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Religions - Page 4

  • La France sent mauvais (Michel Warscharwski)

    coup-de-boule Siné Mensuel

    Valls critique le président de l’Observatoire de la laïcité parce qu’il a osé avoir pour interlocuteur… des musulmans ; Elisabeth Badinter déclare qu’il ne faut pas avoir peur d’être traité d’islamophobe. Selon Michel Warschawski, correspondant en Israël, la France connaît une terrible régression.

    Récemment, le Premier ministre Manuel Valls a fortement critiqué le président de l’Observatoire de la laïcité, Jean-Louis Bianco. Bianco est un homme intègre, et loin d’être un gauchiste. Après les attentats du 13 novembre, il avait signé une pétition titrée « Nous sommes unis », publiée dans Libération. Parmi les signataires, le grand rabbin de France Haïm Korsia. Valls ne critique pas le contenu de l’appel mais la présence parmi les signataires de militants musulmans d’obédiences diverses : s’ils ne dérangent pas le grand rabbin de France, ils sont infréquentables pour le Premier ministre.

    Quand il y a un incendie, que les gens s’unissent pour l’éteindre, doit-on les punir pour cela ? Doit-on refuser qu’une partie de ceux-là aient le droit de l’éteindre alors que le pyromane les visait ? Pourquoi Valls s’en prend-il aux pompiers et à toutes les bonnes volontés ?

    Cette position s’inscrit dans une terrible régression islamophobe que connaît la France depuis l’affaire du voile, mais encore plus depuis l’attaque contre Charlie Hebdo. Pour preuve, si nécessaire, cette déclaration d’Elizabeth Badinter sur les ondes de France Inter (6 janvier 2016) dont, comme on dit dans ma tradition, la vieillesse fait honte à sa jeunesse :

    « Il ne faut pas avoir peur de se faire traiter d’islamophobe… À partir du moment où les gens auront compris que c’est une arme contre la laïcité, peut-être qu’ils pourront laisser leurs peurs de côté pour dire les choses. »

    Comment qualifier ce à quoi nous assistons : une personnalité publique et influente vient proclamer sur les ondes d’une radio nationale qu’il ne faut pas avoir peur de se faire traiter d’islamophobe, dans une période où les actes islamophobes ont augmenté de plus de 200 % ? Si l’on appliquait l’égalité des lois à tous les citoyens, Madame Badinter serait poursuivie en justice pour avoir tenu de tels propos.

    C’est lors d’une rencontre des Amis du Crif que le Premier ministre s’en est pris à Jean-Louis Bianco pour défendre Madame Badinter et pour dénoncer la signature commune avec des organisations musulmanes :

    « On ne peut pas signer des appels, a déclaré le Premier ministre sous les applaudissements des membres du Crif, y compris pour condamner le terrorisme, avec des organisations que je considère comme participant du climat que l’on a évoqué tout à l’heure. »

    Valls crée un nouveau concept politique, le climat et, partant de ce concept, déclare que tout « climatologue » doit être ostracisé, avant d’être – qui sait ? – déchu de sa nationalité et, comme apatride, envoyé a Drancy.

    Politique fiction ? Procès d’intention ? En aucun cas : il suffit pour se faire une idée de la conception de la démocratie qu’a Manuel Valls d’écouter ses propos sur les appels au BDS (boycott, désinvestissement, sanctions) en France :

    « Les pouvoirs publics doivent changer d’attitude [vis-à-vis des actions BDS, NDLR]. On voit très bien comment on est passé de la critique d’Israël à l’antisionisme, et de l’antisionisme à l’antisémitisme. »

    Et alors que le président du Crif, Roger Cukierman, exigeait l’interdiction de manifestations qui appellent au BDS, Valls, loin de lui faire une petite leçon de démocratie et du républicanisme dont il se réclame en permanence, lui répond : « Ce que je peux vous dire, c’est que j’en parlerai, et j’en ai déjà parlé avec le ministre de l’Intérieur. Je pense que les pouvoirs publics doivent changer d’attitude vis-à-vis de ce type de manifestations. Il me semble qu’il s’agit de quelque chose qui participe d’un climat (encore une fois le « climat ») nauséabond, donc je suis plus qu’attentif. Je pense que nous allons prendre des dispositions […] qui doivent montrer que ça suffit, et qu’on ne peut pas tout se permettre dans notre pays. »

    Quelles dispositions ? Déchéance de nationalité ? Camps d’internement ? La France est – et pour longtemps encore, promet le Premier ministre – dans l’état d’urgence. Tout est donc possible. S’il y a un climat nauséabond en France, c’est dans des propos tels que ceux de Manuel Valls qu’on doit chercher la source. Ou encore dans la distinction que fait Christian Estrosi (au Grand Rendez-vous d’Europe 1) entre la kippa et le voile, la première étant encouragée par le président de la région Paca, le second dénigré.

    Aux Juifs de France qui se sentent protégés par des politiciens comme Estrosi, je ferais une double mise en garde : d’abord, si la République interdit ou stigmatise aujourd’hui un signe religieux d’une minorité, non catholique, elle permet de faire de même demain avec une autre religion ; Vichy n’est pas si loin pour que les Juifs de France soient si certains d’être immunisés contre un racisme d’État : si on s’en prend aujourd’hui au voile, après-demain, ce sera à la kippa qu’arborent avec démagogie les Estrosi de droite et de gauche.

    Ensuite, une telle discrimination entre deux communautés, l’une étant valorisée et l’autre dénigrée, ne peut pas ne pas provoquer des réactions anti-juives au sein de la communauté dénigrée. Répétons-le inlassablement : la seule protection des Juifs de France, c’est le combat commun contre le racisme, dans toutes ses expressions. Flirter avec le racisme antimusulman n’est pas seulement immoral, c’est suicidaire.

  • Religions : je persiste et signe (Michel Warschawski )

    coup-de-boule Siné Mensuel

    Suite à son Coup de Boule « La France sent mauvais » paru dans le n°50 de Siné Mensuel, Michel Warschawski a reçu un courrier de lecteur fâché. Il répond, persiste et signe. 

    Même si j’ai porté la kippa pendant les vingt premières années de ma vie et pratiqué tous les commandements de la Tora, y compris les plus futiles, je suis aujourd’hui un athée qui mange à Kippour et adore la côte de porc. À la synagogue, je n’y vais que pour des fêtes de famille et mon enterrement se fera hors des rites et des cimetières juifs.

    J’ai cependant développé une véritable allergie aux laïcards français. Je spécifie « français » parce que c’est une maladie typiquement hexagonale et je ne pense pas qu’en Grande-Bretagne, par exemple, il y ait moins d’athées ou d’agnostiques qu’en France, mais ils sont, pour la plupart, exempts de cette haine du religieux.

    Eh oui, même si je collabore à Siné Mensuel et aime beaucoup Bob, je suis loin de partager leur haine des religieux. Pourquoi cette clarification ? Parce que Catherine m’a fait suivre un courrier me concernant où on pouvait lire :

    « C’est quoi cet article de Warschawski ? Certes, Valls est à vomir, mais est-ce une raison pour défendre les religions dans Siné ?!  La France sent mauvais. Difficile de contredire un tel titre. Cela dit, dans quel autre pays un canard comme Siné Mensuel pourrait exister ? Si on élimine tous les pays où la religion est au pouvoir totalement ou partiellement, ça fait pas lerche. Quant à considérer le voile comme un simple signe religieux, alors là, je m’étrangle au point que j’aurai sans doute du mal à acheter le prochain numéro le mois prochain. Certes, combattre l’obscurantisme religieux est on ne peut plus délicat quand on est sans cesse parasité par des nuisibles qui en profitent pour y insérer du racisme, mais fait chier quand même ».

    Je ne sais pas ce que signifie « défendre les religions ». Je sais par contre ce que signifie la liberté, et le droit de chacun de vivre sa vie comme il/elle l’entend, tant que cela ne porte pas préjudice à l’autre. Préjudice n’inclut évidemment pas « ce qui me dérange » : si, comme je l’ai dit, j’aime la côte de porc, je n’aime pas par contre la cuisine indienne et l’odeur des plats au curry m’importune. Pourtant, je n’ai jamais envisagé qu’on ferme pour cette raison les restos indiens.

    Le port de la kippa ou du fez, du foulard ou de la perruque est une histoire de choix individuel… qui, comme tous les choix ou les goûts, est formaté par la culture ambiante, l’école, la famille, voire l’Église.

    Quand, en plus, une communauté est stigmatisée, le port de ses signes distinctifs est souvent un acte d’affirmation de soi et de mise en défi du racisme ambiant. Si l’on interdisait la kippa en France, je crois bien que je défierais la loi et mangerais ma côte de porc avec une kippa sur la tête.

    La laïcité est faite de la séparation totale de l’État et des religions et du droit de chacun de vivre ses croyances, philosophiques ou religieuses, comme il/elle l’entend. La France a été à l’avant-garde de la bataille historique pour cette laïcité, et ses valeurs ont rayonné à travers le monde. Mais quand cette laïcité prend les accents de Madame Badinter, c’est de racisme qu’il s’agit, dans la droite ligne du « rôle civilisateur du colonialisme ». Car – mais faut-il le rappeler ? – la France laïque et républicaine a tenté d’imposer sa civilisation aux peuples sauvages, au prix de millions de morts. Aujourd’hui, elle n’a aucun problème à faire des affaires juteuses avec l’Arabie saoudite… où le port du voile est obligatoire.

    J’irai même plus loin : un peuple qui a applaudi pendant près de quatre ans le Maréchal et son régime, qui a collaboré, activement ou passivement, à la déportation de ses citoyens juifs ou roms, se doit d’être modeste quand il critique les mœurs civilisationnelles des autres.

  • Femmes sous lois musulmanes : Contre l’intégrisme, les femmes laïques s’organisent dans un réseau non confessionnel (Essf)

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    Non confessionnel, le réseau Femmes sous lois musulmanes relie toutes les femmes de pays musulmans

    Tournant historique dans la lutte contre l’intégrisme musulman : les femmes laïques s’organisent

    Les quarante dernières années ont vu l’émergence, au plan international, des luttes féministes dans les pays dits musulmans. Bien entendu ces luttes ont toujours existé : l’ouvrage de Farida et Aisha Shaheed sur Nos grandes ancêtres [1] en témoigne et si elles ont décidé de faire démarrer leur recherche au VII° siècle, ce n’est pas faute d’exemples antérieurs. Écrit pour mieux réfuter les accusations d’occidentalisation et de traîtrise à l’islam portées contre nos féministes d’aujourd’hui, il pointe la persistance et l’actualité des demandes des femmes au travers des siècles : l’éducation, la liberté de mouvement, l’autonomie économique et la disposition de ses biens, le libre choix d’un mari ou de ne pas contracter mariage, les multiples formes de contrats passés avec leurs prétendants pour garantir les droits des épouses après le mariage, etc.

    En réclamant ainsi notre histoire féministe, nous avons fait œuvre scientifique et battons en brèche à la fois la revendication identitaire des intégristes qui voudraient faire disparaître ces faits de notre histoire officielle et le ‘choc des civilisations’ de l’extrême droite raciste qui cherchait à nous enfermer, nous assigner à résidence dans une ‘culture musulmane’ unique, a-historique et transcontinentale exclusivement rétrograde.

    À de rares moments, les luttes féministes en Turquie, en Égypte ou dans le sous-continent indien du début du XX° siècle ont trouvé quelques échos dans la presse féministe européenne ; et il y eut parfois de généreuses actions de solidarité spécialement en matière de droits à l’éducation des filles. Mais ce n’est que dans les années 80 que devient visible internationalement Femmes Sous Lois Musulmanes (plus connu sous son acronyme en anglais WLUML – Women Living Under Muslim Laws), le premier réseau féministe qui relie les femmes dans les pays ‘musulmans’ et les communautés ‘musulmanes’ en Asie, en Afrique, au Moyen Orient et dans les diaspora.

    
Ce réseau, rappelons-le, se définit comme non confessionnel ; ce qu’il met en lumière, ce n’est pas l’appartenance religieuse, c’est une réalité socio-politique commune : celle de vivre sous des lois dites musulmanes. En ce sens, il s’adresse à, et regroupe indistinctement, toutes les femmes qui vivent sous ces lois, quelle que soit leur origine, leur religion ou absence de religion. Il a pour but d’organiser l’échange de connaissances sur nos situations, leurs similarités et leurs différences – afin de démonter le mythe d’une ‘monde musulman ‘ homogène ; sur nos luttes, afin d’organiser, pour la première fois, le soutien international des luttes locales par des femmes de pays ‘musulmans’ qui bénéficient ainsi d’une légitimité que n’ont pas les féministes qui nous soutiennent de l’extérieur dans le monde entier ; sur nos stratégies, pour stimuler l’imagination des groupes locaux et faciliter l’échange et l’adoption de stratégies facilement reproductibles. Le tout, en lien avec les féministes du monde entier, car il n’est pas question de se ghettoïser et nous sommes plutôt enclines à voir les similarités qui nous unissent dans notre demande de droits universels.

    Parmi les premières tâches accomplies par le réseau Femmes Sous Lois Musulmanes on trouve deux projets majeurs.

    Programme d’échange

    Le premier est un programme d’échange réalisé où, pour faire prendre conscience de la diversité et de la non-homogénéité du ‘monde musulman’, nous organisons un véritable choc culturel. Pendant trois mois, des femmes vont vivre dans un contexte ‘musulman’ complètement différent du leur. Celles qui vivent dans des pays où les femmes sont voilées vont dans un autre pays ‘musulman’ où elles ne le sont pas, et vice versa. Celles qui vivent dans des pays où les femmes sont excisées vont dans un autre pays ‘musulman’ où on n’a jamais entendu parler de cette coutume – et vice versa, etc. Elles reviennent ensuite passer du temps ensemble pour confronter leurs expériences et c’est un festival de découvertes sur la diversité du ‘monde musulman’ qu’elles partagent.

