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Révolutions Arabes - Page 150

  • Liban. Les femmes réfugiées en provenance de Syrie sont exposées à l'exploitation et au harcèlement sexuel (Amnesty)

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    Le manque d'aide internationale et les politiques discriminatoires mises en œuvre par les autorités libanaises créent des conditions propices aux atteintes aux droits humains et à l'exploitation des femmes réfugiées au Liban, écrit Amnesty International dans un nouveau rapport rendu public à la veille de la Conférence des donateurs pour la Syrie, prévue à Londres le 4 février.

    Intitulé «Je veux un endroit sûr». Les réfugiées de Syrie déracinées et sans protection au Liban ce rapport dénonce le fait que le refus du gouvernement libanais de renouveler les permis de séjour des réfugiés et la pénurie de fonds internationaux aggravent la situation précaire des femmes réfugiées et les exposent à l'exploitation aux mains de personnes en position de pouvoir, notamment des propriétaires, des employeurs et même des policiers.

    « La pénurie de fonds internationaux alloués à la crise des réfugiés, alliée aux restrictions imposées aux réfugiés par les autorités libanaises, sont synonymes pour les femmes réfugiées en provenance de Syrie de risque de harcèlement et d'exploitation, et d’incapacité à demander la protection des autorités », a déclaré Kathryn Ramsay, chercheuse sur les questions de genre à Amnesty International.

    En 2015, le Liban a interdit au Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) d'enregistrer de nouveaux réfugiés syriens et a promulgué des réglementations qui durcissent les conditions de renouvellement de leur statut de résident. Sans véritable statut légal, ils risquent l'arrestation arbitraire, la détention et même l'expulsion, et beaucoup ont peur de dénoncer des abus à la police.

    Vingt pour cent des foyers de réfugiés syriens au Liban sont dirigés par des femmes. Dans certains cas, elles sont la première source de revenus de la famille, leurs époux ayant été tués, détenus, enlevés ou ayant disparu de force en Syrie.

    « La majorité des réfugiés syriens au Liban luttent pour survivre dans des conditions désespérées. Ils se heurtent à une discrimination généralisée et à de grandes difficultés pour se nourrir, se loger et obtenir un travail. C’est d’autant plus vrai pour les femmes réfugiées. Beaucoup – notamment celles qui dirigent leur foyer – se retrouvent exposées au harcèlement, à l'exploitation et aux violations des droits humains, au travail et dans la rue », a déclaré Kathryn Ramsay.

    Pauvreté et exploitation aux mains des employeurs et des propriétaires

    Environ 70 % des familles réfugiées syriennes vivent très en-dessous du seuil de pauvreté au Liban.La réponse humanitaire de l'ONU à la crise des réfugiés syriens est systématiquement sous-financée. En 2015, l'ONU n'a reçu que 57 % des fonds requis pour son action au Liban. Cette grave pénurie a contraint le Programme alimentaire mondial (PAM) à réduire l'allocation alimentaire mensuelle fournie aux réfugiés les plus vulnérables – elle est passée de 27 euros à 12,50 euros à la mi-2015. Après une injection de fonds fin 2015, cette allocation a été augmentée à 20 euros – soit 0,66 euros par jour. Un quart des femmes avec lesquelles Amnesty International s'est entretenue avaient cessé de recevoir des versements pour l'alimentation au cours de l'année 2015.

    De nombreuses réfugiées ont déclaré lutter pour faire face au coût élevé de la vie au Liban et se procurer des vivres ou payer le loyer, ce qui les rend plus vulnérables à l'exploitation. Selon le témoignage de certaines femmes, des hommes leur ont fait des avances sexuelles déplacées ou leur ont proposé de l'aide ou de l'argent en échange de sexe.

    Dans un contexte de discrimination généralisée à l'égard des réfugiés au Liban, les réfugiées qui ont réussi à trouver un emploi pour subvenir à leurs besoins sont exploitées par leurs employeurs, qui leur versent des salaires excessivement bas. « Ils savent que nous accepterons même le plus bas salaire parce que nous en avons besoin », a déclaré « Hanan », une réfugiée palestinienne venue de Syrie dont le nom a été modifié pour protéger son identité.

    « Asmaa », 56 ans, réfugiée palestinienne venue de Syrie qui vit à Chatila, un camp de réfugiés situé dans la banlieue sud de Beyrouth, a déclaré qu'elle interdisait à ses filles de travailler, de peur qu'elles ne soient harcelées : « Ma fille a travaillé dans un magasin. Le responsable l'a harcelée et l'a pelotée. C'est pour cette raison que je ne laisse plus mes filles travailler. »

    Plusieurs femmes ont raconté qu'elles avaient quitté un travail ou renoncé à en prendre un parce que le comportement de l'employeur était indécent.

