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Liban - Page 4

  • Liban: que le 22 août soit la première étincelle de notre soulèvement contre le régime sectaire et capitaliste (LCR.be)

     

    Au cours de l’hiver 2011, la participation du peuple libanais dans le soulèvement arabe s’est exprimée par des manifestations pour renverser le régime sectaire, et l’instauration d’une société et un Etat laïcs fondés sur la justice sociale et l’égalité, comme un  pas important vers un changement révolutionnaire à tous les niveaux, social, politique et économique. Mais la contre-révolution a rapidement réagi pour saboter ce processus et le pouvoir a réussi à travers ses partis à saper et à détourner ce mouvement.

    Aujourd’hui, l’effervescence revient à la rue sous l’impact de la crise des déchets, qui a montré de nouveau le vrai visage du régime, éclaboussé d’ailleurs par d’innombrables scandales et débâcles, dont le pillage des richesses nationales, le détournement des biens publics et le saccage de tous les aspects de la démocratie. Sans parler de la privation des citoyens de leurs droits sociaux et économiques (comme le montre la façon de gérer les promotions et les salaires), et la mise en œuvre d’une loi dont l’application va engendrer la marginalisation et l’extrême paupérisation d’une large frange de la population, et par ailleurs permettre aux banques de piller la majeure partie du revenu national, et renforcer leur mainmise sur l’ensemble de la société.

    Après tout cela intervient le dernier grand scandale que le pays croule sous les ordures, qui envahissent les forêts, les rivières, les plages et les montagnes, jusqu’aux lieux jusque-là épargnés par leurs saletés et leurs immondices. Mais ce n’est encore là qu’un préalable pour conclure d’autres marchés de pillage au profit de sociétés liées à tel ou tel  zaïm (dignitaire) sectaire bourgeois, avec des conséquences désastreuses sur la santé des Libanais et du reste des habitants du pays, et sur leur sort.

    Le pire c’est que le pouvoir essaye maintenant de faire taire par la répression brutale la jeunesse de ce pays et toutes les masses populaires qui sont descendues dans les rues ces derniers jours. Comme c’est arrivé ce samedi 22 août lorsque les forces de sécurité ont démontré qu’elles ne sont pas concernées par la protection des personnes, et qu’elles sont là juste pour préserver les intérêts de ceux au pouvoir, même s’il faut recourir aux balles en caoutchouc et réelles et aux grenades lacrymogènes. Tout cela n’est qu’une preuve de la crainte du pouvoir de l’expansion d’un mouvement populaire hostile au régime et rebelle contre le joug du sectarisme.

    Il est donc nécessaire d’organiser nos rangs et de reconquérir la rue pour parachever ce que nous avons commencé lors de la manifestation du 22 août, et ce, jusqu’à la satisfaction des revendications immédiates suivantes:

    1. La libération immédiate et inconditionnelle de tous les détenus et l’arrêt des arrestations arbitraires ;
    1. Demander des comptes aux officiers et aux éléments des forces sécuritaires et militaires responsables des tirs de cartouches et de grenades lacrymogènes contre les manifestant.e.s jusqu’à demander des comptes au du ministre de l’Intérieur Nohad El Machnouk et son licenciement ;
    1. Demander des comptes au ministre de l’Environnement Mohammed El Machnouk et son licenciement, et retirer le dossier des déchets des prérogatives du Conseil du développement et de la reconstruction et en transférer la compétence aux municipalités surtout que les prérogatives dudit Conseil ont été fixées par des décrets illégitimes ;
    1. La levée du secret bancaire sur les responsables de la catastrophe des déchets et leur condamnation.

    Il faut poursuivre la mobilisation populaire et s’organiser partout dans des comités populaires en perspective de :

    • faire chuter tout le régime sectaire et l’instauration d’une société et d’un Etat laïques ;
    • dissoudre le Parlement et l’élection d’une assemblée constituante sur la base de la représentation proportionnelle non-sectaire, et le Liban comme arrondissement unique ;
    • soumettre tous les hommes du pouvoir, du sommeil de l’Etat jusqu’à sa base, qui ont pillé de l’argent public à des procès rigoureux, et recouvrer les fonds pillés ;
    • l’annulation de la dette publique, et la suppression du pouvoir des banques par leur nationalisation,
    • assurer les conditions nécessaires pour une justice sociale effective ;

    Ce sont les revendications qui ont été scandées par les masses populaires lors des différents soulèvements arabes résumées dans le slogan « Renverser le régime ! ».

    Toute le pouvoir et toute la richesse au peuple!

    A bas le régime !

    Le Forum Socialiste

    Beyrouth, le 23 août 2015

    Traduction de l’arabe par Rafik Khalfaoui

    http://www.lcr-lagauche.org/liban-que-le-22-aout-soit-la-premiere-etincelle-de-notre-soulevement-contre-le-regime-sectaire-et-capitaliste/

  • Sur la politique et la culture au Liban et au Moyen-Orient (Lcr.be)

    Le dernier entretien avec Bassem Chit

    Bassem Chit était un socialiste (dans le sens ango-saxon: marxiste) libanais, un militant chevronné et un révolutionnaire fidèle à ses engagements qui a lutté sans relâche pour les droits sociaux, économiques et politiques au Liban et dans cette région troublée. Bassem Chit qui avait joué un rôle essentiel dans la création et le développement d’un certain nombre d’organisations activistes et de recherche au Liban comme Helem (Rêve), Liban Support et le Forum socialiste est décédé prématurément, le 1er octobre 2014, d’une crise cardiaque à l’âge de 34 ans.

    Dans cette interview exclusive donnée à TurkeyAgenda qui est aussi sa dernière, il a répondu ouvertement à nos questions sur le Liban, à propos du sectarisme, de la Turquie, de la gauche turque, et de la région en général. Pendant l’entrevue, il a fait des analyses très utiles sur les événements qui se déroulent au Moyen-Orient et a parlé de certains militants de gauche islamophobes turcs. Il a également expliqué la situation politique au Liban en élaborant une analyse de classe plutôt qu’en termes sectaires classiques.

    Au même moment que nous exprimons notre tristesse de la perte prématurée de ce militant remarquable, nous souhaitons que nos lecteurs voyageraient à travers les sentinelles chaotiques du Liban en particulier et le Moyen-Orient en général avec cette interview révélatrice.

    La classe est le principal moyen de défense pour la société libanaise contre la guerre civile et la barbarie.

    TurkeyAgenda : Tout d’abord, pourriez-vous nous parler brièvement de vous-même et du Forum socialiste?

    Bassem Chit : Le Forum socialiste est une organisation socialiste révolutionnaire au Liban. Il est apparu de la fusion de deux groupes trotskystes en 2010 dont chacun a sa propre histoire. L’un d’eux a commencé en 2000 et l’autre en 1970. Dans le Forum socialiste, nous avons en principe deux publications. L’une d’elles est Al-Manchour, une édition en ligne. L’autre est une revue périodique en arabe, Al-Thawra ad-Dayma (Révolution permanente). Celle-ci est publiée deux fois par an sous forme d’un cahier, en collaboration avec les groupes de la région, notamment en Egypte, en Syrien, en Tunisie, au Maroc et en Irak.

    Notre groupe soutient les révolutions arabes et les révolutions partout dans le monde. Nous considérons que la situation actuelle exige une position qui allie la résistance au capitalisme et contre les dictatures avec la lutte pour la démocratie progressive. L’axe fort de notre stratégie concerne la formation d’un parti politique, un parti révolutionnaire au Liban.

    Dans le système politique libanais, où les partis basés sur le système de « zouama »/clientélismedominent la politique, quelles sont les difficultés d’être un socialiste?

    Tout d’abord, le système électoral libanais est fondé sur le sectarisme. Mais cela ne signifie pas que les partis politiques sont, par défaut, basés sur le sectarisme. Les partis politiques dominants au Liban sont par contre des partis sectaires. Mais nous avons aussi des partis politiques qui sont en dehors du pouvoir, dont beaucoup parmi eux sont des partis laïques ou non-confessionnels. Nous avons une longue tradition de mouvements de gauche dans le pays. Même dans les années 1960 et les années 1970, encore plus en 1997, nous avons eu des grandes manifestations dans le pays où les gens de l’est et de l’ouest de Beyrouth ont été rejoints par le mouvement syndical. A partir des années 1990 et plus tard, nous avions constamment des mouvements anti-sectaires. En 2011, nous avons eu une grande mobilisation contre le sectarisme dans le pays. Mais cela ne signifie pas qu’il n’est pas difficile de faire de la politique. C’est très difficile. Mais ce n’est pas vraiment à cause du sectarisme.

    C’est un problème en soi, mais les difficultés sont principalement causées par les appareils sécuritaires des partis politiques et de l’Etat. Cela signifie donc que les marges d’action militante sont réduites, certaines régions sont contrôlées par certains partis politiques. Elles sont contrôlées avec des armes. Tel est le problème. Il faut prendre en considération que le Liban est un très petit pays. Ainsi donc, nous ne voyons pas par exemple une révolution au Liban sans un mouvement révolutionnaire dans la région. C’est pourquoi nous considérons que le changement au Liban est très lié à un changement en Syrie et vice versa. A cause de la façon dont les puissances coloniales ont installé les frontières, une des tâches de la révolution consiste en la destruction effective de ces frontières. C’est une tâche très ardue puisque nous parlons d’un petit pays de trois millions d’habitants et d’un régime ou un Etat qui n’a pas peur de déclencher une guerre civile juste pour préserver son pouvoir. Pour ces raisons, la gauche révolutionnaire doit s’organiser et s’armer d’une solide stratégie sur la façon de gérer l’Etat et le sectarisme et toutes les autres questions.

    Considérez-vous donc les soulèvements dans la région comme une chance pour le Liban ?

    Non seulement pour le Liban, mais pour la région dans son ensemble. En fait, ce n’est pas un simple soulèvement dans la région. Nous sommes en train de parler de la crise économique internationale, la crise du capitalisme. Si vous examinez les chiffres économiques à travers le monde, vous y découvriez que cette crise va en s’approfondissant. C’est également une crise de l’idéologie néolibérale et une crise des politiques de réformes. De par le monde, les Etats ne parviennent pas à opérer des réformes, même pas des réformes néolibérales. Parce que le niveau de contradictions et des injustices qui traversent le système capitaliste est assez élevé, assez compliqué que chaque réforme mène à davantage de contradictions encore plus graves. Cela signifie que les révolutions actuelles sont le reflet d’une crise internationale dans la région arabe en ce moment. Mais cela ne signifie pas qu’elle va se limiter au Moyen-Orient. Regardez comment en Grèce, en Espagne ou au Chili la totalité de leurs acquis sociaux sont menacés alors qu’aux USA, une gigantesque bataille est engagée entre les démocrates et les conservateurs autour des soins de santé. Dans cette perspective, ceci est juste la première vague, comme les premiers jours de la révolution russe, juste les prémices des révolutions à venir.

    Les contradictions qui ont mené aux révolutions dans le monde arabe sont loin d’être résolues. Cela signifie que c’est une première tentative des masses populaires arabes  de combattre l’Etat et le régime. Grâce à ce processus, les gens commencent à apprendre que nous avons besoin de groupes révolutionnaires plus organisés et que nous avons besoin d’une classe ouvrière plus organisée pour vaincre ces régimes, mais aussi les mouvements réactionnaires.

    Dans l’un de vos discours vous avez soutenu que « le sectarisme n’est pas une tradition tribale ou féodale, mais qu’il ait été développé par le capitalisme au Liban. C’est plutôt une histoire moderne et non une histoire traditionnelle. Le sectarisme est en fait une lutte de classe déformée, sans rapport avec la tradition ». Pouvez-vous en dire plus sur la conscience de classe au sein d’une société prétendue être sectaire ?

    Nous devons faire la distinction entre deux questions : d’une part la lutte de classe comme une existence matérielle, autrement dit une réalité objective au sein de tout système capitaliste et, d’autre part, comment les gens acquièrent les idées pour comprendre cette réalité. Au sein de ces contradictions, par exemple, si l’on regarde le développement de l’économie au Liban, nous découvrons que la France était la première qui a commencé à investir dans les régions chrétiennes du Liban lors de la domination de l’Empire ottoman, grâce à des accords. Cela signifie que la nouvelle économie s’est développée dans une seule région et que les autres régions sont restées dans l’ancienne économie. C’est alors que des usines de soie ont été installées dans les zones chrétiennes du Mont-Liban, donnant lieu au développement d’une nouvelle main-d’œuvre, au rétrécissement de la classe féodale, et à un accroissement de la petite bourgeoise.

