Le 29 décembre 2015: des travailleurs de l’usine d’acier et d’aluminium d’Helwam en grève (Mada Masr Independent, progressive media)
Les grèves n’ont jamais vraiment cessé en Egypte [1] malgré le régime ultra-répressif de l’ex-maréchal Abdel Fattah Saïde Hussein Khalil al-Sissi – devenu président le 8 juin 2014 – et plus précisément malgré toutes ses attaques contre le droit de grève, les libertés de manifester et tout récemment encore contre la simple autorisation de syndicats indépendants.
Mais depuis mi-octobre 2015. elles ont pris une nouvelle ampleur. Cette nouvelle vague traverse le pays, du nord au sud, du Canal de Suez au delta du Nil, dans de nombreux secteurs professionnels, du textile au pétrole en passant par l’acier, le textile la santé ou le tourisme. Les travailleurs entrent en grève. Ni la menace, ni la répression ne les arrêtent et des négociations s’ouvrent comme le rapporte la presse.
Des grèves dans les grandes entreprises emblématiques
Trois mille travailleurs de la plus grande compagnie d’aluminium du pays – Egytalum Company, majoritairement entreprise d’Etat, située à Nagaa Hammady dans le gouvernorat de Qena au sud du pays – ont entamé une grève le 27 décembre 2015. Pour le moment, elle est encore partielle et ne touche qu’un tiers des effectifs, mais pourrait s’étendre. Les mêmes jours, ce sont des ouvriers de l’entreprise géante d’acier Iron and Steel Company de 11’000 salariés, à Helwan, la banlieue du Caire, qui entraient en grève. Dans la même période, des grandes entreprises textiles de Shebin al-Kom ainsi que ceux d’une autre grande société, la firme pétrolière Petrotrade à Assiout (capitale du gouvernorat, dans la Haute-Egypte, sur la rive occidentale du Nil), ont engagé un mouvement.
Travailleurs qui manifestent contre le non-paiement du «bonus» (Al-Masry Al-Youm, 27 octobre 2015)
Ils demandent des «bonus», c’est-à-dire une part des bénéfices de ces entreprises que leur garantit, en principe, la loi, et qui constituent une bonne partie de leurs salaires. Toutefois, fort souvent, ces entreprises ne le leur accordent pas au prétexte de difficultés conjoncturelles ou de «malentendus» avec l’Etat.
En plus des 12 mois de «bonus» réclamés à la compagnie d’aluminium (Egytalum Company), les salariés demandent également la démission du directeur ainsi que de nombreux responsables dont des élus politiques et syndicaux officiels. Ce qui rappelle bien sûr des exigences de la révolution. A l’aciérie d’Helwan les revendications sont semblables.
La Shebin al-Kom Textile Company de 1500 ouvriers est localisée dans le gouvernorat de Menoufiya, dans le delta du Nil. Cette ancienne compagnie d’Etat, privatisée il y a dix ans, fut renationalisée en 2011. Lors de la période de privatisation, elle en a profité pour licencier de très nombreux travailleurs et réduire ses capacités de production. Or, l’engagement pris par les autorités judiciaires, en 2011, avait été de réembaucher les licenciés et de redonner ses pleines capacités productives à l’usine. Les salariés exigent donc par la grève, depuis déjà trois semaines, la réalisation de ces promesses.
S’agit-il de simples grèves dispersées…
Ce n’est pas la première fois que les ouvriers de Shebin al-Kom entrent en lutte. Leurs revendications ne leur sont pas propres. Il y a au moins une dizaine de grandes entreprises, dans des situations analogues, qui se battent depuis des années – régulièrement ou par intermittence – pour les mêmes objectifs.
