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Luttes ouvrières - Page 14

  • Tunisie : Victoire des mineurs à Jérissa (Afriques en lutte)

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    Jérissa : Les ouvriers de la mine ont suspendu leur grève et repris le travail ce matin, a déclaré Monji Chikhaoui président directeur général de la mine à Jawhra fm.

    Comme explication, il a précisé que le ministère de l’Industrie, de l’Energie et des Mines a répondu à toutes les revendications des ouvriers en grève depuis le 5 janvier 2015. D’ailleurs, les primes seront attribuées et une ambulance sera mise au service des ouvriers de la mine, a ajouté Monji Chikhaoui.

    source : African Manager 27 janvier 2015

    http://www.afriquesenlutte.org/afrique-du-nord/tunisie/article/tunisie-victoire-des-mineurs-a

  • La portée de la grève à l’aciérie géante d’Helwan (Npa)

    Les 11 000 travailleurs de la Compagnie des Fers et Aciers d’Helwan sont entrés en grève avec occupation samedi 22 novembre 2014 pour exiger, principalement, le paiement de leurs « bonus » (une participation aux bénéfices), le limogeage de leur directeur et la réembauche des ouvriers licenciés précédemment, notamment lors de la grève de décembre 2013 ; ensuite, pour dénoncer la gestion calamiteuse de l’entreprise nationale.1

    Cette grève est importante par le nombre de salariés de cette entreprise, la puissance symbolique de cette usine géante de la métallurgie et sa situation dans une banlieue populaire du Caire de plus de 600 000 habitants. Mais sa portée va bien au-delà, socialement et politiquement. 

    Une portée sociale qui dépasse largement l’entreprise

    La grève d’Helwan a démarré parce que lors de « l’assemblée générale » (assemblée de bilan annuel qui réunit direction, syndicats et salariés) la direction n’a annoncé que de lourdes pertes sans déclarer de bénéfices, alors que la loi « oblige » les directions des entreprises nationales à accorder des « bonus » aux salariés en fonction de ces bénéfices. Or ces « bonus » représentent pour les ouvriers des sommes importantes qui peuvent aller de un à deux mois de salaire, parfois plus.

    On comprend que les salariés soient en colère. Non seulement ces prétendues pertes suppriment une bonne partie de leurs revenus mais elles servent d’excuses pour exiger plus d’effort au travail et licencier un certain nombre de salariés. De plus, le Center for Trade Union and Workers’ Services (CTUWS) a déclaré que ces pertes étaient factices et n’avaient pour but que de préparer une privatisation à bas coût. Les travailleurs dénoncent ainsi le fait qu’un des quatre haut-fourneaux de l’usine ne marche pas faute d’approvisionnement suffisant en charbon. Alors, disent-il, s’il y a vraiment des pertes, c’est soit volontaire, soit du fait de l’incompétence de la direction et dans les deux cas, elle doit être « dégagée ».

    Les travailleurs ont bien des raisons d’être méfiants, car déjà l’an passé, comme depuis dix ans, l’entreprise n’a annoncé que des pertes, ce qui avait déjà occasionné une grève en décembre 2013 pour les mêmes revendications qu’aujourd’hui et, à cette occasion, une volée de promesses du pouvoir... non tenues. Par ailleurs, la colère des salariés est aussi fortement alimentée par le fait que le leader de la grève de 2013, Ayman Sobhy Hanafy, s’est suicidé en se jetant dans le Nil, après être tombé en dépression suite à son licenciement par la direction, sans que cette dernière ne lui ait accordé dédommagements et pension.

    Mais au delà des problèmes de cette entreprise, ce qui fait de cette grève une question d’ordre nationale est que les problèmes qu’elle soulève sont aussi ceux de la plupart des autres entreprises industrielles publiques, qui n’annoncent bien souvent que des pertes. Cela implique qu’elles ne donnent pas de « bonus » – c’est-à-dire baissent les salaires –, tournent à mi-production, donc restructurent, ferment des ateliers moins « rentables », augmentent la productivité, licencient et préparent ainsi probablement leur privatisation. Toute la politique du gouvernement actuel – comme d’ailleurs des gouvernements précédents depuis 2004 – va dans le sens de cette préparation d’une nouvelle vague de privatisations. 

    Or ce secteur des entreprises industrielles nationalisées, avec au centre les usines géantes de la métallurgie et du textile, représente à lui seul 250 000 salariés, dont bien des « assemblées générales » sont à venir.

    Une grève qui en prolonge d’autres

    Par ailleurs, cette grève suit deux mouvements importants des ouvriers et en accompagne un autre, celui des étudiants.

    En février et mars 2014, un vaste mouvement de grève des salariés de l’industrie publique pour l’extension à leur secteur de la hausse du salaire minimum accordé aux fonctionnaires d’Etat, entraîné par les ouvriers de l’industrie publique du textile, avait été à l’origine de la chute du gouvernement d’alors. Cela avait provoqué la candidature précipitée de Sissi aux présidentielles de fin mai. En effet, ce dernier avait estimé, devant l’urgence sociale, que les élections présidentielles et son cortège de promesses était le meilleur moyen pour détourner les aspirations ouvrières.

    Cela lui avait réussi puisque, soutenu par tous les appareils syndicaux nationaux, anciens ou nouveaux, et la majeure partie de la gauche nassérienne, stalinienne ou social-démocrate, il était ainsi parvenu à mettre fin à la grève. Depuis, il s’était dépêché de tenter de briser toutes les libertés d’expression, de manifestation et de grève, par une répression d’une violence extrême. 

    Cependant, déjà en août puis début septembre, après le mois du ramadan, une deuxième vague de grèves avait resurgi dans le pays, venant exiger de Sissi qu’il honore ses promesses, avec notamment la grève victorieuse des ouvriers des briqueteries.

    Toutefois, ces grèves ne touchaient le plus souvent que les secteurs les plus pauvres et les moins organisés de la classe ouvrière égyptienne. Un peu comme s’il fallait du temps aux secteurs les plus organisés et militants pour digérer la trahison de tous leurs représentants syndicaux et politiques nationaux, qui soutiennent ou ont soutenu Sissi. Ou encore du temps pour revenir de leurs illusions, pour ceux, à la base, qui avaient pu être séduits par les promesses du candidat Sissi. Celui-ci, en effet, aimait à se présenter sous les couleurs de la démagogie nassérienne.

    Avec la grève de l’aciérie d’Helwan, on assiste à une nouvelle étape des luttes de l’après présidentielle, car c’est bien à nouveau le cœur de cette classe ouvrière organisée qui remonte sur la scène sociale. Et ce sont les exigences et souvenirs de la fin de la grève de février-mars qui pourraient bien refaire surface. A cette date, une douzaine de grandes entreprises industrielles publiques fraîchement privatisées s’étaient coordonnées pour exiger leur renationalisation, avec notamment déjà cette question des « bonus » au centre des préoccupations des salariés. En même temps et en association, une coordination nationale de différents secteurs du public en grève avait vu le jour, avec un large programme social reprenant les principales revendications populaires du moment. Il va donc sans dire que le cœur de la classe ouvrière égyptienne regarde avec attention ce qui se passe là, et bien des militants expliquent qu’il ne faut pas laisser ceux d’Helwan seuls. 

    La contestation étudiante

    Par ailleurs, la rentrée universitaire, le 11 octobre, a été marquée par un fort mouvement de contestation de la politique sécuritaire du gouvernement par les étudiants, et cela jusqu’à début novembre. 

    Démarré autour de la remise en cause des mesures de sécurité sur les campus prises par le gouvernement et confiées à une société privée, Falcon Security, les manifestations étudiantes se sont vite étendues à toutes les mesures interdisant toute organisation et activité politiques dans les universités. Puis, avec la répression du mouvement qui a occasionné des centaines d’arrestation et de condamnations, provoqué des centaines de blessés et plusieurs morts, les manifestations sur la majeure partie des universités se sont élargies à la dénonciation de la politique du « tout répression » des autorités militaires égyptiennes. 

    Mais le mouvement s’est peu à peu éteint, du fait de cette violente répression, mais aussi de l’action des Frères musulmans. Particulièrement implantés en milieu étudiant, ils ont en effet cherché à parasiter ce mouvement et à le détourner vers leurs revendications propres où ils mêlaient la dénonciation de la violence du régime mais aussi de sa légitimité au profit de celle de Morsi, seul à avoir été élu démocratiquement selon eux. 

