Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Luttes ouvrières - Page 11

  • Algérie : Les cheminots reviennent à la charge (Afriques en lutte)

     

    Le trafic ferroviaire a été paralysé hier par les travailleurs du service exploitation trains de la Société nationale des transports ferroviaires (SNTF) qui ont mis leurs menaces à exécution en entamant une grève illimitée.

    « Nous avons entamé une grève illimitée jusqu’à satisfaction de nos revendications », nous a affirmé au téléphone Abdelhak Boumansour, chef de la section syndicale des cheminots d’Alger. Ainsi trois mois après la grève nationale, en mars dernier, les travailleurs de la Société nationale du transport ferroviaire reviennent à la charge pour revendiquer à nouveau, selon toujours Abdelhak Boumansour, « la révision du tableau des filières qui définit l’évolution de carrière ».

    Il a fait état d’un litige entre la SNTF, la Caisse nationale des assurances sociales (CNAS) et la Caisse nationale de retraite (CNR). « Des salariés et des retraités se trouvent balancés d’une direction à une autre », a-t-il déploré.

    Pour rappel, la direction de la SNTF s’était engagée à réviser, en mars dernier, le tableau des filières en question, mais l’absence d’un partenaire social légal empêche pour l’instant la signature d’un accord.

    La section syndicale de la Fédération des cheminots (UGTA) étant gelée depuis janvier 2015, ce secteur névralgique reste visiblement otage de conflits syndicaux. C’est aussi l’une des raisons qui ont poussé au débrayage, puisque Abdelhak Boumansour dénonce « une réunion tenue le 10 juin entre le ministre des Transports, le DG de la SNTF et des syndicalistes non représentatifs ».

    Cette grève intervient après un premier débrayage de trois jours observé par les travailleurs le 23 mai dernier. Le service exploitation trains compte dans ses rangs quelque 1200 employés à travers le territoire national. Selon le syndicaliste, les travailleurs sont décidés à faire valoir leurs droits par tous les moyens.

    Selon lui, les travailleurs sont exaspérés par le « mépris de la direction de l’entreprise », précisant que la revendication principale des travailleurs relative à la promotion à l’échelon supérieur est attendue par certains travailleurs depuis 20 ans.

    « Nous faisons face à la provocation de la direction depuis longtemps, mais celle de mercredi et jeudi derniers étaient de trop », explique le syndicaliste.

    « A chaque réunion avec la direction, le directeur général nous promet de régler notre problème, mais rien de concret n’a été fait jusque-là », précise-t-il.

    Source : Le Temps d’Algérie  17 juin 2015

    http://www.afriquesenlutte.org/afrique-du-nord/algerie/article/algerie-les-cheminots-reviennent-a

  • Maroc: le personnel de l’Office national de l’électricité et de l’eau potable en grève (Afriques en lutt)

    Le personnel de l’Office national de l’électricité et de l’eau potable appelle à une grève nationale et des sit-in, le 16 juin prochain, en protestation contre le projet de transfert des périmètres de l’ONEE à la Lydec.

    Le projet d’harmonisation des périmètres de distribution d’électricité et d’eau et du service d’assainissement dans la région du Grand Casablanca, qui devait démarrer le 31 mai dernier, peine à trouver un aboutissement et reste plongé dans un climat de tension et de blocage social persistants.

    Les employés et cadres de l’Office national de l’électricité et de l’eau potable vont débrayer à nouveau à partir du 16 juin.

    Les syndicats entendent protester contre le transfert de gestion à la Lydec de sept communes du Grand Casablanca alimentées directement par l’Office. Le personnel juge illégale cette passation des pouvoirs qui va à l’encontre des intérêts des employés de l’Office. Quelque 350 fonctionnaires dénoncent l’ambiguïté entourant l’opération de transfert du personnel et ignorent le sort qui leur est réservé dans ces bouleversements.

    La fédération avait déjà observé une grève nationale, le 25 mai dernier. « Par ces batailles menées par l’ensemble du personnel de l’Office, nous espérions que le gouvernement comprendrait notre cause et privilégierait l’intérêt des citoyens et d’une institution publique à celui des capitaux étrangers », précise la fédération qui dénonce des pressions sur des employés.

    source : Le 360 16 juin 2015 

    http://www.afriquesenlutte.org/afrique-du-nord/maroc/article/maroc-le-personnel-de-l-office

  • Algérie : 500 employés sans salaire depuis 3 mois à Tamanrasset (Afriques en lutte)

    A l’orée du mois de Ramadhan, les travailleurs de l’ENOR (Entreprise nationale d’exploitation de l’or) à Tamanrasset, se retrouvent sans salaire.

    Pas moins de 500 employés travaillant dans les zones aurifères d’Amesmassa (500 km à l’extrême sud du chef-lieu de la wilaya) n’ont pas perçu leur rétribution depuis au moins trois mois, a-t-on appris des travailleurs. Malgré les grèves et les mouvements de protestation organisés, depuis plus de 90 jours, leur situation n’a toujours pas connu son dénouement. Pire encore, six employés parmi les 400 grévistes ont été « abusivement licenciés » par la direction de l’entreprise.

    Ce qui n’est pas sans susciter l’indignation et la colère des employés qui ont sollicité l’intervention du wali et l’Amenokal de l’Ahaggar, Edaber Ahmed, pour résoudre ce problème qui n’a que trop duré. « La décision de licenciement, qui ne repose de surcroît sur aucun motif légal, a été prise injustement », fulmine Mohamed Meradi. Père d’une fille âgée d’à peine cinq ans, Mohamed, hanté par le cauchemar du désœuvrement, ne sait plus comment faire pour couvrir les dépenses de sa famille.

    Il n’est pas le seul à ressentir ces appréhensions après avoir tiré le diable par la queue, puisque cinq de ses collègues ont subi le même sort. En signe de solidarité, les employés de l’ENOR en appellent aux plus hautes autorités du pays pour réintégrer leurs collègues limogés qui n’ont vraisemblablement le tort que de dénoncer les graves dépassements impliquant les gestionnaires de l’entreprise, pour laquelle des enveloppes faramineuses ont été allouées dans cadre de son plan de redressement, affirment les employés.

    A les croire, 2,9 milliards de centimes ont été alloués par le Comité participatif de l’Etat (CPE) pour remettre sur les rails cette société qui s’embourbe dans des difficultés financières depuis 2011. Toutefois, cette enveloppe, dénoncent-ils document à l’appui, n’a profité qu’à « certains cadres véreux qui ont d’abord procédé à la révision de la convention collective et la grille des salaires pour s’offrir des rémunérations mirobolantes, avant de passer des commandes en violation du code des marchés ».

    Le premier magistrat de la wilaya, Mahmoud Djemaâ, leurré sur les véritables problèmes ayant motivé les employés à investir la rue, dit avoir saisi le ministère de tutelle pour faire la lumière sur cette affaire qui a, faut-il le rappeler, nécessité le déplacement du DG de l’Enor et du PDG de Manal, en avril dernier, pour tenter de convaincre les employés à renoncer à leur mouvement de grève. Cependant, c’était peine perdue puisque les grévistes, motivés principalement par le changement du staff dirigeant et la délocalisation du siège de la DG d’Enor vers Tamanrasset, n’ont pas lâché prise.

    La direction régionale de l’ENOR a appris à son tour que la grève a été gelée la semaine dernière et que les employés ont, à l’exception des licenciés, repris leur travail. A la question sur les salaires bloqués depuis 3 mois et les irrégularités enregistrées au sein de l’entreprises, notre source qui a parlé sous couvert de l’anonymat s’est contentée de préciser : « Seuls les travailleurs qui ont procédé à un mouvement de grève illégal sont concernés par cette situation. Les autres salariés ont tous perçu leur rémunération à temps. Pour ceux qui disent détenir des preuves incriminant l’administration, ils n’ont qu’à saisir la justice. »

    Source : El Watan

    http://www.afriquesenlutte.org/afrique-du-nord/algerie/article/algerie-500-employes-sans-salaire

  • Algérie Annaba : La laiterie de L’Edough paralysée par la grève (Afriques en lutte)


    Las d’attendre la réalisation des promesses de l’administration, les employés de la laiterie de l’Edough bloquent l’entrée de l’entreprise.

    Les employés de la laiterie de l’Edough de la wilaya de Annaba, ont amorcé jeudi dernier, un mouvement de grève illimité, apprend-on auprès de quelques-uns d’entre eux. Au motif de ce débrayage, plusieurs revendications socioprofessionnelles soulevées par les grévistes, dont la permanisation des contractuels. Ils réclament des contrats de durée indéterminée « Nous voulons des contrats de durée indéterminée, car étant des contractuels, nous risquons à n’importe quel moment de faire l’objet d’une compression. »

    Aussi, outre l’exigence de l’augmentation de la prime de rendement, les contestataires revendiquent 20% des bénéfices de l’entreprise, qu’ils exigent percevoir sous forme d’augmentation salariale.