    Ce sont des cadres féministes qui sortent de ces échanges, exceptionnellement conscientes qu’elles ont des acquis à préserver – puisque les intégristes planifient une homogénéisation par le bas en propageant les lois et les coutumes les plus rétrogrades et misogynes comme étant ‘islamiques’- ; et qu’elles ont des droits à conquérir puisqu’elles ont vu de leurs yeux d’autres citoyennes de pays ‘musulmans’ en bénéficier. On ne sort pas indemne d’une telle expérience, on en sort armée pour ne plus avaler les couleuvres intégristes.

    Femmes et lois

    Le deuxième projet, colossal, est intitulé ‘Femmes et lois’ [2]. Il confie aux militantes de base des organisations des droits des femmes le soin de répertorier les lois sur la famille (celles qui affectent le plus les femmes) dans leur pays, non seulement les textes officiels, mais aussi leur application, ainsi que les coutumes que couvrent les États, ce qui leur donne presque force de loi. Les militantes sont particulièrement bien placées pour faire ce travail à partir de cas concrets, mais aussi pour en restituer ensuite les résultats de façon à stimuler les luttes.

    Outre les rapports nationaux et régionaux, il en ressort au final un Manuel comparatif qui permet aux militantes de voir au premier coup d’œil que les lois sont très diverses bien que chaque pays les affirme ‘islamiques’. Au moment où les intégristes promeuvent des projets législatifs liberticides et misogynes en les parant du nom de ‘charia’ – et ce, y compris dans les pays d’immigration –, il est particulièrement réjouissant de montrer, preuves en main, que certains pays ‘musulmans’ admettent l’égalité totale des conjoints dans le mariage, ne restreignent pas le droit au travail ou aux hautes fonctions de l’État pour les femmes, ou protègent l’intégrité physique des fillettes, tout en s’estimant en parfaite conformité avec l’islam. Si d’autres pays font l’inverse, on peut et doit donc se battre pour abolir ces lois patriarcales.

    Parallèlement, pour bien montrer que ‘l’islam’ ne parle pas d’une seule voix, et certainement pas par la seule voix des intégristes, nous entamons une exploration des sources religieuses de ces lois (pour souvent découvrir qu’elles n’en ont pas), une déconstruction des alibis religieux et des comparaisons d’interprétations coraniques en confrontant les vues intégristes avec les travaux des théologiens progressistes.

    Malheureusement, internationalement, nous sommes victimes de notre succès. L’engouement pour les luttes des ‘musulmanes’ est à double tranchant : on a tôt fait, en particulier les financeurs, mais pas seulement, de nous enfermer dans un carcan identitaire où seules les réinterprétations religieuses vont être considérées comme devant être notre stratégie préférentielle, alors que les luttes pour les droits universels ou pour la laïcité sont jugées moins légitimes. Lors des rassemblements féministes, la demande de présentations se veut, elle, aussi spécifiquement ‘musulmane’. S’ensuit une longue période de purgatoire : les fondations se tournent vers les projets de réinterprétation coranique, sans voir que ce sont devenus des projets inspirés par les intégristes, le ‘féminisme islamique’ fleurit. Les manifestations féministes en Occident apprécient l’exotisme des femmes voilées, comme si cela leur donnait un brevet d’antiracisme.

    Un courant pour la laïcité et l’universalité des droits

    Pourtant, pendant ce temps se développe un courant majeur pour la laïcité et l’universalité des droits des femmes, prépondérant, par exemple, en Algérie, au Sénégal, en Turquie ou au Bangladesh. Et les exactions de plus en plus odieuses des talibans, puis d’Al Qaida et de Daech, au nom de l’islam vont exacerber ce courant. Après des attentats sanglants au Pakistan, les photos d’archives des mouvements féministes montrent des femmes tenant, dans la rue, des panneaux demandant un État laïque.

    Depuis le GIA dans les années 90 en Algérie où les laïcs, qu’ils ou elles soient croyant-es musulman-es ou athées, sont assassiné-es comme kofr (mécréants), les attaques se sont multipliées contre les partisan-es d’États laïques : des emprisonnements et condamnations à la flagellation dans les pays du Golfe aux assassinats des blogueurs athées au Bangladesh. Et parmi les personnes assassinées, de plus en plus de femmes, des journalistes, des avocates, des femmes politiques, des militantes associatives, au Moyen-Orient, au Pakistan, en Afrique du Nord, etc. La décennie 2010 est hélas ! particulièrement meurtrière.

    Mais loin d’enrayer le phénomène, les meurtres donnent plus de visibilité à ces nouveaux mouvements qui commencent à se donner les moyens de s’organiser internationalement. Créé en 2005, le réseau Secularism Is A Women’s Issue donne le coup d’envoi. On a créé des ‘Conseils des Ex-Musulmans’ depuis quelques années en Allemagne et en Grande-Bretagne, fondés l’un comme l’autre par des femmes d’origine iranienne, puis dans d’autres pays européens et du Maghreb, pour revendiquer le droit de quitter l’islam sans le payer de sa vie. Il y a fort à parier qu’ils se multiplieront dans les années à venir. On invite régulièrement leurs fondatrices et fondateurs à l’extérieur – un changement majeur par rapport aux décennies précédentes où la seule stratégie pour laquelle on nous reconnaissait quelque légitimité était celle de la réforme de l’islam.

    Une première conférence internationale sur la laïcité, les droits civils et la citoyenneté se tient à Londres en 2015. Organisée par des féministes de la diaspora algérienne et iranienne, elle regroupe principalement – mais non exclusivement - de nombreux-ses participant-es d’origine ‘musulmane’ venu-es d’Asie et d’Afrique. À la tribune ce sont les femmes qui sont de loin les plus nombreuses, certaines croyantes, mais laïques, et beaucoup d’autres ouvertement athées. Depuis, les interactions entre les laïques et athées de pays dits musulmans et ceux d’Europe se multiplient : cette année, se tiendront en Pologne et en Croatie notamment des évènements laïques où l’on invitera diverses représentantes de la résistance laïque des pays ‘musulmans’. Des conférences internationales sur la laïcité devraient se tenir prochainement en Asie du Sud.

    Une très sérieuse étude datant d’une dizaine d’années montre qu’en France environ 25 % de la population issue de l’immigration de pays dits musulmans se déclarent ouvertement athée et que seuls 5 % se déclarent pratiquants. Il est fort intéressant de noter que c’est exactement la même proportion que parmi les citoyennes et citoyens français d’origine chrétienne. Paru en anglais sous le titre The struggle for secularism in Europe and North America [3], un livre recense les mises en garde de féministes de la diaspora qui ne mâchent pas leurs mots contre l’essor de l’intégrisme musulman en Europe, au Canada et aux USA, et qui expriment clairement leur attachement à la laïcité menacée [4].

    Nous voyons enfin, petit à petit, rétablie la légitimité de nos luttes universalistes et laïques et c’est certainement la grande révolution de cette décennie. Il serait temps que nous entreprenions une nouvelle fois de réclamer notre histoire et que, comme nous l’avons fait pour nos ‘grandes ancêtres’ féministes, nous exhumions aussi nos grandes ancêtres laïques dans les pays à majorité musulmane.

    Marieme Helie Lucas, sociologue et coordonnatrice de Secularism Is A Women’s Issue

    Sites Webs à consulter :

    Secularism is a Women’s Issue : http://www.siawi.org

    Femmes sous lois musulmanes : http://www.wluml.org/fr/node/5409

    * Mis en ligne sur Sisyphe, le 1 mars 2016 :
    http://sisyphe.org/spip.php?article5234

    Notes:

    [1Our Great Ancestors, By Farida Shaheed and Aisha Lee Shaheed Karachi : Oxford University Press, 2011, 220 pp. WLUML ed.

    [2Knowing Our Rights, WLUML ed.

    [3The Struggle for Secularism in Europe and North America – women of migrant descent facing the rise of fundamentalism, Marieme Helie Lucas ed. Amazon. En cours de traduction en français.

    [4Il faut rappeler ici qu’il y a quelques décennies, ce sont des femmes de pays musulmans qui sont venues, à l’initiative du WLUML (Femmes sous lois musulmanes), soutenir les Canadiennes contre l’introduction de tribunaux d’arbitrage religieux en matière de droit de la famille.

    http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article37444

    Lire aussi:

    http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article37490

     

  • Contribution au débat L’islamisme sous le prisme de fascisme : le cas algérien (Essf)

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    Au chapitre V du texte « Mondialisation capitaliste, impérialismes, chaos géopolitique et leurs implications » est abordée la question de « nouvelles extrêmes droites et nouveaux fascismes » [1].

    L’islamisme qui traverse les sociétés où dominent la religion musulmane, et notamment les pays arabes en pleine ébullition révolutionnaire, est directement concernés par cette caractérisation. Peut-on qualifier cet islamisme, ou ces islamismes - car ils sont de différentes obédiences même s’ils puisent tous du même moule culturel en guise d’arguments d’autorité idéologique et doctrinale - de fascisme ? Où doit-on plutôt chercher une explication dans l’univers historique et culturel de ces sociétés ?

    La nécessaire analogie avec le fascisme

    La caractérisation politique de l’islamisme revêt dans les conditions de lutte d’aujourd’hui une importance capitale pour saisir les enjeux de luttes politiques. Ceci n’est pas un exercice de l’ordre de la scolastique à des fins universitaire où on appliquerait sur le phénomène islamiste telle ou telle définition du fascisme reconnue comme valide. Le but est surtout de nous aider à se positionner sur le terrain. La véritable question est donc de savoir si ce mouvement si violent est porteur d’une quelconque légitimité émancipatrice qu’il faut soutenir d’une certaine manière et en faire un partenaire de lutte ! Ou bien est-il porteur d’une barbarie régressive qu’il faut combattre.

    Ce qu’il faut admettre, comme le souligne d’ailleurs le texte de Pierre Rousset, c’est que cet « islamisme » n’est pas une simple réplique du passé, mais il exprime le temps présent. C’est un phénomène des temps modernes. Et les temps modernes ce sont des temps capitalistes. Il est la conséquence directe des contradictions et des impasses, autrement-dit de crises, que vivent les différents capitalismes de la région à culture musulmane. Étant l’enfant des politiques capitalistes et libérales qui engendrent oppression, misère et inégalité, il est donc logique de chercher à le comprendre à travers le prisme du fascisme, phénomène politique aussi violent et barbare plus connu dans l’histoire du capitalisme européen dans un moment de crise et d’impasse révolutionnaire. L’intérêt d’une telle analogie est d’éviter de tomber dans des analyses culturalistes et essentialistes où on ne verrait que la résurgence des fantômes du passée.

    Il est vrai toutefois que dans sa forme d’expression, l’islamisme prône la « Oumma » (communauté des croyants) dirigée par une seule loi, la charia, par un seul parti incarné par un chef suprême, le calife, c’est-à-dire une réincarnation d’un passé mythique. Ensuite nous pouvons trouver des variantes de cette forme qui vont de l’expression modérée qui accepte tactiquement et selon les cas les règles du jeu démocratiques dans leur expressions bourgeoises (les Frères musulmans) jusqu’à la pratique radicale la plus violente qui frise la barbarie (les Djihadistes). Chaque islamiste peut passer d’un « islam modéré » vers une logique meurtrière où toute attitude culturelle comportementale ou politique jugée éloignée de la charia est punissable de mort, ce qui peut aller, nous l’avons vu dans différents cas, jusqu’au meurtre, l’enlèvement des femmes pour en faire des esclaves sexuels, la légalisation du viol, etc. Et il est facile de trouver un justificatif idéologique dans la longue tradition coranique, comme d’ailleurs dans d’autres traditions au besoin.

    Mais ceci ne nous permet pas de dire que la religion est par essence porteuse de comportement fasciste ou que les islamistes restent des fascistes ou des barbares par définition. La mutation comportementale dans un moment de crise à l’échelle individuelle est à chercher au niveau psychologique. La mutation à l’échelle collective ou de masse est à chercher au niveau politique. Et ici il faut dépasser l’analyse formelle pour aller regarder la fonction que l’islamisme tente de remplir à l’intérieur d’une structure donnée. Et quand la structure est capitaliste, comme nous l’avons souligné, il s’agit de l’aborder avec les catégories sociales, économiques et culturelles de l’ordre du capitalisme, c’est-à-dire regarder ou en est le capital, ou en sont les différentes classes qui composent cet ordre.

    Processus de fascisation dans le cas de l’islamisme algérien

    Boosté par la révolution iranienne de 1979 et la « campagne Afghanne », aidé par le soutien ou l’alliance officieuse contractée avec le régime de Chadli Ben Jeddid engagé dans une ouverture économique (appelé Infitah) après les années Boumedienne, l’islamisme va pouvoir construire une assise militante importante durant les années 1980. Ce qui lui donnera rapidement une force de frappe décisive et une aura parmi la population au lendemain de la crise ouverte par la révolte d’Octobre 88.

    Pendant ces années de formation militante, l’islamisme récupère et organise par un long travail de proximité et de moralisation dans les quartiers, autour des mosquées et dans les universités une composition sociale, massivement petite bourgeoise en crise. Elle va constituer l’essentiel du personnel de la direction et de l’encadrement des formations islamistes.

    Dès octobre 88, dans le sillage de la révolte populaire qui secoua l’Algérie, l’islamisme algérien, organisé essentiellement autour du FIS, se fera le porte-voix des couches sociales essentiellement membres de la petite bourgeoisie (commerçant, artisans, petits et moyens paysan, professions libérales, professeurs, cadres, employés, fonctionnaires, étudiants). Bloqués dans leur procès d’accumulation par une économie dominée par une gestion étatique où la régulation s’opère par le biais des relations clientélistes d’une bureaucratie qui a le monopole du pouvoir, apeuré par une possible prolétarisation face à la crise qui s’installe, des franges de la petite bourgeoisie défilent dans un mouvement ascendant dans les mosquées dans l’espoir que la « solution islamique » leur assure un état fort dans un capitalisme sans contradictions !

    Le processus de fascisation commence. Mais, c’est surtout le caractère social de cette crise et la place politique que l’islamisme va occuper qui peut nous permettre de comprendre la violence fascisante dans laquelle s’est engouffrée la société en guise d’issue à la crise.