    Le pouvoir s’est appuyé sur cela pour accuser le mouvement des étudiants d’être au service des Frères musulmans ou manipulé par eux. Dans un climat où le pouvoir mène une véritable guerre contre le terrorisme islamiste dans le Sinaï et s’appuie sur cette guerre pour légitimer toutes les mesures de répression, les étudiants n’ont pas su, du fait notamment de leurs revendications uniquement démocratiques, se différencier suffisamment des Frères musulmans. Dés lors, beaucoup d’entre eux ont préféré renoncer plutôt que d’être confondus avec ceux qu’ils avaient contribué à faire tomber en juin 2013.

    Or les ouvriers grévistes d’Helwan, de leur côté, ont su trouver une solution à ce problème en refusant clairement et démonstrativement refusé tout soutien de la part des islamistes.

    Une double portée politique

    Dans cette entreprise nationalisée, le gouvernement et sa politique sont directement la cible de la grève. En exigeant la démission du directeur de l’entreprise, en rappelant les revendications et le mouvement de février-mars, cette grève fait resurgir les origines de la révolution née dans les années 2004-2005, lors du « gouvernement des milliardaires » et quand ceux-ci privatisaient à tout de bras. Bref, elle continue à faire vivre la révolution en rappelant ses exigences : la justice sociale mais aussi le fait de dégager non seulement le sommet de l’Etat, Moubarak, mais encore tous les « petits Moubarak », à tous les niveaux de l’appareil d’Etat ou de l’économie. 

    Mais cette grève rappelle aussi, dans cette période où le « djihadisme » barbare semble séduire jusqu’à quelques jeunes occidentaux, que les Frères musulmans ne représentent pas cette révolution, qui s’est faite aussi contre eux et leur obscurantisme. Elle est donc encore politique pour cela, en affirmant que face aux barbaries militaires et religieuses, il y a une troisième voie, celle de la classe ouvrière, c’est-à-dire de la civilisation.

    Contre cette grève, le gouvernement a manié comme à son habitude les menaces et les promesses, la carotte et le bâton. D’une part, le premier ministre Ibrahim Mehleb a promis qu’il répondrait positivement aux revendications des travailleurs lundi 1er décembre en résolvant le manque d’approvisionnement énergétique de l’usine et en investissant dans l’entreprise. Mais les salariés n’y croient plus ; cela avait été les mêmes promesses l’an passé et rien n’a été fait. Aussi, les travailleurs ont déclaré que si rien n’était fait ce lundi, ils durciraient leur mouvement. D’autre part, quinze des dirigeants de la grève ont été menacés d’arrestation et d’être poursuivis devant le procureur militaire pour « obstruction à la production, sabotage et atteinte à l’économie nationale. » Un des dirigeants de la grève, Mohamed Abdel Maqsoud, a déclaré qu’ils avaient reçu la visite d’officiers de haut-rang les menaçant de les accuser d’être des fauteurs de troubles, au service des gangsters et membres des Frères musulmans !

    Or le gouvernement égyptien ne plaisante pas. Plus d’un militant a déjà été arrêté, torturé et condamné ces derniers temps. Et le ministre de l’Investissement a clairement affirmé, sur l’un des canaux TV satellite : « nous sommes dans un état de guerre, et nous allons agir avec les travailleurs et les entreprises comme le fait l’armée avec le terrorisme. » Le porte-parole de la direction de l’entreprise a lui-même déclaré que la grève n’était pas économique ou sociale mais avait des buts politiques, en expliquant qu’elle aurait reçu le soutien des Frères musulmans et en proclamant mensongèrement que les travailleurs avaient incité l’opinion publique à participer à leurs manifestations du 28 novembre ainsi qu’à celles du Front salafiste, quand ces derniers ont appelé à une révolution islamique en prédisant des millions de manifestants dans les rues.

    L’évolution des Frères musulmans

    Or ces manifestations à hauts risques témoigne d’une double évolution des Frères musulmans. En effet, en septembre, ceux-ci ont manifesté la volonté d’élargir leurs revendications identitaires religieuses à des revendications sociales, avec des appels à une révolution de la faim. Mais depuis, les succès militaires de Daesh en Syrie et Irak ont fortement pesé sur une partie de leurs fidèles, notamment depuis que le groupe islamiste le plus important en lutte dans le Sinaï – Ansar Beit Al-Maqdis – s’est publiquement affilié à l’Etat Islamique. Depuis octobre, on voit dans les cortèges des Frères musulmans des drapeaux de Daesh, dont les slogans y sont aussi scandés.

    Un Front salafiste s’est créé en jouant de cette tendance, dépassant très rapidement en influence Al Nour, le principal groupe salafiste jusque-là (mais qui soutient Sissi) et menaçant le crédit et le prestige des Frères musulmans.

    Les manifestations du 28 novembre, qui se donnaient l’objectif d’une « nouvelle révolution », mais de la « jeunesse islamiste », avaient été appelées par ce nouveau Front salafiste et rejointes peu après par les Frères musulmans, qui craignaient d’être doublés sur ce terrain de la radicalité identitaire. Les Frères musulmans vont ainsi un coup à gauche, un coup à droite, mêlant aux revendications sociales les idées les plus réactionnaires et rétrogrades.

    Face à la radicalisation islamiste, le pouvoir a déclaré que ce serait la dernière manifestation « autorisée » des Frères musulmans et annoncé une répression féroce contre tous les terrorismes, Sissi élargissant ces jours-ci la notion aux crimes contre l’économie. Finalement, les manifestations du 28 novembre n’ont été suivies que par quelques centaines de personnes dans quelques villes. Les rues étaient vides. Les chars bien présents en ont certainement dissuadé plus d’un. Quoi qu’il en soit, l’ascendant de Daesh ne prend pas aujourd’hui en Egypte. Par contre, le pouvoir s’est servi du danger qu’il a amplifié pour justifier ses atteintes aux libertés. Mais cette sur-réactivité répressive du pouvoir démontre l’inverse de ce qu’il voudrait, à savoir qu’il n’est pas capable de garantir la stabilité, la sécurité et la paix.

    Une seule véritable polarisation

    Dans ces conditions – qui rappellent, en changeant ce qu’il faut changer, le dilemme des forces révolutionnaires en Allemagne en 1931-1932, lorsque les nazis appelaient à descendre dans la rue pour des revendications sociales –, les travailleurs de l’aciérie ont décidé de suspendre leur grève deux jours, les 27 et 28 novembre, pour bien montrer qu’ils n’ont rien à voir avec les Frères musulmans. Le gouvernement a cru pouvoir s’engouffrer dans cette brèche en proposant des négociations mais en ne cédant que partiellement aux revendications. C’est pourquoi la grève a repris le 5 décembre  – et se poursuivait toujours dix jours plus tard.

    Le mouvement des ouvriers d’Helwan aurait certainement la capacité de coordonner autour de lui toute une série de mouvements du même type, mais aussi la contestation diffuse sur les questions de santé, ou plus généralement contre les privatisations. En même temps, sa tactique vis à vis des Frères musulmans pourrait servir d’exemple au mouvement paysan qui menaçait lui-même le pays d’une grève de la production agricole en novembre mais qui y a renoncé  – à l’occasion d’attentats mi-novembre – par crainte d’être accusé de terroriste.

    Par ailleurs, on a vu peu après le début de la grève d’Helwan, début décembre, les travailleurs de Tanta Lin, une des entreprises emblématiques des luttes de ces dernières années, publier un manifeste pour les nationalisations et contre la privatisation, demandant à tous les salariés dans des situations semblables de faire de même et de rejoindre leur combat.

    Enfin, ce mouvement montre la voie d’une politique indépendante aux plus honnêtes des militants du mouvement étudiant de ces dernières semaines, qui n’arrivaient pas à se différencier des Frères musulmans. Il indique à ces étudiants que la solution pour eux est dans le succès des travailleurs et donc dans la recherche de leur alliance, par l’élargissement de leurs revendications démocratiques à une véritable démocratie sociale.

    Les ouvriers d’Helwan montrent enfin à toute la population qu’il n’y a pas de bipolarisation de la situation politique en Egypte entre l’armée et les Frères musulmans mais au moins une tripolarisation, ou alors une seule polarisation véritable entre possédants et exploités, opposition valable et compréhensible pour toute la planète.

    Jacques Chastaing

    Notes :

    1 Cet article, qui est repris du site A l’Encontre, a été actualisé par l’auteur pour sa publication dans L’Anticapitaliste.

    http://npa2009.org/idees/la-portee-de-la-greve-lacierie-geante-dhelwan

  • Égypte : quatre ans après la chute de Moubarak (NPA)

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    Le 25 janvier 2011, dans la foulée de la révolution tunisienne, le dictateur égyptien Moubarak était chassé.

    Mais l’appareil d’État est demeuré largement intact, dont notamment l’armée et son immense empire économique. Depuis quatre ans, le pouvoir est successivement passé des mains de l’état-major de l’armée à celles des Frères musulmans, pour revenir ensuite aux militaires.

