Ecologie - Page 3
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Nouveautés sur Agence Médias Palestine
Silvia Boarini – The Electronic Intifada – 15 août 2016 « Avec les démolitions, les gosses prennent peur. C’est vraiment dur, mais nous continuons. Israël veut que nous partions, mais nous ne bougeons pas. Nous avons notre foi », dit Bilal Hammadin, 22 ans, habitant du village d’Abu Nuwwar, près de Jérusalem. Le regard de...Une installation lumineuse internationale coordonnée par la ‘Coalition de l’Eau’ demande des droits à l’eau égaux pour le Palestiniens. Une installation lumineuse internationale coordonnée par la « Coalition de l’Eau » demande des droits à l’eau égaux pour les Palestiniens, le 14 août 2016. (Oren Ziv/Activestills.org) Des militants du monde entier ont organisé, ces quelques derniers jours,...Par Bayan Hannad, The Electronic Intifada – 12 août 2016 « Roméo et Juliette en Palestine : enseigner sous l’occupation », par Tom Sperlinger, Zero Books (2015) « Roméo et Juliette en Palestine » raconte les cinq mois que le conférencier de l’université de Bristol, Tom Sperlinger, a passés à enseigner la littérature anglaise dans une université palestinienne en... -
Catastrophe écologique dans sept wilayas de l’est du pays (Algeria Watch)
Hécatombe de poissons et de foulques macroules
Serait-ce réellement une catastrophe écologique, avec tout ce que cela suppose comme conséquences sur l’homme et la nature que viennent de frôler Annaba et six villes voisines ?
Tout porte à le croire. D’importantes quantités d’effluents liquides contenant des substances chimiques hautement toxiques larguées, il y a quelques jours, dans l’oued Seybouse qui s’étire sur 240 km et traverse — pour ne pas dire irrigue — de vastes territoires de Annaba, Guelma, Souk Ahras, El Tarf en passant par Constantine, Skikda et Oum El Bouaghi, ont «exterminé» une vingtaine de tonnes de poissons de différentes espèces et des milliers de foulques macroules fréquentant les lieux.
Constatant l’ampleur des dégâts occasionnés et leurs prolongements sur les espaces immédiats, la cellule en charge de l’environnement, relevant de la Gendarmerie nationale, s’est emparée de l’affaire et ce, outre le ministère des Ressources en eau et de l’Environnement qui s’apprête à déployer une commission d’enquête pluridisciplinaire. «Nous attendons les résultats des analyses en cours sur des cadavres de poissons et des échantillons d’eau prélevés sur les lieux pour engager une action judiciaire à l’encontre des auteurs de ce crime écologique. Les laboratoires de la Gendarmerie nationale et de la direction de l’environnement de Annaba sont à pied d’œuvre pour déterminer l’origine de l’hécatombe qui a touché des dizaines de milliers de poissons, mais aussi d’oiseaux», a indiqué à El Watan Ali Halimi, président de l’Association nationale pour la protection de l’environnement et la lutte contre la pollution (Anpep).
L’écologiste pointe, d’emblée, un doigt accusateur en direction de certains industriels de Annaba puisque, précise-t-il, «après trois jours d’inspection continue, les membres de notre association, assistés par les gendarmes, ont pu constater l’étendue des dégâts, particulièrement concentrés aux alentours de la zone industrielle Pont-Bouchet (El Hadjar)». Une fois déterminée, la nature de la substance à l’origine de la mort soudaine de ces poissons et oiseaux palmipèdes, poursuit-il, devrait aider les enquêteurs à identifier le type d’industrie qui y aurait recours. Ainsi pourront aussitôt être actionnés et appliqués, dans toute leur rigueur, les dispositifs répressifs prévus par la loi, promet, d’un ton ferme, le président de l’Anpep.
Dans cette perspective, se félicite-il, un collectif d’une vingtaine d’avocats très impliqués dans le domaine, issus de différents barreaux de l’est du pays, s’est constitué volontaire pour l’«affaire oued Seybouse». Mieux, «à travers votre journal, nous annonçons qu’une récompense fort intéressante est réservée à toute personne qui nous fournirait une preuve matérielle nous permettant d’identifier la ou les entreprises à l’origine de ce crime écologique», renchérit notre interlocuteur. D’autant que, par cet acte irresponsable — mettant également en danger la santé de l’homme, particulièrement celle des populations de 68 communes riveraines du Seybouse, en plus des graves atteintes à la faune et la flore — «ces criminels ont réduit à néant tous les efforts et les innombrables opérations de dépollution cycliques menées depuis une dizaine d’années», déplore M. Halimi, décochant, dans la foulée, quelques flèches acerbes à l’endroit des pouvoirs publics, ceux en charge de la question environnementale en particulier. Sans s’en rendre compte, ces derniers ont sous les yeux l’exemple le plus édifiant des ravages induits par leur laxisme et leur laisser-faire viscéral, semble-t-il. L’exemple dont il parle, l’oued Seybouse, l’incarne à bien des égards.
Car c’est là où des industriels, très peu scrupuleux, n’hésitent pas à se débarrasser de déchets encombrants : près de 4,5 millions de mètres cubes/jour de différents types d’effluents liquides et autres produits et substances chimiques dangereux, sans compter 3,5 à 4 millions de mètres cubes/an d’eaux usées.
Aussi, ce laxisme «officiel» et l’impunité, voire la protection dont bénéficient certains industriels se déclinent dans toute leur dimension lors de la catastrophe à laquelle avait échappé, il y a quelques années, la population de la localité d’Essebt, dans la daïra de Azzaba. C’était le lundi 5 novembre 2012, lorsque les habitants de cette commune, située à moins de 50 km au sud-est de Skikda, avaient été surpris, à leur réveil, par la présence d’une étrange couche blanche et poudreuse qui recouvrait les toits de leurs maisons. D’autres ont été intrigués par l’épais nuage qui s’appesantissait, la nuit et pendant plus d’une semaine, sur l’oued Fendek. A la surface de l’eau s’était formée une couche mousseuse d’une dizaine de centimètres.
Quelle était l’origine de ce qui avait causé, à l’époque, la mort de milliers de poissons, de plusieurs vaches ainsi que de sérieuses irritations aux yeux et sur la peau dont se plaignaient les riverains ? «Des rejets récurrents d’effluents liquides renfermant des substances chimiques qu’utilisait, à l’abri des regards indiscrets, la société italienne Sicilsaldo, intervenant dans la réalisation du gazoduc GK3», nous avaient alors confié les responsables du bureau de l’Anpep Skikda. Où en est l’affaire quatre longues années après ? «Transmis au ministre de l’Environnement de l’époque, ce dossier est toujours pendant. L’affaire a, semble-t-il, été classée pour des considérations qui nous dépassent en tant qu’organisation non gouvernementale», dénonce, indigné, M. Halimi.
Irresponsabilité des uns et placidité révoltante des autres aidant, des centaines, voire des millions de tonnes de déchets industriels liquides finissent dans les oueds, étangs et plans d’eau. Pis, à en croire des données «confidentielles» dont dispose l’Anpep, le parc automobile national — plus de 6 millions de véhicules — recrache pas moins de 20 millions de litres d’huile tous les 5000 km. A peine 10% sont recyclés, le reste étant déversé dans les oueds et les tranchées qui, à leur tour, les rejettent sur les terres agricoles, dans les barrages, les eaux superficielles et souterraines ainsi que la mer. Nul besoin d’énumérer les innombrables et multiformes conséquences sur la santé humaine et l’écosystème.
En attendant les résultats des analyses des laboratoires de la Gendarmerie nationale (Alger) et de la direction de l’environnement (Annaba), qui seront obtenus avant la fin de la semaine en cours, le président de l’Anpep et son équipe scientifique appellent les amateurs de pêche à éviter les eaux polluées de l’oued Seybouse. La même mise en garde concerne les populations limitrophes car «par ces temps de grandes chaleurs, nous craignons que des enfants aillent se rafraîchir dans une eau où se décomposent les cadavres de poissons restés dans les profondeurs ou qu’ils la boivent, ou encore que des bovins laitiers, habitués des lieux, s’y abreuvent. Les conséquences pourraient être incommensurablement destructrices sur tous les plans», prévient M. Halimi.
Naima Benouaret El Watan, 16 août 2016http://www.algeria-watch.org/fr/article/eco/ecologie/catastrophe_sept_wilayas
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Nouveautés "Gaz de Schiste" sur Algéria Watch
Non au Gaz de schiste!
