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Documents - Page 32

  • Pourquoi un Etat palestinien est désormais impossible (Rue 89)

     

    Ce n’est qu’un extrait, diffusé cette semaine à une heure tardive par l’émission « Des mots de minuit », mais qui donne envie d’en voir plus.

    Le journaliste Charles Enderlin, correspondant de France2 à Jérusalem, a réalisé un documentaire intitulé « Au nom du Temple », qui explique tout simplement pourquoi un Etat palestinien est devenu pratiquement impossible.

    Ce documentaire, adaptation en 66 minutes d’un livre éponyme paru l’an dernier (au Seuil), a été terminé en février dernier, mais n’est semble-t-il toujours pas programmé dans la grille de France2. Il est pourtant d’une actualité brûlante.

    Il y montre cette « irrésistible ascension du messianisme juif », comme dit le sous-titre du livre, ses raçines historiques, le choc messianique de la « guerre des six jours » de 1967 raconté par les paras de « Merkaz ha rav », les colons de Hébron, la « ville des patriarches », et la question a priori farfelue mais pas pour tout le monde, de la construction d’un « troisième Temple » à l’endroit le plus explosif de la planète, là où se dresse le dôme doré de la mosquée Al Aqsa à Jérusalem...

    Dans cet extrait que nous vous présentons, on voit Khalil Toufakji, l’incontournable géographe palestinien qui tient, depuis des décennies, la carte de la colonisation. Charles Enderlin le montre il y a vingt ans, et ses prédictions d’alors, que j’avais aussi entendues lorsque j’étais correspondant dans la région, et dont il montre aujourd’hui qu’elles n’étaient pas si farfelues.

    C’est un document dérangeant car il montre le décalage entre les impasses des processus de paix depuis plus de vingt ans (les Accords d’Oslo et la poignée de mains Rabin-Arafat datent déjà de 1993...), et la détermination des colons et des forces qui les soutiennent à changer, avec succès, la donne sur le terrain.

    Et, surtout, il montre la dimension religieuse de ce rouleau compresseur : c’est au nom de Dieu que les uns colonisent, que d’autres résistent. Le combat politique a cédé la place à l’affrontement des « fous de Dieu ».

    Ce teaser nocturne de France2 a été efficace : on attend la suite.

    http://rue89.nouvelobs.com/2014/09/13/charles-enderlin-pourquoi-etat-palestinien-est-desormais-impossible-254823

     

  • Nouveautés sur "Agence Médias Palestine"

    Trois façons pour les Palestiniens de tenir Israël pour responsable de crimes de guerre à Gaza

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    Les mythes humanitaires de la politique de « coups sur le toit » d’Israël à Gaza

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    La menace de grève des prestataires de services de santé met en péril l'hygiène de l'hôpital de Gaza

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    Gaza, Al Ray – Un fonctionnaire du ministère de la Santé a mis en garde contre la catastrophe sanitaire qui pourrait survenir si les prestataires de service d’hygiène hospitalière entamaient une grève pour protester contre le non paiement de leur salaire par le gouvernement de réconciliation depuis cinq mois. Ahmed Ali, Directeur général des affaires...
     
     
     
    L’UEFA punit des supporters de football pour leur solidarité avec la Palestine

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    Le football à l’ombre de l’apartheid israélien. (Anne Paq – ActiveStills) Essayant de faire venir le championnat d’Europe de football Euro 2020 à Jérusalem, l’Association israélienne de football (IFA) a soumis une offre à l’UEFA, instance dirigeante du football européen. L’IFA propose le Teddy Stadium comme lieu du tournoi. Mais c’est là aussi que réside...
     
     
     
    LIVRE: « GAZA La vie, passionnément ! » par Marie-Jo Parbot

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    Extrait du journal « Le Républicain Lorrain » – 24 août 2014 Militante des droits de l’Homme, Marie-Jo Parbot est allée recueillir à Gaza des « paroles d’assiégés ». Ses interviews dessinent une société complexe, habitée par la volonté de vivre envers et contre tout. « GAZA veut dire étymologiquement “la Forte” », rappelle Michèle...

  • L’assaut contre Gaza, la dérive d’extrême droite en Israël et leur impact dans la region (Essf)

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    Amandla ! : Quels sont à votre avis les facteurs qui ont donné lieu au récent assaut contre Gaza et pourquoi a-t-il eu lieu en ce moment ? Pourquoi a-t-il été exceptionnellement brutal ?

    Gilbert Achcar : L’escalade dans la brutalité n’est pas nouvelle : elle va de pair avec la longue dérive de la société israélienne et de son régime politique vers l’extrême droite. Le Likoud, la principale force dans l’extrême droite sioniste, est arrivé au pouvoir en 1977. Quelques années plus tard, en 1982, il a mené l’invasion criminelle du Liban qui a culminé avec le massacre de Sabra et de Chatila. Ce fut la plus meurtrière des guerres israéliennes jusque-là. Alors, un seuil a été franchi dans les atrocités et la brutalité exercées contre les populations civiles. Toutefois, ce seuil a été dépassé en termes d’intensité des destructions et de violence lors de l’attaque israélienne contre le Liban en 2006. Ensuite, il y a eu l’agression contre Gaza en décembre 2008-janvier 2009, qui a été tout aussi brutale et encore plus meurtrière à l’égard des civils étant donné la densité de la population à Gaza et l’impossibilité de fuir ladite Bande de Gaza.

    L’assaut récent [opération « Bordure protectrice »] contre Gaza s’intègre parfaitement dans cette configuration marquée par une brutalité et violence croissantes et par le mépris accentué d’Israël à l’égard de l’opinion publique globale. Les tentatives précédentes de conserver une image d’un Etat à « la recherche de la paix » relèvent de l’histoire ancienne. Actuellement, à l’heure de la prétendue « guerre contre le terrorisme », les gouvernements israéliens se sentent autorisés à utiliser ouvertement le langage de la force brutale. Cette approche post-11 septembre 2001 – parrainée par les Etats-Unis – a donné le feu vert à l’utilisation ouverte par Israël du terrorisme et de la brutalité d’Etat, au nom de la lutte contre le terrorisme.

    Pour ce qui relève de la raison de cette dernière attaque contre Gaza, elle renvoie, d’une part, à l’exaspération de Netanyahou suite à la réconciliation entre le Hamas et le Fatah [annonce officielle de la composition du gouvernement d’unité, début juin 2014] et, d’autre part, au fait que cette réconciliation a été favorablement accueillie, bien que de manière peu explicite, par les gouvernements occidentaux, y compris Washington. L’irritation du gouvernement israélien n’est pas due à une quelconque « radicalisation » du Hamas, mais au contraire au fait que – suite au tournant qui s’est opéré en Egypte en 2013 – cette organisation a dû tempérer son orientation politique générale et faire beaucoup de concessions en vue de sa réconciliation avec l’Autorité palestinienne (AP) installée en Cisjordanie.

    La vérité est que le gouvernement israélien est beaucoup plus à l’aise dans un contexte où la Palestine est divisée et où il est facile de diaboliser le Hamas que face à un panorama palestinien unifié et à un Hamas plus modéré. Depuis les accords d’Oslo de 1993, l’objectif de l’extrême droite israélienne a toujours été d’affaiblir les Palestiniens « modérés » – de Arafat à Mahmoud Abbas – et de pousser vers une radicalisation qui bénéficie au Hamas. En effet, aussi longtemps qu’il peut être facilement diabolisé, le Hamas est leur « ennemi préféré », puisque cela rend les rapports d’Israël avec les Etats-Unis et l’Europe beaucoup plus consensuels et réduit la pression des pays occidentaux sur le gouvernement israélien. Rappelons que l’attaque israélienne la plus brutale contre le Hamas-Gaza est survenue après que ce mouvement islamiste a pris ses distances avec les attentats suicides et a privilégié l’action politique, y compris en participant aux élections de 2006. Pendant des années, le Hamas avait rejeté de telles élections comme étant illégitimes et ce contrairement à une orientation de lutte armée.

    Quels étaient les objectifs [d’Israël] compte tenu du fait que la brutalité de l’assaut a certainement encouragé un rapprochement de tous les Palestiniens ?

    Le but d’Israël était de provoquer une nouvelle radicalisation du Hamas et de creuser à nouveau l’écart entre le mouvement islamiste (Hamas) et l’Autorité palestinienne (AP). De fait, la brèche entre les deux s’est d’abord élargie sous l’effet de l’agression. De ce point de vue, pendant un certain temps semblait être atteint. Mais la colère que l’attaque a suscitée parmi tous les Palestiniens a été telle que l’AP a dû exprimer sa solidarité à l’égard de Gaza dirigée par le Hamas. Le gouvernement israélien n’en a que faire des sentiments du peuple palestinien. Ce qu’il voulait surtout : torpiller l’élan vers des initiatives de paix de la part des Palestiniens. Son calcul était que, face à une telle brutalité de l’Etat d’Israël, le Hamas estimerait qu’il ne pouvait plus opter pour la modération et le compromis comme il l’avait fait juste avant la récente attaque. Paradoxalement, le gouvernement israélien craint beaucoup plus les initiatives de paix des Palestiniens que les roquettes tirées depuis Gaza. Ce qu’il redoute le plus, ce sont chaque initiative palestinienne qui pourrait être bien accueillie par des gouvernements occidentaux et soutenus par Washington, fut-ce avec tiédeur.

    Pour atteindre son objectif, le gouvernement israélien peut saisir tout prétexte, comme il l’a fait dans ce cas avec les trois jeunes Israéliens enlevés et assassinés en Cisjordanie. Il a immédiatement accusé le Hamas, sans aucune preuve, tout comme l’administration Bush avait accusé l’Irak d’être derrière les attentats du 11 septembre en 2001 : un prétexte pour atteindre un objectif fixé à l’avance. Les Israéliens ont saisi le triple assassinat comme une opportunité d’arrêter à nouveau un grand nombre des prisonniers politiques palestiniens qui avaient été relâchés en échange du soldat israélien Gilad Shalit (libéré le 18 octobre 2011) ; il avait été détenu (en juin 2006) comme prisonnier de guerre à Gaza. Il s’agissait bien évidemment d’une campagne d’arrestations préméditée : le gouvernement israélien n’avait relâché ces détenus qu’avec beaucoup de réticence. Il attendait le premier prétexte pour les arrêter à nouveau, signifiant ainsi aux Palestiniens que tout ce qu’ils peuvent accomplir dans ce domaine ne sert à rien parce qu’Israël finira par retirer toute concession qu’il aurait faite sous pression.

