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Religions - Page 3

  • Au Maroc, les minorités religieuses se sentent constamment surveillées (Al Huff' Maghreb)

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    LIBERTÉS RELIGIEUSES - Au Maroc, les groupes religieux minoritaires se sentent constamment surveillés par les autorités. La conclusion est celle du Département américain des droits de l’Homme qui vient de publier, cette semaine à Washington, son dernier rapport sur les libertés religieuses dans le monde pour l’année 2015.

    Selon les Etats-Unis, le gouvernement marocain "aurait détenu et interrogé des chrétiens marocains sur leurs croyances et les contacts qu’ils ont avec les autres chrétiens" du pays. Le Maroc refuserait également de fournir des documents administratifs aux "chrétiens locaux" ainsi qu’aux pratiquants du bahaïsme et du chiisme.

    Les représentants des groupes religieux minoritaires ont dit craindre la surveillance du gouvernement, ce qui les a conduit à s'abstenir de pratiquer leurs cultes en public, estime le département américain. Ces groupes préfèrent désormais se rencontrer discrètement dans les maisons des membres de ces communautés, selon le même rapport.

    Le rassemblement pro-Palestine

    Ce dernier regrette également les mises en scène antisémites du rassemblement pro-palestinien, organisé le 25 octobre dernier à Casablanca. Dans des photos et vidéos qui avaient alors circulé sur internet, on pouvait voir des manifestants déguisés en religieux juifs pointés par des fusils tenus par des hommes aux visages cachés par des keffiehs.

    Le Collectif des citoyens marocains contre l’incitation au meurtre des juifs au Maroc, composé de citoyens juifs et musulmans, était notamment monté au créneau pour dénoncer ces dérapages "au ton assassin" qu'il considère préoccupants "pour la sécurité physique des citoyens marocains de confession juive".

    "Bien que les Juifs ont dit qu'ils ont continué à vivre leur culte en toute sécurité au Maroc, les participants à un rassemblement pro-palestinien à Casablanca en octobre dernier ont organisé un simulacre d'exécution d'individus déguisés en juifs hassidiques", rappelle le département U.S dans son rapport.

    Les Américains n’ont pas également manqué de rappeler que plusieurs personnes avaient été arrêtées pendant le ramadan dernier pour avoir mangé en public.

    Ce dernier note toutefois quelques points positifs sur les libertés religieuses au Maroc. Parmi eux, le fait que le gouvernement ait "permis aux communautés chrétiennes étrangères d’assister à des services religieux dans des lieux approuvés".

    Le contrôle des mosquées

    Aussi, "le ministère des Habous et des affaires islamiques a continué à contrôler le contenu des sermons dans les mosquées, l'enseignement religieux islamique et la diffusion de matériel religieux islamique par les médias audiovisuels". Il a également "continué de restreindre la distribution de matériel religieux non-islamique, ainsi que des matériaux islamiques jugées incompatibles avec l'école malékite de l'islam sunnite", souligne-t-on.

    Le rapport rappelle enfin que la Constitution marocaine considère que le pays est un Etat musulman souverain et que l'islam est sa religion. "La Constitution garantit la liberté de pensée, d'expression et de réunion, et dit que l'Etat garantit le libre exercice des croyances à tout le monde".

  • « Décoloniser le féminisme » (Cetri.be)

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    (Photo: En Iran)

    Lier féminisme et islam n’est pas sans faire question : souvent, les féminismes occidentaux redoutent l’intrusion du religieux — patriarcal et régressif — et les espaces musulmans craignent le chantage néocolonial à l’émancipation des femmes.

    Sociologue et auteure, en 2012, de l’essai Féminismes islamiques, Zahra Ali s’empare de cet « oxymore » pour en exposer ce qu’elle nomme les « a priori » réciproques. Celle qui milita contre l’exclusion des élèves portant le foulard appelle à contextualiser, historiciser et rejeter les essentialismes : condition nécessaire à la création d’un féminisme international et pluriel.

    « On me nie le droit de me revendiquer en tant que féministe », avez-vous déclaré un jour, lorsque vous portiez le foulard. Qui sont donc les juges et les distributeurs de licences en conformité ?

    Bonne question. Dire que l’on parle depuis la marge ne veut certainement pas dire que l’on érige celles et ceux qui sont au centre en modèles normatifs. Mais c’est faire reconnaître que celles et ceux qui ont le monopole et la légitimité de se définir comme féministe, progressiste et égalitariste le font dans l’exclusion d’autres formes d’émancipation — et, de ce fait, ne sont pas aussi féministes et égalitariste qu’ils le prétendent. Le féminisme blanc, bourgeois, dominant est porteur, en France, d’une vision normative de l’appartenance au collectif : c’est celui qui nie les expressions alternatives de la lutte contre le patriarcat et pour l’égalité. Un discours et des pratiques de « féministes » qui n’appliquent leur conception de l’égalité qu’à une catégorie de femmes : celles qui assimilent émancipation à occidentalisation et sécularisation.

    Vous vivez à présent en Grande-Bretagne et faites savoir qu’il y est beaucoup moins difficile pour les femmes de porter le foulard, de trouver un emploi ou de poursuivre des études. Vous assurez que les autorités françaises ont condamné les diplômées le portant à faire des ménages. Comment comprendre ce décalage ?

    Sur le voile, la France est en dehors du monde : archaïque dans sa focalisation et son incapacité à reconnaître et régler son héritage colonial. Les femmes qui portent le foulard sont considérées comme la figure par excellence de l’opprimée à libérer ; elles sont essentialisées et infantilisées. En plus d’être clairement raciste et paternaliste, ce discours — qui est aujourd’hui celui du « sens commun » en France (pour reprendre l’expression bourdieusienne) — enferme les femmes et les jeunes femmes qui portent le foulard dans leur étrangeté et leur aliénation. D’autant plus lorsqu’il est suivi d’une législation contre-productive. On exclut de l’école et du travail, principaux lieux de socialisation, des femmes et des jeunes femmes au prétexte de les libérer. La Grande-Bretagne a aussi son passé colonial et son propre racisme : je ne veux absolument pas l’ériger en modèle. Néanmoins, il est clair que lorsque l’on porte le voile, ou que l’on veut exprimer et pratiquer toutes formes de religiosité, elle est un espace de vie plus accueillant. Le monde académique anglo-saxon est aussi plus intéressant pour parler des questions de religion, de racialisation et de féminismes alternatifs. En France, les études post-coloniales sont, par exemple, encore à leur stade d’émergence — alors qu’elles sont considérées, ailleurs, comme des acquis.

    Vous distinguez la laïcité originelle, dans sa lettre et son esprit, et l’usage « laïcard » qu’il en est trop souvent fait : faites-vous vôtre cette notion de « laïcité falsifiée » portée par l’historien Jean Baubérot ?

    Oui. J’aime beaucoup ses travaux sur le sujet. Je pense aussi qu’il y a falsification d’un idéal très positif, à l’origine, à savoir la neutralité de l’État face aux différentes confessions et religions — et, de ce fait, leur traitement sur une base égalitaire. Or, ce qui est aujourd’hui à l’œuvre, c’est que l’on évoque la laïcité pour dissimuler des prises de positions racistes et islamophobes. Car c’est toujours de la religion musulmane dont il est question. Une religion toujours reléguée à son statut de culte « étranger », mais aussi archaïque et barbare. D’ailleurs, s’il y a bien une dimension de rejet de la religion en tant que telle chez de nombreuses féministes qui stigmatisent les musulmanes, il serait faux de réduire cette question à une histoire franco-française de la laïcité. C’est bien d’une histoire franco-française dont il est question, mais c’est surtout d’une histoire coloniale, ou la religion de l’Autre, l’Arabe, le musulman, doit s’effacer de la sphère publique.


    Certaines formations révolutionnaires et internationalistes avaient approuvé l’interdiction du foulard à l’école au nom de l’égalité des sexes ou du combat contre l’aliénation monothéiste – songeons à Lutte ouvrière. Concevez-vous que certains puissent s’opposer au foulard de façon émancipatrice ou est-ce forcément un marqueur de rejet ethnique ou confessionnel ?

    Je pense qu’on peut s’opposer au port du voile sans être raciste, évidemment. Mais on ne peut pas décontextualiser le débat. Ce débat et la loi de 2004 ont eu lieu en France, dans un contexte où l’islam était stigmatisé — on évoquait l’archaïsme et l’obscurantisme d’une catégorie de la population uniquement, celle considérée éternellement « d’origine étrangère », et celle des banlieues. Encore une fois, je peux tout à fait imaginer qu’une partie de l’extrême gauche, en France, ait une réticence quant à l’association entre lutte politique et pratique religieuse. Oui, il y a eu une histoire de l’Église dans ce pays, qui a opprimé pendant des siècles et fait la promotion d’une organisation sociale et familiale inégalitaire et patriarcale. Mais, encore une fois, ayant vécu cette période des débats sur le voile de 2004-5, et ayant participé aux mobilisations et aux discussions avec les militants d’extrême gauche à l’époque, ce n’est pas uniquement la frilosité vis-à-vis de ma pratique religieuse dont j’ai été témoin, mais bien d’un mépris lié à mon arabité, mon « étrangeté » et mes soi-disantes « coutumes barbares ». J’ai été reléguée au statut de victime, considérée comme aliénée par mes pères et frères ; j’ai été considérée comme dangereuse ou opérant pour des réseaux obscurantistes et fondamentalistes. Et puis, encore une fois, la guerre d’Algérie n’est pas si loin. Je crois au contraire que ces débats ont dévoilé un héritage colonial inassumé — y compris dans l’extrême gauche. Il faut le dire : souvent, les forces politiques qui s’érigent comme progressistes en France sont également teintées d’un universalisme républicain qui se croit supérieur et souhaite éduquer ou civiliser… Il est dangereux de se croire le détenteur d’un modèle d’émancipation et, tout à la fois, de s’inscrire dans un discours d’identité nationale excluant. C’est là que se situe une partie de l’extrême gauche dans ce pays.