Travailleurs du textile rejoignant des travailleurs de l’administration qui expriment leur mécontentement face à la retenue du «bonus» de 10% annuel (Al Masry Al-Youm, 26 octibre 2015)
Cependant, l’ampleur de leur lutte présente rappelle comment les travailleurs de cette entreprise ont été au centre d’un phénomène qui a été nouveau en Egypte en mars 2014: la première coordination de luttes regroupant 11 entreprises publiques privatisées, dont justement Shebin al-Kom, mais aussi Lin de Tanta, Chaudières el Nasr, Ideal, Huiles et Savons d’Alexandrie, Mécanique agricole de Nubara, Samanoud, Papier Simo et… Petrotrade.
Or, Pétrotrade, compagnie pétrolière de 12’000 salariés, est aussi en grève à Assiout, dans le sud du pays, pour une égalité de traitement avec les autres unités du groupe, après que d’autres secteurs de la firme se soient mis en grève afin d’exiger leur part des «bonus », il y a un plus d’une semaine et durant dix jours sur 56 sites, surtout dans la région d’Alexandrie.
A cela s’ajoute le mouvement des médecins des hôpitaux, propriété de la compagnie d’état d’assurance de santé. Ils se sont mis en grève à la mi-décembre pour obtenir les mêmes avantages en matière de salaires et de conditions de travail que leurs collègues des hôpitaux du ministère de la Santé. Or, ces derniers ont annoncé leur soutien et l’ont concrétisé par une manifestation, le 23 décembre 2015.
Pour rappel, le mouvement des médecins, en mars 2015, avait été le moteur de la vague de contestation du moment et l’initiateur dans le secteur de santé de la première des coordinations en Egypte. C’était aussi lui qui avait été à l’origine – avec la coordination des entreprises privatisées/nationalisées – du premier embryon de programme revendicatif, à l’échelle nationale, des classes populaires égyptiennes. Il pouvait de décliner de la sorte:
- salaire minimum que le gouvernement avait promis mais pas tenu;
- retour des compagnies privatisées au secteur public;
- limogeage de tous les éléments corrompus de leurs secteurs respectifs;
- de meilleures conditions de travail et de salaires pour tous les secteurs: santé, poste, aviation, chemins de fer, compagnies privées…
Néanmoins, analogie n’est pas similitude. Ces luttes ne peuvent faire penser à ces «coordinations passées». Il n’est possible d’entrevoir une coordination des luttes, qui manque tant, que si ces mouvements s’accompagnaient et trouvaient leur prolongement par un grand nombre d’autres. [Une dialectique qui renvoie à des moments spécifiques, dont les causalités sont d’origines multiples.]
L’indice de grèves qui en accompagnent et prolongent d’autres
En effet, tout d’abord, au cours des premières semaines de décembre 2015, se sont déclenchées des grèves au Canal de Suez, dans des hôtels de certaines villes de la mer Rouge ou de Charm el-Cheikh, dans une compagnie de produits fertilisants à Assiout et diverses autres.
Au Canal de Suez, à partir du 8 décembre et pendant deux semaines, ce sont 2000 travailleurs, de 6 des 7 entreprises sous-traitantes de l’entretien et des transports des docks, qui ont demandé des hausses de salaires et des avantages égaux aux salariés en titre du Canal, avantages souvent 5 fois plus élevés. Il ne faut pas oublier que ces grèves écornaient l’image du projet de Sissi qui avait fait de son nouveau projet de Canal le centre de sa démagogie autour d’une nouvelle Egypte moderne où tout serait plus beau dans le meilleur des mondes.
A Charm el-Cheikh, les employés des hôtels et du tourisme se battent contre les licenciements. En effet, après l’attentat terroriste contre l’avion de touristes russes, le 31 octobre, la fréquentation touristique s’est effondrée et les patrons en ont profité pour licencier environ 30% de leurs salariés. Or la chute du tourisme frappe de plein fouet non seulement cette région mais toute l’économie égyptienne pour qui elle est centrale. Et à travers ce conflit, comme au Canal de Suez, c’est encore l’incapacité du régime à assurer la sécurité économique du pays qui est dénoncée de fait par les grèves [voir encadré, en fin d’article sur le tourisme].