    Depuis la prise de pouvoir du maréchal Sissi le 3 juillet 2013, une répression féroce s’est abattue sur tous les opposants, qu’ils soient des partisans du président islamiste déchu Morsi ou des laïcs.

    Climat de peur et répression
    En moins d’un an, plus de 40 000 Égyptiens ont été emprisonnés, alors que Moubarak, jugé pour la mort en 2011 de 900 manifestants, était acquitté. Au nom de la sécurité, l’état d’urgence a été réinstauré et une loi interdisant tout rassemblement de plus de 10 personnes a été promulguée. La loi permet de punir de 10 ans d’emprisonnement toute personne accusée d’atteinte à l’unité nationale et à la paix sociale...


    Pour faire bonne mesure, le 5 janvier dernier, dans la crainte évidente de manifestations commémorant le 25 janvier, les avoirs et les biens de 112 membres des Socialistes révolutionnaires, du Mouvement du 6 avril et des Jeunes pour la justice et la liberté ont été saisis. On donne des gages aux salafistes en poursuivant les homosexuels, et le ministère de l’Éducation mène une campagne contre l’athéisme. Les femmes hésitent à sortir seules de chez elles, même si certaines d’entre elles, peu encore, ont quitté le voile.


    Un climat général de peur s’est installé : plus aucune discussion politique dans les lieux publics, puisque n’importe qui peut dénoncer toute discussion qu’il juge tendancieuse, avec arrestation immédiate des contrevenants.


    Pour autant, la fameuse « sécurité » dont se prévaut Sissi n’est pas au rendez-vous : jamais les frontières avec la Libye et le Sinaï n’ont été aussi dangereuses, et Anssar Beit El Makdess (lié à Daesh) n’hésite pas à commettre des attentats au Caire ou à Alexandrie.

    Pain, liberté, dignité et justice sociale ?


    Au niveau international, Sissi, qui ambitionnait d’occuper un rôle central dans la région, est vite apparu comme le soutien de la politique US, ainsi que le complice du Premier ministre israélien Netanhyaou, fermant le terminal de Rafah aux secours, ainsi qu’aux blessés, et cela au plus fort de l’offensive israélienne contre Gaza.


    Dans le pays, aucun des problèmes sociaux qui avaient abouti à la révolution du 25 janvier n’est réglé. Les investissements étrangers sont taris à cause de l’instabilité du pays, du manque de transparence et surtout de la corruption généralisée, et le tourisme est moribond. Les salaires sont bas, et le coût de la vie de plus en plus élevé à cause de l’inflation et de la baisse des subventions étatiques.


    Les États-Unis versent annuellement à l’Égypte plus de 1 milliard de dollars pour contribuer à la sécurité d’Israël. Hormis le Qatar, les monarchies pétrolières allouent des sommes considérables dans le souci de leur propre stabilité. Ces subventions ne sauraient suffire. Les premières couvrent les dépenses des forces de l’ordre et de répression ; les secondes, les salaires d’une pléthore de fonctionnaires sous, ou mal employés. La dette extérieure et intérieure atteignant le niveau abyssal de 200 milliards de dollars, la possibilité d’une cessation de paiements n’est pas à exclure.


    Des luttes ouvrières pour la défense des acquis continuent dans de grands centres industriels, mais au niveau politique, on assiste à un très fort émiettement des forces révolutionnaires, avec un grand sentiment d’impuissance à cause de la répression.


    Le chômage qui frappe particulièrement la jeunesse ne peut que devenir de plus en plus insupportable. Pain, liberté, dignité et justice sociale restent des mots d’ordre toujours plus d’actualité et la question d’une alternative politique révolutionnaire comme au lendemain du 25 janvier 2011 reste la question clé.

    D’Alexandrie, Hoda Ahmed

  • Tunisie : Grève des des agents de la TRANSTU (Afriques en lutte)

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    La grève générale des bus et tramways dans la capitale se poursuit pour la deuxième journée consécutive en paralysant les services de transport.

    La grève inopinée observée par les agents du transport, de Société des Transports de Tunis (Transtu) a démarré hier dans les gouvernorats de Tunis, Ben Arouss, Ariana, Mannouba.

    Dans un communiqué publié, lundi, la TRANSTU a appelé les parties concernées à éviter le blocage du transport public. Le même communiqué précise que « les négociations entre le ministère de tutelle et la partie syndicale sont en cours actuellement à l’effet de la reprise de l’activité du transport dans les plus brefs délais ».

    Une réunion se tiendra, aujourd’hui, mardi 13 janvier 2015 à 9h, entre le ministère de tutelle et les représentants de l’Union Générale tunisienne du Travail (UGTT) afin de parvenir à une solution entre les deux parties.

    Source : Shem FM 15 janvier 2015

    http://www.afriquesenlutte.org/afrique-du-nord/tunisie/article/tunisie-greve-des-des-agents-de-la

  • Egypte. Le mouvement ouvrier égyptien reste une épine dans le pied des autocrates (A l'Encontre)

    Mostafa Bassiouny

     

    Entretien avec Mostafa Bassiouny
    conduit par Marwa Hussein

    Depuis le renversement de Mohamed Morsi (3 juillet 2013), le mouvement ouvrier avait reculé, mais depuis le mois de mai 2014 il y a des signes indiquant qu’il connaît une nouvelle montée. Quelles sont les positions du mouvement ouvrier égyptien par rapport à la politique actuelle de l’Egypte?

    Il y a encore des débats autour du rôle joué par le mouvement ouvrier dans le renversement du président islamiste Morsi, dans l’ascension au pouvoir de l’ancien chef de l’armée Abdel-Fattah al-Sissi et dans d’autres développements politiques majeurs qui ont eu lieu en Egypte au cours de cette dernière année.

    Mostafa Bassiouny, un journaliste et chercheur publié par Cambridge, estime que le mouvement ouvrier reste une force avec laquelle il faut compter. Il pense que la politique du gouvernement – avec la réduction des subsides, l’augmentation de l’inflation et la détérioration des services de base – va forcer les classes laborieuses à réagir. Il rappelle qu’en 2006, l’importante grève à Mahalla City, à l’ouest du Caire, avait encouragé l’opposition contre Hosni Moubarak et que cette mobilisation est restée une épine dans son pied jusqu’à son renversement en 2011.

    Mostafa Bassiouny a travaillé pendant presque deux décennies en tant que correspondant pour les questions syndicales pour la presse égyptienne et régionale. Entre autres, il a écrit des articles sur les grèves massives des ouvriers du textile à Mahall El-Kubra entre 2006 et 2008. Il a également écrit un ouvrage intitulé Bread, Freedom and Social Justice. Workers and Egyptian Revolution [Ed. Zed Books, novembre 2014], en collaboration avec Anne Alexander, une autre chercheuse au Center for Research in the Arts, Social Sciences and Humanities (CRASSH) à l’université de Cambridge.

    Ahram Online a interviewé Bassiouny sur l’attitude du mouvement des travailleurs par rapport aux événements récents et à venir de la politique égyptienne.

    Le mouvement ouvrier a connu un recul au cours de l’année dernière. Est-ce une conséquence du calme relatif qui règne dans la sphère politique en général?

    Mostafa Bassiouny: Le mouvement ouvrier fait partie de la situation politique: il influence celle-ci tout en étant à son tour influencé. Depuis novembre, le mouvement des travailleurs égyptiens se redresse avec la grève de 12’000 travailleurs à la Egyptian Iron and Steel Company [Compagnie égyptienne publique du fer et de l'acier]. Le mois passé, 6000 autres travailleurs se mettaient en grève, entre autres à El Nasr Co. for Coke and Chemicals. Comparé aux actions qu’il a menées pendant les années 2008, 2012 et 2013, le mouvement est en recul, mais récemment, entre mai et octobre de cette année, il a repris de l’ampleur, et je pense que cela va continuer.

    Par ailleurs, on ne peut pas dire que le mouvement suit réellement une courbe descendante ou ascendante. Les grèves sont plutôt de nature saisonnière. En février 2014 il y a eu une vague de grèves suite à l’entrée en vigueur du salaire minimum dans l’administration publique. A ce moment-là, plus de 250’000 travailleurs du secteur privé se sont mis en grève pour revendiquer le même traitement que les employés publics. La pression a été tellement forte que le régime a évincé (février 2014) le gouvernement de Hazem El-Beblaoui. La vague de grèves récente coïncide avec la distribution des participations aux bénéfices. Il y a également la saison des primes, qui coïncide avec l’adaptation du budget de l’Etat, etc.

    Qu’est-ce qui vous fait croire que le mouvement va s’accroître plutôt que de reculer?