    Dans le même sillage, les employés de la laiterie de l’Edough, sis à la daïra d’El Bouni, ont manifesté leur ras-le bol des fausses promesses, quant à leur permanisation et leur insertion. « Nous sommes fatigués d’attendre les promesses de l’administration, qu’elle n’a jamais honorées », ont-ils dit.

    S’agissant des conditions de travail, les grévistes ont fait état des mauvaises conditions de leur emploi, « nous exerçons dans les pires conditions que vous pouvez imaginer » ont-ils lancé. Nous invitant du coup à nous rendre à la laiterie, pour constater de visu le manque d’hygiène et l’insécurité, entre autres dures les conditions de travail. Les contestataires ont dénoncé des détournements et des dépassements dans la gestion de l’entreprise, dont les retombées ont eu un effet direct sur leur salaire.

    « Nous demandons à la tutelle de dépêcher une commission d’enquête pour constater l’anarchie et les malversations caractérisant l’entreprise », ont rétorqué plusieurs grévistes. Et d’ajouter : « L’entreprise va à la dérive, les détournements sont couverts par des ponctions sur nos salaires. »

    Devenue insoutenable, la situation prévalant aujourd’hui, à la laiterie de l’Edough, risque d’avoir un impact sur la production et la distribution du lait dans la wilaya de Annaba.

    Une situation qui au moment où nous mettons sous presse, a, d’ores et déjà, généré la perturbation dans la distribution du lait au chef-lieu de la commune de Annaba, El Bouni, Sidi Amar et El Hadjar, pendant que les zones retirées de la wilaya n’ont pas été alimentées en ce produit de large consommation. En attendant le dénouement de ce bras de fer qui oppose depuis jeudi, les travailleurs de la laiterie de l’Edough à l’administration, le sachet de lait restera absent sur les étals des vendeurs, au motif d’un conflit, qui privera probablement le consommateur pour une durée indéterminée, si toutefois les contestataires camperont sur leur position, faute de prise en change de leurs doléances par l’administration.

    Source : L’Expression 1er juin 2015

    http://www.afriquesenlutte.org/afrique-du-nord/algerie/article/algerie-annaba-la-laiterie-de-l

    Voir aussi au Maroc:

    http://www.afriquesenlutte.org/afrique-du-nord/maroc/article/morocco-electricity-workers-strike

  • Renouveau des luttes au pays du jasmin (CCR + Courrier Inter)

    http://www.ccr4.org/IMG/arton1135.jpg

    Vers une nouvelle explosion révolutionnaire en Tunisie ?

    Ces dernières semaines, une vague de luttes traverse la Tunisie. Depuis les districts miniers qui sont en grève générale jusqu’aux jeunes diplômés au chômage, également mobilisés, le pays connaît une nouvelle vague d’agitation. La situation pourrait-elle en venir à déboucher vers une nouvelle explosion ?

    Le 13 mai, les grèves des juges et des professeurs de l’enseignement primaire ont paralysé les tribunaux et les écoles dans tout le pays. Près de 67.000 instituteurs ont fait grève pour revendiquer de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail. Le mois d’avant, les professeurs du secondaire l’avaient déjà fait.

    Pour sa part, la grève sauvage de cinq jours qu’ont lancé sans préavis les conducteurs de train de la ville industrielle de Sfax et qui a paralysé le système ferroviaire du pays, a été suspendue, « provisoirement », jusqu’au 1er juin, selon un communiqué publié le 18 mai par les grévistes, après un accord avec le syndicat majoritaire, l’Union Générale des Travailleurs Tunisiens (UGTT). Les conducteurs de train ont menacé de relancer la grève au cas où leurs revendications, notamment l’augmentation du salaire de base, la revalorisation des primes ou encore la réactivation des promotions dès cette année, ne seraient pas satisfaites.

    Dans les mines, les syndicats bloquent la production des phosphates, l’une des principales ressources de richesse du pays. A cela s’ajoutent les grèves déclarées par les agents de Transtu (le principal opérateur de transports urbains) pour les 26, 27 et 28 mai ; la grève des agents des stations de péage Mornag prévue pour les 30 et 31 du même mois ; la grève de tous les centres de formation professionnelle pour les 26 et 27 mai et la grève des agents et fonctionnaires du Ministère de l’Intérieur pour les 19, 20 et 21 mai.

    Avec ces grèves, ce sont 474 actions de protestation qui ont été observées au cours du dernier mois en Tunisie, selon les statistiques publiées la semaine dernière par le Forum Tunisien des Droits Economiques et Sociaux. L’ensemble de ces bagarres sont l’expression d’un mal-être social auquel les gouvernements successifs n’ont pas su répondre.

    « Dignité » et « Travail »

    Metlaoui, Om Lrayes, Mdhila et Redayf, villes de la ceinture minière du sud du pays, sont paralysées depuis le 20 mai par une grève générale. Des centaines d’habitants sont sortis dans les rues pour demander du travail et protester contre le chômage.

    Cette action est la poursuite et un saut dans la campagne lancée la semaine dernière avec l’installation de tentes, à Gafsa, pour réclamer « dignité » et « travail ». Une affiche annonce même : « Nous achetons et vendons des diplômes universitaires », clin d’œil au désespoir de beaucoup de diplômés plus de quatre ans après la révolution qui a renversé le dictateur Ben Ali.

    Le désespoir de ces secteurs sociaux va croissant et montre l’énorme désenchantement qui existe autour de la fausse « transition démocratique » entamée par le régime et saluée par tous les pays impérialistes comme l’unique exemple existant de changement dans cette région.

    « Nous avons épuisé nos options », souligne ainsi Zied Salem, qui a fini ses études universitaires en mathématiques il y a neuf ans, mais qui gagnait sa vie de la contre-brande jusqu’à ce que la répression gouvernementale mette fin même à cela. « Après la révolution, nous avions un rêve, mais aujourd’hui, ce rêve est brisé ». Selon Salem, les leaders démocratiquement élus en Tunisie risque courent le risque de subir le même sort que Ben Ali. « S’ils ne nous donnent pas du travail rapidement, nos vies seront encore plus sombres. Nous allons nous révolter et les expulser », conclut ainsi Salem, qui a planté sa tente devant le bureau de la compagnie des phosphates.

    Des paroles qui résonnent lorsque l’on sait que le processus révolutionnaire en Tunisie et dans le monde arabe a éclaté à la suite de l’immolation de Mohamed Bouazizi, en décembre 2010, pour protester contre l’arbitraire des autorités locales.

    Une crise de l’autorité de l’Etat

    Cette contestation sociale croissante montre les difficultés du gouvernement à contenir le mécontentement économique et social alors que les ajustements économiques pèsent durement. Cependant, les augmentations salariales attribuées aux professeurs du secondaire et travailleurs du service public obligeront l’Etat à s’endetter encore plus pour les respecter. Parallèlement, ces luttes ont encouragé d’autres catégories sociales, ravivant un processus qui n’a pas l’air de s’arrêter.

    Le plus grave, pour la bourgeoisie, c’est qu’une crise de l’autorité de l’État ne se manifeste. C’est ce dont rend compte El Watan décrivant l’attitude du gouvernement devant les grévistes : « (…) le gouvernement a décrété, vendredi dernier, un ordre de réquisition à l’encontre [des cheminots], les rendant passibles de poursuites pénales s’ils maintiennent cette grève non reconnue par la puissante centrale syndicale UGTT ». « ’La poursuite de la grève, malgré la réquisition des employés et la non-reconnaissance du mouvement par l’UGTT, reflète les difficultés rencontrées par l’Etat à imposer son autorité », souligne El Watan en citant le secrétaire général du parti Al Massar, Samir Taïeb.

    Le même flottement de l’Etat est observé au niveau du bassin minier de Gafsa, qui entame sa troisième semaine de fermeture globale de toutes les mines de phosphate et des usines d’acides phosphoriques de la région, qui constituent la principale richesse minière du pays. Le chef du gouvernement, Habib Essid, a effectivement annoncé, vendredi dernier, de nombreuses mesures sociales et économiques en faveur des localités du bassin minier pour palier le chômage, la pauvreté et marginalisation qui frappent cette région. Le problème, selon Samir Taïeb, c’est que « des promesses ont été données par les trois gouvernements installés après Ben Ali (Jebali, Laârayedh, Jomaâ), sans être réalisées. »

    L’opposition commence à s’inquiéter : « Si le gouvernement ne prend pas de mesure concrète dans les prochaines deux semaines, la situation peut être plus compliquée et il se peut que nous ne puissions pas la contrôler » affirme Ammar Amroussia, chef du parti Front populaire.