    En 1860, nous avons eu – ce qu’ils nomment  –  une guerre civile qui était en fait un soulèvement paysan, qui comprenait des paysans maronites, chiites, sunnites et druzes, contre les seigneurs féodaux. Mais la nouvelle bourgeoisie chrétienne et les seigneurs féodaux chrétiens se sont alliés avec les seigneurs féodaux druzes afin d’écraser la révolte paysanne. Ce n’était donc pas une guerre civile, mais plutôt un soulèvement paysan. Plus tard, on a vu les dirigeants de ce soulèvement paysan changer leur rhétorique à propos de la révolte paysanne par un discours sectaire sur la protection des chrétiens. Mais nous devons comprendre que cette première tentative visait à écraser la révolte et qu’elle était un glissement vers une position sectaire des classes dominantes à l’époque.

    Donc, dans ce sens, nous devons comprendre qu’il y a deux dynamiques qui se sont produites. D’une part, il y a l’émergence des conditions de la lutte de classe que les gens  commencent à percevoir, bien que leur perception résulte d’une tradition de pensées. Et plus tard, après l’indépendance, une très puissante élite politique chrétienne s’est formée en raison des développements économiques. En même temps, une élite commerciale très puissante s’est créée à l’intérieur de Beyrouth au sein de la communauté sunnite. Entre-temps, la structure féodale s’est considérablement affaiblie dans les montagnes des régions druzes et les zones chiites dans le Sud. Au début de la guerre civile dans les années 1970, en raison de la détérioration des structures féodales qui signifie aussi la détérioration de l’économie paysanne, les gens se déplaçaient de plus en plus vers les villes. C’est dans les villes que l’on pouvait constater l’injustice dans la structure économique. Cela signifiait que l’Etat qui était contrôlé par les kataëb (Phalanges libanaises)[1] ou l’aile droite des partis chrétiens ont tenté de gagner leur légitimité à travers les pratiques sectaires. En faisant bénéficier par exemple  aux travailleurs chrétiens des opportunités du travail tout en rendant les travailleurs chiites moins aptes à en profiter ou vice versa.

    Le sectarisme est donc une politique ; une politique de ségrégation de la classe ouvrière. La grande erreur de la gauche lors de la guerre civile était qu’elle considérait la secte elle-même en tant que classe. Alors, ils ont argué que les chrétiens sont tous des bourgeois et les musulmans sont la classe ouvrière, mais tout cela est absolument faux. A cet égard, ils ont tenté d’utiliser la classe comme un moyen de mobiliser sur un plan sectaire plutôt qu’un moyen de désintégrer le discours sectaire. Voilà pourquoi nous parlons de conscience, qui n’est pas quelque chose qui se développe librement. C’est quelque chose qui se développe dans la lutte politique en cours et dans la lutte idéologique. En même temps, les idées dominantes au sein de la société essayent de   moduler la conscience de masse de façon permanente qui sert l’économie capitaliste et la domination de classe. L’une des méthodes utilisées est le sectarisme.

    En parallèle, il y a l’expérience humaine des foules vivant ensemble et travaillant ensemble qui présente effectivement une menace pour cette idéologie. Le rôle de la gauche révolutionnaire est de pousser cette expérience humaine encore plus loin et de la théoriser de même que de développer l’idéologie de la classe laborieuse. A titre d’exemple, nous avons eu il y a quelques années au Liban une grève des travailleurs de l’électricité. Elle a duré environ 90 jours. Ils revendiquaient des contrats de travail à durée indéterminée. L’Etat les a attaqués pour être une majorité de travailleurs musulmans. C’est alors que les autres travailleurs se sont levés, et les travailleurs chrétiens parmi eux se sont mis à l’avant-garde pour défendre leurs collègues musulmans contre la milice chrétienne qui les attaquait. Nous avons eu aussi une grève à la centrale électrique de Jounieh en soutien à une grève dans une autre centrale électrique située en zone musulmane. Si les choses restent à ce stade, il n’est pas certain qu’on puisse en tirer quoique ce soit.

    Pour cela il faut ramener la bataille à sa juste place, là où il n’est pas seulement question de stratégie défensive, mais de stratégie offensive contre l’Etat. Cela veut dire, certes, qu’il faut lutter contre le système du sectarisme jusqu’à sa destruction totale. Dans la lutte de classe, nous avons l’habitude de recourir à des idées et des mécanismes défensifs. Cependant il faut une compréhension de l’histoire et de toutes les contradictions non seulement à travers une bataille spécifique, mais à travers la lutte générale contre le sectarisme en liant toutes ces expériences ensemble. Parce qu’en ramenant ces expériences ensemble, nous pouvons développer une nouvelle forme idéologique de résistance contre l’Etat et contre le sectarisme. C’est en l’absence de cette nouvelle forme de résistance idéologique que notre conscience de classe elle-même est en passe d’être détournée vers le champ de la conscience sectaire. Comment cela se fait en pratique ? Revenons à la grève des travailleurs de l’électricité.

    Le Courant patriotique libre (CPL)[2] disait que l’existence d’une majorité de travailleurs musulmans finira par déstabiliser le quota sectaire au sein de l’entreprise. Mais ce qu’il visait réellement, c’est saper l’unité des travailleurs et la création de rapports sectaires. C’est la solidarité et l’unité entre les travailleurs qu’il voulait attaquer. C’est ce que fait aussi Nabih Berri[3], par exemple, avec certains dirigeants syndicalistes contre les travailleurs. Ils ont essayé de détourner la lutte de classe à partir de sa base unitaire vers une base sectaire. Prenons un autre exemple pour mieux clarifier les choses, le mouvement Amal et le Hezbollah, qui sont des partis politiques chiites, ont adopté une méthode singulière pour interagir avec le mécontentement et les émeutes populaires dans la banlieue sud. Si par exemple un mouvement de protestation se déclenche contre les coupures d’électricité ou contre le chômage, ces partis craignent plus que les manifestants ou les grévistes puissent se rencontrer et tisser des liens avec des protestataires des autres régions. Au lieu de pousser à la mobilisation pour l’amélioration de la couverture électrique au Liban, ils achètent des générateurs électriques et fournissent des fonds aux stations d’essence.

    Par exemple, dans le Akkar[4], Saad Hariri[5] donne de l’argent à certains organismes de bienfaisance et à quelques démunis juste pour calmer les contradictions de classe et renforcer la dépendance économique des travailleurs vis-à-vis des capitalistes. Cela signifie aussi que l’argent provenant des régimes les plus cruels dans le monde tels que l’Arabie saoudite, l’Iran ou les Etats-Unis fait son chemin jusqu’ici pour créer une relation de dépendance des travailleurs musulmans ou chrétiens à l’égard des bourgeoisies musulmane ou chrétienne. Cette dépendance crée une illusion de protection. C’est un mythe idéologique. Au lieu de dire que notre problème est la bourgeoisie, ils trouvent qu’il est plus facile de dire que le problème des travailleurs musulmans est la bourgeoisie chrétienne. Ainsi le problème pour les travailleurs chrétiens devient la bourgeoisie… musulmane, et la rivalité finit par s’installer parmi les travailleurs. Entretemps, les médias trouvent réellement populaire auprès des gens de leur dire que les musulmans prennent les emplois des chrétiens ou les chrétiens prennent les emplois des musulmans ! Finalement on crée un environnement de concurrence. Il s’agit en fait d’une lutte au sommeil des forces bourgeoises pour le pouvoir qui est reflétée comme une culture populaire tout au fond de la classe ouvrière. La question principale ici est de lutter contre la stratégie de l’Etat, la stratégie de la bourgeoisie et leurs méthodes pour vaincre la lutte de classe.

    Nous devons comprendre qu’en luttant contre l’Etat, nous ne menons pas la lutte de classe  uniquement sur le plan économique mais aussi sur les plans politique et idéologique. Cela signifie que notre résistance doit être économique, politique et idéologique, ce que, fort malheureusement la gauche dans la région ne prend pas en considération. Elle n’attaque pas sur le front idéologique. Elle milite seulement sur les plans économique et politique. Mais quand il s’agit d’idéologie, quel genre d’État nous voulons, quelle idéologie révolutionnaire devons-nous adopter, ce sujet n’a pas été discuté. Nous devons avoir l’idéologie de la contre-hégémonie en interprétation des idées de Gramsci dans le sens où puisque la bourgeoisie a l’hégémonie, nous devons créer de vraies organisations pour détruire son hégémonie et créer des contre-hégémonies qui reflètent les intérêts de la classe ouvrière.

    Donc nous pouvons dire que la conscience de classe dans la société est une soupape de sûreté contre le sectarisme et la menace d’une guerre civile.

    La conscience de classe ne se limite pas à la conscience économique. Même chez Marx et Engels il ne s’agit pas de la conscience économique. Mais il y a en général une tradition au sein de la gauche pour comprendre la classe seulement de point de vue économique. La plus haute forme de la lutte de classe est une lutte politique. En même temps, vous devez combiner les aspects économiques, politiques et idéologiques au cours de la lutte. La partie importante dans tout cela est l’organisation de la lutte de classe. Car il ne faut pas compter uniquement sur des réactions spontanées ou des actions non organisées. Elles sont importantes, mais nous devons les organiser davantage. Voilà pourquoi il est très important que la gauche révolutionnaire dans la région arabe soit organisée. Etant donné que l’Etat et les partis politiques sont efficacement organisés, ont des financements multiples et une tradition politique, ils sont en mesure de pouvoir riposter. Cela signifie que, si vous voulez les combattre, vous devez être aussi organisés et aussi efficaces qu’eux. Mais vous ne devez pas compromettre votre politique ou vos méthodes d’organisation ou vos pratiques et mécanismes démocratiques. Ceci est une question très difficile, mais très importante.

    La lutte de classe et la conscience de classe sont des questions centrales car sans elles, vous ne serez pas en mesure de bâtir des ponts entre les travailleurs chrétiens, sunnites et chiites. Et nous avons besoin de ce lien de solidarité et d’affinités pour lutter contre la classe dirigeante. Pour moi, la conscience de classe n’est pas seulement une conscience économique. La conscience de classe est nécessaire pour comprendre le rôle de la classe dans la détermination des paramètres économiques, politiques et idéologiques à la fois.

    Pensez-vous que la principale erreur des soulèvements récents dans la région est qu’ils se sont transformés en une lutte sectaire ?

    Les révolutions ne déclenchent pas dans des conditions que nous choisissons par avance. Ainsi, les révolutions ont eu lieu dans la région arabe après un recul total de la gauche à cause de nombreuses raisons. Parmi elles, la collaboration active de la plupart de la gauche stalinienne et de la gauche nationaliste avec les régimes. Il y a évidemment des structures syndicales en Egypte, en Syrie, au Liban et dans le reste de la région. Mais il y a un grand recul de l’action politique depuis les années 1980. C’est dans ces conditions que les révolutions ont éclaté. Cependant deux réalités apparaissent : la nécessité et la priorité d’organiser la classe ouvrière. Ce sont les tâches révolutionnaires à accomplir.

    L’histoire ne fait pas d’erreurs, elle se produit seulement. La gauche traditionnelle a commis beaucoup d’erreurs. Mais c’est absurde de dire que la nouvelle gauche révolutionnaire aurait pu organiser la classe ouvrière, et s’organiser elle-même dans les vingt dernières années. Les vingt dernières années ont enregistré une progression de la gauche révolutionnaire dans différents pays, particulièrement en Egypte et au Liban. Au fil du temps ces groupes se sont amoindris dans une certaine mesure, mais sont toujours plus efficaces que les organisations de la gauche traditionnelle. Il est donc très important de développer ces organisations.

    Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Si l’on compare au niveau du Liban par exemple, le Parti communiste qui avait revendiqué 10 000 membres, en compte maintenant 3 000 ou même moins. A Beyrouth, nous mobilisons plus qu’eux. En Egypte,  les Socialistes révolutionnaires, semblables à notre courant au Liban, font entendre leur voix davantage à gauche plus que le reste de la gauche traditionnelle, pourtant plus nombreuse. Nous avons donc considérablement pu s’améliorer qualitativement, mais pas quantitativement, en termes d’élargissement de notre base. Les gens ont compris l’importance du parti politique dans la révolution, surtout après la défaite de la première phase de la révolution. Cela est très important, car les gens ont compris qu’un mouvement ne peut pas remporter ses batailles en comptant seulement sur ses propres efforts et sur les réactions spontanées. Ce genre de populisme s’est désintégré avec la montée de forces contre-révolutionnaires. C’est une opportunité pour la gauche révolutionnaire. Cependant vous ne pouvez pas d’ores et déjà vous baser sur l’hypothèse d’un possible  front populaire.

    C’était la logique de la gauche traditionnelle dans les années 1960 et 1970. Elle se déclarait avec les mouvements populaires, ce qui signifie avec tout le monde. Or, les récents événements ont prouvé que cette stratégie est totalement fausse. Nous avons besoin d’un front uni, d’un front révolutionnaire, mais pas d’un front populaire. Cela signifie qu’il faut lutter contre la classe dirigeante et en même temps contre les forces réactionnaires, comme Daesh (ou l’Organisation de l’Etat islamique) par exemple ou des groupes similaires. Mais aussi défendre des organisations réformistes, comme les Frères musulmans, contre la répression du pouvoir. Par ailleurs,  il y  a l’expérience du mouvement Ennahdha en Tunisie qui, après avoir compris le sort qui a été réservé aux Frères musulmans en Egypte, a manœuvré intelligemment, permettant à la gauche d’entrer en jeu. Et de prendre part à la bataille institutionnelle libérale. C’est une crise de la gauche. En Tunisie, par exemple, ils mènent à bien des revendications démocratiques, mais c’est dans le cadre d’une nouvelle politique libérale avec l’aval de l’impérialisme capitaliste.

    Ce sont les conditions dans lesquelles nous devons travailler. Il y a deux tâches principales qui sont la construction d’une organisation révolutionnaire et en même temps aller vers les travailleurs. La bureaucratie syndicale est une crise. Regardez comment les bureaucraties syndicales en Egypte — y compris celles à la tête des syndicats dits indépendants ­ — ont toutes soutenu Sisi et le régime militaire. Il n’est pas difficile de conclure que ces directions sont inefficaces et inutiles pour la révolution. Quant au mouvement syndical au Liban, il ne cesse de faire des concessions à tel point qu’il n’arrive plus à mobiliser des masses de travailleurs, comme il le faisait auparavant. Actuellement, il mobilise à peine trente ou cinquante personnes[6]. La gauche doit travailler à la base pour conscientiser les travailleurs et les amener à adopter une idéologie et une ligne politique révolutionnaires mais aussi pour installer et dynamiser une tradition au sein de la classe ouvrière, celle de la nécessité de s’organiser davantage. La reconstruction des organisations de la classe ouvrière pour défier l’Etat est une situation complètement différente de ce que nous avions dans les années 1960.

    Nous avions à l’époque une petite classe ouvrière, une large couche de paysans et la question de la libération nationale, qui était l’élément principal dans toute la lutte. Aujourd’hui, il ne s’agit pas de libération nationale dans le sens de libérer un territoire occupé, mais d’une libération nationale du joug de l’impérialisme. Il faut donc mettre fin à l’ingérence des Etats-Unis, de l’Europe, de l’Arabie saoudite et des capitaux étrangers dans la région. Cela signifie que nous avons besoin d’une situation révolutionnaire. Ce que nous appelons la révolution permanente. Ceci implique que nous avons les conditions non seulement de réaliser la libération nationale ou les réformes démocratiques, mais aussi l’opportunité d’approfondir cette révolution et de la transformer en une révolution socialiste.

    Il est nécessaire de graver dans les esprits l’importante distinction entre libération nationale et Etat capitaliste. Dans les années 1960, le peuple avait appuyé la bourgeoisie nationale contre la bourgeoisie internationale. Aujourd’hui la bourgeoisie nationale, même si elle prétend être anti-impérialiste, est indissociable du libéralisme. Ils font les affaires et ils coopèrent. Par exemple, le Hezbollah reçoit de l’argent de bourgeois libanais installés en Afrique, qui exploitent les travailleurs africains. Il reçoit aussi de l’argent de l’Iran, l’Etat qui exploite des travailleurs iraniens. Saad Hariri reçoit de l’argent de l’Arabie saoudite qui exploite aussi les travailleurs.

    L’entrecroisement des rapports capitalistes est évident. Donc, ces mouvements de « résistance » ne peuvent pas lutter contre l’impérialisme. Tout ce qu’ils peuvent atteindre, c’est une sorte de libération physique, à l’image de ce qui se passe au Liban. Mais ils s’arrêteront là où ils commencent à nuire aux relations capitalistes dans lesquelles ils sont impliqués. C’est ce qui est arrivé lorsque la révolution a éclaté en Syrie. Le Hezbollah est allé en Syrie pour protéger le régime Assad, sous le commandement de l’Iran, qui veut aussi protéger ses propres intérêts. Ce mouvement de résistance s’est transformé en une armée qui combat pour servir les intérêts des capitalistes en Syrie. Ceci est une contradiction parce qu’il ne s’agit pas d’une petite armée, mais d’une armée énorme dans l’Etat. Lorsque le Hezbollah décide d’engager une bataille, il ne suffit pas de fanfaronner au sujet de ses faits d’armes, mais il faut être capable de gagner les gens qui soutiennent le Hezbollah à une position révolutionnaire différente. Telle est la question la plus importante.

    En comparaison avec d’autres organisations de « gauche », vous avez soutenu la révolution populaire en Syrie. Comment expliquez-vous l’éloignement entre les organisations de gauche ?

    Au Liban, nous avons la gauche nationaliste qui comprend les nationalistes arabes et la gauche stalinienne comme le Parti communiste. Ces groupes ont adopté une vieille stratégie qui considère la libération nationale comme une condition sine qua non de la révolution. Ils ont adopté une autre stratégie pour le changement démocratique. Cela signifie deux choses : la première, s’il y a un conflit entre la bourgeoisie nationale et la bourgeoisie internationale, ils se mettront du côté de la bourgeoisie nationale ; la seconde, ils ne cherchent pas à défier l’Etat, mais ils essayent de gagner dans les élections et d’accéder au pouvoir.

    Cette conception des choses les met dans une position de non-confrontation ni contre bourgeoisie internationale, ni contre la bourgeoisie nationale, or la confrontation de ces deux bourgeoises est un élément important pour être un groupe révolutionnaire. En Syrie donc, selon cette logique, soutenir le régime signifie soutenir l’anti-impérialisme dans la région dont il se réclame, alors que c’est complètement faux. Nous avons pu constater comment la révolution syrienne a causé une défaite, au moins morale, de l’impérialisme. La crise économique croissante est une opportunité en ce sens qu’elle force de nombreuses puissances impérialistes à se retirer. Cela ne veut pas dire qu’elles n’ont aucune présence, mais elles se sont affaiblies.

    Au lieu d’exploiter cette donne pour pousser vers une situation révolutionnaire contre la bourgeoisie arabe et l’impérialisme, certaines de ces organisations de gauche s’allient avec les régimes pour plusieurs raisons. Une des principales raisons est qu’elles sont préoccupées de savoir comment gagner une représentation au pouvoir ou comment accéder au pouvoir sans devoir prouver leur crédibilité ou légitimité. C’est l’erreur des partis réformistes dont l’idéologie est en crise. L’idéologie nationaliste elle-même est en crise. Nous constatons un affaiblissement de l’identité nationale et l’émergence d’une perspective pour développer une idéologie révolutionnaire qui transcende l’illusion et outrepasse la peur d’une séparation entre le Liban, la Syrie, l’Egypte et la Palestine.

    Car il s’avère impossible de révolutionner la région sans la destruction des frontières qui ont été fixées par le colonialisme, puis consolidées par les régimes arabes qui ont été contraints eux-mêmes à séparer la lutte palestinienne et les luttes libanaise, syrienne, irakienne, égyptienne et des pays du Golfe. Ces frontières ont aidé les régimes arabes à écraser les mouvements populaires qui se sont développés dans les années 1960 et même avant. Mais les partis réformistes ne peuvent pas concevoir leur existence en dehors de l’Etat-nation. Ils ont besoin des frontières nationales pour exister. Par ailleurs, ils n’ont pas de stratégie pour changer le caractère capitaliste de l’Etat et ont une compréhension mécanique de l’histoire. Pour eux, une révolution n’est pas une révolution tant que les gens n’ont pas revendiqué le socialisme dès le premier jour. Pourtant ni pendant la révolution russe ou la révolution française les gens n’ont réclamé le socialisme dès le premier jour. Pendant la révolution russe, une manifestation a été dirigée par un pasteur, et de nombreux paysans ont été tués lors des protestations ! Après de nombreuses années, les gens ont compris qu’on ne peut pas négocier avec l’Etat. C’est ce qu’a appris le peuple arabe.

    On ne peut pas négocier avec les Etats arabes. Cependant le Parti communiste et les partis staliniens ont choisi de se mettre du côté des régimes arabes. Ceci implique qu’ils n’appartiennent plus à la gauche. Ils font partie de l’appareil d’Etat… l’appareil d’Etat bourgeois qui se défend contre les mouvements populaires. D’ailleurs ça ressemble à ce qu’à fait la gauche réformiste en Allemagne lors de la montée d’Hitler. Cette position de la gauche a permis ou au moins était favorable à l’essor de Daesh et des groupes similaires. La laïcité est devenue synonyme d’alliance avec les régimes arabes despotiques. C’est pourquoi il faut faire la distinction entre d’une part ces Etats prétendument laïques qui n’ont rien à voir avec la laïcité, et qui consacrent le sectarisme, et d’autre part la laïcité révolutionnaire basée sur la justice sociale et l’égalité.

    Certains partis politiques outre le Forum socialiste ont aussi un discours anti-impérialiste et «  résistant ». Quelles sont vos similitudes et les différences ? Et quelles sont les différences entre les définitions du terme « résistance » ?

    Lorsque le Hezbollah se battait contre Israël, nous avons soutenu la résistance. Nous soutenons quiconque résiste contre l’impérialisme. Mais quand le Hezbollah va en Syrie pour combattre contre la révolution populaire, ce n’est plus de la résistance. Il est devenu une milice du régime autoritaire et de la puissance régionale, qu’est l’Iran.

    La question se pose ainsi : est-ce que des groupes comme le Hezbollah ou le Hamas peuvent libérer la Palestine ou écraser l’impérialisme? La réponse est non, ils ne le peuvent pas. Mais en même temps, en l’absence d’organisations capables de résister à l’offensive israélienne chaque fois qu’Israël attaque, nous soutenons quiconque prend les armes et combat l’entité sioniste. Mais cela ne signifie pas que nous soutenons leur politique. C’est la différence majeure entre nous et les autres segments de la gauche. Ils soutiennent le Hezbollah dans tout ce qu’il fait. C’est le principal problème. Ils sont d’accord avec la politique intérieure du Hezbollah basée foncièrement néolibérale, économiquement parlant. Ils appliquent une politique contre les intérêts de la classe ouvrière du fait de leur alignement sur les politiques sectaires. C’est ce qui explique leur silence sur toutes les questions. En s’abstenant de critiquer le Hezbollah à propos de ces questions, ils ont contribué à approfondir la conscience sectaire au sein de la classe ouvrière. C’est ce qui a affaibli leur position au sein de la classe ouvrière et dans la lutte de classe en général.