- Mascara: Protestation contre l’exploration du gaz de schiste (EW, 09.07.16)
- En Algérie, la bataille du peuple contre le gaz de schiste ne faiblit pas (Reporterre, 09.04.16)
- Hacina Zegzeg: « Nous avons troqué le gaz de schiste contre les jardins potagers » (Basta!, 17.03.16)
- Jardins potagers contre gaz de schiste (EW, 27.01.16)
- En raison de la chute des prix du pétrole, Sonatrach suspend l'exploration du gaz de schiste (Huffpost, 20.01.16)
- L’inquiétude de la semaine : Nouveaux forages à Adrar (EW, 15.01.16)
- Le spectre d’In Salah plane sur la wilaya d’Adrar (EW, 10.01.16)
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Annaba : une catastrophe écologique menace une partie du littoral (Algeria Watch)
Les complexes Fertial et El-Hadjar pointés du doigt
Une véritable catastrophe écologique a frappé de plein fouet le fond marin d’une partie du littoral d’Annaba.
En effet, depuis deux jours, à la cité côtière Seybouse et une partie de la plage d’échouage de Sidi-Salem à l’est du chef-lieu de la wilaya, des centaines de poissons morts ont été rejetées par la mer. Les riverains, complètement assommés par cette nouvelle, pointent du doigt le complexe de fertilisants Fertial d’Annaba, implanté aux abords de l’embouchure du Seybouse, et jouxtant la plage de l’antique cité Joinnonville, et ce, malgré les efforts développés par fertial dans le cadre de Contrat de performances environnementaux.
En effet, nos interlocuteurs avancent qu’il ne s’agit nullement d’un phénomène naturel, mais plutôt d’un bouleversement écologique, et que les poissons auraient absorbé une substance toxique qui a entraîné leur mort.
Des professionnels de la mer signalent, quant à eux, que des produits toxiques mortels pourraient être déversés par une autre entreprise comme le complexe sidérurgique d’El-Hadjar, vu que parmi les poissons morts, l’on en dénombre vivant généralement dans les eaux d’oued, à savoir des carpes et des barbus.
Aussi, dès la matinée d’hier, de nombreux secteurs concernés par cette situation, à savoir les services de l’environnement de la wilaya, de la pêche et des ressources halieutiques, de l’agriculture, de sécurité (police et gendarmerie), l’APC d’El-Bouni et les ingénieurs de l’Association nationale de lutte contre la pollution et la protection de l’environnement (Anpep), se sont mobilisés dans le but de cerner le problème.Du côté du service de l’environnement, l’on affirme que dès l’apparition du phénomène, avant-hier aux environs de 5h du matin, une équipe a été dépêchée sur place et des échantillons ont été prélevés et transmis au laboratoire spécialisé de l’observatoire de l’environnement d’Annaba pour analyses.
Par ailleurs, le périmètre en question a été bouclé et sécurisé, avant le lancement de l’opération d’enlèvement des poissons morts, a tenu à rassurer le directeur de l’environnement, M. Boudalia.
Il importe de rappeler que la côte annabie détient le triste record de la région la plus polluée d’Algérie. Contacté à ce sujet, M. Halimi, président de l’Association nationale pour la protection et la lutte contre la pollution, affirme que le bassin de la Seybouse “est confronté chaque jour à plusieurs polluants industriels et urbains émanant des différentes villes (68 communes de 7 wilayas) et usines (quelque 250), situées sur les deux rives. La pollution est arrivée à un degré si élevé qu’on annonce les prémices d’une catastrophe écologique réelle”.Il a révélé, dans ce contexte, que “sur les 4,5 millions m3 de polluants industriels rejetés quotidiennement dans cette rivière, 3 millions de m3 sont des huiles usagées”.
À ses yeux, l’embouchure de la Seybouse représente un véritable catalyseur de déchets de toute sorte. “Nous sommes en présence d’un conglomérat de liquides visqueux et vaseux renfermant des vecteurs de maladies infectieuses”, conclut notre interlocuteur.
BADIS B. Liberté, 9 août 2016
http://www.algeria-watch.org/fr/article/eco/ecologie/menace_littoral
http://www.elwatan.com/regions/est/annaba/pollution
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L'Observatoire Tunisien de l'Eau met en garde contre une "révolte de la soif" (Al Huff' Maghreb)
Dans un communiqué rendu public sur a page Facebook, l’Observatoire Tunisien de l’Eau (OTE) a mis en garde contre une "révolte de la soif".
L’OTE a pointé du doigt la politique de communication de la SONEDE (Société Nationale de l’Exploitation et de la Distribution de l’Eau) et son “manquement à sa responsabilité et à ses engagements envers les citoyens “ et reproché à la société de ne pas ”mener les études nécessaires et de ne pas intervenir aux moments opportuns pour éviter l’aggravation de la situation”, a rapporté la TAP.
L’Observatoire rappelle, à travers son communiqué, que des mouvements protestataires ont eu lieu, en particulier dans la région de Jendouba et des citoyens ont, à maintes reprises, tenté de faire entendre leur voix et faire part aux autorités concernées de leur calvaire à cause de la non disponibilité des ressources en eau potable.
L’OTE a rappelé, dans son communiqué, que l’accès à l’eau potable est droit fondamental, garantit par la Constitution.
Il appelé à auditionner la SONEDE et le ministère de l’Agriculture concernant cette crise de l’eau et demande aux autorités concernées de trouver une solution urgente et immédiate aux problèmes de rupture et de perturbation de la distribution de l’eau.
Selon l'OTE, la SONEDE devra rencontrer les représentants de la société civile et les parties concernées pour discuter des problèmes rencontrés par les citoyens et en trouver les solutions idoines.
Le ministre de l'Agriculture, Saâd Seddik avait affirmé le mois dernier que les réserves en eau dans les grands barrages sont estimées à 882,6 millions de m3, au 27 juillet 2016, alors qu’elles avaient dépassé, l’année dernière, 1 milliard de m3.
Il a en outre rappelé que la Tunisie est parmi les pays qui vivent sous le seuil de la pauvreté hydrique (460 m3 par personne, contre une moyenne mondiale de 1000 m3, un taux fixé par les Nations-Unies pour mesurer la pauvreté en eau), appelant les citoyens à rationaliser l'utilisation de l'eau.
Dans un rapport publié en 2015, la World Resources Institute classe la Tunisie parmi les 33 pays les plus susceptibles de connaitre un stress hydrique (ou pénurie d'eau) d'ici 2040.
Selon le rapport, la Tunisie se classe parmi les pays qui ont un risque très élevé de manquer d'eau dans les décennies à venir pouvant perdre ainsi plus de 80% de ses ressources naturelles d'eau d'ici 2040.
L'UNESCO a quant à elle déjà tiré la sonnette d'alarme affirmant que la Tunisie souffrira de sérieux problèmes d'eau à l'horizon 2025.
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Mascara Protestation contre l’exploration du gaz de schiste (Algeria Watch)
Hier vers 1h, de nombreux citoyens de la commune de Aïn Farès, à 13 km du chef-lieu de la wilaya de Mascara, sont descendus dans la rue pour réclamer l’abandon immédiat et définitif de l’exploration du gaz de schiste dans la région.
Pris de panique vers 0h45 par la troisième secousse sismique de magnitude de 3,1 sur l’échelle de Richter, localisée à 9 km au nord-ouest de la localité d’El Bordj, les habitants de Aïn Fares se sont rassemblés, toute la nuit, à quelques encablures du siège de la sûreté de daïra en signe de colère.
Certains ont bloqué la circulation automobile durant quelques heures sur la RN7 reliant Mascara à Relizane. «Ce sont les opérations d’exploration de gaz de schiste, menées depuis plusieurs mois dans les régions limitrophes, qui sont à l’origine des séismes qui secouent notre localité ces derniers jours», s’accordent à dire les citoyens mécontents.
Certains parmi les manifestants ont profité de l’occasion pour revendiquer des postes d’emploi et autres logements sociaux.
Depuis lundi dernier (4 juillet), trois secousses telluriques ont été enregistrées à travers la wilaya de Mascara. La première, de magnitude de 3,4 sur l’échelle de Richter, a été localisée au sud-est de la localité de Sidi Kadda et la seconde de magnitude 3,2 a été enregistrée jeudi et localisée à 12 km au nord-est de Mascara.Sans faire de dégâts matériels ni de perte humaine, ces secousses ont effrayé les populations de nombreuses régions, dont celle de Aïn Fares. Rappelons que depuis plusieurs mois, des véhicules tout-terrain immatriculés à Ouargla de l’Entreprise nationale de géophysique (Enageo) sillonnent le territoire de la wilaya de Mascara, notamment les monts de Beni Chougrane dans le cadre d’une opération de «prospection d’hydrocarbures».