    Vous avez beaucoup travaillé sur la question du féminisme islamique. Vous y brossez trois courants principaux. Pour ceux qui ne connaîtraient pas cette notion, ou qui la trouvent paradoxale dans son seul énoncé : que sont-ils, à grands traits ?

    D’abord, j’utilise ce terme au pluriel pour montrer qu’il y a diversité des expressions des féminismes s’inspirant du cadre religieux musulman, et diversité de ses contextes d’expression et de déploiement. L’idée étant que des femmes se ressaisissent du cadre religieux et réinterprètent les sources scripturaires — notamment le Coran, dans un sens égalitariste et émancipateur. Les féministes musulmanes ont en commun de considérer que le message coranique est émancipateur et que ce sont les lectures patriarcales qui se sont imposées à travers le temps qui ont trahi ce message. Le spectre va de féministes radicales à des féministes plus réformistes quant à leur appréhension desdites sources. Il y a une vraie diversité et autant de lectures que de contextes. Maintenant, en termes d’engagement social et politique, les féminismes qui s’inspirent de la religion musulmane opèrent selon des stratégies très différentes : dans le contexte français, les féministes musulmanes sont aussi des militantes qui cherchent à imbriquer antiracisme à antisexisme. Dans d’autres contextes, comme celui des pays dont la population est majoritairement musulmane et qui imposent aux femmes le Code de la Famille, les stratégies sont différentes. Le Code de la Famille repose sur une lecture conservatrice de la jurisprudence religieuse. Dans ce contexte, les féministes musulmanes, comme celles réunies autour de la plateforme Musawah, travaillent à la réforme de ses codes en proposant une lecture féministe des différentes jurisprudences musulmanes.


    Les féminismes islamiques ont, expliquez-vous, deux adversaires : le féminisme occidental, qui lui nie ses qualités féministes, et une partie de la pensée islamique qui rejette le féminisme comme création occidentale. Vous expliquez pourtant que le féminisme non-occidental est né à la même période et qu’il existe un « protoféminisme » dès les premiers temps musulmans. C’est-à-dire ?

    Déjà, il faut commencer par dire qu’il n’y a pas de « féminisme occidental » : les différents mouvements féministes de cette aire géographique que l’on appelle l’Occident sont pluriels. C’est un courant parmi cette aire, hégémonique malgré tout, qui considère qu’émancipation est synonyme d’occidentalisation. Pour se libérer du patriarcat, toutes les femmes devraient suivre un modèle unique qui consisterait à mettre à l’écart le religieux, à faire la promotion de valeur dites « occidentales ». Au final, parmi les musulmans, ceux qui considèrent le féminisme comme une forme d’occidentalisation rejoignent complètement le discours islamophobe des féministes hégémoniques. Ce qu’ont en commun ces deux discours est leur essentialisation de l’islam et de l’Occident — or ni l’un ni l’autre n’existe au singulier. Il y a différentes manières d’appréhender et de vivre la religion musulmane. Cet « Occident » n’a pas le monopole des valeurs humaines d’émancipation et d’égalité. Il a existé partout, y compris dans des contextes où la population est majoritairement musulmane, des formes d’émancipation et de lutte contre le patriarcat et les inégalités.

    Ce refus des essentialismes et ce souci de la pluralité est d’ailleurs au centre de l’ouvrage État des résistances dans le Sud, auquel vous avez contribué...

    Oui. J’insiste sur l’importance de la prise en compte du contexte et le refus de tout essentialisme. Certaines féministes musulmanes elles-mêmes ne sont pas à l’abri de tomber dans l’essentialisme, en voulant faire la promotion d’« un » islam qui serait émancipateur. Ici, la question de la classe est aussi importante : la pensée féministe musulmane s’articule dans des cercles intellectuels, bien-pensants, très élitistes. Il faut rester très attentif aux dimensions de classe, car les féministes musulmanes de classes moyennes éduquées ne sont pas nécessairement les mieux placées pour parler d’égalité. Pour moi, être féministe, c’est englober toutes les formes d’inégalité, c’est être intersectionnelle, c’est remettre en question sa position de manière permanente, c’est reconnaître la pluralité des expressions de l’émancipation des femmes et des hommes.


    L’Irak occupe une place importante de votre réflexion. Vous écrivez notamment que ce pays permet de comprendre les liens entre genre, nationalisme et impérialisme. De quelle façon ?

    Ce serait très long à expliquer ! Mais ma recherche s’intéresse à l’histoire sociale, économique et politique des femmes irakiennes et à l’évolution des mouvements féministes irakiens depuis la formation de l’État moderne. Je m’intéresse notamment à la manière dont ces mouvements se sont organisés après l’invasion américaine de 2003. Je montre comment, notamment à travers les mobilisations autour du Code de la Famille (ou Code du Statut personnel), les questions de genre se sont reposées en Irak sur un mode confessionnel, lié à l’état général de destruction et de défaillance des institutions de l’État irakien — qui, depuis 2003, sous l’impulsion de l’administration américaine, est régi par un système ethno-confessionnel. La société et le territoire irakien sont maintenant fragmentés sur une base ethno-confessionnelle (Arabes/Kurdes, sunnites/chiites) et le régime au pouvoir a proposé, dans ce contexte, d’imposer cette fragmentation à la sphère des droits des femmes. Dans un contexte de résurgence de conservatismes sociaux et religieux et de violence politico-confessionnelle généralisée, la confessionnalisation du Code du Statut personnel signifie un retour en arrière en matière de droits des femmes.


    Vous vous revendiquez d’Angela Davis et de Chandra Talpade Mohanty. Nous avions interviewé la première, qui nous fit savoir qu’il fallait « comprendre la manière dont la race, la classe, le genre, la sexualité, la Nation et le pouvoir sont inextricablement liés ». Comment, pour votre part, concevez-vous la lutte du peuple contre les possédants, c’est-à-dire la lutte des classes ?

    C’est encore une question qui mériterait des heures de discussion. Ce que je peux dire, très simplement, c’est qu’on ne peut pas promouvoir l’émancipation humaine sans prendre en compte les différentes dimensions de l’oppression et des inégalités. Cela ne veut pas dire que tout se vaut : la classe, la race, le genre, la sexualité, etc. Mais qu’il faut rester attentifs à la manière dont les inégalités s’imbriquent et se nourrissent les unes aux autres. Il faut rester vigilant quant à leurs transformations et savoir revoir ses catégories au gré de l’évolution sociale et politique. J’aime cette idée de Chandra Talpade Mohanty qui dit qu’être féministe, c’est rester au « plus près » des réalités — et donc les analyser telles qu’elles émergent, et non à partir d’un schéma idéologique ou politique préétabli. Il faut écouter et être attentif à la souffrance pour ce qu’elle est, et non pas uniquement à partir de notre manière personnelle et située de la vivre et de la définir. Commencer par se situer soi-même est essentiel. Situer sa parole, situer d’où l’on parle, plutôt que d’universaliser ses énoncés, est une première étape. Tout le monde est situé socialement, économiquement, politiquement, etc. Et construit un discours depuis une position — et pour certaines raisons.

    Vous l’avez évoqué : toutes ces études sont parfois vues comme des productions universitaires et élitistes qui ne trouvent pas d’écho dans la base, sur le terrain...

    ... Cela est directement lié à ce que je viens d’évoquer : tout le monde est situé. C’est sûr, les productions universitaires et intellectuelles sont élitistes : il faut maîtriser certains codes, avoir un « capital » culturel et intellectuel pour pouvoir y accéder. Mais cela n’empêche pas leur nécessité. Aussi, il me semble que via Internet et des médias alternatifs comme votre site, il y a un accès plus grand aux outils de la pensée critique.

    Bien des hommes se découvrent féministes dès qu’il est question d’islam, alors qu’ils sont les premiers à se moquer des féministes toujours trop « excessives ». Vous appelez donc à « décoloniser le féminisme », expliquant que ce serait même « une chance » historique pour l’ensemble du mouvement féministe...

    ... Décoloniser le féminisme veut dire reconnaître les dimensions de classe et de race dans la pensée féministe hégémonique, et mettre à égalité les différentes expressions de la lutte contre le patriarcat, sans supposer une forme linéaire d’évolution des formes de luttes sociales et politiques.

    Zahra Ali 13 juin 2016

    Entretien de Zahra Ali par la revue Ballast

    http://www.cetri.be/Decoloniser-le-feminisme
     
     
    Lire aussi:
  • La gauche radicale ignore-t-elle le fait religieux ? (NPA)

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    Un silence religieux – La gauche face au djihadisme de Jean Birnbaum, le directeur du Monde des Livres, est un ouvrage polémique. Comme son titre l’indique, il s’agit d’une critique du silence de la gauche, et en particulier de sa variante radicale, sur le rôle de la religion dans les conflits politiques.

