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Egypte - Page 14

  • Sous le couvercle de la dictature, un pays toujours en ébullition (Npa)

    Bien des commentateurs limitent leur vision de l’Égypte à la répression du régime militaire de Sissi et en déduisent que la révolution est morte.

    Or, si cette répression est bien réelle et d’une brutalité inouïe, c’est parce que la révolution continue à travailler en profondeur et que le pays réel échappe de plus en plus au pouvoir.

    Cette violence spectaculaire, parce qu’elle dure sans discontinuer depuis un an et demi, témoigne moins de la force du régime que de ce qu’il fait face à des vagues incessantes de contestation qu’il n’arrive pas à briser, tout juste à contenir.

    Vu d’ici, on aurait tendance à ne voir que les condamnations de militants, les procès à grand spectacle où plus de 600 Frères Musulmans ont été condamnés à mort (encore 188 début décembre). On voit également que le régime a emprisonné plus d’opposants en un an et demi que celui de Moubarak durant toute son existence ; que les droits de grève et de manifestation sont quasi supprimés, que les manifestants sont battus, arrêtés, torturés, condamnés, emprisonnés ; qu’ils ont été plusieurs centaines cet automne, dans les prisons et en dehors – encore maintenant –, en grève de la faim pour exiger la libération des prisonniers politiques, la suppression des tribunaux militaires, l’abrogation des lois répressives ; que bien de ces militants et d’autres sont morts ou en voie de mourir ; que la presse est censurée, les journalistes poursuivis et des partis interdits ; et, pour couronner le tout, que le 29 novembre, Moubarak, ses deux fils, son ministre de l’Intérieur et six autres personnalités du régime renversé par la révolution ont été acquittés par un tribunal.

    Tout cela est vrai et mérite notre indignation, nos protestations les plus vives, notre solidarité la plus  active avec les militants égyptiens. Mais ce que l’on voit moins, c’est à quoi tente de répondre cette répression : l’incessante agitation contestatrice des Egyptiens, qui ne cesse de gagner en profondeur et en ampleur. 

    Le pays a connu plus de grèves de travailleurs ces deux dernières années que pendant la décennie ayant précédé la révolution de janvier-février 2011. La question sociale a dominé la scène égyptienne sous Sissi en février et mars 2014, lorsqu’un mouvement  de grève d’ensemble pour l’élargissement et l’augmentation du salaire minimum de la fonction publique, allant de l’industrie textile à l’industrie métallurgique en passant par cent autres professions, y compris du commerce, a fait tomber le premier gouvernement de Sissi. Sous la dictature !

    Ce mouvement s’est de plus donné deux coordinations indépendantes des appareils syndicaux avec, pour la première fois dans l’histoire de cette révolution, un large programme national ouvrier répondant aux principaux problèmes sociaux du pays, de la nationalisation du secteur productif  jusqu’à une forte augmentation du budget de la santé et l’exigence de « dégager » tous les petits Moubarak du haut en bas de l’appareil d’Etat et de l’économie.

    Grèves et manifestations interdites, mais omniprésentes

    C’est l’apparition de ces coordinations qui a poussé Sissi à se présenter aux élections présidentielles de mai, pour détourner le mouvement de grèves vers une voie de garage électorale. Mais en août et septembre, un mouvement se déclenchait dans les secteurs les plus pauvres et les moins organisés de la classe ouvrière pour exiger des augmentations de salaires ; le gouvernement cédait, en particulier aux ouvriers des briqueteries qui représentent plus de
    500 000 salariés. Et fin novembre,  ce sont les 11 000 ouvriers des aciéries d’Helwan, un secteur emblématique du monde du travail, qui reprenaient la lutte (voir ci-contre).

    En octobre, les étudiants manifestaient en nombre contre la « sécurisation » policière des universités. En novembre, les organisations paysannes menaçaient d’une grève de la production agricole – toujours d’actualité – pour l’annulation de leurs dettes et un bon système de santé. Des femmes, massivement depuis des mois, enlèvent leur voile, multiplient les selfies de dévoilement sur internet, ouvrent des sites de témoignages, dénoncent leur oppression et la religion. Dans la rue, les spectacles et sur  internet, l’athéisme jaillit et s’affiche.

    Les manifestations et les grèves sont interdites, mais il y en a tous les jours. Les partis révolutionnaires comme le « Mouvement du 6 avril » sont interdits, mais celui-ci tient des conférences de presse. L’athéisme est interdit mais les groupes athées se multiplient. L’oppression des femmes, à la base de cette société patriarcale, vole en éclats. La société craque dans toutes ses coutures, la place Tahrir a pénétré tous les foyers. La question sociale va marquer la période à venir.

    Jacques Chastaing

     
  • La portée de la grève à l’aciérie géante d’Helwan (Npa)

    Les 11 000 travailleurs de la Compagnie des Fers et Aciers d’Helwan sont entrés en grève avec occupation samedi 22 novembre 2014 pour exiger, principalement, le paiement de leurs « bonus » (une participation aux bénéfices), le limogeage de leur directeur et la réembauche des ouvriers licenciés précédemment, notamment lors de la grève de décembre 2013 ; ensuite, pour dénoncer la gestion calamiteuse de l’entreprise nationale.1

    Cette grève est importante par le nombre de salariés de cette entreprise, la puissance symbolique de cette usine géante de la métallurgie et sa situation dans une banlieue populaire du Caire de plus de 600 000 habitants. Mais sa portée va bien au-delà, socialement et politiquement. 

    Une portée sociale qui dépasse largement l’entreprise

    La grève d’Helwan a démarré parce que lors de « l’assemblée générale » (assemblée de bilan annuel qui réunit direction, syndicats et salariés) la direction n’a annoncé que de lourdes pertes sans déclarer de bénéfices, alors que la loi « oblige » les directions des entreprises nationales à accorder des « bonus » aux salariés en fonction de ces bénéfices. Or ces « bonus » représentent pour les ouvriers des sommes importantes qui peuvent aller de un à deux mois de salaire, parfois plus.

    On comprend que les salariés soient en colère. Non seulement ces prétendues pertes suppriment une bonne partie de leurs revenus mais elles servent d’excuses pour exiger plus d’effort au travail et licencier un certain nombre de salariés. De plus, le Center for Trade Union and Workers’ Services (CTUWS) a déclaré que ces pertes étaient factices et n’avaient pour but que de préparer une privatisation à bas coût. Les travailleurs dénoncent ainsi le fait qu’un des quatre haut-fourneaux de l’usine ne marche pas faute d’approvisionnement suffisant en charbon. Alors, disent-il, s’il y a vraiment des pertes, c’est soit volontaire, soit du fait de l’incompétence de la direction et dans les deux cas, elle doit être « dégagée ».

    Les travailleurs ont bien des raisons d’être méfiants, car déjà l’an passé, comme depuis dix ans, l’entreprise n’a annoncé que des pertes, ce qui avait déjà occasionné une grève en décembre 2013 pour les mêmes revendications qu’aujourd’hui et, à cette occasion, une volée de promesses du pouvoir... non tenues. Par ailleurs, la colère des salariés est aussi fortement alimentée par le fait que le leader de la grève de 2013, Ayman Sobhy Hanafy, s’est suicidé en se jetant dans le Nil, après être tombé en dépression suite à son licenciement par la direction, sans que cette dernière ne lui ait accordé dédommagements et pension.

    Mais au delà des problèmes de cette entreprise, ce qui fait de cette grève une question d’ordre nationale est que les problèmes qu’elle soulève sont aussi ceux de la plupart des autres entreprises industrielles publiques, qui n’annoncent bien souvent que des pertes. Cela implique qu’elles ne donnent pas de « bonus » – c’est-à-dire baissent les salaires –, tournent à mi-production, donc restructurent, ferment des ateliers moins « rentables », augmentent la productivité, licencient et préparent ainsi probablement leur privatisation. Toute la politique du gouvernement actuel – comme d’ailleurs des gouvernements précédents depuis 2004 – va dans le sens de cette préparation d’une nouvelle vague de privatisations. 

    Or ce secteur des entreprises industrielles nationalisées, avec au centre les usines géantes de la métallurgie et du textile, représente à lui seul 250 000 salariés, dont bien des « assemblées générales » sont à venir.

    Une grève qui en prolonge d’autres

    Par ailleurs, cette grève suit deux mouvements importants des ouvriers et en accompagne un autre, celui des étudiants.

    En février et mars 2014, un vaste mouvement de grève des salariés de l’industrie publique pour l’extension à leur secteur de la hausse du salaire minimum accordé aux fonctionnaires d’Etat, entraîné par les ouvriers de l’industrie publique du textile, avait été à l’origine de la chute du gouvernement d’alors. Cela avait provoqué la candidature précipitée de Sissi aux présidentielles de fin mai. En effet, ce dernier avait estimé, devant l’urgence sociale, que les élections présidentielles et son cortège de promesses était le meilleur moyen pour détourner les aspirations ouvrières.