    Trouver assez d'argent pour se loger est un autre défi de taille. Au moins 58 % des réfugiés syriens vivent dans des appartements ou des maisons de location, d'autres dans des bâtiments délabrés et des quartiers informels. De nombreuses femmes ne sont pas en mesure de régler les loyers exorbitants et se retrouvent dans des logements sordides.

    « Qu'elles soient sous-payées au travail ou qu'elles vivent dans des logements sales, infestés de rats et délabrés, elles n'ont pas de stabilité financière, ce qui est source d'énormes difficultés et incite les personnes en position de pouvoir à profiter d'elles », a déclaré Kathryn Ramsay. 

    L'absence de statut juridique accroît les risques

    En raison des procédures bureaucratiques pesantes et des coûts élevés de renouvellement de leurs permis de séjour mis en place par le gouvernement libanais en janvier 2015, de nombreux réfugiés ne peuvent pas renouveler ces documents. Sans permis valide, les réfugiés syriens craignent d'être arrêtés et ne signalent pas les violences à la police.

    La majorité des réfugiées avec lesquelles s'est entretenue Amnesty International ont expliqué que l'absence de permis de résidence les empêche de dénoncer les abus aux autorités libanaises. « Hanan », réfugiée palestinienne de Syrie qui vit dans un camp de réfugiés près de Beyrouth avec ses trois filles, s'est rendue au poste de police pour porter plainte contre un chauffeur de bus qui la harcelait. Les policiers l'ont renvoyée sans enregistrer sa plainte, au motif qu'elle n'avait pas de « statut juridique ».

    « Ces femmes ont bien conscience que le harcèlement et l'exploitation qu'elles subissent sont aggravés par le fait que, n'ayant pas de permis de résidence valides, elles n'ont nulle part où demander aide et protection », a déclaré Kathryn Ramsay.

    Une autre femme syrienne a raconté qu'elle était devenue la cible de harcèlement après s'être rendue à la police :

    « Au bout d'un certain temps, les policiers passaient devant notre maison ou nous appelaient, et nous demandaient de sortir les rejoindre. Il s'agissait des trois policiers qui avaient pris notre déposition. Parce que nous n'avons pas de permis [de résidence], ils nous ont menacées. Ils ont dit qu'ils nous mettraient en prison si nous ne sortions pas avec eux. »         

    Le Liban accueille un plus grand nombre de réfugiés par habitant que tout autre pays au monde, et il n'est guère soutenu par la communauté internationale. Toutefois, cela ne saurait justifier le fait de ne pas protéger les réfugiées contre l'exploitation et les violences.

    « L'afflux de réfugiés exerce une pression considérable sur le Liban, mais ce n'est pas une excuse pour leur imposer des restrictions aussi sévères et les mettre en danger, a déclaré Kathryn Ramsay.

    « Au lieu de favoriser un climat de peur et d'intimidation, les autorités libanaises doivent modifier leur politique en vue de protéger les femmes réfugiées et de faciliter le renouvellement des permis de résidence, sans restriction, de tous les réfugiés. »

    Un soutien international crucial

     Le manque d'aide et de fonds internationaux destinés aux réfugiés au Liban contribue directement à la pauvreté et à la précarité des réfugiées, les exposant à des risques accrus.

    Selon le HCR, au moins 10 % des réfugiés syriens dans les pays d'accueil, soit 450 000 personnes, sont vulnérables et ont besoin d'être réinstallés de toute urgence dans un autre pays en dehors de la région. Le HCR considère que les femmes et les jeunes filles qui sont en danger entrent dans la catégorie des réfugiés « les plus vulnérables ».

    Amnesty International demande à la communauté internationale d'augmenter le nombre de places de réinstallation et le nombre d'itinéraires sûrs permettant aux réfugiés venus de Syrie de quitter la région.

    En outre, elle doit accroître nettement l'aide financière et mettre à profit la conférence des donateurs du 4 février pour s'engager à satisfaire les demandes de financement de l'ONU destinés à faire face à la crise en Syrie pour 2016-2017.

    « Les pays les plus riches du monde – l'Union européenne dont le Royaume-Uni, les États du Golfe et les États-Unis notamment – doivent se mobiliser davantage en vue de remédier à cette crise. Ils doivent accroître l'aide humanitaire pour les personnes en Syrie et les réfugiés dans la région, et partager la responsabilité de la crise en réinstallant un plus grand nombre de réfugiés, a déclaré Kathryn Ramsay.

