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Documents - Page 35

  • Il y a 50 ans, l’insurrection algérienne" (Emancipation)

    L'insurrection algérienne et les communistes libertaires

    Chacun y allant de sa commémoration du cinquantenaire de l’atroce guerre d’Algérie, à notre manière il nous a paru utile de rappeler que nous nous sommes opposéEs à la barbarie colonialiste qui façonne, aujourd’hui encore, l’inconscient français. Pour cela nous avons interrogé notre camarade Georges Fontenis sur son activité à l’époque au sein de la Fédération Communiste Libertaire (FCL) et à l’Ecole Emancipée.

    L’Emancipation : "La Toussaint rouge", le 1er novembre 1954, marque le déclenchement de l’insur-rection. Dès le 9 septembre dans Le Libertaire n°391, vous aviez publié un article critique sous la plume de Paul Philippe à propos du congres du MTLD (Mouvement Pour le Triomphe des Libertés Démo- cratiques). Est-ce à dire que vous pouviez prévoir l’imminence du passage à lu lutte armée?

    Georges Fontenis: La FCL prévoyait clairement le déclenchement de l’insurrection, sans pouvoir bien entendu donner de date. C’est parce que nous avions, d’abord dans les rangs de la FCL des camarades algériens bien formés qui nous apprenaient quelle était la mentalité générale dans les villes et la cam- pagne algériennes. Et nous avions aussi des camarades directement liés a nous du Mouvement Libertaire Nord Africain (MLNA) qui nous faisaient prévoir aussi des événements.

    L’article de Paul Philippe à propos du congrès du MTLD n’a donc rien de surprenant, si ce n’est qu’à cette époque nous étions les seuls strictement à pouvoir nous douter que quelque chose d’extraordi- naire se passerait très bientôt. Nous reparlerons de cet article de Paul Philippe.

    Il y avait aussi le souvenir cruel chez beaucoup d’Algériens des évènements de Sétif de mai 1945 [1]), D’ailleurs au cours des événements de 45, L’Humanité et le PC ne s’étaient pas couverts de gloire, c’est le moins qu’on puisse dire, Ils sanctifiaient l’unité derrière un gouvernement De Gaulle dans lequel des communistes étaient présents, dont d’ailleurs le ministre de l’armement Tilion.

    L’Emancipation La défaite du corps expéditionnaire de Dien Bien Phû a-t-elle influencé la décision du CRUA [2] pour passer à la lutte armée ?

    G.F.: Sans doute la défaite de la France colonialiste au Vietnam n’était pas pour rien non plus, à la fois dans la préparation de l’insurrection algérienne et dans notre clairvoyance. Il ne faut pas oublier que bien des militants qui seront des animateurs du FLN plus tard étaient, au moment de la guerre d’Indo-chine, dans l’année française, et la défaite du corps expéditionnaire français n’a pas été pour rien dans le déclenchement de l’insurrection de novembre 1954.

    L’Emancipation: Penses-tu que la position de la FEN et du SNI résolument anti indépendantistes trouve sa légitimation dans l’assassinat de l’instituteur Guy Monnerot dans les gorges de Tighonimine, ou bien faut-il l’imputer à l’allégeance politique des majoritaires à la SFI0 et à Guy Mollet?

    G.F. : Il est sûr que les positions de la FEN et du SNI sont violemment nationalistes, au profit de la France bien entendu. La présence au gouvernement où la SFIO a sa place et Guy Mollet beaucoup d’importance, n’est pas pour rien non plus dans la position de la FEN et du SNI au moment de l’insur-rection. Il m’est arrivé de rencontrer quelques responsables qui osaient défendre la présente coloniale en Algérie sous prétexte que l’Algérie avait toujours connu un certain colonialisme et que les Arabes n’avaient pas à revendiquer puisqu’ils étaient eux-mêmes les anciens conquérants d’un pays berbère... N’importe quoi. En tout cas on peut résumer ainsi: oui, il y a eu allégeance politique des responsables majoritaires de la FEN et du SNI à la position des dirigeants de la SFIO. Toutefois, et il en sera de même dans le Parti communiste. Le Parti socialiste est parfois divisé. Dans les sous sections, il y avait un certain nombre de camarades socialistes, même inscrits au parti et là je parle en tant qu’ancien instituteur parisien qui étaient restés dignes et qui n’approuvaient pas du tout la politique de la SFIO et de Guy Mollet, j’en reparlerai à l’occasion,

    L’Émancipation: Les jeunes insurgés du CRUA sont en rupture avec le MNA de Messali Hadj. Cette rupture va déboucher sur la fondation du FLN par Ahmed Ben Bella au Caire. L’historien Benjamin Stora évolue à 4 000 les victimes des règlement de comptes entre MNA et RN en métropole, de 1954 à 1962. C’est près de 2% des Algériens de la métropole. Pourrais-tu nous expliquer les différences politiques, culturelles, stratégiques entre le MNA et le FLN. Pourquoi une telle violence politique entre eux ?

    G.F.: Il est clair qu’il y a des différences considérables entre les militants du MNA de Massali Hadj et du FLN qui vient de se fonder. L’analyse globale de la situation soit de la part du MNA, soit du FLN est insa- tisfaisante, bien que le MNA demeure plus proche d’une analyse marxiste. Mais, ni l’un ni l’autre n’ont tenu compte de la complexité de la société algérienne et notamment de l’existence d’une petite bour- geoisie nationale que le colonialisme a laissé se développer (exemple de petites entreprises dirigées par des familles algériennes, se satisfaisant de la présence française). De ce point de vue il est clair que le FLN sera plus adapté que le MNA à la situation du peuple algérien, plus nationaliste que désireux d’un mouvement révolutionnaire. Quant à l’affirmation du nombre de victimes en métropole entre le MNA et le FNL je crois qu’on peut se rallier au point de vue de Benjamin Stora.

    L’Émancipation: Pourquoi les libertaires de la FCL et les trotskistes du PCI aidèrent-ils au départ les nationalistes du MNA plutôt que le FLN et comment s’opérera le basculement d’alliance en faveur de ce dernier?

    GF. : Il ne faut pas oublier que l’Etoile Nord Africaine, puis le MTLD (sous sa nouvelle forme MNA) existent depuis les années 1930. Pour les camarades de la FCL, il y aura bien sûr peu à peu un passage du soutien au MNA en faveur du FNL. Cela se fera sans que nous rejetions nos contacts et notre soli- darité avec le MNA. Mais il faut bien admettre, quand on est responsable d’un mouvement, des change- ments historiques comme la montée du FLN par rapport au MNA et ce basculement d’alliance sera parfaitement assimilé par nos camarades, car il correspond à une véritable connaissance de la réalité politique.

    L’Emancipation : Comment les tendances dons la FEN et le SNI ce situaient-elles par rapport aux questions de la décolonisation ? Quel climat régnait à l’intérieur de la profession et de ses syndicats ?