    Cela lui avait réussi puisque, soutenu par tous les appareils syndicaux nationaux, anciens ou nouveaux, et la majeure partie de la gauche nassérienne, stalinienne ou social-démocrate, il était ainsi parvenu à mettre fin à la grève. Depuis, il s’était dépêché de tenter de briser toutes les libertés d’expression, de manifestation et de grève, par une répression d’une violence extrême. 

    Cependant, déjà en août puis début septembre, après le mois du ramadan, une deuxième vague de grèves avait resurgi dans le pays, venant exiger de Sissi qu’il honore ses promesses, avec notamment la grève victorieuse des ouvriers des briqueteries.

    Toutefois, ces grèves ne touchaient le plus souvent que les secteurs les plus pauvres et les moins organisés de la classe ouvrière égyptienne. Un peu comme s’il fallait du temps aux secteurs les plus organisés et militants pour digérer la trahison de tous leurs représentants syndicaux et politiques nationaux, qui soutiennent ou ont soutenu Sissi. Ou encore du temps pour revenir de leurs illusions, pour ceux, à la base, qui avaient pu être séduits par les promesses du candidat Sissi. Celui-ci, en effet, aimait à se présenter sous les couleurs de la démagogie nassérienne.

    Avec la grève de l’aciérie d’Helwan, on assiste à une nouvelle étape des luttes de l’après présidentielle, car c’est bien à nouveau le cœur de cette classe ouvrière organisée qui remonte sur la scène sociale. Et ce sont les exigences et souvenirs de la fin de la grève de février-mars qui pourraient bien refaire surface. A cette date, une douzaine de grandes entreprises industrielles publiques fraîchement privatisées s’étaient coordonnées pour exiger leur renationalisation, avec notamment déjà cette question des « bonus » au centre des préoccupations des salariés. En même temps et en association, une coordination nationale de différents secteurs du public en grève avait vu le jour, avec un large programme social reprenant les principales revendications populaires du moment. Il va donc sans dire que le cœur de la classe ouvrière égyptienne regarde avec attention ce qui se passe là, et bien des militants expliquent qu’il ne faut pas laisser ceux d’Helwan seuls. 

    La contestation étudiante

    Par ailleurs, la rentrée universitaire, le 11 octobre, a été marquée par un fort mouvement de contestation de la politique sécuritaire du gouvernement par les étudiants, et cela jusqu’à début novembre. 

    Démarré autour de la remise en cause des mesures de sécurité sur les campus prises par le gouvernement et confiées à une société privée, Falcon Security, les manifestations étudiantes se sont vite étendues à toutes les mesures interdisant toute organisation et activité politiques dans les universités. Puis, avec la répression du mouvement qui a occasionné des centaines d’arrestation et de condamnations, provoqué des centaines de blessés et plusieurs morts, les manifestations sur la majeure partie des universités se sont élargies à la dénonciation de la politique du « tout répression » des autorités militaires égyptiennes. 

    Mais le mouvement s’est peu à peu éteint, du fait de cette violente répression, mais aussi de l’action des Frères musulmans. Particulièrement implantés en milieu étudiant, ils ont en effet cherché à parasiter ce mouvement et à le détourner vers leurs revendications propres où ils mêlaient la dénonciation de la violence du régime mais aussi de sa légitimité au profit de celle de Morsi, seul à avoir été élu démocratiquement selon eux. 

    Le pouvoir s’est appuyé sur cela pour accuser le mouvement des étudiants d’être au service des Frères musulmans ou manipulé par eux. Dans un climat où le pouvoir mène une véritable guerre contre le terrorisme islamiste dans le Sinaï et s’appuie sur cette guerre pour légitimer toutes les mesures de répression, les étudiants n’ont pas su, du fait notamment de leurs revendications uniquement démocratiques, se différencier suffisamment des Frères musulmans. Dés lors, beaucoup d’entre eux ont préféré renoncer plutôt que d’être confondus avec ceux qu’ils avaient contribué à faire tomber en juin 2013.

    Or les ouvriers grévistes d’Helwan, de leur côté, ont su trouver une solution à ce problème en refusant clairement et démonstrativement refusé tout soutien de la part des islamistes.

    Une double portée politique

    Dans cette entreprise nationalisée, le gouvernement et sa politique sont directement la cible de la grève. En exigeant la démission du directeur de l’entreprise, en rappelant les revendications et le mouvement de février-mars, cette grève fait resurgir les origines de la révolution née dans les années 2004-2005, lors du « gouvernement des milliardaires » et quand ceux-ci privatisaient à tout de bras. Bref, elle continue à faire vivre la révolution en rappelant ses exigences : la justice sociale mais aussi le fait de dégager non seulement le sommet de l’Etat, Moubarak, mais encore tous les « petits Moubarak », à tous les niveaux de l’appareil d’Etat ou de l’économie. 

    Mais cette grève rappelle aussi, dans cette période où le « djihadisme » barbare semble séduire jusqu’à quelques jeunes occidentaux, que les Frères musulmans ne représentent pas cette révolution, qui s’est faite aussi contre eux et leur obscurantisme. Elle est donc encore politique pour cela, en affirmant que face aux barbaries militaires et religieuses, il y a une troisième voie, celle de la classe ouvrière, c’est-à-dire de la civilisation.

    Contre cette grève, le gouvernement a manié comme à son habitude les menaces et les promesses, la carotte et le bâton. D’une part, le premier ministre Ibrahim Mehleb a promis qu’il répondrait positivement aux revendications des travailleurs lundi 1er décembre en résolvant le manque d’approvisionnement énergétique de l’usine et en investissant dans l’entreprise. Mais les salariés n’y croient plus ; cela avait été les mêmes promesses l’an passé et rien n’a été fait. Aussi, les travailleurs ont déclaré que si rien n’était fait ce lundi, ils durciraient leur mouvement. D’autre part, quinze des dirigeants de la grève ont été menacés d’arrestation et d’être poursuivis devant le procureur militaire pour « obstruction à la production, sabotage et atteinte à l’économie nationale. » Un des dirigeants de la grève, Mohamed Abdel Maqsoud, a déclaré qu’ils avaient reçu la visite d’officiers de haut-rang les menaçant de les accuser d’être des fauteurs de troubles, au service des gangsters et membres des Frères musulmans !

    Or le gouvernement égyptien ne plaisante pas. Plus d’un militant a déjà été arrêté, torturé et condamné ces derniers temps. Et le ministre de l’Investissement a clairement affirmé, sur l’un des canaux TV satellite : « nous sommes dans un état de guerre, et nous allons agir avec les travailleurs et les entreprises comme le fait l’armée avec le terrorisme. » Le porte-parole de la direction de l’entreprise a lui-même déclaré que la grève n’était pas économique ou sociale mais avait des buts politiques, en expliquant qu’elle aurait reçu le soutien des Frères musulmans et en proclamant mensongèrement que les travailleurs avaient incité l’opinion publique à participer à leurs manifestations du 28 novembre ainsi qu’à celles du Front salafiste, quand ces derniers ont appelé à une révolution islamique en prédisant des millions de manifestants dans les rues.

    L’évolution des Frères musulmans

    Or ces manifestations à hauts risques témoigne d’une double évolution des Frères musulmans. En effet, en septembre, ceux-ci ont manifesté la volonté d’élargir leurs revendications identitaires religieuses à des revendications sociales, avec des appels à une révolution de la faim. Mais depuis, les succès militaires de Daesh en Syrie et Irak ont fortement pesé sur une partie de leurs fidèles, notamment depuis que le groupe islamiste le plus important en lutte dans le Sinaï – Ansar Beit Al-Maqdis – s’est publiquement affilié à l’Etat Islamique. Depuis octobre, on voit dans les cortèges des Frères musulmans des drapeaux de Daesh, dont les slogans y sont aussi scandés.

    Un Front salafiste s’est créé en jouant de cette tendance, dépassant très rapidement en influence Al Nour, le principal groupe salafiste jusque-là (mais qui soutient Sissi) et menaçant le crédit et le prestige des Frères musulmans.

    Les manifestations du 28 novembre, qui se donnaient l’objectif d’une « nouvelle révolution », mais de la « jeunesse islamiste », avaient été appelées par ce nouveau Front salafiste et rejointes peu après par les Frères musulmans, qui craignaient d’être doublés sur ce terrain de la radicalité identitaire. Les Frères musulmans vont ainsi un coup à gauche, un coup à droite, mêlant aux revendications sociales les idées les plus réactionnaires et rétrogrades.