    Voilà donc comment cela a commencé. Et ensuite le gouvernement de Netanyahou a invoqué le prétexte des tirs de roquettes, après avoir volontairement exacerbé les tensions par son comportement très brutal adopté par l’armée israélienne en Cisjordanie sous prétexte de chercher les jeunes Israéliens enlevés. Cette brutalité a évidemment suscité des réactions de colère de la part des Palestiniens. Israël a ensuite saisi ces réactions comme prétexte pour lancer son attaque brutale, complètement « disproportionnée », sans aucune retenue morale – à part des avertissements, tout à fait hypocrites, laissant six minutes aux habitants pour s’enfuir avant que les bâtiments civils s’écrasent sur eux, au milieu de la nuit !

    Israël a-t-il atteint l’un de ses objectifs avec cette attaque ? Israël sort-il renforcé ou affaibli de ce conflit ? Qu’en est-il des pertes militaires israéliennes ?

    Les Israéliens ont eu des pertes parmi leurs soldats parce qu’ils devaient montrer qu’ils étaient décidés d’entrer dans Gaza de manière à rétablir leur « crédibilité » en tant que puissance militaire. S’ils s’étaient limités à des frappes à distance, cela aurait été interprété comme un signe de faiblesse : tout le monde sait qu’il n’y a aucune commune mesure entre les roquettes artisanales qui sont tirées depuis Gaza et la formidable puissance de feu israélienne. Le gouvernement israélien devait donc rétablir sa « crédibilité » perdue en engageant des troupes au sol. Mais cela a entraîné un coût élevé, car on ne peut pas engager des troupes dans une structure urbaine hostile sans qu’il y ait des pertes.

    En fait la pire chose pour l’Etat l’Israël, bien plus que de connaître des pertes (morts et blessés), c’est que leurs soldats soient capturés et deviennent des prisonniers de guerre (des otages selon eux). La stratégie que les responsables de l’armée ont élaborée pour minimiser ce risque est la suivante : chaque fois qu’un soldat israélien est sous la menace d’être fait prisonnier, l’ordre vient d’accentuer l’offensive ce qui entraîne un important risque de tuer le soldat en question. Les responsables militaires préfèrent en effet prendre le risque de tuer leurs propres soldats plutôt qu’ils ne soient faits prisonniers et, dès lors, puissent servir pour un échange ultérieur avec des prisonniers politiques palestiniens. La politique d’Israël est celle de la force brute. Le gouvernement israélien ne souhaite aucunement la paix. Il veut juste écraser les Palestiniens avec sa supériorité militaire, les terroriser. Il se comporte comme un Etat terroriste au sens plein du terme. Ses dirigeants ne croient qu’à la domination militaire, à la suprématie militaire absolue.

    Lors de cet assaut, les Israéliens ont réussi à terroriser les gens, mais non à les soumettre. En outre leurs actions ont provoqué un immense tollé international. Peut-on donc dire que cette opération a eu un effet boomerang ?

    En tout cas pas dans les têtes du bloc d’extrême droite au pouvoir qui dirige à l’heure actuelle Israël. Pour les sionistes de l’ancienne génération, cela aurait posé un problème important. Mais ce qui est en train de se développer sous couvert de la « guerre contre le terrorisme » est la notion que dans un combat contre un ennemi monstrueux [Netanyahou a publiquement et de manière répétée assimilé le Hamas à l’Etat islamique], il est justifié de recourir à toutes sortes de moyens terrifiants. Et le gouvernement israélien d’extrême droite en exercice est celui qui incarne cette logique de la manière la plus extrême.

    De manière générale, les dirigeants israéliens actuels se moquent de l’opinion publique mondiale. Par contre, ils se soucient évidemment de l’opinion publique états-unienne dans la mesure où elle impact le comportement du gouvernement états-unien. Mais dans ce domaine, Netanyahou a montré ouver- tement qu’il se comportait comme un joueur madré dans la politique états-unienne, cherchant directement à exploiter les divisions politiques au sein des Etats-Unis, séduisant la droite républicaine, etc. Et il a été assez efficace à ce jeu, d’autant que Obama est en effet timoré, en particulier en ce qui concerne les rapports avec Israël. Et Hilary Clinton, qui sera probablement la candidate démocrate en 2016, avec de bonnes chances de devenir le prochain président, a récemment accordé son plein soutien à la politique de Netanyahou. C’est cela qui compte pour Netanyahou. Il se moque de l’opinion publique, des pétitions d’intellectuels et des initiatives de ce type.

    Il semble que plus le gouvernement agit de manière brutale et qu’il s’oriente à l’extrême-droite, plus les Israéliens le soutiennent. Il semble qu’il n’y ait pratiquement pas de voix d’opposition.

    Oui, c’est encore un aspect désolant de cette histoire. C’est une fois de plus la névrose de la guerre contre le terrorisme, dans ce cas la diabolisation du Hamas ainsi que le recours à l’argument inepte des roquettes tirées depuis Gaza. Beaucoup d’Israéliens qui auraient participé à des manifestations contre la guerre en 1982 [lors de l’invasion du Liban] soutiennent aujourd’hui la guerre menée par leur gouvernement au nom de l’opposition au « terrorisme ». Le facteur Hamas est assez important à ce propos. Sharon a tout fait pour affaiblir, discréditer et détruire Yasser Arafat, permettant ainsi au Hamas d’accroître son soutien parmi les Palestiniens. Il a provoqué les Palestiniens de manière délibérée et répétée, sachant que ceci susciterait des réactions, surtout de la part de groupes tels que le Hamas. Et ensuite il pouvait prendre à chaque fois ces réactions comme prétexte pour accroître l’oppression des Palestiniens et pour alimenter le cycle de violence qui bénéficiait à la fois au Hamas, du côté palestinien, et à lui-même, Ariel Sharon, du côté israélien. Cette dialectique des extrêmes promue par l’extrême droite israélienne a été continuellement appliquée. Mahmoud Abbas est allé très loin dans la capitulation face aux conditions israéliennes/états-uniennes, mais les Israéliens continuaient à le discréditer parce que, comme je l’ai déjà mentionné, ce gouvernement ne veut absolument pas de « partenaire de paix », il ne veut simplement pas la paix !

    En général, quel a été l’impact du conflit Israël/Palestine sur la situation au Moyen-Orient ?

    Il s’agit essentiellement d’un facteur de radicalisation dans le monde arabe parmi d’autres. Le ressentiment populaire est en train de s’accumuler rapidement face au développement de multiples tragédies, surtout celle qui se déroule en Syrie, qui a une autre ampleur que toutes les autres. A vrai dire, en Syrie il y avait davantage de personnes tuées tous les jours que même lors de l’agression brutale contre Gaza. Et le fait qu’on ait permis que cela se poursuive a créé un ressentiment tellement profond parmi les Syriens qu’elle a grandement facilité la montée résistible de Daech [Etat islamique en Irak et au Levant, devenu Etat islamique], une organisation ultra-fondamentaliste fanatique en comparaison de laquelle la branche locale d’Al-Qaida apparaît maintenant comme modérée !

    Est-ce que ce ressentiment et cette radicalisation vont toujours déboucher sur une montée du fondamentalisme religieux plutôt que d’encourager l’avancée de forces plus démocratiques et laïques ?

    La radicalisation et la colère ne conduisent pas, en tant que tel, au développement de l’une ou de l’autre force. Tout dépend des facteurs subjectifs existants et de leur interaction avec les facteurs objectifs de radicalisation. En 2011, cette région s’est embarquée dans ce que j’appelle un processus révolutionnaire à long terme, qui va durer pendant des décennies. Un processus révolutionnaire n’est jamais linéaire : ce n’est pas une suite de victoires jusqu’à ce qu’on voie le drapeau rouge flotter sur un palais. Un tel processus peut passer par des phases épouvantables, traverser de terribles moments contre-révolutionnaires. La tendance dominante dans les régions arabes actuellement à la contre-révolution, surtout avec les développements en Syrie (la ténacité du régime Assad), en Egypte (Sissi) et la propagation de Daech. Mais il ne s’agit que d’une phase dans un processus à long terme.

    L’échec des forces potentiellement de gauche dans la région à agir de manière indépendante dans le but de construire une alternative, à la fois aux anciens régimes et aux forces islamistes, a permis le développement de cette phase. Les anciens régimes et l’opposition islamiste fondamentaliste sont tous deux des forces profondément contre-révolutionnaires. S’il n’y a pas l’émergence d’un troisième pôle, d’une force populaire progressiste capable de constituer une alternative, nous resterons coincés dans cette situation binaire, avec des deux côtés une dialectique poussant vers les extrêmes. Les anciens régimes deviennent de pire en pire (Sissi est en fait pire que Moubarak) et l’opposition fondamentaliste islamiste aussi (Daech est certainement bien pire que tout ce qu’a représenté le mouvement des Frères musulmans). Donc en l’absence d’une alternative populaire progressiste, ce qui domine est fondamentalement ce processus binaire contre-révolutionnaire avec une radicalisation qui se nourrit dialectiquement aux extrêmes.

    N’existait-il pas une alternative lorsque les masses populaires en Tunisie et en Egypte sont descendues dans les rues dans un mouvement démocratique, laïc ? Est-ce qu’une issue progressiste a été maintenue quelque part ?

    Le potentiel est encore là – il ne s’agit pas simplement d’un potentiel théorique mais d’un potentiel effectif. Il est bien sûr inégal d’un pays à l’autre. En Tunisie, il est incarné dans la centrale syndicale, l’UGTT [Union générale tunisienne du travail], qui est de loin la force organisée sociale et politique la plus importante dans le pays. Il s’agit là-bas d’un problème de stratégie.

    Il en va de même pour l’Egypte : il existe dans ce pays un potentiel important, dont nous avons eu un aperçu en 2012 lorsque le candidat nassérien de gauche nationaliste [Hamdine Sabahi] est arrivé troisième à l’élection présidentielle, avec près de cinq millions de votes. Cela indiqua un immense potentiel, assez comparable en dimension aux deux camps de la contre-révolution représentés, d’un côté par l’ancien régime et de l’autre par les Frères musulmans. Et pourtant cette opportunité a été gaspillée par les Egyptiens nassériens de gauche lorsqu’ils sont passés de leur alliance de 2011 avec les Frères musulmans à une alliance avec Sissi en 2013. Mais le potentiel est encore là, et la jeunesse est encore radicalisée, elle n’a pas voté pour Sissi, et cela est un point crucial. Le taux de participation à la dernière élection présidentielle était tellement bas qu’ils ont dû prolonger la période électorale d’un jour pour mobiliser des électeurs et électrices potentiels. Cet effort avait pour fonction de donner un peu de crédibilité à la proclamation grotesque d’un vote à 95% en faveur de Sissi.