    G.F.: J’en viens à préciser comment nous voyions, à ce moment-là, les tendances dans la FEN et le SNI. J’ai parlé un peu plus haut de la position des majoritaires qui était finalement colonialiste. Mais il y avait, à l’époque, une véritable résistance par l’Ecole Émancipée. Et, il faut bien dire que chez les majoritaires comme d’ailleurs chez les militants disons de la tendance cégétiste étroitement dirigée par le PCF, qui devait devenir Unité & Action , il y avait des différences individuelles considérables. Car, même dans les tendances réformistes, il y avait un certain nombre de militants qui n’étaient pas igno- rants des vraies questions de la décolonisation, je me souviens d’avoir échangé des propos assez violents avec le secrétaire majoritaire de la fédération de la Seine qui était franchement nationaliste et colonialiste, Mais on peut bien penser que l’ensemble des enseignants ne suivaient pas la trajectoire des partis communiste et socialiste. Il y eut donc, dans les premières années de l’insurrection, assez souvent une différenciation entre les chefs des partis et un certain nombre des militants de base. Plus tard, lorsque nous passerons à la clandestinité, nous recevrons des aides très ouvertes, très sympa-thiques de militants communistes en dépit des positions de leur parti et d’un certain nombre de militants socialistes qui d’ailleurs nous rendront un certain nombre de services.

    En réalité, il y avait une réponse saine d’un assez grand nombre de syndicalistes en dépit de ce que j’appellerais le colonialisme honteux des directions. Encore que, même dans les directions, il y ait eu des militants qui résistaient.

    L’Émancipation: Pourrais-tu nous relater en quoi consistait votre soutien concret aux insurgés ?

    GS. : Voilà une des questions les plus gênantes qu’on peut me poser. Notre soutien concret aux insur- gés algériens consistait en dépôt et transport de matériel (armes légères, vêtements et pièces d’état civil. Transport possible grâce à notre système de passage des frontières terrestres (Belgique, Suisse) ou maritimes (Ste) et facilité par nos rapports avec des camarades de diverses nationalités, et aussi des camarades d’autres réseaux.

    L’Émancipation: Pourrais-tu lever un coin du voile sur la teneur de vos conversations lors de ta rencontre à Angoulême avec Messali Hadj ?

    GF: Il est évident qu’avec Messali Hadj nous avons abordé des problèmes de fond concernant l’avenir, voulu par lui et ses amis, pour l’Algérie et sur le poids limité que nous avions dans l’opposition en France. Messali envisage une société algérienne démocratique et basée sur l’autogestion, mais il reste flou. On sent qu’il n’est pas sûr de ses troupes. Messali, que j’avais rencontré grâce à l’aide et à l’insis- tance de Daniel Guérin en dépit de l’opposition du parti trotskiste, le PCI de Lambert, qui a tenté d’empêcher ma rencontre avec Messali. Je précise que ce parti lambertiste restera inconditionnellement partisan du soutien au MNA alors que les autres groupes trotskistes sont pour le soutien au FLN.

    Il est clair que ce fut une conversation très libre, très ouverte, au cours de laquelle j’insistais sur la nécessité d’une analyse révolutionnaire de la situation et de l’orientation nécessaire du mouvement de libération. En fait, Messali Hadi était d’accord avec notre position de "soutien critique". Messali, au cours de cette conversation, fut d’accord avec ce que je pouvais avancer. Mais il me laissa entendre qu’il n’était pas toujours entendu et que quelquefois les militants du MNA n’avaient pas toujours une position parfaitement claire. D’où, bien entendu, accord minimum avec la FCL sur ce que nous appelions à l’époque "le soutien critique’.

    L’Émancipation: La question du contenu politique du nationalisme algérien a pu poser problème. Comment expliques-tu ta position d’alors : le "soutiens critique" aux natio- nalistes et, surtout, comment as-tu pu participer à la réflexion d’abord dans le MNA ensuite dans le FLN ? En quoi certains cadres de la lutte armée ont-ils modifié leurs positions grâce aux positions critiques que la FCL développait ?

    G. F. : Il est vrai que le courant politique du nationalisme algérien n’a pas été toujours très clair. C’est pourquoi notre "soutien critique" qui peut convenir à d’autres cas et à presque toutes les guerres de libération demande une analyse de la situation, en particulier des différentes forces qui se trouvent opposées à la puissance colonialiste. Et je dois dire que, dans les rencontres que nous avions avec les représentants du MNA d’abord et du FNL ensuite, nous n’avons jamais caché notre inquiétude a propos des insuffisances politiques du nationalisme algérien.

    Mais notre position selon laquelle il Fallait se libérer sur le plan national mais aussi sur le plan intérieur, pour une Algérie nouvelle, dans une direction disons socialiste, il est sûr que cela a fini par toucher un certain nombre de nos correspondants. C’est si vrai que certains des militants du MNA n’étaient pas loin de nous rejoindre et que même certains cadres de la lutte armée ont modifié leurs positions et adopté les nôtres grâce aux positions critiques que nous développions. Je suis même persuadé d’une certaine réussite lorsque, au cours d’une rencontre, j’eus la surprise d’entendre Mohammed Boudiaf reprendre pratiquement nos positions. A ce sujet, voir son livre "Ou va l’Algérie ?" (Editions de l’Étoile, 1964).

    Il est peut-être utile de rappeler ce qu’était notre position de "soutien critique". Nous pouvons pour cela nous reporter a l’article du Libertaire paru dès septembre 1954, c’est-à-dire quelques mois avant l’insurrection, sous la signature de Paul Philippe, membre du secrétariat de la FCL. C’est une position de "soutien critique" aux luttes de libération nationale parce qu’elles font partie de la guerre contre le capitalisme et ses extensions colonialistes et que, affaiblir les métropoles est toujours une chose indis- pensable dans un processus de libération. Mais l’aspect critique de ce "soutien critique est dû au fait que le mouvement algérien (le MTLD à l’époque) n’a pas le bases théoriques révolutionnaires propre- ment dites. C’est pourquoi dans ce soutien critique", nous rappelions que le but final révolutionnaire était indispensable, c’est-à-dire précisément : socialisation de la propriété. Notre "soutien critique", c’était notre soutien aux luttes de libération nationale mais dans une perspective révolutionnaire partant d’une analyse de classe.

    L’Emancipation: On s’imagine souvent que le PCF, parce que stalinien, était monolithique. Mais à l’épreuve des evenements, qu’en a-t-il été ?