    Il y a deux facteurs importants. Tout d’abord, en Egypte les mouvements de protestation des travailleurs ne se sont pas arrêtés au cours de ces dernières années; ils connaissent des fluctuations, mais ne disparaissent pas. Le deuxième facteur qui permet de penser qu’il y aura une montée, c’est la politique sociale et économique menée par l’Etat lui-même.

    Au cours de cette année, plusieurs lois favorisant le patronat au détriment des travailleurs ont été passées. L’Etat non seulement n’a pas appliqué les décisions de tribunaux de renationalisation d’entreprises privatisées, mais il a en outre ajouté une clause légale concernant les investissements interdisant à un tiers de remettre en question tout contrat conclu entre l’Etat et les investisseurs.

    Pourquoi cette politique entraîne-t-elle une montée du mouvement? L’échec de leurs revendications ne suscite-t-il pas un sentiment prolongé de découragement chez les travailleurs?

    La politique économique adoptée par l’Etat pèse lourdement sur la classe laborieuse et sur les classes défavorisées en général. La réduction des subsides pour les carburants et l’inflation qu’elle a entraînée ont frappé durement ces classes, les rendant plus enclines à réagir à ces pressions. Même si de telles mesures politiques entraînent du découragement, celui-ci ne durera pas. En fin de compte les réalités de la vie et les besoins non satisfaits prennent le dessus. Les gens veulent nourrir leurs familles, envoyer les enfants à l’école, obtenir des soins de santé et des logements décents. Ces réalités vont toujours exercer un poids. Les gens peuvent se sentir découragés ou estimer que leur mouvement ne donne pas les résultats escomptés, mais, au bout d’un certain temps, ils vont quand même réagir contre cette politique.

    Dans quelle mesure le mouvement politique exerce-t-il une influence sur le mouvement ouvrier?

    Le rapport entre les deux a toujours été complexe et il est marqué par l’opportunisme et le pragmatisme. Par exemple, en décembre 2006, le mouvement pour des réformes s’est trouvé dans une situation très difficile car le régime de Moubarak avait réussi à amender la Constitution afin de permettre à son fils [Gamal] de lui succéder et avait mis en échec le mouvement en faveur de la réforme, lequel, malgré ses efforts, n’avait pas réussi à élargir l’espace démocratique.

    Puis 24’000 travailleurs du textile se sont mis en grève pendant trois jours à Mahalla, et l’Etat a fini par accepter leurs revendications. Or, cette action a encouragé les ambitions de l’élite politique, en montrant qu’il existait une autre force politique qui rejetait le régime Moubarak. Cette grève en particulier a été suivie par une montée du mouvement des travailleurs à échelle nationale, surtout à Mahalla. Le point culminant était atteint en avril 2008 avec une grève qui a donné son nom au Mouvement du 6 avril. Pour le mouvement des jeunes cette mobilisation d’un grand nombre de travailleurs a représenté une opportunité, et c’est ainsi qu’il a appelé à une grève générale en avril 2008, même si la grève de Mahalla avait ses propres revendications.

    Après la révolution, une véritable crise a éclaté. Les travailleurs et travailleuses ont joué un rôle important avant et pendant la révolution de janvier 2011, mais le mouvement ouvrier et ses revendications ont dû faire face à une intense hostilité et une négligence de la part de l’Etat, du conseil militaire et des mouvements politiques. Les revendications des travailleurs étaient traitées comme des demandes sectorielles et le mouvement politique s’est montré parfois hostile au mouvement des travailleurs. L’écart entre le mouvement politique et le mouvement ouvrier et social a augmenté, alors même que le premier faisait pression pour que le second adopte ses revendications.

    Comment le mouvement politique devrait-il gérer ses rapports avec le mouvement des travailleurs?

    Le mouvement politique devrait prendre plus au sérieux le mouvement des travailleurs et se construire sur cette base au lieu d’imposer ses mots d’ordre aux travailleurs, même si ses revendications sont politiquement justes. Il faut comprendre qu’en réalité les revendications des travailleurs sont politiques. Exiger le retrait de la loi d’urgence est une revendication politique. Le simple fait que 24’000 travailleurs se soient mis en grève sous la loi d’urgence constitue une mise en échec de cette loi, sa suppression de facto.

    Pensez-vous que le mouvement islamiste ait une influence sur le mouvement ouvrier?

    A mon avis il n’a pas d’influence directe. Le mouvement des travailleurs a été actif entre 2006 et 2011 sous Moubarak. Ensuite, tout de suite après la révolution, il a continué à se développer sous le régime militaire. A l’époque on disait que les Frères musulmans influençaient les travailleurs pour faire pression sur les militaires. Cependant, le taux le plus élevé de grèves a eu lieu pendant le régime des Frères musulmans [sous la présidence de Mohamed Morsi: du 30 juin 2012 au 3 juillet 2013], qui pensaient que les travailleurs étaient influencés par le Front de salut national. Actuellement, une fois de plus, certains répètent que les Frères musulmans seraient derrière les travailleurs, mais tout cela est faux. En réalité, pendant toute cette période les dirigeants syndicalistes sont restés les mêmes.

    Au cours de l’année dernière, les grèves ont augmenté dans le secteur privé. Pensez-vous que les travailleurs de ce secteur jouent un rôle croissant dans le mouvement des travailleurs?

    Le mouvement a toujours été présent dans le secteur privé, mais même dix grèves dans ce secteur ne peuvent être comparées aux grèves de Mahalla [grand centre industriel, entre autres du textile]. En effet, de par sa nature, le secteur privé n’a pas de grandes concentrations de travailleurs. Ainsi, en ce qui concerne le nombre de travailleurs concernés, les mouvements du secteur public sont beaucoup plus importants que ceux du secteur privé.

    L’affrontement avec l’Etat et sa politique est également plus clair dans les grèves du secteur public. Néanmoins l’impact économique du secteur privé est plus important puisque c’est ce secteur qui est actuellement le plus dynamique dans l’économie. Dans le secteur public, les travailleurs revendiquent les allocations auxquelles ils étaient habitués sans tenir compte de la rentabilité de l’entreprise. Par contre, dans le secteur privé, les employeurs prennent leurs décisions sur des bases de rentabilité économique. Les patrons du secteur privé établissent un calcul coût-bénéfice pour décider s’ils acceptent les revendications (ou une partie d’entre elles) face à la possibilité d’un arrêt de travail de longue durée.

    La comparaison entre les deux secteurs n’est pas évidente car il faudrait prendre en considération différents facteurs, y compris le fait que ce ne sont pas les mêmes lois qui s’appliquent dans les deux secteurs.

    A un moment donné on a pu voir un niveau important de coordination entre des travailleurs de différents lieux de travail et même entre les actions de solidarité avec d’autres entreprises. L’absence de cette coordination constitue-t-elle un signe de recul?

    Cette expérience ne disparaîtra pas, c’est une leçon qui a été apprise. Cette coordination était évidente lors du mouvement des employés des impôts fonciers en 2009. Plus tard cette pratique a été adoptée par les travailleurs de la poste et les enseignants. Ensuite nous avons vu les travailleurs de différentes entreprises synchroniser leurs actions, l’exemple le plus frappant étant celui du secteur du textile. Lors des prochaines vagues du mouvement des travailleurs, cette pratique resurgira.

    Est-ce que l’application d’un nouveau Code du travail, plus restrictif en matière de droits des travailleurs, pourrait influencer le mouvement?

    Je ne pense pas que les travailleurs réagiront de manière directe face au nouveau Code du travail. La loi existante n’a souvent pas été respectée par tous les employeurs, je ne pense donc pas que l’application du nouveau Code aura un impact important. Ce n’est pas la loi qui est le principal facteur de régulation des rapports de travail. La loi qui est actuellement en discussion marquera un durcissement par rapport à la loi présente, mais elle n’introduit pas un changement fondamental. Le grand changement de la loi est intervenu en 2003 avec la libéralisation des rapports de travail. (Traduction A l’Encontre, article publié sur Ahram Online, le 11 décembre 2014)

    Publié par Alencontre le 28 - décembre - 2014
     

     

  • Très large mobilisation des marins pêcheurs dans la ville de Laâyoune (Sud du Maroc) (Cadtm)

     

    Dans le port de Laâyoune se sont rassemblés à 19h30 du samedi 20 décembre 2014 des centaines de marins pêcheurs à l’appel du syndicat national des Marins Pêcheurs de la Pêche Côtière et Hauturière au Maroc (SNMPPH) pour réclamer leurs revendications pour lesquelles ils se battent depuis 2 ans et restées sans suite à ce jour

    :1- la liberté syndicale ;

    2- leurs cahiers de revendications au niveau régional et national déposés au niveau du gouvernement et au niveau local mais restées sans réponse à ce jour.