    Face à la radicalisation islamiste, le pouvoir a déclaré que ce serait la dernière manifestation « autorisée » des Frères musulmans et annoncé une répression féroce contre tous les terrorismes, Sissi élargissant ces jours-ci la notion aux crimes contre l’économie. Finalement, les manifestations du 28 novembre n’ont été suivies que par quelques centaines de personnes dans quelques villes. Les rues étaient vides. Les chars bien présents en ont certainement dissuadé plus d’un. Quoi qu’il en soit, l’ascendant de Daesh ne prend pas aujourd’hui en Egypte. Par contre, le pouvoir s’est servi du danger qu’il a amplifié pour justifier ses atteintes aux libertés. Mais cette sur-réactivité répressive du pouvoir démontre l’inverse de ce qu’il voudrait, à savoir qu’il n’est pas capable de garantir la stabilité, la sécurité et la paix.

    Une seule véritable polarisation

    Dans ces conditions – qui rappellent, en changeant ce qu’il faut changer, le dilemme des forces révolutionnaires en Allemagne en 1931-1932, lorsque les nazis appelaient à descendre dans la rue pour des revendications sociales –, les travailleurs de l’aciérie ont décidé de suspendre leur grève deux jours, les 27 et 28 novembre, pour bien montrer qu’ils n’ont rien à voir avec les Frères musulmans. Le gouvernement a cru pouvoir s’engouffrer dans cette brèche en proposant des négociations mais en ne cédant que partiellement aux revendications. C’est pourquoi la grève a repris le 5 décembre  – et se poursuivait toujours dix jours plus tard.

    Le mouvement des ouvriers d’Helwan aurait certainement la capacité de coordonner autour de lui toute une série de mouvements du même type, mais aussi la contestation diffuse sur les questions de santé, ou plus généralement contre les privatisations. En même temps, sa tactique vis à vis des Frères musulmans pourrait servir d’exemple au mouvement paysan qui menaçait lui-même le pays d’une grève de la production agricole en novembre mais qui y a renoncé  – à l’occasion d’attentats mi-novembre – par crainte d’être accusé de terroriste.

    Par ailleurs, on a vu peu après le début de la grève d’Helwan, début décembre, les travailleurs de Tanta Lin, une des entreprises emblématiques des luttes de ces dernières années, publier un manifeste pour les nationalisations et contre la privatisation, demandant à tous les salariés dans des situations semblables de faire de même et de rejoindre leur combat.

    Enfin, ce mouvement montre la voie d’une politique indépendante aux plus honnêtes des militants du mouvement étudiant de ces dernières semaines, qui n’arrivaient pas à se différencier des Frères musulmans. Il indique à ces étudiants que la solution pour eux est dans le succès des travailleurs et donc dans la recherche de leur alliance, par l’élargissement de leurs revendications démocratiques à une véritable démocratie sociale.

    Les ouvriers d’Helwan montrent enfin à toute la population qu’il n’y a pas de bipolarisation de la situation politique en Egypte entre l’armée et les Frères musulmans mais au moins une tripolarisation, ou alors une seule polarisation véritable entre possédants et exploités, opposition valable et compréhensible pour toute la planète.

    Jacques Chastaing

    Notes :

    1 Cet article, qui est repris du site A l’Encontre, a été actualisé par l’auteur pour sa publication dans L’Anticapitaliste.

    http://npa2009.org/idees/la-portee-de-la-greve-lacierie-geante-dhelwan

  • Amnesty met en lumière les violences faites aux femmes en Egypte (Le Vif.be)

    http://revolutionsarabes.hautetfort.com/media/02/00/2801781831.jpeg

    En Egypte, les femmes sont victimes de violences d'une ampleur très inquiétante, tant dans la sphère privée que publique, indique un rapport d'Amnesty International publié ce mercredi. Il s'agit notamment d'agressions sexuelles collectives et d'actes de torture en détention, selon l'organisation de défense des droits de l'homme.

    Ce rapport intitulé "Circles of hell: Domestic, public and state violence against women in Egypt" révèle que malgré des réformes fragmentaires adoptées récemment, il y a une culture généralisée des violences sexuelles et fondées sur le genre.

    "La réalité est que les femmes et les jeunes filles en Egypte vivent avec la menace omniprésente de la violence physique et sexuelle, et ce dans toutes les facettes de leur vie. A la maison, beaucoup subissent les coups, les agressions et les violences de la part de leurs époux et de leurs proches. En public, elles sont en butte à un harcèlement sexuel constant et à la menace d'agressions collectives, lorsqu'elles ne sont pas la proie de violences imputables aux agents de l'Etat", selon Hassiba Hadj Sahraoui, directrice adjointe du programme Afrique du Nord et Moyen-Orient d'Amnesty International.

    Plus de 99% des femmes et des jeunes filles interrogées en Egypte dans le cadre d'une étude publiée par ONU Femmes en 2013 ont déclaré avoir subi une forme de harcèlement sexuel. Depuis l'adoption en 2014 d'une loi qui criminalise le harcèlement sexuel et le rend passible d'une peine de prison d'un an minimum, les condamnations sont rares, et la vaste majorité des victimes attendent que justice leur soit rendue.

    Amnesty International demande aux autorités de mettre au point une stratégie en vue de lutter contre les violences faites aux femmes.

  • Hommage Faten Hamama, une grande actrice et une femme rebelle (Courrier Inter)

    Faten Hamama, en janvier 2001 -AFP/Ramzi Haidar

     

    L'actrice égyptienne Faten Hamama, icône du cinéma arabe et ex-épouse du célèbre comédien Omar Sharif, est décédée le 17 janvier et a été inhumée le 18 janvier au Caire. Le site tunisien Leaders revient sur le parcours de cette grande dame de l'écran arabe.

     

    Tout un chacun, dans tous les pays arabes, connaît, ne serait-ce que par ouï-dire, la grande Faten Hamama qui vient de disparaître le 17 janvier à l'âge de 84 ans. Tout le monde connaît "la grande dame de l'écran", tout le monde l'a vue dans au moins un des cent films dans lesquels elle a joué.

    En effet, depuis ses 7 ans, cette séduisante – c'est le sens du mot "faten" en arabe – brune a tourné avec les plus grands réalisateurs : Ezzedin Zoul-Fikar – son premier mari qu'elle a épousé contre la volonté de son père qui s'y opposait en raison de leur écart d'âge –, Henri Barakat, Youssef Chahine... On l'aura compris, Faten Hamama a touché à tous les genres, les mélodrames populaires, les comédies musicales et les films réalistes et engagés. La variété de cette offre lui a gagné une large popularité qui explique la haute fréquence du prénom Faten dans l'onomastique arabe contemporaine.

    Un splendide couple mythique

    La séduisante colombe – traduction littérale du prénom [Faten] et du nom [Hamama] – a eu comme partenaires à l'écran tous les jeunes premiers et tous les grands acteurs égyptiens, mais elle a attiré le plus séduisant et le plus célèbre d'entre eux, un certain Michel Demitri Chalhoub, un Grec catholique melkite d'Alexandrie [d'origine libanaise, ses parents s'étaient installés en Egypte au début du XXe siècle] qui, par amour et pour pouvoir l'épouser, s'est converti à l'islam et pour harmoniser son nom au sien est devenu Omar Sharif. Ainsi, après la transgression du tabou paternel en s'opposant à la volonté de son père, elle en a accompli une deuxième en divorçant de son réalisateur de mari et en épousant un non-musulman.

     

    Après la naissance de leur fils Tareq, Faten Hamama et Omar Sharif constitueront jusqu'aux années 1970 un couple mythique. Mais aussi mythique fût-il, ce couple sera défait par la volonté de la rebelle Faten. En effet, lorsque son époux a cédé aux sirènes d'Hollywood, où il deviendra une star internationale en jouant notamment dans Docteur Jivago et Lawrence d'Arabie, elle a refusé de le suivre et a continué son combat social et féministe en Egypte.

    Et, pour se libérer et libérer Omar, elle a décidé de divorcer. Sans doute inspirée par son vécu, elle est parvenue à tourner en 1975 dans le film Ouridou Hallan [Je veux une solution], où elle interprète le combat d'une femme égyptienne pour obtenir un divorce. Ce film a suscité des débats houleux et des polémiques passionnées et a permis en fin de compte une révision de la législation égyptienne en faveur des femmes désirant le divorce.

    Engagement féministe

    C'est sans doute en raison de sa popularité, de ses combats pour la liberté – elle a manifesté un soutien sans faille à la guerre d'indépendance des Algériens – et surtout de son engagement féministe qu'elle a été nommée docteur honoris causa de l'Université américaine de Beyrouth (AUB) en même temps que trois autres lauréats dont Noam Chomsky, l'esprit américain le plus libre et le plus rebelle.

