 11 novembre 2016.

    Malgré la répression par les forces de sécurité, Solimon est catégorique: il ira. «Je suis avec la “révolution des pauvres”. Combien de temps devrai-je rester là et accepter cette demi-vie? Je descendrai dans la rue, mais pensez-vous que quelqu’un va s’en soucier? Vais-je recevoir une tape réconfortante ou des balles qui finiront dans mon cœur? Cela n’a plus d’importance», a déclaré Bakar.

    Il a ajouté: «Les gens parlent. Surtout les jeunes, ils sont au chômage, ils ont obtenu leur diplôme et des licences et n’ont rien en retour, ils sont de plus en plus inquiets et frustrés. Les gens sont désespérés.»

    Dans un contexte de répression sans précédent de la dissidence, l’idée de descendre dans les rues semble audacieuse, sinon téméraire. Depuis l’adoption de la loi sur les manifestations, les agents de sécurité ont été prompts à démanteler, souvent avec une force brutale, toute forme de protestation naissante et il semble peu probable qu’une répétition des événements du 25 janvier 2011 qui ont renversé Moubarak puisse se produire.

    «L’Egypte n’est pas sur le point de tomber dans une sorte de chaos sociétal – la situation économique est difficilement tenable, mais le régime qui gouverne l’Egypte est sécurisé, car il n’existe pas d’alternative au régime actuel auquel les principaux détenteurs du pouvoir en Egypte s’intéressent», a ajouté le Dr Hellyer.

    «Tout peut arriver en Égypte et le 11 novembre est encore loin, alors les choses pourraient changer, mais je ne vois aucun signe, du moins pour l’instant, indiquant que le 11 novembre soit plus qu’un petit phénomène localisé, et encore.»

    (Article publié le 26 octobre 2016 par MEE; traduit de l’anglais par VECTranslation; titre de la rédaction A l’Encontre)

    Alencontre le 28 - octobre - 2016

    http://alencontre.org/

     

     

     

     
  • ATTAC CADTM MAROC organise un séminaire sur les accords de libre échange au Maroc le samedi 01 octobre Casablanca (CADTM)

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    ACCORDS DE LIBRE-ÉCHANGE, DES ACCORDS COLONIAUX CONTRE LES PEUPLES

    Le système de la dette et les accords de libre-échange constituent les leviers les plus puissants d’intégration à marche forcée des pays dans la mondialisation néolibérale, avec tout ce que cela comportent : mesures d’austérité, dérégulations, privatisations, développement du commerce extérieur et déconnexion de la production de la satisfaction des besoins locaux, pénétration des multinationales et dépendance des grands pôles de décision (États-Unis, UE, IFI…), au détriment de la démocratie et de la souveraineté des peuples. Les négociations de deux accords gigantesques, Transpacifique, TPP (déjà signé) et transatlantique, TAFTA (encore en cours de négociation) vont accélérer et approfondir ce processus qui va encore accroître le poids des pays industrialisés, - et notamment des États-Unis- pivot des deux accords, et le pouvoir des multinationales.

    Pour le Maroc l’ouverture de son économie à la concurrence internationale est présentée officiellement comme une « chance pour le Maroc d’intégrer la mondialisation et permettre aux entreprises marocaines d’accéder aux marchés à l’international ». Avec cette ambition, l’État marocain devient le « champion » régional du libre échange.

    Depuis 1996, il a signé des accords de libre-échange avec 56 pays, et notamment avec l’UE (1996) et les États-Unis (2004). Ces accords s’ajoutent aux règles de l’OMC déjà défavorables pour les pays du Sud. Actuellement, le Maroc est en négociation avec l’UE pour un nouvel accord intitulé Accord de libre échange complet et approfondi (ALECA). Des ALE sont également en préparation avec le Chili et le Canada. Ces trois cycles de négociations se déroulent dans la plus grande discrétion et à l’ombre des négociations entre les États-Unis et l’UE du Traité transatlantique. En Afrique, les APE et récemment l’Accord Tripartite de la Zone de Libre Échange (TFTA) constituent des instruments d’intégration du continent et l’accaparement de ses richesses par les anciennes puissances coloniales.