    En Syrie, les Comités de coordination locaux qui ont dirigé le soulèvement dans sa première phase représentaient un potentiel progressiste très important. Mais il s’est dissipé lorsque ces comités ont reconnu ledit Conseil national, établi à Istanbul et dominé par les Frères musulmans syriens de l’intérieur et par le Qatar et la Turquie de l’extérieur. Depuis lors, la situation syrienne a été prise entre une opposition officielle inefficace et corrompue et un régime très brutal. C’est ce qui a conduit à l’émergence d’une opposition islamiste plus radicale représentée par une myriade de groupes, dont le plus important est maintenant Daech.

    C’est ainsi que les aspirations de la révolution syrienne ont été écrasées entre ces deux pôles contre-révolutionnaires – d’un côté le régime et d’autre part les fondamentalistes islamistes fanatiques de l’autre. Mais là aussi, le potentiel existe toujours, avec des dizaines de milliers de personnes, surtout des jeunes, qui s’opposent au régime dans une perspective progressiste. Le régime a arrêté des milliers de ces jeunes progressistes qui organisaient le soulèvement lors de sa première phase en même temps qu’il relâchait des djihadistes emprisonnés. Le régime syrien lui-même a encouragé par tous les moyens l’essor et l’emprise de la tendance islamiste dure au sein de l’opposition. Cela convient au régime, tout comme la radicalisation islamiste parmi les Palestiniens convient à l’extrême-droite israélienne. Tous les deux jouent le même jeu en encourageant leurs « ennemis préférés ».

    Quel côté est en train de l’emporter dans ce conflit maintenant ?

    II y a deux ans, Assad était au bord de la défaite, et c’est alors que l’Iran a décidé d’aller au-delà du soutien logistique pour intervenir massivement sur le terrain en envoyant des troupes pour remonter le régime. Pour des raisons de langue, ils ont envoyé des troupes arabes en provenance des satellites confessionnels de l’Iran : le Hezbollah du Liban et le Asaïb Ahl al-Haq [Ligue des justes ou des vertueux] de l’Irak. Ces forces ont aidé le régime à lancer une contre-offensive réussie et à regagner une grande partie du terrain qu’il avait perdu auparavant. Le phénomène Daech impose toutefois des contraintes à l’Iran et à ses alliés, qui doivent maintenant se battre sur deux fronts, aussi bien en Syrie qu’en Irak. En plus de combattre l’opposition majoritaire syrienne, ils doivent maintenant contenir l’expansion de Daech en Irak, qui est le principal bastion de l’influence iranienne dans la région. L’éparpillement des forces soutenues par l’Iran a débouché sur l’apparition de signes d’épuisement au sein du régime syrien, dont la base militaire confessionnelle fiable est relativement limitée.

    Ainsi, malgré toutes les apparences, le régime syrien rencontre à nouveau des difficultés, mais il évoque plus que jamais l’argument de la guerre contre le terrorisme pour écarter la possibilité d’un soutien occidental accru à l’opposition majoritaire. En fait, le régime syrien est en compétition avec cette opposition majoritaire pour tenter de convaincre les puissances occidentales qu’ils sont les meilleurs alliés dans la guerre contre le terrorisme ! C’est là qu’on peut apercevoir les similitudes entre le régime syrien, le régime égyptien et le gouvernement israélien. Ils parlent tous le même langage : celui de la guerre contre le terrorisme, et c’est au nom de cette guerre qu’ils exigent carte blanche pour toutes sortes de violences. Ils sont tous en train de dire à Washington : « Nous sommes vos meilleurs amis, il est dans votre intérêt de nous soutenir ! ».

    L’attitude des Etats-Unis à l’égard de Daech n’est-elle pas plutôt d’endiguer que d’éradiquer ce courant ?

    Votre choix de termes est correct. Jusqu’à maintenant c’est l’endiguement qui a prévalu : les Etats-Unis sont intervenus pour arrêter la progression de Daech, mais ils ne veulent pas aller au-delà de l’endiguement avant d’avoir atteint un objectif politique. Washington considère cette apparition de Daech comme un levier pour se débarrasser de Maliki et réduire l’influence iranienne en Irak. En effet, Maliki était devenu de plus en plus dépendant de l’Iran, et les tensions entre lui et Washington s’étaient sans cesse accrues depuis la fin de la présence militaire directe des Etats-Unis en Irak en 2011. Les rapports de Maliki avec Washington s’étaient tellement dégradés qu’il s’est rendu à Moscou pour négocier de livraisons d’armes. Comme par hasard, Sissi est en train de faire la même chose dans un geste de protestation contre la réticence états-unienne à le soutenir pleinement. On peut donc voir l’ampleur du terrain que Washington est en train de perdre dans la région. Néanmoins, avec Daech en Irak, l’Etat irakien a besoin des Etats-Unis. Il dépend du soutien militaire états-unien parce que son armée avait été reconstituée avec un armement états-unien après l’invasion de 2003, et qu’une bonne partie de cet armement est tombée entre les mains de Daech. Les Etats-Unis ont dicté des conditions pour un soutien accru à l’Etat irakien, en commençant avec le départ de Maliki. Ils ont obtenu ce qu’ils voulaient : Maliki s’est retiré et a été remplacé par Haïder al-Abadi.

    Maintenant Washington est en train d’essayer de répéter ce qu’il a fait en 2006 après avoir perdu du terrain face à Al-Qaida. A cette époque, les Etats-Unis ont soudoyé les mêmes tribus sunnites parmi lesquelles Al-Qaida était en train de se développer. Washington a même réussi à transformer les tribus sunnites en alliés des Etats-Unis, parvenant ainsi à pratiquement éradiquer Al-Qaida en Irak. Maintenant nous assistons à la répétition de cette même stratégie : les tribus sunnites ont été complètement mises à l’écart par le sectarisme confessionnel de Maliki, soutenu par l’Iran. Il y a une telle colère qui s’est développé en leur sein qu’elles se sont alignées avec Daech lors de l’apparition de ce mouvement. En réalité, Daech n’a pas été le seul à s’emparer de larges parties de l’Irak : il s’agissait plutôt d’une alliance entre Daech avec des forces arabes sunnites : des tribus, des restes du parti Baas de Saddam Hussein et d’autres. C’est ce qui s’était déjà passé en Irak après le massacre à Fallouja en 2004, lorsque les sunnites ont été tellement mis à l’écart qu’ils ont laissé entrer Al-Qaida, soutenu jusqu’à ce que Washington change sa stratégie. Maintenant nous sommes en présence d’une reproduction du même scénario : cette fois les tribus sunnites ont fait une ouverture à Daech et Washington cherche à renouveler la stratégie d’alliance avec eux. Pour cela les Etats-Unis avaient besoin de se débarrasser de Maliki. Maintenant que c’est fait, nous verrons comment se développera la prochaine étape.

    « Un processus révolutionnaire à long terme avec des phases contre-révolutionnaires »
    ACHCAR Gilbert, ASHLEY Brian
    août 2014

    Entretien avec Gilbert Achcar conduit par Brian Ashley de la revue sud-africaine Amandla !

    * Entretien réalisé fin août 2014 pour la publication sud-africaine Amandla !, mis en ligne le 5 septembre 2014. Traduction A L’Encontre (http://alencontre.org/).

    http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article32980

  • Les richesses du Maroc sont accaparées par les intérêts impérialistes et une minorité dans le pays (Attac Cadtm Maroc)

     

    Le 30 août à Rabat s’est tenu le Conseil de coordination nationale (CCN) de notre association.

    Cette deuxième session ordinaire depuis notre cinquième congrès, organisé en février 2014, s’est tenue en présence des représentants des groupes locaux d’ATTAC. Les participants ont rappelé le contexte socio-économique du pays marqué par les conséquences de la crise du capitalisme mondialisé sur l’économie marocaine qui amplifient la dépendance structurelle de notre pays au marché mondial.

    Les recettes du Budget connaissent un recul important.

    Au même moment, la libéralisation, le démantèlement des barrières tarifaires, le transfert des dividendes à l’étranger et la multiplication des Accords de libre échange (ALE) avec 56 traités signés par le Maroc, continuent de plomber les finances publiques. Ceci se traduit par la baisse des réserves de devises qui couvrent à peine quatre mois et demi des besoins en importations. Alors que la balance des paiements s’enfonce dans une spirale inquiétante, la balance commerciale continue sa décélération. Les recettes des exportations couvrent de moins en moins le coût et le volume des importations.

    Face à cette situation, l’État a dû recourir davantage à l’endettement auprès du marché financier international. Ainsi, 500 millions d’euros ont été empruntés sur les marchés internationaux en 2007, 1 milliard en 2010 et le même montant en juin 2014. Auxquels il faut ajouter 1,5 milliards de dollars en décembre 2012 et 750 millions en mai 2013. À ces dettes, s’ajoute le renouvellement de la Ligne de précaution et liquidités (LPL) du Fonds monétaire international en août dernier pour un montant de 5 milliards de dollars pour une période de 24 mois.

    Les Institutions financières internationales (FMI, Banque mondiale, BEI) et les agences de notation encensent les « performances » de l’État pour l’encourager à se jeter dans les bras des créanciers. C’est ainsi que le Maroc se trouve de nouveau pris dans la tourmente de l’endettement. La dette publique a atteint 679 milliards de DH, soit 78 % du PIB. Le service de la dette (montants empruntés + intérêts) accapare, en moyenne, 106 MMDH annuellement, depuis les cinq dernières années.

    Avec un service de la dette de ce volume, tout développement économique et humain devient impossible. Un audit de cette dette et l’annulation de la partie qui n’a pas servi les intérêts du peuple s’imposent comme deux solutions pour recommencer à croire à un développement effectif du pays. Cette piste n’est envisageable que si le Maroc arrive à se libérer de la tutelle des Centres de décision impérialistes (États et IFI) qui nous imposent leurs mesures libérales.

    Celles-ci se traduisent par l’offensive de l’actuel gouvernement sur plusieurs fronts : vers l’annulation de la Caisse de compensation, baisse de l’investissement public et dans les secteurs sociaux, gel de l’emploi public, privatisation des services publics et enfin « réforme » de la Caisse marocaine des retraites (faire passer l’âge de la retraite à 65 ans, hausse des cotisations des salariés, etc).

