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Egypte - Page 16

  • Mahienour el-Massry, l’Egyptienne qui fait trembler Al-Sissi (les Inrocks)

    Le procès de l’avocate égyptienne Mahienour el-Massry pour « vandalisme et violences envers des forces de police » vient d’être repoussé au 8 décembre par un tribunal d’Alexandrie. Il y a dix jours, elle recevait le prix Ludovic Trarieux à Rome. En 1985, ce prix, décerné à un avocat, avait été attribué à Nelson Mandela.

    “Elle mène les cortèges, hurle les slogans, se met nez à nez avec les représentants des forces de l’ordre (…) Elle soutient les pêcheurs expropriés, les étudiants emprisonnés, elle visite les familles des martyrs de la révolution pendant les fêtes. Elle est partout”. Comme beaucoup, Youssef el-Chazli ne tarit pas d’éloges. Le sociologue a croisé son chemin plus d’une fois, dans les manifs, les réunions de coordination d’activistes et en garde un souvenir saillant. “Mahie paraît être angélique, non humaine, par bien des égards”, dit-il.

    Soif de justice

    On la dit “tenace“, dotée d’une “modestie authentique” et “déterminée” à faire triompher la révolution du 25 janvier 2011, parce que “les gens méritent mieux”, dit-elle. Mahienour a imprimé dans l’esprit des Egyptiens son regard abîmé sur une révolution en perdition qu’il faut sauver, et sa soif de justice à tout prix. “La révolution aura échoué le jour où on n’y croira plus”, assure-t-elle.

    Grève de la faim pendant 48 jours

    En ce jour d’automne, cet acharnement pour la justice la plante dans un tribunal d’Alexandrie. Pour la deuxième fois en quelques mois. Elle n’est pas ici en tant qu’avocate, c’est l’accusée. Placide à côté de son avocat qu’elle jure “détester parce qu’il est bon”, la jeune femme est chétive, elle a perdu plus de 15 kilos et vient de stopper une grève de la faim qui a duré 48 jours. Elle a promis de la reprendre si elle est de nouveau incarcérée.

    En juin, elle était condamnée à deux ans de prison pour une manifestation non-autorisée qui réclamait la condamnation des meurtriers de Khaled Said, battu à mort par des policiers en 2010. Libérée en appel après six mois de détention, elle comparaît dans une autre affaire pour “violence envers les forces de l’ordre” alors qu’elle se rendait dans un poste de police de Nasr City pour défendre les droits d’un jeune homme tout juste arrêté. “Procès politique !”, s’époumonent ses soutiens. Et ils sont nombreux à dénoncer le pouvoir qui musèle toutes les grandes gueules.

    Son nom sur des bulletins de vote

     

    Lors de sa première détention, une campagne colossale a été menée pour appeler à sa libération. Les #FreeMahienour ont fleuri sur Twitter, son visage placardé sur les murs du Caire et d’Alexandrie, le portrait de Nefertiti détourné à son effigie, son nom inscrit sur les bulletins de vote lors de l’élection présidentielle. Elle était partout… Si bien que quand on la rencontre pour la première fois, on a l’impression de déjà la connaître.

    Un bout de femme qui “ne comprend pas pourquoi on parle d’[elle], elle n’a vraiment rien fait de spécial”, insiste-t-elle “j’ai juste été en prison comme des milliers de gens”. Certes, mais elle avait le choix. “Nous étions six à être jugés, j’y suis allée de moi-même, en sachant pertinemment que je serai mise en prison, c’était une manière de mettre en lumière  mes coaccusés, moins connus et moins soutenus que moi”. 

    “Victime d’idées corrompues”

    Quand elle est libérée début septembre, et que des centaines de ses compagnons restent en prison, elle le vit presque comme une déception.  “Le juge a dit que j’étais victime d’idées corrompues”. A savoir “la liberté, la justice sociale, l’égalité”, peste-t-elle, mettant sa libération sur le compte d’un geste politique de la part d’Al-Sissi au même moment en visite à l’ONU : “ce criminel de guerre” comme elle l’a souligné lors de la remise du prix Ludovic Trarieux, à Rome.

    Elle, militante renommée qui se dit “mauvaise avocate” conchie le système judiciaire égyptien. “Je ne crois pas en les lois, je crois en la justice. C’est tout à fait différent”. 

  • Égypte. Il faut libérer les militants qui encourent des peines de prison pour avoir bravé la loi relative aux manifestations (Amesty)

    Les autorités égyptiennes doivent libérer un groupe de militants jugés pour avoir défié la loi répressive relative aux manifestations, a déclaré Amnesty International à la veille du verdict attendu dimanche 26 octobre à l’issue de leur procès pour participation à une manifestation non autorisée.

    La défenseure des droits humains Yara Sallam et la militante Sanaa Seif font partie du groupe de 22 personnes inculpées, entre autres charges fallacieuses, d’avoir pris part à une manifestation non autorisée visant à menacer l’« ordre public », alors que Yara Sallam n’a même pas participé à cette manifestation. S’ils sont reconnus coupables, les militants encourent jusqu’à cinq ans de prison.

    « Ce procès-spectacle, fondé sur des preuves plus que douteuses, montre une nouvelle fois la détermination des autorités égyptiennes à écraser la contestation pacifique et à museler toute forme de dissidence, a déclaré Hassiba Hadj Sahraoui, directrice adjointe du programme Afrique du Nord et Moyen-Orient d’Amnesty International.

    « Tous les militants pris pour cibles uniquement pour avoir défié la loi relative aux manifestations illégales en Égypte doivent être libérés. Il est inacceptable d’enfermer des citoyens au motif qu’ils exercent sans violence leur droit à la liberté d’expression et de réunion. »

    Yara Sallam a été arrêtée avec sa cousine alors qu’elle était en train d’acheter une bouteille d’eau le 21 juin, à Héliopolis, une banlieue du Caire, où a eu lieu la manifestation.

    Sa cousine a été libérée le lendemain, mais Yara Sallam a été maintenue en détention lorsque les forces de sécurité ont découvert qu’elle travaillait pour l’Initiative égyptienne pour les droits de la personne, organisation majeure de défense des droits humains en Égypte.

    « L’Égypte doit abandonner les accusations grotesques portées contre Yara Sallam, qui n’a même pas pris part à la manifestation en question, a déclaré Hassiba Hadj Sahraoui.

    « Fait troublant, il semble qu’elle soit jugée uniquement en raison de son travail en faveur des droits humains. Yara Sallam est une prisonnière d’opinion qui doit être libérée immédiatement et sans condition, et toutes les charges retenues contre elle doivent être abandonnées. »

    Les avocats des 21 autres accusés ont indiqué à Amnesty International que les éléments présentés contre eux, y compris des preuves audiovisuelles, n’attestaient d’aucune violence de la part des manifestants.

