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Immigration - Page 4

  • Espagne/Maroc. Tragédie à la frontière (Amnesty)

    La tragédie qui s’est déroulée il y a un an sur le littoral espagnol révèle les risques toujours plus graves que font courir les politiques de gestion des frontières de l’Union européenne à celles et ceux qui tentent de rejoindre l’Europe.

    Il y a tout juste un an, au moins 14 personnes sont mortes à quelques mètres de la plage de Tarajal, à Ceuta, petite enclave espagnole située au nord du territoire marocain.

    Des vidéos de la scène et les témoignages des victimes nous ont permis de savoir ce qui s’était exactement passé ce matin-là. Pourtant, un an après cette tragédie, seule une victime a été reconnue officiellement par le gouvernement espagnol, les autres restant dans l’ombre.

    Elles étaient 200 environ ce matin-là, à l’aube, à tenter de poser le pied sur le territoire espagnol. Quatorze personnes ont péri noyées, et 23 autres ont été renvoyées au Maroc après avoir été arrêtées par des gardes civils espagnols sur le sol espagnol.

    Après avoir refusé à plusieurs reprises d’admettre les faits, le ministre espagnol de l’Intérieur, Fernández Díaz, et le secrétaire d’État à la sécurité, Francisco Martínez, ont déclaré devant le Congrès que des gardes civils avaient utilisé du « matériel antiémeutes » – 145 balles en caoutchouc et cinq fumigènes – pour empêcher les migrants de rejoindre le pays.

    Nous savons donc que des représentants de l’État espagnol ont tiré en direction des gens qui se trouvaient dans l’eau et qui étaient également poursuivis par une patrouille marocaine. On ignore toutefois leur identité ainsi que celle des personnes qui ont ordonné cette opération.

    Francisco Martínez a insisté sur le fait qu’il n’y avait pas eu de blessés parmi les personnes qui avaient atteint la côte espagnole et que les gardes civils n’avaient tiré qu’en direction de celles qui évoluaient encore dans les eaux marocaines. Pourquoi cependant personne n’a tenté de porter secours à celles qui se noyaient ?

    Le ministre espagnol de l’Intérieur a déclaré que les membres de la Garde civile n’étaient pas autorisés à franchir les frontières maritimes du pays. Ces frontières les ont donc empêchés de sauver ces hommes, mais n’ont pas fait barrage aux balles en caoutchouc. Au moins 14 personnes ont perdu la vie.

    Cette tragédie est l’illustration la plus brutale à ce jour de la politique de gestion des frontières mise en œuvre par le gouvernement espagnol : personne ne rentre, quel qu’en soit le prix.

    Des victimes dont on ignore l’identité

    Qui étaient ces gens qui ont trouvé la mort ce matin-là ? On pense connaître l’identité d’au moins six hommes, mais seul l’un d’entre eux a été reconnu officiellement – et tous les identifier semble désormais impossible. Une fois encore, nous avons les chiffres mais ils restent sans visage.

    Les vidéos et les témoignages recueillis semblent indiquer que les victimes étaient, pour la plupart, de jeunes hommes des pays d’Afrique subsaharienne. On peut supposer qu’ils sont morts à la dernière étape d’un voyage entrepris il y a des mois, voire des années. Peut-être fuyaient-ils un conflit en Afrique ou au Moyen-Orient, peut-être encore cherchaient-ils à rejoindre des proches en Europe ou à échapper simplement à la faim.

    Parmi les 14 morts et les 23 personnes renvoyées au Maroc après avoir rejoint le littoral espagnol, certains étaient peut-être victimes chez eux de persécutions en raison de leurs opinions politiques, de leur origine ethnique ou de leur sexualité. Dans ce cas, l’Espagne aurait été tenue – conformément à sa propre législation – de leur accorder le statut de réfugié.

    Nous ne le saurons jamais. Les autorités espagnoles ont fait du refoulement avant tout interrogatoire une pratique courante à Ceuta et à Melilla, autre enclave nord-africaine du pays.