    Georges Fontenis: Dés le début de la guerre d’Algérie, il y a eu des des problèmes à l’intérieur du Parti communiste. Et quand nous serons dans la période où un certain nombre de militaires refuseront de partir, où les trains s’arrêteront et où les gares seront envahies par les opposants, nous verrons tout de suite qu’il y a à l’intérieur du parti toute une tendance de militants communistes qui ne sont pas satisfaits de la politique du parti. Nous verrons par exemple cela dans la région parisienne mais aussi à Grenoble Nous retrouverons bien sûr l’esprit de la Résistance. C’est un véritable vent de fronde qui se manifeste. Au fond, ces militants ne faisaient que participer à la cause de la Révolution algèrienne comme les militants du PCA dans le FNL

    Officiellement, le PCF n’était pas pour la libération de l’Algérie. Il avait d’abord beaucoup critiqué les insurgés de novembre 54. L’Humanité, à l’époque, avait condamné les nationalistes en prétendant que les émeutiers faisaient le jeu des nazis. Le PCF ne se ralliera que très tardivement à la cause de l’Algé- rie indépendante. La position officielle était défendue, proclamée par Maurice Thorez. Une abomination sera le vote des pouvoirs spéciaux a Guy Mollet par le Parti Communiste, Et ce ne sera guère plus beau que les positions du Parti socialiste de Guy Mollet ou de Mitterrand qui voulaient voir en Algérie des départements français.

    L’Émancipation : On a quasiment oublié, comme le rappelle l’article du Monde du 29/10/04, que la FCL a été la première a réclamer l’indépendance de l’Algérie et à dénoncer la tor- ture. De même que vous avez été les premiers à aider les "rebelles". Pourrais-tu nous rappeler l’ampleur de la répression qui vous a frappés et ses conséquences politiques?

    GF. : Comme ce serait évidemment beaucoup trop long de faire la liste des persécutions que nous subissions, je me contenterai de citer quelques exemples.

    Le Libertaire , le journal de la FCL, avait été saisi sept fois en peu de temps . car ce décompte date de juillet 56 dont trois saisies en quatre semaines ! Et pour parler des inculpations de nos militants, il suffit de savoir que tous les numéros du Libertaire, même ceux qui n’ont pas été saisis, ont été poursuivis. Ces poursuites étaient nominales. J’y étais en bonne place en tant que directeur du journal. Et à mes côtés Robert Joulin, Paul Philippe, Michel Donnet, etc. [3]. Il est bon de signaler que nous avions été obliges de changer d’imprimeur parce que l’imprimerie du Croissant où nous sortions au début de la guerre d’Algérie ne voulait plus nous éditer! (...)

    L’Émancipation : Qu’est-ce qui a poussé à vous rendre à la justice? Tu totalisais en tout 18 mois de prison, si j’ai bien compté tes condamnations sans parler de la lourdeur des amendes. Comment as-tu « néqoclé » ta sortie de la clandestinité?

    G.E. : D’abord je dirai qu’il faut préciser que nous ne nous sommes pas rendus à la justice. Person- nellement, j’ai été arrêté par la DST alors que je me camouflais comme je pouvais. Je n’ai pas été le seul dans cette situation. Nous n’avons donc pas eu à négocier la sortie de la clandestinité. Elle s’est faite par l’arrêt de nos activités du fait que la plupart des camarades responsables étaient arrêtés ou devaient se cacher davantage qu’auparavant. Et nous étions réduits à nos propres forces.

    L’Émancipation: Lors des poursuites et de la clandestinité, as-tu été défendu par le SNI ou la FEN?Et, à ton retour à la vie normale le syndicat t’a-t-il aidé à retrouver ton métier?

    G.E.: En ce qui me concerne, jamais le SNI ou la FEN dans leurs directions n’ont agi en ma faveur, ou pour essayer de me défendre. Le retour à une vie normale a demandé des mois après la sortie de prison. Et je dois là saluer, non pas un responsable syndical mais un militant déjà ancien du Parti socia- liste qui avait été mon directeur d’école et qui, ancien déporté, n’avait toujours estimé. Ce personnage, monsieur Dirand, du fait de son parcours politique, avait réussi à intégrer de hautes fonctions au minis- tère de l’éducation nationale. C’est grâce a lui que lefus réintégré car il insista beaucoup auprès de la direction de l’enseignement du département de la Seine pour que je retrouve un poste.

    L’Émancipation: Y avait-il débat à l’intérieur de l’École émancipée sur la question algérienne? Quels étaient les clivages politiques dans l’EE de l’époque?

    G.E. : le ne me souviens pas qu’il y ait eu débat à l’École Émancipée sur la question algérienne. Sur le fond, tout le monde à l’époque était d’accord. Et naturellement la position de la FCL était connue et estimée. Le clivage politique entre libertaires et trotskistes au sein de l’École Emancipée était peu marqué à l’époque, au moins sur le sujet de l’anticolonialisme.

    Du côté trotskiste, il y avait le PCI de Lambert qui devient l’OCI lorsque Frank et Pablo sont majo- ritaires dans la 4°t Internationale. L’opposition entre eux à propos de la guerre d’Algérie est violente, l’OCI restant obstinément fidèle au MNA. En ce qui concerne les libertaires, il faut préciser qu’il y avait eu scission au début des années 50 entre les militants de la FCL et ceux qui créèrent Le Monde liber- taire. Nous regroupions surtout des camarades ouvriers, des jeunes, sur des positions de classe alors que les autres s’en tenaient à un pacifisme qui renvoie dos à dos le colonialisme et les luttes de libé- ration nationale. Et nos camarades du MLNA (Mouvement Libertaire Nord Africain), voisin de la FCL, voyaient le Monde Libertaire en vente en Algérie pendant que Le Libertaire - le nôtre – était poursuivi.

    Cependant je dois préciser qu’il y aura une évolution parmi certains militants de la FA. Leurs positions, sans aller jusqu’au "soutien critique" se rapprocheront des nôtres dans l’affirmation du combat anti- colonialiste. En 1957, Le Monde libertaire sera saisi en Algérie et des militants subiront à leur tour des poursuites, surtout au début des années 60. La FCL du fait de sa position révolutionnaire, en particulier dans la guerre d’Algérie, se retrouvait aux côtés de l’opposition interne du PC (La Voie Communiste), cette collaboration s’étendit naturellement à d’autres regroupements comme le Réseau Jeanson. La FCL cessant de fonctionner, même clandestinement, se transforme en « Action Communiste ».

    De cette époque j’ai conservé le souvenir d’une bonne entente avec les militants encore au PC mais dans la mouvance « Voie Communiste ». Certains, comme Blumental, Folgalvez, ont été membres, voire responsables du PCF, d’autres ont rompu avec la IVème Internationale. Il y a aussi à la Voie Communiste d’anciens membres du Parti Communiste Algérien. La plupart des militants de la Voie intégrèrent le réseau « Jeune Résistance".

    C’est la "Voie" et ses militants qui organisent l’évasion de la prison de la Roquette, le 1 janvier 1961, de six militantes françaises et algéniennes. Je veux signaler aussi l’activité incessante de nos camarades de Macon et de Genève, activité gérée par Guy Bourgeois, décédé récemment,

    L’Émancipation: Quand tu vols les évolutions en Algérie depuis l’indépendance, regret- tes-tu tes engagements d’alors ou y trouves-tu matière à renouveler tes enthousiasmes et tes espoirs? Rétrospectivement, quel regard portes-tu sur les jeunes militants que vous étiez, au-delà du courage exemplaire dont la mémoire fait dorénavant partie de noire histoire?