    Il semble à l’auteur absurde, pour commencer, que l’ensemble de la gauche, depuis celle du gouvernement jusqu’à la plus radicale et extra-parlementaire, ait prétendu que le djihadisme « n’a rien à voir » avec l’islam. Certes, la gauche avait pour objectif louable de s’opposer au dangereux amalgame entre islam et terrorisme ; mais, argumente-t-il, on peut combattre cet amalgame,  dissocier la foi musulmane de sa perversion islamiste, sans pour autant nier la dimension religieuse de la foi djihadiste. C’est le travail que font d’illustres penseurs musulmans,  comme Mohammed Arkoun,  Richard Benzine ou Fethi Benslama, ou encore l’islamologue Christian Jamet,  disciple d’Henry Corbin, qui opposent l’islam spirituel des poètes et des mystiques à celui des partisans fanatiques de la « loi » (charia).

    Un « non-dit fondateur » ?

    Héritière de  Descartes, des Lumières et de la République, la gauche française se distinguerait par son mépris pour la religion et son obstination à refouler sa réalité propre ; à ses yeux, elle n’est qu’un symptôme de malaise social, et le regain actuel de quête spirituelle ou de fanatisme intégriste lui est incompréhensible. Essayant de remonter aux origines de cette attitude, l’auteur insiste sur ce qu’il appelle un « non-dit fondateur » : l’aveuglement de la gauche anticolonialiste française au sujet de la nature fondamentalement arabo-islamique du FLN algérien.

    L’argument s’appuie sur les travaux d’historiennes sérieuses comme Monique Gadant et Fanny Colonna,  mais on peut se demander si l’auteur ne force pas quelque peu le trait pour les besoins de sa démonstration... Le tournant vers l’arabisation et l’islamisation ne date-t-il pas de 1965, suite au renversement de Ben Bella et à la prise du pouvoir par l’armée à travers Boumediene, bien après l’indépendance de l’Algérie ?  Certes, on trouve dans les documents du FLN des années de la lutte pour l’indépendance aussi bien des références à l’islam que des déclaration de sécularisme. Comme le souligne Birnbaum, le nom du journal du FLN,  El Moudjahid, signifie « le combattant de la foi » ; mais Franz Fanon, un des principaux penseurs (séculiers !) du FLN, insistait sur le fait qu’il fallait, à l’époque moderne,  traduire ce terme  simplement par « le combattant ». Bref, faire de l’islam du FLN le « non-dit fondateur » de la gauche sur la religion est un peu excessif.

    Foucault et la révolution iranienne

    En contraste avec ce qu’il appelle le « lourd silence » des anticolonialistes français sur la place de l’islam dans la guerre d’indépendance algérienne, Jean Birnbaum loue l’intelligence de Michel Foucault qui aurait compris, en observant en tant que « journaliste philosophe »  le début de la révolution iranienne de 1979, que la religion était non un masque ou un voile,  mais le vrai visage de la révolte : c’est l’espérance messianique prêchée par Khomeiny et  le désir d’établir un gouvernement islamique qui auraient mis le feu aux poudres et renversé le régime du Chah.

    Certes, reconnait l’auteur, Foucault s’est bercé d’illusions en croyant que la mystique ne deviendrait pas politique et que donc  « il n’y aura pas de gouvernement Khomeiny » en Iran.  Mais ses reportages de 1979 ont, pour Birnbaum,  la vertu de reconnaître la force autonome,  la puissance symbolique et politique de la religion. Il faudrait néanmoins ajouter que Foucault ne s’est pas limité à prendre en compte le rôle de la religion dans la révolution iranienne, mais a voulu en faire un modèle alternatif à celui, à son avis failli,  des révolutions sociales modernes...

    De Marx au NPA…

    Birnbaum compare aussi le  « silence religieux » de la gauche avec les écrits de Marx,  qu’on a tort de résumer par la formule  « la religion est l’opium du peuple ». Il constate, à juste titre, que non seulement on trouve cette expression chez beaucoup d’autres auteurs allemands avant  Marx  (Bruno Bauer, Heinrich Heine, Moses Hess), mais qu’elle correspond à une étape de son itinéraire (1844), quand il n’était pas encore « marxiste » c’est-à-dire n’avait pas encore formulé la méthode matérialiste historique. Contrairement aux philosophes des Lumières, Marx ne pense pas que la religion soit une conspiration cléricale,  mais tente de l’analyser comme forme d’aliénation humaine, de dépossession de soi au profit de puissances prétendument autonomes. Mais s’il est vrai que pour Marx en 1844, « la critique de la religion est la condition de toute critique », il me semble tout de même excessif d’affirmer,  comme le fait l’auteur, que « la religion est la grande affaire de Marx », un sujet qui n’aurait cessé de l’obséder toute sa vie.

    En fait, Marx a très peu écrit sur la religion après 1846 et, dans L’Idéologie Allemande qui a été écrite à ce moment, il l’analyse comme une forme parmi d’autres (morale, droit, etc.) de l’idéologie. A moins de considérer, comme  semble le suggérer Birnbaum, le fétichisme de la marchandise comme une forme de religion capitaliste… C’est une hypothèse que l’on peut considérer, mais elle nous éloigne beaucoup des religions au sens traditionnel du terme, telles qu’elles sont discutées dans le reste du livre (notamment l’islam).

    Curieusement,  Birnbaum ne mentionne pas les travaux d’Engels, notamment son livre sur La Guerre des Paysans (1850), qui contient une analyse profonde de la théologie révolutionnaire de Thomas Münzer, le  dirigeant anabaptiste des paysans allemands insurgés du 16e siècle. Non seulement Marx et Engels, mais aussi plusieurs marxistes, comme Rosa Luxemburg ou Gramsci, ont reconnu le potentiel protestataire ou utopique de la religion. La théologie de la libération confirme cette supposition, et la gauche n’a pas manqué de s’allier avec ce courant chrétien en Amérique Latine. Qu’en est-il de l’islam ?

    Chris Harman, un théoricien du SWP, la principale organisation d’extrême gauche en Grande-Bretagne, a proposé dans son livre Le prophète et le prolétariat (1994) des alliances éventuelles avec « l’utopie petite-bourgeoise » islamiste : une pente savonneuse et un compagnonnage périlleux,  estime Birnbaum. Plus intéressante à ses yeux fut la tentative du Nouveau parti anticapitaliste de porter un discours de gauche universaliste, au cœur de populations d’origine immigrée souvent attachées à des valeurs religieuses. Olivier Besancenot a joué un rôle déterminant dans cette entreprise.  Mais la décision d’un comité local (Avignon) de présenter comme candidate du parti aux élections une jeune femme musulmane voilée a provoqué une crise violente et le départ de nombreux adhérents.

    Bref,  le NPA a été la seule organisation  de la gauche radicale à oser plonger dans le bain de la religion mais,  estime Birnbaum... elle en a coulé. On peut ne pas partager cette conclusion, mais l’analyse de Birnbaum mérite d’être discutée.

    Jumelles mais irréconciliables

    Après une comparaison (un peu forcée il me semble) entre les djihadistes et les volontaires des brigades internationales en Espagne,  Birnbaum conclut que le socialisme et l’islamisme sont deux visions du monde jumelles mais irréconciliables : le renforcement de l’une ne peut se faire qu’au détriment de l’autre. Cette hypothèse est difficilement niable, mais l’auteur nous propose un argument plus général, au sujet du rapport entre foi religieuse et luttes émancipatrices : si la révolution s’absente, si les perspectives d’émancipation sociale reculent, alors la religion occupe la place.

    Cette formule me paraît discutable, et ne rend pas compte de ce qui s’est passé en Amérique Latine avec la théologie de la libération. Dans cette région du monde, c’est la révolution – concrètement la révolution cubaine de 1959-1961 – qui a donné l’impulsion pour l’essor, dès 1960 au Brésil et plus tard dans le reste du continent, d’un  « christianisme de la libération » qui a joué un rôle déterminant dans la révolution sandiniste au Nicaragua (1979)  et dans le combat révolutionnaire du Front Farabundo Marti de libération nationale au Salvador.

    Birnbaum cite la théologie de la libération mais de façon très sommaire, sans doute parce que son intérêt se porte surtout sur la gauche française. En fait, c’est un exemple à grande échelle qui ne confirme  pas son hypothèse d’une opposition de principe entre révolution et religion.

    En tout cas, cet ouvrage incisif, stimulant et tonique ne manquera pas de susciter des débats intéressants.

    Michael Löwy 

     

  • L’islam, cette si commode grille d’analyse du monde musulman (Orient 21)

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    À propos de « Un silence religieux. La gauche face au djihadisme », de Jean Birnbaum

    Un silence religieux. La gauche face au djihadisme, le livre de Jean Birnbaum a été largement couvert par les médias, qui ont amplement repris ses thèses. Pourtant, un tel ouvrage mérite un vrai débat qui n’a pas encore eu lieu.

    En France, tout commence et se termine avec l’Algérie quand il s’agit de l’islam. Les relations tourmentées de l’Hexagone avec ce pays et plus de cent trente ans de colonisation ont marqué l’Histoire, la politique, la culture, les idées de la métropole. Et pourtant régulièrement, au hasard de l’actualité, on «  redécouvre  » la solidité de ce lien que les livres d’histoire scolaire limitent au seul fait colonial. Celui-ci, loin d’être une «  affaire étrangère  » a été au centre de la vie politique de la IIIe et de la IVe République, de ses déchirements et de ses soubresauts  ; il a profondément marqué la vie intellectuelle, et la vision de l’islam. En un mot, il est inscrit dans le tissu même de l’Histoire nationale.