    Cette frénésie pour la signature d’accords de libre échange n’affecte donc pas que le Maroc et touche la plupart des pays du monde, dont les populations connaîtront les mêmes types d’impact sur leurs économies, leurs sociétés et leur environnement : déséquilibres extérieurs, érosion du tissu industriel, augmentation du chômage, dépendance alimentaire, accaparement et épuisement des terres, etc.

    Dans ce contexte, il est urgent de lever le silence qui entoure cette question dans notre pays et de présenter des éléments de réflexion critique et de débat sur ce sujet qui ne peut pas être traité indépendamment de l’impunité que ces accords donnent aux investisseurs et aux multinationales et du modèle économique qu’ils promeuvent, principal responsable de la crise économique, sociale et environnementale et du réchauffement climatique. Il est bien évident que cette question ne peut être pensée dans un cadre national étroit et que nous devons par conséquent nous appuyer sur l’important travail déjà réalisé dans d’autres pays du Nord et du Sud notamment par des organisations partenaires comme le réseau des Attac, le réseau CADTM, la MMF, Via Campesina ou encore la campagne européenne sur le TAFTA ou la Campagne Globale pour Démanteler le pouvoir des Multinationales et mettre fin à leur impunité.

    Tout ce travail n’aurait évidemment aucun sens s’il ne permettait pas de sensibiliser les organisations marocaines, telles que syndicats, organisations de droits humains, associations diverses, et au-delà les citoyens marocains afin qu’ils se mobilisent pour faire entendre leurs voix et faire valoir leurs points de vue.
                        
    Lors de ce séminaire international, nous tenterons d’établir les interconnexions existantes entre dette, libre échange, pouvoir des multinationales, crise économique, sociale et climatique et d’y intégrer l’approche féministe de la question. Un éclairage sera apporté sur les différents types d’accords multilatéraux en vigueur ou en cours de négociation (Transpacifique, Transatlantique, APE, ALECA) en montrant leur imbrication.
     Une présentation des campagnes en cours contre les Traités de libre échange dans différentes régions du monde permettra de montrer leur impact sur les populations, et notamment sur les femmes, les petits paysans, les peuples originaires, le prolétariat urbain…

    Lors de ce séminaire, le cas de la région de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient (MENA) fera l’objet d’une attention particulière. Comme le Maroc, le gouvernement tunisien a entamé des négociations avec le l’UE pour la signature d’un ALECA. Des négociations sont également déjà prévues avec l’Égypte et la Jordanie.

    In fine, l‘objectif est que ces regards croisés sur les ALE et les échanges sur les expériences de lutte nous permettent de renforcer nos campagnes locales contre les ALE et de tisser des liens entre mouvements sociaux dans les différents continents afin de renforcer ce combat aussi au niveau global.
    Participerons à ce séminaire des militantEs représentant des organisations de lutte en Afrique, Maghreb-Machrek, Amérique latine et Europe.

    Contacts :
    Omar Aziki  : +212 6 61 17 30 39
    Salah Lemaizi  : +212 6 69 50 35 60


    Auteur.e

    ATTAC/CADTM Maroc

    membre du réseau CADTM en bref : L’Association pour la Taxation des Transactions en Aide aux Citoyens au Maroc (ATTAC Maroc) a été créée en 2000. ATTAC Maroc est membre du réseau international du Comité pour l’annulation de la dette du tiers monde (CADTM) depuis 2006. Nous comptons 11 groupes locaux au Maroc. ATTAC veut être un réseau aidant à l’appropriation par les acteurs engagés dans l’activité sociale, associative, syndicale et plus largement militante des enjeux de la mondialisation sur les problématiques de résistance sociale et citoyenne.

    www.attacmaroc.org

    http://arabic.cadtm.org/

    http://www.cadtm.org/ATTAC-CADTM-MAROC-

  • Fête de l'Humanité (L'anti-k)

    front populaire de tunisie

     

    Audit de la dette tunisienne à la lumière d’autres expériences dans le monde

     

    Fête de l’Humanité :

    « Audit de la dette tunisienne à la lumière d’autres expériences dans le monde (Équateur, Grèce…)

    Débat avec notamment :

    Fathi Chamkhi (LGO-Front populaire) et RAID (Attac & Cadtm)

    Eric Toussaint (Cadtm)

    Dimanche 11 septembre à 14h30

    « Audit de la dette tunisienne à la lumière d’autres expériences dans le monde (Équateur, Grèce…) »

    Stand du Front Populaire de Tunisie

    (angle rue Germaine Tillon / rue Fatima Bedar)

     

    A l’initiative du groupe du Front Populaire à l’assemblée des représentants du peuple, un projet de loi relatif à l’audit de la dette publique a été déposé le 14 juin dernier par 73 députés.