Abdelouahab Souag El Watan, 9 juillet 2016
http://www.algeria-watch.org/fr/article/eco/gaz_schiste/mascara_protestations.htm
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Justice climatique (Observatoire des Multinationales)
Au large de la Tunisie, l’archipel des Kerkennah souffre des effets du changement climatique, de l’industrie pétrolière et de la répression
L’archipel des Kerkennah, au large de la ville de Sfax en Tunisie, se trouve confronté à la fois au réchauffement climatique, qui menace d’engloutir une partie de leur territoire, et aux impacts de l’extraction pétrolière et gazière. Depuis le début de l’année, pêcheurs et diplômés chômeurs sont en révolte ouverte contre les multinationales présentes dans l’archipel. Leur lutte témoigne à cette manière des promesses non tenues de la révolution tunisienne et de l’influence continue des intérêts économiques occidentaux dans le secteur des énergies fossiles. Reportage et analyse de Hamza Hamouchene.
Les Kerkennah sont un archipel de la côte est de la Tunisie, dans le golfe de Gabès, à 20 kilomètres environ au large de la ville de Sfax. Ses deux îles principales sont appelées Chergui et Gharbi. Lorsque l’on s’approche de leurs côtes en ferry, on est frappé par un paysage très curieux : l’eau est quadrillée par des lignes constituées de milliers de feuilles de palmiers. C’est ce que les Kerkenniens appellent charfia, une ingénieuse méthode de pêche vieille de plusieurs siècles, qui consiste à attirer les poissons dans un réceptacle où ils sont capturés.
En raison de son climat aride, l’archipel ne permet qu’une agriculture de subsistance. L’activité économique cruciale est la pêche. Ces îles sont particulièrement renommées pour leurs poulpes, capturés entre octobre et avril grâce à une autre méthode typiquement kerkennienne, qui fait usage de bocaux.
J’ai entendu parler pour la première fois de l’archipel des Kerkennah dans le cadre de recherches que je menais sur une entreprise pétrolière et gazière britannique, Petrofac, à propos d’accusations de corruption liée à l’acquisition par cette firme d’une concession de gaz à Chergui, en 2006, dans la Tunisie de Ben Ali.
Malgré l’article inséré dans la nouvelle Constitution tunisienne qui affirme la souveraineté nationale sur les ressources naturelles et la transparence des contrats pétroliers et gaziers, les entreprises du secteur continuent, en raison du pouvoir des lobbies, d’afficher des profits mirobolants en toute impunité. Les communautés locales, quant à elles, en subissent les externalités sociales et environnementales.
Mécontentement des pêcheurs et des « diplômés chômeurs »
Je me suis rendu dans les Kerkennah en mars 2016, après avoir entendu parler du mécontentement grandissant de la population, dû au refus de Petrofac d’honorer ses engagements à financer un fonds pour l’emploi. Je suis arrivé par le ferry de Gabès tôt le matin. Une délégation menée par le ministre tunisien de l’Environnement, accompagné d’une équipe de télévision, était à bord. Étaient-ils eux aussi venus pour enquêter sur la mobilisation en cours depuis deux mois ? Des sit-ins avaient été organisés par les îliens devant l’usine de Petrofac, mettant la production partiellement à l’arrêt, afin de pousser l’entreprise britannique à honorer ses engagements en termes de développement local et de création d’emplois.
Après un voyage d’une heure, nous sommes enfin arrivés. Nous avons pris un taxi pour la plage de Sidi Fraj, pensant nous diriger vers l’usine de Petrofac. À notre arrivée, nous nous sommes rendus compte que qu’il s’agissait en fait du siège social d’une autre entreprise pétrolière, Thyna Petroleum Services (TPS). Une manifestation était effectivement en cours, mais elle rassemblait des pêcheurs, et non pas les diplômés chômeurs auxquels nous nous attendions. Nous avons ainsi découvert que TPS, une entreprise britannico-tunisienne, exploitait elle aussi une concession pétrolière offshore à Kerkennah. Les pêcheurs protestaient contre une immense marée noire qui avait été provoquée, selon eux, par la une fuite d’un pipeline sous-marin. Des allégations démenties par TPS, qui affirme que la fuite provenait d’un puits dans une des plateformes de forage - j’en comptai six depuis la plage de Sidi Fraj - qui entouraient, en forme de demi-cercle, l’île de Chergui.
Les pêcheurs étaient en colère, non seulement parce que la marée noire décimait les poissons, mettait en danger la biodiversité marine et remettait ainsi en cause leurs moyens de subsistance, mais aussi parce que TPS tentait d’en minimiser l’impact et même de la dissimuler au public. Ils affirmaient que ce n’était pas la première fois, mais la troisième ou quatrième fois qu’un tel incident se produisait. Ils nous accompagnèrent sur les côtes pour nous montrer où la substance noire (sans doute du pétrole) avait échoué sur la plages et comment, à certains endroits, elle avait été recouverte de sable afin d’être dissimulée. Exaspérés, les pêcheurs demandaient à TPS d’assumer ses responsabilités, et exigeaient des autorités tunisiennes qu’elles forcent l’entreprise à rendre des comptes.
En réalité, le ministre de l’Environnement avait été envoyé sur l’île pour rassurer les pêcheurs et promettre aux habitants qu’une enquête aurait lieu, et que des mesures seraient prises pour réparer les dégâts. Cependant, il ne paraissait pas être présent tant pour répondre aux doléances des pêcheurs que pour protéger les intérêts de l’industrie pétrolière, en empêchant une escalade des protestations. D’autant plus qu’au même moment, une autre entreprise pétrolière et gazière était elle aussi cible de la colère de la population de l’île.
Soulèvement contre Petrofac
Dix ans après avoir acquis la concession de gaz de Chergui dans des conditions douteuses, et cinq ans après le soulèvement de la Tunisie pour le pain, la liberté et la justice sociale, l’entreprise pétrolière et gazière britannique Petrofac est en effet confrontée au mécontentement grandissant de la population dans l’archipel des Kerkennah. Les deux premières semaines d’avril, les îles ont été le théâtre d’une violente répression policière contre les manifestants qui ciblaient l’entreprise.
Les manifestations et leur répression faisaient suite à la dispersion de sit-ins pacifiques organisés pendant deux mois par les militants de l’Union des Diplômés Chômeurs devant l’usine de gaz de Petrofac. Le but de ce sit-in était de mettre la pression sur l’entreprise britannique afin qu’elle reprenne le financement d’un fonds pour l’emploi qui permettait de couvrir leurs maigres salaires.
Lors de me séjour dans l’archipel, j’ai eu l’occasion de parler avec plusieurs jeunes qui avaient participé au sit-in de février-mars. Au cours de ces discussions, j’ai perçu leur ressentiment et leur colère face à la situation qu’ils vivaient. Comment était-il possible d’être chômeur quand toute cette richesse issue du pétrole et du gaz est produite dans ces îles ? Qu’en est-il des promesses de la révolution de 2011 en matière de justice sociale et de dignité nationale ? Autant de questions que j’avais déjà entendues lors d’autres voyages en Tunisie, la Tunisie intérieure, loin des sites touristiques, la Tunisie du sous-développement, où les gens continuent de se battre contre la paupérisation, la corruption et les injustices quotidiennes.
La Tunisie sous la coupe des lobbys pétroliers
Si les activités de Petrofac dans l’archipel ont attiré l’attention, il n’en va pas de même des conditions dans lesquelles la firme a fait l’acquisition de 45% de la concession gazière de Chergui. Une série de documents obtenus par la Justice indiquent que Petrofac a versé des pots de vin à Moncef Trabelsi, beau-frère de l’ancien président Ben Ali, lequel a été condamné pour ces faits en octobre 2011 [1]. En revanche, l’entreprise qui aurait versé les 2 millions de dollars en cause a échappé à toute poursuite au Royaume-Uni et en Tunisie.