    Quant à l'ultime rébellion, l'ultime transgression, elle ne sera pas accomplie par Faten, mais par son petit-fils, Omar Sharif Jr, le fils de Tareq. Titulaire d'une maîtrise en sciences politiques de la London School of Economics, le petit-fils de l'interprète de Lawrence d'Arabie et du Docteur Jivago est top-modèle et il parle l'anglais, l'espagnol, le français, l'hébreu et le yiddish. En mars 2012, le jeune homme, qui a fui son pays après l'arrivée au pouvoir des Frères musulmans, a fait son coming out dans un article du magazine The Advocate : "Je suis égyptien, je suis juif et je suis gay", lâchait-il. Son grand-père, Omar Sharif, a alors pris la parole pour soutenir de tout son cœur son petit-fils : "Personne n'a le droit de contrôler ses actions ou de limiter sa liberté", a-t-il affirmé.

    Et ainsi la boucle de la tolérance, de la rébellion et de la liberté se trouve-t-elle bouclée.

    Slaheddine Dchich 19 janvier 2015

    http://www.courrierinternational.com/article/2015/01/19/faten-hamama-une-grande-actrice-et-une-femme-rebelle

     

  • Égypte : quatre ans après la chute de Moubarak (NPA)

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    Le 25 janvier 2011, dans la foulée de la révolution tunisienne, le dictateur égyptien Moubarak était chassé.

    Mais l’appareil d’État est demeuré largement intact, dont notamment l’armée et son immense empire économique. Depuis quatre ans, le pouvoir est successivement passé des mains de l’état-major de l’armée à celles des Frères musulmans, pour revenir ensuite aux militaires.

    Depuis la prise de pouvoir du maréchal Sissi le 3 juillet 2013, une répression féroce s’est abattue sur tous les opposants, qu’ils soient des partisans du président islamiste déchu Morsi ou des laïcs.

    Climat de peur et répression
    En moins d’un an, plus de 40 000 Égyptiens ont été emprisonnés, alors que Moubarak, jugé pour la mort en 2011 de 900 manifestants, était acquitté. Au nom de la sécurité, l’état d’urgence a été réinstauré et une loi interdisant tout rassemblement de plus de 10 personnes a été promulguée. La loi permet de punir de 10 ans d’emprisonnement toute personne accusée d’atteinte à l’unité nationale et à la paix sociale...


    Pour faire bonne mesure, le 5 janvier dernier, dans la crainte évidente de manifestations commémorant le 25 janvier, les avoirs et les biens de 112 membres des Socialistes révolutionnaires, du Mouvement du 6 avril et des Jeunes pour la justice et la liberté ont été saisis. On donne des gages aux salafistes en poursuivant les homosexuels, et le ministère de l’Éducation mène une campagne contre l’athéisme. Les femmes hésitent à sortir seules de chez elles, même si certaines d’entre elles, peu encore, ont quitté le voile.


    Un climat général de peur s’est installé : plus aucune discussion politique dans les lieux publics, puisque n’importe qui peut dénoncer toute discussion qu’il juge tendancieuse, avec arrestation immédiate des contrevenants.


    Pour autant, la fameuse « sécurité » dont se prévaut Sissi n’est pas au rendez-vous : jamais les frontières avec la Libye et le Sinaï n’ont été aussi dangereuses, et Anssar Beit El Makdess (lié à Daesh) n’hésite pas à commettre des attentats au Caire ou à Alexandrie.

    Pain, liberté, dignité et justice sociale ?


    Au niveau international, Sissi, qui ambitionnait d’occuper un rôle central dans la région, est vite apparu comme le soutien de la politique US, ainsi que le complice du Premier ministre israélien Netanhyaou, fermant le terminal de Rafah aux secours, ainsi qu’aux blessés, et cela au plus fort de l’offensive israélienne contre Gaza.


    Dans le pays, aucun des problèmes sociaux qui avaient abouti à la révolution du 25 janvier n’est réglé. Les investissements étrangers sont taris à cause de l’instabilité du pays, du manque de transparence et surtout de la corruption généralisée, et le tourisme est moribond. Les salaires sont bas, et le coût de la vie de plus en plus élevé à cause de l’inflation et de la baisse des subventions étatiques.


    Les États-Unis versent annuellement à l’Égypte plus de 1 milliard de dollars pour contribuer à la sécurité d’Israël. Hormis le Qatar, les monarchies pétrolières allouent des sommes considérables dans le souci de leur propre stabilité. Ces subventions ne sauraient suffire. Les premières couvrent les dépenses des forces de l’ordre et de répression ; les secondes, les salaires d’une pléthore de fonctionnaires sous, ou mal employés. La dette extérieure et intérieure atteignant le niveau abyssal de 200 milliards de dollars, la possibilité d’une cessation de paiements n’est pas à exclure.


    Des luttes ouvrières pour la défense des acquis continuent dans de grands centres industriels, mais au niveau politique, on assiste à un très fort émiettement des forces révolutionnaires, avec un grand sentiment d’impuissance à cause de la répression.


    Le chômage qui frappe particulièrement la jeunesse ne peut que devenir de plus en plus insupportable. Pain, liberté, dignité et justice sociale restent des mots d’ordre toujours plus d’actualité et la question d’une alternative politique révolutionnaire comme au lendemain du 25 janvier 2011 reste la question clé.

    D’Alexandrie, Hoda Ahmed

  • Point sur la répression en Egypte ces derniers mois (A l'Encontre)

    Le président Sissi

    Le président Sissi entouré de ses généraux

    Selon Michel Camau [1], l’autoritarisme consolidé «réunit deux caractéristiques apparemment contradictoires». Premièrement, «il affiche une capacité et un niveau de répression sans commune mesure avec leur état antérieur». Deuxièmement, le régime marque simultanément «la distance avec le passé en se prévalant de l’Etat de droit, du pluralisme et de la démocratie». Michel Camau explique que «la logique de justification de cette ambivalence est bien connue. C’est celle de l’état d’exception: prétendre à la sauvegarde d’un dispositif normatif de liberté en restreignant le champ d’application de ses procédures, au nom de la lutte contre ses ennemis putatifs».

    Il me semble que cette définition de l’autoritarisme consolidé correspond extrêmement bien au cas égyptien actuel: le régime se prévaut de la réforme démocratique et de la poursuite des objectifs de la révolution du 25 janvier 2011, mais la répression est à son plus haut niveau depuis longtemps. Le tout sous le thème de la guerre contre le terrorisme et l’islamisme, qui permet au passage de mettre au pas les récalcitrants de tout acabit.

    Je tiens dans cet article à faire le point sur cette répression multi-facettes, tout en insistant sur la manière dont différents individus et groupes sociaux se font les relais de cette répression et de cette consolidation autoritaire, en actes et en paroles, et donc en dehors du schéma classique (et caricatural bien entendu) qui voudrait que l’autoritarisme se caractérise par un Etat et une société strictement opposés l’un à l’autre.

    Les Frères musulmans

    Depuis le renversement du Président Morsi le 3 juillet 2013, les actes de répression contre les Frères musulmans se sont multipliés. La liste est longue et je n’en proposerai ici qu’un survol. Les estimations des conséquences de la répression à ce stade tournent autour de 2500 morts et 17’000 blessés, quelque 16’000 arrestations, et plus de 1000 condamnations à mort au terme de procès expéditifs. Le 26 juillet 2013, le général Sissi a appelé les Egyptiens à manifester en masse pour lui donner un mandat afin d’en finir avec le terrorisme. Cette rhétorique de la guerre contre le terrorisme est devenue depuis le principal argument du régime actuel et le prétexte à des appels réguliers à l’union nationale et à la multiplication de lois répressives.

    Après l’annonce de la condamnation à mort de centaines de partisans de Morsi à Minya

    Après l’annonce de la condamnation à mort de centaines de partisans de Morsi à Minya

    Le 14 août 2013, les forces de sécurité ont dispersé le sit-in des partisans du président Morsi déchu dans le sang. Human Rights Watch, au terme d’une longue enquête ayant conduit à l’écriture d’un rapport sur le sujet, a qualifié cette dispersion d’«attaque préméditée», de «massacre» et de «crime contre l’humanité», estimant le nombre de morts à 817. Les autorités ont d’ailleurs empêché l’organisation de venir présenter les conclusions du rapport sur le territoire égyptien. En septembre 2013, l’organisation des Frères musulmans a été déclarée organisation terroriste par les autorités. La chasse aux sorcières entamée immédiatement après la destitution de Morsi se poursuit encore aujourd’hui. Des condamnations à mort collectives ont été prononcées à plusieurs reprises contre des membres ou des partisans de la Confrérie (1212 personnes d’un coup à Minya en mars et avril 2014, 183 dont l’ancien guide suprême des Frères Mohammed Badie en juin, ou encore 188 en décembre).