    Nous sommes en train de concevoir une compréhension alternative de la résistance. Nous appelons à une résistance laïque, et non pas à une résistance nationale sectaire. Toutefois elle n’est basée uniquement sur la résistance armée, mais aussi sur la résistance politique contre le capitalisme. Parce que nous avons observé, en 2006, comment certains ont profité de la misère des autres pendant la guerre. Même après la fin de guerre en 2006, plusieurs dirigeants du Hezbollah ont amassé beaucoup d’argent. Peut-on considérer ceci comme un acte de résistance ? Etait-ce une action anti-impérialiste ? Le Hezbollah et le Hamas ne sont pas anti-impérialistes. L’anti-impérialisme signifie aussi faire face à tous les Etats, se positionner contre l’intervention des milices en Syrie et contre l’intervention de l’Arabie saoudite dans d’autres pays. Nous ne pouvons pas par exemple soutenir l’intervention de la Russie en Ukraine. C’est ça l’impérialisme, comme vous le savez.

    La gauche nationaliste choisit de soutenir des segments de la bourgeoisie contre d’autres. Cette attitude pourrait être une stratégie intéressante dans le début du siècle dernier, lors de la naissance du capitalisme, avec l’existence de la bourgeoisie nationale. Dans le même temps, il y a une grande illusion quant à l’Etatisme de ceux qui se disent : lorsque nous atteindrons l’économie industrielle, nous aurons le socialisme. L’économie capitaliste est une économie mondiale et non une économie nationale. La bourgeoisie nationale ne réalisera jamais les réformes démocratiques dans les pays qu’elle domine parce qu’elle profite de l’absence de démocratie. Pour cette raison, toutes les revendications démocratiques et socialistes et anti-impérialistes doivent être comprises dans une même stratégie. C’est toute la différence entre eux et nous. Nous considérons la résistance comme un élément de la lutte révolutionnaire, et pas une phase à part avant la révolution.

    Certains groupes de gauche en Turquie ont pris une position suspecte contre les révolutions populaires au Moyen-Orient, en particulier en Syrie. Comment expliquez-vous cela ?

    La majorité de ces groupes de gauche sont soit nationalistes ou staliniens fascinés par le fétichisme de l’Etat. Les révolutions ne sont pas quelque chose de joli. Elles sont très laides. Si nous revenons à l’histoire, la révolution française et la révolution russe n’étaient pas jolies du tout. Parce que la société elle-même est laide. Et pour se débarrasser de cette laideur, nous devons lui faire face. Je pense que cette position négative de la gauche turque découle de l’idéologie nationaliste. Elle est en partie le reflet de l’idéologie nationaliste au sein de la gauche turque, nourrie des idées de Mustafa Kemal, et qui soutient l’armée.

    En même temps, si vous avez une haute dose d’islamophobie, vous ne soutiendrez pas les Frères musulmans. Cependant il faut comprendre les contradictions des Frères musulmans qui font constamment des choses à gauche comme à droite. Leur mouvement est loin d’être une armée organisée. Cela ne signifie pas que vous devez soutenir les Frères musulmans contre l’armée. Vous devez plutôt garder vos repères et considérer que l’armée turque,  égyptienne ou syrienne peut potentiellement se développer vers un régime fasciste. Cela c’est passé auparavant en Turquie et se passe maintenant avec Assad en Syrie et Sisi en Egypte. Les Frères musulmans, à cause de leurs contradictions multiples, ne sont pas capables de rester au pouvoir. C’est un signe de leur grande faiblesse. Vous pouvez les critiquer, vous pouvez mobiliser contre eux, mais vous ne pouvez pas les qualifier de fascistes.

    Parce qu’ils ne sont pas une organisation fasciste. Aussi ils ne peuvent pas détruire tous les acquis démocratiques quand ils arrivent au pouvoir. En réalité ils les utilisent à leur profit. L’armée, en revanche, détruira tous les acquis démocratiques. A mon avis, la gauche nationaliste en Turquie soutient le fascisme contre le réformisme islamique, et ce, à cause du mot « islam ». Tout ceci a un nom : l’islamophobie. Il faut regarder les dernières 20 ou 30 années pour comprendre les énormes erreurs de gauche nationaliste et stalinienne. Pour comprendre ce qui a poussé les gens à aller chercher autre chose. Certains l’ont trouvée chez les mouvements islamiques. Donc pour les vaincre, il faut tout d’abord anéantir un type de conscience en agissant à  deux niveaux. Le premier consiste à balayer la défaite du mouvement nationaliste, ce qui signifie que le nationalisme en soi n’est pas une arme contre l’islamisme. Le second intervient à lumière de la défaite en cours du projet islamique, qui était présenté comme alternative.

    Pour nous, il n’y a qu’une alternative : le socialisme. Le projet nationaliste et le projet islamique sont deux projets bourgeois. Et la gauche doit prendre position contre les projets bourgeois. Voilà comment je vois ce gros problème. C’est à cause de tout cela que les révolutions arabes sont vues avec tant de suspicion. Maintenant avec l’approfondissement de la crise du nationalisme mais aussi l’approfondissement de la crise des projets islamiques, ils essaient de sauver le nationalisme en tentant de faire face à l’islamisme. Daesh, par exemple, se sert de la crise profonde des partis islamiques réformistes. Depuis la défaite des Frères musulmans en Egypte, celle d’Ennahdha en Tunisie, et la crise des Frères musulmans en Syrie, Daesh représente un modèle réaliste pour les gens qui sont de surcroit potentiellement mobilisables. Cette organisation terroriste tente alors de recruter parmi les bases des partis islamiques réformistes sur des positions plus radicales. Sa présence est une preuve de la crise de l’islamisme réformateur. Ce que fait la gauche nationaliste, c’est mettre tous ces mouvements dans le même sac. Mais ce délire est doublé aussi d’une forte dose d’hypocrisie. Pour la gauche nationaliste au Liban par exemple ­— qui fait pourtant la même lecture des mouvements islamistes —, le Hezbollah n’est plus une force islamiste.

    Quant à la gauche turque, qui soutient Bachar al-Assad, l’allié de l’Iran et du Hezbollah, elle s’abstient de toute critique à l’égard de l’Iran ou du Hezbollah ! Alors elle soutient les chiites contre les sunnites. C’est la véritable nature du nationalisme. Le nationalisme dans le monde arabe, comme en Turquie, a toujours été sectaire dans le sens où il a constamment manipulé la religion. Il ne s’est pas dissocié de la religion. Atatürk a fait de l’islam une religion turque. Gamal Abdel Nasser s’est servi de la Mosquée al-Azhar (la plus haute autorité de l’islam dans le pays, (NdT)) pour affronter les Frères musulmans. Bachar al-Assad a sans doute construit plus de mosquées en Syrie que la confrérie des Frères musulmans dans la région. Ils ont tous utilisé la religion pour vaincre l’opposition. Donc, en fait, ils ne furent jamais laïques. Ils ont utilisé la religion officielle ou institutionnelle pour apparaître comme laïques, mais ils n’ont jamais instauré une séparation entre la religion et l’Etat.

    Traduction de l’anglais par Rafik Khalfaoui
    17 août 2015

    Source : http://www.turkeyagenda.com/interview-with-the-late-bassem-chit-on-the-politics-and-culture-in-lebanon-and-the-middle-east-1302.html

    Notes:

    [1] Les Kataëb ou Phalanges libanaises sont un parti politique nationaliste et militarisé, essentiellement chrétien, fondé en 1936 (Note du traducteur).

     [2] Le Courant patriotique libre (CPL) est un parti politique de l’opposition chrétienne libanaise qui a été fondé en 1992 par le général Michel Aoun. Le CPL est représenté au parlement libanais sous le nom de « Bloc du changement et de la réforme » et est devenu le plus puissant parti chrétien au Liban (NdT).

    [3] Nabih Berri est un homme politique libanais‪. Il est le président du parlement libanais depuis 1992 et le chef du mouvement chiite Amal (fondé en1975 et‪ devenu l’une des plus importantes milices musulmanes pendant la guerre civile libanaise. Le mouvement Amal est bien représenté au Parlement (NdT).

    [4] District montagneux du nord du Liban et l’une des régions les plus pauvres du pays (NdT).

    [5] Homme politique et homme d’affaires, Saad Hariri est un ancien Premier ministre. Il est le fils de Rafiq Hariri, ancien Premier ministre assassiné le 14 février 2005. Saad Hariri est le chef du parti politique Courant du Futur, sunnite (mais officiellement laïc) et le chef de la majorité au parlement libanais. Il vit actuellement entre Paris et Riyad (NdT).

    [6] Référence à la Confédération générale des travailleurs du Liban (CGTL), (NdT).

  • Le Parti communiste libanais condamne les crimes terroristes (Essf)

    *

    A Kobané (Aïn Al-Arab), Koweït, Tunisie et en France

    Le Parti Communiste libanais (PCL) condamne les crimes terroristes barbares contre des centaines de personnes civiles au Koweït, en Tunisie et en France.

    Il a aussi condamné le massacre perpétré à Aïn Al-Arab, sous le couvert du gouvernement turc, appelant les peuples de la région, en particulier les forces de gauches, ainsi que les progressistes et les démocrates, à unifier leurs luttes afin de faire face au projet terroriste-fasciste qui tente de légaliser les massacres et le chaos et de mieux servir les objectifs du soi-disant projet impérialiste appelé « Le Moyen-Orient nouveau ».

    Le PCL a envoyé des missives dans ce sens au « Courant progressiste Koweitien » ainsi qu’au « Front populaire » tunisien et autres partis de la gauche en Tunisie ; il a affirmé sa solidarité avec les peuples de Tunisie, du Koweït et de France, ainsi que les forces populaires kurdes dans la lutte qu’ils mènent contre le terrorisme qui a l’aval de l’impérialisme étasunien, des forces sionistes et de la réaction arabe.

    PCL, Beyrouth, le 27 juin 2015

    http://assawra.blogspot.fr/2015/06/le-parti-communiste-libanais-condamne.html

    http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article35325

  • Mobilisations téméraires des employées de maison au Liban (Orient 21)

    Face à l’exploitation et au mépris

    Elles sont des dizaines, voire des centaines de milliers à travailler au Liban comme domestiques. On peut les voir quelquefois accompagner des enfants à l’école, porter les courses de leurs employeurs. Soumises la plupart du temps à l’exploitation, en butte au mépris, elles ont commencé à s’organiser envers et contre tous, notamment contre le gouvernement qui refuse de reconnaître le syndicat qu’elles ont créé.

    Des femmes privées de protection sociale se réveillent dans nos maisons, sans qu’on sache comment elles vont. Silencieuses et travailleuses, à longueur de journée elles lavent, sèchent, repassent, cuisinent, pressent, cisèlent, hachent, épongent, gardent nos enfants et répondent «  ça va  » parce qu’elles n’ont pas d’autre réponse à donner, qu’on ignore tout de leur passé et de leur histoire, de leurs enfants qu’elles ont abandonnés au pays pour venir travailler au Liban. Elles sont un peu plus de deux cent mille, d’origine diverse : Philippines, Sri Lanka, Cameroun, Éthiopie, Népal…

    «  Si vous ouvrez tous ces étages maintenant  », nous dit Rose en indiquant un haut et large édifice, «  vous pouvez voir qu’il y a des filles dedans qui n’ont même pas le droit de se mettre devant les fenêtres et regarder ce qui se passe. C’est nous, qui pouvons être dehors, qui pouvons lutter pour elles. Sinon, qui va le faire  ? C’est pour cela que j’ai rejoint ce mouvement  ».

    Un syndicat pour les travailleuses domestiques

    Cette année, la célébration du 1er mai par les employées de maison au Liban a un goût particulier. Elle marque la formation — inédite dans le monde arabe — de leur syndicat le 25 janvier dernier, avec le soutien de l’Organisation internationale du travail (OIT), de la Confédération syndicale internationale (CSI) et de la Fédération nationale des syndicats, des ouvriers et des employés au Liban (Fenasol). Les employées de maison sont, pour la première fois dans l’histoire du pays, les porte-paroles de leurs propres revendications, que transmettaient jusqu’alors des ONG libanaises.

    Rose est la vice-secrétaire de ce tout jeune syndicat.