    Cette dimension est à la fois absente et présente du livre de Jean Birnbaum, Un silence religieux. La gauche face au djihadisme1, qui évoque la difficulté de la gauche à penser la religion. Absente, parce que les mots «  colonie  » et «  colons  » ne sont utilisés qu’une seule fois. Présente, puisque un chapitre capital pour illustrer son propos est consacré à «  la génération FLN  » (Front de libération nationale), ces Français qui se sont mobilisés pour l’indépendance de l’Algérie et qui sont arrivés aux affaires dans les années 1980. Pour résumer le propos de l’auteur, ils n’ont pas perçu la dimension religieuse de l’insurrection de 1954 :

    Ce que la gauche avait sous-estimé, une fois de plus, c’est la force autonome des représentations religieuses et de la foi. Elle n’avait pas pris conscience que partout dans le pays, chez les paysans mais aussi chez beaucoup d’instituteurs, la formation coranique constituait depuis longtemps «  un socle inexpugnable  ».

    D’où leurs désillusions.

    La revanche de Marx

    Passons sur l’idée sous-jacente que «  la génération FLN  » serait aux affaires et rappelons que ceux qui se sont opposés à la guerre en Algérie ont, presque jusqu’au bout, été une minorité. Ils n’ont été, pendant toutes les premières années de cette guerre sans nom, qu’une petite poignée, ceux que l’on a appelé les «  porteurs de valises  ». Il est vrai qu’ils sont souvent passés à côté de la dimension musulmane de l’insurrection du 1er novembre 1954. C’est pourtant celle-ci qui, selon Birnbaum, expliquerait son échec ou en tous les cas le fait qu’elle n’ait pas répondu à l’idéal projeté sur elle.

    Là où les indépendances des anciennes colonies étaient censées émanciper les opprimés des anciens préjugés, elle a souvent conduit, en réalité, au retour de forces qui en appellent à un héritage religieux millénaire.

    Vraiment  ? En Chine ou au Vietnam, en Afrique du Sud ou au Mexique, est-ce l’héritage religieux qui a triomphé, ou la prégnance des structures «  traditionnelles  », pas forcément liées à la religion  ? Quand on étudie les mouvements de libération nationaux qui se soulevaient à travers les cinq continents dans les années 1950-1970, leur programme était généralement truffé de mots d’ordre révolutionnaires, et écrit dans la langue — presque universelle à l’époque — du marxisme. Le fond de l’air était rouge. Ces mouvements se réclamaient du prolétariat international et du socialisme. Le Parti congolais du travail se référait au marxisme-léninisme le plus orthodoxe, tout comme le Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA) et le Parti socialiste yéménite prétendait construire «  le socialisme scientifique  » dans un des pays les plus pauvres de la planète. Partout on scandait des slogans internationalistes, on hissait le drapeau rouge, «  rouge du sang de l’ouvrier  », on brandissait les portraits de Karl Marx, Friedrich Engels, Vladimir Ilitch Lénine, voire de Joseph Staline et de Mao Zedong. À quoi donc est dû l’échec de ces expériences tiers-mondistes  ? À la religion  ?

    Ne faut-il pas lire dans ces déboires, plus simplement, la revanche de Marx qui affirmait le caractère premier, dans l’évolution des sociétés, de «  l’infrastructure  » — c’est-à-dire des rapports de production économique, des «  forces productives  » — par rapport aux superstructures (politiques, idéologiques). Pouvait-on bâtir une société «  avancée  » en sautant les étapes du développement, ou le socialisme ne pouvait-il être enfanté que lorsque le capitalisme serait arrivé au bout de sa mondialisation, de ses contradictions  ? On peut également y voir le résultat d’un héritage colonial partagé, le poids de la guerre froide, le modèle du parti unique vu comme un facteur essentiel du développement. Et peut-on aborder la place du facteur musulman aujourd’hui sans revenir sur l’intervention soviétique en Afghanistan et son exploitation par les États-Unis qui ont jeté les bases de ce qui deviendra par la suite Al-Qaida  ?

    Une controverse que Birnbaum n’évoque pas avait agité les «  porteurs de valises  ». Avec Francis Jeanson2, un certain nombre d’entre eux, désespérant de la révolution en Europe, voyait dans l’Algérie l’avenir — y compris celui de la France. Plus réaliste, sans doute parce qu’il avait grandi en Égypte et qu’il connaissait mieux les sociétés concernées, le militant communiste et anticolonialiste Henri Curiel expliquait qu’une révolution faite pour l’essentiel par les masses paysannes ne pourrait constituer un modèle pour le monde développé. Faut-il expliquer les échecs du «  modèle algérien  » par l’islam, ou par le caractère profondément traditionnel de la société, renforcé paradoxalement par sa déstructuration barbare et les cent trente ans de «  civilisation  » qui ont favorisé le renforcement de ce qui était perçu par les Algériens comme la tradition, une tradition qui leur permettait de résister à la volonté étrangère de les déraciner  ?

    D’autres facteurs ont contribué aux échecs du tiers-monde, de la persistance de la domination économique du Nord aux interventions occidentales multiples contre les pays nouvellement indépendants  ; contre le président égyptien Gamal Abdel Nasser  ; contre les mouvements de libération de l’Afrique australe — y compris le Congrès national africain (African National Congress, ANC) de Nelson Mandela, qualifiés de «  terroristes  » par Margaret Thatcher ou Ronald Reagan. Ces causes ne sont jamais même évoquées par l’auteur qui préfère se cantonner dans le ciel de la philosophie, des idées pures, loin de la réalité un peu sordide de la politique et de l’économie.

    Le «  modèle algérien  »

    L’avenir algérien n’était sûrement pas écrit dans «  le grand rouleau  » du déterminisme auquel croyait Jacques le Fataliste dans le dialogue philosophique de Denis Diderot, ni dans le Coran. Il n’était pas fixé au lendemain de la seconde guerre mondiale. Des massacres de Sétif, Guelma et Kherrata, le 8 mai 1945 à la politique de la terre brûlée coloniale, les autorités françaises ont poussé à la militarisation de la révolte pour laquelle l’Algérie continue de payer un lourd tribut car elle a facilité la victoire, au sein du Front de libération nationale (FLN), des tendances les plus militaristes et les plus autoritaires au détriment des politiques. Et si l’on évoque l’islam, il faudrait rappeler que la version dominante de l’islam en Algérie en 1954 différait largement de celle qui s’est imposée dans les années 1980 ou 1990. À l’époque, nombre de villages algériens n’avaient pas de mosquée et le jeûne du mois de ramadan était bien moins respecté qu’aujourd’hui. Il n’existe pas «  un  » islam, mais des lectures de textes en principe immuables, cependant toujours interprétés par des êtres humains rarement d’accord entre eux sur le sens véritable de la parole divine. Et qui justifient des pratiques bien différentes d’un bout à l’autre de ce que l’on appelle le monde musulman.

    Quant à la question des femmes, elle se posait ailleurs dans les mêmes termes qu’en Algérie, sans que l’islam ait grand chose à y voir. Alors que le Front populaire de libération de l’Érythrée (FPLE), organisation marxiste-léniniste mâtinée de maoïsme comptait un grand nombre de combattantes, la victoire a débouché sur une relégation des femmes3. On pourrait de plus évoquer les guérillas latino-américaines dont les directions étaient influencées par un mélange de machisme et de patriarcat, mêlés à un catholicisme hostile au droit à l’avortement. La mise à l’écart des femmes — voire leur traitement comme objets sexuels — n’est le monopole ni de l’islam, ni de la religion, ainsi que l’ont prouvé les viols de masse comme arme de guerre, par exemple en Bosnie ou au Congo. Un récent sondage Ipsos (décembre 2015) sur la «  culture du viol  » en France devrait «  nous  » amener à une certaine modestie.

    Il ne faut bien sûr pas sous-estimer le rôle de l’islam en Algérie. Comme le souligne la sociologue trop peu connue Monique Gadant, citée par Jean Birnbaum, l’islam était aussi un moyen d’affirmer une identité propre, de rompre avec cent trente ans de mépris et d’oppression.

    Pour les chefs de la rébellion, cette insistance sur le renouveau islamique est une manière de rompre avec la France, avec sa domination et son projet d’assimilation, qui implique la négation constante de la culture algérienne, à commencer par son héritage spirituel.

    L’islam de toutes les résistances

    Pouvait-il en être autrement  ? L’islam avait été au cœur de toutes les résistances au Maghreb et au Proche-Orient, ce qui explique également son enracinement, lequel choquait Guy de Maupassant en 1883, dans son récit intitulé «  La province d’Alger  » : «  Ceux-là des Arabes qu’on croyait civilisés, qui se montrent en temps ordinaire disposés à accepter nos mœurs, à partager nos idées, à seconder notre action, redeviennent tout à coup, dès le Ramadan, sauvagement fanatiques et stupidement fervents  »4.

    Les interprétations de l’islam, il faut le répéter, ont souvent été contradictoires, y compris sur le plan social. «  Il y a l’islam des pauvres et l’islam des riches  », disait le président algérien Houari Boumediene. Ou, comme l’expliquait l’ancien président burkinabé Thomas Sankara : «  La Bible et le Coran ne peuvent pas servir de la même manière celui qui exploite le peuple et celui qui est exploité5.  » Pourtant la volonté d’indépendance s’exprimait non seulement dans le domaine politique mais également dans celui de la culture, dans le refus de copier un modèle occidental se présentant à la fois comme universel et «  unique  », niant sa propre dimension oppressive à l’égard d’aspirations progressistes venant d’autres cultures. Il s’agissait non pas de «  désacraliser le pouvoir profane  », comme l’écrit Birnbaum, mais de désacraliser l’universalisme européen pour construire les conditions d’idéaux bâtis et inventés en commun. Et c’est l’angle mort de cet ouvrage de n’interroger jamais cet «  universalisme  » qui a couvert, à nombre reprises, les pires crimes, des entreprises coloniales à la volonté de démocratiser l’Irak.