    Le but de l’audit demandé étant d’étudier la dette tunisienne depuis 1986 afin d’en extraire la part odieuse et dispenser le peuple tunisien de son remboursement.

    Il s’agit d’une démarche parfaitement légitime qui ne fera que rendre justice aux Tunisien-ne-s qui n’ont pas bénéficié de cet argent, mais se trouvent aujourd’hui obligés de le payer alors que le pays traverse une crise sans précédent. Faut-il rappeler également qu’ils n’ont jamais été consultés pour donner leur avis sur les prêts contractés ?

    Aujourd’hui, la Tunisie continue à s’endetter et s’enfonce pour honorer le service de la dette qui occupe le premier poste budgétaire au détriment de l’éducation, la santé, le développement…

    Les dernières estimations sont alarmantes, elles évaluent la dette publique à 61 % du produit intérieur brut (PIB). Le budget de l’État pour 2017, qui serait aux alentours de 35 milliards de dinars, devrait recourir à un endettement record d’environ 13 milliards de dinars. C’est dire le niveau alarmant que représente le poids de la dette en Tunisie.

    Afin de débattre des enjeux que représente la dette pour la Tunisie, de vous présenter le projet de loi soutenu par le Front Populaire sur l’audit de la dette, mais aussi pour revenir sur les expériences d’audit de la dette publique en Équateur et en Grèce, le Front Populaire IDF vous invite à un débat :

    « Audit de la dette tunisienne à la lumière d’autres expériences dans le monde (Équateur, Grèce…) »

    Avec la participation de :


    Mongi Rahoui, député du Front Populaire: Etat des lieux et enjeux de la dette tunisienne
    Fathi Chamkhi, député du Front Populaire : Projet de loi du front Populaire sur l’audit de la dette
    Éric Toussaint |1|, porte-parole du CADTM international et est membre du Conseil scientifique d’ATTAC France : Audit de la dette, expériences de l’Équateur et de la Grèce.


    |1| Éric Toussaint a été coordonnateur de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015. Il a également été membre de la Commission d’audit intégral de la dette de l’Équateur (CAIC) mise en place en 2007.

    http://www.anti-k.org/event/audit-de-la-dette-tunisienne-a-la-lumiere-dautres-experiences-dans-le-monde

  • Le FMI vole au secours d’une Egypte plombée par les déficits (Anti-K)

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    Le Fonds monétaire international va prêter 12 milliards de dollars au Caire.

    Le Caire et le Fonds monétaire international (FMI) ont annoncé jeudi être parvenus à un « accord initial » pour un crédit de 12 milliards de dollars sur trois ans à l’Egypte. Une aide indispensable au vu du déficit budgétaire équivalent à 11 % du PIB et de celui de la balance des paiements, 7,5 % du PIB.

    Le chef de la mission du FMI, arrivée au Caire fin juillet, Chris Jarvis, a souligné que le programme avait pour objectif « d’améliorer le fonctionnement du marché des changes, augmenter les réserves de change, ramener l’inflation sous les 10 %, réduire le déficit budgétaire et relancer la croissance ». Le Caire table sur un total de 21 milliards de dollars avec l’apport de la Banque mondiale et de financiers non précisés.