Ce n’est pourtant pas la première fois que Petrofac est impliquée dans un scandale de corruption : un de ses anciens dirigeants a été accusé d’avoir payé un pot-de-vin de 2 millions de dollars pour obtenir un contrat au Koweït. Ce qui est particulièrement incroyable dans cette affaire est qu’après avoir été impliquée dans l’acquisition illégale d’une concession, Petrofac fasse aujourd’hui preuve d’un tel mépris envers le peuple tunisien en refusant d’honorer ses engagements et en soutenant la répression policière. Son patron en Tunisie, Imed Derouiche, a formulé des accusations particulièrement condescendantes à l’encontre des jeunes manifestants. Comment Petrofac peut-elle continuer à bénéficier d’une telle impunité ?
Le fait est que le lobby du pétrole est extrêmement puissant en Tunisie. L’influence de l’industrie des énergies fossiles est tellement omniprésente que l’opacité et l’irresponsabilité y sont devenues la norme. Par exemple, personne ne sait si des activités de prospection ou d’exploitation de gaz de schiste ont lieu ou non dans le pays. Les opérations pétrolières dans le sud de la Tunisie - de Tataouine à la zone militaire fermée (sauf pour les entreprises pétrolières et gazières apparemment) – paraissent particulièrement opaques.
Les autorités tunisiennes semblent considérer les pratiques de l’industrie pétrolière et gazière comme une sorte de boîte de Pandore qu’ils préfèrent ne pas ouvrir [2]. Malgré le processus révolutionnaire initié il y a plus de cinq ans, les mêmes méthodes répressives sont aujourd’hui employées par l’État, qui prend le parti des multinationales contre les demandes légitimes de populations qui souhaitent simplement mener des vies décentes.
Un archipel en première ligne du changement climatique
Les Kerkennah sont l’un des endroits les plus vulnérables de la Méditerranée. Ils se caractérisent par un climat semi-aride avec une saison très sèche en été, des températures élevées, une forte évaporation de l’eau, et un déficit d’eau moyen d’environ 1000 mm/an. La montée des mers en raison du réchauffement met en danger cet archipel, dont l’altitude maximale est de 13 mètres, avec la majorité des terres sous les 10 mètres. Plusieurs études ont déjà mis en lumière l’érosion et le retrait de la ligne de côte de plus de 10 centimètres par an. Selon une étude alarmante réalisée par le gouvernement tunisien sur l’impact du changement climatique dans le pays, l’archipel pourrait être transformé en un plus grand nombre de petites îles. 30% de sa superficie (environ 4500 hectares) se retrouverait immergée d’ici 2100.
En moins de trois décennies, les zones que l’on appelle sebkhas (marais salants côtiers) qui constituent près de la moitié de la surface de l’archipel, se sont étendues de 20%. L’eau de mer s’infiltre dans les réserves d’eau souterraines et dans les sols. Tout ceci exacerbe la pénurie d’eau, qui tue les palmiers locaux et grignote les terres arables, augmentant ainsi la vulnérabilité alimentaire et économique de la population. On compte aujourd’hui des centaines de milliers de palmiers parsemés sur l’île. Ils représentent un joyau à protéger, d’autant qu’ils servent plusieurs usages : source d’alimentation, mais aussi d’outils pour la pêche et l’artisanat traditionnels, etc.
La population des Kerkennah a fortement baissé dans les années 1980 en raison des sécheresses. Les îles n’étaient pas en mesure de soutenir des systèmes d’irrigation adaptés, et avec le déclin des réserves d’eau douce, beaucoup d’habitants ont dû partir pour le continent, à commencer par la ville voisine de Sfax. Aujourd’hui, la population de l’archipel est estimée à 15 000 personnes. Elle est multipliée par 10 au cours de l’été, quand les émigrés du continent et de l’étranger reviennent. En raison de la fragilité de l’écosystème et des contraintes climatiques et environnementales qui pèsent sur l’agriculture et la pêche, les autorités tentent désormais de promouvoir l’éco-tourisme ou « développement touristique soutenable ». Mais à ce jour, ces programmes n’ont pas été mis en route.
Souveraineté sur les ressources naturelles et transition juste
La violence du changement climatique n’est pas naturelle. Elle est liée aux choix des puissants de continuer à brûler des énergies fossiles. Ce choix est fait par les multinationales et par les gouvernements occidentaux, en coopération étroite avec les élites nationales et militaires du Sud, y compris en Tunisie.
Dans une économique néolibérale comme celle de la Tunisie, où l’économie est subordonnée aux lois du marché, qui génère des inégalités, privatise le social, et échoue à créer des emplois productifs de qualité, les phénomènes habituels de la précarité et de l’instabilité seront sans doute exacerbées par le réchauffement climatique, qui agit comme un « multiplicateur de menaces ».
La pollution marine à répétition causée par l’industrie pétrolière, couplée à la montée des températures des océans et à la pêche illégale, aura très certainement un impact délétère sur les activités de pêche, sur les écosystèmes et sur la biodiversité des Kerkennah. Un document préparé pour la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC) évoque la possibilité que les modes de pêche artisanaux des îles (charfia) soient restreints. On parle même de fracturation hydraulique offshore au large des Kerkennah, ce qui viendrait encore ajouter aux menaces.
La population des Kerkennah est dans l’obligation de s’adapter à une situation qu’elle n’a pas créée, et se trouve à la merci de pollueurs puissants et corrompus, dissimulés sous l’aile protectrice de la répression d’État. Afin que les îliens conjurent le danger de devenir un jour des réfugiés climatiques et reprennent le contrôle de leur vie, de leur environnement, de leurs ressources et de leur destin, l’industrie des énergies fossiles doit être mise au pas et sommée de rendre des comptes. La poursuite de ses activités destructrices revient à signer l’arrêt de mort de l’archipel.
Restaurer un contrôle démocratique sur les ressources naturelles apparaît comme une étape vitale en vue d’une transition juste des énergies fossiles vers les renouvelables. C’est particulièrement vrai dans une perspective de justice climatique, qui se focalise sur la minimisation du fardeau du réchauffement sur les populations marginalisées, dépossédées et vulnérables. Après tout, des décisions aussi cruciales sur la nature, la structure et le sens même de nos systèmes énergétiques peuvent-elles être prises sans consulter les populations ?
Hamza Hamouchene
Cet article a été traduit de l’anglais et abrégé. La version originale a été publiée sur OpenDemocracy.
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ATTAC/CADTM Maroc se retire de la coalition climat marocaine (Cadtm)
La Coalition Marocaine pour la Justice Climatique (ci-après CMJC) s’est formée le 07 février 2016 à Rabat lors d’une réunion à laquelle a participé ATTAC/CADTM Maroc, en ayant pour objectif initial la création d’un front unitaire visant à dénoncer l’injustice climatique régnant au Maroc qui ne vient qu’aggraver les disparités socio-économiques dont est victime une large partie de la population marocaine.
Mais, c’est avec regret que nous avons dû constater que la CMJC a détourné l’objectif initial. En prenant une tournure anti-démocratique, la CMJC s’est transformée en un organe qui s’est mis au service des intérêts de l’État et qui suit, sans autonomie, l’agenda étatique de la COP 22.
Partant de ce constat, nous avons décidé de participer à la rencontre organisée le 24 mars 2016 à Rabat pour tirer la sonnette d’alarme et exprimer nos désaccords concernant les décisions en cours. Nous avons dénoncé le manque de transparence des modes de décisions et rappelé l’importance de respecter les processus démocratiques au sein des débats et des luttes afin de garder une indépendance réelle vis à vis des institutions étatiques.
Mais le Comité de pilotage de la CMJC en imposant ses propres décisions, a réduit au silence toutes les voix qui appelaient à plus de transparence et qui demandaient à ce que l’on clarifie la position de la CMJC vis à vis des institutions étatiques. Par la suite, et sans aucun respect des divergences exprimées, des rencontres régionales ont été organisées, au nom de la CMJC, en partenariat direct avec le président du Conseil National des Droits de l’Homme (CNDH), dont le président a été désigné par le roi, comme chef du pôle de la relation avec la société civile au sein du comité de pilotage de la COP 22.
Le Comité de pilotage de la CMCJ ne respecte donc aucunement le principe d’indépendance vis à vis des institutions étatiques pourtant revendiqué par une série d’organisations membres. Il s’est, de fait, érigé représentant de nos voix sans aucun respect des règles de représentation démocratique. Plus grave, ce dit Comité de pilotage a même refusé l’entrée dans la coalition d’une série d’organisations militant sur la question écologique depuis de nombreuses années au Maroc et a laissé pour lettre morte nos nombreuses demandes de les voir intégrer au sein de la coalition.