    Un test difficile pour le régime « post-révolutionnaire » tunisien : le rôle-clé de l’UGTT

    La Tunisie a été le berceau du Printemps arabe. Avec l’Egypte, il s’agit du pays dans lequel la classe ouvrière plus ou moins organisée a agi comme une véritable force. Après le renversement de Ben Ali, en janvier 2011, une grande période d’instabilité politique, de démonstrations et de grèves, s’est ouverte et a finalement mis fin au gouvernement de transition composé de figures de l’ancien régime.

    En octobre 2011, les élections pour l’Assemblée constituante ont eu lieu, révélant une carte politique très fragmentée, avec un relatif avantage pour le parti islamiste Ennahda qui a formé un gouvernement provisoire avec trois partis laïcs majoritaires. Mais la situation est devenue de plus en plus instable, caractérisée par une polarisation croissante entre les partis laïcs et les partis islamistes et la poursuite de la détérioration des conditions de vie des classes populaires.

    En 2013, Chokri Belaid, syndicaliste de gauche radicale, a été assassiné. Ce crime politique a provoqué une vague de protestions, y compris une grève générale, et a accéléré l’affrontement entre les secteurs laïcs et islamistes. L’abdication du pouvoir des islamistes a permis une sortie politique dans laquelle l’UGTT a joué un rôle clé.

    La nouvelle Constitution a été récemment approuvée en 2014. A l’issue des élections d’octobre l’an dernier, le parti bourgeois libéral et laïc Nidda Tounés l’a emporté sur Ennahda. Finalement, début 2015, un gouvernement de coalition entre les laïcs et les islamistes modérés s’est formé, à la tête duquel se trouve un ancien fonctionnaire de Ben Ali.

    C’est ce nouveau gouvernement qui se trouve aujourd’hui devant un test social difficile dans le cadre d’une situation économique qui empire. Les éléments mentionnés, ici, vont-ils effectivement conduire à une nouvelle explosion révolutionnaire ? Rien n’est sûr. En revanche, le fait que le nouveau gouvernement, à quelques mois de sa formation, est déjà si contesté par pareille mobilisation démontre une fois encore la vitalité des masses et du mouvement ouvrier tunisien malgré les coups durs et les désillusions.

    La formation d’une aile révolutionnaire capable de succéder à la direction centrale de l’UGTT, cette centrale syndicale énorme et puissante qui joue un rôle important dans le pays depuis l’indépendance et dont le poids et le rôle politique et revendicatif sont allés croissants depuis la chute de Ben Ali, est une question clé dans les prochaines semaines. Son rôle, à la fois dans l’expression de la radicalité des secteurs en lutte et des régions et dans le contrôle de ceux-ci, évitant soigneusement l’affrontement direct avec le pouvoir, est un facteur clé pour expliquer pourquoi le processus révolutionnaire en Tunisie a pu être dévié par des méthodes de réaction démocratique à la différence de l’Égypte et du coup d’Etat contre-révolutionnaire des militaires.

    Surmonter cette direction bureaucratique et élargir l’UGTT jusqu’aux travailleuses femmes et aux salariés du privé, la transformant de l’UGTT en un véritable contre-pouvoir ouvrier et populaire, voilà les tâches centrales dans la prochaine période : pour que les nouveaux symptômes de réveil révolutionnaire des masses tunisiennes ne soient pas à nouveau frustrés ou mis en échec.

    21/05/15 Juan Chingo

    http://www.ccr4.org/Vers-une-nouvelle-explosion

    Comentaire: CCR est un courant du Npa

    Lire aussi:

    http://www.huffpostmaghreb.com/2015/05/26/mouvements-sociaux-tunisi_n_7443444.html?utm_hp_ref=maghreb

     

  • Qatar. Les réformes se font attendre (Amnesty)

    Alors que les droits sont bafoués dans le cadre des préparatifs de la Coupe du monde

    Plus d’un an après les promesses du gouvernement du Qatar de mettre en œuvre des réformes limitées afin d’améliorer les droits des travailleurs migrants, les espoirs de réels progrès s’estompent rapidement, écrit Amnesty International dans un nouveau rapport publié jeudi 21 mai 2015.

    Intitulé Promising little, delivering less: Qatar and migrant labour abuse ahead of the 2022 Football World Cup, ce document présente une « feuille de score » qui évalue la réponse des autorités à neuf questions relatives aux droits fondamentaux des travailleurs migrants identifiées par Amnesty International. Un an après, on constate des progrès modestes sur cinq de ces questions seulement, les autorités n’ayant apporté aucune amélioration pour les quatre autres.

    « Le Qatar ne s’acquitte pas de ses obligations envers les travailleurs migrants.

    L’an dernier, le gouvernement a promis d’apporter des améliorations concernant leurs droits, mais dans la pratique, la protection des droits n’a pas connu d’amélioration notable », a déclaré Mustafa Qadri, chercheur sur les droits des migrants du Golfe à Amnesty International.

    Au cours des 12 derniers mois, peu de choses ont changé au niveau de la loi, de la politique et de la pratique pour les 1,5 million de travailleurs migrants au Qatar, qui demeurent à la merci de leurs parrains et de leurs employeurs. Sur des questions cruciales comme le permis de sortie, la restriction en matière de changement d’employeurs induite par la kafala (système de parrainage), la protection des employés de maison et la liberté de former ou de rejoindre un syndicat, on ne constate pas la moindre avancée.

    « L’absence de feuille de route comportant objectifs et délais pour mettre en place la réforme laisse planer de sérieux doutes sur la détermination du Qatar à lutter contre les atteintes aux droits humains dont sont victimes les travailleurs migrants. Sans une action rapide, les engagements qu’il a pris l’an dernier risquent fort d’être perçus comme un simple stratagème de relations publiques permettant à l’État du Golfe de se cramponner à la Coupe du monde de football de 2022 », a déclaré Mustafa Qadri.

    Sans une action rapide, les engagements qu’il [le Qatar] a pris l’an dernier risquent fort d’être perçus comme un simple stratagème de relations publiques permettant à l’État du Golfe de se cramponner à la Coupe du monde de football de 2022

    Mustafa Qadri, chercheur sur les droits des migrants du Golfe à Amnesty International.

    La FIFA (Fédération internationale de football) doit élire son nouveau président la semaine prochaine, le 29 mai. L’organisme régissant le football au niveau mondial a une vraie responsabilité : il doit accorder la priorité à la question de l’exploitation des travailleurs migrants au Qatar et demander aux autorités, à la fois publiquement et en privé, de mettre en œuvre des réformes cohérentes afin de protéger leurs droits.

    « La FIFA n’a pas lésiné en termes de temps, d’argent et de capital politique, pour enquêter sur la corruption présumée entachant les candidatures de la Russie et du Qatar, et pour établir le calendrier de la Coupe du monde. Elle doit encore s’engager véritablement pour que la Coupe du monde Qatar 2022 ne s’appuie pas sur l’exploitation des travailleurs et les atteintes aux droits humains, a déclaré Mustafa Qadri.

    « La FIFA doit travailler en étroite collaboration avec le gouvernement, le Comité suprême Qatar 2022 – l’organisme chargé de préparer la Coupe du monde au Qatar, les grandes sociétés partenaires et tous les responsables de l’organisation de la Coupe du monde, afin de prévenir les atteintes aux droits humains liées à la préparation de cet événement sportif. 

    La principale proposition de réforme du gouvernement en 2014, à savoir un système de paiement électronique des salaires destiné à modifier le versement des salaires aux migrants, est encore en phase d’application. De nombreux migrants interrogés par Amnesty International au cours des derniers mois se sont plaints de retards de paiement ou de non-versement des salaires.

    Le Qatar n’a pas atteint son objectif qui était de recruter 300 inspecteurs du travail d’ici la fin 2014.

    Les mesures visant à améliorer la sécurité sur les chantiers, à réglementer les agences de recrutement qui relèvent de l’exploitation, et à améliorer l’accès à la justice pour les victimes d’exploitation du travail, n’ont guère donné de résultat.

    Même si le Qatar avait appliqué toutes les réformes annoncées en mai 2014, cela n’aurait pas suffi pour remédier aux causes profondes de l’exploitation généralisée des travailleurs migrants.

    Dans un rapport publié en novembre 2013 (disponible en anglais), Amnesty International a révélé que les atteintes aux droits humains et l’exploitation que subissent les ouvriers migrants de la construction sont monnaie courante, et s’apparentent parfois à du travail forcé. Bien que le Qatar se soit depuis déclaré déterminé à s’attaquer à ce problème, pour de nombreux migrants la situation sur le terrain a très peu évolué.