    « Enfin, ils doivent collaborer avec les pays d'accueil comme le Liban pour lever les obstacles à l'enregistrement légal des réfugiés et faciliter l'accès à des services vitaux, afin de protéger tous les réfugiés, et notamment les femmes, contre les violations des droits humains. »

    2 février 2016

    https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2016/02/lebanon-refugee-women-from-syria-face-heightened-risk-of-exploitation-and-sexual-harassment/

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  • Syrie Liban : La déclaration de Madaya (Essf)

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    « L’horreur de la politique du meurtre et du siège imposée par le régime et ses acolytes »

    Face à l’ampleur de la crise en Syrie, au danger qui menace son devenir et ses habitants, à l’horreur de la politique du meurtre et du siège imposée par le régime et ses acolytes, et partant d’un sentiment humanitaire, de la responsabilité arabe, de la fraternité islamique et historique, nous élevons notre voix, soutenons les habitants de Madaya et refusons le fait d’affamer, de tuer et d’assiéger.

    1. Nous condamnons le siège de Madaya qui a pris des proportions dramatiques avec un embargo sur la nourriture, l’eau et les médicaments. Nous considérons que ceci est une violation de toutes les valeurs humanitaires et des droits de l’homme.

    2. Nous refusons que des Libanais prennent part au meurtre et au siège de nos parents en Syrie sous prétexte de « combattre les terroristes ». Il s’agit de la même logique appliquée par Israël aux militants libanais et palestiniens.

    3. Nous considérons que l’approbation puis le refus par le régime syrien de faire entrer des denrées alimentaires à Madaya sont la preuve que les gens meurent de faim dans la ville, conformément à ce que les médias et réseaux sociaux ont montré. Le Hezbollah avait également indiqué dans un communiqué son implication dans le siège de Madaya.

    4. Nous refusons que l’ensemble de la communauté chiite soit considérée comme responsable de ce qui se passe à Madaya et faisons porter la responsabilité exclusivement à ceux qui sont en train de perpétrer ces crimes. Nous proclamons l’innocence des chiites face à l’« holocauste » syrien et ses résultats.

    5. Nous demandons le retrait immédiat des éléments armés libanais en Syrie qui combattent aux côtés du régime, et surtout dans les régions proches du Liban telles que Zabadani ou Qalamoun. Nous considérons que les habitants de ces régions sont soumis à des changements démographiques qui brisent le tissu social et historique commun aux peuples libanais et syrien et qui marqueront le vivre-ensemble pour les dix prochaines années.

    6. Nous demandons la mise en place d’une solution politique qui garantirait l’union du peuple syrien et le retrait de toutes les forces impliquées dans le conflit. Nous demandons de laisser le peuple syrien décider de son sort.

    lundi 11 janvier 2016

    Voici la liste des signataires de la « déclaration de Madaya » :

    Malek Mroué, Ali el-Amine, Moustapha Fahs, Harès Sleiman, Hanine Ghaddar, Hussein Choubassi, Badia Fahs, Souhair Khalifé, Roulana Achraf, Waël Wehbé, Ali Noun, Marwan el-Amine, Khalil Jaber, Ahmad Hariri, Ali Ezzeddine, Abbas Jawhari, Jad el-Akhaoui, Salwa Oneissi, Tarek Malaëb, Shirine Abdallah, Rifaat Halabi, Mouna Tibi, Abbas Mtairik, Ali Mrad, Ali Haïdar Cheaïb, Tony Abi Najm, Hassane Abou Nayef, Abdel Mouttaleb Bakri, Adel Taher, Hatem Darak el-Sibaï, Nada Mhanna, Rachad Rifi, Samia Aoun, Fadia Choucair, Saad Faour, Talal Tohmé, Nafeh Saad, Eddie Salamé, Rima Masri, Hassan Mrad, Michel Hajji Georgiou, Hassan Jaber el-Chamri, Marcelle Noujeim, Roula Hussein, Ghandi el-Mohtar, Sakhr Arab, Tammam el-Ali, Thouria Bakour, Leila Salamé, Fayad Makki, Joumana Merhi, Paul Jeïtani, Walid Fakhreddine, Mohammad Moqdad, Antoine Courban, Carole Faddoul, Amer Abazid et Rayan Daher.

    http://www.lorientlejour.com/article/964159/le-texte-de-la-declaration-de-madaya.html

    http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article37076

  • Peut-on être contre la guerre en Syrie en se taisant sur le régime de Damas, l’Iran, le Hezbollah, la Russie... ? (Essf)

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    *

    Le 15 janvier dernier, Christine Delphy ouvrait un meeting [1] qui se tenait à la Bourse du travail et faisait suite à un appel d’intellectuels [2] paru le 24 novembre dernier dans la presse, appel se voulant une réponse non seulement à l’Etat d’urgence institué par le gouvernement mais aussi « à la guerre » proclamée par ce même gouvernement. C’est ce second aspect que je vais aborder.