    Arrivée du Cameroun il y a une quinzaine d’années, âgée de 45 ans, elle a eu la chance de tomber sur une «  dame très correcte  » qui lui a accordé beaucoup de liberté. «  Je suis privilégiée par rapport aux autres, et cette liberté me permet d’être à l’écoute de mes camarades. De les recevoir chez moi. Ainsi suis-je devenue le leader de ma communauté. Avant la création de ce syndicat, je ne savais pas à qui ni où transmettre les multiples plaintes que je recueillais. C’est bien d’assurer un espace d’écoute, ça aide les employées à évacuer leurs souffrances, mais la loi est plus que nécessaire. C’est le seul garant de nos droits. Si la loi existe, je ne suis pas sûre que les gens se permettront de se comporter comme ils le font. La plupart des femmes arrivent au Liban sans savoir vraiment ce qui les attend. On nous promet du travail au Liban et on découvre les conditions ici. On tombe dans le bain. Tout ce qui nous souhaitons dans la création de ce syndicat c’est de nous rendre visible, de montrer que nous existons. Le Liban doit ratifier la convention de L’OIT1  !  »

    Cependant, en l’absence de reconnaissance institutionnelle, la souffrance que crée la servitude reste une plaie ouverte. Le ministère du travail refuse de légaliser le syndicat, ignorant la demande envoyée en janvier. Farah Salka, la coordinatrice générale de l’Anti-racism Movement (ARM) condamne le mépris du ministre actuel, Sejaan Azzi qui, dit-elle «   nous reçoit avec des insultes et des agressions verbales alors qu’il est censé, en tant que ministre, défendre les droits des employées… Il les terrorise  ! Je ne comprends pas sa réticence. C’est dans son intérêt de répondre à leurs réclamations parce que le syndicat existe, qu’il le veuille ou non.  »

    Lutter contre l’isolement du plus grand nombre

    Mais cette minorité de travailleuses domestiques cache difficilement la majorité silencieuse qui souffre d’un isolement parfois poussé à l’extrême, qui ruine leur santé mentale. Les suicides se multiplient. Les ambassades des pays fournisseurs de main d’œuvre ne soutiennent pas leurs ressortissantes. Certaines femmes sont privées de nourriture, battues, agressées sexuellement pendant des mois par leur patron2. Une jeune femme sauvée par l’association Kafa a ainsi été exploitée sexuellement par sa patronne qui l’a vendue à plusieurs hommes. Certaines se font traiter injustement de voleuses pour éviter à la fin du contrat de payer à l’employée le billet d’avion de son retour. Et quand elles souffrent de problèmes de santé graves, elles ne peuvent bénéficier d’aucun soin.

    De toutes les histoires recensées et subies, c’est la xénophobie qui fait le plus souffrir. Certaines femmes subissent des humiliations totalement gratuites, une surcharge de travail parfois inutile et épuisante. Privées d’intimité, il arrive qu’elles n’aient pas de chambre à elles  ; elles couchent alors dans la cuisine, le séjour, sur des lits pliants ou dans des balcons minuscules transformés en «  chambres de bonne  ». Les toilettes sont le seul lieu où il existe une porte qu’elles peuvent fermer. Rose a d’ailleurs refusé mon invitation à aller prendre un café sur la terrasse en face. Nous sommes restées debout sur le trottoir. «  Vous savez pourquoi j’évite d’aller dans des cafés  ?  », me dit-elle à la fin de l’entretien. «  Quand j’entends “hiye chou badda”, c’est-à-dire “qu’est-ce qu’elle veut commander  ?”, ça m’énerve  ! Le reste je m’en fous, on peut me cracher dessus dans la rue. Je lave à l’eau et ça part. Mais quand on parle de moi à la troisième personne, ça m’énerve  ! Je ne peux plus entendre ce mot de “hiye”.

    Dépersonnalisées et chosifiées, elles sont interdites de vie privée. L’argument qui revient souvent quand on interroge les familles qui défendent à leur employée de sortir seule est la peur «  qu’elle se lie à des hommes et qu’elle ramène des maladies  ». Le mépris social se superpose au mépris raciste. En marge des clichés les plus éculés (la laideur et la saleté), on interdit à l’employée toute sexualité afin d’éviter un contact avec une classe sociale inférieure et par conséquent jugée malsaine et porteuse de maladies.

    Autre interdit raciste et paradoxal : l’accès aux piscines et aux plages privées, de peur qu’elles ne «  salissent l’eau  » alors que par ailleurs ce sont elles qui cuisinent et qui donnent à manger aux enfants.

    La kafala infantilisante et esclavagiste

    La kafala3 légalise ce système esclavagiste qui déshumanise les employées. «  Il ne peut plus être maintenu, réplique Farah Salka. Ce “garant”, s’il devient l’agresseur, l’agressée ne peut pas porter plainte contre lui. Il faut trouver un autre moyen  ! La législation du travail au Liban — qui n’a pas bougé depuis l’indépendance en 1943 et qui nécessite des soins intensifs en grande urgence — ne prend pas en compte ces deux cent mille travailleuses immigrées. Le modèle libanais datant du mandat n’est pas le meilleur droit du travail au monde, mais au moins il comporte quelques bases essentielles, parmi lesquelles la limitation des heures de travail, les congés annuels, le congé de maternité, la possibilité de démissionner.  »

    Plus on s’éloigne de Beyrouth, plus ces personnes sont isolées, voire séquestrées. Les réseaux sociaux ont beaucoup contribué à sociabiliser les plus isolées et les plus vulnérables quand elles bénéficient du «  luxe  » d’y accéder. C’est ainsi que Tabel, atteinte de tuberculose, enfermée dans le local à poubelle de l’agence de recrutement alors qu’elle crachait du sang a pu alerter une amie grâce à des textos envoyés via un téléphone portable. C’est pour répondre à cet isolement que le Migrant Community Center (MCC) prépare l’ouverture d’une antenne à Jounieh et une autre à Saida.

    Face au désintérêt total et à l’abandon par les ambassades de leur ressortissants, le MCC, créé il y a trois ans en collaboration avec ARM assure un espace de formation, des cours de langues, des ateliers de toutes sortes (musique, yoga, couture), organise des rencontres, des réunions, des fêtes d’anniversaire, de mariage... Le centre met sur pied également des excursions, et certaines émigrées vivant au Liban depuis dix à vingt ans découvrent pour la première fois de leur vie d’autres villes que la capitale où elles résident.

    Reproduction des inégalités de genre

    Je demande à Rose de me parler de ses projets d’avenir. Elle respire profondément et me répond sans hésiter : «  rentrer chez moi et voir grandir mes petits-enfants.  ». Au sacrifice de leur propre vie de famille qu’elles ont quittée en abandonnant leurs enfants pour partir élever ceux des autres, ces travailleuses assurent d’une certaine façon un équilibre au sein des couples libanais. Le poids des traditions est en effet lourd pour une génération «  mondialisée  » et voyageuse et les repères difficiles à trouver.

    Les Libanaises refusent à présent de reproduire le schéma maternel et d’assurer les tâches domestiques, mais les hommes se croient «  dévirilisés  » quand ils sont sollicités. L’employée de maison est le remède contre les tensions que peuvent générer dans un couple les tâches ménagères. Dans la mesure où c’est un domaine classiquement réservé aux femmes et confondu avec le travail gratuit que nécessite l’épuisant et contraignant entretien des maisons, les choses se gèrent entre femmes. La violence que les femmes employeuses font subir à leurs employées égale en puissance celles qu’exercent les hommes sur leurs femmes au Liban.

    La reproduction des inégalités de genre est de ce fait déléguée aux femmes dans le secret des foyers, au sein de ce «  triplet  » partageant le même toit (les travailleurs immigrés de sexe masculin, pour leur part, ne sont jamais séquestrés à l’intérieur des maisons malgré des conditions de vie précaires). Les femmes libanaises n’ont en général pas accès à la politique  ; ou alors il s’agit de remplaçantes d’hommes absents, d’épouses, de filles ou de sœurs de personnalités politiques assassinées. Elles ne peuvent pas transmettre leur nationalité à leurs époux et à leurs enfants, elles ne peuvent pas léguer leurs biens en héritage. Quand elles sont victimes de viols ou de violences conjugales, elles ne sont pas protégées par la loi. Que dire dès lors du sort réservé à des étrangères n’appartenant à aucune des communautés composant le pays, coupées de leur famille, abandonnées par leurs ambassades et non reconnues par l’État du pays qu’elle habite  ?

    Rita Bassil 13 mai 2015
     
     
    Voir aussi:
     
  • Liban: «Les États-Unis sèment les graines d’une tragédie à long terme» (Gilbert Achcar)

    http://revolutionsarabes.hautetfort.com/media/01/01/1880988416.jpeg

    Question : La semaine dernière il y a eu un important affrontement entre les forces loyales envers le Hezbollah et le gouvernement libanais pro-occidental. Après que le Hezbollah ait repoussé l’agression israélienne en 2006, il était devenu le héros national. Maintenant la situation semble avoir changé et à nouveau des divisions profondes apparaissent. Comment l’expliquez-vous ?

    Gilbert Achcar : Vous avez raison de souligner le fait qu’il y eu un changement. Il est vrai qu’en 2006 le Hezbollah a réalisé une importante victoire et que, dans la région arabe comme dans l’ensemble du monde musulman et au-delà, il a été vu comme une force de résistance héroïque, faisant face à l’un des principaux alliés de l’impérialisme états-unien et repoussant l’agression sioniste. En effet, donc, ils avaient acquis le statut de héros.

    Et il est vrai que cette image a été affectée par les récents affrontements. Pourquoi ? Parce que, tout d’abord, les ennemis du Hezbollah, qui sont bien sûr aussi des ennemis de l’Iran à l’échelle régionale - c’est-à-dire le royaume saoudien, la Jordanie et l’Égypte - n’avaient qu’un argument pour contrer le Hezbollah et tenter de réduire l’influence iranienne.

    C’était et cela reste la carte confessionnelle : dénoncer l’Iran en tant que pouvoir chi’ite perse et le Hezbollah en tant qu’agent arabe chi’ite de l’Iran, réalisant un complot chi’ite contre les Arabes sunnites. C’est ainsi qu’il s’efforcent de présenter les choses. En 2006, cela a misérablement échoué parce que les populations dans la région - Turquie incluse, j’en suis sûr - sont fortement hostiles à Israël et à l’impérialisme états-unien et ont donc sympathisé avec le Hezbollah. Ainsi, l’éclatante majorité n’a pas gobé l’argument chi’ites contre sunnites.

    Depuis lors, le Hezbollah s’est empêtré dans la politique libanaise sur une base confession- nelle, avec des alliés qui adhérent totalement au cadre confessionnel. Par exemple, le mouvement chi’ite Amal, qui est une organisation purement confessionnelle et n’a rien à voir avec une organisation anti-impérialiste. Au cours des années 1980, Amal était plus anti-palestinien que toute autre chose. Le Hezbollah s’est ainsi empêtré dans la politique confessionnelle libanaise au point de mener récemment un assaut militaire avec ses alliés confessionnels sur les zones peuplées de sunnites à Beyrouth et ailleurs.

    Son image en a été beaucoup affectée - plus au Liban qu’ailleurs, parce que la population libanaise est naturellement plus concernée par la politique intérieure libanaise que ne le sont, par exemple, les populations turque ou égyptienne. Je crois que le Hezbollah a réagi de manière excessive lors du récent conflit. Il avait bien sûr raison de rejeter les décisions du gouvernement Siniora, mais il pouvait les défaire aisément - comme il l’a fait dans les cas précédents, lorsque ces décisions ne lui convenaient pas - sans se lancer dans une offensive militaire à Beyrouth et dans d’autres régions du Liban, avec des alliés comme Amal. Ce faisant, il a créé un très fort ressentiment sectaire.

    Ainsi, bien que militairement ils l’ont facilement emporté lors du dernier conflit, je pense que politiquement ils en sont sortis perdants. Car maintenant la polarisation confessionnelle est redevenue très intense au Liban entre les sunnites et les chi’ites. C’est très dangereux. A présent, comme en témoignent les discussions qui ont eu lieu au Qatar entre les partis libanais, la question de l’armement du Hezbollah est redevenue discutable. Or, avant les événements récents, la majorité parlementaire conduite par Hariri n’osait pas soulever cette question, surtout après que le Hezbollah ait fait la preuve en 2006 que cet armement était indispensable pour repousser et dissuader l’agression israélienne. Maintenant, après que le Hezbollah ait utilisé ses armes dans un combat intérieur pour la première fois depuis de nombreuses années, ses forces armées sont soudainement dénoncées par ses adversaires comme étant une milice sectaire.