    Ranjith, travailleur migrant sri-lankais interrogé par Amnesty International en 2015, n’a pas été payé depuis qu’il est arrivé au Qatar il y a cinq mois.

    Il n’a pas de carte d’identité, pas de contrat. Son logement, situé dans un camp de travailleurs dans la zone industrielle, est exigu et sale.

    « Je veux juste travailler et gagner de l’argent pour mon épouse et mes enfants ; à cause de mon parrain, je ne peux pas changer d’emploi. Si je me présente à la police, ils vont m’arrêter et m’expulser parce que je n’ai pas de papiers d’identité », a-t-il déclaré à Amnesty International.

    « La réalité est que plus d’un an et demi après qu’Amnesty International a dénoncé l’exploitation généralisée des travailleurs migrants, peu de mesures ont été prises pour s’attaquer aux racines du problème. La Coupe du monde Qatar 2022 se rapproche, et le temps presse d’effectuer ces changements, a déclaré Mustafa Qadri.

    « Avec le boom de la construction au Qatar et la population des travailleurs migrants qui devrait atteindre 2,5 millions, le besoin de réforme est plus pressant que jamais. »

    La réalité est que plus d’un an et demi après qu’Amnesty International a dénoncé l’exploitation généralisée des travailleurs migrants, peu de mesures ont été prises pour s’attaquer aux racines du problème.

    Mustafa Qadri

    N’ayant pas pour objectif de s’attaquer à l’exploitation du travail, l’action récente des autorités qatariennes fait s’interroger sur leur volonté de couvrir ces atteintes aux droits humains plutôt que de les éliminer.

    En effet, les journalistes et les défenseurs des droits humains qui enquêtent sur les conditions de travail des migrants au Qatar sont placés en détention et interrogés. Au cours du mois d’avril 2015, des journalistes menant des enquêtes sur l’exploitation des travailleurs migrants pour le compte de WDR (radiodiffuseur allemand) et de la BBC ont été placés en détention.

    « En tentant de réduire au silence ceux qui recueillent des informations sur les conditions de travail des migrants par des mesures de détention et d’intimidation, le gouvernement du Qatar montre qu’il s’inquiète davantage de son image que de la réalité que subissent les dizaines de milliers d’hommes et de femmes victimes d’atteintes aux droits humains », a déclaré Mustafa Qadri.

    21 mai 2015, 18:35 UTC

    https://www.amnesty.org/fr/articles/news/2015/05/mounting-risk-of-world-cup-built-on-abuse-as-qatar-fails-to-deliver-reforms/

  • Mobilisations téméraires des employées de maison au Liban (Orient 21)

    Face à l’exploitation et au mépris

    Elles sont des dizaines, voire des centaines de milliers à travailler au Liban comme domestiques. On peut les voir quelquefois accompagner des enfants à l’école, porter les courses de leurs employeurs. Soumises la plupart du temps à l’exploitation, en butte au mépris, elles ont commencé à s’organiser envers et contre tous, notamment contre le gouvernement qui refuse de reconnaître le syndicat qu’elles ont créé.

    Des femmes privées de protection sociale se réveillent dans nos maisons, sans qu’on sache comment elles vont. Silencieuses et travailleuses, à longueur de journée elles lavent, sèchent, repassent, cuisinent, pressent, cisèlent, hachent, épongent, gardent nos enfants et répondent «  ça va  » parce qu’elles n’ont pas d’autre réponse à donner, qu’on ignore tout de leur passé et de leur histoire, de leurs enfants qu’elles ont abandonnés au pays pour venir travailler au Liban. Elles sont un peu plus de deux cent mille, d’origine diverse : Philippines, Sri Lanka, Cameroun, Éthiopie, Népal…

    «  Si vous ouvrez tous ces étages maintenant  », nous dit Rose en indiquant un haut et large édifice, «  vous pouvez voir qu’il y a des filles dedans qui n’ont même pas le droit de se mettre devant les fenêtres et regarder ce qui se passe. C’est nous, qui pouvons être dehors, qui pouvons lutter pour elles. Sinon, qui va le faire  ? C’est pour cela que j’ai rejoint ce mouvement  ».

    Un syndicat pour les travailleuses domestiques

    Cette année, la célébration du 1er mai par les employées de maison au Liban a un goût particulier. Elle marque la formation — inédite dans le monde arabe — de leur syndicat le 25 janvier dernier, avec le soutien de l’Organisation internationale du travail (OIT), de la Confédération syndicale internationale (CSI) et de la Fédération nationale des syndicats, des ouvriers et des employés au Liban (Fenasol). Les employées de maison sont, pour la première fois dans l’histoire du pays, les porte-paroles de leurs propres revendications, que transmettaient jusqu’alors des ONG libanaises.

    Rose est la vice-secrétaire de ce tout jeune syndicat.

    Arrivée du Cameroun il y a une quinzaine d’années, âgée de 45 ans, elle a eu la chance de tomber sur une «  dame très correcte  » qui lui a accordé beaucoup de liberté. «  Je suis privilégiée par rapport aux autres, et cette liberté me permet d’être à l’écoute de mes camarades. De les recevoir chez moi. Ainsi suis-je devenue le leader de ma communauté. Avant la création de ce syndicat, je ne savais pas à qui ni où transmettre les multiples plaintes que je recueillais. C’est bien d’assurer un espace d’écoute, ça aide les employées à évacuer leurs souffrances, mais la loi est plus que nécessaire. C’est le seul garant de nos droits. Si la loi existe, je ne suis pas sûre que les gens se permettront de se comporter comme ils le font. La plupart des femmes arrivent au Liban sans savoir vraiment ce qui les attend. On nous promet du travail au Liban et on découvre les conditions ici. On tombe dans le bain. Tout ce qui nous souhaitons dans la création de ce syndicat c’est de nous rendre visible, de montrer que nous existons. Le Liban doit ratifier la convention de L’OIT1  !  »

    Cependant, en l’absence de reconnaissance institutionnelle, la souffrance que crée la servitude reste une plaie ouverte. Le ministère du travail refuse de légaliser le syndicat, ignorant la demande envoyée en janvier. Farah Salka, la coordinatrice générale de l’Anti-racism Movement (ARM) condamne le mépris du ministre actuel, Sejaan Azzi qui, dit-elle «   nous reçoit avec des insultes et des agressions verbales alors qu’il est censé, en tant que ministre, défendre les droits des employées… Il les terrorise  ! Je ne comprends pas sa réticence. C’est dans son intérêt de répondre à leurs réclamations parce que le syndicat existe, qu’il le veuille ou non.  »

    Lutter contre l’isolement du plus grand nombre

    Mais cette minorité de travailleuses domestiques cache difficilement la majorité silencieuse qui souffre d’un isolement parfois poussé à l’extrême, qui ruine leur santé mentale. Les suicides se multiplient. Les ambassades des pays fournisseurs de main d’œuvre ne soutiennent pas leurs ressortissantes. Certaines femmes sont privées de nourriture, battues, agressées sexuellement pendant des mois par leur patron2. Une jeune femme sauvée par l’association Kafa a ainsi été exploitée sexuellement par sa patronne qui l’a vendue à plusieurs hommes. Certaines se font traiter injustement de voleuses pour éviter à la fin du contrat de payer à l’employée le billet d’avion de son retour. Et quand elles souffrent de problèmes de santé graves, elles ne peuvent bénéficier d’aucun soin.

    De toutes les histoires recensées et subies, c’est la xénophobie qui fait le plus souffrir. Certaines femmes subissent des humiliations totalement gratuites, une surcharge de travail parfois inutile et épuisante. Privées d’intimité, il arrive qu’elles n’aient pas de chambre à elles  ; elles couchent alors dans la cuisine, le séjour, sur des lits pliants ou dans des balcons minuscules transformés en «  chambres de bonne  ». Les toilettes sont le seul lieu où il existe une porte qu’elles peuvent fermer. Rose a d’ailleurs refusé mon invitation à aller prendre un café sur la terrasse en face. Nous sommes restées debout sur le trottoir. «  Vous savez pourquoi j’évite d’aller dans des cafés  ?  », me dit-elle à la fin de l’entretien. «  Quand j’entends “hiye chou badda”, c’est-à-dire “qu’est-ce qu’elle veut commander  ?”, ça m’énerve  ! Le reste je m’en fous, on peut me cracher dessus dans la rue. Je lave à l’eau et ça part. Mais quand on parle de moi à la troisième personne, ça m’énerve  ! Je ne peux plus entendre ce mot de “hiye”.