    Le discours dominant, relayé par les autorités, les intellectuels et une partie de la population continue à dénoncer pêle-mêle le projet totalitaire des frères, leur volonté d’établir un nouveau califat islamique en Egypte et de transformer la société en imposant des lois réactionnaires, la nature intrinsèquement violente et terroriste de la Confrérie, l’intransigeance des leaders poussant leur base militante à se sacrifier comme des «moutons». Ce discours favorise la polarisation de la société et une forme d’irrationalité et de paranoïa qui atteint des degrés très élevés. Ainsi en octobre dernier, un étudiant (Abdel Rahman Zaidan) racontait sur sa page Facebook [2] la scène à laquelle il avait assisté dans un minibus: une femme critiquait le gouvernement en prenant à parti les autres passagers. Lorsque l’un d’entre eux s’est décidé à prendre part à la conversation et à émettre également des critiques, la femme a fait arrêter le minibus et a dénoncé l’homme à deux policiers qui gardaient une église en criant «Au secours ! Il y a un frère musulman terroriste dans le bus».

    Les ONG et les activistes

    La répression s’exerce également contre les activistes et les représentants de la société civile, en tête desquels se trouvent les ONG.

    Peu de temps après l’élection de Sissi, le 18 juillet, le ministère égyptien des Affaires sociales a publié une annonce dans le journal Al-Ahram demandant à toutes les entités civiles concernées de s’enregistrer comme ONG dans un délai de 45 jours, en vertu de la loi 84 de 2002. Cette loi oblige toutes les ONG à s’enregistrer auprès des autorités. Elle permet au gouvernement de surveiller de très près les activités des ONG, et d’imposer leur fermeture, de geler leurs avoirs et de confisquer leurs financements s’il estime que ces activités nuisent aux intérêts du pays [3]. Cette annonce, et les pressions répétées du gouvernement sur les ONG, en particulier celles travaillant pour les droits de l’homme, ont conduit plusieurs d’entre elles à fermer leurs portes ou à délocaliser, à l’image par exemple du Cairo Institute for Human Rights Studies, qui a annoncé son installation en Tunisie du fait des «menaces actuelles contre les organisations de droits de l’homme».

    Le militant politique et fondateur du Mouvement du 6 avril, Ahmed Maher, a été condamné en décembre 2013 au Caire à trois ans de prison

    Le militant politique et fondateur du Mouvement du 6 avril, Ahmed Maher, a été condamné en décembre 2013 au Caire à trois ans de prison

    Les activistes, au départ noyés dans la masse de la grande «union nationale» anti-Morsi et anti-Frères du 30 juin 2013, ont également commencé à faire les frais de la répression à partir du moment où ils ont tenté de reprendre leur indépendance et de poursuivre les revendications de la révolution. Un des principaux instruments de cette répression est la loi sur les manifestations de novembre 2013, qui accorde au ministère de l’Intérieur de larges pouvoirs discrétionnaires sur les manifestations (notamment en matière d’interdiction et de dispersion) et expose de manière vague les circonstances dans lesquelles des manifestants peuvent être considérés comme enfreignant la loi.

    Le ton est donné dès novembre 2013: après une manifestation devant le Parlement contre la nouvelle Constitution, les activistes révolutionnaires Ahmed Maher (fondateur du Mouvement du 6 avril), Mohammed Adel, Ahmed Douma et Alaa Abd El Fattah sont arrêtés. Les trois premiers sont condamnés à trois ans de prison en décembre 2013, le dernier à 15 ans en juin 2014, de même que 25 autres accusés. La manifestation de soutien aux prisonniers politiques du 21 juin 2014 pour protester contre ces peines conduit à une nouvelle vague d’arrestations de militants, dont Sanaa Seif, la sœur de Alaa Abd El Fattah, et Yara Sallam, activiste féministe. L’activiste et avocate des droits de l’homme Mahienour el Masry a également passé six moix en prison pour avoir participé à une manifestation interdite jusqu’à ce que sa peine soit suspendue en septembre dernier.

    Actuellement, Sanaa Seif, Yara Sallam et les autres activistes condamnés en même temps qu’elles sont toujours en prison. Leur peine a été réduite de trois à deux ans en décembre. Alaa Abd El Fattah a été libéré sous caution en septembre puis emprisonné à nouveau. Un nouveau procès est en cours. Ahmed Douma a lui été condamné à trois ans supplémentaires en décembre dernier pour outrage au tribunal après un vif échange de mots avec le juge en charge de son procès.

    Il ne s’agit là que de quelques exemples d’activistes emprisonnés, mais qui soulignent les méthodes et les objectifs du régime actuel. Il s’agit surtout d’empêcher que les voix des révolutionnaires soient entendues, de faire taire la dissidence et d’empêcher tout mouvement alternatif de se structurer, ainsi que d’établir un monopole d’Etat sur les revendications de la révolution du 25 janvier 2011 et du 30 juin 2013.

    Les journalistes et la liberté d’expression

    En 2014, le Comité de Protection des Journalistes a classé l’Egypte parmi les 10 pays ayant emprisonné le plus de journalistes, dénombrant 12 d’entre eux détenus dans les prisons du pays [4]. L’Association pour la Liberté de Pensée et d’Expression se demandait en décembre dans son dernier rapport sur les journalistes emprisonnés si le journalisme était devenu un crime en Egypte [5].

    Les journalistes Mohamed Fahmy (à g.) et Peter Greste (à d.), le 2 janvier 2015, un nouveau procès, dont la date n'a pas été fixée, doit avoir lieu

    Les journalistes d’Al-Jazeera Mohamed Fahmy (à g.) et Peter Greste (à d.), le 2 janvier 2015. Un nouveau procès, dont la date n’a pas été fixée, doit avoir lieu

    Le but de la répression contre les journalistes et les médias est simple: imposer le discours du pouvoir en place comme discours dominant et éliminer tout discours alternatif. Cette répression commence dès la destitution de Morsi, avec l’ordre donné par le gouvernement intérimaire de faire fermer les locaux de 6 chaînes de télévision pro-Frères. L’après juin 2013 voit aussi la fin du programme satirique de l’humoriste Bassem Youssef, symbole de la liberté d’expression et de la critique depuis le 25 janvier 2011. Plus tard, en juin 2014, c’est au tour de trois journalistes d’Al-Jazeera arrêtés 6 mois plus tôt d’être condamnés à des peines de 7 à 10 ans de prison, accusés d’avoir diffusé de fausses informations (un nouveau procès leur a été accordé le 1er janvier 2015).

    Début novembre, le département législatif du Conseil d’Etat a reçu un projet de loi visant à interdire la publication d’information concernant l’armée, dont l’un des articles stipule la nécessité de demander l’autorisation préalable des forces armées avant de diffuser des nouvelles concernant ses troupes, ses mouvements et ses équipements, et impose des sanctions de 6 mois à 5 ans de prison et 100 à 500 livres égyptiennes d’amende en cas de non-respect. Il semble cependant que la loi n’ait toujours pas été promulguée à ce stade.

    D’une manière générale, les journalistes dénoncent les difficultés qu’ils ont à travailler dans un contexte de peur, de paranoïa et de surveillance accrue. Témoignent par exemple de cette atmosphère les mésaventures du journaliste français Alain Gresh le 11 novembre 2014 au Caire, dénoncé aux renseignements puis à la police par une cliente du café dans lequel il parlait politique avec des journalistes égyptiennes. Ces phénomènes de délation et d’entraves à la liberté d’expression ne touchent pas seulement les journalistes cela dit: deux hommes égypto-britanniques et leur cousin égyptien ont été dénoncés et arrêtés dans le métro alors qu’ils parlaient d’un risque de manifestations importantes lors de l’anniversaire à venir de la révolution du 25 janvier.

    L’autocensure, elle aussi, s’est renforcée. La presse se ferme progressivement aux voix dissidentes et même la presse privée tend à renoncer à la critique, comme en témoigne par exemple l’évolution du quotidien Al Masry Al Youm, quotidien de référence de beaucoup d’intellectuels libéraux avant et après la chute de Moubarak pour ses positions distantes du régime et critiques, devenus après 2013 bien plus proche de la presse officielle symbolisée par le quotidien Al-Ahram. Autre manifestation importante de cette auto-censure, à la fin du mois d’octobre 2014, les rédacteurs en chef des plus importants quotidiens du pays se sont ainsi réunis, sous la présidence de Diaa Rashwan, le patron du syndicat des journalistes, pour rédiger une déclaration rappelant leur volonté commune d’«affronter les éléments terroristes et de protéger l’équilibre des forces dans le pays dans le cadre de la Constitution et de la loi». Concrètement, cela signifie qu’en soutien à la révolution du 25 janvier 2011 et du 30 juin 2013, ces rédacteurs en chef se sont engagés à ne plus rien publier qui puisse aider les terroristes et saper les institutions de l’Etat.