    Assad ? Connais pas...

    Le discours de Delphy et l’Appel présentent bien des points communs avec toutefois des nuances.

    Le problème avec cet appel et d’autres assez proches, ce n’est pas tant ce qu’ils disent, nous y reviendrons... que ce qu’ils ne disent pas.

    Car enfin, de quoi parlons-nous ? De la guerre en Irak et en Syrie où la France intervient par des frappes aériennes. Or, il semblerait qu’un certain nombre d’acteurs de premier plan dans ces guerres ont disparu des radars de nos signataires.

    - Quid de Bachar el Assad qui, depuis bientôt cinq ans, torture, emprisonne, bombarde, affame son peuple et qui a provoqué la mort de plus de 250 000 personnes en Syrie et le départ de millions de réfugiés ? [3]

    - Quid de l’Iran qui a formé les terribles milices paramilitaires chiites dont les exactions et tueries répétées en Irak, ne sont pas pour rien dans la « protection » qu’on cherchée les tribus sunnites dans l’Etat islamique ? L’Iran qui depuis le début de la révolte des Syriens contre le dictateur Assad soutient implacablement ce dernier envoyant armes et troupes contre les insurgés ?

    - Quid du Hezbollah dont le tragique siège de Madaya, ville affamée depuis plus de 7 mois par le groupe libanais, vient de révéler au grand jour son rôle de fer de lance dans la contre-révolution syrienne ? [4]

    - Quid de la Russie qui, après avoir armé et instruit l’armée syrienne, soutenu inflexiblement Assad dans toutes les instances internationales, déverse depuis le mois de septembre 2015 ses tapis de bombes sur les insurgés ?

    Aucun de nos anti-guerre n’a visiblement entendu parler de l’Iran, du Hezbollah, de la Russie ou d’Assad.

    Est-ce à dire que l’Iran, le Hezbollah, la Russie interviennent en catimini, sous faux drapeau ? On peut leur reprocher bien des choses, mais pas cela.

    C’est avec tous les honneurs que l’Iran a enterré à Téhéran, le brigadier général Hamid Taghavi, tombé « en martyr en Irak » en décembre 2014 et dont le corps fut veillé au siège des gardiens de la Révolution.

    Tout comme Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah libanais présentait les honneurs en octobre 2015 à l’un des plus hauts responsables militaires du mouvement, Hassan Hussein al-Hage tué également dans les combats en Syrie.

    Quant aux Russes, à l’inverse de la stratégie des petits hommes verts sans identification menée en Crimée et dans le Donbass, ils n’ont eu de cesse de mettre en scène de façon outrancière leur intervention directe, le déploiement de leurs navires, de leurs avions, de leurs forces spéciales. On a pu voir des photos du métropolite de Moscou bénir les avions qui partaient en Syrie [5] et les communiqués de victoire se succéder, couvrant les protestations des ONG qui pointent les bombardements indiscriminés de civils, d’écoles, d’hôpitaux.

    L’Etat islamique n’est pas la principale préoccupation de l’Iran, du Hezbollah et de la Russie. Leurs cibles prioritaires ce sont les insurgés anti-Assad, leur but est de sauvegarder le régime, quel que soit le prix final que devra payer le peuple syrien.

    Mais de tout cela, nos « anti-guerre » n’ont visiblement jamais entendu parler. Delphy se plaint de ne pas avoir de photos de morts ou de chiffres des civils tués ? [6] Eh bien qu’elle suive un peu les organisations de droits de l’homme syriennes, elle aura des images, des vidéos, des chiffres, des schémas, des témoignages. [7] Quant au Hezbollah, n’est-il pas le héros de la guerre contre Israël ? C’est d’ailleurs cette expertise qui fait de lui la cheville ouvrière du soutien à Bachar et nous vaut sans doute ce silence.

    Intervention ou non-intervention ?

    Comment juger cette apparente cécité ?