    Les quatorze stratégies sectorielles censées « créer un décollage économique » se transforment en série de cadeaux offerts aux multinationales et aux capitalistes locaux pour s’accaparer davantage les richesses de notre pays et détruire son environnement. Tout ça s’accompagne du pillage des deniers publics.

    Ces mécanismes sont à l’origine de l’hémorragie que connaissent les richesses du pays vers l’étranger ou leur accaparement par une minorité dans le pays. La classe ouvrière et populaire en général se trouve privée de ses propres richesses. En plus, les Marocains payent le prix des mesures d’austérité décidées par les classes dominantes. La population voit ainsi son niveau de vie baisser et la pauvreté et le chômage augmenter. L’État riposte par des attaques préventives contre les libertés publiques et la répression des résistances et de leurs symboles.

    Pour toutes ces raisons, il est nécessaire d’unir nos luttes et d’élargir la solidarité et le travail commun dans le cadre d’un front social contre les politiques néolibérales. Cette coalition doit définir des objectifs et des priorités, avec un programme et des instruments d’actions.

    Suite à ces constats, le CCN d’ATTAC/CADTM Maroc :

    • 1. Condamne la politique économique, sociale, environnementale appliquée par l’État qui amplifie notre dépendance, le pillage et la destruction des ressources du pays. Les conséquences désastreuses de ces orientations sont supportées par les classes populaires. Le peuple supporte le coût d’une dette sans savoir dans quelles conditions elle est contractée et comment elle est dépensée.
    • 2. Condamne l’atteinte à la liberté d’association dont sont la cible plusieurs organisations parmi elles ATTAC/CADTM Maroc. Le récépissé de notre association n’a pas été renouvelé et ce de manière arbitraire. À cela s’ajoute la difficulté de réserver des salles publiques.
    • 3. Condamne l’attitude de l’État face aux revendications des prisonniers politiques et d’opinion en grève de la faim. Dénonce l’indifférence coupable par rapport au décès de l’étudiant Mustapha Meziani qui était en grève de la faim.
    • 4. Condamne l’agression sioniste contre le peuple palestinien en résistance ainsi que les interventions impérialistes dans la région arabe, maghrébine et sur le continent africain. Ces guerres ont pour objectif réel d’anéantir les aspirations des peuples à se libérer de toutes les formes d’oppression. Ces interventions n’ont été possibles que grâce à la complicité des dictatures de ces régions.
    • 5. Appelle toutes les forces progressistes, démocratiques et opposés au libéralisme et au capitalisme au Maroc à multiplier les occasions de coopération entre nos organisations sur la base des revendications sociales et démocratiques afin de répondre aux aspirations des citoyens à une vie digne et à la constitution d’un front commun qui fera de la lutte contre l’impérialisme le cœur des mobilisations à venir.

    Conseil de coordination national d’ATTAC Maroc.
    Rabat, le 30 août 2014.

    Contact :
    Omar Aziki, secrétaire général d’ATTAC/CADTM Maroc
    00 212 6 61 17 30 39

    http://cadtm.org/Les-richesses-du-Maroc-sont

  • Entre Moscou et Tel-Aviv, une étrange lune de miel (Le Monde Diplomatique)

    Depuis l’effondrement du bloc soviétique, les relations internationales se recomposent autour d’intérêts mal identifiés.

    Les alliances stratégiques deviennent plus floues ; des configurations nouvelles s’esquissent ; des partenaires s’affrontent sur un dossier précis pendant que des ennemis collaborent sur un sujet ponctuel. Comment interpréter une telle fluidité ?

    Notre série sur les transformations géopolitiques s’ouvre sur l’entente discrète entre la Russie et Israël.

    L’incident n’est pas passé inaperçu. Lors de la réunion de l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies (ONU) du 27 mars 2014, destinée à condamner l’annexion de la Crimée par Moscou, le représentant israélien a brillé par son absence. Au grand dam des Etats-Unis, Tel-Aviv s’est abstenu de voter une résolution appelant à ne pas reconnaître le rattachement de la péninsule à la Fédération de Russie. Cet épisode est venu confirmer la complexité des relations israélo-russes. Car, en dépit de leurs divergences sur le dossier syrien et de leurs différends toujours aussi fondamentaux sur le nucléaire iranien, Israël et la Russie entretiennent un dialogue constructif.

    Faisant de plus en plus figure de citadelle assiégée sur la scène proche-orientale, Israël a pris acte de l’érosion de l’influence américaine dans la région, qui, par contrecoup, favorise celle du Kremlin. Le conflit syrien a consacré le retour de Moscou sur la scène proche-orientale, et a accru son rôle dans la recomposition géopolitique de la région après les « printemps arabes ». Sa posture pragmatique a contrasté avec les atermoiements de la diplomatie occidentale, de sorte que sa fermeté et sa ténacité dans son bras de fer avec Washington ont été scrutées avec attention, non seulement depuis les capitales du Golfe, mais également depuis Tel-Aviv, où la Russie apparaît comme puissance ascendante.

    « Pont humain »

    Israéliens et Russes peuvent se féliciter d’entretenir de bonnes relations, étayées par des échanges économiques denses et par un « pont humain » : près d’un million de citoyens israéliens sont issus de l’espace russe et ex-soviétique — dont un grand nombre font la navette. Depuis la fin des années 1980, les binationaux représentent près du septième de la population de l’Etat hébreu, de sorte que le président Vladimir Poutine a pu qualifier Israël de « pays russophone ». Ils forment une communauté à la fois autonome et intégrée dans la vie culturelle, politique et économique. Depuis les pères fondateurs, la classe politique israélienne a (...) 

    (A lire sur le "Monde Diplomatique")

    Par Igor Delanoë, septembre 2014

    http://www.monde-diplomatique.fr/2014/09/DELANOE/50788

  • Les forces de sécurité palestiniennes (Julien Salingue)

     book-2014 08 01

    Un appareil répressif indigène au service de la puissance coloniale ?

    "Ce travail collectif veut éclairer le lecteur sur la relation civile-militaire dans un certain nombre de pays arabes et en Iran au moment où coexistent des processus de transformation réussis, en cours ou ratés. Les divers contributeurs à ce volume proposent des éclairages circonstanciés pour analyser le rôle des armées à la suite des différentes révoltes populaires qui ont balayé le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord. Ce volume représente une contribution importante pour la compréhension du rôle des militaires et des transitions auxquels les pays sont ou ne manqueront pas d'être confrontés. Ces relations conditionneront, d'une part, la stabilité de chacun des pays concernés et, d'autre part, la paix et la sécurité de la région".

    Introduction de ma contribution : "Les forces de sécurité palestiniennes : un appareil répressif indigène au service de la puissance coloniale ?

    Nombre d’observateurs répètent à l’envi que le « processus de paix » entre Israël et les Palestiniens est « dans l’impasse », soulignant notamment que depuis septembre 2010, aucune rencontre officielle réunissant hauts dirigeants palestiniens et israéliens n’a eu lieu alors que la situation sur le terrain continue de se dégrader. L’initiative palestinienne à l’ONU, dénoncée par Israël et les États-Unis comme « unilatérale », serait une nouvelle démonstration de l’absence de coopération entre les deux parties.

    Mais au-delà des aléas du ballet diplomatique, force est de constater qu’une coopération beaucoup moins visible est à l’œuvre entre Israël et l’Autorité palestinienne (AP) de Ramallah . Il s’agit de la coopération dans le domaine sécuritaire, en d’autres termes des dispositifs à l’œuvre pour le maintien de l’ordre dans les territoires palestiniens de Cisjordanie sous la responsabilité, directe ou indirecte, de l’AP de Ramallah. D’aucuns seraient en effet surpris de constater que les services de sécurité israéliens et palestiniens travaillent de concert au quotidien, échangeant des informations ou menant des opérations conjointes.

    En effet, si certains ont souligné, à raison, que le premier ministre de facto, Salam Fayyad, avait un programme axé sur le développement économique, beaucoup ont sous-estimé la centralité des questions sécuritaires dans son programme. C’est cette politique que je me propose d’étudier ici, en l’inscrivant dans l’histoire de la construction de « l’autonomie palestinienne ». Pour ce faire, je m’attacherai tout d’abord à étudier la place des questions de sécurité dans l’architecture institutionnelle d’Oslo, avant d’analyser la construction et le rôle des forces de sécurité palestiniennes durant « l’ère Arafat » (1993-2005). Il s’agira dans un dernier temps de questionner les réformes mises en œuvre par le tandem Abbas-Fayyad, et plus généralement la viabilité du dispositif sécuritaire palestinien, en interrogeant notamment son principal paradoxe : dans quelle mesure des forces de sécurité coopérant avec les autorités coloniales peuvent-elles acquérir une légitimité auprès d’une population qui revendique la fin de l’occupation ?

    I) Les questions sécuritaires au cœur du dispositif de l’autonomie

    « Le concept d’une force de police palestinienne dans le cadre d’un accord israélo-arabe sur les territoires occupés n’a pas été créé par les Accords d’Oslo. [...] Les concepts de police dans les propositions de paix israéliennes ont varié d’une force de police civile de pleine juridiction sur les zones démilitarisées de la Cisjordanie, dans le cadre d’un compromis avec la Jordanie (le Plan Allon), à diverses formes d’une force de police avec autonomie partielle dans le cadre d’une dévolution de pouvoirs aux dirigeants tribaux de Cisjordanie (Ligues de villages) ou à une autorité intérimaire d’autonomie (l’Accord de Camp David. »

    A) La coopération sécuritaire : de lointaines origines

    L’objet de cette étude n’est pas de rapporter, d’analyser et de commenter l’ensemble des discussions et propositions évoquées par Brynjar Lia. Il est néanmoins utile de souligner, à titre d’exemple, que les Accords de Camp David, signés le 17 septembre 1978, comprenaient un paragraphe entier consacré aux questions des forces de sécurité dans les territoires palestiniens et à la coopération sécuritaire avec Israël : « Un retrait de forces armées israéliennes interviendra et il donnera lieu à un redéploiement des forces restantes en des points de sécurité déterminés. L’accord comportera aussi des dispositions propres à garantir la sécurité intérieure et extérieure et l’ordre public. Une importante force de police locale, qui pourra comprendre des citoyens jordaniens, sera mise en place. En outre, des forces israéliennes et jordaniennes collaboreront à des patrouilles en commun et à la désignation de ceux qui seront chargés des postes de contrôle en vue d’assurer la sécurité des frontières . » Cette étape précède, dans le texte des Accords, celle des « négociations […] pour définir le statut définitif de la Cisjordanie et de Gaza  ».