    G.E. : Je ne regrette en rien les engagements de l’époque en dépit de la disparition des espoirs et, bien sûr, des enthousiasmes. Notre "soutien critique", au cours des années depuis la libération et depuis la paix de 62, s’est manifestement valorisé car il fallait bien que la nation algérienne se constitue, mais il aurait fallu promouvoir un système d’autogestion beaucoup plus général et démocratique, et éliminer la toute puissance de l’armée et des cadres de l’industrie. Les jeunes militants que nous étions, étaient suffisamment conscients du fait qu’une insurrection particulière ne peut aboutir indépendamment de la situation de la lutte des classes dans le monde, notamment dans les métropoles.

    Néanmoins, notre soutien à la Révolution algérienne nous a confortés dans notre opposition révolu- tionnaire et nous a donné le courage de continuer notre lutte qui intègre une véritable libération pour le peuple algérien. C’est pourquoi je reste fidèle ainsi que mes vieux camarades de la FCL au slogan que nous avions élaboré avec Daniel Guérin « Il y a toujours un point du globe où la guerre de classes se rallume".

    Propos recueillIs par Gilbert ESTEVE Novembre 2004

    Ouvrages et documents consultés : Georges Fontenis. Changer le monde, Ed Le Coquelicot/AL Une résistance oubliée (1954-1957), un documentaire de D. Goude et G. Lenormant. K7 Le Fil du temps ; L’insurrection algérienne et les communistes libertaires, Edition en facsimilé du Libertaire. Ed. AL (La signature de A. Coursan est un pseudonyme de G. Fontenis).

    [1La rupture chez les nationalistes algériens entre intégrationnistes et indépendantistes s’est cristallisée au cours de la 2"° Guerre Mondiale lorsque Messali Hadi a été condamné aux travaux forcés par le régime de Vichy pour avoir refusé de collaborer avec les nazis. Il est à nouveau emprisonné à la veille de la défaite hitlérienne, Les Algériens ont alors le sentiment que jamais la France ne leur accordera la citoyenneté française et le suffrage universel. Le jour même de la capitulation allemande, le S mai 1945, éclatent les massacres de Sétif qui feront officiellement 103 morts chez les Européens et 10 000 chez les Algériens (45.000 d’après les nationalistes). Signalons que le maire socialiste de Sétif qui avait voulu s’interposer entre la police et les manifestants, sera abattu. L’Humanité condamne violemment les nationastes algériens et prétend que les émeutiers seraient des sympathisants de Hitler et des nazis.

    [2Le jour de la Toussaint 1954, les jeunes insurgés membres du CRUA (Comité révolutionnaire d’union et d’action) déclenchent une trentaine d’attentats qui feront 7 morts, dont un européen, l’instituteur Guy Monnerot, fauché lors da mitraillage d’un autocar dans les gorges de Tighanimine. Là encore le hasard a voulu que Monnerot soit tué alors que les insurgés visaient le caïd Hadj Sadok. Par la suite, ses meurtriers seront cruellement punis par leurs propres chefs car les ordres formels du CRUA étalent de n’abattre que des notables musulmans. (ndlr)

    [312 juillet 1956: arrestation de Fontenis, Joulin, Caron, Donnet, Mulot, Simon et Philippe par la DST,

    Arrêté le 29 juin 1955, l’ouvrier du bâtiment Pierre Morain , de la FCL, a été le premier militant français emprisonné (un an d’incarcération) pour sa lutte contre la guerre d’Algéne (ndl

    ESTEVE, Gilbert. "Un entretien avec Georges Fontenis.

    Source: L’Emancipation syndicale et pédagogique, 31 janvier et 28 février 2005

    http://raforum.info/spip.php?article1845&lang=en

  • Algérie: Mélenchon en homme d'État (Npa)

    Quand, dans le cadre d’une tournée au Maghreb pour des conférences sur l’écosocialisme, Jean-luc Mélenchon va en Algérie, ce n’est pas pour discuter en internationaliste, solidaire des mobilisations en cours dans différents secteurs (mouvement des chômeurs à Ouargla, mobilisation des différents secteurs publics, Barbacha…).

    «Vous êtes assez subtils pour deviner qu’étant de passage à Alger, je n’ai naturellement pas l’intention de m'exprimer sur la situation en Algérie » a-t-il déclaré à la presse. Il discute en « patriote » et expli- que à propos des contrats que Hollande est venu conclure en décembre dernier à Alger : « La vie des nations est également faite de contrats et d’accords. Si les Algériens ne sont pas contents de ces contrats, ils n’ont qu’à en signer d’autres. La République française doit y trouver son compte ».

    Pas de repentance

    Mais c'est surtout sur les questions liées au passé colonial de la France en Algérie que Mélenchon sou- tient Hollande. Pas question de parler de repentance de la France : « Je pense que ça serait une belle perte de temps. La France, c’est aussi moi, et moi je n’ai martyrisé personne, ni mes ancêtres. (…) Je pense que c’est une perte de temps totale et un subterfuge pour ne pas parler d’autre chose, des problèmes auxquels nous sommes confrontés ». 

    Des crimes commis à l'époque de la colonisation ?

    « Le peuple français n’est pas davantage responsable de la colonisation que de l’esclavage ou de la déportation des juifs ! (…) J’ai dit devant le Sénat français que nos armes ont combattu pour un ordre injuste, celui de la colonisation et qu’il était juste qu’elles perdent ce combat. Le peuple algérien et l’Algérie se sont constitués dans la guerre d’indépendance. Cette guerre, il l’a gagnée. Quel genre de vainqueur a besoin des excuses du vaincu ? En avons-nous jamais demandé, après les avoir vaincus, aux Allemands qui nous ont envahis trois fois en un siècle ? ».

    Comme si la lutte entre les deux puissances impérialistes rivales était comparable à 132 ans de colonisation, de spoliations légalisées, de soumission d'un peuple réduit au statut « d'indigène musulman ». Mais cela n'entre pas dans le raisonnement du défenseur de la laïcité républicaine, qui d'ailleurs a fini par parler de « guerre civile » à propos de la guerre d'indépendance.

    Quand Mélenchon se positionne à l'étranger, ce n'est plus au nom de la « révolution citoyenne », mais en responsable politique qui assume le passé de l’État français. Rien de bien subversif !


    Cathy Billard  Hebdo Tout est à nous ! 184 (28/02/13)

  • Mélenchon: la Guerre d'Algérie, une guerre civile ? (Médiapart)

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    Quand, en visite en Algérie en février 2013, dans le cadre d'une conférence donnée à l'Institut français d'Alger, Jean-Luc Mélenchon évoqua la "guerre civile", j'ai aussitôt pensé à une référence à la "décennie noire".