A la Assiuut Fertilizer Company, les travailleurs se sont mis en grève – et ont occupé leur entreprise, ce qui est rare – contre une réduction de leurs salaires de 25%, pendant que les travailleurs de l’Egyptian Dredging Company à Abu Zaabal, dans le gouvernorat de Qalyubia, au nord du pays, font grève contre le non-paiement de leurs salaires, tout comme les journalistes d’Al-Shorouk ou de TeN TV. Cette pratique de l’employeur est fréquente en Egypte, alors que la richesse des nouveaux riches s’étale de plus en plus ouvertement dans certains quartiers du Caire. D’ailleurs, le pouvoir veut les rendre plus «présentables» en chassant les petits vendeurs de rue.
Le 30 novembre 2015, grève de 5000 salariés à la Jawhara Food Processing Company (Mada Masr Independent, progressive media)
Ce sont encore 5000 travailleurs de la Jawhra Food Processing Company, dans le gouvernorat de Beheira dans le delta du Nil, qui, à partir de fin novembre-début décembre, sont entrés en grève pour des augmentations de salaire et le paiement de leur part de bénéfices, tout comme les employés de la Compagnie d’assurances à Eitai al-Baroud ou les travailleurs du métro appartenant à l’administration Nationale des Tunnels. Ce à quoi il faut ajouter les chauffeurs de bus du Caire ou même les enseignants de l’école Ola Garden dans le gouvernorat de Giza… pour ce que la presse, soumise à la censure sévère du régime dictatorial de Sissi, veut bien laisser transparaître.
Un signal aux grèves donné par l’usine textile géante de Mahalla el-Kubra et… Sissi,
dans le développement des tensions dès septembre
Ces luttes ont été enclenchées et unifiées, d’une certaine manière, par deux éléments à leur origine, à caractères tout à la fois politiques et nationaux.
D’une part, l’ensemble de ces luttes a été déclenché par deux grèves en octobre, finies le 1er novembre: celle de 11 jours par 14’000 salariés de Misr Spinning and Weaving Company à Mahalla el-Kubra, l’usine géante de 17’000 salariés qui joue depuis longtemps un rôle central dans le mouvement social égyptien – dans le déclenchement de la révolution – rejointe par celle de 6 jours des 7000 salariés de Kafr al-Dawwar Textiles Company; les premiers débrayages menaçant à la Simo Paper Company, à l’Iron and Steel Company d’Helwan et à la Tanta Flax and Oils Company. Or, toutes ces entreprises ont marqué l’histoire récente – ou moins récente – du mouvement ouvrier égyptien, de la révolution et des coordinations pour Simo et Tanta. Le gouvernement a cédé au moment où il a senti planer une possible généralisation.
Les travailleurs des deux plus grandes usines textile de Malhalla, Kafr al-Dawar Textile Company et Misr Spinning and Weaving Company, sont en grève pour non-paiement du «bonus» promis pat le président Al-Sissi (25 octobre 2015). Mada Masr Independent, progressive media
Il est difficile de savoir ce que les travailleurs des deux entreprises emblématiques ont réellement obtenu à l’issue de leur lutte, tellement les autorités ont l’habitude de faire des promesses qu’ils ne tiennent pas. Mais ce qui est apparu, à l’échelle du pays, c’est que les salariés ont crié victoire à la fin de la lutte. Dans la foulée s’est enclenchée une grève à la Samanoud textile Company à Gharbiya – une autre des 11 usines coordonnées de 2014 – et à l’entreprise textile Vistia à Alexandrie, les deux pour des augmentations de salaires. Puis tout le reste… Une sorte de généralisation diluée dans le temps et géographiquement. Ce genre de configuration qu’un événement pourrait à nouveau cristalliser.