    Les négociateurs de l’OLP, conscients de la référence que représentaient les Accords de Camp David du côté israélien, ont rapidement constitué un groupe chargé des questions de sécurité en vue de discussions avec des représentants de l’autre partie. S’il est difficile d’établir avec exactitude une cartographie et une chronologie des multiples canaux et rounds de négociations, a fortiori lorsqu’ils étaient secrets, il est néanmoins établi qu’un « groupe d’études » israélo-palestinien s’est réuni à plusieurs reprises entre octobre 1992 et juin 1993. « Dans le groupe, on trouvait le général à la retraite Shlomo Gazit, ancien chef du renseignement militaire israélien ; Nizar Ammar de l’OLP ; Joseph Alpher, directeur du Centre Jaffa de l’Université de Tel Aviv et ancien haut responsable du Mossad, le service de contre-espionnage israélien ; Ahmad Khalidi, un conseiller de l’équipe de négociation palestinienne à Washington. Les autres membres du groupe d’étude étaient Shibley Telhami de l’Université Cornell, Naomi Weinberger du Barnard College, Yezid Sayigh de l’Université d’Oxford, Khalil Shikaki de l’Université An-Najah, en Cisjordanie, et Ze’ev Schiff, responsable de la rubrique défense du journal israélien Ha’aretz . »

    Ce « canal sécuritaire » a abordé de manière concrète, lors de ses diverses réunions, la plupart des questions relatives à la sécurité : retrait et redéploiement des forces armées israéliennes, recrutement et formation des forces de sécurité et de la police palestiniennes, contrôle des frontières. Même si les membres du groupe n’étaient pas officiellement « mandatés » par les directions palestinienne et israélienne, ils ont régulièrement rendu compte de leurs activités à ces dernières. Nizar Ammar, ancien collaborateur d’Abu Iyad lorsque ce dernier dirigeait les services de sécurité de l’OLP, est alors conseiller à la sécurité de Mahmoud Abbas, qui supervise l’ensemble du processus négocié. De leur côté, « les experts de la sécurité israélienne ont rapporté au gouvernement qu’ils ont été vraiment impressionnés par les vues très réalistes et modérées des spécialistes de la sécurité de l’OLP en exil [...]. Le point de vue palestinien sur les concepts discutés au sein du groupe de travail [...] a suscité l’appréciation favorable du gouvernement israélien  ». Ce travail préparatoire a donc facilité le rapprochement des points de vue entre l’OLP et le gouvernement israélien et, selon certains, achevé de convaincre Ytzakh Rabin d’envisager la possibilité d’un partenariat durable avec la direction Arafat .

    Après la signature de la Déclaration de principes (DOP), en septembre 1993, et avant la signature des accords intérimaires en mai 1994, les discussions bilatérales sur les questions sécuritaires se poursuivent avec l’implication directe, désormais, des officiels palestiniens et israéliens. C’est ainsi qu’en janvier 1994, une rencontre est organisée à Rome entre, d’une part, Mohammad Dahlan et Jibril Rajoub  et, d’autre part, Yaacov Peri  et Amnon Shahak . Cette rencontre est secrète et ne débouche pas sur un accord « officiel ». Il s’agit plutôt, selon les termes d’Ehud Ya’ari, d’une « entente » qu’il résume ainsi : « Les groupes armés du Fatah dont les membres étaient recherchés par les services de sécurité israéliens, comme les [Fatah] Hawks, recevront des tâches particulières. Ils seront chargés de réprimer tout signe d’opposition [à Oslo]. L’objectif est qu’ils imposent des punitions exemplaires au stade le plus précoce possible, afin de créer un climat de respect du nouveau régime . » C’est aussi au cours de cette rencontre qu’une « entente » est trouvée concernant le principe de l’échange de renseignements au sujet de l’opposition palestinienne et de la « tolérance » des forces de sécurité israéliennes à l’égard des activités de leurs homologues palestiniens . Ces rencontres préparatoires et la mention, dès la DOP, de la future constitution d’une « puissante force de police », sont autant de révélateurs de la place toute particulière des questions relatives à la sécurité dans le Processus d’Oslo.

    B) Les Accords d’Oslo conçus pour garantir la sécurité d’Israël ?

    Uri Savir, l’un des principaux acteurs des rencontres secrètes d’Oslo, rapporte, dans son ouvrage Les 1 100 jours qui ont changé le Moyen-Orient, une singulière conversation avec Ahmad Qoreï (Abu Ala), au cours de laquelle le négociateur israélien déclare : « Nous ne souhaitons pas exercer le pouvoir sur votre peuple. Ce qui nous intéresse, c’est la paix et la sécurité. […] En 1967, l’occupation des Territoires s’est imposée à Israël comme une nécessité. D’un point de vue moral, nous cherchons à nous libérer de cette situation, de manière à garantir aux Palestiniens la liberté et aux Israéliens la sécurité. » Uri Savir expose ainsi à Ahmad Qoreï, au cours des premières minutes de leur première rencontre, la philosophie générale du « processus de paix » : contrairement à ce que la résolution 242 des Nations Unies ou les Accords de Camp David avaient consacré, ce n’est pas le principe « land for peace », « la paix contre la terre », qui gouverne. La formule d’Uri Savir révèle en effet que, pour Israël, le paradigme est autre : « freedom for security », « la liberté contre la sécurité ».

    L’hypothèse de ce changement de paradigme ne se fonde évidemment pas sur le seul témoignage d’Uri Savir. Le contenu des accords intérimaires, et leur présentation (du moins par la partie israélienne), ne laissent planer aucun doute quant à la primauté des questions sécuritaires. C’est ainsi, par exemple, que dans le document Main Points of the Gaza-Jericho Agreements , dans lequel le ministère des affaires étrangères israélien présente les Accords du Caire (4 mai 1994), le premier point est intitulé « Security Arrangements and Withdrawal of Israeli Forces ».

    L’annexe I de ces mêmes Accords, relative aux questions de sécurité, contient pas moins de 12 articles, eux-mêmes divisés en 73 parties, à leur tour divisées en 154 sous-parties, parfois elles-mêmes subdivisées. La précision quant aux questions sécuritaires est éloquente : on apprend ainsi, entre autres, que la police palestinienne est autorisée à posséder 7 000 armes légères, 120 mitraillettes et 45 véhicules blindés , ou qu’une « patrouille conjointe » opèrera sur la route n° 90, dans le secteur de Jéricho, avec à sa tête un véhicule palestinien . Plus généralement, les Accords du Caire précisent « les devoirs, fonctions, structure, déploiement et composition de la police palestinienne  » et établissent « un comité conjoint de coordination et de coopération pour les questions de sécurité mutuelle  », coopération qui se matérialisera sur le terrain, entre autres, par la mise en place de « patrouilles jointes » dont les modalités d’exercice sont précisément définies .

    Les Accords indiquent également « [qu’]Israël et l’Autorité palestinienne chercheront à entretenir la compréhension et la tolérance mutuelles  », et plus loin « [que] la partie palestinienne prendra les mesures nécessaires pour empêcher tout acte d’hostilité à l’encontre des implantations, des infrastructures les desservant et de la zone d’installation militaire  ».

    Les Accords du Caire fixent à 9 000 le nombre maximum de policiers palestiniens « recrutés localement ou à l’étranger parmi les Palestiniens possédant un passeport jordanien ou une pièce d’identité palestinienne émise par l’Égypte », limitant à 7 000 le nombre de recrues de l’extérieur, « dont 1 000 arriveront dans les trois mois qui suivent la signature de l’accord » . Ils formulent en des termes précis les obligations de la police palestinienne, qui doit entre autres « agir systématiquement contre toute incitation au terrorisme et à la violence [chez les Palestiniens] », « arrêter et traduire en justice toutes les personnes [palestiniennes] suspectées de perpétrer des actes de violence ou de terrorisme », « confisquer toute arme illégalement détenue [par un civil palestinien] » et « coopérer pour échanger les informations et coordonner ses activités et ses politiques » avec les services de sécurité israéliens . L’article IV de l’annexe I précise en outre que, dans un souci d’efficacité, la police palestinienne doit être divisée en six branches, coordonnées entre elles et sous la responsabilité d’un commandement unique.

    La précision dans l’attribution des tâches des forces de sécurité tranche avec le « flou » concernant nombre d’autres questions dans des domaines pourtant essentiels dans la perspective d’une paix entre Israéliens et Palestiniens (notamment l’étendue des « redéploiements » israéliens), quand elles ne sont pas tout simplement reportées aux « négociations sur le statut final » (tracé des frontières, statut de Jérusalem et des colonies, solution pour les réfugiés, etc.). Ce phénomène confirme nettement l’hypothèse selon laquelle les questions sécuritaires occupent une place singulière dans les accords intérimaires et, partant, dans le Processus d’Oslo.

    Au-delà de cette précision, ce sont les mécanismes induits par les Accords qui renforcent notre hypothèse de départ. Un an et demi après l’Accord du Caire, c’est l’« Accord intérimaire sur la Cisjordanie et la Bande de Gaza », dit « Oslo II » ou « Accord de Taba », qui est signé. Ce document précise, entre autres, les étapes et les conditions des futurs redéploiements israéliens en Cisjordanie. Or, s’il est bien indiqué que les prochains redéploiements devront survenir au plus tard 18 mois après l’établissement de l’Autorité palestinienne (« Conseil »), il est également précisé que « les redéploiements seront progressivement mis en œuvre en fonction de la prise en charge de l’ordre public et de la sécurité intérieure par la police palestinienne » . Pour la première fois, un accord signé par les deux parties mentionne explicitement le fait que l’avenir et le déroulement du processus, et notamment la « restitution » des terres aux Palestiniens, est conditionné à la capacité de la direction d’Arafat à faire régner l’ordre dans les zones évacuées par l’armée israélienne. « La liberté contre la sécurité » n’est plus désormais un simple mot d’ordre, mais bien une réalité inscrite dans la lettre même des accords.