    A mon avis le Hezbollah a commis une grave erreur, dont les conséquences sont importantes au moment où le Liban entre dans ce qui semble être un nouveau cycle de violence. Il se pourrait bien que, dans quelques années, ce qui vient de se produire maintenant apparaisse comme le premier round d’une nouvelle guerre civile libanaise, à moins que les conditions régionales et internationales empêchent ce scénario pessimiste. Pour la lutte anti-impérialiste dans la région, ce serait un coup très dur, venant après les massacres terribles entre chi’ites et sunnites, qui continuent en Irak. Si de tels massacres s’étendaient au Liban et peut-être demain à la Syrie, ce serait un désastre pour toute la région. Les seuls qui pourraient bénéficier d’une telle situation seraient Israël et les États-Unis, qui n’hésiteraient pas tous deux à exploiter une telle situation.

    Question : Est-ce que le Parti communiste du Liban ou d’autres forces laïques ont mis en avant des revendications visant à changer complètement le système de façon à ce qu’il ne soit plus fondé sur les identités et des partis confessionnels ?

    Gilbert Achcar : Le Parti communiste est actuellement la seule force de gauche significative au Liban. Les autres sont de tous petits groupes. Parmi les partis libanais d’une certaine importance, le PC est l’un des rares partis véritablement laïques, avançant un programme laïque. C’est un véritable parti multi- confessionnel, regroupant côte-à-côte des musulmans, tant sunnites que chi’ites, des chrétiens, des druzes etc. Le secrétaire général du parti est d’origine sunnite alors que la majorité des membres sont d’origine chi’ite - c’est réellement un parti multiconfessionnel. Il se prononce pour la laïcisation de la politique libanaise et avance, en tant que parti de gauche, des revendications sociales et économiques. Le PCL n’a rejoint directement aucun des deux camps principaux au Liban.

    Lors du conflit récent, il a décidé de ne pas participer aux affrontements. Bien sûr, les communistes s’opposent au gouvernement et au projet impérialiste au Liban, tout comme ils s’opposent aux agres- sions israéliennes : ils ont participé au combat contre les forces israéliennes en 2006. Mais ils ne peuvent pas partager les buts de l’opposition en politique intérieure, qu’ils dénoncent comme étant à la fois confessionnels et bourgeois. Ils critiquent les deux camps, mettant plus d’emphase sur la dénonciation des forces pro-occidentales menées par Hariri. Au cours des trois dernières années, ils ont maintenu une position indépendante de manière conséquente.

    C’est une importante amélioration de leur ligne politique, car au cours des années 1970 et 1980 ainsi que dans la période précédente le parti communiste était fortement impliqué dans des alliances sous hégémonie bourgeoise : avec Arafat durant un certain temps, avec le chef féodal druze, Joumblatt, la plupart du temps, ainsi qu’avec le régime syrien. A partir du début des années 1990, le PCL est entré dans une crise profonde et s’est fragmenté. Le parti actuel - bien plus faible, il est vrai - en est le résultat. Mais il a radicalement amélioré sa politique.

    Depuis 2005 - à partir des mobilisations de mars 2005 pour et contre la Syrie au Liban, qui ont suivi l’assassinat de l’ex-Premier ministre Hariri - le PCL a suivi une ligne véritablement indépendante. Le 8 mars 2005, le Hezbollah et ses alliés ont organisé une énorme manifestation en hommage à la Syrie et à son président Bashar al-Assad. Les forces pro-occidentales ont alors appelé à une contre-manifes- tation le 14 mars, contre la Syrie. C’est depuis lors que l’actuelle majorité gouvernementale est aussi désignée par la date du « 14 mars », alors que l’opposition l’est par celle du « 8 mars ».

    Le Parti communiste a refusé de se joindre à l’une quelconque des deux manifestations et a appelé à une troisième, naturellement beaucoup plus petite que les deux manifestations géantes des 8 et 14 mars, qui ont mobilisé chacune des centaines de milliers de personnes. La manifestation du PCL n’a rassemblé que quelques milliers de personnes, mais avec leurs drapeaux rouges, ils ont fait apparaître une troisième voie pour le Liban, rejetant les deux camps confessionnels. C’est pour cette raison que je pense que leur attitude politique s’est beaucoup améliorée, même si je continue à avoir plusieurs réserves - en particulier en ce qui concerne leur soutien à l’armée libanaise et à son chef, qui attend d’être élu président avec l’appui de toutes les forces.

    Question : Il semble que la seule voie permettent de dépasser les divisions sectaires passe par la mobilisation de la gauche politique et des organisations syndicales, qui dessinent une alternative non confessionnelle et résistent aux politiques néolibérales appliquées dans le pays. Est-ce que le Hezbollah penche vers l’organisation de la résistance contre ces politiques néolibérales ?

    Gilbert Achcar : C’est une illusion complète. Le Hezbollah n’a rien fondamentalement contre le néo- libéralisme et, encore moins, contre le capitalisme. Comme vous le savez, son modèle suprême est le régime iranien - qui n’est certainement pas un rempart contre le néolibéralisme. Bien sûr, comme tous les intégristes islamiques, ils pensent que l’État et/ou les institutions religieuses devraient venir en aide aux pauvres. Il s’agit là de charité. La plupart des religions préconisent et organisent la charité. Cela présuppose l’existence d’inégalités sociales avec des riches qui donnent aux pauvres leurs miettes.

    La gauche, par contre, est égalitaire et non « charitable ». En tout état de cause, le Hezbollah ne s’intéresse pas vraiment aux politiques sociales et économiques de l’État. Au cours de toutes les années pendant lesquelles Rafik Hariri dominait le gouvernement tandis que les troupes syriennes contrôlaient le pays, les politiques libérales les plus cruelles ont été appliquées, sans que le Hezbollah ne s’y oppose jamais sérieusement. Cela ne fait pas partie de son programme, ni de ses priorités.

    Les derniers affrontements ont débuté le jour où certains syndicats avaient appelé à une grève générale. Mais il s’agit de syndicats pourris, qui étaient tombés sous la coupe des Syriens avant qu’ils ne quittent le Liban. La précédente fois qu’ils avaient appelé à la grève, ce fut un échec complet, car l’opposition, c’est-à-dire en premier lieu le Hezbollah, ne l’avait pas réellement soutenu, même si elle avait approuvé la grève du bout des lèvres en tant que geste oppositionnel.

    Cette fois-ci le Hezbollah a utilisé l’occasion de la grève pour mobiliser contre les décisions politiques du gouvernement qui le concernaient et non pour s’opposer à ses politiques économiques et sociales. C’est pourquoi, bien que le conflit ait commencé le jour de la grève, les revendications économiques et sociales sont tombées dans l’oubli. Le Hezbollah ne lutte pas contre le néolibéralisme, bien qu’il puisse parfois chercher à satisfaire sa base électorale plébéienne. La seule force significative qui s’oppose au néolibéralisme au Liban, c’est la gauche, principalement le PCL.

    vendredi 17 octobre 2008 - 07h:22 Gilbert Achcar - Inprecor

    * Gilbert Achcar, professeur à l’École des études orientales et africaines (SOAS) de l’Université de Londres, est un collaborateur régulier d’Inprecor. Parmi ses ouvrages : Le choc des barbaries (Complexe, 2002 ; 10/18, 2004), L’Orient incandescent (Page Deux, 2004), La guerre des 33-Jours, avec Michel Warschawski (Textuel, 2007), La poudrière du Moyen-Orient, avec Noam Chomsky (Fayard, 2007).

    Cette interview a été réalisée par Foti Benlisoy et Aykut Kýlýç pour la revue critique turque, Mesele (Question).

    Le texte original de l’interview, en anglais International Viewpoint : http://www.internationalviewpoint.o... sous le titre : The U.S. is sowing the seeds of a long term tragedy...

    http://www.info-palestine.net/spip.php?article5214

  • Aux origines du nationalisme arabe (Orient 21)

    Révolte en temps de guerre contre l’empire ottoman

     

    Le Pain (Al-Raghîf) de Toufic Youssef Aouad, que les éditions Sindbad/Actes Sud viennent de rééditer, est paru pour la première fois en 1939.

    Considéré comme le premier roman moderne de la littérature libanaise, il est aussi devenu un classique littéraire de la première guerre mondiale, un témoignage rare de la grande famine qui a ravagé le Mont-Liban entre 1915 et 1918. Aouad fait de ces années noires le terreau d’une révolte qui entraînera ses personnages à combattre aux côtés des troupes de Fayçal, pour reconquérir Damas.

    — Dans le désert, loin, très loin d’ici, là où est né le Prophète béni, dans la plaine qui s’étend à perte de vue et où le soleil brûle comme un fer rougi sur les sables infinis… Là-bas a commencé une révolution contre les Turcs.
    — Et qui a gagné  ?
    — La victoire est entre les mains de Dieu. S’Il le veut, les Arabes l’emporteront, Tom.
    — Et la faim disparaîtra, n’est-ce-pas  ? Nous mangerons de nouveau du pain blanc.

    C’est à Tom, enfant famélique d’un village du Mont-Liban, qu’un résistant apprend qu’il est temps d’espérer un avenir meilleur.

    Meilleur, c’est-à-dire débarrassé en tout premier lieu du conquérant ottoman qui, en 1914, «  s’abattit sur le pays avec la brutalité de l’oppresseur  » et «  se permit tous les abus, toutes les injustices, toutes les exactions  », dit Toufic Youssef Aouad dans l’introduction à son roman historique, Le Pain (Al-Raghîf), paru pour la première fois en 1939.

    Nous sommes à la veille de la révolte arabe de 1916 contre la domination turque. La famine et la misère déciment des dizaines de milliers de Libanais. Un militant nationaliste, Sami Assem, se cache dans une grotte en haute montagne où son amoureuse, Zeina, lui apporte régulièrement de quoi se nourrir et les dernières nouvelles du pays. Lassé de son isolement, Sami quitte sa cachette, tue par erreur un soldat déserteur et finit par être arrêté. La rumeur de sa mort incite Zeina à fomenter l’assassinat du gouverneur turc de sa province. Mais Sami a en réalité échappé à l’exécution capitale et à la prison et poursuit son combat contre les convois ottomans dans le désert, avant la reconquête de Damas sous le commandement de l’émir Fayçal. Son sacrifice héroïque assombrira la belle Zeina, au cœur de la liesse populaire qui suit la libération de la capitale des Omeyyades.

    Le roman, social autant qu’historique, a pour théâtre la terrible famine qui a ravagé le Mont-Liban entre 1915 et 1918. Selon les chiffres, entre 120 000 et 200 000 Libanais, soit un tiers de la population, sont morts de faim au cours de cette période. Les causes en sont connues, explique l’historien libanais Youssef  Mouawad1 : d’abord une invasion de sauterelles en 1915 qui a ravagé les récoltes.

    Puis — et surtout —, pas moins de deux blocus : d’abord le blocus maritime des Alliés, qui avait pour but d’empêcher toute importation d’armes ou de munitions dont auraient pu profiter les Ottomans  ; ensuite, celui des voies de communication terrestres imposé par Jamal Pacha, gouverneur ottoman de Syrie et de Palestine. Selon les propos rapportés par le professeur Antoine Boustany, le chef des forces ottomanes, Enver Pacha, aurait déclaré : «  L’Empire ottoman ne recouvrera liberté et honneur que lorsqu’il aura été débarrassé des Arméniens et des Libanais. Nous avons supprimé les Arméniens par le fer, nous supprimerons les Libanais par la faim  »2.