    Mais non, Mélenchon évoquait la Guerre d'Algérie. C'est pour le moins surprenant et irresponsable de la part d'un responsable politique, surtout quand il s'agit de faire référence à une période chaude de l'histoire, celle du colonialisme. Cette prise de position, qui s'oppose au consensus qui a été obtenu de haute lutte pour qualifier cette guerre de libération nationale de "Guerre d'Algérie", demande quelques développements. D'autant qu'elle fut passée sous silence en France, dans une complicité médiatique à peu près complète. Mélenchon n'a pas tant d'ennemis, dans les médias, qu'il veut bien le dire.

    Jean-Luc Mélenchon est dans le même registre que les socialistes de la SFIO qui avaient mené la répression

    Sur-le-champ, la presse algérienne francophone réagit vivement à ses déclarations. Si le journal ''Liberté-Alger'' se contente d'évoquer "des propos à l'emporte-pièce" (''Jean-Luc Mélenchon : “La repentance ? Une belle perte de temps”'', in ''Liberté'', 14 février 2013), l'intellectuel progressiste algérien Chems Eddine Chitour souligne dans le quotidien ''L'Expression'' les "ambiguïtés" d'un discours sur la Guerre d'Algérie qui rappelle celui de la SFIO :

    Quand M. Mélenchon joue sur les mots en parlant de « guerre civile », il ne fait pas avancer le débat. Pour rappel, une guerre civile est la situation qui existe lorsqu'au sein d'un État, une lutte armée oppose les forces armées régulières à des groupes armés identifiables, ou des groupes armés entre eux, dans des combats dont l'importance et l'extension dépassent la simple révolte ou l'insurrection. Du point de vue du droit de la guerre, on utilise l'expression « conflit armé non international », le mot « guerre » étant réservé au conflit armé international. (...) Jusqu'au début du XXe s., la guerre civile est considérée comme une affaire strictement intérieure qui ressort du domaine réservé de l'État concerné, qui a de fait et de droit toute latitude pour traiter comme bon lui semble les factieux, en considérant par exemple les rebelles en armes comme de simples criminels. (...)

    « civile » signifie que la lutte a lieu à l'intérieur d'un territoire national. La violence est le critère suprême: les combattants essaient de s'emparer du pouvoir national ou de le conserver. La vengeance, la revendication de droits, les crimes de masse et les gains économiques ne sont pas, pris isolément ou ensemble, des motifs suffisants. Seuls cinq cas précis peuvent être cités : les conflits anglais (1642-1649), américain (1861-1865), russe (1918-1921), espagnol (1936-1939) et libanais (1975-1990).

    Un apartheid avec une classe supérieure et des indigènes.

    On le voit, la Révolution algérienne n'est pas cataloguée sous le vocable de guerre civile. De plus, le concept de guerre civile s'adresse à une population homogène. Tel n'était pas le cas, puisque c'était en fait, un apartheid avec une classe supérieure et des indigènes. Nulle part nous n'avons entendu parler de guerre civile s'agissant de la Révolution de Novembre. Jean-Luc Mélenchon est dans le même registre que les socialistes de la gauche (Section française de l'Internationale ouvrière - SFIO) qui avaient mené la répression et désignant ce qui se passait en Algérie d'évènements d'Algérie. Il a fallu près d'un demi-siècle pour que la France reconnaisse qu'il y avait une guerre d'Algérie.

    (Chems Eddine CHITOUR, ''Jean-Luc Mélenchon. Certitude et ambiguïté du discours'', ''L'Expression'', samedi 16 février 2013) 

    Voir aussi : Yacine Ouchikh, "Algérie. Mélenchon qualifie la repentance de belle plaisanterie", ''Courrier de l'Atlas'', 13 février 2013)

    Mélenchon compare la guerre d'indépendance algérienne à une lutte entre deux puissances égales

    En France, seul le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) semble avoir réagi à chaud. Il souligne que Jean-Luc Mélenchon est venu en Algérie en tant que responsable politique qui assume le passé de l’État français. Il lui reproche cependant de comparer la guerre d'indépendance algérienne à une lutte entre deux puissances égales, comme si la lutte entre les deux puissances impérialistes rivales était comparable à 132 ans de colonisation, de spoliations légalisées, de soumission d'un peuple réduit au statut « d'indigène musulman ». Mais cela n'entre pas dans le raisonnement du défenseur de la laïcité républicaine, qui d'ailleurs a fini par parler de « guerre civile » à propos de la guerre d'indépendance.

    (Algérie : Mélenchon en Homme d'Etat, in ''Hebdo tout est à nous'', n° 184, 28 février 2013.

    La revendication de certains groupes pieds-noirs

    Qu'est-ce qui motive le positionnement idéologique de Mélenchon ? Nous avons vu qu'il rappelle la position officielle de la SFIO. Mélenchon semble en tout cas rejoindre les revendications de groupes Pieds-Noirs, milieu dont il est lui-même issu. Ceux-ci revendiquent l'appellation de "guerre civile" au motif que les Algériens, avant l'indépendance, étaient tous des citoyens français, y compris les Musulmans. Et d'autre part, de manière assez inique, parce qu'il n'existait pas de nationalité algérienne avant l'indépendance.

    L'Etat français a donné le qualificatif de "guerre" à l'ensemble des actes criminels, et à leur répression par des autorités politiques françaises, qui se sont déroulés dans les départements français d'Algérie du 31 octobre 1954 au 2 juillet 1962 (La loi N°74.1044 du 9 décembre 1974). Les débats à l'Assemblée nationale, au Sénat et dans les médias n'ont pas qualifié correctement cet ensemble de faits violents baptisés du seul mot "guerre". L'analyse des faits historiques démontre qu'il s'agit en réalité d'une suite de guerres civiles franco-françaises. Dans le contexte algérien, le terme de "guerre" doit être effectivement accompagné de "civile" car tous les intervenants avaient de facto jusqu'au 3 juillet 1962 la nationalité française, la nationalité algérienne n'ayant jamais existé auparavant. L'Algérie est une création purement française, l'ensemble de territoires correspondant à cette dénomination n'ayant jamais porté ce nom auparavant. L'Algérie indépendante est aussi une création française, la décision d'abandon de nos départements algériens ayant été prise par le Chef de l'Etat d'alors, le général de Gaulle.

    (http://jeunepiednoir.pagesperso-orange.fr/jpn.wst/GuerreAlg%E9rie.htm)

    Cette dénomination repose donc sur une farce "juridique" présupposant que, comme la Palestine avant 1948 selon le point de vue israélien, l'Algérie n'existait pas avant la colonisation.