    Dépersonnalisées et chosifiées, elles sont interdites de vie privée. L’argument qui revient souvent quand on interroge les familles qui défendent à leur employée de sortir seule est la peur «  qu’elle se lie à des hommes et qu’elle ramène des maladies  ». Le mépris social se superpose au mépris raciste. En marge des clichés les plus éculés (la laideur et la saleté), on interdit à l’employée toute sexualité afin d’éviter un contact avec une classe sociale inférieure et par conséquent jugée malsaine et porteuse de maladies.

    Autre interdit raciste et paradoxal : l’accès aux piscines et aux plages privées, de peur qu’elles ne «  salissent l’eau  » alors que par ailleurs ce sont elles qui cuisinent et qui donnent à manger aux enfants.

    La kafala infantilisante et esclavagiste

    La kafala3 légalise ce système esclavagiste qui déshumanise les employées. «  Il ne peut plus être maintenu, réplique Farah Salka. Ce “garant”, s’il devient l’agresseur, l’agressée ne peut pas porter plainte contre lui. Il faut trouver un autre moyen  ! La législation du travail au Liban — qui n’a pas bougé depuis l’indépendance en 1943 et qui nécessite des soins intensifs en grande urgence — ne prend pas en compte ces deux cent mille travailleuses immigrées. Le modèle libanais datant du mandat n’est pas le meilleur droit du travail au monde, mais au moins il comporte quelques bases essentielles, parmi lesquelles la limitation des heures de travail, les congés annuels, le congé de maternité, la possibilité de démissionner.  »

    Plus on s’éloigne de Beyrouth, plus ces personnes sont isolées, voire séquestrées. Les réseaux sociaux ont beaucoup contribué à sociabiliser les plus isolées et les plus vulnérables quand elles bénéficient du «  luxe  » d’y accéder. C’est ainsi que Tabel, atteinte de tuberculose, enfermée dans le local à poubelle de l’agence de recrutement alors qu’elle crachait du sang a pu alerter une amie grâce à des textos envoyés via un téléphone portable. C’est pour répondre à cet isolement que le Migrant Community Center (MCC) prépare l’ouverture d’une antenne à Jounieh et une autre à Saida.

    Face au désintérêt total et à l’abandon par les ambassades de leur ressortissants, le MCC, créé il y a trois ans en collaboration avec ARM assure un espace de formation, des cours de langues, des ateliers de toutes sortes (musique, yoga, couture), organise des rencontres, des réunions, des fêtes d’anniversaire, de mariage... Le centre met sur pied également des excursions, et certaines émigrées vivant au Liban depuis dix à vingt ans découvrent pour la première fois de leur vie d’autres villes que la capitale où elles résident.

    Reproduction des inégalités de genre

    Je demande à Rose de me parler de ses projets d’avenir. Elle respire profondément et me répond sans hésiter : «  rentrer chez moi et voir grandir mes petits-enfants.  ». Au sacrifice de leur propre vie de famille qu’elles ont quittée en abandonnant leurs enfants pour partir élever ceux des autres, ces travailleuses assurent d’une certaine façon un équilibre au sein des couples libanais. Le poids des traditions est en effet lourd pour une génération «  mondialisée  » et voyageuse et les repères difficiles à trouver.

    Les Libanaises refusent à présent de reproduire le schéma maternel et d’assurer les tâches domestiques, mais les hommes se croient «  dévirilisés  » quand ils sont sollicités. L’employée de maison est le remède contre les tensions que peuvent générer dans un couple les tâches ménagères. Dans la mesure où c’est un domaine classiquement réservé aux femmes et confondu avec le travail gratuit que nécessite l’épuisant et contraignant entretien des maisons, les choses se gèrent entre femmes. La violence que les femmes employeuses font subir à leurs employées égale en puissance celles qu’exercent les hommes sur leurs femmes au Liban.

    La reproduction des inégalités de genre est de ce fait déléguée aux femmes dans le secret des foyers, au sein de ce «  triplet  » partageant le même toit (les travailleurs immigrés de sexe masculin, pour leur part, ne sont jamais séquestrés à l’intérieur des maisons malgré des conditions de vie précaires). Les femmes libanaises n’ont en général pas accès à la politique  ; ou alors il s’agit de remplaçantes d’hommes absents, d’épouses, de filles ou de sœurs de personnalités politiques assassinées. Elles ne peuvent pas transmettre leur nationalité à leurs époux et à leurs enfants, elles ne peuvent pas léguer leurs biens en héritage. Quand elles sont victimes de viols ou de violences conjugales, elles ne sont pas protégées par la loi. Que dire dès lors du sort réservé à des étrangères n’appartenant à aucune des communautés composant le pays, coupées de leur famille, abandonnées par leurs ambassades et non reconnues par l’État du pays qu’elle habite  ?

    Rita Bassil 13 mai 2015
     
     
    Voir aussi:
     
  • Egypte. Ce que la persistance des grèves en Égypte nous dit de la révolution (A l'Encore)

    Tora Cement workers on strike last December. Photo by Amr Abdallah.

    Les informations qui nous parviennent d’Égypte au travers des grands médias se résument à la montée du terrorisme islamiste, à la forte répression du régime à l’encontre des Frères Musulmans et à la crise du tourisme. Si l’on cherche l’information du côté des forces révolutionnaires démocratiques, l’accent sera mis sur l’incroyable violence répressive du régime militaire de Sissi, non seulement contre des Frères Musulmans mais aussi – avec l’aide d’une partie de l’opposition laïque, démocrate, nassérienne et de gauche qui a soutenu ou soutient encore Sissi – contre la liberté d’expression, des journalistes, des artistes, des intellectuels, des athées, des homosexuels et de tous ceux qui les défendent. L’arbitraire et la férocité répressive de Sissi ont en effet largement dépassé ceux de tous ses prédécesseurs, Moubarak compris.

    Une répression terrible et ses conséquences

    Aujourd’hui, le régime condamne à mort des centaines de Frères Musulmans y compris Morsi, emprisonne nombre de figures de la révolution de 2011 et des milliers et des milliers de militants révolutionnaires ou simplement laïcs, athées, démocrates ou syndicalistes, censure la presse, interdit les manifestations et étrangle le droit de grève, dissous les clubs de supporters de foot «Ultra» en décrétant que ce sont des organisations terroristes, menace de classer le «Mouvement du 6 avril» parmi les groupes terroristes, accuse les «Socialistes Révolutionnaires» de conspirer avec des forces étrangères pour semer le chaos dans les rues égyptiennes, discute d’interdire les syndicats indépendants et interdit la grève aux employés de l’État…

    La répression est telle qu’il semble ne plus que lui rester à dissoudre le peuple ou à l’interdire… En même temps, il libère, amnistie et réintroduit dans le système ceux que la révolution avait renversé, à commencer par Moubarak, sa famille et les membres de son parti, le PND (Parti national démocratique), policiers et militaires violents, hommes d’affaires corrompus, qui envahissent à nouveau les coulisses du pouvoir.

    Ainsi, bien des militants démocrates révolutionnaires réprimés, persécutés, emprisonnés, parfois tués sont le plus souvent découragés. Le paysage politique pour eux s’en trouve fortement déprimé, borné à la bipolarité des deux impasses que sont l’État militaire et les Frères Musulmans. Bref, pour eux la révolution a échoué, n’étant plus qu’un lointain souvenir.

    Et ici, comme un lointain écho, certains se demandent si la révolution a été bien utile et même parfois s’il y a eu une vraie révolution, retrouvant alors parfois le même fond plus ou moins conscient de préjugés paternalistes qui leur avait fait regarder les soulèvements des peuples arabes avec beaucoup de distance et peu d’espoir en leur avenir.

    Des luttes sociales nombreuses malgré les obstacles

    Pourtant, ce qui est frappant aujourd’hui,c’est que les luttes sociales continuent et ne fléchissent pas. Soulignons-le: malgré la censure qui frappe les organes de presse, malgré le peu d’intérêt que la majeure partie d’entre eux porte aux luttes sociales, les luttes ouvrières sont visibles et continuent malgré la répression quotidienne où tout individu qui s’oppose au régime est classé islamiste, c’est-à-dire pour le régime, terroriste, et donc peut-être licencié, arrêté, emprisonné, torturé voire tué dans l’arbitraire le plus total.