    « Les autorités présentent un bilan marqué par les arrestations injustifiées, les procès motivés par des considérations politiques et les condamnations fondées sur des preuves douteuses. Tous les manifestants dans le groupe sont très probablement des prisonniers d’opinion, détenus pour avoir osé braver ce qui est dans les faits une interdiction de manifester en Égypte, a déclaré Hassiba Hadj Sahraoui.

    « S’il existe des preuves suffisantes d’une activité criminelle violente pouvant être confirmées au tribunal, les manifestants doivent être jugés pour des infractions reconnues par le droit pénal, dans le respect des normes internationales en matière d’équité des procès. »

    L’audience concernant les 22 militants s’est déroulée à l’Institut de police de Tora, un bâtiment intégré au complexe pénitentiaire de Tora où la plupart des accusés sont détenus, et non dans un tribunal. Les familles des 22 accusés n’ont pas été autorisées à assister au procès.

    « Juger les accusés à l’intérieur du complexe pénitentiaire de Tora et interdire au public d’y assister porte atteinte à la présomption d’innocence et au droit d’être entendu équitablement, et est contraire au droit égyptien et international », a déclaré Hassiba Hadj Sahraoui.

    Les avocats ont déclaré à Amnesty International que durant la dernière audience, le 11 octobre, les accusés ne pouvaient pas entendre ce qui se passait ni communiquer avec leur équipe de défense, parce qu’une vitre foncée avait été installée, coupant les accusés du reste de la salle d’audience.

    Par ailleurs, le juge a rejeté les demandes répétées déposées par les avocats de la défense concernant la libération provisoire des accusés, alors que leur détention provisoire ne repose sur aucun motif valable.

    Selon les renseignements recueillis par Amnesty International, les autorités égyptiennes maintiennent des personnes en détention provisoire pour des périodes prolongées, excédant parfois plus d’un an, sans aucune justification. L’organisation craint que la détention provisoire ne soit utilisée à titre de mesure punitive pour faire taire la dissidence.

    La détention provisoire se justifie uniquement s’il est établi qu’il existe un risque réel de fuite, de tort à autrui ou d’ingérence dans l’enquête ou les éléments de preuve, risque ne pouvant pas être neutralisé par des moyens autres que la détention. Il importe d’examiner la légalité et la nécessité de la détention dans chaque cas individuel.

    Le mois dernier, le président Abdel Fattah Al Sissi a prononcé un discours devant les Nations unies et déclaré que la « nouvelle Égypte » allait respecter la liberté d’expression, faire appliquer l’état de droit, respecter la Constitution et garantir l’indépendance de la justice.

    Complément d’information
    Le 21 juin 2014, des manifestants ont essayé de défiler jusqu’au palais présidentiel du Caire, lorsque des groupes d’hommes habillés en civil les ont agressés.


    Les forces de sécurité ont arrêté 24 personnes lorsqu’elles ont dispersé la foule. L’une d’entre elles a été libérée, et un mineur âgé de 16 ans, Islam Tawfik Mohamed Hassan, doit être jugé devant un tribunal pour mineurs dans le cadre d’une affaire distincte.

    Yara Sallam et six autres femmes jugées dans cette affaire sont incarcérées à la prison d’Al Qanater, tandis que les hommes sont détenus à la prison de Tora.

    Les 22 accusés sont jugés pour avoir vandalisé des biens, fait une démonstration de force pour faire peur aux passants et menacer leur vie, et participé à un rassemblement de plus de cinq personnes dans le but de troubler l’ordre public et de commettre des infractions.

    Le père de Sanaa Seif, l’avocat spécialisé dans la défense des droits humains Ahmed Seif al Islam, est décédé au mois d’août. Sanaa Seif a observé une grève de la faim pour protester contre le refus des autorités de lui permettre de passer du temps auprès de son père pour ses derniers instants.

    L’ancien président égyptien Adly Mansour a promulgué la Loi réglementant le droit aux rassemblements, processions et manifestations pacifiques publics en novembre 2013.

    Aux termes de cette loi draconienne, les organisateurs de ce type d’événement doivent soumettre leurs projets aux autorités, qui disposent de vastes pouvoirs leur permettant d’annuler des manifestations ou d’en modifier le parcours. Elle confère aussi aux forces de sécurité le pouvoir de recourir à une force létale excessive contre les manifestations non autorisées et de placer en détention des manifestants pacifiques. 25 octobre 2014

    http://www.amnesty.org/fr/for-media/press-releases/egypt-release-activists-facing-jail-defying-repressive-protest-law-2014-10-

  • Egypte. Reprise progressive des luttes ouvrières, leur signification (1)

    Les accidents de travail, les usines arrêtées pour pièces manquantes, avec des ouvriers sans salaire… suscitent des luttes depuis fin août 2014, face à des syndicats officiels ne répondant pas aux revendications et demandes d’information de divers comités de travailleurs Par Jacques Chastaing

    La situation socio-politique en Egypte, pour des raisons effectives, est couverte par les médias essentiellement sous l’angle: soit du rôle de l’ex-maréchal président Al-Sissi dans les négociations indirectes entre Israël et la délégation plurielle palestinienne, soit à propos du vaste projet de deuxième canal de Suez censé rétablir la santé de l’économie (outre son effet de captation de l’épargne), soit de la sévère répression mise en œuvre par le régime du président Sissi. Jacques Chastaing, dans l’article ci-dessous, le souligne. Mais son objectif consiste à observer la situation sous un angle ignoré par la presse et, y compris, par des analystes dits spécialisés: la lente relance des mouvements sociaux, des luttes des salarié·e·s, des couches paupérisées, qui s’opère dans cette société soumise à des chocs socio-économiques brutaux et où la «mémoire» de 2011 n’a pas été effacée dans ses profondeurs.

    Dans la foulée, étant donné la faiblesse d’une «gauche sociale de combat», Jacques Chastaing s’interroge sur la place que pourraient chercher à occuper, dans le futur, les Frères musulmans. Par ailleurs, il peut être utile de rappeler que dans le contexte régional de «guerre contre l’Etat islamique» (EI) – et après des pressions plus anciennes du Conseil de coopération du Golfe (CGC) qui considère les Frères comme un danger – le Qatar s’est vu prier de ne plus accorder un exil trop complaisant à des dirigeants des Frères musulmans qui avaient trouvé un accueil dans l’émirat, après la chute de Morsi en juillet 2013. En termes explicites, comme le rapporte depuis Londres Ibrahim Mounir: «Les autorités qataries nous ont dit que les circonstances ne permettaient pas la présence de tous les membres de la confrérie sur le sol qatari.» Il ajoute néanmoins: «Ce départ ne signifie pas une rupture des relations entre le Qatar et les Frères.» D’ailleurs différents dirigeants moins médiatisés que les sept qui ont quitté Doha restent à Doha.