    Les revendications au niveau local sont :

    1- le respect des horaires de travail

    2- arrêt des sorties en cas de mauvais temps et intempéries, à l’origine des nombreux accidents et décès des marins pêcheurs en cas de mauvais temps

    3- revendication d’un tableau dans le port indiquant la météo, les intempéries, etc. pour prévenir les marins en cas de tempête

    4- contrôle de la pesée et déclaration dans la transparence de la quantité de poisson mis sur le marché pour limiter le marché noir

    5- réglementation et solution au problème des quais à l’origine des accidents de bateaux qui ne trouvent pas où décharger.

    Mais dès le début du rassemblement, deux membres du bureau du Syndicat National des Marins Pêcheurs de la Pêche Côtière et Hauturière au Maroc Aberghaz Mohamed et Azafad Rachid, ainsi que deux autres marins, Imihi et Ali Bou Baker, ont été violement arrêtés par les forces de police.

    Aussitôt une manifestation de milliers de marins s’est organisée dans le port de Laâyoune pour exiger leurs libérations et appuyer les revendications.

    Sous la pression des marins pêcheurs et face à leur détermination, à 21h30 Aberghaz Mohamed et ses camarades ont été relâches, acclamés par de milliers de marins dans le port de Laâyoune.

    Notre devoir est d’élargir la solidarité pour appuyer la détermination et l’unité des marins pêcheurs qui luttent pour leurs revendications et contre la répression de leur mobilisation.

    Pour Rappel : mobilisation des marins pêcheurs d’une grande ampleur le 11 novembre 2014 dans le port de Tan-Tan (Sud du Maroc)

    Le mardi 11 novembre 2014, des centaines de marins se sont rassemblés dès 16 h dans le port de Tan-Tan suite aux tentatives de la délégation maritime de faire appliquer et d’imposer les nouveaux règlements du plan HALIEUTIS (Plan lancé par l’Etat marocain en 2009 pour dynamiser l’investissement du grand capital local et étranger dans le secteur halieutique au détriment des dizaines de milliers de marins pêcheurs).

    C’est alors que les forces de répression sont intervenus et ont arrêté Aberghaz Mohamed et Mustafa Agouram membres du bureau du syndicat national des Marins Pêcheurs de la Pêche Côtière et Hauturière au Maroc (SNMPPH). Une large manifestation de solidarité s’est organisée dans le port de Tan-Tan :

    Après une heure trente de protestation et face à la combativité et de la détermination de leurs camarades marins pêcheurs, les deux militants ont été relâches.

    Solidarité large avec les luttes des marins pêcheurs.

    22 décembre par Le Syndicat National des Marins Pêcheurs de la Pêche Côtière et Hauturière au Maroc (SNMPPH)

    http://cadtm.org/Tres-large-mobilisation-des-marins

  • Nouveautés sur Europe Solidaire Sans frontières

     
    Egyptian Federation of Independent Trade Unions
     

    BASSIOUNY Mustafa - août 2014

    Répression par le pouvoir, division des syndicats : en Egypte, rien n’arrête le mouvement ouvrier

     

    BASSIOUNY Mustafa, HUSSEIN Marwa - 11 December 2014
     

     

    CHAMKHI Fathi, AMAMI Nizar, LEROUGE Dominique - 17 décembre 2014

    Tunisie : Le débat à l’Assemblée sur le budget d’austérité

     

  • La colère des ouvriers égyptiens (Orient 21)

    La question sociale dominera la scène égyptienne les prochains mois.

    Le pays a connu plus de grèves de travailleurs ces deux dernières années que pendant la décennie qui a précédé la révolution de janvier-février 2011. Aujourd’hui encore des ouvriers continuent à manifester et à faire grève pour faire entendre leurs revendications, malgré la loi restreignant le droit à se rassembler et à manifester. Mais les gouvernements successifs restent sourds à leurs doléances.

     

     

    Ça faisait deux mois que les quelque 2 000 ouvriers d’Abboud Spinning Company n’avaient pas été payés. Sans compter les primes attendues et jamais versées. Les directeurs et les responsables de cette usine de textile d’Alexandrie faisaient la sourde oreille.

    En général, les patrons ont les moyens de tenir la distance dans ce type de conflits. Ils peuvent aussi se débarrasser sans trop de difficulté des ouvriers récalcitrants : selon un avocat égyptien, Haitham Mohamedein, les employeurs sont simplement condamnés à verser une amende de… 100 à 500 livres égyptiennes (10 à 50 euros) en cas de licenciement abusif. L’attitude est en général d’attendre que ça se passe, mais cette fois-ci, ça ne passait pas. Une partie des ouvriers de l’usine a donc commencé un sit-in dans les locaux de l’usine le 25 août 2014. L’été était d’autant plus brûlant qu’il était ponctué de coupures d’électricité incessantes.

    Dans une Égypte en pleine crise de paranoïa, les ouvriers sont accusés d’appartenir aux Frères musulmans, organisation considérée comme terroriste depuis décembre 2013 et dont les principaux leaders — parmi lesquels l’ancien président Mohamed Morsi — sont en prison ou en fuite. Qui veut discréditer quelqu’un l’accuse d’être Frère musulman. Pourtant ils ont tenu bon. «  On maintenait les sit-in depuis trois semaines. Au plus fort de la mobilisation, on était peut-être 700 ou 800 employés à protester. On demandait à être reçus par le directeur de l’usine, le gouverneur d’Alexandrie, ou même le premier ministre, sans succès. Finalement, on a enfin réussi à obtenir un rendez-vous avec le directeur, prévu pour le 15 septembre. Mais il n’est pas venu  », se souvient Mohamed Kamel, l’un des contestataires, ouvrier depuis 24 ans dans l’usine.

    À Alexandrie, les ouvriers ont perdu patience. «  Le directeur ne s’est pas montré. On est sortis de l’usine pour manifester. Et on nous a envoyé la police  », ajoute Mohamed Kamel. Une altercation s’ensuit. Un policier nerveux fait usage de son arme, une sorte de gros pistolet à grenaille, de ceux que l’on surnomme «  cartouches  » en Égypte et qui ont blessé des centaines de manifestants pendant la période révolutionnaire quand ils ne les rendaient pas aveugles. Le coup de feu emporte un très gros morceau de chair de la jambe gauche de Mohamed Kamel. Il raconte cela, le visage lumineux, le tibia traversé par des broches au métal patiné, sur son lit d’hôpital.

    Des syndicats toujours aux ordres

    Les syndicats ne sont pas d’une grande aide. Ce n’est pourtant pas par manque de moyens. La Fédération générale des syndicats de travailleurs d’Égypte (FGSTE) est un paquebot de près de 4 millions de membres, 21 000 cadres, 17 fédérations régionales. Elle dispose d’une banque, d’une fondation culturelle d’universités ouvrières, d’hôtels, de villages-vacances, de bibliothèques… Ce n’est pourtant pas de ce côté qu’il faut s’attendre à une mobilisation générale. Selon Élisabeth Longuenesse et Didier Monciaud1, «  La gestion des syndicats est très bureaucratique et l’élite syndicale se caractérise par son conservatisme, son immobilisme et sa soumission au régime, mais aussi par des liens étroits avec le milieu des hommes d’affaires du secteur privé.  » La fédération et ses multiples branches se transforme peu à peu en une agence de services aux pratiques très clientélistes. Les dirigeants syndicaux se servent des ressources financières de leurs organisations, avec l’effet pervers d’accélérer le désengagement de l’État, notamment pendant les années 1990.

    Il y avait pourtant eu une lueur d’espoir en 2009. Après des années de lutte, la formation d’un syndicat indépendant, celui des percepteurs des taxes sur les transactions immobilières, a été autorisée par le gouvernement en avril. Le mouvement, mené par Kamal Abou Aita, s’est transformé en Fédération égyptienne des syndicats indépendants le 2 mars 2011, peu après la chute de Hosni Moubarak, avec pour slogan principal la mise en place d’un salaire minimum à 1 200 livres (environ 120 euros) par mois, pour tous. C’était ce à quoi Abou Aita s’était employé, pendant son court passage au gouvernement comme ministre «  de la main d’œuvre et de l’immigration  » (c’est-à-dire le ministre du travail), de juillet 2013 à mars 2014. C’était la dernière tribulation d’un syndicaliste qui avait rallié les Frères musulmans en 2012 pour les élections à l’Assemblée du peuple2, s’était fait élire puis avait appelé à voter pour le nassériste Hamdine Sabbahi, pour finalement appeler à la démission de Morsi en 2013.