Dans les causes de cette «vague», il faut prendre en compte que Sissi avait promis en septembre un «bonus» de 10% aux salarié·e·s des entreprises publiques. Il faut avoir, aussi, en mémoire que Sissi avait promis cette hausse du «bonus» au mois de septembre 2015 parce qu’il craignait à ce moment un mouvement de colère qui était en train de gonfler dans la fonction publique. Il exprimait l’opposition à une nouvelle loi, qui, entre autres, devrait réduire les bonus, la part des bénéfices dédiée aux salarié·e·s2. Sissi avait réussi à contenir cette vague de colère qui cherchait à se rassembler dans une manifestation nationale appelée pour le 12 septembre. Il le fit, d’une part, par l’engagement de maintenir cette hausse, et, d’autre part, par l’interdiction simultanée de la manifestation et la répression la plus violente et, enfin, par le dérivatif d’élections législatives, prétexte à l’imposition d’un ordre encore plus rigoureux.
De fait, s’il a repoussé l’échéance, la crise évitée en septembre semble éclater maintenant. A peine la farce des élections terminée – qui n’ont guère retenu que de 2 à 10% de participation [3] – la grève se déclenchait à Mahalla et, un peu plus tard, dans le tourisme et au Canal de Suez. Il y a là comme une sorte de réponse ouvrière à cette comédie électorale, une remise en cause, quasi directe, de la légitimité de ce pouvoir.
Sissi avait déjà promis une hausse du salaire minimum pour janvier 2014. Il ne l’avait tenue que partiellement. Cela avait déclenché une énorme vague de grèves dans la fonction publique en février et mars et provoqué la chute du gouvernement el-Beblawi (9 juillet 2013-24 février 2014, démission présentée au président Adli Mansour). L’aboutissement interne au mouvement avait été la création des premières coordinations de lutte en Egypte. Du coup, craignant une cristallisation rapide des luttes en un tout et l’émergence d’une conscience ouvrière de classe, al-Sissi [le coup d’Etat militaire du 3 juillet 2013 avait fait tomber Morsi, il prenait «le relais» et «capturait» un mouvement de masse anti-Morsi], après sa démission de ses fonctions gouvernementale le 26 mars 2014, décidait de se présenter aux présidentielles pour couper court au travers du processus électoral au mouvement social et à la prise de conscience en cours.
Sissi a donc repris, à nouveau, ses promesses qu’il ne tient pas et les élections comme dérivatif. Mais le procédé s’use et son efficacité décroît. Certes les effets sur des luttes ont été moins importants cette fois qu’en février-mars 2014, du moins à ce qui peut en être jugé. Mais cette technique gouvernementale commence à atteindre ses limites non seulement du fait du crédit politique nettement plus limité de Sissi, mais surtout du fait d’une situation socio-économique et politique globale très différente.
En effet, au plan politique, jusqu’au début 2015 le champ politique était occupé et partagé par deux camps de frères ennemis: l’armée et les Frères musulmans. L’armée s’appuyait sur la crainte du succès du terrorisme islamiste qu’il confondait avec la Confrérie des Frères pour justifier toutes les entraves aux libertés et enrégimenter derrière lui tout ce qui dans la société égyptienne faisait passer sa haine des Frères musulmans avant tout autre chose, y compris au risque des libertés et d’une répression dont l’ampleur à venir n’était pas saisie, sur le moment
Or, avec la disparition progressive de la Confrérie que ne compense pas la crainte suscitée par Daech, s’ouvre un espace politique où la question sociale pourrait à nouveau gagner le centre de la scène politique et où l’armée reste de plus en plus seule face au mouvement social. C’est la grande crainte de Sissi et des classes possédantes.
Car cette situation ne pourrait que pousser à faire percevoir le mouvement ouvrier et populaire comme un véritable opposant, sérieux, face au régime. Et le seul porteur d’espoir pour toutes les classes opprimées, le poussant ainsi à le politiser dans la mesure où s’établit une jonction entre le passé encore présent dans une couche militante, le présent et des réseaux politico-sociaux se réanimant.