    Evacuation du campus de l'université du Caire  par des agents de sécurité lors de la manifestation  du 12 octobre 2014

    Evacuation du campus de l’université du Caire
    par des agents de sécurité lors de la manifestation
    du 12 octobre 2014

    Les étudiants

    Depuis la rentrée universitaire le 12 octobre 2014, étudiants et universités sont une cible privilégiée de la répression et de la violence. Dès cette rentrée, du fait de la crainte de la reprise des manifestations qui avaient marqué l’année universitaire 2013-2014, en particulier après la destitution de Morsi, l’accès aux campus était largement régulé par les forces de sécurité et des compagnies de sécurité privées (dont la compagnie Falcon) obligeant les étudiants à faire la queue pour passer des portiques de sécurité et pénétrer dans le campus. Les étudiants participant alors à des manifestations sont immédiatement réprimés dans plusieurs universités du pays. Le 21 octobre, un étudiant d’Alexandrie meurt des suites de blessure aux tirs de grenaille. Plusieurs centaines d’étudiants ont été arrêtés.

    Autre mesure de renforcement du contrôle des universités, le nouveau système électoral qui devait permettre la désignation des présidents d’université a été abandonné (en juin 2013): c’est donc le président de la république qui continue à nommer les présidents. Par ailleurs, un amendement du règlement disciplinaire des universités datant de février dernier permet aux présidents d’université de décider d’expulser des étudiants sans réunir de conseil de discipline. A l’Université du Caire, toute activité politique est interdite sur le campus depuis la rentrée. En octobre 2014, une nouvelle loi a confié à l’armée la protection des installations et institutions publiques incluant les universités. La loi prévoit aussi que toute atteinte à la sécurité et au fonctionnement de ces installations publiques peut être jugée devant un tribunal militaire, rouvrant allègrement la porte au jugement de civils par les tribunaux militaires, en dépit des dispositions de la Constitution.

    D’une manière générale, le positionnement de Sissi et du régime actuel vis-à-vis de la jeunesse est ambivalent: il alterne entre des excuses (pour le manque de prise en compte des revendications de la jeunesse), crainte des mouvements de jeune organisés et autonomes, exclusion politique et encouragements à participer à la vie sociale et économique égyptienne pour assurer le futur du pays.

    Les homosexuels

    La persécution des homosexuels n’est pas nouvelle en Egypte. Elle est cependant nettement renforcée ces derniers temps. Ce renforcement est à interpréter comme relevant d’une volonté du gouvernement de se présenter comme gardien de l’ordre moral pour satisfaire aux exigences d’une population largement conservatrice, qui condamne l’homosexualité au nom des principes de l’islam. Dans le contexte de l’après Frères musulmans, l’Etat tente de se montrer plus islamique que les islamistes. Par ailleurs, se concentrer sur la lutte contre les minorités sexuelles est un excellent moyen de détourner l’attention d’une série d’autres domaines dans lesquels l’Etat échoue ou avance avec difficultés. L’homosexualité n’est pas condamnée en tant que telle en Egypte, mais les autorités se servent allègrement de l’article 9 (c) de la loi n° 10/1961 sur la lutte contre la prostitution qui fait de la «pratique de la débauche», expression on ne peut plus vague, un délit.

    Acquittés après avoir été humiliés

    Acquittés après avoir été humiliés

    La dernière opération de grande envergure anti-homosexuels s’est déroulée le 7 décembre dernier: Mona Iraqi, une présentatrice de télévision sur la chaîne Al-Qahira wa al-nas s’en est prise à un hammam (établissement de bain traditionnel) qu’elle a qualifié de «plus grand repaire de perversion homosexuelle» dans la capitale égyptienne. Elle a ainsi suivi la police dans l’opération qui a conduit à l’arrestation de 26 hommes, que Mona Iraqi ne s’est pas privée de photographier avec son téléphone portable alors que les policiers les faisaient rentrer à demi-nus et humiliés dans leurs camions, accompagnant le tout de commentaires sarcastiques et sensationnalistes. Dans le cadre de l’enquête, ces hommes ont eu à subir des examens rectaux, pratique exécrable largement répandue dans le pays et utilisée afin de déterminer si une personne a eu ou non des rapports anaux récents. Les experts médico-légaux ont conclu qu’aucun des hommes interpellés n’avait eu de rapports homosexuels et que trois d’entre eux présentaient des stigmates de viol. Le procès a eu lieu et les 26 hommes ont finalement été acquittés, ce qui n’efface malgré tout en rien les humiliations qu’ils ont eu à subir.

    Ce procès n’est pas un cas isolé: à la fin du mois de décembre, huit hommes ont été condamnés à trois ans de prison (peine réduite à un an récemment) à la suite d’accusations de débauche après avoir organisé un simulacre de mariage gay et posté la vidéo sur Youtube. Certains chiffres évoquent jusqu’à plus de 150 arrestations de personnes soupçonnées d’être homosexuelles, sous couvert de la loi sur la débauche.

    Les athées

    Toujours dans l’optique de se présenter comme les gardiennes de l’ordre moral, les autorités s’en prennent également aux athées. Selon un rapport publié par Dar Al-Ifta (centre de recherche islamique et principale autorité en charge de l’émission de fatwas), il y aurait 866 athées en Egypte. Un chiffre étonnamment précis et fortement débattu, qui place l’Egypte en tête des pays arabes en matière d’athéisme. Etant donné le conservatisme de la société, les athées font généralement profil bas et évitent la publicité quant à leur athéisme. Il semble donc très difficile d’estimer leur nombre. Mais l’enquête a pourtant tiré une sonnette d’alarme et fait réagir les autorités religieuses et politiques.

    En novembre 2014, une grande réunion de deux jours a eu lieu entre représentants d’Al-Azhar et de l’Eglise afin de proposer des solutions à la diffusion du «phénomène» de l’athéisme. Ces représentants religieux se sont également exprimés régulièrement de façon publique dans les médias pour dénoncer les dangers de l’athéisme, souvent décrit comme une importation depuis l’Occident, un produit du matérialisme mais aussi un résultat de la mauvaise image donnée de l’islam par les groupes extrémistes.

    Le 10 novembre, un café du centre-ville (quartier de Abdeen) a été fermé par les autorités, après saisie de ses biens. Un mois plus tard, les autorités municipales ont déclaré que le café avait été fermé car des athées s’y rassemblaient régulièrement, entre autres pour pratiquer le «culte de Satan» (sic).

    Le fait d’être athée n’est pas criminalisé par la loi égyptienne, et la liberté de pensée est inscrite dans la Constitution. Cependant l’article 98 (f) du Code pénal stipule que les personnes jugées coupables de diffamation ou d’insultes envers les trois religions peuvent être condamnées à des peines de 6 mois à 5 ans de prison et des amendes de 500 à 1000 livres égyptiennes. L’écrivaine et journaliste Fatima Naout risque ainsi de faire les frais de cette loi dans les jours à venir: elle comparaîtra le 28 janvier devant un tribunal pour insulte à l’islam après avoir écrit sur sa page Facebook que l’Aïd el-Kebir est «le plus grand massacre commis par les êtres humains» et que «ce massacre annuel est basé sur le cauchemar passé d’un des prophètes, un jour, à propos de son fils, et bien que ce cauchemar sacré soit terminé pour le bonhomme et son fils, le mouton en paie encore le prix aujourd’hui». Autre verdict marquant: le 11 janvier 2015, un jeune homme de 21 ans a été condamné à 3 ans de prison et 1000 livres d’amende pour insulte à l’islam après avoir révélé son athéisme sur Facebook. Il a été arrêté en novembre 2014 après être allé déposer plainte au poste de police pour harcèlement (notamment par un journal local). Son propre père a témoigné contre lui. (Article paru sur le site Actu Egypte, 12 janvier 2015)

    Publié par Alencontre le 13 - janvier - 2015
    Par Mathilde du Pradel

    [1] «Remarques sur la consolidation autoritaire et ses limites» in A. Boutaleb, J.-N. Ferrié, B. Rey (coord.), L’Autoritarisme dans le monde arabe. Autour de Michel Camau, Luis Martinez, Le Caire, Cedej, coll. Débats, mai 2005

    [2] http://www.madamasr.com/opinion/politics/egypt-nation-snitches-makes-comeback

    [3] Voir l’article d’Actu Egypte du 30 octobre 2014 à propos des ONG https://actuegypte.wordpress.com/2014/10/30/le-projet-de-loi-sur-les-ong/

    [4] https://www.cpj.org/reports/2014/12/journalists-in-prison-china-is-worlds-worst-jailer.php

    [5] http://afteegypt.org/media_freedom/2014/12/10/8868-afteegypt.html

    http://alencontre.org/moyenorient/egypte/point-sur-la-repression-en-egypte-ces-derniers-mois.html

  • Egypte : Répression accrue de l’homosexualité sous le régime de Sissi (Afriques en lutte)

    « Maintenant, même à la maison tu as peur », s’alarme Hassan Shérif, un jeune Egyptien gay dont la crainte d’être inquiété par les autorités a décuplé depuis l’arrestation dans un hammam du Caire de 26 hommes soupçonnés d’homosexualité et poursuivis pour « débauche ».