    Prenons une comparaison : si pendant la Première Guerre mondiale, les militants ouvriers et les révolutionnaires réunis à Zimmervald avait fait une déclaration dénonçant vigoureusement les pays de l’Entente, la France, la Grande-Bretagne, la Russie... tout en « oubliant » de mentionner (je dis bien de mentionner, même pas de condamner !) l’Allemagne, l’Autriche et la Turquie ? Auraient-on pu décemment taxer ces militants « d’anti-guerre » ? Non, bien évidemment. Le titre de soutiers de la Triplice aurait été plus adapté à de tels « pacifistes ». [8]

    Alors entendons-nous bien, l’intervention aérienne des Occidentaux, dont la France, contre l’Etat islamique, soulève une question importante : ses effets positifs compensent-ils les effets négatifs ? Il est indéniable que les bombardements sur la zone contrôlée par l’EI et notamment sur ses infrastructures pétrolières ont eu un effet d’attrition sur le groupe jihadiste. De même, le soutien aérien occidental a permis la reconquête de Ramadi par l’armée irakienne et de Sinjar par les Kurdes. Mais outre les inévitables victimes civiles, surtout dans un contexte d’utilisation systématique par l’EI de boucliers humains, le rejet de toute intervention étrangère par les tribus sunnites n’est pas à négliger.

    Les Occidentaux devraient-ils se contenter d’armer, de former et d’entraîner les groupes locaux qui luttent contre l’EI mais aussi contre Assad ? Il est indubitable que le credo de l’EI « tous contre nous » qui s’est encore trouvé renforcé par l’intervention des Russes est un argument de poids dans le recrutement international qui caractérise ce groupe. On doit d’ailleurs discuter l’intérêt militaire même de la participation de la France aux frappes. En effet, contrairement à la vision apocalyptique de Christine Delphy, les frappes françaises comptent pour... 5% des frappes de la coalition contre l’EI. Bien des observateurs sérieux n’ont d’ailleurs pas manqué de railler le décalage entre la posture martiale de Hollande et la réalité militaire sur le terrain.

    Mais quoiqu’il en soit, cette discussion, difficile, ne peut avoir lieu qu’avec ceux qui dénoncent les crimes d’Assad et de ses soutiens. Car que signifie aujourd’hui se focaliser sur l’intervention occidentale en « oubliant » les interventions russes et iraniennes sinon un soutien hypocrite au boucher de Damas dont l’EI est le « meilleur ennemi du monde ».

    Les doux liens du commerce

    Il en va de même pour les ventes d’armes. L’EI sont d’immondes salauds nous disent les signataires de l’appel, mais l’Arabie Saoudite à qui nous vendons des armes ne vaut guère mieux. On ne peut qu’approuver à 100% la définition des Saoudiens comme fieffés salauds. Mais là encore, nous rappelons à nos « pacifistes » que l’Iran, sur lequel ils ne pipent mot, a à son actif plus 966 exécutions en 2015, numéro 2 mondial derrière la Chine et le « modéré » Rohani en a plus de 2000 depuis son accession au pouvoir. [9] La pantalonnade des statues capitoliennes en Italie vient nous rappeler que grands principes et commerce sont deux choses bien distinctes. Gageons que le futur accord sur la centaine d’Airbus n’est que l’apéro d’un repas qui s’annonce copieux et où la morale ne sera guère invitée.

    En passant, je trouve assez curieux de condamner vigoureusement l’idéologie portée et exportée par, disons pour faire court, l’Arabie Saoudite... sauf quand elle est exportée dans nos banlieues où elle se convertit en réaction contre le « colonialisme d’Etat ».

    Quant à la guerre-pour-vendre des armes, la réalité est bien entendu un peu plus complexe. Bien sur que rien ne vaut une bonne expérience réelle pour booster les ventes. Le meilleur exemple reste la guerre des Malouines en 1982 où l’Exocet (fabrication française) des Argentins coula le Sheffield anglais. Et bien que déplorant vraiment-au-fond-du-cœur la mort des marins anglais, nos alliés quand même, ce touché-coulé fit beaucoup pour les ventes du missile.

    Mais si les monarchies du Golfe ont changé de fournisseur, tournant le dos au traditionnel ami américain en la matière, ce n’est pas parce qu’ils ont découvert tout à coup les vertus du meilleur-avion-de-chasse-du-monde (dixit Dassault) mais pour envoyer un signal à Barack Obama dont le dégel avec l’Iran est considéré par les régimes sunnites comme une véritable trahison. Le même jeu de billard à trois bandes est d’ailleurs valable pour l’Inde.