Or justement, l’inflation touchant toutes les catégories populaires est au plus haut. L’année a été la pire depuis longtemps pour le monde rural. De nombreux villageois sont descendus dans les rues pour protester contre l’incurie des autorités face aux inondations récentes et on se rapproche de l’anniversaire du déclenchement de la révolution, le 25 janvier. C’est souvent l’occasion de toutes sortes de débordements de la part de fractions de la jeunesse. Une page Facebook à ce propos, «retour sur la place», annonce que des dizaines de milliers, et plus, de personnes sont prêtes à y retourner en 2016, alors que des détenteurs de hauts diplômes sans emploi ont déjà marché sur Tahrir, il y a quelques semaines.
Bien sûr, il y a loin d’un clic sur Internet à une présence dans la rue face à des soldats qui n’hésitent pas à tirer. Mais le seul fait d’un défi aussi massif, ne serait-ce que sur Internet, inquiète le pouvoir, qui a révélé son appréhension en arrêtant le 28 décembre quatre dirigeants du «Mouvement du 6 avril», le seul mouvement important de démocrates révolutionnaires qui résiste encore.
Alors, d’un côté, le régime n’a jamais été aussi féroce, dictatorial et jamais aussi proche de celui de Moubarak avec un retour massif aux affaires des riches «feloul» (résidus), les partisans de l’ancien régime… mais il n’a jamais été aussi proche, de ce fait, des conditions qui ont précipité la chute de Moubarak. [Des tensions existent entre des secteurs capitalistes et les positions imposées – appels d’offres biaisés – par les militaires pour ce qui est de leur emprise économique, entre autres dans le processus d’appropriation de terres bonifiées qui fait partie des plans du gouvernement, au même titre que la création d’une nouvelle capitale administrative sur la route Le Caire-Aïn Al-Sokhna (est), non loin de la zone du Canal.]
La chute de Moubarak avait été décidée par l’armée lorsqu’il leur est apparu, au cours du soulèvement révolutionnaire de janvier 2011, que la classe ouvrière menaçait d’entrer en scène par un appel à la grève générale. Les autorités, de tous les «bords», lors des cinq années du processus révolutionnaire passé, n’ont eu de cesse de camoufler aux masses laborieuses le caractère central de cette opposition de classe.
Dans ce décours, les Frères musulmans ont perdu de leur influence; l’essentiel de la gauche, les nassériens, les démocrates officiels se sont perdus en soutenant Sissi. Bien des démocrates révolutionnaires se sont découragés, victimes d’une répression terrible. Mais ne peuvent être négligés les contrecoups des limites de leurs conceptions stratégiques ou de leur impréparation – liée en partie à la jeunesse de secteurs des composantes révolutionnaires – face à un tel processus révolutionnaire.
Aujourd’hui reste maintenant l’armée – qui certes met encore l’accent politique sur la lutte contre le terrorisme – face au prolétariat. Dans quelle mesure l’expérience accumulée pour des secteurs de ce prolétariat au cours des longues années de combats incessants et courageux va-t-elle trouver des voies d’expression et sous quelle forme? Ce que justement voulaient éviter les militaires, il y a cinq ans. C’est ce qui doit retenir ceux et celles qui saisissent la dimension de permanence de ce processus, au-delà des variations.
Quels que soient les événements des semaines à venir, il est certain, pour la période qui s’ouvre, que les conditions d’un nouvel affrontement massif sont en train de se mettre en place.
J’écrivais à propos des premiers événements révolutionnaires que la solution à la révolution égyptienne se trouvait en Chine. C’était une image faisant tout à la fois allusion au gigantisme de la classe ouvrière chinoise et de ses luttes, mais surtout à un premier signal d’arrêt donné au mouvement de réaction libérale mondial réalisé en 2010 par des mobilisations massives du prolétariat chinois [Foxconn, Honda, Toyota].