    Le gouvernement s’est engagé en contrepartie à mener des réformes :

    introduction de la TVA, flexibilité du taux de change, modération des rémunérations dans la fonction publique pléthorique et suppression des subventions à la consommation d’énergie. Mais le FMI, qui doit encore valider l’accord dans les prochaines semaines, restera prudent en débloquant l’argent tranche par tranche. L’Egypte est déjà revenue deux fois depuis le printemps arabe en 2011 sur des accords avec le FMI, par nationalisme ou crainte d’agitation sociale. Mais, cette fois, Le Caire n’a plus le choix. Ses taux d’intérêt à 17 % sont punitifs, l’inflation à 14 % rogne le pouvoir d’achat de la plupart des 80 millions d’Egyptiens et le service de la dette publique absorbe le tiers des dépenses de l’Etat. La croissance est retombée à 3 % en 2015-2016, bien trop bas dans un pays en forte croissance démographique et où plus d’un jeune sur trois est au chômage.

    Un plan de réformes

    Le déficit des paiements (lire ci-dessous) met en outre la livre sous pression. Le gouverneur de la banque centrale, Tareq Amer, a reconnu que la défense du taux fixe de change de la livre était « une grave erreur » et l’a dévalué de 5 % en mars, à 8,8 pour 1 dollar. Sans vraiment rétablir la confiance, puisque la livre se négocie aujourd’hui à 12 dollars au marché noir. Les réserves de la banque centrale sont tombées à 15,5 milliards de dollars en juillet, juste assez pour financer trois mois d’importations, au plus bas depuis seize ans. En essayant de lutter contre le marché noir de devises, au prix de la fermeture récente de dizaines de bureaux de change le pratiquant, le gouvernement n’a réussi qu’à provoquer une pénurie de devises qui pénalise les importations de pièces détachées dont l’industrie locale a besoin. Une nouvelle dévaluation semble inévitable.

    Le président Al Sissi, ex-chef de la junte militaire, applique toutefois déjà une ébauche de plan de réformes. Medhat Nafei, professeur d’économie à l’université Misr International, souligne dans le journal « Al Monitor » qu’il s’est résolu à réduire les subventions aux carburants qui représentent encore un cinquième des dépenses publiques. Et le Parlement étudie depuis mi-juillet un projet de loi instaurant la TVA, dont on parle depuis des années. Le Caire compte aussi instaurer le guichet unique pour la création d’une entreprise, alors qu’il faut actuellement… 78 permis différents.

    YVES BOURDILLON

    http://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/0211199744599-le-fmi-vole-au-secours-dune-egypte-plombee-par-les-deficits-2020223.php?CJ8SjFhvSLr41dJU.99

  • Maroc: lettre ouverte en réponse aux contre-vérités sur la dette publique (Cadtm)

     

    À M. Abdelilah Benkirane, Chef du gouvernement du royaume du Maroc

    Objet : En réponse à vos contre-vérités sur la dette publique

    Monsieur le chef du gouvernement,

    J’ai écouté avec beaucoup d’intérêt votre réponse à la question relative « à la gestion de la politique publique dans le domaine de l’endettement extérieur et son impact sur l’investissement et les défis de la régionalisation » |1|, lors de la séance publique de la Chambre des conseillers (sénat) le 19 juillet 2016. Ce thème nous intéresse au plus haut point au sein de l’Association pour la taxation des transactions et en aide aux citoyens (ATTAC) au Maroc car nous sommes membre du Comité pour l’abolition des dettes illégitimes. Notre réseau international milite pour l’annulation immédiate et sans conditions des dettes illégitimes au Nord comme au Sud, ainsi que l’annulation des dettes odieuses et enfin le CADTM se fixe comme objectif l’abandon par les États des Programmes d’ajustement structurel (PAS).

    En premier lieu, je voudrais vous remercier pour votre franchise. C’est la première fois qu’un responsable gouvernemental reconnaît publiquement l’existence de conditionnalités fixées par le FMI au Maroc afin de bénéficier de prêts. Cet aveu confirme ce que nous ne cessons de dénoncer depuis des années, la perte de la souveraineté nationale. Votre déclaration à la 2e chambre du parlement marocain contredit les propos de votre ministre des Finances qui ne cesse d’assurer que le Maroc ne s’engage pas sur des conditionnalités auprès du FMI. Le gouverneur de Bank al-Maghrib, la banque centrale du Maroc, assure aussi qu’il « n’y a point de conditionnalités ». Ces deux responsables signent pourtant la lettre d’intention au nom du Maroc, destinée au FMI concernant la Ligne de précaution et de liquidité |2|.