    Quant au Caire, le message passé au gouvernement des Etats-Unis (John Kerry) à ce propos est clair: «il est bien de vouloir “éradiquer” les forces de EI, mais les Frères musulmans sont aussi une organisation terroriste pour nous». Or, le Qatar les finance. Un communiqué de la présidence égyptienne souligne: «La coalition contre le terrorisme doit frapper tout genre de terrorisme et pas seulement l’Etat islamique.» Un spécialiste égyptien des mouvements dits islamistes, Sameh Eid, dessine la perspective suivante: «Doha veut ménager les Etats-Unis et apaiser ses relations tendues avec les autres pays du Golfe, mais cela ne signifie pas nécessairement qu’il a cessé de soutenir les Frères musulmans. Il est probable cependant que les Frères perdent leur tribune médiatique qu’est Al-Jazeera. La confrérie n’a d’autres choix que de chercher un compromis avec le pouvoir en Egypte. Mais elle doit d’abord trouver un moyen de convaincre ses bases populaires et cela nécessitera beaucoup de temps.» (Al Ahram, 17 septembre 2014). Dans un entretien avec la chaîne de TV états-unienne CBS, Abdel Fattah al-Sissi a déclaré qu’il était favorable «à la liberté d’expression» (sic), mais que les Frères devaient «cesser de mettre des bombes dans les rues, dans les trains et les centrales électriques» (Egypt Independent, 24 septembre 2014). Il est vrai que les accidents de train et les coupures d’électricité à répétition – peu liées à des explosions – suscitent un mécontentement populaire. Quant au ministre de la Justice, Saber Mafhouz, il a fait savoir – par l’intermédiaire de son porte-parole Hossam al-Qawwesh – qu’il n’avait aucunement l’intention de modifier ou d’abroger la loi de 2013 interdisant les manifestations. (Cairo Post, 18 septembre 2014 et Al Masry Al-Youm, 19 septembre 2014).

    Pour ce qui est de la répression du régime Sissi, Amnesty International, dans un communiqué du 19 septembre 2014, déclarait: «Les autorités égyptiennes mettent en danger la vie d’un militant incarcéré, dont la santé s’est gravement détériorée après plus de 230 jours de grève de la faim: elles refusent de lui prodiguer des soins médicaux et le maintiennent en détention à l’isolement. Mohamed Soltan, de nationalité égyptienne et américaine, compte parmi 86 militants incarcérés qui observent une grève de la faim dans les prisons et les postes de police à travers l’Egypte, pour protester contre leurs conditions de détention épouvantables, ou dans certains cas, leur détention provisoire prolongée et leurs procès iniques. Ils protestent également contre la loi répressive relative aux manifestations, beaucoup étant accusés de l’avoir enfreinte. […] Mohamed Soltan a été arrêté en août 2013 durant la répression contre les partisans pro-Morsi place Rabaa al Adawiya. Il travaillait avec un comité des médias qui dénonçait les violations des droits humains commises par les forces de sécurité contre les partisans du président déchu Mohamed Morsi. Mohamed Soltan est accusé d’avoir “financé le rassemblement de Rabaa al Adawiya” et “propagé de fausses informations”.»

    Amnesty conclut son communiqué ainsi: «Parmi les autres détenus de renom en grève de la faim figurent le blogueur Ahmed Douma, qui purge une peine de trois ans pour avoir contesté la loi draconienne relative aux manifestations, et Sanaa Seif, militante bien connue en grève de la faim depuis le 28 août 2014. Son père, l’infatigable avocat défenseur des droits humains Ahmed Seif al-Islam, est décédé au mois d’août. Elle a cessé de s’alimenter pour protester contre le refus des autorités de lui permettre de passer du temps auprès de son père pour ses derniers instants. De l’autre côté des murs de la prison, au moins 54 militants et défenseurs des droits humains ont entamé une grève de la faim, par solidarité avec les personnes détenues, notamment la sœur de Sanaa, Mona Seif, et également Aida Seif El Dawla, directrice exécutive du Centre Nadeem pour la réadaptation des victimes de violences.»

    Le nombre des grévistes de la faim, hors des murs, manifestant contre le régime d’oppression a dépassé les 300,  malgré la libération d’une figure médiatique de la lutte contre Moubarak et de la révolution: le blogueur Alaa Abdel Fattah. Il est courant de passer des mois en prison avant d’être jugé. En quelque sorte la détention préventive, sans limites, remplace l’état d’urgence, selon d’ailleurs les vœux  exprimés par Adly Mansour – président de la Haute Cour constitutionnelle et président de la République du 4 juillet 2013 au 8 juin 2014 – deux mois après la chute de Morsi (Egypt Indpendent, 21 septembre 2014).

    Enfin, un logiciel espion qui permet de détecter 30 secondes après sa publication sur un réseau social ou une messagerie instantanée n’importe quel message jugé «contraire aux lois et à l’ordre public» a été acquis, selon BuzzFeed, qui cite des sources internes au gouvernement du maréchal Al-Sissi, via une filiale égyptienne de l’entreprise américaine Blue Coat (Egypt Independent, 20 septembre 2014). Il est vrai que les réseaux sociaux ont joué et joue un rôle. Mais beaucoup de reportages, à la mode, ont systématiquement sous-estimé, avant 2011 et après, le rôle des structures organisées du mouvement social et des structures syndicales indépendantes. Des cibles que le régime a en point de mire, plus réaliste, sur ce point, que des journalistes spectateurs, à l’époque, de la seule Place Tahrir. (Rédaction A l’Encontre, 24 septembre 2014)

    http://alencontre.org/moyenorient/egypte/egypte-reprise-progressive-des-luttes-ouvrieres-leur-signification.html

  • Egypte. Reprise progressive des luttes ouvrières, leur signification (2)

    Depuis début d’août, après le mois de ramadan, les grèves ont repris lentement mais sûrement en Egypte. A cette occasion, il est primordial de souligner combien les luttes des ouvriers et exploités égyptiens ont été quasi permanentes depuis plus de trois ans en atteignant parfois des niveaux de mobilisation rarement vus dans l’histoire et jouant un rôle politique central dans la vie politique du pays… Et il est important, en leur donnant leur juste place, de dire aussi combien elles ont été occultées.