    Indépendants sur le papier

    La création de syndicats indépendants a été autorisée en mars 2011, juste après le départ de Moubarak, mais tous les gouvernements successifs ont bloqué l’adoption de la loi, du régime transitoire du Conseil suprême des forces armées à l’équipe de Morsi jusqu’à aujourd’hui, sous la présidence d’Abdel Fattah Al-Sissi. La grève menée par les camarades de Mohamed Kamel est bien sûr illégale. Car la loi 12 de 2003 sur le travail encadre très précisément le droit de grève : il faut faire une demande écrite à l’avance et avoir l’accord de la majorité des deux tiers du conseil d’administration de la FGSTE. À notre connaissance, un syndicat de la Fédération n’a apporté un soutien officiel qu’une seule fois, lors de la grève de l’usine Tanta Flax and Oil Co, en mai 2009. Un soutien de cinq jours pour une grève de six mois.

    La loi sur le salaire minimum est passée en septembre 2013. Mais elle ne concerne que les fonctionnaires — pas même les employés des agences de l’État comme la Poste3. Mohamed Kamel, l’ouvrier à la jambe blessée, reçoit quand à lui un salaire de 780 livres par mois (environ 80 euros).

    Un traitement spécial

    Ces dispositions ressemblent à celles contenues dans une autre loi, entrée en vigueur en novembre 2013, sur le droit de manifester, réduit à la portion congrue. Il faut informer les autorités trois jours avant la tenue du mouvement : coordonnées, lieu et trajet du cortège, revendications et slogans scandés. Le ministère de l’intérieur se donne toute latitude d’interdire la manifestation au motif aussi vague que celui de «  menace pour la sécurité  ». Les possibilités de s’exprimer publiquement n’ont peut-être jamais été aussi réduites dans l’histoire récente de l’Égypte.

    Pourtant, ni Kamel ni ses camarades n’ont été jetés en prison. Le gouvernement, malgré le contexte répressif actuel, ne tient peut-être pas à se mettre à dos les quelque 27 millions de travailleurs égyptiens. La loi sur les manifestations a fait l’objet d’une contestation immédiate de la part des militants des droits humains, conduisant à l’arrestation d’un activiste de premier plan, Alaa Abdel Fattah, en novembre 2013. Au même moment, et jusqu’en décembre 2013, les ouvriers d’une usine emblématique, celle de la Société égyptienne pour le fer et l’acier (Hadidwalsolb) à Helwan, au sud du Caire, ont eux aussi manifesté sans être inquiétés par les autorités.

    Moustafa Bassiouni, journaliste économique égyptien et spécialiste des mouvements ouvriers, rappelle qu’«  on a compté en 2012 plus de grèves que pendant les dix années qui ont précédé la révolution  »4. Après la reprise en main du pouvoir par l’armée durant l’été 2013, les mobilisations ont continué, notamment en février 2014, faisant chuter le gouvernement de Hazem El-Beblaoui5. Mais les mobilisations n’aboutissent qu’à peu de résultats. Si les autorités n’ont pas la main aussi lourde sur les ouvriers que sur les Frères musulmans, les arrestations et cas de torture sont tout de même nombreux et répertoriés.

    Des luttes très locales

    Pour le chercheur Gennaro Gervasio, professeur à l’université britannique du Caire, les enjeux souvent très locaux des grèves en font des luttes difficiles à arrêter, mais par définition, elles peinent à prendre une ampleur nationale. «  Le régime sait le pouvoir des travailleurs organisés et politisés. Nommer au gouvernement Kamal Abou Aita était une forme de reconnaissance de ce pouvoir. Mais le ministre n’a pas réussi à calmer la grogne généralisée. Par ailleurs, les ouvriers sont très mal informés  », explique Gervasio. Il cite l’exemple d’ouvriers rencontrés en 2012 qui n’étaient même pas au courant de la création de syndicats indépendants. Pour le chercheur, «  le seul trait d’union depuis 2007, ce sont les mouvements de protestation, qui n’ont finalement jamais cessé  ».

    En effet. Malgré le contexte répressif, les ouvriers de l’usine Schweppes sont mobilisés depuis trois semaines pour protester contre le renvoi possible de 850 ouvriers de l’usine, dans le cadre d’une fusion avec Coca-Cola. Les fusions ne sauraient être la cause de licenciements, selon la loi 12 de 2003 que tous les gouvernements successifs promettent de réformer dans l’intérêt des travailleurs, sans agir concrètement pour autant. À nouveau, des ouvriers de l’usine de la gigantesque usine Hadisolb de Helwan sont en grève. Ils réclament le paiement de primes, toujours promises, jamais versées. Jour après jour, en Égypte, des travailleurs manifestent et se mobilisent. Sans résultats concrets cependant : les ouvriers de Hadisolb avaient manifesté l’année dernière, à la même date, pour les mêmes motifs, sans être pour autant entendus. Quant à Mohamed Kamel, le travailleur blessé de l’usine Abboud Spinning company d’Alexandrie, il est toujours à l’hôpital. Les revendications de ses camarades sont restées lettre morte. En Égypte, le mouvement ouvrier reste prisonnier de trois maux : une base divisée et peu informée  ; le manque d’une représentation syndicale digne de ce nom, qui pourrait mobiliser sur le plan national  ; enfin, des autorités méfiantes vis-à-vis des mouvements de travailleurs et qui veillent soigneusement à rendre difficile, voire impossible, toute contestation organisée.

     

    Samuel Forey
  • Le mal-vivre des Algériens réprimé dans la violence (Courrier International)

    De l'eau potable, du travail, un logement social…
     
    Les revendications des Algériens ne sont pas entendues et se heurtent à la violence policière. Le 28 novembre, la répression d'une manifestation dans le sud du pays s'est soldée par au moins deux morts et 39 blessés.
     
    "Les violents affrontements qui ont éclaté, le 28 novembre, entre des jeunes protestataires du quartier Draâ El Baroud, un quartier périphérique de la commune de Nezla, près de Touggourt, dans le sud du pays, et des policiers ont fait 2 morts et 39 blessés. Bilan dramatique pour une mobilisation qui se voulait pacifique, déclenchée quelques jours plus tôt sur fond de revendications sociales concernant des terrains constructibles, l'adduction du quartier au réseau d'eau potable et l'embauche des jeunes affiliés au bureau de main-d'œuvre local", déplore El-Watan.

    Sur son site, le quotidien Liberté parle, lui, de quatre morts : "Selon les dernières informations recueillies, quatre personnes (trois hommes et une femme qui était de passage), toutes touchées par balle, y ont trouvé la mort. Trois personnes ont été tuées vendredi soir, alors qu'un des manifestants blessés a succombé à ses blessures, le 30 novembre, juste après l'enterrement des trois autres victimes."

    Les citoyens revendiquent l'ouverture d'une enquête qui fera la lumière sur ces décès, "surtout que des balles réelles ont été retrouvées sur le lieu de la manifestation. Donc la protestation risque de reprendre de plus belle si ces problèmes ne sont pas résolus très prochainement", poursuit le quotidien.

    Mépris et absence de transparence

    "Le pays est à nouveau gagné par les émeutes et les manifestations de rue. Alors que la révolte des villageois de Nezla, à Touggourt, ne s'est toujours pas arrêtée, d'autres foyers de contestation sont signalés un peu partout dans le pays", souligne pour sa part Algérie-Focus.

    "Toujours dans le sud du pays, des jeunes qui habitent la ville pétrolifère de Hassi R'mel (Laghouat) ont manifesté le 30 novembre pour réclamer du travail et des logements. Des barricades ont été dressées aux portes de la ville. Et le nord du pays n'est pas en reste. Des habitants de la ville de Béjaïa, dont les noms ne figurent pas sur la liste des bénéficiaires de logements sociaux, ont brûlé des pneus en signe de protestation. Ils estiment qu'ils sont lésés", poursuit le site d'information algérien.

    Et de conclure : "Le point commun entre toutes ces manifestations est le mal-vivre. Au moment où les caisses de l'Etat se vident de manière dangereuse, les citoyens réclament de plus en plus de droits. Et souvent, au lieu d'écouter et d'expliquer aux populations les tenants et aboutissants de chaque situation, les responsables répondent par le mépris et l'absence de transparence."

    http://www.courrierinternational.com/article/2014/12/01/le-mal-vivre-des-algeriens-reprime-dans-la-violence

  • Egypte. La portée de la grève à l’aciérie géante d’Helwan (A l'Enconre.ch)

    Le 23 novembre 2014, les travailleurs d'Helwan arrêtent la production

    Le 23 novembre 2014, les travailleurs d’Helwan arrêtent la production

    Les 11’000 travailleurs de la Compagnie des Fers et Aciers d’Helwan (ville au bord du Nil, en face des ruines de Memphis, en 2006 avait déjà plus de 600’000 habitant·e·s; c’est une grande banlieue du Caire) sont entrés en grève avec occupation samedi 22 novembre 2014 pour exiger, principalement, le paiement de leurs «bonus» (une participation aux bénéfices), le limogeage de leur directeur et la ré-embauche des ouvriers licenciés précédemment, notamment lors de la grève de décembre 2013; ensuite, pour dénoncer la gestion calamiteuse de l’entreprise nationale.