    Sociologiquement, l’idée fondamentale qui caractérise le fascisme selon Trotski est son caractère de classe petite bourgeoise. « Le fascisme est, au fond un programme de courant petit bourgeois. Rien que cette particularité montre quelle importance énorme- mieux, quelle importance décisive- l’autodétermination des masses populaires petite-bourgeoises prend pour le sort de toute société bourgeoise » [2].

    Politiquement, le FIS agite le drapeau d’un Etat islamique qui ne serait ni capitaliste ni socialiste (ni Est, ni Ouest, mais islamique, scandaient les manifestants islamistes). Dans la réalité, il défend une sorte de capitalisme de juste milieu qui avec un Etat fort qui pourrait concilier les intérêts de toutes les classes dans une attitude anti-impérialiste couvert d’un discours plus anti-Occident qu’anticapitaliste.

    Bien sûr, à trop pousser la comparaison, on trouvera des différences entre les deux phénomènes, non pas tant sur le plan culturel et civilisationnel, mais au niveau du développement inégal des deux structures capitalistes. Il s’agit surtout de voir ce qui est fondamental. Et ce qui est fondamental c’est l’impasse dans laquelle se retrouve l’évolution du capitalisme, l’absence d’une alternative révolutionnaire sociale et démocratique et la tentative de modifier par la force et la violence barbare les conditions de reproduction du capital, et dans le cas de l’Algérie, ce fut en faveur d’une bourgeoise qui voulait s’émanciper de la tutelle de la bureaucratie bourgeoise. C’est ce qui explique les tergiversations tactiques des deux factions qui composaient le pouvoir algérien : entre d’un coté un président Chadli et son gouvernement Hamrouche qui se disaient réformateurs, et qui voulaient engager le capitalisme d’Etat algérien sur la voix du libéralisme, et de l’autre la faction bureaucratique derrière les militaires qui ne voulaient surtout pas finir sur l’échafaud ; le souvenir iranien était encore dans les esprits. Le processus est ainsi stoppé par un coup d’Etat militaire en janvier 92. Une autre phase s’engage et la contradiction trouva son issue dans une guerre civile.

    L’islamisme dans le jeu démocratique ?

    L’émergence d’un processus de fascisation sous la forme d’une expression politique islamiste dans les conditions particulières que nous venons de voire d’une manière succincte ne signifie pas pour autant que tous ceux qui se réclament de l’islamisme sont des fascistes. Pour rester dans le cas algérien, d’autres formations politiques se réclamaient du Coran et de la Charia, et se projetaient dans la construction d’un état islamique mais différent de celui du FIS. Elles sont différentes non pas dans leur rapport au Coran et à la « Chariâa », mais dans leur rapport au capitalisme.

    Le MSP (le Hammas algérien) d’obédience « frère musulman », le parti islamiste le plus important après le FIS se distinguait de celui-ci par une adhésion totale au libéralisme économique, au refus de l’intervention de l’Etat dans la gestion économique, une acceptation de la soumission à l’économie mondiale et à l’impérialisme et ne cherchait pas à s’implanter dans les couches populaires.

    La différence est aussi au niveau politique. Le FIS rejetait la démocratie considérée comme matérialiste et irréligieuse. Il opposait la souveraineté de dieu à la souveraineté populaire. Il menait la guerre contre le pluralisme politique y compris à ses adversaires islamistes considérés comme des diviseurs de la « Oumma ». Il refusait le travail aux femmes, leur impose le port du voile et use de la violence pour imposer son ordre à toute la société notamment aux grèves des travailleurs, aux manifestations syndicales, politiques et culturelles jugées contraires à la religion.

    Tout le contraire de Hammas. Celui-ci prônait en revanche une démocratie islamique désigné par le néologisme « Chouracratie » où il ne voyait pas d’un mauvais œil l’existence d’autres partis, ni le travail des femmes et où il rejetait l’obligation de porter le hidjab (voile). Autant d’attitudes qui montrent des divergences et des différences politiques, idéologiques et sociales entre ces courants se réclamant de l’islamisme et de « l’Etat islamique ». Elles sont peut être d’ordre tactiques ! Elles révèlent surtout des différences dans la nature de leurs projets politiques et leurs stratégies de conquête du pouvoir. Le MSP (Hammas) refusa par exemple la grève insurrectionnelle du FIS en juin 91.

    Ceci nous amène à ne pas confondre tous ces partis se réclamant de l’islamisme et à éviter de faire une lecture unilatérale de ces courants aussi disparates que le sont les contextes où ils interviennent et évoluent.

    Où on en est aujourd’hui ? Défait militairement et politiquement après une guerre civile qui a failli emporter la société algérienne dans une régression profonde, l’islamisme reste aujourd’hui présent idéologiquement dans la société et au sein du pouvoir. Une remontée de ce courant à l’avenir n’est pas à exclure sans pour autant suivre le même chemin ni reproduire le même scénario. Son évolution dépend autant des conditions objectives et des rapports de force politique mais aussi, et en dernière instance, de l’action subjective, c’est-à-dire de l’action politique. Cela dépend d’une compréhension dialectique du phénomène au cas par cas en analysant la fonction qu’il remplit à l’intérieur d’une structure qui est toujours capitaliste au-delà forme de son expression.

    La crise révolutionnaire qui traverse la région arabe et musulmane place ces différents « islamistes » dans un jeu démocratique en Tunisie, dans une guerre barbare en Syrie, en nous limitant à ces deux cas antagonistes. Cela découle non pas d’un différent culturel entre les deux sociétés, ou d’un soit disant rapport différent à l’islam. Il découle de la nature et de l’ampleur de la crise et de la réaction politique de la société. La présence de l’UGTT qui organise un tant soit peu une résistance sociale, l’émergence du « front populaire » qui donne une voix au camp des travailleurs participent dans la construction d’un rapport de force qui met le courant fascisant de l’islamisme tunisien en sourdine. Ce qui ne fut pas le cas dans l’Algérie des années 90.

    Nadir Djermoune

    http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article37282

  • Jean-Pierre Filiu depuis le Caire : Ceux qui ne connaissent rien à l’islam feraient mieux de ne pas en parler – propos recueilli par Heba Zaghloul (Al Ahram)

    Jean-Pierre Filiu

    Invité cette année du Salon du livre du Caire, Jean-Pierre Filiu, historien spécialiste du Moyen-Orient et de l’islam contemporain, a souligné la nécessité pour le monde arabe et l’Occident de « travailler sur leur histoire commune » pour faire face aux défis. Il explique ici sa vision.

    Al-Ahram Hebdo : Dans votre dernier livre, Les Arabes, leur destin et le nôtre, vous parlez d’une histoire partagée entre le monde arabe et l’Occident. Vous mon­trez également que ce dernier a une grande part de responsabilité dans ce qui se passe aujourd’hui au Moyen-Orient. Cette perspec­tive est-elle acceptée en France ?

    Jean-Pierre Filiu : Ce livre a connu un succès tout à fait inattendu après les attentats du 13 novembre. C’est l’un des deux livres — l’autre est le Piège Daech de Pierre-Jean Luisard — que les gens ont le plus achetés après la tragédie. Cela veut dire que ces gens ont souhaité com­prendre et n’ont pas voulu accepter ces explications instantanées, super­ficielles et caricaturales qu’on nous sert trop souvent. Ma démarche n’est pas évidente. Elle oblige à revenir en arrière, sur des parties de notre histoire française qui ne sont pas les plus glorieuses. Mais en tant qu’his­torien, mon devoir n’est pas de faire le tri entre le positif et le négatif.

    Cette histoire partagée est aujourd’hui au coeur de notre devenir. Ce livre a été écrit après les attentats de janvier 2015, et je disais déjà que les assassins de la liberté sont les mêmes en France et en Tunisie. Trop souvent, on a l’impression que le djihadisme ne vise que les Occidentaux, alors qu’il vise beaucoup plus les Arabes en proportion. Il faut aussi dire que les attaques contre Charlie Hebdo étaient liées au Bardo (attaques  contre le musée du Bardo à Tunis). De même qu’après le Bataclan (les attentats du 13 novembre), on a eu l’attaque contre la sécurité présiden­tielle à Tunis. Il y a toujours des liens entre ce djihadisme là-bas et le djihadisme ici, et le « ici » et le « là-bas » par définition sont inter­changeables. Ce défi qui inquiète est partagé, parce que les réponses à lui apporter peuvent être communes. Plutôt que de demander à ce qu’on fasse un choix entre les identités, les nationalités, je dis qu’au contraire, il faut assumer tout en même temps. Parce que c’est par cette richesse qu’on arrivera à progresser.

    Votre discours est tout à fait différent de celui qui est adopté par un certain nombre d’intellectuels français, qui affirment que le problème viendrait non pas des musulmans, mais de la religion musulmane. Un discours considéré comme islamophobe par de nom­breux musulmans …

    Le problème avec les grandes tragédies comme celle que la France a vécue c’est que de nombreux intellectuels se sont exprimés à tort et à travers. Il y a des gens qui ne connaissent rien à l’islam et qui feraient mieux ne pas en parler. Mais comme on leur tend le micro, justement à la faveur de ces tragédies, alors ils s’expriment. Et généra­lement, ce qu’ils disent n’est pas exprimé en tant qu’intellectuels dans leurs disciplines, mais en tant que citoyens qui commentent. Ils n’ont donc pas de légitimité à faire cela. Cela alimente les clichés, les démagogies, les amalgames et les stéréotypes.

    Loin de la théorie du choc des civilisations, vous parlez plutôt de problèmes communs, et donc d’une stratégie commune …

    Au-delà de la stratégie commune, je pense qu’en France, l’intégration est derrière nous. Le fait musulman est devenu incontournable dans nos sociétés. C’est une réalité. Et pour mieux l’appré­cier, la gérer, c’est très important d’être fier de son histoire, d’une histoire commune. L’histoire euro­péenne a été épouvantable. Ce qui s’est passé entre la France et l’Allemagne était inimaginable de violence et d’horreur. Et maintenant, nous sommes pourtant les piliers de l’Europe grâce à un travail d’histoire commune. Entre la France et les Arabes, il faut au moins assumer cette part d’ombre et de lumière qui est partagée.

    Vous dites que l’Histoire se répète et que ce sont les mêmes erreurs qui reviennent, à savoir qu’on considère les Arabes uniquement comme des musulmans, et que l’on ne parle que des minorités du Moyen-Orient au lieu de promouvoir les droits de toute la communauté. Pouvez-vous nous expliquer ?

    Ces erreurs remontent au XIXe siècle, car trop souvent en France, on dit qu’elles viennent de la guerre d’Algérie, mais c’est bien antérieur à cela. C’est aussi le malentendu entre la IIIe République et l’islam. Le fait est que la laïcité à la française s’est faite avec l’Eglise catholique qui, elle-même, avait déjà réglé ses problèmes avec les juifs et les protestants, mais l’islam est absent de ce processus. Il y a aussi une obsession des mino­rités — en clair les chrétiens d’Orient — chez certains groupes de la droite conservatrice qui ne prennent donc pas en compte le destin des Arabes, qu’ils soient chrétiens ou musulmans. Plutôt que de dire que l’Histoire se répète, je dirais qu’il y a des discours qui sont tellement ancrés dans la mémoire collective qu’on ne se rend pas compte qu’ils sont le produit de l’Histoire.

    Selon vous, il faudrait déconstruire le dis­cours de Daech et se concentrer sur les actions de ce groupe ?

    Je travaille sur le djihadisme depuis 30 ans et je pense que ce sont des gens qui ne sont absolu­ment pas intéressants. Leurs litté­ratures et propagandes sont per­verses. En travaillant sur leurs textes ou vidéos, non seulement on leur fait beaucoup d’honneur, mais on leur accorde de l’intérêt. Donc, il faut plutôt s’interroger sur leurs pratiques. On se rend compte que ce sont des Baassistes repeints en vert. Il y a le parti, le moukhabarat, le flicage, la cor­ruption, les viols. Autrement dit, des Baassistes iraqiens dans leur forme la plus totalitaire. La même structure du Baas de Saddam, mais avec d’autres noms. je pré­fère m’interroger sur ces pratiques qui sont épouvantables, surtout pour les Arabes sunnites. Il faut aller voir comment ces derniers sont traités à Raqaa et à Mossoul (villes syrienne et iraqienne sous le contrôle de Daech).

    Cette situation n’est-elle pas le résul­tat direct de l’invasion américaine de l’Iraq en 2003 ?

    Bien sûr, l’invasion de 2003 donne aux djihadistes du Moyen-Orient ce qu’ils appel­lent Al-Ghazwa Al-Mobaraka (l’invasion bénie). Il y a l’ennemi proche et l’ennemi lointain. Là il y a eu l’ennemi lointain venu se mettre à proximité. Le facteur aggravant : La dissolution de l’armée du parti par Paul Bremer, qui met des milliers d’officiers baassistes au chômage et les amène à rejoindre les groupes djihadistes.

    Et cette responsabilité américaine a-t-elle aussi engendré la guerre sunnite-chiite ?

    J’ai connu un monde arabe où l’on ne savait pas qui était sunnite et qui était chiite. En Iraq, au Liban, en Syrie … ou ailleurs. En Iraq, trois ans d’occupation américaine sauvage, d’attentats dji­hadistes presque quotidiens, ont suffi pour arriver à déclencher une guerre entre sunnites et chiites.

    Cela était-il volontaire ?

    Je pense que les Américains, comme tout le monde, sont incapables d’apprendre des erreurs des autres. Les Américains ont mené en 2003 une expédition coloniale qui était complètement hors du temps et en reproduisant les pires erreurs des Français au Liban et des Britanniques en Iraq. Ils ont construit un système communautaire avec trois composantes c’est tout, dans un pays où, pourtant, il y a des Turkmènes, des Assyriens, des Yezedis … Et à l’intérieur de ce système, ils ont donné le pouvoir aux milices. Donc ils ont créé, sous couvert de démocratie, et en faisant voter tous les six mois, le système le plus oppressif qui soit, un système tribalo-milicien.

    Malgré cela, voyez-vous tout de même une lueur d’espoir ?