    Nationalité française face à statut civil de droit local

    En réalité, les Musulmans ne disposèrent que tardivement (après la Libération) d'un "statut civil de droit local" qui leur permettait d'accéder à certains droits selon un principe dérogatoire. Une citoyenneté qui s'est progressivement élargie au fur et à mesure que la France perdait le contrôle du territoire.

    C'est d'ailleurs sur la base d'une telle fable que certains descendants de Musulmans d'Algérie ont tenté d'obtenir la nationalité française, arguant de la "nationalité française" de leur parent (rappelée effec- tivement en toutes lettres dans les papiers officiels). Or, même en brandissant des certificats militaires (de nombreux Musulmans d'Algérie ayant été enrôlés dans les guerres européennes), ils se sont heur- tés à un refus ; sauf dans les cas, assez rares, d'acquisition de la nationalité française par décret. Il est évident qu'un statut civil de droit local n'offre pas une citoyenneté pleine et entière.

    Il est facile de montrer que l'Algérie était en situation d'apartheid et qu'il existait une séparation de fait entre les Algériens d'origine européenne, les Musulmans et les Juifs. Suggérer qu'il existait un ensem- ble commun réunissant des citoyens français égaux entre eux au sein des fameux départements algériens, qui se seraient opposés dans une "guerre civile", est donc une imposture.

    Quand la SFIO vante le colonialisme

    Les Français furent d'ailleurs de bien mauvais colonisateurs au Maghreb, en dépit des envolées lyriques universalistes sur la mission civilisatrice de la colonisation  (qui ne sont pas sans évoquer un certain discours européiste admettant la supériorité de l'Allemagne, par exemple en matière de gestion budgétaire) : 

    « Nous admettons qu'il peut y avoir non seulement un droit, mais un devoir de ce qu'on appelle les races supérieures, revendiquant quelquefois pour elles un privilège quelque peu indu, d’attirer à elles les races qui ne sont pas parvenues au même degré de culture et de civilisation » (Léon Blum, Débat sur le budget des colonies à la Chambre des députés, 9 juillet 1925, J.O., Débats parlementaires, Assemblée, Session Ordinaire (30 juin-12 juillet 1925), p. 848).

    En guise de mission civilisatrice, dans les faits, la France ne scolarisa les enfants musulmans qu'en infime quantité, les Pieds Noirs s'étant fermement opposés à l'ouverture d'écoles pour les "Arabes". Et ce n'est pas l'assouplissement de la position des colons, contraints par les circonstances dans les dernières années, qui change quelque chose à cette réalité de longue durée.

    60 élus pour 900 000 électeurs européens / 60 élus pour 9 millions de Musulmans

    La France avait de même mis entre parenthèses le principe de laïcité, organisant par exemple des élections où les communautés était représentées séparément, selon un principe fortement inégalitaire : le premier collège (constitué de 900 000 électeurs européens) élisait 60 représentants à l’Assemblée algérienne, le second collège (constitué de 9 millions de Musulmans) élisait de même 60 représentants à cette assemblée.

    Comme le suggère M. Chitour, évoquer une "guerre civile" à défaut des "événements" d'Algérie au lieu de conserver l'acquis reconnaissant encore trop tardivement une "guerre" d'Algérie est le signe d'une régression, qui dénote l'incapacité de Mélenchon à prendre de la distance vis-à-vis d'un passé familial pro-"Algérie française". Mélenchon a parfois bien du mal à rester en cohérence avec une famille politique, normalement anticolonialiste, qui a rompu avec la SFIO depuis des décennies et dont il semble se réclamer sur le tard.

  • Soulèvement arabe et complexité de la révolution (Université de Nantes)

    Résumé de la vidéo:

    "L’onde de choc révolutionnaire qui secoue l’espace arabophone depuis 2011 puise son énergie dans l’accumulation de problèmes sociaux suscités par des décennies de blocage économique. Toutefois, plusieurs facteurs compliquent considérablement la donne politique à l’échelle régionale : la nature des États, celle de leurs bases populaires, la convergence de forces antithétiques dans la lutte contre les dirigeants du moment, les divers pôles de la contre-révolution régionale, les politiques des puissances mondiales. On dressera un bilan des soulèvements en cours à la lumière de ces paramètres en accordant une attention particulière aux cas égyptien et syrien." Gilbert Achcar

    Présentation de l'intervenant

    Gilbert Achcar est Professeur en études du développement et relations internationales à l’École des études orientales et africaines (SOAS) de l’Université de Londres.

    Les conférences de l’Institut d’Etudes Avancées de Nantes

    L’Institut d’Etudes Avancées de Nantes
    est une fondation reconnue d’utilité publique dont la mission est d’accueillir en résidence des chercheurs choisis pour l’excellence et le caractère innovant de leurs travaux. L’ambition particulière de l’IEA de Nantes est de tisser des relations d’un type nouveau entre chercheurs du "nord" et du "sud", en s’ouvrant largement à ces derniers et en permettant à chacun de confronter la façon dont il perçoit les questions qui, avec le processus de globalisation, se posent désormais à tous.

    http://webtv.univ-nantes.fr/fiche/4934/gilbert-achcar-soulevement-arabe-et-complexite-de-la-revolution

  • Retour sur le «printemps arabe» (Le Monde Diplomatique)

    Qui sont les moteurs des révoltes arabes ? Des ouvriers aux membres des professions libérales, chacun a joué un rôle, mais bien différent selon le pays.

    La révolte arabe, déclenchée par la protestation qui éclata dans la ville tunisienne de Sidi Bouzid après le suicide du jeune Mohamed Bouazizi, le 17 décembre 2010, confirme largement cette idée : lors d’un mouvement populaire de grande ampleur, uni autour de l’opposition à un régime despotique et de la revendication d’un changement démocratique, il est fréquent de voir s’associer la majorité des couches moyennes et les catégories les plus démunies de la société.

    Marchand ambulant de condition précaire et misérable, Bouazizi présentait le profil type des protestataires du « printemps arabe », cette masse composée de millions de jeunes et de moins jeunes appartenant soit au secteur dit informel — celui des « chômeurs déguisés » vivant d’expédients en attendant de trouver un emploi —, soit au groupe des chômeurs formels. A ces masses se sont jointes, en Tunisie et en Egypte, les forces organisées ou inorganisées des travailleurs salariés, du fait de l’existence dans les deux pays d’un mouvement ouvrier dont les luttes ont constitué le préambule du « printemps arabe ».

    Là où se sont produits des soulèvements massifs (Bahreïn, Egypte, Libye, Syrie, Tunisie et Yémen), ce vaste front des groupes les plus défavorisés de la société a été rejoint par l’essentiel des couches moyennes : travailleurs individuels, tant traditionnels (artisans et boutiquiers) que modernes (professions libérales, notamment avocats, ingénieurs et médecins), salariés apparentés — enseignants du supérieur, journalistes, cols blancs (fonctionnaires et employés des services commerciaux ou financiers) et petits entrepreneurs.