    Le rôle dévolu aux forces de sécurité palestiniennes vérifie lui aussi l’hypothèse selon laquelle la « sécurité d’Israël » prime sur tout autre considérant. Ainsi, les restrictions imposées à la police palestinienne (qui n’a pas le droit, par exemple, d’incarcérer les colons israéliens qui se rendraient coupables de crimes ou de délits à l’encontre de la population palestinienne) et les exigences à son égard (entre autres, empêcher toute attaque contre les colonies et les installations militaires israéliennes) en font une force de police des plus atypiques : « Sa principale anomalie est de ne pas avoir été établie d’abord pour assurer la sécurité et rendre des services à la population au sein de laquelle ses membres ont été recrutés [...] mais pour assurer la sécurité d’un État étranger et de ses citoyens.  »

    Les forces de sécurité palestiniennes ne bénéficient en outre que d’une autonomie très relative, phénomène renforcé avec le Mémorandum de Wye River (octobre 1998) qui double la « coopération bilatérale israélo-palestinienne » déjà en vigueur  d’un « comité américano-palestinien [qui] se réunira deux fois par mois afin d’examiner les mesures à prendre pour éliminer les cellules terroristes et les structures de soutien qui organisent, financent, encouragent et soutiennent le terrorisme  ». Lors de ces réunions, la partie palestinienne doit en outre « informer les États-Unis en détail des actions qu’elle a prises pour interdire toutes les organisations […] à caractère militaire, terroriste ou violent  ».

    Le dispositif sécuritaire qui se met en place avec les accords intérimaires conforte les analyses de ceux qui ont vu dans la DOP et dans les prémisses du Processus d’Oslo une simple réorganisation de la « matrice de contrôle  » israélienne dans les territoires palestiniens occupés . En subordonnant la poursuite du « processus de paix » à la capacité de la direction d’Arafat à maintenir « la loi et l’ordre » dans les zones autonomes, Israël et les États-Unis ont placé le leadership de l’OLP dans une position ambiguë, pour ne pas dire contradictoire : trouver l’équilibre entre les aspirations des Palestiniens et les exigences d’Israël. L’organisation, le fonctionnement et la composition des forces de sécurité palestiniennes, sur lesquels nous allons à présent nous arrêter, seront marqués par cette ambiguïté originelle.(...)Vient de paraître dans : "Les forces armées arabes et moyen-orientales" 

    http://www.juliensalingue.fr/article-vient-de-paraitre-les-forces-armees-arabes-et-moyen-orientales-124544355.html

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  • Syrie Assad, Daech et l’Occident… vérités et mensonges!

     

    Yassin Haj-Saleh, écrivain syrien

    Yassin Haj-Saleh, écrivain syrien

    Nous publions, pour information, un texte d’un écrivain syrien, Yasin Haj-Saleh, publié en arabe le 1er septembre 2014 et traduit par les FemmeS pour la démocratie (Femmes syriennes pour la démocratie).

    Elles l’ont mis à notre disposition. Un tel document a son importance pour saisir la situation tragique d’une population insurgée – et terriblement réprimée – qui s’affronte, à la fois, aux forces criminelles dudit Etat islamique et à une dictature qui n’hésite pas à détruire un pays (tout en ayant déjà des projets de captation privée de terrains immobiliers pour spéculer dans le futur), à contraindre à l’exil interne et externe une majorité de sa population, à utiliser la prison, la torture et les barils de TNT pour faire taire la population. Se profile, de plus, une «nouvelle coalition internationale» afin de combattre l’Etat islamique. Un élément qui suscite la réflexion de Yasin Haj-Saleh à propos de la Syrie. Un thème sur lequel nous reviendrons avec diverses contributions. Suit ici l’introduction faite par les FemmeS pour la démocratie au texte de Yasin Haj-Saleh. (Rédaction A l’Encontre)

    «Récemment, l’Etat Islamique (IS ou en arabe Daech) a décapité deux journalistes américains qui s’étaient tous deux dévoués pour faire entendre la voix et la souffrance du peuple syrien!

    Le prétexte invoqué est l’intervention américaine et les frappes aériennes sur des bases ou sur des troupes de Daech en Irak. Toutefois, il faut rappeler ici que Daech dès son apparition s’en est pris aux activistes, aux médecins et aux journalistes syriens qui faisaient partie de la révolution ou qui soulageaient la souffrance de la population ou encore qui faisaient entendre sa voix. Tous ceux qui ont été enlevés par Daech œuvraient pour défendre ou aider les opprimés et pour que la justice et l’humanité ne soient pas oubliées en Syrie. Jamais, jusqu’à tout récemment, Daech et le régime mafieux Assad ne se sont attaqués mutuellement ! Les barils d’explosifs du régime Assad ont toujours épargné soigneusement les forces de Daech à Alep, préférant cibler les civils.

    Tout ça devrait nous inviter tous à nous poser la question du rôle d’Assad dans la naissance de Daech.

    La décapitation de James Foley ajoute un élément semblable, car James Foley a été détenu par le régime Assad en novembre 2012, bien avant la naissance même de Daech (au printemps 2013) et soudainement il se trouve entre les mains de Daech qui le décapite au moment où Assad se propose comme partenaire pour la lutte contre le terrorisme ! En mai 2013, l’AFP a publié qu’il avait été enlevé par des milices pro-régime et qu’il était entre les mains du service de renseignement à Damas.

    Avec une possible intervention de l’Occident en Syrie, les FemmeS syriennes pour la démocratie (FSD) ont jugé utile de traduire un article de l’écrivain syrien Yasin Hah-Saleh qui approfondit la question de Daech. (FSD, 07.09.2014)

    Trois niveaux d’action sont nécessaires
    pour faire face à Daech

    Il semble que les Etats unis et l’occident se préparent à faire face à Daech (Etat Islamique – EI) en Syrie, même s’il est fort probable que ces actions n’iront pas plus loin que des frappes aériennes, et peut-être quelques opérations de commandos. L’objectif probable des frappes serait de mettre cette organisation terroriste naissante sous pression et de l’occuper à rassembler ses forces suite à ces possibles frappes, pour l’empêcher de progresser.

    De son côté le régime syrien s’est dépêché d’offrir ses services dans le cadre de cette action militaire occidentale probable. Tandis que l’occident continue à mépriser Assad, il n’est pas exclu qu’il ait recours à ses services pour avoir une base militaire avancée contre Daech (EI), et par conséquent qu’il facilite la prolongation de sa mainmise sur le peuple Syrien.

    Il est certain que ces frappes seront sans effet si elles se veulent punitives seulement. Il est clair que le recours à la force est nécessaire pour faire face à cette puissance fasciste qui utilise le terrorisme comme tactique de combat, comme outil psychologique et comme méthode pour gouverner. Faire face à cette entité terroriste par la violence n’est pas seulement légitime suite aux crimes qu’elle a perpétrés, mais aussi parce qu’il est impossible de se débarrasser de cette force d’occupation sans utiliser la force. Le problème d’une intervention occidentale probable contre Daech n’est pas seulement qu’elle comprend uniquement une dimension militaire, mais aussi que cette intervention militaire resterait très probablement limitée aux frappes et ne servirait qu’à gérer la crise à la place de lui trouver une solution réelle. Une telle méthode de gestion de crise enlève à notre combat toute dimension de justice et de libération des peuples, et l’assimile à une bagarre entre gamins, dont on veut ignorer la cause profonde, avec pour seul but de calmer le jeu et rétablir la stabilité de la région.

    Il n’y a pas pire que cette méthode, ni plus égoïste et irresponsable. Ce genre de gestion est en partie responsable de la destruction de la Syrie et de la naissance de créatures immondes comme Daech. Peut-être que les Américains pensent que de telles créatures ont leur place naturelle dans le marais du Moyen-Orient. Et ils ont peut-être raison. Mais ce marais est le produit de leurs efforts et de ceux de l’occident au fil de plusieurs générations, tout comme il est le produit de la présence d’une autre entité d’occupation terroriste, Israël, comme maître de la région. Ce marais n’est pas vraiment le produit des « gamins » syriens, irakiens, libanais, etc. Un autre facteur important dans l’apparition d’un tel marais, est le recours perpétuel à des régimes terroristes, comme celui d’Assad et de ses semblables pour garantir la stabilité de la région, au détriment de toute justice et au mépris de toute dignité humaine.

    C’est pourquoi une intervention militaire américaine et occidentale, même si elle a pour but d’en finir avec Daech et non pas de l’affaiblir seulement, ne présente qu’une seule des trois dimensions nécessaires pour être réellement efficace.

    La deuxième dimension consiste à faire face à l’origine du terrorisme dans la région, à savoir le régime syrien, ou bien d’aider les Syriens à y mettre un terme. Punir Daech seulement, alors que le régime syrien a déjà commis pire que Daech, et laisser ce régime criminel dans l’impunité donnerait le pire des messages aux Syriens et aux peuples du Moyen-Orient plus généralement. Sans oublier que de s’attaquer à Daech seul rendrait un grand service à ce dernier et l’aiderait sans doute à justifier et renforcer son action. (En ternissant l’image de la révolution aux yeux de l’Occident, note du traducteur), les groupes islamistes en Syrie et Daech en particulier, auront finalement servi à faire perdre aux Syriens leur confiance dans la communauté internationale et dans la justice mondiale. Basé sur cette perte de confiance, Daech s’apprête à détruire complètement l’image du reste du monde dans notre environnement social et psychologique.

    Il est bien possible qu’une frappe de Daech à al-Raqa, ville qui a déjà été bombardée par Assad, en prenant soin d’éviter les positions de Daech, et bombardée à nouveau récemment sous prétexte de frapper Daech, ait comme conséquence de rapprocher les habitants de al-Raqa de cette organisation à la place de les en éloigner. Les frappes occidentales doivent viser les deux criminels à la fois, Daech et le régime syrien, et ne doivent en aucun cas frapper l’un et laisser l’autre. La décapitation de James Foley, qui est un crime odieux, n’est pas comparable à la mort sous la torture des 11’000 détenus jusqu’en août 2013, pas comparable non plus au massacre aux armes chimiques dans al-Ghouta en août 2013 et aux massacres de Darayya, Jdaydeh Artouz, Banias, al-Houla, al-Treimsseh et tous les autres massacres imputables au régime syrien. Les crimes ne sont pas comparables, mais en sanctionnant un criminel tout en laissant l’autre impuni on détruit la notion même du crime et avec elle celle de la justice et de la sanction juste. Une telle gestion irresponsable pourrait ouvrir la porte au terrorisme et on pourrait même voir naître des créatures pires encore que Daech.

    Il y a une troisième dimension pour faire face à Daech, où les occidentaux ne peuvent ni intervenir ni aider, et il est même préférable qu’ils ne tentent pas de s’en mêler. Daech n’est pas seulement une organisation criminelle, n’est pas seulement le produit de certaines politiques criminelles locales et internationales, Daech a aussi un lien à l’Islam. Les islamistes et les musulmans qui disent que Daech est un produit des services secrets et que l’Islam n’a rien à avoir avec lui se trompent eux-mêmes. Daech est une évolution d’al-Qaïda dans le contexte Syrien et Irakien qui est bien connu, al-Qaïda elle-même étant une organisation d’origine saoudienne et égyptienne. Il n’est pas sérieux de nier l’influence religieuse dans la naissance de Daech, même s’il s’agit là d’un phénomène contemporain. Ce monstre est notre produit, il est né de la décomposition de notre politique, de notre pensée et de notre morale.