    Une tragédie symbolique

    Les faits survenus à Tarajal révèlent les risques toujours plus graves que font courir les politiques espagnoles et européennes de gestion des frontières à celles et ceux qui cherchent à réaliser leurs rêves d’une vie meilleure ou tout simplement à survivre. On estime que 22 000 personnes ont trouvé la mort depuis 2000 en essayant de gagner l’Europe.

    Si elles avaient pu simplement solliciter l’asile en expliquant leur situation, conformément au droit international, auraient-elles risqué leur vie ?

    Une année s’est écoulée, mais la politique de gestion des frontières appliquée par l’Espagne n’a pas changé. L’enquête ouverte sur les faits survenus à Tarajal semble au point mort. Les responsables de la mort de ces hommes ne seront peut-être jamais identifiés et rien ne sera probablement fait pour qu’une telle tragédie ne se reproduise plus.

    La situation a toutefois évolué depuis l’année dernière. Négativement. Les autorités espagnoles comptent désormais invoquer la nouvelle Loi relative à la sécurité publique pour renvoyer automatiquement au Maroc toute personne franchissant la frontière à Ceuta et à Melilla. L’Espagne enfreindrait ainsi les normes internationales qu’elle est tenue de respecter.

    Aucun texte de loi ne pourra mettre fin au drame humanitaire qui se déroule aux frontières de l’Europe. Ce n’est qu’en traitant les migrants et les réfugiés avec humanité, conformément au droit international, que nous pouvons empêcher de nouvelles tragédies sur nos rivages.

    Passez à l’action
    Demandez aux dirigeants de l’Union européenne d’empêcher que d’autres personnes trouvent la mort

    aux frontières de l’Europe.

    http://livewire.amnesty.org/fr/2015/02/06/espagnemaroc-tragedie-a-la-frontiere/

  • Espagne. La tragédie des migrants de Ceuta - Un mépris déplorable pour la vie humaine (Amnesty)

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    Les autorités espagnoles n’ont pas mené d’enquête adéquate sur la noyade de 14 migrants au large de la côte de Ceuta, après un tir à balles de caoutchouc de la Garde civile.

    Cette attitude met en évidence un mépris déplorable envers la vie humaine dans la zone frontalière Espagne-Maroc, a déclaré Amnesty International vendredi 6 février, date anniversaire de la tragédie.

    « Un an après cet événement tragique, les victimes et leurs familles attendent toujours la justice, alors que l’enquête a été interrompue et bloquée », a déclaré Irem Arf Rayfield, chercheuse d’Amnesty International pour les droits des réfugiés et des migrants en Europe.

    Il y a un an aujourd’hui, 200 migrants, réfugiés et demandeurs d’asile en provenance d’Afrique subsaharienne ont tenté de nager jusqu’à Ceuta, une ville autonome de l’Espagne sur la côte nord de l’Afrique, à partir de la frontière avec le Maroc. Pour arrêter leur progression, des membres de la Garde civile espagnole ont tiré des projectiles en caoutchouc, des gaz lacrymogènes et des balles à blanc, entraînant la mort de 14 personnes. Une femme aurait également été tuée dans cette opération, mais son corps n’a jamais été retrouvé.

    Un représentant du gouvernement a d’abord nié l’utilisation de tout équipement anti-émeute. Après la parution d’images sur l’équipement utilisé, le ministre de l’Intérieur a admis l’usage d’un tel matériel, en indiquant que les consignes étaient de ne pas toucher les personnes en mer. Cependant, les survivants ont déclaré à des organisations non gouvernementales espagnoles que certains d’entre eux avaient été touchés par des balles en caoutchouc quand ils étaient dans l’eau, et qu’avec les gaz lacrymogènes, il était difficile de voir et de respirer.