Le Comité de pilotage a également constamment exclu ATTAC/CADTM Maroc des rencontres et réunions internes, retirant de fait le droit à nos militants d’exprimer leurs positions et de faire valoir leurs revendications. Ceci alors qu’ATTAC/CADTM Maroc s’est positionnée sur la question de la justice climatique depuis plusieurs années maintenant tant au niveau national qu’international (de nombreuses publications ont d’ailleurs été publiées par l’association à ce sujet sur notre site) |1|.
De même le Comité de pilotage n’a permis aucun débat sur la question de la participation de la CMCJ au sein de l’espace officiel de la COP 22, comme si ce point allait de soi. Or ce point de débat est essentiel et est traditionnellement débattu au sein des coalitions internationales pour la justice climatique car nombreuses sont les organisations qui revendiquent l’importance d’ouvrir un espace de discussion indépendant des COP officielles. En effet, nous pensons que l’ouverture d’un espace indépendant est nécessaire si l’on veut pouvoir réfuter les fausses solutions et les recommandations proposées à l’intérieur de la COP 22, qui seront nécessairement influencées par les intérêts du marché et des parties prenantes. C’est pourquoi, nous affirmons que seule l’autonomie nous permettra de construire des alternatives radicales pour résoudre la crise écologique qui constitue, sans aucun doute, l’une des crises les plus graves du système capitaliste.
Pour toutes ces raisons, nous avons le regret de vous informer qu’ATTAC/CADTM Maroc se retire de la CMCJ. Nous demandons à ce que notre nom soit retiré de toute communication officielle ainsi que d’annoncer officiellement notre retrait.
Par ce retrait nous appelons également l’ensemble des organisations militantes à rejoindre la construction d’un nouveau front alternatif et indépendant ayant pour objectif premier de construire un mouvement militant en faveur de la justice climatique totalement indépendant des instances étatiques et des acteurs responsables de la détérioration de la situation écologique du Maroc qui s’érigent en représentants des intérêts du peuple marocain au sein des négociations sur la question écologique.
17 juin par ATTAC/CADTM Maroc
Omar Aziki, Secrétaire général d’ATTAC/CADTM Maroc Rabat, le 11 juin 2016Notes
|1| Voir sur ce sujet, notre rapport « État de la justice climatique », décembre 2015
Auteur.e
Membre du réseau CADTM : L’Association pour la Taxation des Transactions en Aide aux Citoyens au Maroc (ATTAC Maroc) a été créée en 2000. ATTAC Maroc est membre du réseau international du Comité pour l’annu- lation de la dette du tiers monde (CADTM) depuis 2006. Nous comptons 11 groupes locaux au Maroc. ATTAC veut être un réseau aidant à l’appropriation par les acteurs engagés dans l’activité sociale, associative, syndicale et plus largement militante des enjeux de la mondialisation sur les problématiques de résistance sociale et citoyenne.
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Nuit d’émeutes à Zighoud Youcef-Constantine (Algeria Watch)
Le domicile du chef de daïra incendié
Le conflit entre la population de la commune de Zighoud Youcef (35 km au nord de Constantine) et les autorités locales a franchi, jeudi soir, un seuil dangereux dans la violence.
Des groupes d’émeutiers se sont attaqué, à la faveur de la nuit, au domicile du chef de daïra, avant d’y mettre le feu. La maison située au quartier Ouled Fatma a été ravagée par l’incendie, mais, heureusement, le bilan ne fait pas état de perte humaine ni de blessure. Selon une source locale, en contact avec El Watan, les assaillants ont tenté d’abord d’incendier le nouveau tribunal situé dans le même quartier, mais empêchés par les forces du maintien de l’ordre, ils se sont tournés vers cette maison, symbole pour eux de l’autorité avec laquelle ils sont en conflit.
Mardi dernier, le chef de daïra avait provoqué la population, venue manifester devant son bureau, en faisant un geste vulgaire à l’intention de la foule avant que la police ne charge violemment les manifestants. Les affrontements se sont soldés par des dizaines de blessés et aussi des dizaines d’arrestations. La police a eu recours aux gaz lacrymogènes pour repousser les manifestants, mais ces événements se sont prolongés jusqu’à une heure tardive. Après un mercredi relativement calme, les affrontements ont repris jeudi, alors qu’hier, des milliers de personnes ont répondu à un appel au rassemblement après la prière du vendredi, lequel rassemblement s’est déroulé dans le calme jusqu’à rédaction de ces lignes.
Comme rapporté dans notre édition de jeudi, le motif de ces événements est lié à l’opposition de la population de Zighoud Youcef au projet d’implantation d’un centre d’enfouissement technique (CET) sur le territoire de cette commune à vocation agricole.
Une position exprimée pacifiquement à de nombreuses reprises, mais le wali n’en a pas tenu compte.
Ce dernier, en visite en novembre 2015 sur place, a répondu sèchement qu’il ira au bout de son projet. Pourtant, l’expérience du CET de Bougharb, dans la commune de Benbadis (30 km au sud du chef-lieu de wilaya), aurait dû lui donner à réfléchir. En août 2014, la population de Benbadis avait mis le feu au CET après avoir dénoncé à maintes reprises les dégâts écologiques induits par le non-respect des normes de traitement des déchets.
Nouri Nesrouche El Watan, 21 mai 2016http://www.algeria-watch.org/fr/article/pol/revolte/zighoud-youcef-emeutes
Lire aussi:
http://www.algeria-watch.org/fr/article/pol/revolte/rejet_cet.htm
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Maroc. La centrale solaire de Ouarzazate: le triomphe du capitalisme «vert» et la privatisation de la nature (Al'Enconte.ch)
Par Hamza Hamouchene
Ouarzazate est une belle ville du Sud du Maroc, qui vaut la visite. C’est une destination touristique importante et elle a été surnommée la «porte du désert». Elle est aussi un lieu prisé pour les tournages cinematographiques, tels les films Lawrence d’Arabie (1962), La momie (1999), Gladiateur (2000), Le royaume des cieux (2005) et une partie de la série télévisée Game of Thrones. Ouarzazate a encore d’autres choses à offrir et son nom a été récemment associé au mégaprojet solaire qui est supposé mettre fin à la dépendance du Maroc vis-à-vis des importations d’énergie, de fournir de l’électricité à plus d’un million de Marocains et mettre le pays sur une «voie verte».
A en croire le discours du makhzen (terme qui renvoie au roi et à l’élite qui l’entoure), repris sans nuance ni réflexion critique par la plupart des médias de la région et du monde occidental, ce projet serait une excellente nouvelle et un grand pas vers la réduction des émissions de carbone et la lutte contre le réchauffement climatique. Il y a pourtant place pour un certain scepticisme. Les annonces officielles d’un accord «historique» lors de la COP 21 à Paris sont un exemple de ce genre de propos trompeurs.
Ma récente visite à Ouarzazate m’a vite poussé à déconstruire le discours dominant sur ce projet. Et en particulier d’aller gratter sous la surface de termes tels que «propreté», «excellence», «réduction des émissions de carbone» afin d’observer et d’examiner la matérialité de l’énergie solaire. Le projet est étudié ici sous l’angle de la création d’une nouvelle filière, dont les effets se révèlent peu différents des activités minières déprédatrices existantes dans le Sud du Maroc. Comme l’explique Timothy Mitchell, l’analyse de matérialité d’un tel projet peut aider à identifier les dispositifs économiques et politiques que cette forme particulière d’énergie engendre ou entrave[1].
L’an dernier, j’ai écrit une note critique sur le projet solaire Déserte et développé des arguments sur les raisons de son échec, montrant comment il était vicié dès le départ. Une approche similaire est nécessaire pour comprendre les implications politiques et socio-environnementales d’un projet considéré comme la plus grande centrale solaire du monde. La plupart des arguments développés sur le projet Déserte sont toujours valables. Le propos ici n’est pas d’être sévère ou cynique par principe, mais de mettre l’accent sur quelques questions et quelques points afin de contribuer à donner une perspective différente de celle donnée actuellement par les médias.