    Une dernière remarque sur le chapitre algérien. Oui, les militants furent naïfs, comme ils le sont parfois, ils furent néanmoins du bon côté de l’Histoire. Et s’ils se sont trop enthousiasmés, ce n’était pas parce qu’ils manquaient de clairvoyance face à l’islam — ou alors il faudrait expliquer pourquoi ils le furent pour d’autres causes, comme Cuba ou le Vietnam.

    Revenons au propos central de Birnbaum : l’incapacité de la gauche à prendre la religion au sérieux. Je partage ce point de vue, en revanche pas la manière dont le débat est présenté. Tout d’abord, et contrairement à ce qu’il semble croire, la pensée de Marx ne s’est pas fixée avec les Thèses sur Feuerbach (1844). Toute son oeuvre montre l’intérêt qu’il accordait à l’idéologie et à sa relative autonomie par rapport aux structures économiques. Il suffit de lire Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte pour se convaincre de cette complexité de la pensée marxiste, qui ne se réduisait pas à un déterminisme économique.

    Essentialisation des sociétés musulmanes

    D’autre part, à aucun moment ne sont définis ni la gauche ni l’islam, encore moins l’islamisme. Est-il vraiment possible de mettre dans le même sac des mouvements comme le Hezbollah ou le Hamas, qui s’inscrivent dans une logique nationale, et l’organisation de l’État islamique (OEI)  ? Oui, Al-Azhar, l’institution religieuse qui appuie le pouvoir du président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi (allié de la France, rappelons-le) est une organisation très conservatrice. Pour l’auteur, ses prises de positions sont «  un énième indice de la difficulté qu’il y a à tracer une frontière nette entre islam et islamisme  ». Seulement Al-Azhar représente-t-il l’islam  ? Il faudrait faire le lien entre les régimes dictatoriaux dans le monde arabe et la lecture de l’islam plus que conservatrice qui s’est imposée à partir des années 1970. Durant les années de révolte en Égypte après 2011 et avant le coup d’État du 3 juillet 2013, de vifs débats ont eu lieu sur la religion, sa place, et même sur l’athéisme. Ils ont conduit à de véritables affrontements au sein d’Al-Azhar parmi les religieux, confirmant que la démocratie est le seul cadre qui permette de combattre les idées réactionnaires. Toutefois, cette institution a été reprise en main par le pouvoir qui l’utilise à son seul profit, et sûrement pas pour imposer une vision ouverte de l’islam.

    Enfin — et l’on touche là à une autre limite du propos de l’auteur — l’islam ne détermine qu’une petite partie de la vie des musulmans à travers le monde : ni les entreprises, ni les écoles (même s’il y a des cours de religion), ni l’armée, ni la culture ne fonctionnent selon des «  lois islamiques  ». Et s’il est souvent affirmé dans les Constitutions que la charia est une des sources, voire la source principale de la législation, cela a peu de conséquences pratiques en dehors du domaine, très important, des statuts personnels. Il faudrait d’ailleurs rappeler que la charia n’est pas un code juridique défini, étant lui aussi soumis à des interprétations multiples et le principe du «  doute  » dans la justice y joue un rôle majeur6.

    En un mot, il ne faut pas «  surislamiser  » les sociétés musulmanes, les réduire à la religion. Et la comparaison entre la situation des femmes en Inde et au Pakistan devrait amener à dépasser le clivage musulmans/non musulmans, pour réfléchir sur le patriarcat.

    Le débat dans la gauche et chez les marxistes concernant la religion ne date pas d’hier. S’il resurgit, c’est à cause de l’islam, le christianisme s’étant acclimaté — sous des formes très différentes d’un pays à l’autre — à nos contrées européennes laïcisées. Birnbaum s’interroge sur l’autonomie de la religion par rapport aux racines sociales, qu’il voit comme une preuve de l’incapacité de la gauche à penser le problème.

    Ce qui devrait nous étonner, ou nous préoccuper, ce n’est pas que l’islamisme armé ait des racines sociales, c’est bien plutôt qu’il manifeste une remarquable autonomie par rapport à elles.

    L’auteur cite, à l’appui de son propos, l’immense diversité des protagonistes de l’islamisme, notamment des ingénieurs ou des gens issus de couches favorisées, pas forcément des gens opprimés ou frustrés. Néanmoins cette diversité, quel mouvement contestataire d’ampleur mondiale ne l’a pas connue  ? Faut-il rappeler le rôle de nombre d’intellectuels, voire de «  bourgeois  » et d’aristocrates, dans les grands mouvements anarchistes, socialistes ou communistes, de Jean Jaurès à Lénine, de Pierre Kroptokine à Fidel Castro  ? Et la dimension communautaire de l’islam qui fascine Birnbaum est-elle vraiment réservée aux islamistes  ? On la retrouvait par exemple chez les commis voyageurs de l’Internationale communiste dans les années 1920, eux aussi étaient «  frères en…  » pour reprendre la formule de Régis Debray.

    En quoi «  l’autonomie de la religion  » par rapport aux enjeux sociaux est-elle plus importante que celle d’autres idéologies  ? Birnbaum ne répond pas à la question, et il sous-estime totalement les réflexions de Marx qui avait bien mis en lumière l’autonomie des idéologies par rapport aux infrastructures. Dans ses cahiers pour préparer Le Capital et dans ce dernier ouvrage (le livre I), il affirme de plus en plus que son travail concerne l’Europe et que l’Inde, la Chine ou même la Russie doivent être étudiées de manière spécifique car leur histoire ne rentre pas dans le cadre des «  stades successifs  » de développement : sociétés primitives, esclavagisme, féodalisme, capitalisme. Il introduit le mode de production asiatique et revient de manière positive sur les formes de propriété communale qui se sont maintenues dans ce pays (et également en Russie).7

    «  L’opium du peuple  »

    L’époque a changé et le débat se pose en termes nouveaux. Le surgissement de mouvements religieux dans l’aire musulmane soulève des défis inédits. Les réponses à y apporter ne sont pas simples et il est vrai que la gauche, «  modérés  » et «  radicaux  » confondus, a du mal à s’y retrouver. Mais peut-on vraiment écrire que la gauche observe un «  silence religieux  » sur l’islam  ? N’est-ce pas, au contraire, l’hostilité à cette religion qui a accompagné depuis quelques décennies la crise des idéaux socialistes et des mouvements nationalistes  ? Depuis quarante ans, combien de couvertures de magazines, de journaux ont prétendu qu’on ne pouvait rien dire sur l’islam, que le sujet était tabou8  ? Combien d’articles sont consacrés à dénoncer «  ce silence religieux  »  ?

    Certes, après les attaques de janvier ou de novembre 2015, la plupart des politiques ont fait mine de s’en tenir à un discours «  modéré  », si l’on excepte, et ce n’est pas rien, Manuel Valls et sa guerre contre «  l’islamo-fascisme  » — cela tenait toutefois à des considérations tactiques. La droite n’adopta pas une position très différente. Cependant le sous-texte, le discours des médias dominants repris en boucle, celui de nombre d’intellectuels, notamment de gauche, désignait «  l’islamisme  » — un concept fourre-tout qui va des Frères musulmans à Al-Qaida — et plus ou moins explicitement l’islam, dont on n’arrête pas de répéter qu’il doit «  se réformer  », comme l’ennemi de «  notre mode de vie  ». Les responsables des attentats n’étaient-ils pas ceux qui voulaient nous empêcher de critiquer les religions ou de boire de l’alcool à la terrasse des cafés  ? Et pour corriger son premier ministre qui avait parlé de «  guerre des civilisations  », le président français a préféré dire que nous étions dans un combat pour la civilisation  ; la différence entre les deux formulations étant que Valls considère nos ennemis comme faisant partie d’une autre civilisation et François Hollande comme purement et simplement des barbares.

    Le manque de vision de la gauche à l’égard de la religion aurait créé une indulgence coupable à l’égard de l’islam, prétend Birnbaum. Abordant le débat soulevé par la fameuse candidate voilée présentée par le Nouveau parti anticapitaliste (NPA) aux élections régionales de 2010, il écrit que ceux qui ne faisaient pas la différence entre le foulard et le string étaient «  représentatifs d’une large partie de la gauche  »  ! Quand on sait que la gauche intellectuelle et syndicale enseignante a été à l’avant-garde de l’exclusion des filles voilées de l’école — et plus largement de leur marginalisation dans la société — on reste étonné par une telle approximation de l’auteur qui affirme par ailleurs que

    lorsque l’islamisme s’est imposé dans le paysage politique international nombreux ont été les militants tentés par une alliance, fût-elle ponctuelle, avec le diable. Le pieux espoir de pouvoir les éliminer par les cornes…

    Or, seuls de tout petits groupes ont réellement adhéré à cette thèse (l’auteur cite longuement Chris Harman, l’un des théoriciens du Socialist Workers Party britannique dont l’influence en France est proche de zéro). On pourrait dire que la gauche parle de plus en plus de religion depuis qu’elle a découvert ce nouvel adversaire, l’islam, plus facile à combattre que le chômage ou les inégalités, sans parler de la lutte contre la domination de la finance qu’elle dénonçait naguère.

    Birnbaum ajoute :

    On sait ce qu’il en est advenu (de cette alliance). Partout où l’islamisme a triomphé, il n’est plus rien resté de la gauche, de toutes les gauches, réformistes ou révolutionnaires.