Les révolutions arabes comme d’autres mouvements dans le monde ensuite se sont situés dans cette continuité. On ne comprendrait pas combien le mouvement du prolétariat égyptien est destiné à durer, si on ne le replace pas dans ce contexte mondial de retour général du balancier. Cependant, l’absence (ou la faiblesse extrême) d’organisations ouvrières et de conscience prolétarienne plus ou moins constituée fait tout à la fois que la crise multiface comme les combats se diluent dans le temps et que les prises de conscience dans cet espace sont lentes. Des processus sont en cours, de l’Egypte, de la Tunisie à la Turquie, au Bangladesh, y compris en passant par la Grèce et l’Espagne. Ce processus socio-politique, avec toutes ses variations locales et ses différentes figures, est à l’œuvre. Il est important d’en prendre conscience, de l’examiner en le soumettant au débat, et de la sorte de viser à en faire prendre conscience, si les socialistes révolutionnaires veulent participer et intervenir efficacement dans chacun de ces conflits.
La classe ouvrière égyptienne illustre un aspect de ce processus général en montrant dans ces grèves qu’elle est loin d’être battue et qu’elle continue activement son chemin et son combat pour le pain, la liberté et la justice sociale dans le cadre d’une «longue révolution» [4]. La perspective de coordination et de politisation de ses luttes, certes difficile comme partout, n’apparaît pourtant pas si éloignée que ça, inscrite en tout cas dans les conditions objectives. Elle pourrait être un but atteignable pour la période, surtout si des militant·e·s révolutionnaires veulent ou savent s’en faire les vecteurs: la crise de l’humanité se réduit toujours à la crise de sa direction révolutionnaire… à l’échelle internationale. [Du moins si l’on comprend que la formule n’est pas univoque, mais renvoie à une dialectique complexe, historicisée et située dans un espace socio-politique interconnecté, mais pas homogène, entre: degré d’organisation du prolétariat au sens large, avec ses mutations; conscience accumulée, avec parfois accélération soudaine; et expressions organisationnelles plurielles aptes à saisir l’ensemble du tableau et à lui donner une signification, une dynamique et un sens pour une large majorité active des masses laborieuses.] La révolution égyptienne doit plus que jamais être la nôtre. (30 décembre 2015; les phrases entre crochets sont de la rédaction de A l’Encontre, comme le travail d’édition)
Publié par Alencontre le 2 - janvier - 2016 Par Jacques Chastaing
[1] Pour comprendre la signification de cette persistance à long terme des grèves en Egypte : http://alencontre.org/moyenorient/egypte/egypte-ce-que-la-persistance-des-greves-en-egypte-nous-dit-de-la-revolution.html
[2] Sur ce qui se passait en septembre : http://alencontre.org/moyenorient/egypte/egypte-un-mois-de-septembre-imprevisible.html
[3] Selon des ONG. Officiellement elle est de 28%, mais personne n’y croit.
[4] Selon la formule de Maha Abdelrahman: Egypt’s Long Revolution: Protests and Uprisings (Forthcoming) Routledge 2015.
Dans Al-Ahram Hebdo du 30 décembre 2015, sous le titre «Urgence pour le tourisme: sortir de l’impasse», il est affirmé: « Tout dépend de la reprise des vols en provenance de Russie et de Grande-Bretagne», explique Elhami Al-Zayat, président de l’Union des chambres de tourisme. Car à la suite du crash de l’avion russe dans le Sinaï fin octobre dernier, ces deux pays qui fournissent à eux seuls près de 50 % des arrivées touristiques en Egypte, ont suspendu leurs vols : l’un vers la totalité de l’Egypte, l’autre vers Charm Al-Cheikh seulement. Ainsi, les chiffres du tourisme ainsi que les réservations à venir ont énormément baissé surtout que d’autres pays européens comme la France, la Suisse et la Belgique ont déconseillé à leurs ressortissants tout voyage en Egypte. «C’est une crise sans précédent pour le secteur du tourisme puisqu’elle touche la sécurité des moyens de transport aériens, qui constitue la colonne vertébrale de l’industrie du tourisme. L’Egypte a perdu près de 2 milliards de L.E. en novembre à cause de la décélération du mouvement du tourisme», assure Mohamad Abdel-Gabbar, vice-président de l’Organisme de la promotion touristique (ETA).» (Réd. A l’Encontre)
http://alencontre.org/egypte/egypte-quelles-perspectives-pour-la-nouvelle-vague-de-greves