    Tout récemment, la Haute Cour Administrative a ainsi décidé que la grève d’un fonctionnaire devenait un crime, exposant chaque employé de l’État qui a fait grève ces dernières années à des poursuites. Elles peuvent aller de la simple absence de promotion au licenciement mais aussi à la prison. Par exemple, un militant vient d’être condamné à 6 mois de prison ferme pour n’être que simple porteur d’un tract relatant la grève de salariés réclamant leur salaire; ou encore quatre militants ouvriers de l’aciérie d’Helwan – actuellement en grève la faim – car ils sont «déplacés» sur un autre site au motif qu’ils ont animé une grève en 2011 ; cela à l’instar de comme beaucoup d’autres ouvriers ou militants dans ce cas. On parle parfois de 15’000 travailleurs «démissionnés» depuis 2011 pour fait de grève ou de résistance au patron.

    Il faut encore souligner que les luttes continuent bien que les organisations de gauche et nassériennes aient fait appel à Sissi contre la seconde révolution de juin 2013, aient soutenu le régime de longs mois ou le soutiennent encore pour certaines d’entre elles.

    Et puis, elles continuent aussi malgré le fait que la principale confédération syndicale du pays (ETUF) est plus une organisation policière au service du régime qu’un véritable syndicat. Ainsi, pour le premier mai 2015, l’ETUF a appelé à «finir les grèves et augmenter la production et le travail». Enfin, ces grèves continuent bien que les deux principales confédérations syndicales indépendantes nées de la révolution de 2011 (aujourd’hui il y en a 6), EFITU et EDLC, soutiennent le pouvoir, aient fait la campagne électorale de Sissi, aient donné à son gouvernement son premier ministre du travail et aient renouvelé en 2013 comme en 2014, les appels à cesser les grèves et à produire avant tout.

    Des grèves économiques dans tous les secteurs, mais aussi souvent politiques

    La Tunisie post-révolutionnaire connaît chaque année un nombre croissant de grèves. Ce n’est pas le cas en Égypte. Mais cela parce que l’année 2013, lorsque Morsi était au pouvoir, a connu à l’échelle de l’histoire et du monde des chiffres jamais atteints. A côté, la révolution russe paraît un long fleuve tranquille. Ce qui fait que les comparaisons doivent être faites à cette mesure.

    Au premier trimestre 2015, étaient recensées 393 grèves ou manifestations ouvrières contre 1420 durant la même période en 2014. Mais la comparaison souffre du fait que le premier trimestre 2014 a été lui aussi exceptionnel de ce point de vue, faisant même chuter le gouvernement de Sissi de l’époque. En fait le nombre de grèves des autres trimestres de 2014 a été du même niveau que celui de ce début d’année 2015, un niveau élevé, tout spécialement dans une dictature qui interdit les grèves.

    Pour ne parler que des dernières grèves parmi les plus importantes, il y a eu en mars des grèves des 600 salariés de la Compagnie des ciments de Suez et de quatre autres usines du groupe (filiale d’ItalCiment), des ouvriers des aciéries de Suez, de ceux l’aciérie d’Helwan près du Caire, des 1000 ouvriers d’un des principaux ports, Ain Sokhna, d’une partie des boulangers d’Alexandrie, des instituteurs…  En avril, des 3000 ouvriers des Ciments de Tourah (qui durera un mois et demi), des Huiles et Savon de Suez, de la distribution des journaux, de la distribution chez Metro Market, des 3000 salariés de la Compagnie du gaz (trois semaines), des 1700 salariés de la Société Égyptienne Immobilière (au moins une semaine), des 1700 salariés de la Compagnie de construction et des 4000 salariés de la compagnie Beheira à Giza, des ouvriers et employés de l’université américaine du Caire, (soutenus par les étudiants), des étudiants de l’Institut de technologie d’Ismaïlia… Il y a aura aussi la démission collective de 224 pilotes d’Air Égypte début mai, l’annonce d’une grève des journalistes en juin…

    Les revendications de ces grèves sont multiples, mais tournent le plus souvent pour ce qui est des revendications économiques autour des conditions de travail, des salaires et de la participation aux bénéfices.

    Ce qui est marquant, c’est que le gouvernement a beau intensifier la répression et multiplier les lois répressives, «personne ne respecte la loi» comme le faisait remarquer un gréviste. Depuis mars 2011, chaque gouvernement a ainsi limité ou interdit grèves et manifestations, multipliant les lois dans ce sens et pourtant les grèves et manifestations ont continué, même dans les prisons, avec les grèves de la faim.

    Le «Mouvement du 6 avril est dissous», mais il tient des conférences de presse publique ; les «Ultras» sont décrétées terroristes, mais la blogosphère des supporters défie au quotidien les autorités, affirmant haut et fort que le mouvement «Ultra» est un mouvement d’idées et qu’il n’a pas besoin de gilet pare-balles; les grèves sont quasi interdites, mais il y en a 5 importantes par jour.

    Un des exemples les plus visibles de cet état de fait a été, fin janvier 2015, ce qu’on a appelé «La république de Matariya». Pendant plusieurs jours, les habitants de ce quartier très populaire du Caire se sont insurgés, chassant les policiers du quartier, brûlant leurs véhicules, réussissant à établir, malgré une violence inouïe de la répression, une zone où la police ne faisait plus la loi. Et tout cela n’a rien à voir avec les Frères Musulmans, même si la presse aux ordres dénonce chaque protestation, de quelque nature qu’elle soit, comme le fait des islamistes.

    Cette situation fait que les revendications économiques sont toujours très proches des exigences politiques qui portent, elles, bien sûr, sur la dénonciation de la répression, mais aussi sur la corruption des dirigeants, l’exigence de leur limogeage et la renationalisation des entreprises récemment privatisées comme tout récemment encore à Tanta Lin, aux ciments de Tourah ou dans l’usine textile géante de Mahalla El Koubra.

    On retrouve là ce qui a fait le fond des revendications ouvrières pendant les révolutions de janvier 2011 et juin 2013 ou encore lorsque le gouvernement Beblawi a été renversé en février 2014, à savoir que la révolution ne voulait pas tant la chute de Moubarak que la chute de tous les petits Moubarak à tous les échelons de l’économie et de l’appareil d’État pour une mise des ressources économiques sous le contrôle du peuple. Bref, le programme embryonnaire d’une révolution sociale.

    Or ce courant qui a joué un rôle majeur dans la révolution n’a jamais eu d’expression politique sauf en mars-avril 2014 lorsque la grève des médecins pour une santé pour tous a cherché à s’associer aux ouvriers en lutte contre les privatisations en réalisant tout à la fois pour la première fois dans l’histoire de la révolution égyptienne, des coordinations interprofessionnelles sous contrôle des grévistes eux-mêmes et, en même temps, un programme populaire et révolutionnaire regroupant les principales revendications du peuple égyptien.

    C’est cette émergence si dangereuse pour les notables qui a décidé Sissi à se présenter aux présidentielles pour couper cours à cette évolution avec d’abord une posture démagogique nassérienne pour ensuite déclencher une répression féroce à la hauteur de la peur des possédants, les deux durant toujours. On le voit aux hésitations permanentes du pouvoir entre le talon de fer de la répression la plus féroce et les déclarations les plus rassurantes stigmatisant ses propres ministres pour calmer la montée des colères alors qu’il est clair aux yeux de tous qu’il est incapable de régler les problèmes économiques du pays.

    Les grèves n’ont jamais cessé depuis 2006

    Par facilité de pensée, on admet trop souvent que la révolution a donné naissance au mouvement des grèves.

    Or si c’est en partie vrai – on l’a vu avec l’explosion des syndicats indépendants après janvier 2011, on a vu aussi que ces nouvelles confédérations indépendantes se sont rapidement opposées aux grèves – c’est globalement faux. Il y a eu seulement une accélération d’un processus commencé avant, et qui continue aujourd’hui à ce niveau porté plus haut.

    Il vaudrait donc mieux dire que les révolutions de 2011 comme de 2013 n’ont pas déclenché ce processus, mais l’ont révélé, en ont démontré la force alors que ce mouvement existait bien avant; en fait depuis 2006.

    Sous Moubarak, en 2006-2007, malgré sa dictature, on comptait en effet déjà une grève par jour. Ce qui était exceptionnel et n’était pas arrivé depuis…1951. Et aujourd’hui, en ce début 2015, nous en sommes à 4 ou 5 grèves importantes par jour.

    En raisonnant ainsi, on voit que la chute de Moubarak devient un épisode d’une phase plus longue et non pas son principe explicatif. Cette chute a en effet été trop souvent perçue, quoi qu’on en ait dit, comme un «début», un point de départ et en même temps, un aboutissement. Comme si le renversement de Moubarak devenait le point d’orgue de la révolution et résumait, concentrait, expliquait mais aussi clôturait toute «la» révolution.