    Depuis août, des protestations sociales qui montent lentement mais sûrement

    Pour le mois d’août, malgré la chaleur de l’été, une ONG relevait 253 mouvements, grèves ou manifestations, hors les manifestations organisées par les Frères musulmans.

    Sur 121 grèves recensées, 35 d’entre elles concernaient le secteur ouvrier privé, 26 les employés de l’Etat, 9 le secteur social, 9 les transports, 8 les vendeurs de rue, 7 les enseignants et 7 les journalistes. 43 d’entre elles touchaient aux salaires, 10 l’emploi, 8 la flexibilité, 8 les conditions de travail , 6 l’embauche de précaires, 4 les horaires, et 4 des licenciements. Parmi les manifestations, on en recensait 34 contre les coupures d’électricité, 10 contre la hausse des prix, 5 contre le manque de logements, 3 pour l’accès à l’eau potable et 3 contre le manque d’assainissement.

    Parmi les grèves pour les salaires, on peut noter fin août, celles des salariés de l’entreprise Samanoud à Gharbiya, de Céramica à Six Octobre [capitale du gouvernorat du 6 octobre par référence à la guerre du Kippour du 6 octobre 1973], de la Compagnie de Métaux de Helwan, du Holding des Industries Métallurgiques de Nasr City, des 6 usines de Misr-Iran Textile, de la Nahr al-Khaled Garments Company à Port-Saïd. A ces grèves il faut ajouter une manifestation des travailleurs de la Tanta Flex and Oil Company pour le redémarrage de leur entreprise; une manifestation des petits commerçants de Port-Saïd contre les taxes; les manifestations des petits vendeurs de rue (ils sont 5 millions) contre leur expulsion des centres-villes et celles des supporters Ultra, notamment des Chevaliers Blancs de Zamalek [club omnisports basé au Caire, depuis 1911], contre la menace de leur dissolution. Mais surtout, il faut relever le succès des travailleurs de 250 fabriques de briques de la région d’Afteeh concernant 40’000 salariés qui, commençant à protester contre le passage de leurs horaires de travail de 13 ou 14 heures à 15 heures journalières, ont obtenu après trois semaines de grève diverses améliorations de leurs conditions de travail et surtout le relèvement de leurs salaires de 7,5 à 10 livres égyptiennes pour mille briques. Comme le signalait la militante syndicaliste Fatma Ramadan, ce résultat est extrêmement important, d’une part parce que les travailleurs des briques sont parmi les plus exploités et les moins organisés, mais aussi parce que plus de 500’000 ouvriers travaillent dans la région dans la fabrique de briques et 1 million en Egypte, et que ce succès partiel pourrait donner l’idée de faire la même chose à bien d’autres parmi eux et même au-delà.

    En septembre, après 100 jours de Sissi président, les grèves et manifestations
    paraissent encore plus nombreuses

    Parmi les grèves qui ont attiré l’attention, il y a celle pour les salaires des journalistes d’Al Ahram – le journal du pouvoir – mais aussi, plus significatif, pour le renvoi de leur direction aux ordres du régime. On peut relever aussi la grève des travailleurs de l’assainissement dans différentes villes du pays; des travailleurs de 24 universités qui en étaient à leur sixième jour de grève le 21 septembre; des travailleurs des transports de Sharqiya et d’autres villes dans l’Est; des conducteurs de bus de Qalubiya; des employés de l’hôpital de Beni Suef; des agents d’hygiène et de sécurité de l’hôpital de Louxor; des employés du Conseil National pour le Handicap; ceux de la Compagnie Badawi pour l’industrie alimentaire; des agriculteurs du centre de l’Egypte en grève de la faim contre la saisie de terres qu’ils avaient depuis le temps de Nasser… Il faut noter aussi que le 10 septembre, 2000 diplômés ont assiégé le siège de la direction de l’éducation à Abbasiya pendant que d’autres manifestaient au Ministère de l’éducation. Mais on constatait aussi des manifestations d’usagers pour plus de trains; de parents d’élèves à Assouan contre le manque de places à l’école et son état lamentable; d’autres dans le quartier populaire du Caire, Imbaba, pour demander des logements; à Héliopolis, quartier plus chic, pour la défense du métro; dans les villages de Kristin pour l’eau potable et Taarrot pour des routes, des écoles, des équipements médicaux, de l’eau potable et un assainissement… Mais c’est surtout la grève et les manifestations des salariés de la Compagnie Textile d’Alexandrie qui ont marqué l’opinion puisque la police a fait feu contre eux, ce qui a suscité plusieurs manifestations de solidarité dans le pays.

    Depuis trois ans et demi, des luttes sociales à caractère politique totalement occultées

    Depuis trois ans et demi, les luttes sociales ont été quasi toutes totalement occultées par les médias et les partis, tout particulièrement en Occident.

    Pourtant, ces mobilisations sociales, du fait de leur dimension, ont eu un rôle central pratiquement continu dans la vie politique du pays depuis début 2011 – et même déjà avant. Les chutes de Moubarak en 2011, l’échec du coup d’Etat du CSFA (Conseil supérieur des Forces armées) en 2012, la chute de Morsi en juillet 2013 et celle encore du gouvernement d’Hazam el-Beblawi (9 juillet 2013-1er mars 2014) sous l’autorité de Sissi sont dues ou liées à ces mobilisations populaires souvent massives.

    Enfin, si ces luttes avaient des objectifs sociaux et économiques criants au vu de l’extrême misère qui touche le pays, elles avaient également un aspect politique évident qui se manifestait le plus souvent dans les grèves par la revendication très fréquente de «dégager» – après Moubarak lui-même – tous les petits Moubarak, tous les responsables à tous les niveaux de l’appareil d’Etat ou de l’économie.

    Cependant, ce large mouvement n’a pas su trouver jusqu’à présent d’expression politique propre. Ce qui pèse considérablement sur la coordination de ces luttes à l’échelle nationale et l’émergence d’une conscience ouvrière révolutionnaire indépendante.

    On comprendra facilement que l’occultation du rôle nodal de ces mobilisations ouvrières a l’objectif d’empêcher toute cristallisation de cette conscience politique ouvrière. A commencer en Egypte bien sûr, mais aussi à l’échelle arabe et mondiale où il pourrait apparaître comme une alternative aux tentatives de mobilisation des esprits contre le terrorisme islamiste, voire même une perspective ou un encouragement, quand le monde ouvrier, attaqué de toutes parts, cherche à retrouver confiance en lui et sa force.