    M. le chef du gouvernement,

    Votre réponse au sujet du jour a comporté beaucoup de contre-vérités enveloppées dans un discours démagogique. Malheureusement, à force de prêter l’oreille aux conseils du FMI, votre foi dans le capitalisme et ses piliers (les équilibres macro-économiques, le libre marché, le libre-échange, la privatisation des services publics) vous aveugle.

    Permettez-moi à ce propos de vous présenter quelques réponses différentes des vôtres au sujet de la dette publique marocaine. Ces réponses contrediront ce que vous avez l’habitude d’entendre chez les experts du FMI et des autres institutions financières internationales et même des experts du ministère des Finances.

    La dette est-elle un choix naturel ?

    « La trésorerie d’un État est comme celle d’une famille, ses dépenses dépassent toujours ses recettes. Donc, comme pour les familles, l’endettement de l’État n’est pas un problème ». C’est en ces termes simplistes que le chef du gouvernement s’est adressé aux Marocains pour les rassurer face à la hausse continue de la dette publique. Mettons de côté que la comparaison entre budget d’une famille et d’un État est complètement inopérante, mais prétendre que l’endettement privé ou public est tout à fait naturel est faire preuve soit de mauvaise foi soit d’une méconnaissance des bases de l’économie.

    Dans le contexte où un État ne garantit pas un revenu décent, des services publics et une protection sociale de qualité, les ménages marocains ont recours de manière massive à l’endettement. La dette privée finance l’accès aux services de base et même aux besoins vitaux des familles. L’usage des micro-crédits pour ce type de dépenses est la preuve vivante de cette situation d’endettement des ménages. Le cas de centaines de femmes marocaines au sud et à l’est du pays témoigne de cette situation.

    Pour sa part, la dette publique est un instrument utilisé par les créanciers pour faire main basse sur les ressources et peser sur les choix politiques et économiques des pays dans le cadre d’une nouvelle forme de colonialisme. Dans la majorité des pays du Sud, le remboursement des dettes dépasse de loin ce que dépensent ces pays pour la santé, l’éducation, le développement rural et la création d’emploi.

    À titre d’exemple, il est prévu que le service de la dette du trésor marocain en 2016 s’élève à 69 milliards de dirhams, soit 17% des dépenses du Budget général de l’État (BGE). Le service de la dette représente une fois et demie le budget de l’éducation, cinq fois le budget de la santé, cent fois le budget de la culture et cent fois le budget du département de la femme, de la famille, du développement social et de la solidarité. Concrètement, si un État consacre autant de ressources de son budget pour rembourser une dette empruntée dans les années 80 et 90, toute possibilité de développement économique et social est à enterrer.

    « Le Maroc est un bon payeur »

    « Le Maroc a une excellente réputation auprès des banques et des institutions financières, nous remboursons tout ce que nous empruntons », vous targuiez-vous avec fierté et – peut-être-naïveté devant les députés. Sauf qu’en tant que chef du pouvoir exécutif vous avez oublié de signaler que le Maroc a même remboursé la dette du colonisateur français qui a emprunté aux noms de nos ancêtres des dettes colossales. Et que même après son départ le peuple marocain a continué à rembourser cette dette jusqu’aux années 90. Je rappelle ici que l’entrée du colonialisme français et espagnol s’est fait par le biais du piège de l’endettement.

    J’aurais pu partager votre fierté, M. le chef du gouvernement, si vous aviez pu auditer les dettes du Maroc empruntées durant les Années de plomb |3|. J’aurais pu être heureux de savoir où est parti l’argent du programme d’urgence pour la réforme de l’école marocaine ? Au lieu de faire valoir vos prérogatives, vous avez préféré verser des larmes de crocodile.

    « La dette, un choix politique »

    « L’État fait le choix de l’endettement pour financer l’investissement, c’est une décision politique ». C’est ainsi que vous justifiez l’envolée de l’endettement. Vous avez vu juste : l’endettement est une décision politique. L’endettement sert, in fine, les intérêts des classes dominantes. Au lieu de procéder à une réforme fiscale radicale et à la refonte du modèle économique actuel, vous préférez financer le déficit budgétaire par l’endettement, tout en réduisant les budgets d’investissement des départements sociaux. Cet endettement est une solution de facilité et hypothèque l’avenir des générations futures.