    Cette grève est importante déjà par le nombre de salariés de cette entreprise, ensuite par la puissance symbolique de cette usine géante de la métallurgie, enfin par sa situation dans une banlieue populaire du Caire. Mais sa portée va bien au-delà, socialement et politiquement.

    Une portée sociale qui dépasse largement l’entreprise

    En effet, cette grève a démarré parce que lors de «l’Assemblée générale» (assemblée qui réunit direction, syndicats et salariés pour son bilan annuel) la direction n’a annoncé que de lourdes pertes sans déclarer de bénéfices, alors que la loi «oblige» les directions des entreprises nationales à accorder des «bonus» aux salariés, équivalant à un à deux mois de salaire, voire parfois plus.

    On comprend la fonction de ces bénéfices. Les «bonus» représentent pour les ouvriers des sommes importantes, ce qui explique qu’ils soient en colère, d’autant plus qu’ils sont méfiants des annonces de la direction. Non seulement ces prétendues pertes suppriment une bonne partie de leurs revenus mais, en plus, servent d’excuses pour exiger plus d’effort au travail et licencier un certain nombre de salariés. De plus, le Center for Trade Union and Workers’ Services (CTUWS) a déclaré que ces pertes étaient factices et n’avaient pour but que de préparer une privatisation à bas coût. Les travailleurs dénoncent ainsi qu’un des quatre hauts fourneaux de l’usine ne marche pas faute d’approvisionnement suffisant en charbon. Alors, disent-ils, s’il y a vraiment des pertes, c’est soit volontaire, soit du fait de l’incompétence de la direction et, dans les deux cas, elle doit être «dégagée».

    Les travailleurs ont bien des raisons d’être méfiants, car déjà l’an passé, comme depuis dix ans, l’entreprise n’a annoncé que des pertes, ce qui avait déjà occasionné une grève en décembre 2013 pour les mêmes revendications qu’aujourd’hui et, à cette occasion, une volée de promesses du pouvoir… non tenues.

    Par ailleurs, la colère des salariés est aussi fortement alimentée par le fait que le leader de la grève de 2013, Ayman Sobhy Hanafy, s’est suicidé en se jetant dans le Nil, après être tombé en dépression suite à son licenciement par la direction, sans que cette dernière lui ait accordé dédommagements et pension.

    Mais au-delà des problèmes de cette entreprise, et c’est ce qui fait de cette grève une question d’ordre nationale, c’est que les problèmes qu’elle soulève sont aussi ceux de la plupart des autres entreprises industrielles publiques, qui n’annoncent bien souvent que des pertes. Cela implique qu’elles ne donnent pas de «bonus» – c’est-à-dire baissent les salaires –, tournent à mi-production, donc restructurent, ferment des ateliers moins «rentables», augmentent la productivité, licencient et préparent ainsi probablement leur privatisation. Et toute la politique du gouvernement actuel – comme d’ailleurs des gouvernements précédents depuis 2004 – va dans le sens de cette préparation d’une nouvelle vague de privatisations.

    Or ce secteur des entreprises industrielles nationalisées avec au centre les usines géantes de la métallurgie (et du textile) représente à lui seul 250’000 salariés, dont bien des Assemblées générales sont à venir.

    Une grève qui en prolonge d’autres

    Par ailleurs, cette grève suit deux mouvements importants des ouvriers et en accompagne quasi un autre, celui des étudiants.

    En février et mars 2014, un vaste mouvement de grève des salariés de l’industrie publique pour l’extension à leur secteur de la hausse du salaire minimum accordé aux fonctionnaires d’Etat, entraîné par les ouvriers de l’industrie publique du textile, avait été à l’origine de la chute du gouvernement d’alors.

    Cela avait provoqué la candidature précipitée de l’ex-maréchal Abdel-Fattah al-Sissi à la présidentielle de fin mai. En effet, ce dernier et son entourage proche avaient estimé, devant l’urgence sociale, que l’élection présidentielle et son cortège de promesses étaient le meilleur moyen pour détourner les aspirations ouvrières dans des impasses électorales.

    Cela lui avait réussi puisque, servi sur divers modes par tous les appareils syndicaux nationaux, anciens ou nouveaux, et la majeure partie de la gauche nassérienne, stalinienne ou social-démocrate, il avait réussi ainsi à mettre fin à la grève. Depuis, il s’est dépêché de tenter de briser toutes les libertés d’expression, de manifestation et de grève, par une répression d’une violence extrême.

    Cependant, déjà en août puis début septembre 2014, après le mois du ramadan, une deuxième vague de grèves avait resurgi dans le pays, exigeant de Sissi qu’il honore ses promesses, avec notamment la grève victorieuse des ouvriers des briqueteries.

    Toutefois, ces grèves ne touchaient le plus souvent que les secteurs les plus pauvres et les moins organisés de la classe ouvrière égyptienne. Un peu comme s’il fallait du temps aux fractions les plus organisées, et donc ses militants, pour digérer la trahison ou forfaiture de tous leurs représentants syndicaux et politiques nationaux qui soutiennent ou ont soutenu Sissi. Ou encore du temps pour revenir de leurs illusions, pour ceux, à la base, qui avaient pu être séduits par les promesses du candidat Sissi. Celui-ci en effet – rappelons-le – aimait à se présenter sous les couleurs de la démagogie à tonalité nassérienne.

    Avec la grève de l’aciérie d’Helwan, on assiste à une nouvelle étape des luttes de l’après-présidentielle, car c’est bien à nouveau le cœur de cette classe ouvrière organisée qui remonte sur la scène sociale.

    Et avec cette grève, ce sont les exigences et les souvenirs de la fin de la grève de février-mars qui pourraient bien refaire surface. En effet, à cette date, une douzaine de grandes entreprises industrielles publiques fraîchement privatisées s’étaient coordonnées dans la lutte pour exiger leur renationalisation, avec notamment déjà cette question des «bonus» au centre des préoccupations des salariés. Et en même temps et en association, une coordination nationale de différents secteurs du public en grève avait vu le jour avec un large programme social reprenant les principales revendications populaires du moment (voir notre article sur le site A l’Encontre en date du 24 septembre 2014).

    Il va donc sans dire que le cœur de la classe ouvrière égyptienne regarde avec attention ce qui se passe là, et bien des militants expliquent qu’il ne faut pas laisser ceux d’Helwan seuls.

    Par ailleurs, la rentrée universitaire, le 11 octobre 2014, a été marquée par un fort mouvement de contestation de la politique sécuritaire du gouvernement par les étudiants et cela jusqu’à début novembre.

    Démarrées autour de la remise en cause des mesures de sécurité sur les campus prises par le gouvernement et confiées à une société privée, Falcon Security, les manifestations étudiantes se sont vite étendues à toutes les mesures interdisant toute organisation et toute activité politique dans les universités. Puis avec la répression du mouvement qui a occasionné des centaines d’arrestations et de condamnations, provoqué des centaines de blessés et plusieurs morts, les manifestations sur la majeure partie des universités se sont élargies à la dénonciation de la politique du «tout répression» des autorités militaires égyptiennes.

    Mais le mouvement s’est peu à peu éteint. Cela a été provoqué par la violente répression, mais surtout par l’action des frères musulmans. En effet, particulièrement implantés en milieu étudiant, ils ont cherché à parasiter ce mouvement et à le détourner vers leurs revendications propres où ils mêlaient la dénonciation de la violence du régime mais aussi de sa légitimité au profit de celle du régime de Morsi, seul à avoir été élu démocratiquement, selon eux. Le pouvoir s’est appuyé sur cela pour accuser le mouvement des étudiants d’être au service des Frères musulmans ou manipulé par eux.

    Dans un climat où le pouvoir mène une véritable guerre contre le terrorisme islamiste dans le Sinaï et s’appuie sur cette guerre pour légitimer toutes les mesures de répression, les étudiants n’ont pas su, du fait notamment de leurs revendications uniquement démocratiques, se différencier suffisamment des Frères musulmans. Dès lors, beaucoup d’entre eux ont préféré renoncer plutôt que d’être confondus avec ceux qu’ils ont contribué à faire tomber en juin 2013.