    Le Parlement a voté contre une proposition visant la création d’un comité parlementaire chargé d’enquêter sur ces événements. Une enquête criminelle a bien été ouverte en février 2014, mais elle était menée par le commandement de la Garde civile de Ceuta, qui dirigeait aussi l’opération mortelle de l’année dernière. À ce jour, cette enquête ne semble pas avoir été approfondie, prompte et impartiale.

    La juge d’instruction n’a recueilli que tardivement, soit plusieurs mois après ces événements, des informations essentielles, notamment l’identité des gardes ayant participé à l’opération, après que des ONG eurent souligné qu’elle ne disposait pas de ces données en séance.

    « Un an a passé et on constate peu de progrès pour faire rendre des comptes aux responsables. Les victimes de cette tragédie et leurs familles méritent justice et réparation, pas des retards et des tergiversations », a déclaré Irem Arf Rayfield.

    Les expulsions : une violation fondamentale du droit

    Outre ces allégations d’usage excessif de la force, l’Espagne a expulsé sommairement les survivants vers le Maroc, ce qui constitue une violation de ses obligations internationales en matière de droits humains.

    Un groupe de 23 personnes qui avait atteint la plage a été sommairement renvoyé au Maroc sans possibilité d’appel ou de demande d’asile. Le ministère de l’Intérieur a affirmé que ces renvois étaient conformes à la législation espagnole et aux obligations internationales de l’Espagne car les migrants n’avaient pas franchi la frontière espagnole.

    Or, les personnes concernées se trouvaient en territoire espagnol, sur la plage Tarajal (côté Ceuta de la frontière) lorsqu’elles ont été expulsées. Indépendamment de leur localisation physique, ces 23 personnes étaient sous la juridiction de l’Espagne du fait que des gardes civils espagnols les avaient appréhendées.

    « Ce renvoi sommaire représentait une violation directe des obligations espagnoles, européennes et internationales. Et ce n’était ni la première, ni la dernière fois. Des expulsions ont régulièrement eu lieu tout au long de l’année passée », a déclaré Irem Arf Rayfield.

    Une nouvelle législation qui mettrait des vies en danger

    Le Parlement espagnol envisage maintenant de modifier la loi sur l’immigration, ce qui permettrait le renvoi sommaire des personnes se trouvant aux frontières espagnoles de Ceuta et de Melilla sans aucune protection procédurale. Le ministère de l’Intérieur a déclaré qu’il approuverait l’utilisation d’équipements anti-émeute pour mener à bien ces opérations si les modifications étaient adoptées.

    « Au lieu de corriger les pratiques létales actuelles, qui consistent à empêcher à tout prix les réfugiés et les migrants d’entrer en Espagne via ses enclaves en Afrique du Nord, et de renvoyer illégalement ceux qui y parviennent, le gouvernement cherche maintenant à légaliser ces pratiques, ainsi que l’usage potentiellement excessif de la force, pour verrouiller ses frontières », a déclaré Irem Arf Rayfield.

    « Les modifications proposées constituent clairement une violation des obligations de l’Espagne en matière de droits humains et mettent encore plus de vies en danger. Les législateurs espagnols doivent rejeter cette proposition honteuse du gouvernement. »

    http://www.amnesty.org/fr/news/spain-ceuta-migrant-tragedy-deplorable-disregard-human-life-2015-02-06

    Lire aussi:

    http://livewire.amnesty.org/fr/2015/02/06/espagnemaroc-tragedie-a-la-frontiere/

  • Immigration, école et rapports de domination (A l'Encontre)

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    Un ouvrage posthume d’Abdelmalek Sayad [1], réalisé à partir de ses archives personnelles, rassemble un ensemble de textes inédits consacrés aux relations entre l’école et les enfants de l’immigration. Il y livre sa vision de l’école et des rapports de domination à l’égard de ce public scolaire.

    Abdelmalek Sayad, né en Algérie en 1933 et mort en France en 1998, est un sociologue spécialiste des questions d’immigration. Avant d’exercer le métier de sociologue, il était instituteur en Algérie. À son arrivée en France il fut l’un des collaborateurs de Pierre Bourdieu. Il a été directeur de recherche au CNRS ainsi qu’à l’école des Hautes Études en Sciences Sociales.