    « Vous croyez que les grands chantiers c’est gratuit ? Vous allez les payer ! »

    Avec « l’élégance » |4| du chef de gouvernement que vous êtes, vous avez assailli les Marocains par des propos médisants et insultants. Vous venez au parlement pour nous dire que la politique des grands chantiers ne tombe pas du ciel. La station solaire Noor |5|, le TGV, les autoroutes, etc, sont financés par de l’endettement et nous allons les payer pour les décennies à venir. Quelle découverte, M. le chef du gouvernement ! Les Marocain-e-s n’ont pas besoin que quelqu’un leur apprennent des choses sur leur pays. Le premier et dernier à financer ces projets est le peuple marocain par le biais de l’endettement et de la privatisation des entreprises publiques. Ces projets avalent une bonne partie du budget de l’État depuis quinze ans, ils sont priorisés sur les projets sociaux. Venir maintenant nous faire la leçon sur ce sujet : Non merci !

    Au sujet de l’effet supposé de ces projets sur la relance économique et l’attractivité du pays, permettez-moi de douter de la réalisation de cette prophétie. Prenons le cas du TGV Tanger-Kénitra |6|. Ce projet coûtera aux Marocains plus de 25 milliards de DH, financés entièrement par l’endettement extérieur et intérieur. Ce projet est synonyme de deux choses : l’absolutisme et le népotisme au Maroc, deux fléaux que vous vouliez combattre selon votre programme électoral. Ce projet symbolisme l’absolutisme politique car il a été décidé sans concertation et dans le cadre d’un deal politique entre la France du temps de la présidence Sarkozy et le régime marocain |7|.

    La dette et les dons du TGV sont conditionnés. Ceci veut que la France nous a « offert » des prêts avec des taux d’intérêts bas, pour s’assurer les gros marchés prévus dans le cadre du TGV. Tout le TGV marocain sera livré clef en main par la France, la maintenance incluse, le tout sans appel d’offres. C’est ici que le bât blesse, M. le chef du gouvernement, le Maroc a emprunté des sommes colossales pour financer un projet -plutôt un éléphant blanc- avec un impact social limité sur la population. Au même moment, des deniers publics sont transférés sous forme de marchés et de remboursement de la dette au capitalisme local et étranger.

    Pour toutes ces raisons, nous considérons, au sein d’ATTAC Maroc, membre du réseau CADTM, que l’endettement n’est pas une fatalité ou une mesure technique. La dette publique (externe et interne) engendre un transfert massif de richesses des peuples du Sud vers les prêteurs, les classes dominantes locales prélevant leur commission au passage. Tant au Nord qu’au Sud de la planète, la dette constitue un mécanisme de transfert des richesses créées par les travailleurs-euses et les petit(e)s producteurs-trices en faveur des capitalistes locaux et étrangers.

    Le piège de l’endettement se resserre sur le Maroc de nouveau (la dette publique représente 82% du PIB). Ce cercle infernal de la dette est une des figures du transfert du poids des réformes économiques d’une classe à une autre. Pourtant, cette dette est insoutenable économiquement et socialement |8|

    Enfin, j’ai le regret de vous informer que durant les quatre ans de votre mandat, vous étiez un ardent défenseur de ce transfert et à la pointe de l’offensive contre les classes populaires.

    Veuillez agréer, M. le chef du gouvernement, mes salutations distinguées.

    11 août  Salaheddine Lemaizi Militant d’ATTAC Maroc

    PS : Nous aurions aimé vous inviter à l’une de nos activités autour du thème de l’endettement, mais votre ministre à l’Intérieur (membre essentiel et décisif au sein de votre gouvernement), continue d’interdire ces activités et à harceler nos militant-e-s. À défaut de vous inviter, le site web de l’association et du réseau CADTM sont à votre disposition pour vous proposer une nouvelle perspective sur ce sujet .

    http://www.cadtm.org/Lettre-ouverte