    Or les ouvriers d’Helwan, de leur côté, ont su trouver une solution à ce problème de l’opposition au pouvoir des Frères musulmans et de leurs tentatives de parasiter le mouvement social, tout particulièrement depuis septembre. Du fait de ce que sont les ouvriers, de la faible influence des Frères musulmans en leur sein, et surtout par leurs revendications que ne veut surtout pas satisfaire la Confrérie – et donc ne peut les porter – les grévistes d’Helwan ont clairement et démonstrativement refusé tout soutien des islamistes.

    Ce qui donne à ce conflit une envergure très clairement politique.

    Une double portée politique

    Dans cette entreprise nationalisée, le gouvernement et sa politique sont directement la cible de la grève. En exigeant la démission du directeur de l’entreprise, en rappelant les revendications et le mouvement de février-mars, cette grève fait resurgir les origines de la révolution née dans les années 2004-2005, lors du «gouvernement des milliardaires» et quand ceux-ci privatisaient à tour de bras. Bref, elle continue à faire vivre la révolution en rappelant ses exigences: la justice sociale mais aussi le fait de dégager non seulement le sommet de l’Etat, Moubarak, mais encore tous les «petits Moubarak», à tous les niveaux de l’appareil d’Etat ou de l’économie.

    Cette grève est d’abord politique pour ces raisons.

    Mais elle rappelle aussi – ce que nous allons voir maintenant – dans cette période où le «djihadisme» barbare semble séduire jusqu’à quelques jeunes Occidentaux, que les Frères musulmans ne représentent pas cette révolution et qu’elle s’est faite aussi contre eux et leur obscurantisme. Elle est donc encore politique pour cela, en affirmant que face aux barbaries militaires et religieuses, il y a une troisième voie, celle du prolétariat dans son ampleur effective, c’est-à-dire de la civilisation.

    Contre cette grève, jusque-là, le gouvernement a manié comme à son habitude les menaces et les promesses, la carotte et le bâton.

    D’une part, le premier ministre Ibrahim Mehleb, a promis qu’il répondrait positivement aux revendications des travailleurs lundi 1er décembre en résolvant le manque d’approvisionnement énergétique de l’usine et en investissant dans l’entreprise. Mais les salariés n’y croient plus; les mêmes promesses avaient été faites l’an passé et rien n’a été concrétisé. Aussi, les travailleurs ont déclaré que si rien n’était fait lundi, ils durciraient leur mouvement.

    D’autre part, 15 des dirigeants de la grève ont été menacés d’arrestation et d’être poursuivis devant le procureur militaire pour «obstruction à la production, sabotage et atteinte à l’économie nationale». Un des dirigeants de la grève, Mohamed Abdel Maqsoud, a déclaré qu’ils avaient reçu la visite d’officiers de haut rang les menaçant de les accuser d’être des fauteurs de troubles, au service des gangsters et membres des Frères musulmans!

    Or le gouvernement égyptien ne plaisante pas. Plus d’un militant a déjà été arrêté, torturé et condamné ces derniers temps. Et le ministre de l’Investissement a clairement déclaré la semaine passée sur l’un des canaux TV satellite: «Nous sommes dans un état de guerre, et nous allons agir avec les travailleurs et les entreprises, comme le fait l’armée avec le terrorisme.» Le porte-parole de la direction de l’entreprise a lui-même déclaré que la grève n’était pas économique ou sociale mais avait des buts politiques en expliquant qu’elle aurait reçu le soutien des Frères musulmans et en proclamant mensongèrement que les travailleurs avaient incité l’opinion publique à participer à leurs manifestations ainsi qu’à celles du Front salafiste ce vendredi 28 novembre où ces derniers ont appelé à une révolution islamique.

    Or cette manifestation à hauts risques du 28 novembre témoigne d’une double évolution des Frères musulmans. En effet, en septembre, ceux-ci ont manifesté la volonté d’élargir leurs revendications identitaires religieuses à des revendications sociales avec des appels à la révolution de la faim.

    Mais depuis, les succès militaires de Daech [Etat islamique] en Syrie et en Irak ont fortement pesé sur une partie de leurs fidèles, notamment depuis que le groupe islamiste le plus important en lutte dans le Sinaï – Ansar Beit Al-Maqdis – s’est publiquement affilié à l’Etat islamique. Et on voit depuis octobre des drapeaux de Daech dans des cortèges des Frères musulmans de même que ses slogans y sont scandés.

    Un Front salafiste s’est créé jouant de cette tendance, doublant très rapidement en influence Al-Nour, le principal groupe salafiste jusque-là, mais qui soutient Sissi, et menaçant le crédit et le prestige des Frères musulmans.

    La manifestation du 28 novembre qui a pour but une «nouvelle révolution», mais de la «jeunesse islamiste», a été appelée par ce nouveau Front salafiste et rejoint peu après par les Frères musulmans, craignant d’être doublés sur ce terrain de la radicalité identitaire. Ainsi les Frères musulmans vont un coup à «gauche», un coup à droite, mêlant aux revendications sociales les idées les plus réactionnaires et rétrogrades.

    Aussi, face à la radicalisation islamiste, le pouvoir a déclaré que ce serait la dernière manifestation «autorisée» des Frères musulmans et a annoncé une répression féroce contre tous les terrorismes, Sissi élargissant ces jours-ci la notion aux crimes contre l’économie [1].

    Dans ces conditions – qui rappellent, en changeant ce qu’il faut changer, le dilemme des forces révolutionnaires en Allemagne en 1931-1932 lorsque les nazis appelaient à descendre dans la rue pour des revendications sociales – les travailleurs de l’aciérie ont décidé de suspendre leur grève deux jours, jeudi 27 et vendredi 28 novembre, pour bien montrer qu’ils n’ont rien à voir avec les Frères musulmans. Cependant ils ont aussi annoncé qu’ils reprendraient leur grève dès le samedi 29 tôt le matin et qu’ils la durciraient lundi 1er décembre si le gouvernement ne donnait rien.

    Ainsi les travailleurs font un double geste politique qui reflète certainement l’opinion de la majorité des classes populaires.

    D’une part ils désignent le gouvernement et sa politique à l’ensemble de la classe ouvrière et de la population comme responsable de la dégradation de la situation des travailleurs. En même temps, ils démontrent aux yeux de tous la volonté du gouvernement de se mettre au service du privé contrairement à toute la propagande que peut faire Sissi sur le soi-disant esprit national qui l’animerait.

    D’autre part, ils refusent de s’associer aux manifestations des Frères musulmans contre ce gouvernement, montrant bien qu’ils ne veulent toujours pas de la solution «islam» et qu’ils ne marchent pas dans les tentatives de certains secteurs de la Confrérie de colorier socialement ces derniers temps leurs revendications identitaires et religieuses, notamment lors du mouvement étudiant de la rentrée.

    Et par ce dernier aspect, ils offrent la possibilité d’une politique indépendante aux plus honnêtes des militants du mouvement étudiant de ces dernières semaines, qui n’arrivaient pas à se différencier des Frères musulmans. Ils indiquent à ces étudiants que la solution pour eux est dans le succès des travailleurs et donc dans la recherche de leur alliance, dans l’élargissement de leurs revendications démocratiques à une véritable démocratie sociale. Ils les invitent en quelque sorte à faire le même trajet politique qu’avait fait K. Marx dans sa jeunesse, il y a bien longtemps.

    Ils montrent enfin à toute la population, et au-delà, qu’il n’y a pas bi-polarisation de la situation politique entre l’armée et les Frères musulmans en Egypte mais qu’il y a au moins une tri-polarisation sinon plutôt une seule polarisation véritable entre possédants et exploités, opposition valable et compréhensible pour toute la planète. (29 novembre 2014)
    Par Jacques Chastaing

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    [1] La manifestation du 28 novembre, là où le Front salafiste et les Frères musulmans prédisaient des millions dans les rues, n’a finalement été suivie que par quelques centaines de manifestants dans quelques villes. Les rues étaient vides. Les chars bien présents ont certainement dissuadé plus d’un à aller manifester. Quoi qu’il en soit, il n’y a pas eu prise de l’ascendant de Daech en Egypte, par contre le pouvoir s’est servi du danger qu’il a certainement amplifié pour justifier ses atteintes aux libertés. Mais cette sur-réactivité répressive du pouvoir est aussi en train de démontrer l’inverse de ce qu’il voudrait démontrer à de plus en plus d’Egyptiens, à savoir qu’il n’est pas capable de garantir la stabilité, la sécurité et la paix. Bien au contraire. A cela il faut ajouter la politique de destruction des maisons, sur plus de 10 kilomètres, afin d’isoler Gaza; ce qui éclaire le rôle de Sissi. Sans même épiloguer sur le sort de Moubarak blanchi de toutes les accusations.(J.C.)

    http://alencontre.org/moyenorient/egypte/egypte-la-portee-de-la-greve-a-lacierie-geante-dhelwan.html