Ce qui semble être le point commun de tous les reportages et articles écrits sur la centrale solaire est l’affirmation profondément erronée que toute avancée vers une énergie renouvelable doit être considérée comme bienvenue. Et que toute diminution de l’usage des combustibles fossiles, indépendamment de la façon dont elle est effectuée, permettra d’éviter la crise climatique. Il faut le dire clairement et d’entrée de jeu: la crise climatique à laquelle nous sommes confrontés n’est pas attribuable aux combustibles fossiles en soi, mais plutôt à leur utilisation non durable et nuisible pour alimenter la machine capitaliste. En d’autres termes, c’est le capitalisme qui est la cause et si nous voulons être sérieux dans notre lutte contre la crise climatique (qui n’est que l’un des aspects de la crise du capitalisme), nous ne pouvons pas éluder la question d’un changement radical dans nos façons de produire et de distribuer les choses, ainsi que dans nos modes de consommation. Et nous ne pouvons pas ignorer les questions fondamentales de l’équité et de la justice. Il ressort de tout cela qu’un simple passage de l’énergie fossile à l’énergie renouvelable, tout en restant dans le cadre capitaliste de marchandisation et privatisation de la nature au profit de quelques-uns, ne résoudra pas le problème. De fait, si nous continuons dans la même voie, nous finirons par exacerber les problèmes ou en créer tout une série d’autres, autour des questions de propriété de la terre et des ressources naturelles.
Accaparement vert et économie de la réparation
Le fait que le projet d’énergie solaire concentrée (ESC) de Ouarzazate implique l’acquisition de 3000 hectares de terres collectives pour produire de l’énergie, dont une partie sera exportée vers l’Europe, conduit directement à la notion d’accaparement vert (green grabbing) comme cadre d’analyse[2]. L’accaparement vert se définit comme l’appropriation de la terre et des ressources à des fins prétendument environnementales. Il implique le transfert de propriété, des droits d’utilisation et du contrôle des ressources qui étaient auparavant de propriété publique ou privée – ou pour lesquelles la question de la propriété ne se posait même pas – des pauvres ou de tous, pauvres inclus, aux mains des puissants. Cette question de l’appropriation est au cœur des deux processus, qui sont liés, de l’accumulation et de la dépossession[3].
L’élément «vert» est devenu partie intégrante du business et de l’économie de la croissance dominante. Cette mutation est en partie liée au tournant néolibéral et à la neólibéralisation des espaces de gouvernance de l’environnement ainsi qu’à la privatisation et la marchandisation de la nature[4]. L’accaparement vert a d’abord été le reflet de ce que Fairhead et al. ont appelé l’«économie de la réparation». Le plan solaire marocain fait partie de cette économie qui «a été introduite subrepticement sous la rubrique «durabilité», mais dont la logique est claire: les pratiques non durables ici peuvent être réparées par des pratiques durables ailleurs, chacune des natures étant subordonnée à l’autre». Cela apparaît clairement dans les discours gouvernementaux visant à promouvoir un programme vert mondial reposant sur l’exploitation des ressources nationales. Mais ils s’appuient aussi sur un autre discours environnemental qui qualifie les terres rurales du Sud de marginales et sous-utilisées et par conséquent disponibles pour l’investissement dans l’énergie verte[5]. Cette création à usage productiviste de la marginalité et de la dégradation a une longue histoire qui remonte à l’époque coloniale française. C’est à ce moment-là que le discours sur la dégradation a été construit pour justifier tout à la fois la dépossession pure et simple de la terre et la mise en place de dispositions institutionnelles sur la base du principe que l’élevage extensif était au mieux improductif, et au pire destructeur[6].
Ces discours continuent de façonner l’économie politique des terres de parcours au Maroc. Ils contribuent aussi à éliminer les propriétaires de petits troupeaux du secteur et à permettre la concentration des richesses dans quelques mains, tandis que le marché du bétail se marchandise et que les sécheresses deviennent chroniques.
C’est exactement ce qui s’est passé sur le plateau choisi pour accueillir la centrale de Ouarzazate, que le cadre discursif a rendu «marginal» et ouvert à de nouveaux usages du marché «vert»: production d’énergie solaire dans ce cas au détriment d’un autre usage de la terre – le pastoralisme – considéré comme improductif par les décideurs. Cela s’est traduit par une vente du terrain réalisée à très bas prix.
Les modalités de l’accaparement des terres
Il est important de commencer par un examen chronologique de l’accaparement des terres et du dialogue communautaire[7]. L’Office National de l’Electricité (ONE) a d’abord visité le site près de Ouarzazate en 2007. Cela a abouti à l’annonce du plan solaire en 2009. Les représentants des terres collectives, trois pour la communauté d’Aït Oukrour, ont donné leur accord formel pour la vente en janvier 2010. La vente a été réalisée en octobre 2010, juste avant la visite royale un peu plus tard dans le mois pour donner le coup d’envoi officiel du projet de Ouarzazate[8].
Les habitants des communautés environnantes n’ont jamais été informés du processus de sélection du site et il n’a pas été prévu dans les conditions de vente qu’ils soient consultés. Cela est dû à l’existence de diverses lois trompeuses d’origine coloniale ayant servi à concentrer la propriété des terres collectives aux mains d’un seul représentant des terres, qui est en général sous l’influence de puissants notables régionaux. De ce fait, les citoyens ordinaires n’étaient pas au courant de ce qui était en train de se passer lorsque le topographe est arrivé. C’est pourquoi ils ont commencé à poser des questions qui sont restées pour la plupart sans réponse.
La première réunion publique concernant l’implantation de la centrale solaire a eu lieu en novembre 2010, un mois après l’annonce par le roi du projet de Ouarzazate. La réunion a consisté en une présentation formelle de l’étude d’impact environnemental dans l’hôtel 5 étoiles, le plus luxueux de Ouarzazate, devant un public constitué de fonctionnaires gouvernementaux, représentants d’ONG, associations de développement villageoises et représentants de la population locale. Les habitants eux-mêmes, en revanche, ont été empêchés de faire entendre leurs points de vue. De telles réunions, véritables mascarades de «consultation populaire» n’ont servi qu’à informer les communautés locales d’un fait accompli et non pas à rechercher leur accord[9].
Le prix de vente des terres collectives à l’Etat a été d’un dirham le m2 (environ 10 centimes d’euros, partant du fait de la «marginalité» et la «non-productivité» de ces terres). A titre de comparaison, le prix de vente ou de loyer des terres collectives à Ouarzazate était à ce moment-là de 10 à 12 dirhams le m2. Les gens n’étaient pas contents de cette vente et pensaient que le prix était très bas. L’un d’entre eux a fait remarquer que «les gens du projet parlent de désert non utilisé, mais pour les gens d’ici, ce n’est pas un désert, ce sont des pâturages. C’est leur territoire et leur avenir est dans cette terre. Si tu prends ma terre, tu prends mon oxygène»[10].
La terre avait pris de la valeur dans toute la région, du fait de la spéculation et d’une demande croissante de terre pour l’agrobusiness et les marchés commerciaux de bétail. La terre, vendue pour à peine un dirham marocain le m2 valait nettement plus. Et comme si les choses n’allaient déjà pas assez mal, la population locale, dupée, a été surprise de découvrir que l’argent de la vente ne leur serait pas remis mais serait déposé dans un fond des tribus au Ministère de l’intérieur. De surcroît, cet argent serait utilisé pour financer des projets de développement pour toute la zone. Ils ont donc découvert que la vente de leurs terres n’était pas une vente du tout mais un simple transfert de fonds d’un organisme gouvernemental à un autre.
Le makhzen non content d’acquérir la terre au bénéfice de l’Etat marocain (les lignes de partage entre l’Etat et les holdings de la famille royale sont souvent floues), l’a de surcroît revendue à l’Agence marocaine pour l’énergie solaire (MASEN), société privée créée avec des fonds publics en octobre 2010 dans le but spécifique de mener à bien les programmes solaires marocains. Ce genre de privatisations dans le secteur de l’énergie renouvelable n’est pas nouveau, puisqu’en 2005, la société royale NAREVA a été créée pour prendre le monopole des marchés de l’énergie et du secteur environnemental et a fini par se tailler la part du lion dans la production d’énergie éolienne dans le pays[11].
En substance, la loi a été détournée pour permettre la vente de la terre à une entité privée par le biais d’organismes d’État. Par ce biais, le gouvernement a effectivement privatisé et confisqué la souveraineté populaire historique sur la terre et transformé les gens en simples bénéficiaires du développement; développement qu’ils sont littéralement en train de payer, si tant est qu’il se concrétise, bien sûr.
Cette aliénation systématique de terres en faveur de prestataires déjà en lice affichant leurs références «vertes» reflète comment le néolibéralisme restructure les interactions homme-nature et les relations socio-économiques agraires, les droits et l’autorité. Elle constitue également l’un des aspects de «l’accumulation par dépossession», qui consiste à clôturer les biens publics au profit d’intérêts privés à but lucratif, ce qui entraîne une plus grande injustice sociale[12].