    A l’heure où on essaie de nous convaincre qu’après l’hiver islamiste on assiste à un hiver militaire et à une situation qui serait uniquement polarisée par l’affrontement entre l’armée et les Frères musulmans, il est important de chercher à éclairer la situation d’un point de vue ouvrier, d’en bas, même avec le peu de moyens d’information dont on dispose.

    C’est la base minimale pour se faire un point de vue indépendant et, par là, le point de départ indispensable pour se donner la capacité de construire une politique indépendante.

    Sur donc plus de trois ans et demi de révolution, la mobilisation des travailleurs n’a quasi jamais cessé, sinon pour de courtes phases n’excédant guère un ou deux mois. Il n’y a eu qu’une exception, c’est la période qui va de début juillet 2013 à la fin de janvier 2014, où durant sept mois, les grèves et manifestations ouvrières ont été à un niveau très bas. Mais elles ont repris en masse en février, mars et avril 2014 pour le salaire minimum, faisant même tomber le gouvernement. Elles se sont à nouveau interrompues deux mois avec les élections présidentielles de fin mai et les promesses de Sissi de satisfaire les revendications populaires une fois élu.

    Mais après le mois de juin post-électoral suivi du mois de ramadan en juillet peu propice aux conflits, les luttes ont à nouveau repris en août, assez fortement à la fin du mois puis ont continué à un niveau passablement appréciable en ce début septembre. Les grèves actuelles n’ont pas pris le caractère d’une vague croissante suffisante pour changer la situation; on n’en est pas là. Mais il y a un rythme des luttes suffisamment important – avec quelques succès marquants – pour qu’elles se fassent toujours craindre et montrer que la révolution n’est pas finie malgré la désertion de l’opposition et la répression du régime.

     

    Personne ne peut bien sûr prévoir l’avenir. D’autant plus qu’il est difficile de savoir précisément quel est l’état d’esprit des travailleurs en lutte, leurs aspirations et leur conscience après trois ans de révolution. Ce qui est déterminant.

    Par contre, on peut percevoir plusieurs choses dans les luttes actuelles.

    Des luttes et grèves qui continuent malgré
    de multiples obstacles

    Cette reprise des luttes révèle d’abord que ce qui a été atypique sur les trois ans et demi passés, c’est la période de sept mois de juillet 2013 à janvier 2014, seule phase au cours de laquelle la polarisation de la situation entre les Frères musulmans et l’armée a été au centre de la scène politique mettant à l’arrière-plan les oppositions de classe.

    Ensuite, ces luttes ont lieu malgré une période de répression terrible, peut-être plus dure que sous Moubarak. Des centaines de salariés, dont bien des syndicalistes, sont arrêtés arbitrairement, momentanément ou durablement, pendant que des milliers d’autres sont licenciés pour fait de grève ou tentative d’organisation d’un syndicat.

    Plus généralement, l’Egypte est au deuxième rang mondial pour les peines de mort et au troisième pour le nombre de journalistes arrêtés. Près de 41’163 personnes ont été arrêtées en un an et la loi interdit de fait toute manifestation ou grève. Outre les Frères musulmans, les militants révolutionnaires sont particulièrement visés par la répression, mais aussi les ONG, les athées, les homosexuels, les journalistes indépendants, des artistes et rappeurs révolutionnaires, les supporters Ultras, les blogueurs contestataires… En ce mois de septembre, 295 personnes sont en grève de la faim, prisonniers politiques, mais aussi à l’extérieur des prisons, journalistes, militants de différents partis, supporters Ultras de football… pour exiger la libération des prisonniers et l’abrogation de la loi qui interdit manifestations et grèves.

    Ensuite encore, ces luttes ont lieu malgré une démagogie permanente du pouvoir militaire appelant à l’union patriotique pour sauver l’économie égyptienne et lutter contre le terrorisme qui frappe une partie du pays. La propagande est incessante et omniprésente dans la plupart des médias qui sont complices du régime, essayant de faire passer ces travailleurs en grève pour des ennemis de l’Egypte et des complices des terroristes islamistes.

    Enfin, et pas le moindre, ces luttes ont lieu malgré la défection des dirigeants ouvriers ou de gauche ainsi que de la plupart des démocrates révolutionnaires. En effet les dirigeants des confédérations syndicales, d’Etat mais aussi des nouvelles confédérations indépendantes, se sont tous prononcés pour l’arrêt ou la suspension des grèves en se rangeant derrière la démagogie antiterroriste de Sissi; et les dirigeants syndicaux et politiques de la gauche comme des principaux partis de l’opposition laïque et libérale ou démocrate ont appelé Sissi au pouvoir par peur de la révolution montante fin juin 2013 et ont ensuite soutenu le régime pour leur majeure partie, voire même, ont été membres de son gouvernement et acteurs ou complices de sa répression.

    Des luttes et grèves qui tiennent en respect le régime militaire

    Ce n’est donc que pendant «l’anomalie» de ces sept mois de juillet 2013 à février 2014 que la menace constante d’une «révolution de la faim», qui est au fond des préoccupations de tous et des craintes des classes possédantes, s’est estompée. Mais à peine, parce que Sissi, pour obtenir une relative paix sociale a dû multiplier les promesses et les concessions à la révolution au moins verbales mais parfois réelles, même si elles sont secondaires – ce qui, de ce point de vue, est différent de l’ère Moubarak.

    Après l’augmentation du salaire minimum pour 4,7 millions de fonctionnaires en janvier et la promesse au printemps de l’étendre à d’autres catégories, il a mis en place un salaire maximum pour les plus riches fin juin à grand renfort de publicité même si les mesures d’applications l’ont vidé de tout contenu sérieux. Et puis il y a eu les promesses de construire des centaines de milliers de logements, des canaux d’irrigation, des stades… dont la réalisation hypothétique a été confiée aux services techniques de l’armée… histoire, pour ce qui sera fait, de remplir les poches de quelques généraux. Début juillet ce sont des cartes d’approvisionnement qui permettent à des millions de pauvres de s’approvisionner dans 25’000 épiceries en produits de première nécessité subventionnés et moins chers. Et puis, un peu plus sérieux, il y a également l’amélioration des pensions les plus basses, l’arrêt des poursuites bancaires contre les paysans défaillants, l’élargissement de la couverture maladie pour les agriculteurs, la création d’un fonds de solidarité pour les catastrophes agricoles et surtout la promesse le 8 septembre, juste avant la rentrée scolaire, de la création de 30’000 postes d’enseignants et de l’ouverture de 60000 diplômes d’enseignants du technique pour les besoins des Etats du Golfe.