    Bien sûr, en Iraq par exemple, vous avez un mouvement constitutionnel trans-confessionnel qui dénonce la corruption de toute la classe poli­tique. Evidemment, il n’a pas les armes, mais il invalide les directions des différentes parties qui ne parlent que de confessions. Le mouvement au Liban « Tu pues » se pose aussi très clairement contre les notables confessionnels et affiche des revendications citoyennes.

     
    Publié sur Souria Houria le 24 février 2016
     
     
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  • "Marxistes et religion, hier et aujourd’hui" par Gilbert Achcar

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    1. L’attitude théorique («philosophique») du marxisme classique en matière de religion combine trois dimensions complémentaires, que l’on trouve déjà en germe dans l’Introduction à De la critique de la philosophie du droit de Hegel du jeune Marx (1843-1844):

    - d’abord, une critique de la religion, en tant que facteur d’aliénation. L’être humain attribue à la divinité la responsabilité d’un sort qui ne lui doit rien («L’homme fait la religion, ce n’est pas la religion qui fait l’homme.»); il s’astreint à respecter des obligations et interdits qui, souvent, entravent son épanouissement; il se soumet volontairement à des autorités religieuses dont la légitimité se fonde soit sur le fantasme de leur rapport privilégié au divin, soit sur leur spécialisation dans la connaissance du corpus religieux.

    - ensuite, une critique des doctrines sociales et politiques des religions. Les religions sont des survivances idéologiques d’époques révolues depuis fort longtemps: la religion est «fausse conscience du monde»; elle l’est d’autant plus que le monde change. Nées dans des sociétés précapitalistes, les religions ont pu connaître - à l’instar de la Réforme protestante dans l’histoire du christianisme - des aggiornamentos, qui restent forcément partiels et limitées dès lors qu’une religion vénère des «écritures saintes».

    - mais aussi, une «compréhension» (au sens wébérien) du rôle psychologique que peut jouer la croyance religieuse pour les damné/es de la terre. «La misère religieuse est, d’une part, l’expression de la misère réelle, et, d’autre part, la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature accablée par le malheur, l’âme d’un monde sans cœur, de même qu’elle est l’esprit d’une époque sans esprit. C’est l’opium du peuple.»

    Ces trois considérants débouchent, au regard du marxisme classique, sur une seule et même conclusion énoncée par le jeune Marx: «Le dépassement (Aufhebung) de la religion en tant que bonheur illusoire du peuple est l’exigence de son véritable bonheur. Exiger qu’il soit renoncé aux illusions sur sa condition, c’est exiger qu’il soit renoncé a une condition qui a besoin d’illusions. La critique de la religion est donc, en germe, la critique de cette vallée de larmes, dont la religion est l’auréole.»

    2. Pour autant, le marxisme classique n’a pas posé la suppression de la religion comme condition nécessaire et préalable de l’émancipation sociale (le propos du jeune Marx pourrait se lire: afin de pouvoir surmonter les illusions, il faut d’abord mettre fin à la «condition qui a besoin d’illusions»). En tout état de cause, tout comme pour l’État, pourrait-on dire, il ne s’agit pas d’abolir la religion, mais de créer les conditions de son extinction. Il n’est pas question de prohiber «l’opium du peuple», et encore moins d’en réprimer les consommateurs. Il s’agit seulement de mettre fin aux rapports privilégiés qu’entretiennent ceux qui en font commerce avec le pouvoir politique, afin de réduire son emprise sur les esprits.

    Trois niveaux d’attitude sont ici à considérer :

    • Le marxisme classique, celui des fondateurs, n’a pas requis l’inscription de l’athéisme au programme des mouvements sociaux. Au contraire, dans sa critique du programme des émigrés blanquistes de la Commune (1874), Engels a raillé leur prétention d’abolir la religion par décret. Sa perspicacité a été entièrement confirmée par les expériences du XXe siècle, comme lorsqu’il soutenait que «les persécutions sont le meilleur moyen d’affermir des convictions indésirables» et que «le seul service que l’on puisse rendre encore, de nos jours, à Dieu est de proclamer l’athéisme un symbole de foi coercitif».

    • La laïcité républicaine, c’est-à-dire la séparation de la religion et de l’État, est, en revanche, un objectif nécessaire et imprescriptible, qui faisait déjà partie du programme de la démocratie bourgeoise radicale. Mais là aussi, il importe de ne pas confondre séparation et prohibition, même en ce qui concerne l’enseignement. Dans ses commentaires critiques sur le programme d’Erfurt de la social-démocratie allemande (1891), Engels proposait la formulation suivante: «Séparation complète de l’Église et de l’État. Toutes les communautés religieuses sans exception seront traitées par l’État comme des sociétés privées. Elles perdent toute subvention provenant des deniers publics et toute influence sur les écoles publiques.» Puis il ajoutait entre parenthèses ce commentaire: «On ne peut tout de même pas leur défendre de fonder, par leurs propres moyens, des écoles, qui leur appartiennent en propre, et d’y enseigner leurs bêtises!»

    • Le parti ouvrier doit en même temps combattre idéologiquement l’influence de la religion. Dans le texte de 1873, Engels se félicitait du fait que la majorité des militants ouvriers socialistes allemands était gagnée à l’athéisme, et suggérait de diffuser la littérature matérialiste française du XVIIIe siècle afin d’en convaincre le plus grand nombre.

    Dans sa critique du programme de Gotha du parti ouvrier allemand (1875), Marx expliquait que la liberté privée en matière de croyance et de culte doit être définie uniquement comme rejet de l’ingérence étatique. Il en énonçait ainsi le principe: «chacun doit pouvoir satisfaire ses besoins religieux et corporels, sans que la police y fourre le nez». Il regrettait, en même temps, que le parti n’ait pas saisi «l’occasion d’exprimer sa conviction que la bourgeoise “liberté de conscience” n’est rien de plus que la tolérance de toutes les sortes possibles de liberté de conscience religieuse, tandis que lui [le parti] s’efforce de libérer les consciences de la fantasmagorie religieuse».

    3. Le marxisme classique n’envisageait la religion que sous l’angle du rapport des sociétés européennes à leurs propres religions traditionnelles. Il ne prenait pas en considération la persécution des minorités religieuses, ni surtout la persécution des religions de peuples opprimés par des États oppresseurs appartenant à une autre religion. À notre époque marquée par la survivance de l’héritage colonial et par sa transposition à l’intérieur même des métropoles impériales - sous la forme d’un «colonialisme intérieur», dont l’originalité est que ce sont les colonisés eux-mêmes qui sont expatriés, c’est-à-dire «immigrés» - cet aspect acquiert une importance majeure.

    Dans un contexte dominé par le racisme, corollaire naturel de l’héritage colonial, les persécutions de la religion des opprimé/es, ex-colonisé/es, ne doivent pas être rejetées seulement parce qu’elles sont «le meilleur moyen d’affermir des convictions indésirables». Elles doivent être rejetées, aussi et avant tout, parce qu’elles sont une dimension de l’oppression ethnique ou raciale, aussi intolérable que le sont les persécutions et discriminations politiques, juridiques et économiques.

    Certes, les pratiques religieuses des populations colonisées peuvent apparaître comme éminemment rétrogrades aux yeux des populations métropolitaines, dont la supériorité matérielle et scientifique était inscrite dans le fait même de la colonisation. Mais ce n’est pas en imposant le mode de vie de ces dernières aux populations colonisées, contre leur gré, que sera servie la cause de leur émancipation. L’enfer de l’oppression raciste est pavé de bonnes intentions «civilisatrices», et l’on sait à quel point le mouvement ouvrier lui-même fut contaminé par la prétention bienfaitrice et l’illusion philanthropique à l’ère du colonialisme.

    Engels avait pourtant bien mis en garde contre ce syndrome colonial. Dans une lettre à Kautsky, datée du 12 septembre 1882, il formula une politique émancipatrice du prolétariat au pouvoir, tout empreinte de la précaution indispensable afin de ne pas transformer la libération présumée en oppression déguisée.

    «Les pays sous simple domination et peuplés d’indigènes, Inde, Algérie, les possessions hollandaises, portugaises et espagnoles, devront être pris en charge provisoirement par le prolétariat et conduits à l’indépendance, aussi rapidement que possible. Comment ce processus se développera, voilà qui est difficile à dire. L’Inde fera peut-être une révolution, c’est même très vraisemblable. Et comme le prolétariat se libérant ne peut mener aucune guerre coloniale, on serait obligé de laisser faire, ce qui, naturellement, n’irait pas sans des destructions de toutes sortes, mais de tels faits sont inséparables de toutes les révolutions. Le même processus pourrait se dérouler aussi ailleurs: par exemple en Algérie et en Égypte, et ce serait, pour nous certainement, la meilleure solution. Nous aurons assez à faire chez nous. Une fois que l’Europe et l’Amérique du Nord seront réorganisées, elles constitueront une force si colossale et un exemple tel que les peuples à demi civilisés viendront d’eux-mêmes dans leur sillage: les besoins économiques y pourvoiront déjà à eux seuls. Mais par quelles phases de développement social et politique ces pays devront passer par la suite pour parvenir eux aussi à une structure socialiste, là-dessus, je crois, nous ne pouvons aujourd’hui qu’échafauder des hypothèses assez oiseuses. Une seule chose est sûre: le prolétariat victorieux ne peut faire de force le bonheur d’aucun peuple étranger, sans par là miner sa propre victoire.»

    Vérité élémentaire, et pourtant si souvent ignorée: tout «bonheur» imposé par la force équivaut à une oppression, et ne saurait être perçu autrement par ceux et celles qui le subissent.

    4. La question du foulard islamique (hijab) condense l’ensemble des problèmes posés ci-dessus. Elle permet de décliner l’attitude marxiste sous tous ses aspects.

    Dans la plupart des pays oùl’islam est religion majoritaire, la religion est encore la forme principale de l’idéologie dominante. Des interprétations rétrogrades de l’islam, plus ou moins littéralistes, servent à maintenir des populations entières dans la soumission et l’arriération culturelle. Les femmes subissent le plus massivement et le plus intensivement une oppression séculaire, drapée de légitimation religieuse.

    Dans un tel contexte, la lutte idéologique contre l’utilisation de la religion comme argument d’asservissement est une dimension prioritaire du combat émancipateur. La séparation de la religion et de l’État doit être une revendication prioritaire du mouvement pour le progrès social. Les démocrates et les progressistes doivent se battre pour la liberté de chacune et de chacun en matière d’incroyance, de croyance et de pratique religieuse. En même temps, le combat pour la libération des femmes reste le critère même de toute identité émancipatrice, la pierre de touche de toute prétention progressiste.

    Un des aspects les plus élémentaires de la libertédes femmes est leur liberté individuelle de se vêtir comme elles l’entendent. Le foulard islamique et, à plus forte raison, les versions plus enveloppantes de ce type de revêtement, lorsqu’ils sont imposés aux femmes, sont une des nombreuses formes de l’oppression sexuelle au quotidien - une forme d’autant plus visible qu’elle sert à rendre les femmes invisibles. La lutte contre l’astreinte au port du foulard, ou autres voiles, est indissociable de la lutte contre les autres aspects de la servitude féminine.

    Toutefois, la lutte émancipatrice serait gravement compromise si elle cherchait à«libérer» de force les femmes, en usant de la contrainte non à l’égard de leurs oppresseurs, mais à leur propre égard. Arracher par la force le revêtement religieux, porté volontairement -même si l’on juge que son port relève de la servitude volontaire - est un acte oppressif et non un acte d’émancipation réelle. C’est de surcroît une action vouée à l’échec, comme Engels l’avait prédit: de même que le sort de l’islam dans l’ex-Union soviétique, l’évolution de la Turquie illustre éloquemment l’inanité de toute tentative d’éradication de la religion ou des pratiques religieuses par la contrainte.

    «Chacun - et chacune - doit pouvoir satisfaire ses besoins religieux et corporels» - les femmes porter le hijab ou les hommes porter la barbe - «sans que la police y fourre le nez».

    Défendre cette liberté individuelle élémentaire est la condition indispensable pour mener un combat efficace contre les diktats religieux. La prohibition du hijab rend paradoxalement légitime le fait de l’imposer, aux yeux de ceux et celles qui le considèrent comme un article de foi. Seul le principe de la liberté de conscience et de pratique religieuse strictement individuelle, qu’elle soit vestimentaire ou autre, et le respect de ce principe par des gouvernements laïcs, permettent de s’opposer légitimement et avec succès à la contrainte religieuse. Le Coran lui-même proclame: «Pas de contrainte en religion»!

    Par ailleurs, et pour peu que l’on ne remette pas en cause la liberté d’enseignement, prohiber le port du foulard islamique, ou autres signes religieux vestimentaires, à l’école publique, au nom de la laïcité, est une attitude éminemment antinomique, puisqu’elle aboutit à favoriser l’expansion des écoles religieuses.

    5. Dans un pays comme la France, oùl’islam fut pendant fort longtemps la religion majoritaire des «indigènes» des colonies et où il est depuis des décennies la religion de la grande majorité des immigrés, «colonisés» de l’intérieur, toute forme de persécution de la religion islamique - deuxième religion de France par le nombre et religion très inférieure aux autres par le statut - doit être combattue.

    L’islam est, en France, une religion défavorisée par rapport aux religions présentes depuis des siècles sur le sol français. C’est une religion victime de discriminations criantes, tant en ce qui concerne ses lieux de culte que la tutelle pesante, empreinte de mentalité coloniale, que lui impose l’État français. L’islam est une religion décriée au quotidien dans les médias français, d’une manière qu’il n’est heureusement plus possible de pratiquer contre la précédente cible prioritaire du racisme, le judaïsme, après le génocide nazi et la complicité vichyste. Un confusionnisme mâtiné d’ignorance et de racisme entretient, par médias interposés, l’image d’une religion islamique intrinsèquement inapte à la modernité, ainsi que l’amalgame entre islam et terrorisme que facilite l’utilisation inappropriée du terme «islamisme» comme synonyme d’intégrisme islamique.