    Il est clair que cette troisième dimension pour faire face à Daech ne peut être affrontée que par les musulmans eux-mêmes et les sunnites plus spécialement. Daech est une pensée islamiste qui ne peut être contrée que par la pensée. On doit se demander où se trouve la pensée islamique qui peut faire face à Daech fermement ? Lorsque les islamistes critiquent Daech pour sa conduite cruelle et sa précipitation et son refus d’acheminer les changements graduellement, ils ne le critiquent pas pour son projet de vouloir imposer un pouvoir islamiste par la force. Ceci n’est pas sérieux, tout comme la différence faite par les Américains entre les crimes de Daech et ceux du régime n’est pas sérieuse. Il est nécessaire de dépasser la situation actuelle en amenant une réforme de l’Islam qui en augmente la dimension de la croyance et de la justice et en diminue la dimension du pouvoir et du droit islamiste. C’est une opération à long terme mais nécessaire pour faire face aux entités comme Daech.

    En résumé, Daech est un problème sécuritaire, et plus que ça un problème politique et encore plus que ça un problème de la pensée. Faire face à Daech efficacement doit avoir à la fois une composante d’opposition militaire, et c’est exactement ce que les Syriens opposants au régime ont fait les premiers et avant quiconque, une composante politique qui fait un pas vers la justice en Syrie en mettant un terme au régime syrien criminel, et une composante liée à la pensée musulmane qui arracherait l’Islam des mains de Daech et le Daechisme de l’Islam. (01.09.2014)

    Publié par Alencontre le 7 - septembre - 2014
     
  • Région arabe: l’offensive des contre-révolutions Echanges à l’université d’été du NPA

    À l’heure de l’offensive de l’État Islamique en Irak et en Syrie, et du renforcement du Maréchal Sissi en Égypte, c’était salle comble à Port-Leucate pour tenter de comprendre, où en est le processus révolutionnaire international ouvert en 2011 et visiblement en grand danger aujourd’hui.

    En introduisant la séance, Chawqui Lotfi rappelait pourquoi nous avons analysé comme un processus révolutionnaire au long cours la vague de mouvements de masse qui s’est propagée en 2011 dans la région arabe  : des dictatures et des couches dirigeantes sclérosées, perdant leurs derniers éléments de légitimité avec le rouleau compresseur des politiques néolibérales  ; des formations sociales particulièrement inégalitaires, et des peuples aspirant à la démocratie et à la justice sociale dynamitées par une jeunesse au niveau d’éducation élevé mais sans perspectives d’emploi stable. Les immenses mouvements de 2011, les méthodes de lutte, les premiers acquis ont semé des germes profonds.

    Mais nous avons aussi noté les limites de l’auto-organisation populaire, la faiblesse de la gauche et la vigueur de la résistance des divers centres d’oppression qui indiquaient que ce processus durerait longtemps, avec des avancées et des reculs violents. Les différents intervenants ont soulignés combien en 2014, ce sont les reculs qui dominent. Il faut dire que la difficulté est grande quand les mouvements de masse sont condamnés à s’affronter à plusieurs contre-révolutions sauvages à la fois, sans bénéficier de soutiens internationaux réels  !

    Syrie

    Ghayath Naisse, membre du Courant de la gauche révolutionnaire syrien, alertait sur le grand péril que vit la révolution syrienne. Ayant pu desserrer l’étau du régime sanguinaire de Bachar Al Assad sur 60 % du pays début 2013, elle a été victime d’une offensive méthodique du dictateur et de ses alliés internationaux – iraniens, russes, libanais et irakiens – pour écraser la résistance dans la destruction de masse, pendant que les milices de «  Daech  » récemment rebaptisées «  État Islamique  » (EI), bénéficiaient de bien des complicités pour s’accaparer par la violence les zones libérées. Pourtant la résistance se poursuit, sous ses versants militaires et civils, dans les zones encore libres, comme dans les régions globalement sous le contrôle des forces totalitaires. Et le camarade rappelait l’urgence d’un soutien concret aux révolutionnaires, en insistant sur l’interdépendance entre les différents pays de la région.

    Irak

    Un camarade irakien du NPA a lui aussi resitué l’offensive de l’EI en Irak dans son contexte  : un pays malaxé par le régime de Saddam Hussein, puis par l’invasion américaine, puis par l’affirmation autoritaire et confessionnaliste du premier ministre Al-Maliki. Les tentatives d’autodétermination des populations irakiennes sont maintenant balayées par l’alliance entre EI et une partie de l’ancienne hiérarchie militaire de Saddam Hussein reconvertie dans le jihadisme. Pourtant, là aussi, de nombreuses voix, sunnites comme chiites, récusent la spirale confessionnelle. Un débat a commencé sur l’appréciation du rôle des forces kurdes dans cette situation, qui a été approfondi dans un atelier spécifique animé par un camarade kurde de Toulouse.

    Égypte

    Deux camarades du NPA qui ont séjourné ces derniers mois dans le pays ont précisé la situation difficile des militants et militantes de la révolution égyptienne, face au retour des militaires au pouvoir. Sissi a réussi à surfer sur l’exaspération populaire face à l’aventurisme réactionnaire et néo-libéral des Frères Musulmans. La politique de répression terrible qu’il mène contre ceux-ci s’étend aux militants démocrates, ouvriers et révolutionnaires. Malgré cela les conflits sociaux, en particulier dans les entreprises ne cessent de renaître car aucun problème de fond n’est réglé, même si pour l’instant le nouveau pouvoir tente de renforcer sa légitimité en se prétendant le garant de la stabilité… et de l’arrivée massive de capitaux étrangers.

    Tunisie

    Dominique Lerouge, complété par d’autres camarades dans le débat, revenait sur la montée d’une contre-révolution plus «  douce  », mais tout autant déterminée à étouffer le processus ouvert fin 2010. Cette tendance s’appuie sur l’absence d’auto-organisation de la population et les faiblesses de la gauche, ainsi que sur les contradictions de l’UGTT, syndicat incontournable du peuple tunisien. Dans cette situation, les gouvernements successifs relaient la pression des institutions internationales, et les perspectives d’alternative apparaissent encore bien faibles.

    Libye

    Une contribution a été apportée par Françoise Clément, militante altermondialiste, montrant qu’au delà du chaos actuel autour des batailles pour le pouvoir permis par la profusion des milices armées, le processus reste ouvert avec une société civile réellement existante, des élections qui n’ont jamais permis aux islamistes de légitimer l’hégémonie qu’ils recherchent, et des impérialistes qui ne savent plus à qui se vouer pour obtenir un retour sur leur investissement militaire de 2011.

    Un débat riche a eu lieu sur les interactions politiques régionales comme la question palestinienne, sur la façon dont pourrait émerger une alternative anticapitaliste, ainsi que sur nos responsabilités en tant que NPA. Il s’est poursuivi dans le Forum internationaliste du mardi après-midi, et en «  off  » autour de jeunes camarades syriens et égyptiens présents à l’Université d’été.

    Jacques Babel

    * Paru dans l’Hebdo L’Anticapitaliste - 254 (04/09/2014). http://www.npa2009.org/

  • Sur l’intégrisme islamique « Il faudrait une alternative crédible, enthousiasmante et mobilisatrice (Essf)

     The Arabs

    Entretien inédit avec Maxime Rodinson réalisé par Gilbert Achcar [1] et publié par la revue Mouvements 6/ 2004 (no 36).

    Résumé

    Avec le décès de Maxime Rodinson, survenu le 23 mai 2004 à l’âge de 89 ans, disparaissait l’une des dernières grandes figures d’une lignée exceptionnelle d’islamologues occidentaux – celle des Régis Blachère, Claude Cahen et Jacques Berque, pour ne citer que des Français comme lui. Rodinson appartenait à cet ensemble d’auteurs aux approches pionnières, qui ont défriché le terrain d’études islamiques mises au diapason des autres sciences sociales, étant eux-mêmes affranchis des principaux travers de « l’orientalisme » colonial et sensibles à la cause des populations musulmanes en lutte contre la domination occidentale [2]. Des auteurs (encore) non corrompus par la médiatisation à outrance de l’« expertise », devenue actrice privilégiée de la société du spectacle, à notre époque où l’Islam a recouvré dans l’imaginaire occidental, sous la forme de l’intégrisme et du terrorisme, son statut d’ennemi privilégié.

    Maxime Rodinson se distingue, parmi ses pairs, par l’application au monde musulman d’une grille de lecture marxienne critique. Son rapport à Marx est, du reste, à l’origine de la très grande diversité de thématiques et de centres d’intérêt qui caractérisent son œuvre et qui font qu’elle ne saurait être confinée aux seules études islamiques. Son apport théorique couvre, en effet, des champs plus généraux de la recherche historique ou sociologique que le seul « monde musulman », en dialogue permanent avec l’inspiration marxienne qu’il n’a jamais reniée. Une dimension non moins importante de l’œuvre de Rodinson porte spécifiquement sur le conflit israélo-arabe : son article « Israël, fait colonial ? » paru dans le numéro spécial des Temps modernes consacré au débat embrasé par la guerre de juin 1967 constitua une contribution fondamentale à la définition d’une critique de gauche du sionisme [3].

    La réflexion de Rodinson sur l’« intégrisme islamique » est, tout entière, placée sous le signe de cette même inspiration marxienne : tant en ce qui concerne sa démarche analytique, à la fois fondamentalement « matérialiste » et comparative, qu’en ce qui concerne son attitude politique, où la compréhension (au sens profond du terme) des ressorts de la résurgence de cette idéologie politico-religieuse n’empêche guère l’athée foncièrement anticlérical qu’il était de n’éprouver aucune sympathie à son égard [4].

    L’entretien qui suit – jamais publié auparavant – a été réalisé en 1986 (je n’en ai plus la date exacte), dans l’appartement parisien de Maxime Rodinson, parmi les amas de livres qui jonchaient son plancher, ne trouvant plus de place dans les rayonnages qui recouvraient les murs. J’ai reconstitué ses propos à partir de notes quasi-sténographiques que j’avais prises à l’écoute de l’enregistrement (perdu) – en faisant abstraction de mes propres questions et interventions – dans le but de publier l’entretien dans une revue en gestation qui ne vit pas le jour. Le décès du grand penseur m’a incité à reprendre ce travail et à le publier en guise d’hommage, d’autant plus que ses propos, comme on pourra en juger, conservent, outre leur actualité, une certaine originalité par rapport à son œuvre déjà connue.