    Abdelmalek Sayad est considéré comme l’un des spécialistes les plus reconnus des questions d’immigration et de l’altérité. Ses travaux de recherche portent principalement sur la problématique de l’émigration, de l’immigration algérienne notamment dans le contexte post-colonial. Ses principaux ouvrages sont, avec Pierre Bourdieu, Le déracinement. La crise de l’agriculture traditionnelle en Algérie, Paris, Les Éditions de Minuit, 1964 ; L’immigration, ou les paradoxes de l’altérité, De Boeck, 1992 ; La double absence. Des illusions de l’émigré aux souffrances de l’immigré, Paris, Seuil, « Liber », 1999.

    C’est un travail considérable qu’ont réalisé Benoit Falaize et Smaïn Laacher de sélection et de mise en forme de cet ensemble de textes inédits d’Abdelmalek Sayad concernant l’école et les enfants de l’immigration.

    Si l’on pouvait déjà percevoir des éléments de la pensée de Sayad sur l’éducation, dans des textes comme Les enfants illégitimes (Actes de la recherche en sciences sociales n° 25, 1979), la question scolaire est ici au centre du propos. À l’heure où les thématiques des ségrégations et des discriminations scolaires sont particulièrement vives, cette contribution est sans nul doute très importante. L’ouvrage est composé de dix textes rédigés entre 1977 et 1997. Dans la préface Benoit Falaize et Smaïn Laacher rappellent leur contexte de production, depuis le moment où l’école française était tenue d’accueillir de nouveaux élèves issus du regroupement familial au début des années 1970 jusqu’à la construction progressive du problème de « l’échec scolaire » durant les décennies suivantes. Les textes d’Abdelmalek Sayad retracent la façon dont l’école a « accueilli » ces élèves de façon très problématique entre vision culturaliste, de retour au pays, et de relégation dans des dispositifs spécifiques (CLIN, Classe d’initiation pour élèves non-francophones, CLAD ; Classe d’adaptation, ELCO, Enseignements langues et cultures d’origine).

    « Cultures d’origine » et mauvaise conscience coloniale et postcoloniale

    C’est la logique de cette « politique éducative » qui est discutée par Sayad à l’occasion de ses différentes interventions auprès de professionnels ou dans le champ politique. Le centre de sa critique concerne le maintien de dispositifs visant la valorisation des « cultures d’origine », notamment les ELCO (Enseignements langues et cultures d’origine). Les ELCO consistent à proposer aux enfants de travailleurs migrants des enseignements visant à conforter la langue (supposée) maternelle, celle du pays d’origine, dans la perspective de maintien d’un lien symbolique avec la « culture d’origine » et d’anticipation d’éventuels retours au pays. Les ELCO sont dispensés par des intervenants ressortissants des pays étrangers dans le cadre d’accords diplomatiques [2]. Réalisés durant le temps de classe, ils consistent à en extraire les enfants concernés pour les diriger vers ces dispositifs. Pour Sayad, cette politique différentialiste n’est que la face immergée d’un rapport d’altérité qui traverse l’école tout entière comme en témoigne le vocabulaire officiel : « enfants étrangers » : « enfants de migrants », « pédagogie interculturelle », « respect des différences », etc. Autant de témoignages de cet « engouement culturaliste » qui a envahi l’école et dont on comprend les risques de dérives essentialisantes et folklorisantes.

    Cet « engouement culturaliste », qui trouve sa source dans une vision pseudo-généreuse du respect de la « diversité culturelle », est empreint de rapports post-coloniaux et contribue à la reproduction des rapports de domination en maintenant l’élève immigré dans une situation d’infériorité sociale. Le point d’orgue de cette ethnicisation de la question scolaire est la publication en 1985 du rapport de Jacques Berque, L’immigration à l’école de la République, à la demande du Ministre de l’Éducation nationale d’alors, Jean-Pierre Chevènement. Sayad, membre de la commission Berque, en a finalement démissionné en raison de fortes divergences, le rapport Berque symbolisant selon lui la pensée dominante sur l’école et l’immigration, qui considère les enfants de l’immigration dans un statut d’infériorité et d’altérité.