    Certes, le discours officiel et dominant n’est pas ouvertement hostile; il se fait même bienveillant, les yeux rivés sur les intérêts considérables du grand capital français - pétrole, armement, bâtiment, etc. - en terre d’Islam. Toutefois, la condescendance coloniale à l’égard des musulman/es et de leur religion est tout autant insupportable pour elles et eux que l’hostilité raciste ouvertement affichée. L’esprit colonial n’est pas l’apanage de la droite en France; il est d’implantation fort ancienne dans la gauche française, constamment déchirée dans son histoire entre un colonialisme mêlé de condescendance d’essence raciste et d’expression paternaliste, et une tradition anticolonialiste militante.

    Même aux premiers temps de la scission du mouvement ouvrier français entre sociaux-démocrates et communistes, une aile droite émergea parmi les communistes de la métropole eux-mêmes (sans parler des communistes français en Algérie), se distinguant notamment par son attitude sur la question coloniale. La droite communiste trahit son devoir anticolonialiste face à l’insurrection du Rif marocain sous la direction du chef tribal et religieux Abd-el-Krim, lorsque celle-ci affronta les troupes françaises en 1925.

    L’explication de Jules Humbert-Droz à ce propos, devant le comité exécutif de l’IC, garde une certaine pertinence:

    «La droite a protesté contre le mot d’ordre de la fraternisation avec l’armée des Rifains, en invoquant le fait que les Rifains n’ont pas le même degré de civilisation que les armées françaises, et qu’on ne peut fraterniser avec des tribus à demi barbares. Elle est allée plus loin encore écrivant qu’Abd-el-Krim a des préjugés religieux et sociaux qu’il faut combattre. Sans doute il faut combattre le panislamisme et le féodalisme des peuples coloniaux, mais quand l’impérialisme français saisit à la gorge les peuples coloniaux, le rôle du P.C. n’est pas de combattre les préjugés des chefs coloniaux, mais de combattre sans défaillance la rapacité de l’impérialisme français.»

    6. Le devoir des marxistes en France est de combattre sans défaillance l’oppression raciste et religieuse menée par la bourgeoisie impériale française et son État, avant de combattre les préjugés religieux au sein des populations immigrées.

    Lorsque l’État français s’occupe de réglementer la façon de s’habiller des jeunes musulmanes et d’interdire l’accès à l’école de celles qui s’obstinent à vouloir porter le foulard islamique; lorsque ces dernières sont prises comme cibles d’une campagne médiatique et politique dont la démesure par rapport à l’ampleur du phénomène concerné atteste de son caractère oppressif, perçu comme islamophobe ou raciste, quelles que soient les intentions affichées; lorsque le même État favorise l’expansion notoire de l’enseignement religieux communautaire par l’accroissement des subventions à l’enseignement privé, aggravant ainsi les divisions entre les couches exploitées de la population française - le devoir des marxistes, à la lumière de tout ce qui a été exposé ci-dessus, est de s’y opposer résolument.

    Ce ne fut pas le cas pour une bonne partie de celles et ceux qui se réclament du marxisme en France. Sur la question du foulard islamique, la position de la Ligue de l’Enseignement, dont l’engagement laïque est au-dessus de tout soupçon, est bien plus en affinité avec celle du marxisme authentique que celle de nombre d’instances qui disent s’en inspirer. Ainsi peut-on lire dans la déclaration adoptée par la Ligue, lors de son assemblée générale de Troyes en juin 2003, ce qui suit:

    «La Ligue de l’Enseignement, dont toute l’histoire est marquée par une action constante en faveur de la laïcité, considère que légiférer sur le port de signes d’appartenance religieuse est inopportun. Toute loi serait soit inutile soit impossible.

    Le risque est évident. Quelles que soient les précautions prises, il ne fait aucun doute que l’effet obtenu sera un interdit stigmatisant en fait les musulmans. [...]

    Pour ceux ou celles qui voudraient faire du port d’un signe religieux l’argument d’un combat politique, l’exclusion de l’école publique n’empêchera pas de se scolariser ailleurs, dans des institutions au sein desquelles ils ont toutes chances de se trouver justifiés et renforcés dans leur attitude. [...]

    [L’] intégration de tous les citoyens, indépendamment de leurs origines et de leurs convictions, passe par la reconnaissance d’une diversité culturelle qui doit s’exprimer dans le cadre de l’égalité de traitement que la République doit assurer à chacun. À ce titre, les musulmans, comme les autres croyants, doivent bénéficier de la liberté du culte dans le respect des règles qu’impose une société laïque, pluraliste et profondément sécularisée. Le combat pour l’émancipation des jeunes filles, en particulier, passe prioritairement par leur scolarisation, le respect de leur liberté de conscience et de leur autonomie: n’en faisons pas les otages d’un débat idéologique, par ailleurs nécessaire. Pour lutter contre l’enfermement identitaire, une pédagogie de la laïcité, la lutte contre les discriminations, le combat pour la justice sociale et l’égalité sont plus efficaces que l’interdit.»

    Dans son rapport du 4 novembre 2003, remis à la Commission sur l’application du principe de laïcité dans la République (dite Commission Stasi), la Ligue de l’Enseignement traite admirablement de l’islam et des représentations dont il fait l’objet en France, en des pages dont on ne citera ici que quelques extraits:

    «Les résistances et les discriminations rencontrées par “les populations musulmanes” dans la société française ne tiennent pas essentiellement, comme on le dit trop souvent, au déficit d’intégration de ces populations mais bien à des représentations et à des attitudes majoritaires qui proviennent en grande partie d’un héritage historique ancien.

    La première tient à la non-reconnaissance de l’apport de la civilisation arabo-musulmane à la culture mondiale et à notre propre culture occidentale. [...]

    À cette occultation et à ce rejet s’est ajouté l’héritage colonial [...] porteur d’une tradition de violence, d’inégalité et de racisme, profonde et durable, que les difficultés de la décolonisation, puis les déchirements de la guerre d’Algérie ont amplifiée et renforcée. L’infériorisation ethnique, sociale, culturelle et religieuse des populations indigènes, musulmanes des colonies françaises a été une pratique constante, au point de retentir dans les limitations du droit. C’est ainsi qu’en ce qui concerne l’Islam, il a été considéré comme un élément du statut personnel et non comme une religion relevant de la loi de séparation de 1905. Durant tout le temps de la colonisation, le principe de laïcité ne s’est jamais appliqué aux populations indigènes et à leur culte à cause de l’opposition du lobby colonial et malgré la demande des oulémas qui avaient compris que le régime de laïcité leur rendrait la liberté du culte. Comment s’étonner dès lors que pendant très longtemps la laïcité, pour les musulmans, ait été synonyme d’une police coloniale des esprits! Comment veut-on que cela ne laisse pas des traces profondes, tant du côté des anciens colonisés que du pays colonisateur? Si de nombreux musulmans aujourd’hui encore considèrent que l’Islam doit régler les comportements civils, tant publics que privés, et, sans revendiquer de statut personnel, ont parfois tendance à en adopter le profil, c’est que la France et la République laïque leur ont intimé de le faire pendant plusieurs générations. Si de nombreux Français, parfois même parmi les plus instruits et qui exercent des responsabilités en vue, se permettent des appréciations péjoratives sur l’Islam dont l’ignorance le dispute à la stupidité, c’est qu’ils s’inscrivent, le plus souvent inconsciemment et en s’en défendant, dans cette tradition du mépris colonial.

    Un troisième aspect vient faire obstacle à la considération de l’Islam sur un pied d’égalité: c’est que religion transplantée, il est aussi une religion de pauvres. À la différence des religions judéo-chrétiennes dont les pratiquants en France se répartissent sur l’ensemble de l’échiquier social, et à la différence en particulier du catholicisme historiquement intégré à la classe dominante, les musulmans, citoyens français ou immigrés vivant en France, se situent pour l’instant, pour une grande majorité, en bas de l’échelle sociale. Là encore, la tradition coloniale se poursuit, puisque à l’infériorisation culturelle des populations indigènes s’ajoutait l’exploitation économique, et que celle-ci a longtemps pesé aussi très fortement sur les premières générations immigrées, tandis qu’aujourd’hui leurs héritiers sont les premières victimes du chômage et de la relégation urbaine. Le mépris social et l’injustice qui frappent ces catégories sociales affectent tous les aspects de leur existence, y compris la dimension religieuse. On ne s’offusque pas des foulards sur la tête des femmes de ménage ou de service dans les bureaux: il ne devient objet de scandale que s’il est porté avec fierté par des filles engagées dans des études ou des femmes ayant le statut de cadres.»

    L’incompréhension manifestée par les principales organisations de la gauche marxiste extraparlementaire en France à l’égard des problèmes identitaires et culturels des populations concernées est révélée par la composition de leurs listes électorales aux élections européennes: tant en 1999 qu’en 2004, les citoyen/nes originaires de populations naguère colonisées - du Maghreb ou d’Afrique noire, en particulier - ont brillé par leur absence dans le peloton de tête des listes LCR-LO, contrairement aux listes du PCF, parti tant de fois stigmatisé pour manquement à la lutte antiraciste par ces deux organisations. Ce faisant, elles se sont également privées d’un potentiel électoral parmi les couches les plus opprimées de France, un potentiel dont le score réalisé en 2004 par une liste improvisée comme Euro-Palestine a témoigné de façon éclatante.

    7. En mentionnant «ceux ou celles qui voudraient faire du port d’un signe religieux l’argument d’un combat politique», la Ligue de l’Enseignement faisait allusion, bien entendu, à l’intégrisme islamique. L’expansion de ce phénomène politique dans les milieux issus de l’immigration musulmane en Occident, après sa forte expansion depuis trente ans en terre d’Islam, a été, en France, l’argument préféré des pourfendeurs/ses de foulard islamique.

    L’argument est réel: à l’instar des intégrismes chrétiens, juif, hindouiste et autres, visant à imposer une interprétation rigoriste de la religion comme code de vie, sinon comme mode de gouvernement, l’intégrisme islamique est un véritable danger pour le progrès social et les luttes émancipatrices. En prenant soin d’établir une distinction claire et nette entre la religion en tant que telle et son interprétation intégriste, la plus réactionnaire de toutes, il est indispensable de combattre l’intégrisme islamique idéologiquement et politiquement, tant dans les pays d’Islam qu’au sein des minorités musulmanes en Occident ou ailleurs.

    Cela ne saurait, cependant, constituer un argument en faveur d’une prohibition publique du foulard islamique: la Ligue de l’Enseignement a expliqué le contraire de façon convaincante. Plus généralement, l’islamophobie est le meilleur allié objectif de l’intégrisme islamique: leur croissance va de pair. Plus la gauche donnera l’impression de se rallier à l’islamophobie dominante, plus elle s’aliènera les populations musulmanes et plus elle facilitera la tâche des intégristes musulmans, qui apparaîtront comme seuls à même d’exprimer la protestation des populations concernées contre «la misère réelle».

    L’intégrisme islamique est, cependant, un phénomène très différencié et l’attitude tactique à son égard doit être modulée selon les situations concrètes. Lorsque ce type de programme social est manié par un pouvoir oppresseur et par ses alliés afin de légitimer l’oppression en vigueur, comme dans le cas des nombreux despotismes à visage islamique; ou lorsqu’il devient l’arme politique d’une réaction luttant contre un pouvoir progressiste, comme ce fut le cas dans le monde arabe, dans la période 1950-1970, quand l’intégrisme islamique était le fer de lance de l’opposition réactionnaire au nassérisme égyptien et à ses émules - la seule attitude convenable est celle d’une hostilité implacable aux intégristes.

    Il en va autrement lorsque l’intégrisme islamique se déploie en tant que vecteur politico-idéologique d’une lutte animée par une cause objectivement progressiste, vecteur difforme, certes, mais remplissant le vide laissé par la défaite ou la carence des mouvements de gauche. C’est le cas des situations où les intégristes musulmans combattent une occupation étrangère (Afghanistan, Liban, Palestine, Irak, etc.) ou une oppression ethnique ou raciale, comme de celles où ils incarnent une aversion populaire à l’égard d’un régime d’oppression politique réactionnaire. C’est aussi le cas de l’intégrisme islamique en Occident, où son essor est généralement l’expression d’une rébellion contre le sort réservé aux populations immigrées.

    En effet, comme la religion en général, l’intégrisme islamique peut être «d’une part, l’expression de la misère réelle, et, d’autre part, la protestation contre la misère réelle», à la différence près qu’il s’agit dans son cas d’une protestation active: il n’est pas «l’opium» du peuple, mais plutôt «l’héroïne» d’une partie du peuple, dérivée de «l’opium» et qui substitue son effet extatique à l’effet narcotique de celui-ci.

    Dans tous ces types de situations, il est nécessaire d’adapter une attitude tactique aux circonstances de la lutte contre l’oppresseur,ennemi commun. Tout en ne renonçant jamais au combat idéologique contre l’influence néfaste de l’intégrisme islamique, il peut être nécessaire, ou inévitable, de converger avec des intégristes musulmans dans des batailles communes - allant de simples manifestations de rue à la résistance armée, selon les cas.

    8. Les intégristes islamiques peuvent être des alliés objectifs et circonstanciels dans un combat déterminé, menépar des marxistes. Il s’agit toutefois d’une alliance contre-nature, forcée par les circonstances. Les règles qui s’appliquent à des alliances beaucoup plus naturelles, comme celles qui furent pratiquées dans la lutte contre le tsarisme en Russie, sont ici à respecter à plus forte raison, et de façon plus stricte encore.

    Ces règles ont été clairement définies par les marxistes russes au début du XXe siècle. Dans sa Préface de janvier 1905 à la brochure Avant le 9 janvier de Trotsky, Parvus les résumait ainsi:

    «Pour faire simple, en cas de lutte commune avec des alliés d’occasion, on peut suivre les points suivants: 1) Ne pas mélanger les organisations. Marcher séparément, mais frapper ensemble. 2) Ne pas renoncer à ses propres revendications politiques. 3) Ne pas cacher les divergences d’intérêt. 4) Suivre son allié comme on file un ennemi. 5) Se soucier plus d’utiliser la situation créée par la lutte que de préserver un allié.»