Cependant, la situation a soulevé des contestations. Encouragés par la dynamique du Mouvement du 20 Février pour un changement radical qui a émergé en même temps que les révoltes arabes en 2011, les gens ont résisté de diverses manières (plaintes, sit-in, lettres …). Ils se sont mobilisés autour d’anciennes doléances concernant la terre, l’eau et leurs droits à bénéficier de projets économiquement rentables, comme le solaire et les mines qui parsèment le sud du pays.
La privatisation de l’énergie solaire: le rôle des Institutions financières internationales (IFI)
Environ neuf milliards de dollars ont été investis dans le complexe d’énergie solaire Noor à Ouarzazate, une grande partie provenant de capitaux privés des institutions internationales telles que la Banque européenne d’investissement, la Banque mondiale, la Banque africaine de développement, l’Agence Française de Développement, le groupe bancaire KfW, adossés à des garanties publiques marocaines (au cas où MASEN ne pourrait pas rembourser).
Il n’y a là rien de surprenant en ce qui concerne l’appui sans faille des institutions financières internationales (IFIs) à ce projet au coût élevé et à forte intensité de capital, car le Maroc se targue d’avoir l’une des économies les plus libéral(isé)es de la région. Il est très ouvert aux capitaux étrangers au détriment des droits du travail, et très avancé dans son ambition d’être pleinement intégré dans le marché mondial (en position de subordination, bien sûr). En fait, le Maroc a été le premier pays nord-africain à signer un programme d’ajustement structurel (PAS) avec le Fonds monétaire international (FMI) en 1983. Une abondante littérature a montré que les PAS ont causé des ravages économiques et sociaux dans les pays du Sud.
Les prêts mentionnés ci-dessus sont partie intégrante de la stratégie de la Banque mondiale et d’autres institutions financières internationales pour le pays, où elles continuent de renforcer et justifier l’orientation néolibérale et l’approfondissement des politiques pro-marché. La Banque mondiale a un important programme de financement au Maroc qui couvre trois domaines spécifiques liés au développement du capitalisme «vert» au Maroc. Le premier de ces domaines est le soutien au Plan Maroc Vert 2008 (PMV) du gouvernement, qui définit le plan agricole du pays pour la période 2008-2020. Le PMV vise à quintupler la valeur des cultures orientées vers l’exportation et prévoit l’abandon des cultures céréalières de base, la promotion de l’investissement privé dans l’agriculture et la levée des restrictions aux droits de propriété privée. Le deuxième grand domaine de financement de la Banque mondiale au Maroc est à l’appui à l’Initiative nationale pour le développement humain (INDH) qui, selon certains militants et chercheurs marocains, a créé une société civile artificielle et non-indépendante qui contribue à approfondir la marchandisation et la privatisation du social[13]. Le projet d’énergie solaire figure dans le troisième axe de la Banque mondiale, qui englobe une série de nouvelles mesures et de prêts pour des projets spécifiques. Les niveaux de décaissement de la Banque mondiale au Maroc ont atteint des niveaux record en 2011 et 2012, l’accent étant mis sur la promotion par ces prêts des partenariats public-privé (PPP) dans des secteurs clés.
Comme cela a été abondamment analysé, les PPP ne sont qu’un euphémisme pour des privatisations pures et simples, tout en s’appuyant sur des fonds et des garanties publics. Il s’agit essentiellement de privatiser les profits et de nationaliser les pertes. Le complexe Noor-Ouarzazate est construit et sera exploité, en tant que PPP avec un partenaire privé, ACWA Power International, une société saoudienne. Il est étrange que le mot «public» soit accolé à un tel partenariat alors que les autorités publiques n’ont aucun contrôle ou ni aucune action dans le projet. C’est une entreprise entièrement privée tant au niveau de la propriété que de la gestion, le makhzen transférant des fonds publics à une société privée et donnant des garanties pour payer les prêts MASEN au cas où celui-ci ne pourrait pas payer, au risque d’endetter davantage le pays et de le conduire à la faillite.
Le partenaire privé est responsable de la construction de l’infrastructure, de la production d’énergie et de sa vente à l’Office National de l’Electricité (ONE), ce dernier s’engageant à acheter l’électricité pour une période de vingt à trente ans. Les PPP ont été extrêmement coûteux pour les Marocains, y compris dans le secteur de l’énergie, où les entreprises privées (produisant plus de cinquante pour cent de l’électricité du pays) ont bénéficié de généreux contrats avec l’ONE depuis les années 1990. Le mécontentement populaire vis-à-vis de ces entreprises et ces partenariats a refait surface récemment. En octobre 2015, par exemple, d’énormes mobilisations ont eu lieu contre la société Amendais dans le Nord du Maroc contre les factures élevées de l’électricité. Il ne semble pas que la production de l’énergie solaire aille dans un autre sens: elle sera contrôlée par des multinationales uniquement intéressées à faire d’énormes profits au détriment de la souveraineté et d’une vie décente pour les Marocains.
Dettes et financiarisation de la Nature
Le coût de la production d’énergie avec la technologie du Solaire thermique à concentration (CSP selon son abréviation en anglais) est très élevé. Il est de 1,62 dirham par kWh (kilowattheure), contre environ 0,8 dirham pour le photovoltaïque (PV). La MASEN achètera l’énergie du consortium ACWA au prix fixé de 1,62 dirham marocains et le revendra au prix inférieur de la grille de tarification à l’ONE, fonctionnant donc à perte. Selon le président de la MASEN, Mustapha Bakkoury (également ancien secrétaire général de l’un des partis politiques les plus royalistes le Parti authenticité et modernité, PAM), l’Agence sera à perte pendant les dix prochaines années au moins jusqu’à ce que l’écart entre le prix d’achat et le prix de vente disparaisse en raison de l’inflation (noter que ceci est seulement une spéculation). Pour couvrir cette perte pour les cinq prochaines années, elle a obtenu un prêt de la Banque mondiale de 200 millions de dollars, renforçant donc la dépendance vis-à-vis des prêts multilatéraux et de l’aide étrangère. Plusieurs articles ont signalé l’existence de certaines subventions à l’énergie non divulguées par le Roi Mohammed VI, afin d’éviter que le coût soit transféré aux consommateurs d’énergie. Un article de la Banque mondiale a estimé ces subventions à 31 millions de dollars par an. Mais il y a une certaine ambiguïté quant à la raison pour laquelle ces fonds sont nécessaires si l’ONE achète à la MASEN au prix de la grille de tarification.
La monarchie marocaine a conçu son plan d’énergie renouvelable non seulement comme une initiative de développement économique, mais aussi comme une politique potentiellement orientée vers l’exportation ce qui libéralisera davantage son économie. Elle en attend aussi un rapprochement du pays avec l’Union européenne (UE) en aidant à augmenter le pourcentage des énergies renouvelables dans le panier énergétique de l’UE. Ce n’est pas par hasard que «le gouvernement marocain a conçu une nouvelle stratégie énergétique en 2009 essentiellement alignée sur la trilogie énergétique de l’Union européenne, à savoir la sécurité énergétique, la compétitivité et la durabilité environnementale»[14]. Le Maroc a adhéré à un certain nombre d’institutions et de programmes d’énergies renouvelables mondiaux et régionaux, parmi lesquels l’Agence internationale de l’énergie renouvelable et le plan solaire pour la Méditerranée. Il a également fait part de son intérêt à se joindre au projet Desertec de la région MENA, et enregistré son projet d’énergie renouvelable dans le cadre du Mécanisme pour un développement propre (MDP) de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques. Le MDP fait partie de ce que l’on appelle le commerce du carbone et est l’une des fausses solutions proposées pour lutter contre le changement climatique. Les MDPs ont été créés pour permettre aux pays plus riches classés comme «industrialisés» de participer à des initiatives de réductions d’émissions dans les pays à bas revenus ou à revenus intermédiaires, ce qui est un moyen d’éviter des réductions directes d’émissions. Ce mécanisme, ainsi que d’autres tels que la REDD (réduction des émissions résultant du déboisement et de la dégradation des forêts dans les pays en développement) et différents mécanismes compensatoires participent à donner un prix à la nature, à la marchandiser sous le label de «capitalisme vert». McAfee a décrit ce processus comme une tentative de vendre la nature afin de le sauver[15].