    L’obsession des catégorisations scolaires

    Pour Sayad, la contradiction originelle de l’école française est son obsession des catégorisations qui nient toute complexité. Si les enfants de l’immigration sont renvoyés à une altérité mythifiée, c’est en rapport aux élèves français, dont la définition est tout aussi floue : « un Français moyen, c’est-à-dire abstrait ». Non seulement l’école est incapable de penser en dehors du schème de l’intégration, mais s’obstine à interpréter l’échec scolaire en fonction de catégories naturalisantes en dehors de toute considération sociologique : capitaux économiques, conditions d’habitat, précarité, rapport des familles à la culture scolaire légitime, etc. La question de fond soulevée par Sayad concerne la reconnaissance de la légitimité de présence [3] des enfants de l’immigration dans l’école française. Les enfants d’immigrés payent le prix fort d’une école et d’une société française qui considèrent que le « surgissement » des enfants d’immigrés dans l’espace national constitue « un accident », une « aberration sociologique ».

    L’école française est ainsi prise en défaut « d’impréparation » à l’accueil de ces nouveaux élèves et d’incompréhension de la situation vécue par leurs parents. Si les difficultés au sein de la famille sont réelles, ce n’est pas en raison de la prégnance de modèles culturels du pays d’origine, mais précisément parce que ceux-ci sont profondément déstabilisés par la situation d’immigration. Que fait l’école par exemple de la « supériorité linguistique » des enfants par rapport à leurs parents ? De fait les enfants de l’immigration, de surcroît ceux nés en France, sont plongés dans un bain linguistique francophone et dans des styles de vie qui les éloignent de leur « culture d’origine ». Pourquoi l’école feint-elle de nier cette évidence en les renvoyant systématiquement à « leurs » origines ? Pourquoi l’État français et l’école ne se soucient-ils pas de considérations autres que culturalistes ? Sayad évoque notamment l’insécurité économique, la « dépendance totale », le sentiment de honte, et la peur qui constituent la condition d’immigré et qui pèsent sur la scolarité des enfants.

    La relégation dans des classes « infamantes »

    Ce sentiment d’infériorité et d’illégitimité est renforcé par la relégation des enfants dans des classes « infamantes ». Quant aux enseignements de « langues et cultures d’origine », ils symbolisent la hiérarchie des langues dans l’école française. L’enseignement de certaines langues à l’école ne renvoie en effet à aucune présence de ressortissants des pays concernés : anglais, allemand, russe, chinois, etc. D’autres au contraire sont liés à la présence d’immigrés et à leur intention exclusive. Le principe même de considérer ces langues comme des « langues d’immigrés » témoigne de leur statut de langues dominées. La participation d’Abdelmalek Sayad à la commission Berque est peu connue, cette expérience s’est pourtant avérée importante. Du point de vue privilégié qui fut le sien au sein de la commission, Sayad n’a pas hésité à prendre des contre-pieds. Il constate en effet que la commission considère l’immigration comme une extériorité. Le vocabulaire de la commission consacre les oppositions entre le « eux » (les immigrés) et le « nous » (la Nation). Sayad s’inquiète des propos de façade qui proposent la suppression des enseignements spécialisés pour les élèves issus de l’immigration. Il craint que cette proposition « généreuse » ne dissimule la possibilité de reconstitution d’autres formes d’« enseignement-ghetto ». Il s’inquiète notamment de l’existence de ségrégations spatiales particulièrement préoccupantes : « cités pour immigrés », « écoles pour immigrés ». Pour Sayad, « La hiérarchie des espaces commande la hiérarchie des écoles, la hiérarchie des personnels et la hiérarchie des enseignements ».

    Quelle école construire ?