    Cette «  arme de la famine  » — dont les Alliés espéraient également, pour leur part, qu’elle précipiterait la révolte arabe —, est à l’origine de la violence sociale dépeinte dans le roman de Aouad : trahisons, abandons, cruautés, corruption, prostitution, vols... La faim, ressort dramatique, hante les personnages, les rend fous, idiots et prêts à tout. Elle transforme la population en «  hordes affamées  » : «  des vieillards, des femmes, des enfants, certains pouvant encore marcher, la plupart étendus avec leurs gémissements pour seul bien.  » Les gens se ruent sur le crottin des chevaux de l’armée ottomane pour y récupérer quelques grains d’avoine. Ils grattent la terre, mangent des carcasses décomposées d’animaux. Et meurent, comme dans cette scène de référence souvent citée :

    Il y avait là une femme étendue sur le dos, envahie de poux. Un nourrisson aux yeux énormes pendait à son sein nu (…) La tête de la femme était renversée et ses cheveux épars. De sa poitrine émergeait un sein griffé et meurtri que l’enfant pétrissait de ses petites mains et pressait de ses lèvres puis abandonnait en pleurant.

    L’autre ferment de la révolte qui anime les héros est la répression aveugle et arbitraire qui s’abat sur une population misérable :

    «  Quant à la gare d’Aley, il y régnait une atmosphère terrifiante. Les soldats allaient et venaient avec leurs baïonnettes étincelantes. Ils bousculaient les prisonniers et tançaient les gens, et ceux-ci ressemblaient à des spectres dressés. Enfants et vieillards tendaient la main pour mendier. Les femmes et les jeunes filles en haillons, le regard désespéré, les yeux exorbités, proposaient leurs beauté pour une ration de pain.  » Dans la prison d’Aley, siège de la Cour martiale turque et antichambre de la mort par pendaison commandée par Jamal Pacha, un prisonnier raconte à Sami le genre de «  raisons  » pour lesquelles tant d’hommes sont incarcérés : «  Hanna Dahan (…) avait été trahie par un portrait de Napoléon trouvé dans sa maison  ; un autre par une lettre reçue d’un ami d’Amérique évoquant l’État turc en des termes qui n’étaient pas pour plaire aux autorités  ; un troisième était accusé d’avoir offensé le sultan…  ».

    L’héroïsme des résistants vient en contrepoint de la lutte pour la survie de ces années noires.

    La résistance prend les traits d’un nationalisme naissant, qu’une conversation entre Sami et son juge ottoman révèle aussi simplement que clairement :

    — «  Nous cherchions à faire valoir nos droits.
    — Vos droits  ! Attention à ne pas me mettre en colère  ! Depuis quand avez-vous des droits en dehors des grâces du sultan, dont jouissent équitablement tous les Ottomans  ?
    — Nous sommes des Arabes qui demandent leur liberté et leur indépendance.

    Et c’est dans une autre conversation, cette fois entre le maronite Sami et Kamel, un camarade de combat musulman, que va s’énoncer une fraternité baptisée dans le sang et dont le sens est d’emblée questionné :

    — Nous avons déclaré le djihad contre les Turcs.
    — Les Turcs aussi ont déclaré le djihad contre nous. Lequel des djihad te semble donc le plus juste  ?
    — (…) Le califat doit revenir aux Arabes. Les Arabes vaincront et renoueront avec leur gloire passée. Ils verront la renaissance de l’ère des califes (…). Nous y désignerons le roi Husayn commandeur des croyants, et il y élira demeure. Nous l’entourerons de nos poètes, de nos savants et de nos intellectuels.

    Mais Sami le nationaliste n’adhère pas au djihad.

    Pas plus qu’il ne considère que son combat s’inscrit dans une «  guerre de religion  ». Pour lui, «  il s’agit d’Arabes qui se battent contre les Turcs pour recouvrer leur liberté et de Turcs qui combattent les Arabes pour continuer à les soumettre. Aujourd’hui, nous assistons à la naissance du véritable nationalisme arabe, dont la mère est la révolution.  »

    La modernité de ce roman réside essentiellement dans sa composition où prédominent les parties dialoguées.

    Elles permettent une approche des personnages dans leur diversité et leurs contradictions, en évitant tout à la fois une «  psychologisation  » individualisante — que l’histoire d’amour entre Zeina et Sami pourrait induire — et la pesanteur du récit historique à message pédagogique. Et c’est de la même manière avec Dans les meules de Beyrouth, publié en 1973, que Toufic Youssef Aouad restituera plus tard, comme en écho, l’atmosphère de la fin des années 1960 et la radicalisation des luttes politiques et idéologiques, celles qui plongeront deux ans plus tard le Liban dans la guerre civile.

    Pour l’heure, nous sommes, à la fin du livre, en 1918. Damas libérée jubile  ; la faim et la souffrance sont oubliées, «  les fantômes de l’injustice et de l’ignorance  » ont disparu comme par enchantement et tous les espoirs de liberté sont permis. Le rêve d’unité arabe du roi Fayçal n’est pas encore brisé et les révolutionnaires survivants comme Zeina peuvent croire que leurs morts n’ont pas été sacrifiés en vain.

    Françoise Feugas 5 mars 2015
     
  • Marseille Meeting/Débat/Projection (UJFP)

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    "Hommage à la résistance" par le comité Georges Ibrahim Abdallah 

    Meeting/Débat/Projection

    Samedi 21 mars 2015 à 20h

    Marseille Espace accueil étrangers, 22 rue Stilatti 13003

    Hommage à la résistance
    Pour que les révolutionnaires ne meurent jamais...

    Par le comité Georges Ibrahim Abdallah Paca ,
    en partenariat :

    UJFP, CSA Harraga, FUIQP, Rouges Vifs, Radio Galère

    - Said Bouamama, sociologue (Les figures de la révolutions africaines)
    - Youssef Boussoumah, historien (Le parcours de Georges Ibrahim Abdallah)
    - Norma Marcos (Diffusion du film Wahdon, Hommage à Françoise Kesterman)

    En vidéo conférence avec la famille de Georges Ibrahim Abdallah au Liban
    http://www.ujfp.org/spip.php?article3997

  • Liban: La guerre contre les réfugié(e)s syrien(ne)s ou la continuation de la guerre de classe (LCR.b)

    A chaque fois qu’on formule des expressions telles que « le prestige de l’Etat », « l’armée est une ligne rouge », et la  « préservation de l’institution militaire », ou autres phrases ronflantes que serinent à l’envi les politiciens des pivots confessionnels de l’intérieur des retranchement du pouvoir libanais, ou de l’extérieur, je sais alors que l’Etat libanais mène par le biais de l’armée une nouvelle guerre de classe contre les réfugiés, les pauvres, les travailleurs, hommes ou femmes.

    Notons ici que l’institution militaire de la classe dirigeante et de l’Etat libanais ne se limite pas à la police et l’armée, -mais s’étend aux milices et aux nervis de quartiers qui composent l’appareil « local » du pouvoir libanais et qui assument la tâche de maintenir « les populations » dans des compartiments confessionnels, et sous le prestige de directions « populaires-locales » qui ont étendu leur pouvoir aux quartiers.

    Mais cette institution militaire à travers ses branches, officielles ou non, joue un autre rôle encore plus féroce.

    C’est l’oppression et la torture des réfugié(e)s, des travailleur(se)s étrange(ère)s. Avec l’intensification de leur main de fer, elle arrête, tue et détruit des camps de réfugiés, se montre gentille devant les armes miliciennes et confessionnelles sophistiquées, de Saïda à Beyrouth et Tripoli, la Bekaa et le Sud. Cette institution militaire n’a joué qu’un rôle d’officier de la Sûreté politico-confessionnelle. Elle n’a jamais défendu le peuple et les gens face aux massacres confessionnels, mais elle s’y est adaptée et s’est transformée elle aussi en milices soutenant des directions confessionnelles contre d’autres, comme c’est arrivé pendant la guerre civile. Avec le retour de l’ère de « la paix », après l’accord de Taïef, les milices combattantes ont été intégrées dans l’armée « nationale » et sont devenues un appareil parmi d’autres appareils de contention de classe et confessionnelle, de par les quotas confessionnels à l’embauche, pour les promotions ou autres. Elles ont été les premières à exécuter les décisions du régime du Bath au Liban, où elles ont eu le privilège et l’orgueil de porter ses dogmes.

    Cette institution militaire a toujours été le bras droit des guerres du pouvoir libanais contre les réfugiés, sous le couvert de « lutte nationale » ou de « lutte anti terroriste ».

    Dans les deux cas cet appareil ne s’attaque pas à l’occupation israélienne par exemple, ni aux milices confessionnelles armées, mais elle torture, contraint à la fuite et frappe les réfugié(e)s, les pauvres. Nous l’avons vu au camp de Nahr El Bared en 2007 et nous le voyons aujourd’hui à Ersal : c’est une nouvelle version de la seule guerre qui soit, à savoir celle du régime contre les réfugiés.

    Cette année-là, les factions palestiniennes ont proposé leur aide à la direction militaire pour se débarrasser de Fath Al Islam dans le camp de Nhar El Bared, sans recourir à la destruction du camp. Mais l’armée à décliné l’offre de ceux qui connaissent le camp pierre par pierre, et le bombardement ne s’est calmé qu’après la destruction totale du camp et le martyre de nombreux civils palestiniens et de soldats libanais au cours de la bataille.

    En 2008, l’armée libanaise en collaboration avec des milices du 8 mars à Beyrouth et d’autres régions a contribué au rééquilibrage « militaire-confessionnel » interne dans toutes les régions du Liban, notamment à Beyrouth et à la « pacification » de la situation entre forces s’entre égorgeant, et bien sûr aucun homme armé des partis au pouvoir n’a été arrêté.

    Nous ne pouvons pas oublier non plus 2004, lorsque cette institution nationale s’était opposée à la grève générale d’alors, tuant cinq travailleurs dans le quartier de Salam. Elle avait réprimé elle-même les mouvements revendiquant l’électricité et avait tué des citoyens pendant des années en menant la répression de ces mouvements.

    L’histoire libanaise contemporaine a vu plusieurs exemples de ce qu’ont enduré les Palestiniens au Liban par exemple, ou les Libanais eux-mêmes, avant, pendant et après la guerre civile, aux mains des institutions militaire et sécuritaire libanaises. A qui l’aurait oublié, nous rappelons la grève de l’usine de Gandour, et la manifestation au cours de laquelle a été tué Maarouf Saad à Saïda, ainsi que la guerre d’annihilation entre Aoun et Geagea, lorsque ce qui restait de l’armée s’est réparti entre les deux camps.

    Cette institution dans son dogme, identifie le nationalisme par l’embrigadement confessionnel, en d’autres termes son rôle reste confiné à la sphère de l’équilibre militaire politico-confessionnel, en uniforme « national » et il n’est pas étonnant que la seule institution considérée comme « nationale » au Liban soit l’institution militaire et de sécurité, soit l’institution dont le premier pilier est la violence organisée.

    Dans la logique du système confessionnel libanais, le gouvernement national est l’antithèse du confessionnalisme, mais dans la réalité il n’est qu’un pouvoir sécuritaire et dans la plupart des cas une déclaration de guerre de classe, permanente, à certains moments contre les travailleurs et les mouvements sociaux, qui menaceraient la paix sociale, et à d’autres moments, contre les réfugié(e)s au prétexte de la construction d’une identité « libanaise » qui les sauverait de la crise sociale économique et politique du régime, et le meilleur moyen pour la bourgeoisie, où qu’elle se trouve, pour fuir sa crise, c’est le racisme et le fascisme.

    C’est exactement ce qui se passe aujourd’hui. Du fait de l’absence de volonté de pans du pouvoir politique de trouver une solution à la question des otages de façon politique, ou même militaire,- ce qui a été fait maintes fois avec l’ennemi sioniste ou les milices libanaises-, le pouvoir politique et l’institution militaire transforment leur combat en affrontement contre les réfugiés syriens, pour fuir leur impuissance. Bien que les familles des soldats enlevés eux-mêmes aient répété plusieurs fois qu’il n’y avait pas de rapport entre les réfugiés syriens et la question du kidnapping. Et comment pourrait-il y avoir un rapport puisqu’ils sont eux-mêmes les premières victimes de Daech et de leurs actes terroristes.

    Quant à ce racisme, bien des plumes tentent de le justifier par l’existence de causes objectives contingentes, comme la question du gagne-pain et de la concurrence pour les emplois et autres, ou encore l’héritage de la relation libano-syrienne sous le protectorat.