Actuellement, on ne sait pas combien le projet va rapporter en termes de MDP, mais il faut faire attention à la façon dont ce commerce «vert» repose sur et reproduit la notion économique classique des coûts d’opportunité différentiels. En d’autres termes, les contributions à l’amélioration de l’environnement mondial devraient être recherchées lorsque cela revient moins cher. Pourtant, comme McAfee le souligne, cela dépend essentiellement des inégalités entre les propriétaires terriens les plus pauvres et les plus riches, entre les zones urbaines et rurales et entre le Sud et le Nord. Cette dépendance renforce les inégalités en fin du compte.
L’idée que le Maroc emprunte des milliards de dollars pour produire de l’énergie, dont une part sera exportée vers l’Europe alors que la viabilité économique de l’initiative est à peine assurée, soulève des questions sur l’externalisation des risques de la stratégie européenne de l’énergie renouvelable vers le Maroc et d’autres économies en difficulté de la région. Cela revient à ignorer ce que l’on appelle la «dette climatique» ou la «dette écologique» qui est due par les pays industrialisés du Nord aux pays du Sud de la planète, compte tenu de la responsabilité historique de l’Occident dans le changement climatique. Au lieu de cela, la dette n’est considérée comme légitime que dans l’autre sens et joue un rôle de contrôle impérialiste et de subordination. Comme le fait remarquer David Harvey, des décennies de prêts faciles et d’accroissement de l’endettement sont souvent rapidement suivies par une économie politique de dépossession.
Le projet est-il véritablement vert? La question de l’eau
La technologie choisie pour la centrale solaire de Ouarzazate est l’énergie solaire thermique à concentration (ESC) avec des collecteurs cylindro-paraboliques. Cette technologie concentre le rayonnement dans des miroirs et sur un point focal où un liquide visqueux est chauffé. La chaleur collectée produit de la vapeur, qui est ensuite convertie en électricité par un générateur à turbine.
L’étude d’impact social et environnemental réalisée par la MASEN en 2011 concluait que la technologie ESC avec collecteurs cylindra-paraboliques était celle qui avait le plus d’impact sociaux et environnementaux sur les régions étudiées. Il semblerait que la capacité de stockage thermique de cette option a primé sur toutes autres considérations relatives à cette technologie. Cette capacité permet la meilleure adaptation de la production d’énergie aux pics de demande, à savoir la fin de l’après-midi. Le concept est simple: on utilise l’énergie pour chauffer un produit (par exemple des sels fondus) pendant la journée, et ensuite on récupère l’énergie thermique pour continuer à faire fonctionner les générateurs après le coucher du soleil.
Le plus gros problème posé par cette technologie est l’utilisation extensive de l’eau lors de la phase de refroidissement par voie humide. Contrairement à la technologie photovoltaïque (PV), l’ESC a besoin de refroidissement. Cela se fait soit par condenseurs refroidis par l’air (refroidissement à sec) ou par une consommation élevée d’eau (refroidissement par voie humide). La phase I du projet utilisera l’option humide de refroidissement et la consommation d’eau est estimée à deux à trois millions de mètres cubes d’eau par an[16]. La consommation d’eau sera bien moindre avec le refroidissement à sec (prévu pour la phase II): entre 0,73 et 0,88 million de mètres cubes. Les technologies photovoltaïques n’ont besoin d’eau que pour le nettoyage des panneaux solaires. Ils consomment environ 200 fois moins d’eau que la technologie ESC avec refroidissement par voie humide et quarante fois moins d’eau que ESC avec refroidissement à sec.
On ne peut que remettre en question la rationalité d’un tel choix dans une région semi-aride comme le Maroc qui souffre de stress hydrique aigu et dont les ressources en eau pourraient se tarir en 2040. Compte tenu de cette situation, qui est exacerbée par la grave sécheresse qui sévit actuellement (qui sera combattue par un plan gouvernemental de relance massif et onéreux), la question qui doit être posée est: où va-t-on trouver l’eau et cette utilisation de l’eau est-elle soutenable à moyen et long terme? La réponse est que la centrale utilise déjà l’eau d’un barrage situé à proximité, appelé Al Mansour Eddahbi. Selon les autorités, moins d’un pour cent de la capacité moyenne du barrage sera utilisée.
Les apports d’eau au barrage varient entre 54 et 1300 millions de mètres cubes, avec une moyenne de 384 millions de mètres cubes (sur la base des vingt-cinq dernières années). Cette eau est habituellement utilisée pour l’irrigation, à raison de 180 millions de mètres cubes par an, l’eau potable à raison de quatre millions de mètres cubes par an, tandis que l’évaporation consomme une soixantaine de millions de mètres cubes par an.
Même si l’installation solaire n’utilise qu’un pour cent de la capacité moyenne du barrage, la consommation d’eau reste importante et peut devenir un problème épineux en période de sécheresse extrême lorsque le barrage ne contient que 54 millions de mètres cube d’eau. Dans ces moments, les eaux du barrage ne sont pas suffisantes pour couvrir les besoins de l’irrigation et en eau potable, ce qui rend l’utilisation de l’eau pour la centrale solaire largement problématique et controversée. Ce problème est encore plus important si l’on prend en compte les besoins en eau de la ville de Ouarzazate, qui atteindront 840 millions de mètres cubes d’ici 2020, dont 808 seront alloués à l’agriculture et trente-deux à la fourniture d’eau potable.
Au cours de l’enquête sur cette question de l’eau, nous n’avons trouvé aucun document mentionnant la vente ou l’achat d’eau par la MASEN. De toute façon, dans une région aride comme celle de Ouarzazate, cette appropriation de l’eau pour un programme prétendument vert constitue un autre accaparement «vert», qui va contribuer à l’intensification des dynamiques agraires en cours et des luttes pour la subsistance dans la région.
Les contradictions du modèle de développement «durable» au Maroc
Le Maroc va accueillir les négociations sur le climat (COP22) au mois de novembre de cette année et sa réputation internationale repose sur son plan d’énergie renouvelable. A cet effet, le complexe solaire de Ouarzazate sera utilisé comme un projet phare pour embellir la façade «verte» du makhzen et améliorer sa réputation internationale afin d’en tirer des retombées politiques et stratégiques au détriment d’un changement démocratique radical.
Cependant, gratter légèrement sous la surface nous permet de voir ce qu’il y a derrière ce discours trompeur. Si l’Etat marocain était vraiment sérieux au sujet de ses qualités écologiques, pourquoi est-il en train de construire une centrale électrique au charbon, ce qui représente un écocide attendu pour la ville déjà polluée de Safi? Pourquoi ignore-t-il également les effets dévastateurs, environnementaux et sociaux de l’industrie minière dans le pays? Un exemple notable est celui de la longue lutte de la communauté d’Imider (à 140 kilomètres à l’est de Ouarzazate) contre une mine d’argent, fleuron du holding royal SNI (la mine d’argent la plus productive d’Afrique), qui pollue son environnement, accapare son eau et pille ses richesses.
Conclusion
Malgré l’attrait du mégaprojet solaire, il incombe à la gauche radicale et au mouvement environnementaliste pour la justice climatique de développer une approche critique de la propagande du makhzen et du discours international dominant autour de la gouvernance environnementale auquel elle est liée. Les militants doivent se poser les questions pertinentes, qui permettent de mettre l’accent sur la réalité de l’énergie solaire: qui possède quoi? Qui fait quoi? Qui obtient quoi? Qui gagne et qui perd? Et quel bien public collectif est desservi ? Répondre à ces questions dans une optique de justice distributive, tout en tenant compte de l’héritage colonial et néocolonial et des questions de race, classe et genre, fera apparaître de nombreux parallèles entre la centrale solaire ESC et les industries extractives, qui sont plus évidemment destructrices. Comme ces industries, l’occupation de l’espace par la centrale solaire est problématique, car elle remet en cause la souveraineté des populations sur leurs terres et les prive de leurs ressources dans le but de concentrer la valeur créée aux mains des cercles prédateurs du makhzen et des entreprises privées, marocaines et non marocaines.
Si nous voulons concevoir et mettre en œuvre des projets réellement verts et équitables, nous devons arracher la nature des griffes des mécanismes du marché et reformuler le débat autour des questions de justice, de reddition de comptes et de biens communs loin des logiques du marché qui compartimentent, marchandises et privatisent la nature et nos moyens de subsistance. Mais la question centrale, c’est celle des formes d’engagement local véritable et de consultations appropriées où les communautés et les populations sont libres de donner ou de refuser leur consentement préalable et informé.
Hamza Hamouchene, militant et chercheur, spécialiste des questions énergétiques, environnementales et climatiques au Maghreb. Texte traduit de l’Anglais par Lucile Daumas
le 31 - mars - 2016Pour les notes et bibliographie