    Et lorsque Sissi a osé pour la première fois s’attaquer directement aux classes populaires en baissant les subventions aux produits pétroliers, il l’a fait prudemment juste au début du ramadan, ce qui n’a pas empêché une grève immédiate des taxis individuels et collectifs… qui ont encore manifesté, associés à d’autres secteurs des transports, à 9 reprises en août. Ce qui pour le moment a dissuadé Sissi d’aller plus loin.

    Lorsqu’il a essayé, en maréchal droit dans ses bottes, de tenir sa promesse «d’ordre et de sécurité , il s’est attelé à nettoyer les rues des villes de la nuée des 5 millions de petits marchands ambulants dont le nombre a grossi aussi vite que l’autorité de la police diminuait et que le chômage augmentait (officiellement, de 8,9% en 2010 à 13, 4% en 2013). Mais ce faisant, il n’a fait que perdre un peu plus l’appui de cette couche misérable de la population, son principal soutien, affichant largement, par conviction (ou obligation), le portrait du maréchal sur ses étals. Aujourd’hui, la moitié des marchands ambulants sont syndiqués et ils sont plus d’un à oser dire dorénavant qu’ils continueront à occuper les rues jusqu’à la chute du maréchal. On notait en ce mois d’août 8 manifestations des petits vendeurs de rue.

    Par ailleurs, le 22 août, une grève des forces de sécurité d’Ismaïlia, où les conscrits se sont affrontés aux officiers les accusant de les traiter en esclaves, illustrait que le mois d’août avait connu 5 autres conflits de ce type au sein des forces de police ou de justice et rappelait que les forces de répression, en partie des appelés, peuvent être sensibles aux pressions populaires .

    Enfin, lorsque le pouvoir décide de reculer la rentrée universitaire d’un mois au 11 octobre, en essayant de multiplier à la va vite les mesures visant à interdire les groupes politiques à l’université ou les mouvements de protestation dans les cités universitaires, installer des caméras et des portiques électroniques, augmenter les droits d’entrée, cela apparaît non seulement dérisoire parce que tout le monde sait que ces mesures ne seront pas appliquées mais aussi la preuve d’une certaine impuissance envers la contestation étudiante qui se manifestait encore vivement en juillet. C’est peut-être aussi pour cela qu’en signe d’apaisement, à la veille de cette rentrée universitaire, le pouvoir a décidé de libérer quelques militants révolutionnaires comme Mahienour El-Massry ou Alaa Abd El Fattah et qu’en même temps, juste au moment de la rentrée scolaire du premier cycle, le 21 septembre, de violents attentats marquaient l’actualité du pays, permettant à un ministre de déclarer: «Nous sommes en guerre. Et en guerre il ne peut y avoir d’opposition.»

    Comme le disait un membre du «Mouvement du 6 avril»: les grèves sont interdites et elles ont lieu, nous sommes dissous, mais nous organisons des conférences de presse publiques. Nous n’avons pas le droit d’exister mais nous organisons des manifestations début septembre contre la hausse des prix du pétrole, des transports et les coupures de courants.

    La répression est d’autant plus violente que le pouvoir a beau multiplier les décisions, il a du mal à faire appliquer ce qu’il décide, à commencer par l’interdiction de faire grève et manifester.

    Il n’est pas le premier à rencontrer cette difficulté. Une des premières mesures que tous les gouvernements après Moubarak, CSFA ou Morsi, ont tenté de mettre en place aussitôt arrivés au pouvoir, a été cette interdiction des grèves et manifestations qu’ils n’ont jamais réussi à rendre effective.

    Une colère sociale d’autant plus dangereuse qu’elle pourrait changer de dirigeants

    Il est très difficile bien sûr de se faire un avis sur ce qui a changé depuis trois ans dans l’état d’esprit des ouvriers et des militants et sur ce qui est déterminant dans la situation actuelle, y a-t-il naissance d’une conscience politique dans la classe ouvrière?

    Cependant, ce qui a été remarquable dans le mouvement de grève de février et mars, c’est l’émergence à la mi-mars, pour la première fois dans l’histoire de la révolution égyptienne, d’une coordination affichant sa volonté de coordonner nationalement les luttes et les grèves autour d’un programme social commun à tous.

    Les grèves de cette période ont rompu par leur existence la polarisation de la vie politique entre armée et Frères musulmans en remettant la question sociale sur l’avant de la scène. Mais, plus que cela, avec cette coordination, elles ont fait émerger le spectre d’une conscience politique ouvrière.

    C’est le mouvement de grève des médecins (dont la grande majorité en Egypte est pauvre même si une toute petite minorité est excessivement riche), organisé autour d’une Assemblée générale et d’un comité central de grève nationaux, commencé en janvier 2014 pour ensuite entrer en mars dans une grève totale de deux mois, qui a initié cette coordination. Cette coordination s’est ensuite étendue aux autres professions de santé, pharmaciens, dentistes, vétérinaires, secrétaires médicaux, employés du ministère de la santé… mais également aux postiers en grève et à 11 grandes entreprises nationalisées reprivatisées en lutte avec également des représentants de l’aviation civile et des chemins de fer.

    Pour mieux unifier les luttes, cette coordination avait établi un programme commun reprenant l’essentiel des revendications: le salaire minimum pour tous, la renationalisation des entreprises privatisées, la revalorisation du budget de la santé et le limogeage de tous les dirigeants au niveau local ou national.

    Par l’ampleur de son programme social ainsi que son caractère clairement politique, cette coordination s’est tout de suite affrontée publiquement à Sissi… qui a préféré reculer devant elle et a choisi alors de se présenter aux élections présidentielles pour tenter de stopper cette grève qui prenait un tour politique si dangereux.

    Le mouvement s’est arrêté à ce moment. La coordination qui avait été la pointe avancée de la méfiance ou de la conscience populaire à l’encontre des confédérations syndicales qui soutenaient Sissi et qui n’ont jamais tenté d’organiser le mouvement social à l’échelle nationale, n’a guère eu le temps d’intervenir et de peser sur le cours des grèves et la situation générale.

    Toute la question aujourd’hui pour l’avenir de la révolution, alors que les grèves reprennent environ cinq mois après ces événements, est de savoir ce qu’il reste de cette coordination dans les esprits et les projets.