    «Parvus a mille fois raison» écrivit Lénine dans un article d’avril 1905, publié dans le journal Vperiod, en soulignant «la condition absolue (rappelée fort à propos) de ne pas confondre les organisations, de marcher séparément et de frapper ensemble, de ne pas dissimuler la diversité des intérêts, de surveiller son allié comme un ennemi, etc.». Le dirigeant bolchevique énumérera maintes fois ces conditions au fil des ans.

    Les mêmes principes furent défendus inlassablement par Trotsky. Dans L’Internationale communiste après Lénine (1928), polémiquant au sujet des alliances avec le Kuomintang chinois, il écrivit les phrases suivantes, particulièrement adaptées au sujet dont il est ici question:

    «Depuis longtemps, on a dit que des ententes strictement pratiques, qui ne nous lient en aucune façon et ne nous créent aucune obligation politique, peuvent, si cela est avantageux au moment considéré, être conclues avec le diable même. Mais il serait absurde d’exiger en même temps qu’à cette occasion le diable se convertisse totalement au christianisme, et qu’il se serve de ses cornes [...] pour des oeuvres pieuses. En posant de telles conditions, nous agirions déjà, au fond, comme les avocats du diable, et lui demanderions de devenir ses parrains.»

    Nombre de trotskystes font exactement l’inverse de ce que préconisait Trotsky, dans leur rapport avec des organisations intégristes islamiques. Non pas en France, où les trotskystes, dans leur majorité, tordent plutôt le bâton dans l’autre sens, comme il a été déjà expliqué, mais de l’autre côté de la Manche, en Grande-Bretagne.

    L’extrême gauche britannique a le mérite d’avoir fait preuve d’une bien plus grande ouverture aux populations musulmanes que l’extrême gauche française. Elle a mené, contre les guerres d’Afghanistan et d’Irak, auxquelles a participé le gouvernement de son pays, de formidables mobilisations avec la participation massive de personnes issues de l’immigration musulmane. Dans le mouvement antiguerre, elle est même allée jusqu’à s’allier à une organisation musulmane d’inspiration intégriste, la Muslim Association of Britain (MAB), émanation britannique du principal mouvement intégriste islamique «modéré» du Moyen-Orient, le Mouvement des Frères musulmans (représenté dans les parlements de certains pays).

    Rien de répréhensible, en principe, àune telle alliance pour des objectifs bien délimités, àcondition de respecter strictement les règles énoncées ci-dessus. Le problème commence cependant avec le traitement en allié privilégié de cette organisation particulière, qui est loin d’être représentative de la grande masse des musulmans de Grande-Bretagne. Plus généralement, les trotskystes britanniques ont eu tendance, à l’occasion de leur alliance avec la MAB dans le mouvement antiguerre, à faire l’opposé de ce qui est énoncé ci-dessus, c’est-à-dire: 1) mélanger les bannières et les pancartes, au propre comme au figuré; 2) minimiser l’importance des éléments de leur identité politique susceptibles de gêner les alliés intégristes du jour; et enfin 3) traiter ces alliés de circonstance comme s’il s’agissait d’alliés stratégiques, en rebaptisant «anti-impérialistes» ceux dont la vision du monde correspond beaucoup plus au choc des civilisations qu’à la lutte des classes.

    9. Cette tendance s’est aggravée avec le passage d’une alliance dans le contexte d’une mobilisation antiguerre à une alliance électorale. La MAB n’a, certes, pas adhéré en tant que telle à la coalition électorale Respect, animée par les trotskystes britanniques, ses principes intégristes lui interdisant de souscrire à un programme de gauche. Mais l’alliance entre la MAB et Respect s’est traduite, par exemple, par la candidature sur les listes de Respect d’un dirigeant en vue de la MAB, l’ex-président et porte-parole de l’association.

    Ce faisant, l’alliance passait à un niveau qualitativement supérieur, tout à fait répréhensible, lui, d’un point de vue marxiste: autant il peut être légitime, en effet, de nouer des «ententes strictement pratiques», sans «aucune obligation politique» autre que l’action pour les objectifs communs - en l’occurrence, exprimer l’opposition à la guerre menée par le gouvernement britannique conjointement avec les États-Unis et dénoncer le sort infligé au peuple palestinien - avec des groupes et/ou des individus qui adhérent, par ailleurs, à une conception foncièrement réactionnaire de la société, autant il est inacceptable pour des marxistes de conclure une alliance électorale - type d’alliance qui suppose une conception commune du changement politique et social - avec ce genre de partenaires.

    Par la force des choses, prendre part àune même liste électorale avec un intégriste religieux, c’est donner l’impression trompeuse qu’il s’est converti au progressisme social et à la cause de l’émancipation des travailleurs... et des travailleuses! La logique même de cette espèce d’alliance pousse celles et ceux qui y sont engagés, face aux critiques inévitables de leurs concurrents politiques, à défendre leurs alliés du jour et à minimiser, sinon cacher, les divergences profondes qui les opposent à eux. Ils en deviennent les avocat/es, voire les parrains et marraines auprès du mouvement social progressiste.

    C’est ainsi que Lindsay German, dirigeante centrale du Socialist Workers Party britannique et de la coalition Respect, a signé dans The Guardian du 13 juillet 2004, un article qualifié de «merveilleux» («wonderful») sur le site web de la MAB. Sous le titre «Un insigne d’honneur» («A badge of honour»), l’auteure défend énergiquement l’alliance électorale avec la MAB, en expliquant que c’est un honneur pour elle et ses camarades de voir les victimes de l’islamophobie se tourner vers eux, avec une justification surprenante de l’alliance avec la MAB. Résumons-en l’argumentaire: les intégristes musulmans ne sont pas les seuls à être anti-femmes et homophobes, les intégristes chrétiens le sont également. D’ailleurs, de plus en plus de femmes parlent pour la MAB dans les réunions antiguerres (comme dans les meetings organisés par les mollahs en Iran, pourrait-on ajouter). Les fascistes du BNP (British National Party) sont bien pires que la MAB.

    «Certes, poursuit Lindsay German, certains musulmans - et non musulmans - ont, sur certaines questions sociales, des vues qui sont plus conservatrices que celles de la gauche socialiste et libérale. Mais cela ne devrait pas empêcher de collaborer sur des questions d’intérêt commun. Insisterait-on dans une campagne pour les droits des gays, par exemple, pour que toutes les personnes qui y participent partagent le même point de vue sur la guerre en Irak?»

    L’argument est tout à fait recevable s’il ne concerne que la campagne antiguerre. Mais s’il est utilisé pour justifier une alliance électorale comme Respect, au programme beaucoup plus global qu’une campagne pour les droits des gays et des lesbiennes, il devient tout à fait spécieux.

    10. L’électoralisme est une politique à bien courte vue. En vue de réaliser une percée électorale, les trotskystes britanniques jouent, en l’occurrence, un jeu qui dessert les intérêts stratégiques de la construction d’une gauche radicale dans leur pays.

    Ce qui les a déterminés, c’est d’abord et avant tout, un calcul électoral: tenter de capter les votes des masses considérables de personnes issues de l’immigration qui rejettent les guerres en cours menées par Londres et Washington (notons, en passant, que l’alliance avec la MAB s’est faite autour des guerres d’Afghanistan et d’Irak, et non autour de celle du Kosovo - et pour cause!). L’objectif, en soi, est légitime, s’il se traduit par le souci de recruter parmi les travailleurs et travailleuses d’origine immigrée, par une attention particulière prêtée à l’oppression spécifique qu’ils/elles subissent, et par la mise en avant, à cette fin, de militant/es de gauche appartenant à ces communautés, notamment en les plaçant en bonne position sur les listes électorales. Tout ce que n’a pas fait l’extrême gauche française, en somme.

    Par contre, en choisissant de s’allier électoralement - même si ce n’est que de façon limitée - avec une organisation intégriste islamique comme la MAB, l’extrême gauche britannique sert de marchepied à celle-ci pour sa propre expansion dans les communautés issues de l’immigration, alors qu’elle devrait la considérer comme une rivale à combattre idéologiquement et à circonscrire du point de vue organisationnel. Tôt ou tard, cette alliance contre-nature se heurtera à une pierre d’achoppement, et volera en éclat. Les trotskystes devront alors affronter ceux-là mêmes dont ils auront facilité l’expansion pour le plat de lentilles d’un résultat électoral, dont il est loin d’être sûr, en outre, qu’il doit beaucoup aux partenaires intégristes.

    Il n’est qu’à voir avec quels arguments les intégristes appellent à voter pour Respect (et pour d’autres, dont le maire de Londres, le labouriste de gauche Ken Livingstone, bien plus opportuniste encore que les trotskystes dans ses rapports avec l’association islamique). Lisons la fatwa du cheikh Haitham Al-Haddad, datée du 5 juin 2004 et publiée sur le site de la MAB.

    Le vénérable cheikh explique qu’ «il est obligatoire pour les musulmans qui vivent à l’ombre de la loi des hommes d’agir par tous les moyens nécessaires pour que la loi d’Allah, le Créateur, soit suprême et manifeste dans tous les aspects de la vie. S’ils ne sont pas en mesure de le faire, il devient alors obligatoire pour eux de s’efforcer de minimiser le mal et de maximiser le bien.» Le cheikh souligne ensuite la différence entre «voter pour un système parmi un nombre d’autres systèmes, et voter pour choisir le meilleur individu parmi un nombre de candidats dans un système déjà établi, imposé aux gens et qu’ils ne sont pas en mesure de changer dans l’avenir immédiat».

    «Il ne fait pas de doute, poursuit-il, que le premier type [de vote] est un acte de Kufr [impie], car Allah dit “Il n’appartient qu’à Allah de légiférer”», tandis que «voter pour un candidat ou un parti qui gouverne selon la loi des hommes n’implique pas d’approuver ou d’accepter sa méthode». Il s’ensuit que «nous devons participer au vote, avec la conviction que nous tentons ainsi de minimiser le mal, tout en soutenant l’idée que le meilleur système est la Charia, qui est la loi d’Allah».

    Le vote étant licite, se pose alors la question de savoir pour qui voter. «La réponse à une telle question requiert une compréhension profonde et précise de l’arène politique. Par conséquent, je crois que les individus doivent éviter de s’impliquer dans ce processus et confier plutôt cette responsabilité aux organisations musulmanes éminentes [...]. Il incombe donc aux autres musulmans d’accepter et de suivre les décisions de ces organisations.»

    En conclusion de quoi, le vénérable cheikh appelle les musulmans de Grande-Bretagne à suivre les consignes électorales de la MAB et termine par cette prière: «Nous demandons à Allah de nous guider sur le droit chemin et d’accorder la victoire à la loi de notre Seigneur, Allah, dans le Royaume-Uni et dans d’autres parties du monde.»

    Cette fatwa se passe de commentaire. L’opposition profonde entre les desseins du cheikh sollicité par la MAB et la tâche que les marxistes se fixent, ou devraient se fixer, dans leur action auprès des populations musulmanes est flagrante. Les marxistes ne sauraient chercher à récolter des votes à n’importe quel prix, tels des politiciens opportunistes prêts à tout pour être élus. Il est des soutiens, comme celui du cheikh Al-Haddad, qui sont des cadeaux empoisonnés. Il faut savoir désavouer ceux dont ils émanent: la bataille pour l’influence idéologique au sein des populations issues de l’immigration est d’une importance beaucoup plus fondamentale qu’un résultat électoral, aussi exaltant soit-il.

    La gauche radicale, de part et d’autre de la Manche, doit revenir à une attitude conforme au marxisme dont elle se revendique. Faute de quoi, l’emprise des intégristes sur les populations musulmanes risque d’atteindre un niveau dont il sera fort difficile de la faire reculer. Le fossé entre ces populations et le reste des travailleuses et des travailleurs en Europe s’en trouverait élargi, alors que la tâche de le combler est l’une des conditions indispensables pour substituer le combat commun contre le capitalisme au choc des barbaries.

    Le 15 octobre 2004.

    G. Achcar, politologue, professeur à la School of Oriental and African Studies de l'Université de Londres

    http://www.npa2009.org/content/marxistes-et-religion-hier-et-aujourdhui-par-gilbert-achcar

  • Pierre Manent, philosophe : “L’effort civique n’est pas réservé aux musulmans” (Les Inrocks)

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    Entretien avec le philosophe Pierre Manent, qui appelle l’ensemble des citoyens à accepter la nouvelle hétérogénéité religieuse de la société française.

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    Quelle lecture faites-vous de cette vague d’attentats d’une ampleur sans précédent qui a touché notre pays ?

    Pierre Manent – La France est frappée de plus en plus durement, à des intervalles de plus en plus brefs. Nous sommes le seul pays européen, ou occidental, qui se trouve dans ce cas. En tout cas, nous sommes clairement le maillon faible dans l’ensemble euro-occidental. Nous sommes le maillon faible, ou le maillon exposé, parce que dans la guerre comme dans la paix nous nous sommes donné des buts trop ambitieux que nous n’avons pas les moyens d’atteindre, et cette disproportion entre les prétentions et les résultats est un principe de faiblesse.

    Dans la guerre d’abord. Nous sommes le seul pays occidental dont l’essentiel des forces armées opérationnelles est aujourd’hui engagé contre ce qu’il est convenu d’appeler le “terrorisme”, à la fois en Afrique de l’Ouest, au Proche-Orient et bien sûr en France même. Sans avoir augmenté nos moyens militaires, ou en ayant seulement ralenti leur diminution, notre gouvernement en fait un usage intensif qui les use et ne nous laisse pas de réserves. Dans la paix ensuite.

    Nous nous sommes donné à l’égard de l’islam un but qu’on peut trouver sublime mais qui résiste mal à l’expérience. Nous avons voulu à la fois être les plus ouverts possible, les plus respectueux possible, et en même temps nous attendions de cette ouverture et de ce respect que les musulmans se fondent dans la République, et que toute séparation entre musulmans et non-musulmans disparaisse. Nous avons escompté qu’ils seraient à la fois “entièrement eux-mêmes” et des citoyens français tout à fait comme les autres. C’était un cahier des charges trop lourd pour les uns et pour les autres. Il nous faut repartir sur des bases plus modestes et réalistes.

    Craignez-vous une stigmatisation de la communauté musulmane suite à ces événements ?