    Sayad ne se limite pas à une analyse critique des contradictions de la politique scolaire à l’endroit des enfants de l’immigration, il formule un ensemble de propositions résumées par la formule suivante : « Plutôt que de confirmer les contradictions propres à la condition d’immigré, plutôt que de les redoubler ou de les renforcer en leur apportant la consécration culturelle qui est en son pouvoir, l’école se doit de dissiper pour elle-même et pour ses élèves l’illusion ou les illusions qui habitent l’immigration ». Pour Sayad l’école doit dépasser plusieurs contradictions lourdes à commencer par le rapport au temps. L’action scolaire de fait s’inscrit dans le temps long. Or les ELCO, avec leurs impensés de retour au pays, entretiennent les élèves dans une situation provisoire et précaire. L’école doit admettre et reconnaître que le retour au pays est une chimère, qu’il ne sera plus pour la grande majorité des élèves. L’école doit donc les traiter comme les autres dans un souci d’égalité. L’école doit également lutter contre le sentiment de méfiance et de défiance qu’elle suscite auprès des parents en leur accordant le temps nécessaire au dialogue.

    En lieu et place d’un enseignement de « langues et cultures d’origine » Sayad proposait un enseignement prenant en charge l’histoire de la composition historique de la population française par l’apport des différentes migrations et adressé à tous les élèves. À ce titre, Abdelmalek Sayad considérait que les enseignants devraient bénéficier non seulement d’une formation scolaire et pédagogique mais également politique. Par le biais de programmes scolaires universels adressés à tous les élèves sans aucune distinction, l’école devrait contribuer à enraciner les élèves, à leur donner une légitimité. La proposition centrale de Sayad consistait à abolir la confusion scandaleuse entre enseignement pour enfants d’immigrés et enseignement spécial, par crainte que les classes spéciales constituent le refuge de toutes les déficiences et de toutes les inadaptations scolaires (ce qui est aujourd’hui partiellement le cas).

    École et situation postcoloniale : une perspective à poursuivre

    Nous manquons aujourd’hui singulièrement d’ouvrages et de recherches concernant les relations entre l’école et la situation postcoloniale en France [4]. L’ouvrage posthume d’Abdelmalek Sayad couvre partiellement ce manque. Certes la problématique des enfants étrangers, immigrés, n’est pas totalement absente des travaux de recherche. Peu en revanche, comme ceux de Sayad, se sont à ce point attachés à analyser les catégories de pensée, à déconstruire les fausses évidences et à lutter contre certains points de vue réducteurs et stigmatisants. Sa perspective qui pourrait troubler plus d’un politique ne s’oriente pas vers la reconnaissance d’un quelconque particularisme culturel mais prioritairement vers la lutte contre toute forme d’enfermement et d’assignation identitaire.

    Certes les analyses de Sayad soulèvent des questions.

    Comment ne pas voir que son propos se situe sur une ligne de crête entre «l’indifférence aux différences», dénoncée par Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, et la prise en compte différentialiste d’une «culture d’origine» ? En réfutant toute forme d’essentialisation Sayad ne prône pas pour autant une approche totalement indifférenciée et assimilationniste de l’ordre scolaire. Ce qu’il appelle de ses vœux c’est une reconnaissance de la légitimité des enfants de l’immigration et l’obligation de leur octroyer le droit à disposer eux-mêmes de leur avenir dans une visée émancipatrice, grâce aux outils fournis par l’école. Si l’école ne doit pas être indifférente aux différences, c’est bien à propos des conditions de vie objectives, des désavantages économiques sociaux et spatiaux qui pèsent sur leur rapport à l’école.

    Pour le reste l’école doit admettre que les enfants dont elle a la charge, sont devenus « illégitimes » aux yeux de leurs parents, en raison de leur acculturation, parce qu’ils sont « les enfants de la France », comme le soulignait déjà Sayad dans Les enfants illégitimes. Ce constat, d’autant plus juste aujourd’hui avec de nouvelles générations « d’enfants de l’immigration » nés en France, ne devrait-il pas convaincre les institutions à renoncer définitivement au vocable récurrent et pesant de la « diversité » : « politique de diversité », « candidats de la diversité », « chartes de la diversité » ?