    Quand le régime n’avait pas imposé un climat de terreur paraissant exclure toute protestation — c’est-à-dire en Tunisie et en Egypte principalement —, une recrudescence des luttes politiques et sociales a précédé les mouvements de révolte. En Egypte, elles étaient surtout le fait de la classe ouvrière, le pays ayant connu entre 2006 et 2009 la plus grande vague de grèves ouvrières de son histoire, jusqu’à la révolution du 25 janvier 2011 (1). En Tunisie, ces luttes politiques et sociales étaient davantage liées à la question du chômage et du népotisme, avec notamment les émeutes de 2008, déclenchées dans le bassin minier de Gafsa (2).

    Par leur composition, les couches moyennes n’ont pas une attitude politique homogène

    Dans ces deux pays, d’autres actions en faveur de la démocratie ont été également menées, au cours de la même décennie, par des avocats et des journalistes. Ces professions ont constitué des vecteurs éminents de la protestation, tandis que leurs membres s’engageaient dans des combats directement politiques, par exemple au sein du mouvement égyptien Kefaya (« Ça suffit »), longtemps fer de lance de la contestation contre les manipulations électorales de M. Hosni Moubarak et également désireux de contrecarrer sa volonté de voir son fils lui succéder à la présidence du pays.

    Des jeunes issus majoritairement des couches moyennes, fortement connectés à Internet, ont également été au premier rang des protestations, qu’il s’agisse des blogueurs (3) — cibles de la répression dans plusieurs pays arabes — ou, de façon plus organisée, du mouvement égyptien des Jeunes du 6 avril, créé en solidarité avec la grève des travailleurs — du textile, en particulier — de la ville industrielle de Mahallah Al-Koubra, en 2008.

    En outre, du Maroc à Bahreïn en passant par l’Egypte et la Syrie, les catégories intermédiaires sont très présentes dans les deux instances d’organisation des soulèvements : les réseaux sociaux et les mouvements politiques. Le rôle des réseaux sociaux a certes pu être exagéré au cours des premiers mois — notamment pour présenter les révoltes comme Western friendly (bien disposées à l’égard de l’Occident) —, il n’en reste pas moins déterminant. Contrairement aux idées reçues, les usagers d’Internet proviennent aussi des milieux démunis, qui se connectent à domicile ou au cybercafé — sans parler des téléphones portables, qui ont également permis aux opposants de communiquer.

    Quant aux forces politiques qui se sont investies dans les soulèvements, des couches moyennes en composent l’essentiel. C’est en particulier le cas d’Ennahda en Tunisie, qui appartient à la mouvance des Frères musulmans. Certains de leurs responsables affichent un fort tropisme capitaliste, à l’instar de M. Khairat Al-Shater, le richissime homme d’affaires dont les Frères musulmans ont voulu un temps faire leur candidat à l’élection présidentielle égyptienne (lire « Les Frères musulmans égyptiens pris au piège du pluralisme »).

    On retrouve là une constante du rôle politique des couches moyennes : par leur composition même, elles ne sauraient avoir une attitude homogène sur le long terme. Elles ont tendance à se scinder entre les deux pôles de la société qui les encadrent. Du Maroc à la Syrie, la mouvance des Frères musulmans constitue un bloc hétérogène de membres de ce groupe et de la bourgeoisie d’affaires. Une fois dépassée l’étape démocratique initiale, le mouvement populaire se scinde, comme en Tunisie et en Egypte. Les organisations politiques s’opposent à la poursuite des luttes sociales des salariés, dénoncées comme « catégorielles », tandis qu’une bonne partie des jeunes issus des couches moyennes, y compris ceux qui ont adhéré à ces organisations, entendent poursuivre la révolution.

     

    Gilbert Achcar  mai 2012

    Professeur à l’Ecole des études orientales et africaines (SOAS) de l’université de Londres. Son prochain ouvrage, portant sur le soulèvement arabe, paraîtra aux éditions Sindbad - Actes Sud à la fin de 2012.
     
    http://www.monde-diplomatique.fr/2012/05/ACHCAR/47669
  • Soulèvements arabes : le peuple a voulu, veut et voudra (Npa)

    Le Moyen-Orient et le Maghreb sont-ils en train d’être bouleversés ? Un processus révo- lutionnaire est-il en train de s’y développer ? Ou, au contraire, a-t-on surestimé les poten- tialités d’un « printemps arabe » qui s’essoufflerait sans que la donne soit fondamen- talement changée ? C’est à ces questions, et à d’autres encore, que Gilbert Achcar entre- prend de répondre dans son récent ouvrage Le peuple veut1, première tentative (réussie) d’étude systématique du processus en cours en le resituant dans son historicité.

    Dès l’introduction de l’ouvrage, Gilbert Achcar rappelle « [qu’il a] décrit les soulèvements en cours, dès les premiers mois de 2011, comme constituant un processus révolutionnaire prolongé ou à long terme, une formulation qui permet de concilier la nature révolutionnaire de l’événement et son inachèvement »2. Les processus révolutionnaires posent la question de la temporalité de la transformation sociale, et invitent à se débarrasser de toute conception graduelle, ou linéaire, du temps politique. « On ne saurait se représenter la révolution elle-même sous forme d’un acte unique : la révolution sera une succession rapide d’explosions plus ou moins violentes, alternant avec des phases d’accalmie plus ou moins profondes »3

    « La » révolution ne peut se résumer à un « grand soir », au cours duquel l’ancien s’écroulerait soudain et le nouveau le remplacerait : elle est un processus qui s’inscrit dans la durée, au sein duquel se succèdent, parfois de manière très rapprochée, le flux et le reflux, les avancées et les reculs, le calme et la tempête. « Les révolutions ont leur propre tempo, scandé d’accélérations et de ralentissements. Elles ont aussi leur géométrie propre, où la ligne droite se brise dans les bifurcations et les tournants brusques »4. Dans le monde arabe, et ce malgré l’absence de continuité apparente du processus de transformation révolutionnaire, un mouvement de fond est en cours, qui a déjà abouti, en l’espace de quelques mois, à la chute de trois des plus féroces dictatures du monde arabe, et qui en fait vaciller bien d’autres. C’est ce mouvement de fond qu’Achcar se propose d’explorer, et ce de manière « radicale » : « Le processus révolutionnaire dans la région arabe étant en cours et pour longtemps encore, toute chronique qui cherche à être à jour risque d’être dépassée avant même de sortir de l’imprimerie. Ce livre se propose plutôt d’analyser la dynamique des événements afin de tenter d’en dégager les grands enseignements et d’en scruter l’horizon. Il s’agit d’une exploration radicale du soulèvement arabe dans les deux sens de la radicalité : une exploration qui se propose de repérer les racines profondes du phénomène et qui partage la conviction qu’il n’y a de solution durable à la crise qu’il manifeste que par leur transformation ».