    Gilbert Achcar

    Entretien

    Sous la rubrique de « l’intégrisme islamique » – l’appellation n’est pas très bonne, celle de « fondamentalisme » encore moins ; quant au terme « islamisme », il entraîne une confusion avec l’Islam ; « Islam radical » n’est pas si mal, mais aucune appellation ne correspond tout à fait à l’objet – on peut grouper tous les mouvements qui pensent que l’application intégrale des dogmes et pratiques de l’Islam, y compris dans les domaines politique et social, mènerait la communauté musulmane, voire le monde entier, vers un État harmonieux, idéal, reflet de la première communauté musulmane idéalisée, celle de Médine entre 622 et 632 de l’ère chrétienne.

    En cela, il y a une similarité avec une idéologie politique laïque comme le communisme, pour laquelle l’application intégrale des recettes formulées par le fondateur doit mener à une société harmonieuse, sans exploitation ni oppression. Par contre, il n’y a pas d’idéologie similaire dans le christianisme : les intégristes chrétiens pensent que l’application intégrale des préceptes du Christ rendrait tout le monde bon et gentil, mais elle ne changerait pas forcément la structure de la société.

    Cela tient à la différence profonde entre la genèse du christianisme et celle de l’Islam. Les chrétiens formaient au début une petite « secte », un groupement idéologique autour d’une personne charismatique, dans une province reculée d’un vaste empire, l’Empire romain, doté d’une administration impressionnante. Cette petite secte ne pouvait avoir au départ la prétention de formuler un programme politique et social. Ce n’était ni l’intention de Jésus, ni celle des premiers pères de l’Église pendant deux ou trois siècles.

    Avant que l’empereur Constantin ne déclare, en 325, que cette Église (en latin ecclesia, c’est-à-dire « assemblée ») devait être religion d’État, elle avait eu le temps de bâtir un appareil idéologique autonome bien rodé. De sorte que, même après Constantin, se maintiendra la tradition de deux appareils distincts, celui de l’État et celui de l’Église, qui peuvent être en symbiose ou alliés, et l’ont souvent été (l’alliance du sabre et du goupillon, le césaro-papisme, etc.) ; mais qui peuvent également être en conflit (lutte du Sacerdoce et de l’Empire, Louis XIV et Philippe Auguste excommuniés, etc.). Il y a bien quelques exemples protestants d’État-Église (Genève au xvie siècle, le Massachusetts au xviie siècle), mais ce sont des exceptions dans l’histoire du christianisme.

    L’Islam est né dans une immense péninsule en dehors du champ de la civilisation romaine, où vivaient quelques dizaines de tribus arabes, tout à fait autonomes avec seulement quelques institutions communes : la langue, certains cultes, un calendrier, des foires et des tournois de poésie. Dans sa période médinoise (de 622 à sa mort, en 632), Mohammad (Mahomet) est considéré comme le dirigeant suprême, politique et religieux à la fois. Il est chef religieux, en relation avec Dieu, mais aussi chef de la communauté, non soumise à la loi romaine. Il règle les différends, obtient le ralliement de tribus, et répond aux nécessités de se défendre et, le cas échéant, d’attaquer – ce qui est le mode de vie dominant dans ce monde sans État de l’Arabie de cette époque. C’est ainsi que l’on trouve, aux origines de l’Islam, une fusion du politique et du religieux en un seul appareil - du moins en théorie, car lorsque sera créé un vaste empire islamique, la spécialisation des fonctions s’imposera.

    La séparation de la religion et de l’État est contraire à l’idéal de l’Islam, mais pas à sa pratique, car il y a toujours eu des corps d’oulémas spécialisés : les juges en Islam appartiennent à l’appareil religieux, avec d’autres compétences que les juges en droit romain de l’Occident. On trouve là, d’ailleurs, une parenté très grande avec le judaïsme, où, comme en Islam, les hommes de religion, les rabbins, ne constituent pas un clergé sacré, mais sont des savants (la synagogue, le beit midrash sont des lieux d’étude), à l’instar des oulémas.

    Aujourd’hui subsiste néanmoins l’idéal médinois d’une même autorité politique et religieuse. Rarement trouve-t-on, il est vrai, un cas aussi pur de communauté politico-idéologique que celui de l’Islam – sauf le communisme après 1917, qui a connu des schismes comme l’Islam et où les autorités politiques fixent la doctrine tant sur les problèmes théoriques que sur l’idéologie première et sur ce qu’il faut penser. Cependant, là où le communisme est un modèle projeté dans le futur, l’intégrisme islamique adhère à un modèle réel, mais vieux de quatorze siècles. C’est un idéal flou. Lorsque l’on demande aux intégristes musulmans : « Vous avez des recettes, dites-vous, qui dépassent le socialisme et le capitalisme ? », ils répondent par des exhortations très vagues, toujours les mêmes, qui peuvent se fonder sur deux ou trois versets – mal interprétés, en général – du Coran ou du Hadith.

    Or, le problème ne se posait pas du temps du Prophète, parce que personne ne pensait à changer la structure sociale : on prenait les choses comme allant de soi. Mohammad n’a jamais rien dit contre l’esclavage (de même que Jésus n’a jamais rien dit contre le salariat). Certes, l’idée d’une communauté sociale organisée avec des hiérarchies figure dans le Coran, mais elle est tout à fait normale pour l’époque. Mohammad se situe dans la société, alors que Jésus se situe en dehors d’elle. L’Islam, comme le Confucianisme, s’intéressent à l’État, tandis que les doctrines de Jésus ou de Bouddha sont des morales, axées sur la recherche du salut personnel.

    L’intégrisme islamique est une idéologie passéiste. Les mouvements intégristes musulmans ne cherchent pas du tout à bouleverser la structure sociale, ou ne le cherchent que tout à fait secondairement. Ils n’ont modifié les bases de la société, ni en Arabie Saoudite, ni en Iran. La « nouvelle » société que les « révolutions islamiques » établissent ressemble de façon frappante à celle qu’elles viennent de renverser. Je me suis fait réprimander en 1978 lorsque j’ai affirmé, de manière très modérée, que le cléricalisme iranien ne laissait présager rien de bon. Je disais « au mieux, Khomeiny sera Dupanloup, au pire Torquemada ». Hélas, c’est le pire qui est arrivé.

    Lorsque l’on est saisi par l’histoire, on est forcé de prendre des décisions. Il se forme alors des courants politiques : gauche, droite, centre. Sous influence européenne, le monde musulman a emprunté beaucoup de recettes à l’Occident, libérales parlementaires ou socialistes marxisantes. On a fini par être un peu dégoûté de tout cela : le parlementarisme mettait au pouvoir des propriétaires fonciers, le socialisme des couches gestionnaires militaires et autres. On a voulu revenir alors à la vieille idéologie « bien de chez nous » : l’Islam. Mais l’influence européenne a laissé des traces profondes, notamment l’idée que les gouvernants doivent prendre leur inspiration auprès des gouvernés, en général par le vote. C’est une idée nouvelle dans le monde musulman : ainsi, la première chose que fit Khomeiny, c’est organiser des élections et une nouvelle constitution.

    Au sujet des femmes, on peut trouver dans l’Islam tout un arsenal traditionnel en faveur de la supériorité masculine et de la ségrégation. Une des raisons de la séduction de l’intégrisme islamique un peu partout, c’est que des hommes qui se voient dépossédés de leurs privilèges traditionnels par les idéologies modernistes, savent que, dans une société musulmane telle qu’on la leur propose, ils peuvent s’appuyer sur des arguments sacrés en faveur de la supériorité masculine. C’est une des raisons – qu’on occulte très souvent, mais qui est profondément ancrée, et quelquefois inconsciente, d’ailleurs – de la vogue de l’intégrisme islamique : les expériences modernisantes allaient dans le sens d’accorder plus de droits aux femmes, et cela exaspérait un certain nombre d’hommes.

    En 1965, je m’étais rendu à Alger : c’était l’époque où Ben Bella faisait des efforts prudents pour promouvoir l’égalité des femmes. Une association officielle de femmes, qui n’était pas l’association bidon d’aujourd’hui, tenait un congrès dans la capitale. À la sortie du congrès, Ben Bella était venu prendre la tête d’un défilé des femmes dans les rues d’Alger. Des deux côtés, sur les trottoirs, des hommes dégoûtés sifflaient, lançaient des quolibets, etc. Je suis certain que cela a joué un rôle dans le coup d’État de Boumediene et a décidé beaucoup de gens à le regarder avec sympathie.

    L’intégrisme islamique est un mouvement temporaire, transitoire, mais il peut durer encore trente ans ou cinquante ans – je ne sais pas. Là où il n’est pas au pouvoir, il restera comme idéal tant qu’il y aura cette frustration de base, cette insatisfaction qui pousse les gens à s’engager à l’extrême. Il faut une longue expérience du cléricalisme afin de s’en dégoûter : en Europe, cela a pris pas mal de temps ! La période restera longtemps dominée par les intégristes musulmans.

    Si un régime intégriste islamique avait des échecs très visibles et aboutissait à une tyrannie manifeste, une hiérarchisation abjecte, et aussi des échecs sur le plan du nationalisme, cela pourrait faire tourner beaucoup de gens du côté d’une alternative qui dénonce ces tares. Mais il faudrait une alternative crédible, enthousiasmante et mobilisatrice, et ce ne sera pas facile.

    Maxime Rodinson

    Notes

    [1] Politologue.

    [2] Voir sa propre description de l’évolution des études islamiques dans La fascination de l’Islam, La Découverte, 1980.

    [3] Article repris dans Peuple juif ou problème juif ?, La Découverte, 1981.

    [4] On trouvera les principales réflexions de Maxime Rodinson sur l’intégrisme islamique contemporain dans L’Islam : politique et croyance, Fayard, 1993, à compléter par la lecture du chapitre premier de De Pythagore à Lénine : des activismes idéologiques, Fayard, 1993.

    * Pour citer cet article : Achcar Gilbert, « Maxime Rodinson : sur l’intégrisme islamique », Mouvements 6/ 2004 (no 36), p. 72-76 URL : www.cairn.info/revue-mouveme.... DOI : 10.3917/mouv.036.0072

    RODINSON Maxime, ACHCAR Gilbert
    1986