    Article publié dans La Vie des idées, 27 octobre 2014. ISSN : 2105-3030.

    Publié par Alencontre le 28 - octobre - 2014
    Par Choukri Ben Ayed

    [1] Abdelmalek Sayad, L’école et les enfants de l’immigration. Essais critiques, Le Seuil, 2014 (textes rassemblés par Benoît Falaize et Smaïn Laacher). 249 p.

    [2] Ces enseignements perdurent encore aujourd’hui.

    [3] Cette expression est issue des travaux d’Abdeljalil Akkari, Akkari A., (2001), « Les jeunes d’origine maghrébine en France. Les limites de l’intégration par l’école », Esprit critique, vol. 03/8.

    [4] On se référera notamment à la note de synthèse de Jean Paul Payet et Agnès van Zanten publiée dans le n°117 de la Revue française de pédagogie de 1996 : L’école, les enfants de l’immigration et des minorités ethniques. Dans cette note les deux auteurs constatent la quasi-inexistence de travaux consacrés aux relations entre école et minorités ethniques.

    http://alencontre.org/europe/france/immigration-ecole-et-rapports-de-domination.html

  • Les Chibanis de Paris se mobilisent pour garder un toit (France Culture)

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    Cela fait 10 ou 30 ans qu'ils habitent cet hôtel meublé du Faubourg Saint-Antoine, à Paris, qui n'a plus d'hôtel que le nom et qui tombe tristement en lambeaux.

    Malgré la vétusté des lieux, l'absence d'eau chaude et les cafards sur les murs, ces vieux messieurs, immigrés venus d'Algérie et du Maroc, des "chibanis", font de la résistance pour conserver leurs chambres. Reportage d'Agathe Mahuet à découvrir dans ce journal et ci-dessous.

    Parce qu'il veut vendre, le propriétaire (la CISE, Compagnie des immeubles de la Seine) les menace d'expulsion. Eux réclament d'être relogés, décemment. Tout de même, ils n'ont pas travaillé quarante ans en France, sur les chantiers ou dans les cuisines, pour finir abandonnés sur le trottoir.

    Sur les murs de sa chambre de 9m², Smaïl Regredj a collé les photos de sa famillenombreuse, restée en Kabylie. A Tizi-Ouzou, j'ai une femme, huit enfants, et pleins de petits-enfants. Mais cela fait 47 ans que je travaille en France! Je ne peux pas retourner là-bas. Ma vie est ici, j'ai mes habitudes ici

    Smaïl espère maintenant que la ville de Paris transformera le vieil hôtel en un immeuble de logements sociaux. Le problème, comme l'explique Moncef Labidi, responsable du Café social, à Belleville, c'est que les politiques français n'ont jamais pensé que ces travailleurs immigrés solitaires envisageraient de finir leurs jours ici, en France, loin de leur femme, de leurs enfants et du pays qu'ils ont quitté il y a bien trop longtemps pour pouvoir, aujourd'hui, retourner y vivre leur retraite :

    Pour Moncef Labidi, sociologue de formation, le sentiment d'intégration des jeunes Français issus de l'immigration maghrébine serait plus fort si l'on prenait davantage soin de leurs aînés, les Chibanis. En attendant que les politiques se saisissent du dossier, Moncef et son association ont mis en place des colocations pour immigrés âgés : quatre "domiciles partagés" sont déjà loués dans le nord parisien :

    10.09.2014 - 18:00

    http://www.franceculture.fr/emission-journal-de-18h-les-chibanis-de-paris-se-mobilisent-pour-garder-un-toit-2014-09-10

  • Des chansons du Maghreb à Lyon Place du Pont Production (France Culture)

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    Un documentaire de Péroline Barbet et Jean-Philippe Navarre

    A l’instar de Paris et Marseille, villes phares de la concentration d’exilés du Maghreb, Lyon fut une plateforme pour de nombreux chanteurs, musiciens, éditeurs et producteurs, qui, de cafés en galas, de studios d’enregistrement, aux magasins de la rue Moncey, a vu fleurir une économie musicale artisanale, inventive, alternative et produit des métissages musicaux inédits.