    Habitués à se faire discret dans un pays où seul 3% de la population estime que « la société doit accepter l’homosexualité » –selon un sondage publié en 2013 par le centre de recherches américain Pew–, ce médecin de 32 ans redoute d’être à son tour victime de la répression ciblant la communauté gay.

    Cette chasse aux sorcières s’est intensifiée depuis que l’ex-chef de l’armée et actuel président Abdel Fattah al-Sissi a destitué l’islamiste Mohamed Morsi en juillet 2013.

    « Nous vivons constamment dans la peur et l’angoisse. De toute ma vie, je n’ai jamais ressenti ça », poursuit M. Shérif, qui habite un appartement du Caire avec son compagnon et s’exprime sous un pseudonyme.

    Les images de la dernière descente policière, diffusées sur une chaîne de télévision privée et montrant les prévenus à moitié nus, portant seulement leurs sous-vêtements, le hantent toujours. M. Shérif explique s’être déjà rendu dans cet établissement, mais dément les accusations « d’orgies sexuelles » lancées par les autorités et les médias.

    Arrestation médiatisée -

    Les 26 hommes arrêtés lors de ce raid du 7 décembre sont actuellement jugés pour « débauche » et une nouvelle audience du procès est prévue dimanche. La journaliste qui a filmé l’intervention, Mona Iraqi, s’était targuée d’avoir dénoncé le hammam à la police, après avoir découvert son existence au cours d’une enquête sur le sida.

    Cette affaire est loin d’être un cas isolé : fin décembre, huit hommes ont ainsi été condamnés à un an de prison après être apparus dans une vidéo filmée, selon le parquet, lors d’un « mariage gay ».

    Si la loi égyptienne n’interdit pas formellement l’homosexualité, plusieurs personnes ont été condamnées ces dernières années pour « débauche » dans des procès qui ont défrayé la chronique.

    Et dans un pays où l’homosexualité reste décriée, le gouvernement peut multiplier les exactions sans craindre l’opinion publique. L’ONG Human Rights Watch accusait en septembre les autorités d’avoir « à plusieurs reprises arrêté, torturé et détenu des hommes soupçonnés de conduite homosexuelle ».

    De nombreux gays et militants expliquent l’intensification de cette répression par la volonté du nouveau pouvoir de se montrer encore plus soucieux du respect des bonnes mœurs que les Frères musulmans, le groupe islamo-conservateur de M. Morsi, dont les sympathisants sont la cible d’une sanglante répression ayant fait plus de 1.400 morts.

    ‘Plus islamique que les islamistes’ -

    Dalia Abdel Hamid, experte de l’Initiative égyptienne pour les droits individuels (EIPR), parle ainsi de « répression systématique », alors que plus de 150 personnes ont été arrêtées depuis novembre pour des accusations de débauche ou de prostitution.

    « L’Etat essaye de prouver qu’il est plus islamique que les islamistes », avance-t-elle.

    Une position qui n’est pas pour déplaire aux autorités religieuses. « Il y a une différence entre les libertés et la décadence », assène Abbas Shoman, un représentant d’Al-Azhar, l’une des plus prestigieuses institutions théologiques de l’islam sunnite. « Si le pouvoir et le président n’interdisent pas une telle turpitude, quelle est leur fonction ? », poursuit-il.

    Dans ce contexte, les homosexuels font profil bas. « Je me souviens de l’époque où tout le monde allait aux mêmes fêtes et fréquentait les mêmes endroits (…) aujourd’hui, on reste en petit groupe », regrette M. Shérif, en couple depuis sept ans.

    De son côté, Bouthaina Halim, écrivain lesbienne de 34 ans, qui s’exprime sous un pseudonyme, juge les dernières arrestations « inquiétantes. »

    « Cela montre que nous sommes moins protégés que nous le pensons », affirme Mme Halim, qui a révélé son homosexualité à ses amis à l’âge de 18 ans.

    Pour elle, l’avenir de la communauté s’annonce « extrêmement triste ». Être gay en Egypte, « c’est une lutte constante », résume-t-elle. « Pas seulement pour nous ajuster à l’espace que nous concède l’Etat, mais aussi une lutte interne, pour réaffirmer que nous avons le droit de disposer de notre corps. »

    Source AFP 8 janvier 2015

    http://www.afriquesenlutte.org/afrique-du-nord/egypte/article/egypte-repression-accrue-de-l

     

  • Nouveautés sur Europe Solidaire Sans frontières

     
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    Socialistes révolutionnaires - 5 janvier 2015
     
     
    KARMI-AYYOUB Salma - 6 January 2015
     
     
    LEROUGE Dominique - 5 janvier 2015
     
     
    LCR (Belgique) - 5 janvier 2015

     

    ALIOUA Houria - 4 janvier 2015

     

  • Egypte. Le mouvement ouvrier égyptien reste une épine dans le pied des autocrates (A l'Encontre)

    Mostafa Bassiouny

     

    Entretien avec Mostafa Bassiouny
    conduit par Marwa Hussein

    Depuis le renversement de Mohamed Morsi (3 juillet 2013), le mouvement ouvrier avait reculé, mais depuis le mois de mai 2014 il y a des signes indiquant qu’il connaît une nouvelle montée. Quelles sont les positions du mouvement ouvrier égyptien par rapport à la politique actuelle de l’Egypte?

    Il y a encore des débats autour du rôle joué par le mouvement ouvrier dans le renversement du président islamiste Morsi, dans l’ascension au pouvoir de l’ancien chef de l’armée Abdel-Fattah al-Sissi et dans d’autres développements politiques majeurs qui ont eu lieu en Egypte au cours de cette dernière année.

    Mostafa Bassiouny, un journaliste et chercheur publié par Cambridge, estime que le mouvement ouvrier reste une force avec laquelle il faut compter. Il pense que la politique du gouvernement – avec la réduction des subsides, l’augmentation de l’inflation et la détérioration des services de base – va forcer les classes laborieuses à réagir. Il rappelle qu’en 2006, l’importante grève à Mahalla City, à l’ouest du Caire, avait encouragé l’opposition contre Hosni Moubarak et que cette mobilisation est restée une épine dans son pied jusqu’à son renversement en 2011.

    Mostafa Bassiouny a travaillé pendant presque deux décennies en tant que correspondant pour les questions syndicales pour la presse égyptienne et régionale. Entre autres, il a écrit des articles sur les grèves massives des ouvriers du textile à Mahall El-Kubra entre 2006 et 2008. Il a également écrit un ouvrage intitulé Bread, Freedom and Social Justice. Workers and Egyptian Revolution [Ed. Zed Books, novembre 2014], en collaboration avec Anne Alexander, une autre chercheuse au Center for Research in the Arts, Social Sciences and Humanities (CRASSH) à l’université de Cambridge.

    Ahram Online a interviewé Bassiouny sur l’attitude du mouvement des travailleurs par rapport aux événements récents et à venir de la politique égyptienne.

    Le mouvement ouvrier a connu un recul au cours de l’année dernière. Est-ce une conséquence du calme relatif qui règne dans la sphère politique en général?

    Mostafa Bassiouny: Le mouvement ouvrier fait partie de la situation politique: il influence celle-ci tout en étant à son tour influencé. Depuis novembre, le mouvement des travailleurs égyptiens se redresse avec la grève de 12’000 travailleurs à la Egyptian Iron and Steel Company [Compagnie égyptienne publique du fer et de l'acier]. Le mois passé, 6000 autres travailleurs se mettaient en grève, entre autres à El Nasr Co. for Coke and Chemicals. Comparé aux actions qu’il a menées pendant les années 2008, 2012 et 2013, le mouvement est en recul, mais récemment, entre mai et octobre de cette année, il a repris de l’ampleur, et je pense que cela va continuer.