    Mais, et pendant la période du pouvoir du Baath au Liban, la direction militaire fut de façon permanente le bras droit de l’exécution de toutes les exigences de l’autorité d’Assad. Ses commandants et ses troupes ont été formées pour porter et défendre la « relation stratégique avec la Syrie d’Assad », c’est-à-dire l’alliance entre le régime confessionnel libanais et le régime tyrannique du Baath.

    Dans les combats actuels d’Ersal à la suite de l’enlèvement des soldats libanais par Daech et En-Nosra, l’institution militaire libanaise a mis le feu aux camps de réfugiés, harcèle et arrête les réfugiés syriens dans tout le Liban, sous l’égide d’un discours raciste et haineux qui considère tout Syrien comme « daechiste » ;

    La fabrication de cette relation entre Daech et les réfugiés syriens n’est que racisme, direct et clair, qui se refugie derrière « la lutte contre Daech » pour combattre les réfugiés syriens au Liban.

    Aujourd’hui comme hier, le pouvoir libanais procède à une catégorisation raciste claire sous couvert de lutte anti-terroriste, feignant d’oublier et d’ignorer la réalité que Daech ou En-Nosra ne sont ni l’une ni l’autre des organisations syriennes, de même que Fath Al Islam n’était pas une organisation palestinienne, mais il s’agit d’organisations confessionnelles tekfiries transnationales, parrainées par les forces régionales et locales, qui vont des classes dirigeantes libanaise ou syrienne aux monarchies et émirats du Golfe.

    Au lieu de riposter à Daech et En-Nosra, qui ont enlevé les soldats, nous les voyons appuyer et maintenir l’équilibre confessionnel et militaire et régional. Les exigences de « nationalisme libanais », soit ce prestige s’enorgueillissant au rythme des bottes qui écrasent sont les conditions sine qua non de la préservation de ce système à la botte de l’institution militaire.

    Dans les années qui ont suivi 1948, c’est-à-dire dans la première phase d’exil palestinien au Liban, résultant de l’expansion de l’occupation sioniste en Palestine, le pouvoir libanais avait transféré les camps de réfugiés du Sud au Centre et dans la Bekaa et à Alep (le convoi d’Alep s’est arrêté au Nord et s’est stabilisé au camp de Nahr Al Bared), et avait administré les camps de façon sécuritaire directe par la police et l’armée. Avec la création du deuxième bureau à l’époque du général président Fouad Shehab, la main de fer sécuritaire et du renseignement s’est accrue contre les Palestiniens, et parmi les plus importantes « réalisations »  du deuxième bureau d’alors, la mort en martyr du militant Jalal Kaoush sous la torture dans son cachot.

    Il n’aurait pas été nécessaire de parler ne serait-ce qu’une journée de « l’importance » du maintien du prestige de l’Etat si l’armée s’était engagée dans une confrontation contre l’occupation israélienne par exemple, dans le peu de fois où cela a été le cas, mais cela aurait alors salué son héroïsme, mais ce prestige ainsi que la nécessité de le préserver sont d’actualité seulement lorsque l’institution militaire mène une guerre de classe contre les réfugié(e)s, les pauvres et les travailleur(euse)s.

    Les récents événements d’Ersal qui ont conduit à l’enlèvement de soldats libanais par Daesh et En-Nosra, sont le nouvel « argument » utilisé par la plupart des forces politiques libanaises pour réhabiliter leur racisme préexistant, tenter d’en étendre la portée et d’embrigader toute la société dans une nouvelle guerre contre les réfugié(e)s.

    Ce racisme n’est pas étonnant de la part de l’Etat libanais, ou de ses partis, car la plupart des partis qui composent le pouvoir en place, ont construit leur légitimité « nouvelle » sur les ruines des massacres et des guerres sociales interminables contre les réfugiés palestiniens, et ce racisme a été couronné par l’accord de Taïef qui a prolongé et fixé les mesures arbitraires et les politiques de punition collective contre les Palestiniens au Liban.

    Aujourd’hui, le régime libanais commence une autre guerre contre les réfugiés syriens au Liban, qui va des politiques d’expulsion, d’annulation des statuts de réfugié, d’incendie des camps et d’arrestations arbitraires, d’humiliations par les fouilles, pour en finir par les passages à tabac, la torture et autres méthodes violentes et arbitraires.

    En outre, une guerre économique est menée contre eux par l’augmentation des  loyers, sans parler de la répétition hystérique de ce que « Les Syriens volent le pain libanais », l’obligation faite aux réfugiés syriens de payer le prix de leur assignation à résidence dans des tentes de réfugiés aux propriétaires des terrains, aux intermédiaires et aux courtiers de l’asile qui volent leurs ressources puis les chassent de leurs abris, et autres moyens détournés qui font que dans la plupart de cas, la condition du réfugié est plus difficile que la guerre elle-même.

    Certains pourraient s’étonner de l’emploi du terme « racisme » ici, puisque les Syrien(ne)s et les Libanais(e)s ne sont pas des éléments différents, et certains renonceront à utiliser ce terme ou tentent de le justifier comme une « une réaction naturelle » dans la situation que nous vivons. Le racisme et le confessionnalisme ne sont pas nouveaux pour la classe au pouvoir et l’Etat libanais tout entier. La « première république » qui a vu le jour et s’est développée dans le giron du mandat français, s’est édifiée sur l’héritage des massacres confessionnels perpétrées par la féodalité libanaise lors de la guerre de 1860 contre les paysans, qui a été encouragée par l’Empire ottoman et dont a profité le colonialisme européen, pour construire un équilibre confessionnel et géopolitique en Syrie et au Liban, qui a garanti à tous les deux une domination concurrentielle dans l’espace libano-syrien. Le grand Liban fut l’incarnation réelle du confessionnalisme fabriqué par la féodalité libanaise lors de cette guerre.

    Tandis que la plupart des dirigeants politiques libanais,-indépendamment de leur position au sein de la répartition libanaise-, en appellent à expulser de larges pans des réfugiés syriens, nombre de municipalités ont commencé en retour à expulser les réfugiés syriens de leurs localités.

    En même temps, les milices libanaises et leurs nervis dans les quartiers lancent des menaces et les attaquent, frappent et kidnappent les réfugiés et les travailleurs syriens dans les régions où ils sont présents, réalisant ainsi (de façon concrète), les espoirs de leurs dirigeants en se débarrassant des réfugiés syriens au Liban.

    En outre, sous le parapluie et sous couvert « national » l’institution militaire libanaise dans toutes ses  branches, harcèle, fait fuir et frappe des milliers de réfugiés syriens lors de raids dans les camps, en les incendiant, en les détruisant, tout cela pour « lutter contre le terrorisme ». L’armée est le premier et le dernier ressort de la couverture « nationale » du régime confessionnel libanais.

    Avec l’institution militaire, la violence confessionnelle et raciste et de classe menée par le régime se transforme en violence « laïque » ornée dans le passé et chaque jour de slogans tels que « 100% Libanais » et « Armée, peuple et résistance » et  « Gloire à tes bottes » et autre expressions de la psychose de la soldatesque et du chauvinisme « national » et de la soumission totale face aux scènes d’écrasement menées par l’armée nationale contre les réfugié(e)s syrien(ne)s, comme elle l’a fait précédemment contre les Palestinien(ne)s et contre les Libanais(e)s pendant la guerre civile. Ces scènes d’écrasement ne diffèrent guère de celle qu’elle a pratiquée et que pratique la soldatesque du régime syrien indifféremment contre les Libanais(e)s, les Syrien(ne)s et les Palestinien(ne)s. La soldatesque n’a qu’une seule nationalité, l’identité d’«écrasement», le dispositif à travers lequel on impose et on applique cette violence de classe, confessionnelle et raciste.

    Depuis l’Egypte qui est l’un des plus importants centres de la contre-révolution jusqu’au Golfe à l’est et à l’Océan atlantique à l’ouest, en passant et en arrivant en Syrie et au Liban, le racisme a été une arme aux mains des régimes et ce qu’endurent les travailleurs étrangers dans les monarchies du pétrole ne diffère en rien des souffrances des travailleurs africains en Tunisie ou en Liban, et ce à quoi sont exposés les Amazigh au nord de l’Afrique n’est pas différent de la situation des Kurdes sous le régime du Baath, irakien et syrien. Actuellement, alors que la révolution régresse, ou s’éteint par les épées de Daech, les fusées de la coalition internationale et les bottes de l’armée, il faut, alors que se coalisent les régimes dictatoriaux arabes et leurs parrains impérialistes mondiaux ou régionaux, former une alliance révolutionnaire des peuples insurgés pour s’opposer à ces régimes, en dépassant l’illusion des divisions nationales, de frontière et identitaires, vers un mouvement solidaire pour faire face aux régimes de la répression et de l’oppression.

    (Le texte ci-dessus est le dernier article de Bassem Chit. Notre camarade y mettait la touche finale dans la nuit du 30 septembre, quelques heures avant sa mort. (Publié par le comité de rédaction)

    (Traduction de l’arabe, Luiza Toscane, Rafik Khalfaoui)

    lien vers l’article en arabe : http://www.al-manshour.org/node/603

    http://www.lcr-lagauche.org/liban-la-guerre-contre-les-refugiees-syriennes-ou-la-continuation-de-la-guerre-de-classe/

  • Ils ont voté à votre place : les députés libanais prorogent leur mandat (Global Voices)

     
    Trad: çà c est de la gueule de bois!

    Le parlement libanais vient de voter la prolongation de son mandat. Encore. Cette fois, les politiques se sont octroyé deux ans et demi de plus dans leurs fauteuils. Les nouvelles élections législatives se trouvent ajournées pour la deuxième fois, ce qui double en pratique le mandat initial confié par les électeurs. Deux députés seulement se sont opposés à l'extension, trente-et-un ont ont purement et simplement boycotté la séance. Quatre vingt-quinze députés ont voté pour la proposition, que d'aucuns disent anticonstitutionnelle [Liens en anglais]. 

    La décision du parlement pourrait avoir des conséquences graves, voire dangereuses, pour le Liban. Comme l’explique Human Rights Watch sur son site web, ajourner les élections contrevient clairement aux obligations internationales en matière de droits humains :

    La proposition de loi d'extension, pour le deuxième ajournement depuis l'entrée en fonction de la législature en juin 2009, contreviendrait à l'article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), que le Liban a ratifié en 1972. L'article 25 stipule que tout citoyen doit avoir le droit et la possibilité de voter et d'être élu dans des élections réellement périodiques.

    “Il n'y a jamais de moment propice à des élections, en particulier au Liban, mais ce pays a tenu des élections dans des circonstances difficiles par le passé, en 2005 et 2009,” a dit Nadim Houry, directeur adjoint pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord à Human Rights Watch. “L'échec de la classe politique à atteindre un accord sur une nouvelle loi électorale ou à désigner un nouveau président ne justifie pas la suspension du droit de vote des citoyens libanais.”

    Angelina Eichhorst, chef de la délégation de l'Union Européenne au Liban, a tweeté :

    On se demande ce qui aurait pu être fait différemment ces derniers temps pour éviter une extension du parlement, triste jour pour l'histoire constitutionnelle du Liban

    “Nous n'avons plus que des souvenirs de ce qui était autrefois un droit civique : voter”, a écrit la journaliste Nadine Mazloum dans un billet de blog intitulé “8 choses à faire pour le  Parlement“. La liste s'interroge sur “les meilleurs usages du parlement, vu son incompétence totale”, pour suggérer entre autres des “ateliers d'art dramatique” pour les députés qui n'ont pas trouvé la force de démissionner, et la “paléontologie” pour étudier la scène politique libanaise “éteinte”.

    La réaction de nombreux Libanais ordinaires au vote de leur parlement a été la colère et l'exaspération. A Beyrouth, des gens ont même coupé la rue menant au bâtiment du parlement, lancé des tomates sur les législateurs et brandi des pancartes clamant “Non à l'extension !”. Nombreux sont ceux qui ont conspué les députés, les traitant de “voleurs”.

    Le fabricant de la vodka Stolichnaya a même saisi l'occasion de se promouvoir aux dépens des parlementaires auto-perpétués du Liban en écrivant sur Facebook que même “les gueules de bois ne durent pas si longtemps” :

    “Les gueules de bois ne durent pas si longtemps”, blague pour les Libanais un fabricant de vodka