    Mais où, en dehors de l’Iran, l’islamisme a-t-il triomphé  ? On pourrait citer le Soudan ou le Pakistan des années 1978 à 1988 de Muhammad Zia Ul-Haq, toutefois la gauche s’est opposée à ces dictatures soutenues par l’Occident. L’auteur en conclut qu’il vaut mieux militer dans les démocraties bourgeoises que sous une dictature islamiste. Pourtant dans le monde arabe, ceux qui ont écrasé la gauche ne sont pas les islamistes mais bien les pouvoirs autoritaires soi-disant «  laïcs  ».

    Faut-il pour autant éviter d’examiner le corpus musulman et son contenu  ? Non, à condition une fois de plus de ne pas essentialiser les musulmans en les résumant à leur seule religion, de ne pas réduire la vie politique, sociale, culturelle, son extraordinaire diversité à un concept comme «  islam  ». Il est plus fécond, quand on évoque les mouvements islamistes, de sortir de la grille d’analyse purement religieuse pour tenter des comparaisons qui font sens. Dans un article publié en janvier 20009, le professeur américain Dan Tschirgi dressait un parallèle entre l’insurrection des Gamaa islamiyya (groupes islamiques) en Égypte et le mouvement zapatiste : entre les modèles étatiques mexicain et égyptien  ; entre les régions abandonnées de la Haute-Égypte et du Chiapas  ; entre la place du religieux et du sacré. «  Parallèle  » ne veut pas dire, loin de là, équivalence…

    Pour un nouvel internationalisme

    Revenons, en conclusion, sur le début de l’ouvrage et sa critique du diktat qui s’exercerait en France : «  Tout cela (actions violentes, organisation de l’État islamique, etc.) n’a rien à voir avec l’islam.  » Outre le fait, comme nous l’avons dit plus haut, que la responsabilité de l’islam est sans cesse soulignée par une majorité d’intellectuels et de médias, Jean Birnbaum énonce une évidence : tous ces mouvements ou actions se font au nom de l’islam. Quelles conclusions en tire-t-on  ? Que dirait-on si cette formule était appliquée au marxisme  ? Est-ce que les Brigades rouges italiennes, l’Armée rouge japonaise, la bande à Baader, Pol Pot et les Khmers rouges, le Sentier lumineux au Pérou avaient à voir avec le marxisme  ? Ils se référaient tous à Marx, est-ce que cela nous apprend quelque chose de vraiment essentiel sur ces mouvements  ? Ou cela confirme-t-il simplement que le langage dominant de l’époque était le marxisme et que tout le monde s’y référait  ? Aujourd’hui, souvent, et pas seulement dans l’aire musulmane, la radicalisation se fait au nom de l’islam. Assiste-t-on à une «  radicalisation de l’islam  » ou, comme l’écrit le sociologue Alain Bertho10, à une «  islamisation de la radicalité  », formule reprise par Olivier Roy et fortement vilipendée par Gilles Kepel  ?

    Birnbaum croit voir dans la «  conversion  » de certains leaders de la gauche de Mai 1968 que «  les impasses de la révolution débouchent directement sur la quête d’une rédemption. Pourquoi la politique retourne-t-elle toujours au spirituel, faute de pouvoir l’évacuer, après l’avoir singé  ?  » Mais qui sont les ouailles de Benny Lévy converti au judaïsme orthodoxe en France  ? Et Alain Badiou, s’il écrit sur Saint-Paul11, a-t-il pour autant trouvé son chemin de Damas  ? Peut-être aurait-il été intéressant d’explorer le reniement par nombre de femmes et d’hommes de gauche de leurs convictions, par leur adhésion à la formule de François Furet, que Birnbaum reprend à son compte : «  Nous voici condamnés à vivre dans le monde où nous vivons.  » N’est-ce pas le renoncement à toute utopie, principalement celle de l’égalité et de la défense des opprimés, qui explique ce retour du religieux  ?

    «  L’islam apparaît désormais, conclut Birnbaum, comme la seule puissance spirituelle dont l’universalisme surclasse l’internationalisme de la gauche sociale et défie l’hégémonie du capitalisme mondial.   » Faux, cet islam-là, dans ses tendances dominantes, ne défie pas l’hégémonie du capitalisme mondial, il accepte au contraire ses règles. Il est devenu souvent un «  islam de marché  ». C’est là que réside la chance de la gauche de se refonder en restant fidèle aux valeurs qui ont fait un temps sa force, tout en comprenant que le monde a changé, que le socialisme rêvé au temps de la grande industrie n’est plus une solution, et enfin que l’universel occidental est moribond et qu’il faut inventer de nouvelles formes d’internationalisme. Un internationalisme qui incorpore la richesses des résistances à travers la planète, quelles que soient leurs étiquettes, contre toutes les dominations, contre toutes les dictatures, qu’elles soient théocratiques, athées... ou laïques.

    Alain Gresh 30 mars 2016
     

     

  • Le Capital contre l'Islam (Algerie-Info)

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    L’adjonction de l’Islam et du lexique islamique au vocabulaire marchand s’est accélérée ces dernières années. Nous avons vu l’apparition de produits comme les sodas, les agences de voyages, les fast-foods, les assurances, les vêtements, avec des marques de streetwear « islamiques », les banques, les bonbons, tous estampillés du sceaux de l’Islam. On a même vu de l’eau estampée « halal » et agréé par telle ou telle mosquée.

    Par Abdelaziz Chaambi, Nadjib Achour, Youssef Girard,  juillet 2012

    Ces temples dédiés à la consommation que sont les grandes surfaces possèdent bien souvent un rayon « halal » pour attirer le consommateur musulman.

    Le mois de ramadan, est l’occasion pour ces sanctuaires du marché d’organiser des semaines « spéciales », alliant un folklore orientaliste à une « islamité » consumériste et superficielle, permettant de dégager des profits subsidiaires. Tout devient prétexte à un démarchage «islamique».

    L’Islam est ainsi transformé en argument publicitaire et s’apparente à un produit, une griffe, donnant une valeur ajoutée à des produits de consommation. Intégré par la civilisation capitaliste dans sa logique marchande, l’Islam est utilisé pour créer de nouveaux marchés et attirer une nouvelle clientèle puisqu’il est dans la logique du capital de générer sans cesse de nouveaux « besoins ».

    Cette utilisation de l’Islam comme un « argument publicitaire » permettant de promouvoir un produit et de lui donner une plus value, pose le problème de la réification, telle que le philosophe hongrois Georg Lukacs l’a expliqué dans Histoire et conscience de classe, c’est-à-dire la transformation, par le capitalisme, de tous les rapports sociaux et de toutes les formes culturelles en choses et en rapports « chosifiés » ce que Karl Marx appelait le « fétichisme inhérent au monde marchand ».

    Ainsi, le capitalisme transforme les Hommes, et les rapports entre les Hommes, les cultures, les spiritualités en marchandise. Pour Georg Lukacs, toutes les relations et toutes les pensées dans la civilisation capitaliste deviennent inéluctablement des rapports marchands.

    Par ces rapports marchands, les Hommes, les cultures et les spiritualités, dans notre cas l’Islam, sont intégrés à la dynamique du capitalisme. Les Hommes, les cultures et les spiritualités sont asservies à l’idéologie de la marchandise et c’est pourquoi il devient facile de convaincre les individus de consommer.

    La création d’une gamme de produits estampillés « islamiques » permet au marché de trouver de nouveaux débouchés et au capital d’étendre sa sphère de contrôle participant ainsi à la réification de l’Islam qui devient un argument commercial. Ainsi, lorsque les capitalistes parlent de la vie, des Hommes, des cultures ou des spiritualités, et dans notre cas d’Islam, c’est un euphémisme pour évoquer le marché.

    Ce matérialisme, bassement consumériste, inhérent à la civilisation capitaliste, et aux logiques qui la sous-tendent, ne peut aboutir qu’à la dissolution de toutes formes de spiritualité. De l’Islam ne sont préservés qu’une forme purement juridique et les aspects formels, au détriment de sa dynamique spirituelle dont les effets directs sont la transformation de l’Homme et de la société.

    La civilisation capitaliste se définissant par une dynamique d’accumulation par dépossession, ne peut que s’étendre à l’ensemble du globe et à tous les secteurs de l’existence humaine en détruisant tout ce qui risque d’entraver la logique du capital comme les spiritualités et les cultures non-marchandes.

    Décrivant ce système Georg Lukacs écrivait « que l’évolution du capitalisme moderne ne transforme pas seulement les rapports de production selon ses besoins, mais intègre aussi dans l’ensemble de son système les formes du capitalisme primitif qui, dans les société capitalistes, menaient une existence isolée et séparée de la production, et en fait des membres du processus désormais unifié de capitalisation radicale de toute la société […].

    Ces formes du capital sont certes objectivement soumises au processus vital propre au capital, à l’extorsion de la plus-value dans la production même ; elles ne peuvent donc être comprises qu’à partir de l’essence du capitalisme industriel, mais elles apparaissent, dans la conscience de l’homme de la société bourgeoise, comme les formes pures, authentiques et non falsifiées du capital.

    Précisément parce qu’en elles les relations, cachées dans la relation marchande immédiate, des hommes entre eux et avec les objets réels destinés à la satisfaction réelle de leurs besoins, s’estompent jusqu’à devenir complètement imperceptibles et inconnaissables, elles doivent nécessairement devenir pour la conscience réifiée les véritables représentantes de sa vie sociale » [1] .

    Par ce processus de réification, le capital prend le pas sur les impératifs humains, culturels et spirituels non-marchands. Dans cette logique, l’Islam doit être transformé en une valeur marchande quantifiable. L’Islam est soumis au règne de la marchandise qui asservit l’Homme en le rendant étranger à lui même.