    Par ailleurs, on ne peut pas dire que le mouvement suit réellement une courbe descendante ou ascendante. Les grèves sont plutôt de nature saisonnière. En février 2014 il y a eu une vague de grèves suite à l’entrée en vigueur du salaire minimum dans l’administration publique. A ce moment-là, plus de 250’000 travailleurs du secteur privé se sont mis en grève pour revendiquer le même traitement que les employés publics. La pression a été tellement forte que le régime a évincé (février 2014) le gouvernement de Hazem El-Beblaoui. La vague de grèves récente coïncide avec la distribution des participations aux bénéfices. Il y a également la saison des primes, qui coïncide avec l’adaptation du budget de l’Etat, etc.

    Qu’est-ce qui vous fait croire que le mouvement va s’accroître plutôt que de reculer?

    Il y a deux facteurs importants. Tout d’abord, en Egypte les mouvements de protestation des travailleurs ne se sont pas arrêtés au cours de ces dernières années; ils connaissent des fluctuations, mais ne disparaissent pas. Le deuxième facteur qui permet de penser qu’il y aura une montée, c’est la politique sociale et économique menée par l’Etat lui-même.

    Au cours de cette année, plusieurs lois favorisant le patronat au détriment des travailleurs ont été passées. L’Etat non seulement n’a pas appliqué les décisions de tribunaux de renationalisation d’entreprises privatisées, mais il a en outre ajouté une clause légale concernant les investissements interdisant à un tiers de remettre en question tout contrat conclu entre l’Etat et les investisseurs.

    Pourquoi cette politique entraîne-t-elle une montée du mouvement? L’échec de leurs revendications ne suscite-t-il pas un sentiment prolongé de découragement chez les travailleurs?

    La politique économique adoptée par l’Etat pèse lourdement sur la classe laborieuse et sur les classes défavorisées en général. La réduction des subsides pour les carburants et l’inflation qu’elle a entraînée ont frappé durement ces classes, les rendant plus enclines à réagir à ces pressions. Même si de telles mesures politiques entraînent du découragement, celui-ci ne durera pas. En fin de compte les réalités de la vie et les besoins non satisfaits prennent le dessus. Les gens veulent nourrir leurs familles, envoyer les enfants à l’école, obtenir des soins de santé et des logements décents. Ces réalités vont toujours exercer un poids. Les gens peuvent se sentir découragés ou estimer que leur mouvement ne donne pas les résultats escomptés, mais, au bout d’un certain temps, ils vont quand même réagir contre cette politique.

    Dans quelle mesure le mouvement politique exerce-t-il une influence sur le mouvement ouvrier?

    Le rapport entre les deux a toujours été complexe et il est marqué par l’opportunisme et le pragmatisme. Par exemple, en décembre 2006, le mouvement pour des réformes s’est trouvé dans une situation très difficile car le régime de Moubarak avait réussi à amender la Constitution afin de permettre à son fils [Gamal] de lui succéder et avait mis en échec le mouvement en faveur de la réforme, lequel, malgré ses efforts, n’avait pas réussi à élargir l’espace démocratique.

    Puis 24’000 travailleurs du textile se sont mis en grève pendant trois jours à Mahalla, et l’Etat a fini par accepter leurs revendications. Or, cette action a encouragé les ambitions de l’élite politique, en montrant qu’il existait une autre force politique qui rejetait le régime Moubarak. Cette grève en particulier a été suivie par une montée du mouvement des travailleurs à échelle nationale, surtout à Mahalla. Le point culminant était atteint en avril 2008 avec une grève qui a donné son nom au Mouvement du 6 avril. Pour le mouvement des jeunes cette mobilisation d’un grand nombre de travailleurs a représenté une opportunité, et c’est ainsi qu’il a appelé à une grève générale en avril 2008, même si la grève de Mahalla avait ses propres revendications.

    Après la révolution, une véritable crise a éclaté. Les travailleurs et travailleuses ont joué un rôle important avant et pendant la révolution de janvier 2011, mais le mouvement ouvrier et ses revendications ont dû faire face à une intense hostilité et une négligence de la part de l’Etat, du conseil militaire et des mouvements politiques. Les revendications des travailleurs étaient traitées comme des demandes sectorielles et le mouvement politique s’est montré parfois hostile au mouvement des travailleurs. L’écart entre le mouvement politique et le mouvement ouvrier et social a augmenté, alors même que le premier faisait pression pour que le second adopte ses revendications.

    Comment le mouvement politique devrait-il gérer ses rapports avec le mouvement des travailleurs?

    Le mouvement politique devrait prendre plus au sérieux le mouvement des travailleurs et se construire sur cette base au lieu d’imposer ses mots d’ordre aux travailleurs, même si ses revendications sont politiquement justes. Il faut comprendre qu’en réalité les revendications des travailleurs sont politiques. Exiger le retrait de la loi d’urgence est une revendication politique. Le simple fait que 24’000 travailleurs se soient mis en grève sous la loi d’urgence constitue une mise en échec de cette loi, sa suppression de facto.

    Pensez-vous que le mouvement islamiste ait une influence sur le mouvement ouvrier?

    A mon avis il n’a pas d’influence directe. Le mouvement des travailleurs a été actif entre 2006 et 2011 sous Moubarak. Ensuite, tout de suite après la révolution, il a continué à se développer sous le régime militaire. A l’époque on disait que les Frères musulmans influençaient les travailleurs pour faire pression sur les militaires. Cependant, le taux le plus élevé de grèves a eu lieu pendant le régime des Frères musulmans [sous la présidence de Mohamed Morsi: du 30 juin 2012 au 3 juillet 2013], qui pensaient que les travailleurs étaient influencés par le Front de salut national. Actuellement, une fois de plus, certains répètent que les Frères musulmans seraient derrière les travailleurs, mais tout cela est faux. En réalité, pendant toute cette période les dirigeants syndicalistes sont restés les mêmes.

    Au cours de l’année dernière, les grèves ont augmenté dans le secteur privé. Pensez-vous que les travailleurs de ce secteur jouent un rôle croissant dans le mouvement des travailleurs?

    Le mouvement a toujours été présent dans le secteur privé, mais même dix grèves dans ce secteur ne peuvent être comparées aux grèves de Mahalla [grand centre industriel, entre autres du textile]. En effet, de par sa nature, le secteur privé n’a pas de grandes concentrations de travailleurs. Ainsi, en ce qui concerne le nombre de travailleurs concernés, les mouvements du secteur public sont beaucoup plus importants que ceux du secteur privé.

    L’affrontement avec l’Etat et sa politique est également plus clair dans les grèves du secteur public. Néanmoins l’impact économique du secteur privé est plus important puisque c’est ce secteur qui est actuellement le plus dynamique dans l’économie. Dans le secteur public, les travailleurs revendiquent les allocations auxquelles ils étaient habitués sans tenir compte de la rentabilité de l’entreprise. Par contre, dans le secteur privé, les employeurs prennent leurs décisions sur des bases de rentabilité économique. Les patrons du secteur privé établissent un calcul coût-bénéfice pour décider s’ils acceptent les revendications (ou une partie d’entre elles) face à la possibilité d’un arrêt de travail de longue durée.

    La comparaison entre les deux secteurs n’est pas évidente car il faudrait prendre en considération différents facteurs, y compris le fait que ce ne sont pas les mêmes lois qui s’appliquent dans les deux secteurs.

    A un moment donné on a pu voir un niveau important de coordination entre des travailleurs de différents lieux de travail et même entre les actions de solidarité avec d’autres entreprises. L’absence de cette coordination constitue-t-elle un signe de recul?

    Cette expérience ne disparaîtra pas, c’est une leçon qui a été apprise. Cette coordination était évidente lors du mouvement des employés des impôts fonciers en 2009. Plus tard cette pratique a été adoptée par les travailleurs de la poste et les enseignants. Ensuite nous avons vu les travailleurs de différentes entreprises synchroniser leurs actions, l’exemple le plus frappant étant celui du secteur du textile. Lors des prochaines vagues du mouvement des travailleurs, cette pratique resurgira.

    Est-ce que l’application d’un nouveau Code du travail, plus restrictif en matière de droits des travailleurs, pourrait influencer le mouvement?

    Je ne pense pas que les travailleurs réagiront de manière directe face au nouveau Code du travail. La loi existante n’a souvent pas été respectée par tous les employeurs, je ne pense donc pas que l’application du nouveau Code aura un impact important. Ce n’est pas la loi qui est le principal facteur de régulation des rapports de travail. La loi qui est actuellement en discussion marquera un durcissement par rapport à la loi présente, mais elle n’introduit pas un changement fondamental. Le grand changement de la loi est intervenu en 2003 avec la libéralisation des rapports de travail. (Traduction A l’Encontre, article publié sur Ahram Online, le 11 décembre 2014)

    Publié par Alencontre le 28 - décembre - 2014