    A moins de 100 mètres de la place du Pont, au cœur de Lyon, les maisons d’édition VisionPhone, l’Etoile verte, SEDICAV, Mérabet, Bouarfa ont produit, des années 70 à 90, des milliers de « K7 » de musiciens marocains, algériens et tunisiens locaux et nationaux.

    Au fil des chansons retrouvées, et à travers les bouches de ceux qui les ont écrites, ce documentaire nous plonge dans les récits des réalités nouvelles de l’exil de cette France post 30 glorieuses et sur le quotidien des premières générations de migrants. Ces chansons, multiformes et fraternelles, directement en prise avec la réalité quotidienne, nous parlent de séparation, de déracinement, d’amour, célèbrent ou ironisent le mythe du retour au pays. Loin de l’image mutique, passive et pleine d’abnégation des travailleurs immigrés de la première et deuxième génération, elles témoignent de la grande inventivité de ces hommes de l’ombre et d’une soif d’expression sans pareil.

    du lundi au jeudi de 17h à 17h55 53 minutes, 11.09.2014 - 17:01 

    Production : Péroline Barbet

    Réalisation : Jean-Philippe Navarre

    http://www.franceculture.fr/emission-sur-les-docks-des-chansons-du-maghreb-a-lyon-place-du-pont-production-2014-09-11

  • Retraite des Chibanis: une loi toujours pas appliquée (LO)

    En janvier 2014, relancée par des associations, Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales, a fait voter une loi permettant aux travailleurs retraités étrangers de plus de 65 ans de percevoir dans leur pays d'origine leurs prestations sociales, complétant leurs maigres retraites, sous la forme d'une allocation de réinsertion équivalant aux allocations qu'ils touchent en France :

    allocation de solidarité pour les personnes âgées, aide au logement et maintien de l'assurance-maladie. Cela concerne particulièrement les travailleurs retraités maghrébins, les Chibanis (ce qui signifie « anciens » en arabe), recrutés il y a quarante ans par le patronat pour venir travailler dans le bâtiment ou l'industrie automobile.

     

    Jusqu'à maintenant, ils sont obligés d'avoir un logement avec leur adresse principale en France (souvent la chambre de 8 mètres carrés du foyer qui les a logés à leur arrivée) et d'y résider au moins six mois par an pour bénéficier de leurs droits sociaux, acquis après des dizaines d'années de travail en France.

     

    Après l'adoption de cette loi, Marisol Touraine s'est félicitée : « Il s'agit d'une avancée essentielle pour les immigrés âgés de plus de 65 ans, dont plus de 35 000 vivent actuellement dans des foyers, certains y étant contraints en raison de portabilité des droits sociaux, et malgré des conditions de résidence souvent inadaptées aux personnes vieillissantes. »

    Et, dans ce communiqué, elle rappelait que « ce dispositif avait été adopté à l'unanimité par le Parlement en 2007, mais les décrets d'application n'ont jamais été pris ».

    C'est vrai : depuis sept ans, cette loi Borloo adoptée sous Sarkozy n'a jamais été appliquée. Mais la nouvelle loi Touraine, votée depuis huit mois, n'a toujours pas, elle non plus, ses décrets d'application publiés. Donc la loi n'est toujours pas appliquée. Et les Chibanis qui le souhaitent ne peuvent toujours pas retourner vivre leur retraite dans leur pays. Car s'ils s'absentent trop de France, ils peuvent voir leurs prestations sociales suspendues ou supprimées. Louis BASTILLE

    http://www.lutte-ouvriere-journal.org/?act=artl&num=2404&id=13