    Les dirigeants politiques et syndicaux de l’opposition ont soutenu Sisssi, expliquant la relative inactivité sociale des 7 mois passés, mais, en même temps, ce sont souvent des militants issus de ces mouvances politiques et syndicales qui animent ou sont à l’origine d’une grande partie des luttes. Or il est sûr que la plupart de ceux qui ont été influencés un moment par leurs dirigeants pour rester inactifs face à Sissi sont revenus des quelques vagues illusions qu’ils ont pu avoir. Les formidables taux d’abstention à son référendum de janvier comme aux élections présidentielles de mai avaient déjà montré que si les Egyptiens ne s’opposaient pas activement à lui, ils ne le soutenaient pas non plus. Et aujourd’hui, il est clair que Sissi ne tient guère de promesses et fait tirer sur les ouvriers.

    Verra-t-on réapparaître cette forme d’organisation comme illustration de cette conscience ?

    Pour le moment, les conflits en cours, ouvriers des briqueteries, travailleurs des universités, journalistes d’Al Ahram, petits vendeurs de rue… semblent toucher les secteurs les plus exploités, les moins organisés ou les moins conscients des salariés. Les noyaux de la contestation sociale des périodes précédentes ne paraissent pas encore en mouvement. Peut-être sont-ils plus freinés par leurs militants plus proches de la gauche. Ou tout simplement, parce que ce sont eux qui ont subi le plus la répression ou encore parce qu’il leur faut souffler un peu et prendre le temps de faire le point après des mobilisations si intenses et dans un tel chaos politique.

    Et à part pour les journalistes d’Al Ahram, il n’apparaît pas vraiment pour le moment qu’en plus des revendications économiques, ils aient la revendication politique de « dégager» leurs dirigeants, comme c’était très fréquent dans la période précédente.

    Cela peut changer rapidement. D’autant plus que les médecins ont organisé une protestation le 31 août en menaçant de reprendre les grèves s’il ne leur était pas plus donné que les miettes qui leur ont été consenties au printemps.

    Mais en attendant, un autre danger que la répression et les vagues illusions en Sissi, guette les ouvriers.

    Les Frères musulmans en embuscade pour tenter de récupérer un mouvement social
    encore sans direction politique

    La politique des Frères musulmans semble en train de changer en ce mois de septembre. Le déficit de direction politique ouvrière à gauche en même temps que la continuation des luttes, mais par des secteurs moins conscients, en est peut-être la cause.

    Jusque-là, les dirigeants de la Confrérie avaient tout fait pour couper leurs membres des pressions populaires qui leur étaient hostiles depuis que Morsi s’était fait l’apôtre d’une politique d’austérité anti-ouvrière provoquant la haine à son encontre. Ils avaient donc centré leurs appels constants à la manifestation, sur la défense de l’islam ou de la légitimité du pouvoir de Morsi. Aujourd’hui, ces deux aspects ont tendance à être remplacés depuis fin août et début septembre par des revendications plus sociales contre les hausses de prix et les coupures de courants. On a même eu un appel le 7 septembre à une grève générale des travailleurs, à une «insurrection des pauvres» et à une «révolution de la faim». On a vu apparaître le 9 septembre un mouvement, «Dank», inconnu, dont les porte-parole se présentent masqués, mais qu’on attribue le plus souvent aux Frères musulmans, qui a appelé partout à manifester pour la justice sociale, contre la hausse des prix, la détérioration des services et pour une révolution des pauvres.

    Cette évolution est peut-être due au rajeunissement des cadres de la Confrérie du fait des arrestations massives parmi ses anciens dirigeants et activistes. On avait déjà vu dans les mois précédents un glissement semblable dans les manifestations des Frères. Les familles et les étudiants des Frères musulmans étaient devenus le centre de leurs mobilisations à la place des anciens activistes en élargissant dès lors leurs revendications soit aux libertés à l’université soit à la libération de tous les prisonniers. L’évolution actuelle peut n’être le fait que d’une partie des Frères mais on voit bien qu’elle est aussi le fait d’une logique sociale.

    Anecdote peut-être significative, le 16 septembre, la presse a raconté l’arrestation à Ismaïlia de 4 jeunes de 19 à 24 ans, qui suivaient des policiers jusqu’à leur maison lorsqu’ils quittaient leur travail pour ensuite mettre le feu à leurs voitures en bas de chez eux. Selon la presse, ces jeunes étaient les membres présumés d’un groupe des Frères musulmans baptisé… «Che Guevara». On ne peut savoir s’il s’agit d’une intoxication de la police et de la presse pour identifier dans l’esprit des gens le mouvement révolutionnaire au terrorisme, mais il faut bien avoir à l’esprit que dans un pays de 87 millions d’habitants (plus 6 millions à l’étranger) avec un taux de croissance de la population de 2,5% par an, il y a chaque année 2 millions de jeunes de plus qui peuvent s’éveiller à la vie politique sans avoir vécu consciemment le passé, ni même connu Morsi au pouvoir.

    Pour le moment, il semble que les Frères musulmans soient encore très loin d’avoir retrouvé la confiance et le soutien de la population. Déjà parce que presque tout le monde a bien à l’esprit la politique anti-ouvrière de Morsi quand il était au gouvernement et la violence des Frères pour s’opposer à la révolution dans les jours qui ont suivi le 30 juin. Et puis, en plus, il y a aujourd’hui un réel terrorisme islamiste en Egypte dérivé de la véritable guerre qui a lieu au Sinaï entre l’armée et des tribus bédouines associées à des djihadistes (dont le mouvement le plus influent vient de rejoindre Daech). Or ce terrorisme est très mal ressenti par les Egyptiens du fait qu’il frappe aveuglément tout le monde et n’importe qui… Et le gouvernement l’attribue aux Frères musulmans. Enfin les grèves actuelles se concentrent dans les régions où il y avait eu le plus de luttes contre Morsi en 2012-2013.

    Cependant, on voit bien dans l’infléchissement politique de la Confrérie qu’elle pourrait bien se positionner pour tenter de récupérer le mouvement social que ses dirigeants syndicaux et politiques nassériens et de gauche ont abandonné ou trahi et qui n’intéresse pas le mouvement démocrate révolutionnaire. Surtout si la relève à gauche tarde à venir.

    Il y a bien sûr de moins en moins de monde aux manifestations plus qu’hebdomadaires des Frères musulmans. Cependant elles n’ont pas cessé malgré la répression violente depuis le coup d’Etat de Sissi du 3 juillet 2013. On en comptait 414 en août. Ce n’est pas rien. Encore qu’il soit difficile de savoir ce qu’il en est exactement car la presse aux ordres survalorise systématiquement ces manifestations pour mieux alimenter la crainte du terrorisme et justifier les atteintes à toutes les libertés.