    Conditions objectives

    Achcar reprend à son compte la thèse de Marx selon laquelle les révolutions sont le produit de trop grandes contradictions entre le développement des forces productives (capacités humaines et matérielles de production économique) et les rapports de production (mode de propriété, d’exploitation et de redistribution économiques). Pour mettre à l’épreuve cette thèse, Achcar étudie avec minutie les structures économiques et sociales du monde arabe et leurs évolutions au cours des dernières décennies, établissant l’existence d’un véritable « blocage » dans le développement économique, malgré les richesses naturelles et humaines de la région. Ce blocage se traduit notamment par des taux de chômage qui sont les plus élevés au monde, notamment chez les jeunes et les femmes, et par une croissance exponentielle de la misère et des inégalités sociales. 

    Ce blocage n’est néanmoins pas essentiellement dû, selon Achcar, à des contradictions intrinsèques au mode de production capitaliste, mais bien aux modalités spécifiques du capitalisme dans la région, improbable et instable synthèse entre capitalisme d’État bureaucratique et capitalisme néolibéral corrompu, dont les traits principaux sont les suivants : « patrimonialisme, népotisme et capitalisme de compérage, pillage des biens publics, hypertrophie bureaucratique et corruption généralisée, sur fond de débilité, voire d’inexistence, de l’état de droit et de grande instabilité sociopolitique ». La description de cette configuration spécifique permet d’établir que les conditions étaient en réalité réunies pour une explosion généralisée : le développement économique étant structurellement entravé par un mode particulier de gestion du capitalisme par les pouvoirs en place, qui ont toujours considéré l’État comme un outil destiné à satisfaire les besoins matériels et symboliques de leur clan et/ou de leur clientèle, la résolution des contradictions entre les intérêts immédiats des peuples de la région et ceux des groupes dominants passait par une remise en cause de l’ensemble des formes de domination, y compris politique.

    Sujets révolutionnaires

    C’est ce qui permet de comprendre l’exceptionnelle ampleur et l’inscription dans la durée des soulèvements en cours. Les premières traductions visibles, sur le champ politique, des soulèvements (victoire des courants politiques islamiques), ne signifient pas la fin du processus révolutionnaire. Elles confirment en réalité que nous sommes aujourd’hui dans un entre-deux, au sein duquel cohabitent des éléments de rupture et des éléments de continuité, une période de crise au sens gramscien du terme : « La crise consiste précisément dans le fait que l’ancien meurt et que le nouveau ne peut pas encore naître ; durant cet entredeux, une grande variété de symptômes morbides se font jour »5. Comme l’explique Achcar, les résultats électoraux en Tunisie et en Égypte doivent être considérés comme l’expression, dans un contexte particulier et mouvant, des rapports de forces entre courants politiques organisés, produits de décennies de dictature et de répression, et donc comme une étape au sein d’un processus dans lequel des millions de personnes sont investies.

    En effet, même si l’implication des masses populaires est à relativiser selon les pays, il n’en demeure pas moins que dans chacun des cas, c’est la mobilisation de dizaines de milliers, de centaines de milliers, voire de millions d’individus qui a radicalement changé les coordonnées politiques et sociales. Ceux qui résument les événements qui se sont produits en Tunisie à une « révolution de palais » semblent oublier que Ben Ali serait toujours au pouvoir sans les mobilisations de rue. Ceux qui ne voient en Egypte qu’un « putsch militaire » relativisent considérablement les manifestations de la place Tahrir. Le rôle majeur joué par l’OTAN dans la chute de Kadhafi ne doit pas occulter la réalité du soulèvement de Benghazi. 

    Cette implication des peuples dans les processus en cours interdit toute lecture réductrice qui verrait dans les résultats des scrutins électoraux le symptôme d’une « confiscation » définitive de la révolution par des groupes contre-révolutionnaires. Après avoir établi les causes profondes du mouvement en cours, l’auteur se livre à une étude des évolutions de la situation dans six pays (Tunisie, Égypte, Yémen, Syrie, Libye, Bahreïn) et démontre, par les ressemblances et les dissemblances entre les situations nationales, qu’un processus long est bel et bien à l’œuvre au niveau régional. Il ne s’agit évidemment pas de nier les spécificités de chacun des États arabes et de chacun des soulèvements : il est au contraire particulièrement utile de penser les singularités de chacun des mouvements en cours pour mieux dégager les traits caractéristiques du processus révolutionnaire. 

    Quel avenir ?

    Les cas égyptien et tunisien démontrent en effet que la situation est loin d’être stabilisée en raison de l’accession au pouvoir de courants qui se refusent à remettre en cause le dispositif régional et privilégient les rapprochements avec les États-Unis, dont ils partagent notamment les options économiques. Or, c’est précisément parce que ces courants sont par nature incapables de répondre aux enjeux de la crise socio-économique qui a généré les soulèvements que leur légitimité est, à peine plus d’un an après leur accession au pouvoir, déjà érodée. Produits d’une crise qu’ils ne peuvent résoudre, les courants islamiques sont confrontés à des luttes sociales d’ampleur, notamment en Égypte où les grèves et mobilisations des travailleurs n’ont jamais été aussi nombreuses qu’au cours de l’année 2012. 

    Si nul ne peut pronostiquer les développements à venir dans le monde arabe, l’ouvrage de Gilbert Achcar démontre largement que nous n’en sommes qu’au début d’un long processus dont les causes sont profondes et dont les problématiques ne peuvent être résolues par un simple changement d’élite au pouvoir. L’irruption sur la scène politique de millions de jeunes, de femmes, de travailleurs, qui refusent la fatalité et se pensent comme les premiers sujets de leur histoire, représente un saut qualitatif majeur. Comme le résume Maha Abdelrahman, de l’Université de Cambridge, citée par Achcar dans sa conclusion : « Sans mesures pour résoudre leurs injustices vécues, leurs revendications longtemps ignorées et leurs conditions de vie en détérioration permanente, il est difficile d’imaginer comment ces millions pourraient être convaincus de revenir chez eux et d’abandonner leur lutte pour la justice, tant politique qu’économique ». Par Julien Salingue.

    Revue Tout est à nous ! 44 (juin 2013)

    Notes

    1. Le peuple veut. Une exploration radicale du soulèvement arabe, Gilbert Achcar, Sindbad Actes Sud, février 2013, 432 pages, 24,80 euros.  

    2. Sauf mention contraire, les citations sont extraites du livre de Gilbert Achcar. 

    3. Lénine, Que Faire ? V°, c) (1902).

    4. Daniel Bensaïd, « Les sauts ! Les sauts ! Les sauts ! Lénine et la politique », in Bensaïd, La politiquecomme art stratégique, Paris, Syllepse, 2011. 

    5. Antonio Gramsci, Selections from the Prison Notebooks, Quintin Hoare et Geoffrey Nowell Smith (eds), International Publishers, New York, 1971, p. 276.

  • La région arabophone, entre changement progressiste et barbarie (Contretemps)

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