    Au sein de la civilisation capitaliste, la marchandise, et donc cet « Islam » qui a été transformé en objet marchand, ne vaut que par l’argent. L’argent est l’équivalent général qui voile la nature réelle des échanges auxquels il est utile. Dans la civilisation capitaliste, la loi suprême est celle du profit, légitimée par une anthropologie faisant de l’individu, l’Homo oeconomicus, un être visant uniquement son intérêt personnel.

    La soumission progressive de tous les aspects de la vie humaine aux exigences de cette logique du capital déstructure les rapports humains, le lien social. Elle produit une civilisation purement marchande. Dans cette civilisation, les Hommes ne sont plus perçus qu’au travers de données statistiques, quantifiables et économiques, comme leurs pouvoirs d’achat, leurs capacités à engendrer du profit et leurs aptitudes à produire, à travailler et à consommer.

    Comme l’écrivait Karl Marx dans cette civilisation « l’homme n’est plus rien »[2] .

    Cette civilisation capitaliste tend à créer un monde sans « extérieur » oùtout est soumis au capital. A ce propos, Georg Lukacs écrivait que « les « lois naturelles » de la production capitaliste ont embrassé l’ensemble des manifestations vitales de la société et que - pour la première fois dans l’histoire - toute la société est soumise (ou tend au moins à être soumise) à un processus économique formant une unité, que le destin de tous les membres de la société est mû par des lois formant une unité»[3] .

    Selon le philosophe hongrois, « le monde réifié apparaît désormais de manière définitive - et s’exprime philosophiquement, à la seconde puissance, dans l’éclairage « critique » - comme le seul monde possible, le seul qui soit conceptuellement saisissable et compréhensible et qui soit donné à nous, les hommes »[4] .

    Face à cette civilisation capitaliste sans « extérieur » Georg Lukacs pensait qu’une modification radicale du point de vue était possible sur le terrain de la société bourgeoise. Dans le cas qui nous intéresse, comment est-il possible de lutter radicalement, c’est-à-dire en prenant le problème à la racine, contre la réification de l’Islam, contre sa transformation en valeur marchande ?

    NOTES

    [1] Lukacs Georg, Histoire et conscience de la classe,Ed. de Minuit, Paris, 1960, page 94

    [2] Marx Karl, Misère de la Philosophie, Ed. Costes, Paris, 1950, page 57

    [3] Lukacs Georg, Histoire et conscience de la classe,op. cit., page 93

    [4] Ibid., page 107

    Publié dans Oumma.com

     

      2ème partie

     

    « Sous le règne de la marchandise, produit par la civilisation capitaliste, le despote ne prend pas forcément l’apparence d’un individu mais plutôt celui d’un système global dans lequel «l’homme n’est plus rien » pour reprendre les mots de Karl Marx.

    De fait, pour réduire a néant cette profession de foi potentiellement libératrice, la civilisation capitaliste s’attache à intégrer à son système réificateur l’Islam comme toutes les autres formes de cultures non-marchandes qui pourraient réduire ou contester son emprise totale sur la vie des Hommes et des sociétés".

    Mettant en garde contre l’argent, le prophète Mohammed (PSL) affirmait dans un hadith: « Pour toute communauté il y a une fitna et celle de ma communauté c’est l’argent » .

     Contre la civilisation capitaliste qui réduit l’Homme à l’état de marchandise, l’intellectuel iranien Ali Shariati expliquait

    qu’« une des mission de Mohammed consiste donc à arracher l’homme de la terre, de cette vie de porc, d’animal, d’individualiste pour le faire évoluer vers Dieu »[1]  .

     Cette mission de faire évoluer l’Homme vers Dieu, le Prophète de l’Islam la réalisa en transmettant le message de l’unicité divine, at-tawhid  contre l’idolâtrie et le fétichisme qui régnaient à l’époque dans la péninsule arabique. L’appel à l’unicité divine reposait sur la négation de la divinité aux idoles de l’époque, tel que Houbal, Uzza, Allat ou Manat, pour ne vouer un culte exclusif qu’à Allah.

     De même, avant Mohammed (PSL), les prophètes et les messagers d’Allah (ST) luttèrent contre l’idolâtrie et le fétichisme régnant dans leur société respective au nom du Tawhid Allah dans le Coran nous dit : 

    « Nous avons envoyé dans chaque communauté un messager [pour leur dire] : « Adorez Allah et écartez-vous du Taghout » »[2]  ; « et Nous n’avons envoyé avant toi aucun Messager à qui nous n’ayons révélé : « Point de divinité en dehors de Moi. Adorez-Moi donc »[3]  

    Le prophète Nouh dénonça les idoles Wadd, Sawa, Yaghut, Ya’uq et Nasr[4]   et annonce à son peuple : « Je suis pour vous un avertisseur explicite afin que vous n’adoriez qu’Allah. Je crains pour vous le châtiment d’un jour douloureux »[5]  . Le prophète Ibrahim brisa les idoles qu’adorait son peuple pour l’appeler au tawhid  . Il affirma : « Je désavoue totalement ce que vous adorez, à l’exception de Celui qui m’a créé, car c’est lui qui me guidera »[6]  . Dans le Sinaï, le prophète Moussa combattit les adorateurs du Veau d’Or au nom du Tawhid .

     Le  tawhid repose en Islam sur la profession de foi : « La ilaha illa Allah » [Il n’y a point de divinité à part Allah]. Cette profession de foi commence par une négation de toutes les idoles et de tous les fétiches en dehors d’Allah.

     Une négation de tous les pouvoirs afin de libérer l’Homme des oppressions sociales pour le lier à Allah. En ce sens l’Islam contient un message profondément libérateur puisqu’il tend à affranchir les Hommes de leurs semblables et des forces sociales oppressives pour lier l’Homme uniquement et directement à Allah.

     A propos du caractère libérateur de cette profession de foi, Abd ar-Rahman al-Kawakibi écrivait que les despotes 

    « ont peur de la science, jusqu’à craindre que les gens ne comprennent le sens des mots « Il n’est de Dieu que Dieu », et ne sachent pourquoi (ce verset) est privilégié, et pourquoi l’Islam est fondé sur lui. L’Islam, voire même l’ensemble des religions, est fondé sur le fait qu’il n’est de Dieu que Dieu, c’est-à-dire que personne d’autre que Lui ne saurait être véritablement adoré, personne d’autre que la créature suprême ».

     Or, l’adoration signifie l’humiliation et la soumission. Dès lors, la signification du verset « Il n’y est de Dieu que Dieu » est que personne d’autre que Dieu ne mérite qu’on s’humilie et qu’on se soumette à lui. Comment les despotes pourraient-ils tolérer que leurs sujets connaissent ce sens et agissent selon lui ? »[7] 

     Sous le règne de la marchandise, produit par la civilisation capitaliste, le despote ne prend pas forcément l’apparence d’un individu mais plutôt celui d’un système global dans lequel «l’homme n’est plus rien » pour reprendre les mots de Karl Marx. De fait, pour réduire a néant cette profession de foi potentiellement libératrice, la civilisation capitaliste s’attache à intégrer à son système réificateur l’Islam comme toutes les autres formes de cultures non-marchandes qui pourraient réduire ou contester son emprise totale sur la vie des Hommes et des sociétés.

     L’Islam réifié, fétichisé, est ainsi intégré dans ses panthéons du marché que sont les grandes surfaces. Il est transformé en bijou doré que l’on porte autour du cou, en habit que l’on revêt, en nourriture que l’on mange. L’Islam fétichisé, vidé de tout contenu spirituel et civilisationnel, se transforme en objet de consommation que l’on achète, que l’on consomme et que d’autres vendent. On vend et on achète de l’Islam comme on vendrait et on achèterait n’importe quel produit.

     Cependant cette intégration de l’Islam réifié au panthéon du marché se fait sous la coupe des idoles de la civilisation capitaliste : l’argent, le profit, la marchandise, le marché ou lecapital lui-même. En effet, la civilisation capitaliste divinise ces notions en les transformant en absolu supérieur à l’Homme, aux cultures et aux spiritualités qui doivent impérativement leur être soumis.

     Ainsi, à la suite de certains théologiens chrétiens de la libération, comme Hugo Assmann et Franz Hinkelammert, nous pouvons définir le système capitaliste comme idolâtre.

     C’est dans la théologie implicite du paradigme économique et dans la pratique dévotionnelle fétichiste quotidienne que se manifeste la « religion économique » de la civilisation capitaliste.

     La divinisation du marché fabrique des idoles sans autel visible donc plus difficile à combattre. Pourtant Allah, dans le Coran, a mis en garde à de nombreuses reprises les croyants contre le fait de Lui associer une divinité : « Parmi les hommes, il en est qui prennent en dehors d’Allah, des égaux à Lui, en les aimant comme on aime Allah. Or les croyants sont les plus ardents en l’amour d’Allah. Quand ils verront le châtiment, ils sauront que la force tout entière est à Allah »[8]   ; « certes Allah ne pardonne pas qu’on Lui donne quelque associé. A part cela, Il pardonne à qui Il veut. Mais quiconque donne à Allah quelque associé commet un énorme péché »[9]  ; « n’invoqué donc personne avec Allah »[10] .

     Le prophète Ibrahim – al-Khalil - invoquait Allah en disant : « Préserve- moi ainsi que mes enfants de l’adoration des idoles. Ô mon Seigneur, elles (les idoles) ont égaré beaucoup de gens »[11]  .