    Bien sûr, des observateurs ont signalé, avec le rôle important des luttes ouvrières dans le renversement de Moubarak, que cette période de luttes s’était ouverte bien avant, à partir de 2004-2005, avec une montée significative de 2006 à 2009. D’autres, ou les mêmes, ont indiqué que la révolution devait se penser sur une durée longue car le régime actuel ne pourrait pas satisfaire aux problèmes économiques et sociaux à l’origine de la poussée révolutionnaire et qu’il y serait à nouveau confronté un jour ou l’autre. Enfin, certains voyaient bien que la chute de Moubarak, lâché par l’armée, n’était qu’un moyen de faire semblant de satisfaire aux exigences révolutionnaires prolétariennes tout en sauvant l’essentiel. Enfin, lié à cela, quelques-uns notifiaient que le renversement de Moubarak n’était pas l’objectif de cette révolution pour le «pain,la justice sociale et la liberté» mais cherchait dans cet objectif le renversement de tous les petits Moubarak à tous les niveaux de l’économie, de la propriété ou de l’État.

    Le problème est qu’aucune organisation politique, aucun courant intellectuel ne s’est réellement fait l’expression de cette révolution sociale qui se cherchait sous la révolution démocratique.

    Et même parmi ceux qui avaient remarqué le phénomène, aucun ne s’est avéré capable de définir ou même de chercher une politique ouvrière et socialiste indépendante – à part dans le très court espace de mars et avril 2014 – qui aurait permis l’expression des aspirations de cette révolution ouvrière.

    Des luttes ouvrières qu’il faut penser à l’échelle mondiale

    Si l’on prend au sérieux les grèves actuelles, qu’on les voit comme la continuité de celles de 2006, ça signifie que les luttes ouvrières actuelles ne sont pas le résidu, la fin ou la queue d’une comète révolutionnaire en train de s’éteindre, mais l’expression profonde de cette révolution qui continue à se chercher sans toujours pour le moment trouver d’expression politique.

    Et si on raisonne ainsi, c’est-à-dire qu’on lie la révolution sociale invisible en cours et en recherche d’elle-même, il faut la relier aux questions économiques qu’a rendues très visibles le «gouvernement des millionnaires» de 2004-2005 par son énorme vague de privatisation et de libéralisation. Bref, cela veut dire qu’on lie cette révolution sociale non pas simplement à un phénomène égyptien, voire arabe, ou lié au chômage, ou à tel ou tel ou tel autre problème social local, mais à la vague de libéralisme intervenue depuis les années 1990 dans la sphère économique mondiale sous l’impulsion de la crise économique planétaire et au signal du gouvernement Reagan en 1985.

    Cela signifie qu’on n’a pas affaire en Égypte à un mouvement de lutte contre un régime dépassé, archaïque, isolé, mais à un mouvement de luttes qui cherche à mettre un cran d’arrêt à la vague mondiale de libéralisme devant laquelle les travailleurs égyptiens – et bien d’autres – ont d’abord baissé la tête durant les années 1990 et au début des années 2000.

    Soyons clairs, ces luttes en Égypte ne gagnent pas tout le temps, loin de là. Mais elles gagnent suffisamment – il y a eu par exemple un quasi-doublement du Smic pour les fonctionnaires d’État, ou les salariés des ciments de Tourah en ce mois de mai ont obtenu presque tout ce qu’ils demandaient – mais, surtout, elles ne cessent pas. Ce qui fait que sans empêcher la vague libérale de continuer, ces grèves y mettent un sérieux frein et posent un problème aux capitalistes: les ouvriers ont cessé de subir et d’accepter.

    Il faut donc lier ce qui se passe en Égypte à ce qui se passe dans de nombreux pays émergents, de la Tunisie, ou dans le monde arabe bien sûr, mais aussi aux luttes du Bangladesh en passant par celles de Turquie, du Brésil ou de toute l’Afrique de l’Ouest aujourd’hui, mais surtout de la Chine, et constater qu’on a là le même mouvement.

    En Chine, en 2010, une vague de grèves a mis un point d’arrêt au libéralisme effréné, au recul sans fin, ouvrant à une période de hausse des salaires qui ne peut qu’avoir des conséquences mondiales. Aucun prolétariat, exploitable corps et âme, ne peut remplacer le prolétariat chinois étant donné l’ampleur numérique de ce dernier. La Chine de 2010 a ainsi mis un coup d’arrêt à la vague libérale initiée dans les années 1990.

    Or, c’est dans ce contexte que s’est faite la chute de Moubarak et à partir de là qu’il faut penser les événements du Burundi ou du reste de l’Afrique; c’est pour ça que le mouvement en Égypte continuera comme ailleurs et que sa solution se trouvera à l’échelle mondiale, au Moyen Orient, en Afrique, en Chine… ou ici, et que nous y sommes tous donc totalement impliqués.

    L’orientation qui en découle

    Plus que jamais nous devons raisonner à cette échelle et en internationalistes.

    Mais posons la question: qui aujourd’hui, ne pense pas la révolution en Égypte isolée, tout juste liée à la tunisienne et encore, et de là qu’elle est finie, que la contre-révolution a gagné, ou, en tout cas, qu’elle est sur une voie tellement déclinante qu’elle est moribonde?

    Et qui, dans ceux qui pensent quand même qu’on a affaire à un phénomène long et le liant au contexte international, ne se demandent cependant pas si cette analyse n’appartient pas seulement à l’éternel «optimisme révolutionnaire» de principe, à une espèce de décor théorique artificiel plaqué sur une réalité déprimante?

    Qui se dit, en poussant l’idée jusqu’au bout, que le plus probable pour comprendre ce qui se passe et définir une orientation, est qu’un nouveau cycle de luttes ouvrières a commencé dans l’ensemble des pays émergents, dont l’Égypte et le monde arabe ne sont qu’une des expressions, avec toutes les variations possible suivant la situation des pays et son entrée dans la vague libérale mondiale?

    L’épisode de la chute de Moubarak au mitan de ce cycle de luttes ouvrières n’est pas directement lié à lui, mais s’est produit lorsque la révolution sociale a croisé la révolution démocratique, réactivée brutalement elle-même par la chute de Ben Ali en Tunisie, alors qu’elle était moribonde à ce moment en Égypte. C’est l’impulsion tunisienne qui a réveillé le mouvement démocratique, mais c’est la révolution ouvrière en puissance qui a donné sa force et son énergie à ce courant démocratique, qui l’a poussé jusqu’à des positions révolutionnaires au-delà de ses habitudes et de ses dirigeants habituels, poussant la jeunesse devant, occupant les places , se faisant entendre à l’échelle internationale et lui a permis d’aller jusqu’au renversement de Moubarak et de Morsi. C’est cette révolution sociale qui a fait que l’armée a choisi de lâcher – momentanément – Moubarak, sacrifiant l’ombre pour la proie.

    Mais cette attitude de l’armée, s’appuyant sur la révolution démocratique pour maîtriser la révolution sociale, permettait à cette première de se mettre à la tête de la révolution social, rendant ainsi la seconde invisible à ses propres acteurs, en même temps que les secteurs les plus timorés de la Démocratie n’avaient cesse, eux, depuis 2011 de combattre la révolution sociale en cherchant en permanence l’alliance avec les forces réactionnaires, religieuses ou militaires et saper par là même les bases de la révolution démocratique.

    Toute l’histoire de ces quatre dernières années a été l’histoire des coups de boutoir pour pousser la révolution plus loin, des combats où la classe ouvrière a entraîné la jeunesse démocratique et en même temps l’histoire de leur trahison systématique par les secteurs dirigeants de la Démocratie et de la gauche politique et syndicale nassérienne et réformiste, s’alignant finalement soit derrière les militaires, soit derrière les Frères Musulmans.

    Les courants les plus avancés et courageux de cette révolution démocratique sont aujourd’hui au plus bas, ses militants emprisonnés, découragés Ses représentants les plus pusillanimes se sont eux alignés derrière Sissi en renonçant à tout ce quoi ils croyaient.

    Mais la révolution ouvrière, elle, continue, mais malheureusement toujours sans conscience politique visible non plus. C’est là où les révolutionnaires internationalistes d’Occident, dans une situation moins difficile, sans être en situation de vouloir ou pouvoir de loin une politique pour les classes populaires d’Égypte, pourraient tout au moins s’attacher à démêler les intérêts fondamentaux de la classe ouvrière de ceux des autres classes sociales dans ce pays et la région. Et, de la sorte, porter la réflexion et l’analyse à l’échelle des enjeux mondiaux en cours afin de ne pas abandonner cette révolution ouvrière et ses 27 millions de travailleurs et ouvrir de réelles perspectives y compris ici. (17 mai 2015)

    Publié par Alencontre1 le 17 - mai - 2015

    Par Jacques Chastaing

    http://alencontre.org/moyenorient/egypte/egypte-ce-que-la-persistance-des-greves-en-egypte-nous-dit-de-la-revolution.html

  • Tunisie : recrudescence des luttes pour les salaires et l’emploi (Essf)


    La vague révolutionnaire qui a débouché sur la fuite de Ben Ali exprimait bien entendu une immense aspiration à la liberté. Mais elle n’était pas que cela.