    Ce terme de stigmatisation ne me paraît pas pertinent. Franchement, dans le contexte, il ne veut pas dire grand-chose. D’ailleurs, si l’on veut bien ne pas accorder trop d’importance à quelques intempérances de langage de politiques intéressés, il est au contraire frappant que les Français, aussi bien après les attentats de janvier qu’ en ce triste mois de novembre, ont en général réagi avec beaucoup de sang-froid. Je crois sincèrement que peu de pays européens auraient été capables, en de telles circonstances, d’une telle maîtrise, d’un tel calme.

    La disposition qui s’installe, et que les événements intérieurs et extérieurs tendent à confirmer chaque jour davantage, c’est la méfiance. L’opinion qui me semble de plus en plus dominante parmi nous sur l’islam est à peu près la suivante: bien sûr l’immense majorité des musulmans sont pacifiques; en même temps, ils sont incapables de ramener à la raison ceux parmi eux qui ne sont pas pacifiques et qui se “radicalisent” ; comme en outre ils sont de plus en plus nombreux parmi nous, et très attachés à leurs mœurs qui tendent à les distinguer et même à les séparer des autres Français, il est clair désormais que leur intégration ou assimilation est un but hors de portée.

    Voilà, je crois, la conviction qui a cristallisé dans la dernière période. L’opinion moyenne des non-musulmans estime de plus en plus que la séparation sera impossible à surmonter, sauf si l’islam consent à une “réforme” plus ou moins radicale, ou si on le force à une telle réforme en lui imposant une règle de laïcité rigoureuse et contraignante.

    Quelques minutes après les attentats qui ont touché notre pays, plusieurs dirigeants politiques de droite et d’extrême droite ont immédiatement pointé la responsabilité de l’islam. Comment dépasser les amalgames et le risque de conflit communautaire ?

    Vous allez être surpris par la simplicité de ma réponse: il faut engager une conversation civique un peu sincère. Nous en sommes très loin. Sur ces questions, presque tout le monde use d’un langage codé. Les uns dénoncent le “communautarisme” ; les autres s’écrient : pas d’amalgame, halte à l’islamophobie ! Les uns et les autres tournent autour du sujet soit pour gagner des voix, soit pour éviter d’avoir à répondre à des questions difficiles, tous en tout cas pour se dispenser de réfléchir sérieusement aux questions qui se posent. Ce qui fait qu’en réalité, nous nous connaissons très mal.

    Je déplore que les musulmans s’expriment si peu ou alors seulement de manière défensive. Qu’attendent-ils de notre pays qui est le leur? Que pensent-ils de sa politique ? Comment entendent-ils participer à la vie commune ? Ils sont trop réservés ! S’ils prenaient davantage la parole, s’ils exprimaient leurs critiques et acceptaient les critiques, cela contribuerait beaucoup à faire tomber ou à diminuer la méfiance réciproque qui caractérise les relations entre musulmans et non-musulmans dans notre pays.

    Dans votre livre, vous évoquez une scission entre Européens et musulmans. Pourquoi l’islam pose selon vous un “problème nouveau” à notre société ?

    L’histoire a séparé le nord et le sud de la Méditerranée, la Chrétienté et l’Islam. C’est un fait. Dois-je rappeler les conquêtes musulmanes et les “reconquêtes” chrétiennes, les guerres contre les Turcs, la colonisation et la décolonisation ? Ce sont deux vastes ensembles humains qui ont eu des expériences très différentes et développé des civilisations fort distinctes, et très conscientes d’être distinctes.

    Or pour la première fois, avec l’installation d’une nombreuse population musulmane dans plusieurs pays européens, particulièrement en France, ces groupes humains aux expériences et aux mœurs fort distinctes ont à vivre ensemble dans l’égalité. Je souligne : dans l’égalité. C’est un défi inédit. Aujourd’hui les Européens s’organisent sur la base de plus en plus exclusive des droits de l’homme, des droits individuels, tandis que les musulmans restent attachés à des mœurs communes qui s’imposent comme naturellement à l’individu. Bien sûr ceci est schématique puisque les Européens ne sont pas simplement individualistes mais ont eux aussi des liens collectifs, et les musulmans de leur côté ne sont pas insensibles aux charmes de la société libérale, mais il reste ce fait déterminant que l’indépendance individuelle est appréciée assez différemment par les uns et les autres. En particulier l’indépendance des femmes et des jeunes filles. C’est un point de friction considérable entre musulmans et non-musulmans parmi nous.

    Une partie des terroristes impliqués étaient français. Comment peut-on répondre à la radicalisation d’une partie de notre jeunesse ?

    Nos sociétés éprouvent en général de grandes difficultés pour assurer la transmission non pas tant des connaissances que des formes de vie. Comment devenir un être humain capable de s’affirmer lui-même tout en rendant à chacun son dû, tout en “respectant les autres”? C’est d’autant plus difficile pour un jeune homme qui grandit pour ainsi dire entre deux traditions, deux langues, deux formes de vie, qui sont officiellement égales mais dont l’une se sent toujours mésestimée.

     

    Que faire avec la colère des jeunes hommes ? Comment l’éduquer, la rendre constructive plutôt que destructrice ? Je n’ai pas de réponse mais je voudrais souligner un point: les jeunes hommes, spécialement peut-être ceux issus de familles musulmanes, souffrent de l’absence de modèles “virils” dans notre société. Toute la pression publique vise à réprimer les manifestations de “virilité”. Il y a de bonnes raisons à cela. Mais on peut abuser des meilleures choses.

    Je crois que si l’on réfléchissait sérieusement à l’organisation d’un vrai “service civil” ou d’une “garde nationale”, on pourrait obtenir de bons résultats. Je pense à un effort sérieux auquel on consacrerait d’importants moyens humains et financiers : il s’agirait de volontaires, mais qui recevraient une éducation physique, éventuellement paramilitaire, mais aussi civique et historique, et recevraient un traitement modeste mais non ridicule. Ils auraient un uniforme. Leur temps de service leur vaudrait des avantages, par exemple pour la retraite. Ils seraient appelés pour des actions de protection civile, d’entretien de l’environnement et de garde des biens publics. Ils mettraient leur fierté à défendre ce qu’ils sont aujourd’hui tentés de détruire.

    Que notre société puisse accoucher de terroristes capables d’une telle boucherie vous fait-il perdre confiance dans nos capacités d’intégration ?

    Toutes les sociétés accouchent de délinquants ou de criminels. Le désir de détruire, de prendre plus que sa part, d’imposer sa volonté appartient à l’être humain. Nous maîtrisons tant bien que mal ces tendances ou pulsions. Certains n’y parviennent pas. C’est plutôt une question d’éducation que d’intégration. Ou alors il s’agit de l’intégration des différentes composantes de l’être humain. Nous ne nous en soucions pas suffisamment.

    Nous accordons une place disproportionnée à la transmission de connaissances au détriment de la formation du caractère. L’éducation civique, ce n’est pas seulement d’apprendre les articles de la Constitution, c’est aussi d’apprendre la fierté du citoyen. L’éducation religieuse, ce n’est pas seulement d’apprendre tel ou tel aspect ou contenu d’une religion, ou de plusieurs religions; c’est apprendre à se rapporter à un être plus grand que soi, apprendre une certaine qualité d’admiration ou de révérence. Notre éducation usuelle tend à laisser en jachère de grandes parties de nous-mêmes.

    Pourquoi considérez-vous que la laïcité n’est plus adaptée pour faire coexister les différentes “masses spirituelles” de notre pays ?

    La laïcité est un élément central de notre régime politique. Il importe de la préserver. Elle implique que l’institution religieuse et l’institution politique sont séparées, que l’État ne commande pas en matière de religion, et que les hommes religieux ne font pas la loi politique. Tout ceci est très bien. Mais cette laïcité, qui est la laïcité au sens authentique du terme, n’a pas d’effet direct sur la composition religieuse de la société.

    Or le problème qui se pose à nous, c’est celui de l’hétérogénéité religieuse de la société, hétérogénéité considérablement accrue avec l’installation de l’islam dans la société française. Beaucoup attendent de la laïcité ce qu’elle n’est pas conçue pour produire, à savoir la neutralisation religieuse de la société, une société dans laquelle la religion ne donnerait pas forme à la vie commune et serait en quelque sorte invisible. Dans un tel dispositif, les musulmans seraient présents mais comme s’ils n’étaient pas là. Tout cela est une fiction qui repose sur une interprétation erronée de l’expérience de la France républicaine.

    Dans votre livre, vous appelez de vos vœux la construction d’un nouveau compromis entre les citoyens français musulmans et le reste du corps civique. Sur quoi repose-t-il ?

    Nous nous sommes donné un projet trop ambitieux selon lequel les musulmans parmi nous seraient à la fois entièrement eux-mêmes et tout à fait comme les autres. Je me donne un projet plus modeste. J’accepte l’hétérogénéité de départ. Dans mon langage, qui est le langage classique de la sociologie, j’accepte que les musulmans s’installent parmi nous avec leurs “mœurs” propres que nous avons à accepter tout en fixant certaines limites. Certaines conduites en effet, qui sont autorisées par les mœurs musulmanes, sont contraires à nos lois, par exemple la polygamie. Elles doivent être interdites.

    J’explique cela plus en détail dans le livre, mais le point que je veux ici souligner est le suivant: je commence par accepter une certaine hétérogénéité intérieure qui n’est pas dans notre perspective habituelle qui vise un corps social homogène. En même temps, je n’en reste pas là, je ne souhaite pas que nous nous installions dans une société “multiculturelle” ou “communautariste”. Je souhaite que nous allions vers un bien commun auquel prendraient part toutes les composantes de la société française. Etant entendu que nous sommes aujourd’hui passablement séparés, je cherche à nous réunir par la voie politique de l’engagement civique plutôt qu’en nous efforçant de contraindre les musulmans à une réforme directe et immédiate de leurs moeurs qui ne me semble pas praticable. L’engagement civique des musulmans a pour condition qu’ils prennent leur indépendance financière, spirituelle et d’organisation à l’égard des pays du monde arabo-musulman qui ont aujourd’hui sur eux une influence à mes yeux très dommageable. Y sont-ils prêts ? Nous ne le saurons pas si nous n’essayons pas. L’effort civique n’est pas réservé aux musulmans. Tous les citoyens doivent participer à l’élaboration d’un projet collectif alors que la tendance dominante parmi nous est à la jouissance des droits individuels. Sommes-nous prêts pour un tel projet collectif ? Nous ne le saurons pas si nous n’essayons pas.

    Propos recueillis par David Doucet 17/11/2015 | 16h00

    http://www.lesinrocks.com/2015/11/17/actualite/pierre-manent-philosophe-faire-tomber-la-mefiance-reciproque-dans-notre-pays-11788356/

  • Attentats. La stigmatisation fait florès (A l'Encontre.ch)

    Dessin du «Daily Mail»

    Dessin du «Daily Mail», le 17 novembre 2015

    Par Rédaction A l’Encontre et Thomas Cluzel

    Dès les attentats meurtriers du 13 novembre à Paris, la campagne politique visant «la communauté musulmane» s’est développée. Le Front national a matraqué ses trois thèmes anti-immigré·e·s et anti-musulmans. Le premier est formulé de la sorte: «Nous devons retrouver des frontières nationales. Nous devons arrêter les flux de migrants qui arrivent.» Autrement dit, migrants=réfugiés=terroristes potentiels.

    Le second: «Il y a 11 000 fichés S qui auraient dû faire l’objet d’une perquisition.» Selon la pratique et le droit français la fiche S est un élément de surveillance, pas de culpabilité. D’après les experts du droit constitutionnel français, une personne ne peut pas être arrêtée au motif qu’une fiche S a été établie sur elle. Laurent Wauquiez, député des Républicains (ex-UMP) et coutumier de la surenchère, «a proposé la création de camps pour toutes les personnes ciblées par une fiche S, soit plus de 11 000 personnes», comme l’expliquent entre autres sur Mediapart (18 novembre 2015) Lénaïg Bredoux et Mathieu Magnaudeix. Ils ajoutent: «François Hollande a indiqué lundi que le gouvernement allait saisir le Conseil d’Etat pour examiner la faisabilité juridique d’une telle disposition.» Même si Hollande estime que le Conseil d’Etat jugera qu’une telle disposition est anticonstitutionnelle, «il ne veut surtout pas laisser un millimètre à la droite sur le terrain sécuritaire», comme le soulignent les deux journalistes.

    Le troisième leitmotiv du FN: «Le code de la nationalité doit être intégralement refondé.» Autrement dit, le FN demande la déchéance de nationalité de «ceux qui participent de la mouvance islamiste». Le quotidien Le Monde, dans sa rubrique en ligne signée «Les Décodeurs», le 17 novembre, écrit à ce propos: «Le Conseil constitutionnel rappelait dans une étude de 2008 qu’en vertu de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, elle-même basée sur la déclaration universelle des Droits de l’homme, “les nationaux ont un droit général et absolu à entrer, séjourner et demeurer en France”». Le droit international reconnaît en effet à chacun “le droit d’entrer sur le territoire de l’Etat dont il est le ressortissant”. Dans son allocution au Congrès réuni à Versailles, le président François Hollande a lui affirmé souhaiter une modification de la loi afin qu’elle permette de retirer la nationalité française aux binationaux nés Français, en plus des binationaux naturalisés.» L’escalade sécuritaire, qui peut servir d’humus à la stigmatisation des musulmans, est sans limites.

    Face à cette situation, dans un billet envoyé à la rédaction d’A l’Encontre, le 16 novembre, Jacques Chastaing indiquait à juste titre un élément concret pour fonder une riposte politique: «Les gens qui sont dans la rue pour se recueillir en silence sont aussi les mêmes, comme à Metz ou Lille, qui ont crié «Dehors les Fascho», «A bas les racistes» et qui les ont repoussés. Malgré la confusion, nous pouvons nous appuyer sur ce sentiment d’un mouvement anti-raciste et anti-fasciste et lui offrir une possible représentation, surtout si l’extrême droite identitaire ou le FN continuent leurs provocations et attaques.»