    Mais il ne serait pas étonnant malgré la réalité d’une répression toujours présente et de la démagogie de l’Etat contre le terrorisme islamiste, que commence, si ce n’est pas déjà fait, un certain jeu avec ces manifestations. D’une part, le pouvoir a besoin de cet ennemi pour justifier la continuation de sa politique antiterroriste. Et d’autre part, il en aura peut-être aussi besoin, comme dans le passé, pour canaliser la contestation sociale si celle-ci se développait alors que la gauche a peut-être épuisé une partie de son influence et pourrait être dépassée par de nouveaux dirigeants plus radicaux.

    Les Frères musulmans pourraient alors négocier avec le pouvoir leur capacité à détourner cette colère sociale. Et si cela ne se fait pas déjà en sous-main avec le pouvoir, ce qui pourrait expliquer en partie l’ajournement indéfini des législatives, c’est en tout cas dans leur esprit.

    On voit les enjeux de l’éveil rapide d’une nouvelle génération politique ouvrière et révolutionnaire à gauche. Il y a une course de vitesse.

    C’est pourquoi, même de loin, ce que nous disons peut jouer un rôle, même minime, dans cet éveil. Affirmer sa solidarité, maintenir le drapeau d’un programme socialiste révolutionnaire internationaliste est bien sûr nécessaire. Mais on peut aussi plus concrètement affirmer que toute politique révolutionnaire indépendante ne peut avoir comme point de départ que l’expression de ce que pensent et ressentent les exploités, en commençant ne serait-ce, pour notre part, que décrire ce mouvement ouvrier, ses aspirations, ses besoins et sa conscience, en le faisant même pour ici. (21 septembre 2014)

    Publié par Alencontre le 24 - septembre - 2014

    Par Jacques Chastaing

    http://alencontre.org/moyenorient/egypte/egypte-reprise-progressive-des-luttes-ouvrieres-leur-signification.html

  • Egypte: Un programme d'austérité à la mode du FMI! (Ael)

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    Au matin du 5 juillet, les Égyptiens se sont réveillés avec une douche glacée !

    Il est vrai que la température estivale est élevée, surtout en ce mois de Ramadan. Mais c’est d’autre chose qu’il s’agit : les prix des carburants vont désormais flamber. La veille au soir, le gouvernement a annoncé une vaste restructuration des subventions des produits pétroliers. En clair, « restructuration », signifie baisse des subventions... et donc hausse des prix !

    Les plus fortes concernent les carburants les plus couramment utilisés, à savoir le diesel et l’essence 80 octane. Le premier passe de 1,10 LE (livre égyptienne) à 1,80 LE, et le second de 0,90 LE à 1,60 LE - soit respectivement 64% et 78% de hausse [1 LE = 0,10 €]. Parallèlement, les heureux propriétaires de moyennes et de grosses cylindrées auront à supporter une augmentation de 40% pour les premiers, et de seulement 6,4% pour les seconds. Ce traitement de faveur est certainement du au fait que la subvention de leurs carburants respectifs (le 92 octane et le 95 octane) a été progressivement supprimée depuis 2012.

    Quant au gaz naturel, utilisé par un grand nombre de taxis, son prix fait un bond de 175% (1,10 LE le m3 contre 0,40 LE antérieurement) ! La colère des chauffeurs de taxis ne s’est d’ailleurs pas faite attendre. Dès ce samedi matin, ils ont bloqué plusieurs routes du Caire et d’autres gouvernorats. Déjà pénalisés par les pénuries récurrentes de carburant -qui les obligent parfois à se fournir sur le marché parallèle - ils redoutent le déchaînement de colère de leurs clients à l’annonce de l’augmentation conséquente du prix de la course !

    Sans compter le fait que, déjà accablés par la hausse des denrées alimentaires en cette première semaine du mois de Ramadan, la grande majorité des Égyptiens - dont 34 millions, selon le gouvernement, vivent au dessous du seuil de pauvreté - va devoir se serrer, encore plus, la ceinture. Indépendamment du prix du carburant à la pompe, ces hausses se répercuteront, en effet, sur le coût du transport de la nourriture et des biens, sur les transports en commun, sur l’électricité et les bonbonnes de gaz déjà rationnés, sans oublier les services. Pour la grande majorité des Égyptiens, cette suppression de l’aide de l’État aux carburants et aux produits de première nécessité (cf « Égypte : rationnement du pain high-tech ») va donc avoir une conséquence désastreuse. Leur pouvoir d’achat va s’en trouver drastiquement réduit, car c’est le programme des produits subventionnés qui leur permettait de boucler péniblement leur fin de mois. De plus, en l’absence de réglementation des prix, ils peuvent désormais s’attendre à une valse anarchique des étiquettes !

    Bref, la pilule va être dure à avaler, car jusqu’à présent, aucun gouvernement n’avait osé s’attaquer au système de subventions, redoutant certainement des mouvements de contestation sociale. Mais à peine élu, après une campagne présidentielle axée sur son prestige et non sur un programme clair - on sait maintenant pourquoi !- le maréchal Al-Sissi a finalement annoncé la couleur, et défendu le programme d’austérité, appelant les Égyptiens à faire des sacrifices pour l’économie de leur pays. L’heure est à la restriction budgétaire ! Excepté pour les « chouchous » du régime, comme les militaires dont la retraite à été revalorisée, ou la police désormais équipée de tenues et de véhicules anti-émeutes dernier cri !

    Pourquoi cette coupe drastique dans le programme de subventions de l’État aux produits de première nécessité ? Tout simplement parce que depuis janvier 2011, l’Égypte tente d’obtenir du Fmi un prêt de 4,8 milliards de dollars. Les récentes mesures d’ajustement structurel en cours - concer- nant les produits pétroliers mais aussi la farine - seront sans doute perçues comme un signal fort pour la reprise des discussions avec le banquier international, jusque-là restées au point mort.

    Logiquement, la prochaine étape de ce plan devrait toucher un secteur hyper-sensible de la société égyptienne : l’administration publique tentaculaire qui emploie des millions de fonctionnaires. Cela signifie des charrettes de chômeurs en perspective. Autant dire que les Égyptiens, qui vivent déjà sous haute tension sécuritaire et avec une épée de Damoclès dissuasive -« The protest law », la loi anti-rassemblements qui criminalise les manifestations- vont devoir avaler amèrement les couleuvres de la Sissicratie ! 27 août 2014

    Rabha Attaf est journaliste indépendante franco-algérienne.

    Auteure de Place Tahrir, une révolution inachevée, éditions workshop19, Tunis, 2012

    (Source : http://place-tahrir.blogspot.com)

    Source : http://pambazuka.org

    http://www.afriquesenlutte.org/afrique-du-nord/egypte/article/egypte-un-programme-d-austerite-a