    Alors quelle se fournissait chez les Russes depuis des décennies, elle a soudainement décidé d’acheter des Rafale après que le Pakistan, l’ennemi par excellence, a annoncé qu’il venait d’acquérir... des Sukkhoi auprès des Russes, rompant ainsi lui aussi avec son fournisseur habituel, les USA. [10] Il faut dire que les relations entre les deux pays ne sont plus au beau fixe depuis quelque temps : outre que les Américains ont peu apprécié de découvrir que Ben Laden coulait des jours tranquilles au Pakistan, le double jeu de ce pays avec les talibans afghans a fait monter l’exaspération. Mais les Pakistanais commencent à se mordre les doigts de ce petit jeu depuis que lesdits Talibans mènent de sanglants attentats sur leur sol. [11] Ces deux exemples juste pour montrer qu’une fois de plus, aller vers l’Orient compliqué avec des idées simplettes, ça n’aide pas.

    Cela étant dit, c’est bien évidemment toute la politique d’armement d’un « vrai » gouvernement de gauche, qui devrait être revue, tout comme sa politique étrangère et son commerce extérieur, même s’il faut reconnaître que le juste milieu entre angélisme niais (on ne commerce et on n’a de relation qu’avec les gentils) et cynisme affirmé (si c’est pas nous c’est les autres qui le feront, donc autant que cela aille dans nos poches) n’est pas chose aisée dans les faits, tout du moins quand on est au pouvoir. Ainsi saluer l’accord avec l’Iran qui met fin aux sanctions ne devrait pas empêcher la critique du régime.

    Et pourtant ils existent...

    Pour conclure, non le terrorisme n’est pas une simple réponse aux méfaits des Occidentaux. C’est une arme qui vise par des moyens limités à effet de levier, à déstabiliser les sociétés dans un but politique bien défini. C’est pourquoi il frappe toute une série de pays d’Afrique et d’Asie, citons en vrac, la Tunisie, la Belgique, l’Indonésie, l’Inde, le Pakistan, le Kenya, la Somalie, le Cameroun, le Nigeria, l’Algérie, la Turquie, l’Egypte, l’Afghanistan, l’Irak, le Yemen, la Syrie, et ... l’Arabie Saoudite.

    Si l’on est un tant soit peu attentif, on verra qu’il n’est pas de jour, je dis bien de jour, où les organisations liées soit à Al Qaida soit à l’Etat islamique [12], ne commettent une ou plusieurs attaques contre un ou plusieurs pays. La France n’est donc qu’une des cibles. Une cible importante idéologiquement, comme l’a bien montré la violente dénonciation par l’EI des enseignants et de l’Education nationale.

    Certains des pays touchés par ce terrorisme sont impliqués dans les guerres du Moyen-Orient, d’autres non, montrant ainsi que faire des attentats une « réponse » aux Occidentaux, qui chez Delphy prend l’allure d’une véritable légitime défense, c’est refuser de se colleter avec la signification politique de ces mouvements. Avec leur dimension et vocations internationales affirmées, ils sont porteurs d’un projet de société dont le califat de l’EI est une vitrine. Et bien entendu, aucune réponse militaire seule ne viendra à bout du phénomène. [13] Toutefois, je trouve plaisant que ceux qui n’ont que le racisme post-colonial à la bouche pour tout expliquer, dénient à ces « ex-colonisés » la découverte que firent les Européens au XIXe siècle, à savoir l’intérêt d’une Internationale.

    Contrairement au assertions de Delphy, à qui nous devons quand même ce magnifique oxymore « panique calme » bien à sa place aux côtés des catholiques zombies chers à Todd, les Français n’ont pas paniqué après les attentats. Car ils ne furent pas une « surprise » comme elle le prétend. Faut-il lui rappeler qu’ils venaient après d’autres attentats, ceux de janvier 2015, qui mirent plusieurs millions de personnes dans la rue ? On peut sourire des « Tous en terrasse » et autres « Même pas peur », mais cela n’est pas un signe de panique. Jusqu’à présent, la résilience de la société a très largement prévalu. Mais qui sait ce qui se passerait si se produisait un autre attentat majeur, en France ou en Europe, ou bien une succession d’attentats même « faibles » ? Or, chacun le sait, il ne s’agit pas là d’une hypothèse d’école mais d’une réalité tout à fait possible.

    Paris, le 28 janvier 2016

    Ariane Perez

    http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article37075

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