    Parmi ses mots d’ordres figurait également la revendication de vivre dignement, à commencer en ayant un emploi. Ce n’est pas un hasard si tout s’était enclenché à partir du geste désespéré d’un jeune vendeur ambulant de l’intérieur du pays. Ce n’est pas un hasard non plus si, trois ans plus tôt, avait eu lieu le soulèvement social du bassin minier de Gafsa qui a servi de répétition générale à la révolution de 2011.

    Des lendemains sociaux qui déchantent

    Malgré cela, la situation matérielle de la grande majorité de la population s’est considérablement dégradée depuis le 14 janvier 2011.  A partir du printemps 2011 les mobilisations ont reflué. Dans la foulée, de multiples raisons ont été ensuite avancées pour remettre perpétuellement les batailles sociales à plus tard.


    * Tout d’abord « le risque de voir le pays sombrer dans le chaos », puis la nécessité de « paix sociale » avant les élections d’octobre 2011, suivi d’un réel moment de démoralisation des militant-e-s après les résultats de celles-ci.


    * En 2012 et 2013, il en a été de même. Le spectre d’un « hiver islamiste » hantait en effet la Tunisie, ponctué notamment par les exactions de milices islamistes et de la police, la volonté gouvernementale de remettre en cause les droits des femmes, les tirs policiers à la chevrotine sur la population de Siliana fin novembre 2012, l’attaque du siège de l’UGTT le 4 décembre 2012, le meurtre de dirigeants du Front populaire le 6 février 2013, puis le 25 juillet.


    * Au lendemain de ce deuxième assassinat, la constitution du « Front de salut national » où se retrouvaient notamment le Front populaire et Nidaa Tounes, puis le « dialogue national » sous l’égide de l’UGTT et du syndicat patronal ont donné de nouveaux arguments pour geler les luttes sociales.

    Résultat, le bilan des années 2011-2013 a été catastrophique sur le plan économique et social :


    * d’un côté la politique néo-libérale en vigueur sous Ben Ali s’est poursuivie de plus belle,
    * de l’autre les chômeurs ont été plus nombreux, les démunis encore plus pauvres, et les salariés ayant un emploi stable ont vu leur pouvoir d’achat se dégrader considérablement.

    La remontée fulgurante des luttes revendicatives

    Le gouvernement qui a succédé en janvier 2014 à celui d’Ennahdha a prolongé et renforcé la politique économique et sociale antérieure. Mais certaines des raisons avancées précédemment pour remettre les luttes sociales au lendemain ont perdu de leur crédibilité. Fin octobre 2014, le nombre total de journées de grève depuis le début de l’année avait déjà dépassé le chiffre record de l’année 2011. 1Dans les mois qui ont suivi, une avalanche de conflits s’est développée.

    * Une partie sont menés par « les plus précaires comme ceux qui travaillent sur les chantiers et dont beaucoup gagnent moins que le SMIC, ou encore les chômeurs. Cette catégorie ne va pas rester les bras croisés. Ils ont attendu depuis quatre ans dans l’espoir d’une feuille de route prenant en con- sidération leur situation. Mais il n’y a rien eu » expliquait début janvier 2015 Abderrahmane Hedhili. (2)
    Depuis le début de 2015, de multiples luttes pour l’obtention d’un emploi se développent. Dans la région de Gafsa, où le taux de chômage est officiellement de 26 %, des chômeurs paralysent totalement le bassin minier et toute l’industrie chimique tunisienne dépendant du phosphate. C’est une situation inédite en Tunisie qui aggrave encore plus la crise générale du pays.

    * Les luttes sont également multipliées parmi les salariéEs ayant un emploi stable, et notamment ceux du secteur public qui ont rongé leur frein depuis plus de trois ans : les salaires des fonctionnaires ont par exemple été gelés depuis 2012, alors que l’inflation cumulée a été de 17,2 % sur les trois dernières années. Figure le plus souvent en bonne place la revendication d’application d’accords qui ont été signés, mais qui n’ont jamais été appliqués.
    Les salariés des transports ont ouvert le bal en 2015, avec notamment une grève sans préavis qui a paralysé plusieurs jours Tunis mais s’est terminée par un échec.

    Début avril 2015, les enseignantEs du secondaire, ont remporté par contre une victoire historique : après plusieurs grèves de 48h à près de 100%, le blocage des examens du premier trimestre 2015 et la menace de bloquer également les examens de fin d’année, ils/elles ont obtenu des revalorisations salariales étalées sur les trois prochaines années de 30 à 40 % suivant la situation personnelle des intéressés, ainsi que la mise en place d’un « dialogue national sur la reconstruction de l’éducation ». Participent à ce débat le gouvernement, les syndicats enseignants et les principales associations. Les syndicalistes enseignants ont exigé et obtenu que le patronat, dont l’objectif est de privatiser l’Education, soit exclu de ce « dialogue ».

    * Cette victoire a renforcé la confiance de salariéEs dans leur capacité à lutter.
    C’est en particulier le cas dans le secteur public où toutes les branches organisent successivement des journées de grève massivement suivies.Comme dans le cas de l’enseignement, les revendications combinent en général à la lutte pour les salaires celle pour la défense et la reconstruction du service public.
    Des grèves ont également lieu dans le secteur privé, par exemple dans la grande distribution, l’industrie alimentaire ou le tourisme. (3)

    Quel positionnement de l’UGTT ?

    Interrogé à ce sujet, Fathi Chamkhi (4) répond : "Suite à ces luttes, la direction de l’UGTT, qui avait accepté auparavant le gel des salaires dans la fonction et le secteur public, vient d’obtenir leur revalorisation pour 2014. Le Secrétaire général de l’UGTT a fini par hausser le ton à l’égard des patrons, considérant que les salariés ont consenti d’énormes sacrifices, contrairement aux patrons qui s’en sortent plutôt bien, eut égard à la situation dramatique actuelle.(5) L’UGTT exige notamment de nouvelles négociations salariales dans le secteur privé.
    En attendant, la tension sociale est à son comble face à un gouvernement, critiqué de toute part, à qui les Institutions financières internationales et l’Union européenne assignent la tâche suicidaire de maintenir le cap de l’austérité, de la restructuration néolibérale du marché intérieur".

    12 mai 2015  LEROUGE Dominique

    Pour les notes:

    http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article34932

  • Algérie Setram: le mouvement de grève se radicalise (Afriques en lutte)

    Après une semaine de grève, c’est l’impasse entre la direction et le personnel de la Setram, dont les représentants refusent toute négociation avec le directeur actuel, tout en demandant son départ.

    Pour réaffirmer leur position, les grévistes, qui avaient tenté, sans succès, de tenir un sit-in à Alger, ont dressé, avant-hier, une tente devant l’entrée du poste de contrôle de la station centrale de Sidi Maârouf. « Cette décision a été prise en concertation avec notre syndicat, suite à notre déplacement sur Alger où nous avons été empêchés de tenir notre sit-in devant la direction mère », nous a affirmé un groupe de travailleurs rencontrés jeudi.

    Les grévistes nous ont même fait savoir qu’une marche sera organisée aujourd’hui à partir du poste de contrôle, en empruntant la ligne du tramway empêchant ainsi d’avancer les 4 rames affectées au service minimum. Interrogés sur la tournure radicale prise par le mouvement de protestation des travailleurs du tramway, ces derniers ont indiqué qu’ « actuellement plus de 200 agents son menacés de licenciement, alors qu’ils ont le droit de revendiquer un droit légitime.

    C’est la direction qui a failli à ses engagements et bafoué le code du travail ». Rappelons que le mouvement de grève des agents du tramway dure depuis une semaine au grand désarroi des usagers. Ces agents ont tenu, ainsi à marquer le coup pour demander l’application des dispositions relatives à l’octroi des indemnités des heures supplémentaires. Les protestataires se rassemblent depuis le début de la grève, devant l’entrée du poste de contrôle sis à Sidi Maârouf.

    De son côté, la direction de la Setram a indiqué dans un communiqué que « le tramway d’Oran, connaît, une perturbation du trafic suite à un arrêt de travail collectif illégal, observé, sans préavis, par une partie du personnel ».

    Source : Le Temps d’Algérie 12 mai 2015

    http://www.afriquesenlutte.org/afrique-du-nord/algerie/article/algerie-setram-le-mouvement-de