    Nous publions ci-dessous un compte rendu de la presse internationale qui met en lumière, de manière crue, une propagande islamophobe dont des médias, significatifs, sont les vecteurs. (Rédaction A l’Encontre)

    *****

    Quand elle a vu sa photo dans la presse, sa mère s’est mise à vomir. C’était lundi soir, un Français d’origine maghrébine de 28 ans, habitant Bruxelles, découvrait avec stupeur son visage à la Une de deux journaux, DH (Belgique) et LAATSTE NIEUWS. Sous sa photo, la légende le présente comme Brahim Abdeslam, l’un des terroristes responsables des attentats de Paris. Sauf qu’il n’est pas, évidemment, Brahim Abdeslam, lequel s’est fait exploser trois jours plus tôt sur le boulevard Voltaire. En revanche, il a effectivement «le tort» de porter le même prénom: Brahim. Mais lui s’appelle Brahim Ouanda. Aussitôt, le jeune homme a porté plainte. «J’ai été choqué, dit-il, après les attentats et notamment par le fait que cela venait de Molenbeek, la commune de mon enfance. Mais là, je suis encore plus sous le choc, après l’association qu’on a faite entre ces attaques et moi.» Une tragique mésaventure, donc, longuement racontée sur le site de la RTBF (Radio Télévision Belge Francophone) et qui témoigne du risque facile qui existe aujourd’hui de stigmatisation à l’encontre de la communauté musulmane.

    Et que dire, encore, de l’attitude de ces deux journalistes de CNN (chaîne d’information des Etats-Unis). Dimanche dernier, les deux présentateurs en plateau interrogent Yasser Louati, le porte-parole du Collectif contre l’islamophobie en France, qui se trouve lui sur la place de la République, à Paris. Les journalistes s’inquiètent notamment du fait que la communauté musulmane ne dénonce pas davantage les massacres de masse perpétrés par des individus «de ses rangs» (sic). Aussitôt, Yasser Louati les reprend: «Ils ne sont pas de nos rangs. Notre camp est le camp français, dit-il. Ne faites pas d’erreur à ce propos.» Réponse du journaliste: «Si votre camp, c’est la France, comment se fait-il que personne au sein de la communauté musulmane en France n’ait su ce que ces personnes étaient sur le point de faire? Parce qu’il me semble que c’était un plan d’envergure, et il y avait forcément des gens au-delà des sept terroristes tués qui savaient quelque chose, et si quelqu’un savait c’était probablement au sein de votre communauté. Et pourtant personne n’a rien dit.» Interrogé sur le site Big Browser (blog du Monde), Louati n’en revient toujours pas et s’insurge de telles questions: «C’est de la folie. L’Etat n’a pas fait son travail mais nous, nous aurions dû savoir et prévenir ces événements! Je suis extrêmement déçu par CNN, comment peuvent-ils avoir une approche aussi simpliste?» Toujours est-il que les deux journalistes, eux, n’en démordent pas. Et voici comment se conclue l’entretien, avec les deux présentateurs en plateau: «Même si ce n’est pas leur faute, ça vient quand même de la communauté musulmane. Ils ne peuvent pas se dérober».

    Quoi qu’il en soit, depuis les attentats de vendredi, les amalgames font florès. Deux jours seulement après les tragiques évènements, le candidat aux primaires républicaines, Jeb Bush, expliquait, notamment  sur CNN, que le gouvernement américain devrait concentrer ses efforts pour aider les réfugiés syriens chrétiens, mais pas les musulmans.

    Le prestigieux magazine américain TIME a, lui, ouvert ses colonnes à Marine Le Pen. Une tribune dans laquelle la présidente du Front National écrit notamment: «Trop souvent, nous avons confondu hospitalité et aveuglement. Tous ceux que nous avons accueillis ne sont pas venus avec un amour de la France et de son mode de vie.»

    Ou quand les attentats de Paris conduisent à un spectaculaire virage à droite

    Le terrorisme qui a frappé aveuglément la capitale française joue en faveur de l’extrême droite, s’inquiète notamment le journal d’Alger EL-WATAN, avant de préciser qu’Arabes et musulmans qui vivent en France risquent d’en faire les frais.

    Et puis au sein de l’Union européenne, cette fois-ci, les amalgames entre réfugiés et terroristes refont surface. Récemment, le tabloïd anglais DAILY MAIL, le deuxième journal en nombre de ventes quotidiennes, a publié un dessin qui lie très clairement réfugiés syriens et terroristes. Intitulé «Les frontières ouvertes de l’Europe», on y voit des réfugiés, à l’évidence musulmans. Parmi eux, l’un porte une kalachnikov, un autre une tenue de camouflage et une dernière un voile intégral. Et tous traversent les frontières avec une nuée de rats à leurs pieds. Une association, entre rats et réfugiés, qui n’est pas sans rappeler la propagande nazie antisémite.

    En Allemagne, le journal de Berlin DIE WELT, l’un des trois plus grands quotidiens du pays, ne laisse là encore que peu de doute quant au message qu’il entend véhiculer: nombre d’immigrants et leurs enfants ne chérissent pas vraiment l’idée de s’intégrer dans une société dont ils n’apprécient pas les traditions culturelles et dont le mode de vie les choque. C’est dans leurs rangs, dit-il, que sont recrutés les terroristes. Et d’en conclure: «il ne s’agit pas de les montrer du doigt, il s’agit d’une évidence».

    De son côté, son confrère de Munich SÜDDEUTSCHE ZEITUNG est là tout de même pour rappeler une évidence et expliquer que faire des parallèles entre migration, islam et terrorisme mène à des amalgames dangereux. Oui, concède le journal, une communauté a une responsabilité, un rôle à jouer dans la société. Mais elle ne peut pas être rendue responsable, surtout lorsqu’il s’agit d’une communauté définie aussi sommairement que «les musulmans».

    Quoi qu’il en soit, dans ce contexte, on peut d’ores et déjà prédire que la politique d’asile commune et d’immigration de l’Union européenne risque d’être fortement mise à mal. Et cette tentation du repli sur soi qui étreint l’Europe tout entière inquiète notamment THE NEW YORK TIMES. Verrouiller hermétiquement les vannes est souvent, dit-il, la solution de facilité politiquement opportune brandie après des attaques terroristes. Or ces réponses sont fausses. Freiner l’exode des réfugiés de Syrie doit faire partie du plan global pour mettre un terme à la guerre en Syrie. En revanche, construire de nouvelles barrières pour les laisser dehors, sous le prétexte absurde que les musulmans sont intrinsèquement dangereux offrira une propagande de choix à l’organisation Etat islamique.

    (Intervention de Thomas Cluzel sur France Culture à 7h24, le 19 novembre 2015)

    Publié par Alencontre le 19 - novembre - 2015
     
  • La mosquée: encore une autre bataille dans la lutte pour la libération nationale (Ujfp)

    La mosquée al-Aqsa en danger - Résumé du rapport annuel de l’Institution Internationale al-Qods (QII) - septembre 2012

    Samah Jabr est Jérusalémite, psychiatre et psychothérapeute, dévouée au bien-être de sa communauté, au-delà des questions de la maladie mentale.

    Si la lutte pour le sanctuaire d’Al-Aqsa est perçue en Occident comme une cause alimentée par un Islam fanatique, les Palestiniens la perçoivent comme une bataille parmi d’autres dans leur lutte contre une occupation coloniale et ses injustices et violations incessantes des droits humains fondamentaux.

    Il est indéniable que beaucoup d’entre nous considèrent Al Aqsa comme sainte et sacrée, même si le Président palestinien considère comme sacrée la coordination de la sécurité avec Israël ! Mais même ces Palestiniens qui ne voient pas en Al Aqsa un lieu saint le considèrent comme un magnifique monument historique national, qui leur fournit des souvenirs de ces pique-niques auxquels nous avions l’habitude de participer avec nos grands-mères quand nous étions jeunes, et comme un immense atout pour les enfants qui autrement seraient privés d’un endroit pour jouer. Le sanctuaire d’Al Aqsa continue d’être un foyer, un lieu d’attachement chaleureux, et un sanctuaire psychologique pour les Palestiniens – qu’ils soient ou non musulmans pratiquants –, contraints de vivre sous un système d’apartheid qui fait d’eux des étrangers dans leur propre ville.

    Au beau milieu de cette lutte pour préserver l’identité de la mosquée et du sanctuaire comme musulmane et arabe-palestinienne, les Palestiniens se trouvent de plus en plus isolés des régimes et institutions arabes et musulmans défaillants de toute la région. Le Président égyptien vient de rouvrir l’ambassade israélienne en Égypte et il a appelé, depuis la tribune des Nations-Unies, à l’expansion de l’accord de paix égyptien avec Israël en y intégrant les autres pays arabes.

    Les modifications israéliennes du statut d’Al Aqsa incluent l’imposition d’heures de visite séparées pour les musulmans et pour les juifs, et l’expansion des travaux d’excavation secrets sous la mosquée. Ces modifications interviennent en violation de l’accord de paix de 1994 entre les autorités jordaniennes et israéliennes donnant aux premières le contrôle sur le sanctuaire, parmi d’autres sites islamiques ; la réticence jordanienne à réagir face à ces violations n’est qu’une invitation à Israël à s’approprier le site. Israël viole déjà, et le droit international, et les sept résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies qui condamnent la tentative d’Israël d’annexer Jérusalem-Est – notamment les Résolutions 478 et 476 qui dénoncent la proclamation, par Israël, de Jérusalem comme sa capitale éternelle et indivisible.

    Ce ne sont plus seulement les extrémistes israéliens qui poussent à l’appropriation du sanctuaire et de l’enceinte de la mosquée. Les déclarations sur la démolition des sites islamiques en tant que sites païens, et sur la reconstruction du Mont du Temple en leur lieu et place, ne sont plus un discours chez les jusqu’au-boutistes uniquement.

    Des ministres et des membres de la Knesset, tels que le ministre de la Sécurité intérieure Gilad Erdan, le ministre de l’Agriculture Uri Ariel, et la membre de la Knesset Miri Regev, exigent maintenant de changer le statu quo afin de permettre aux juifs de venir prier dans le sanctuaire. Tsypi Hotovely, autre membre de la Knesset, qui a marqué son dernier jour de femme célibataire par une visite au sanctuaire, a pris une photo devant le Dôme du Rocher, se référant à lui comme au « site le plus sacré du judaïsme ».

    Moshe Feiglin, vice-président du parlement israélien, du parti Likoud, a déclaré il y a un an : « Je ne demande pas l’égalité au Mont du Temple ; il n’y a aucune égalité – il est à nous, et à nous seuls ». En outre, le mouvement religieux qui se développe rapidement profite du soutien israélien, gouvernemental, politique et financier – de même que du soutien des forces militaires israéliennes. Pendant ce temps, les autorités israéliennes font tout ce qu’elles peuvent pour interdire aux organisations et institutions palestiniennes musulmanes, tels le Murabiteen, le Murabitat et le mouvement islamique en Israël, toute action juridique et pacifique pour protéger l’identité musulmane du site.

    Les craintes des Palestiniens à propos de la mosquée ne sont pas déconnectées de la réalité. En 1967, dans les deux premiers jours de l’occupation de Jérusalem-Est, l’armée israélienne a entrepris précipitamment la démolition du quartier palestinien appelé Quartier marocain, dans la Vieille Ville, et celle de la mosquée Sheikh Eid, qui avait été construite sur l’École Afdalieh, l’une des plus anciennes écoles islamiques. Tout cela a été détruit pour ouvrir l’espace pour la place du Mur des Lamentations. Plus de cent familles palestiniennes ont reçu l’ordre de quitter leurs maisons, et celles qui ont refusé ont été ensevelies sous leurs propres maisons quand les bulldozers ont rasé le quartier.

    En 1994, la déclaration sur l’importance juive revendiquée pour la mosquée Ibrahimi a provoqué un massacre de fidèles palestiniens et une division spatiale de la mosquée. Peu après, les autorités israéliennes ont fermé 520 entreprises autour de la Vieille Ville et fermé aux Palestiniens la principale route qui traverse la ville afin de sécuriser un passage par un usage exclusif pour la population juive.

    Les craintes des Palestiniens se fondent sur l’expansion juive rapide dans la ville, la construction de petits commerces et du « Musée de la Tolérance » sur le cimetière islamique historique de Mamanullah, l’appropriation de maisons à Silwan et Sheikh Jarrah, et la réalisation du tramway et des téléphériques sur la terre palestinienne afin de rendre plus accessible la Vieille Ville de Jérusalem aux colons. Pendant ce temps, les Palestiniens sont traités comme des résidents temporaires dans la ville de leurs grands-parents, et punis pour leur lien biologique avec tous ceux qui défient l’occupation par la démolition de leurs maisons et la privation de leurs cartes de résidence.

    Les sentiments pandémiques de l’islamophobie ont fait que la communauté internationale – qui a décriée bruyamment la destruction de ruines et de temples antiques par les Talibans et ISIS – que cette communauté internationale est devenue sourde et muette devant les destructions israéliennes.

    Les autorités israéliennes offrent librement leur concours aux groupes religieux et aux bandes de colons pour qu’ils s’approprient tout Jérusalem, en refusant aux Palestiniens de la Cisjordanie et de la bande de Gaza occupées l’accès à la ville et à ses lieux saints. Même les habitants palestiniens de Jérusalem-Est sont séparés par des restrictions sur le sexe et l’âge quand ils souhaitent entrer à la mosquée et ils sont contraints de laisser leurs papiers d’identité à la porte, pour les récupérer un moment plus tard à un poste de police.

    Israël a fait tout ce qu’il a pu pour briser le lien spirituel et émotionnel des Palestiniens avec Jérusalem. Mais leur politique a conduit à l’effet inverse. La lutte pour la mosquée qui s’est engagée dans chaque ville, chaque commune et chaque village de la Palestine, démontre aujourd’hui que nous sommes conscients qu’il ne s’agit pas seulement de culte ou de religion, mais qu’il s’agit aussi de résister à une occupation illégale qui resserre son emprise sur Jérusalem-Est, qui s’empare de ce qui est le plus précieux pour tous les Palestiniens, qu’ils soient chrétiens ou musulmans.

    mercredi 21 octobre 2015 par Samah Jabr