     Parmi les idoles de la civilisation capitaliste, l’argent tient une place particulière , car il est au fondement de l’échange marchand. La devise de l’idole « argent » est inscrite sur chaque billet de dollar US : « In God we Trust ».

     Allah, dans le Coran, nous a pourtant mis en garde contre cette idole qui aliène l’Homme et lui fait confondre l’avoir avec l’être : 

    « Pour l’amour des richesses il [l’Homme] est certes ardent »[12]  ; « les âmes sont portées à la ladrerie »[13]  ; « A ceux qui thésaurisent l’or et l’argent et ne les dépensent pas dans le sentier d’Allah, annonce un châtiment douloureux, le jour où (ces trésors) seront portés à incandescence dans le feu de l’Enfer et qu’ils en seront cautérisés, front et dos : voici ce que vous avez thésaurisé pour vous-mêmes. Goûtez de ce que vous thésaurisiez »[14]  .

     Mettant en garde contre l’argent, le prophète Mohammed (PSL) affirmait dans un hadith : 

    « Pour toute communauté il y a une fitna et celle de ma communauté c’est l’argent »[15]  . Dans un autre hadith, le prophète mit également les croyants en garde contre le fait de vouloir accumuler des richesses pour elle-même : « Si l’Homme avait une rivière d’or, il en voudrait une deuxième et si il en avait une deuxième il en voudrait une troisième mais il n’y a que la terre pour combler les yeux de l’enfant d'Adam (la tombe) »[16]  . 

    Mohammed (PSL) avait compris que lorsque l’argent, médiateur de toute chose, se transforme en seul critère de la puissance, l’Homme devient objectivement aliéné par cet argent. Ainsi, celui qui possède de l’argent fini par être possédé par lui.

     La civilisation capitaliste et ses nouvelles idoles que sont l’argent, le profit, la marchandise, le marché ou le capital, exigent, comme les fétiches des temps anciens, des sacrifices humains au nom de contraintes « objectives », « scientifiques », comptables, profanes, apparemment areligieuses.

     En fait, la théologie idolâtre du marché, depuis Thomas Robert Malthus jusqu’aux institutions financières internationales, comme le FMI et la Banque Mondiale, est une théologie sacrificielle : elle exige des pauvres, des opprimés, des mostadh’afin qu’ils offrent leurs vies sur l’autel des idoles de la civilisation capitaliste.

     Rappelons qu’aujourd’hui près de 800 millions de personnes souffrent de la faim dans le monde. En France, 2 millions de personnes sont mal nourries. En 2000, sur une population de 6 milliards d’habitants, on en comptait 2,7 milliards vivant au-dessous du seuil de pauvreté, et, parmi eux, 1,3 milliard définis comme « extrêmement pauvres » car disposant de moins d’un dollar par jour.

     En 2003, le nombre de pauvres a crû de 100 millions, atteignant 2,8 milliards. En 2005, la France comptait 7,13 millions de personnes, soit 12,3 % de la population, vivant sous le seuil de pauvreté. Dans le monde, en 2005, 1 enfant sur 18 est mort dans sa première année. Cela représente 7,6 millions de décès d’enfants de moins d’un an en une année.

     Tel est le visage des pauvres, des opprimés, des mostadh’afin sacrifiés quotidiennement sur les autels des idoles de l’argent, du profit, de la marchandise, du marché ou du capital auxquels la civilisation capitaliste idolâtre voue un véritable culte.

     Si l’Islam veut retrouver le caractère libérateur qu’il avait à ses débuts lorsqu’il luttait contre les idoles et les fétiches de la péninsule arabique, il devra affronter les nouvelles idoles que sont l’argent, le profit, de la marchandise, du marché ou du capital. S’il ne s’attache pas à lutter contre cette nouvelle forme d’idolâtrie, il ne sera plus qu’un des multiples objets de la civilisation capitaliste. Un fétiche soumis aux idoles supérieures de la civilisation capitaliste. L’Islam sera alors une religion figée et réifiée liant plus les croyants au monde marchand qu’à Allah.

     Dans cette lutte de l’Islam pour la libération de l’Homme, les mostadh’afin ont une place particulière, puisque ce sont les premières victimes de la civilisation capitaliste idolâtre. La foi en cet Islam libérateur, celui qui se réalise dans la lutte des mostadh’afin contre l’oppression de la civilisation capitaliste, s’accomplit nécessairement dans la négation des fausses divinités de l’argent, du profit, de la marchandise, du marché ou du capital c’est-à-dire en retrouvant le souffle libérateur du tawhid .

     Publié sur Oumma.com, 19 juillet 2012

    http://www.algerieinfos-saoudi.com/2015/07/le-capital-contre-l-islam.html

  • Fascisme vert et impérialisme (La Riposte)

     
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    Nice, 14 juillet à 22h30. Un camion blanc déboule sur la Promenade des Anglais et fauche sans distinction tous les passants qui se trouvent sur sa route. Vendredi 15 juillet à neuf heures du matin, on déplore « au moins 84 morts et 18 blessés en urgence absolue », selon le site Mediapart.

    Le choc émotionnel, légitime, ne manque pas de rappeler les attentats survenus à Paris et à Saint-Denis la nuit du 13 novembre 2015. L’assassin de masse a au final été tué par la police au bout de 2 kilomètres de sa course folle. Son identité n’est pas encore certaine mais selon la police, on aurait retrouvé à l’intérieur du camion une carte d’identité au nom d’un Franco-Tunisien âgé de 31 ans. Cet individu était connu des services de police, mais uniquement pour des faits de droit commun. Pour l’instant, aucun lien formel n’a été établi avec l’organisation Etat Islamique qui sévit dans de nombreux pays depuis maintenant trop longtemps.

    Le président Hollande a tout de suite évoqué cette piste, et annoncé un renforcement des bombardements de l’armée française en Irak et en Syrie. La plupart des responsables politiques de droite et d’extrême-droite ont fait la même interprétation des faits. Le Conseil Français du Culte Musulman a immédiatement émis un communiqué condamnant les attentats et a appelé l’ensemble des Musulmans vivant en France à se recueillir pour les victimes, sans pour autant avoir évoqué la piste du terrorisme islamiste.

    D’hypothèse, cette piste est cependant devenue très vite une certitude aux yeux d’une grande partie des médias dès les premières minutes suivant le drame. Il n’est pas question ici de faire des suppositions sur la motivation du meurtrier, mais force est de constater qu’encore une fois, l’identité qui était la sienne légitime de fait la thèse du terrorisme islamiste sans analyse des traits psychologiques de sa personnalité.

    Nous nous souvenons tous du meurtre de masse perpétré en juillet 2011 par un militant d’extrême-droite norvégien. Ses 77  victimes participaient  à l’université d’été du Parti Travailliste de son pays. À l’époque, la polémique médiatique s’était surtout centrée sur son état de santé mentale. Diagnostiqué schizophrène d’abord par un premier groupe d’experts, il a ensuite été jugé sain d’esprit par une seconde équipe. Lui-même s’était dit opposé au premier diagnostic, craignant qu’il ne desserve son idéologie basée sur la haine des Musulmans. Qu’il soit malade ou pas, telle n’est pas la question ici. Mais que sa santé mentale ait été érigée en sujet numéro un par les médias suite au drame révèle une sélectivité certaine dans le recul que peuvent avoir la plupart des journalistes et des responsables politiques sur la responsabilité réelle ou supposée de l’auteur d’un attentat terroriste selon son appartenance, disons le mot, ethnique.

    Alors ceci n’excuse en rien l’auteur de la tuerie de Nice. Mais l’interprétation instantanée et sans nuance qui est faite de ce drame révèle ni plus ni moins qu’un racisme institutionnel dont les origines remontent très loin dans l’histoire française. Ce racisme a très tôt été utilisé par l’Etat français pour justifier sa politique colonialiste. Des les années 1830, les Algériens ont par exemple été jugés intrinsèquement incapables de maintenir la diversité arboricole de leur pays, justifiant ainsi l’accaparement de terres par les colons. Sans expliquer que les concentrations de populations algériennes à l’origine de la désertification étaient dues à la spoliation de terres qui était déjà à l’œuvre de la part de colons français. Cet épisode montre bien comment une interprétation raciste d’un phénomène observé dans un pays peut légitimer l’accaparement de ses ressources par un Etat plus puissant.

    Cette colonisation de l’Algérie et d’une grande partie de l’Afrique et de l’Asie a continué durant tout le 19e siècle. Au fur et à mesure, des mouvements intellectuels ont vu le jour dans les pays musulmans pour questionner leur arriération par rapport aux Etats impérialistes occidentaux. À partir du début du 20e siècle, et surtout après la révolution bolchévique en Russie, deux réactions contre l’impérialisme se sont confrontées. L’une composée de militants nationalistes et communistes, prônait l’arrimage de leurs nations aux valeurs libérales de l’Occident tout en se rendant autonomes politiquement et économiquement de celui-ci. La seconde voyait la question nationale sous l’angle religieux et se servait de la piété de la population pour la monter contre l’occupant. La question nationale était donc un enjeu entre des indépendantistes laïcs et religieux.

    Un pays comme la Tunisie a conquis son indépendance en 1956 grâce à la mobilisation de la classe ouvrière. La concurrence était rude entre tenants d’une identité arrimée à l’Occident et une identité arrimée à la culture arabo-musulmane. Mais à l’indépendance, la tendance nationaliste arabe a été écartée et une politique de nationalisations et de collectivisation a été initiée. Durant une décennie, l’économie a connu une croissance fulgurante. Grâce à ce développement économique et à une action énergique du jeune état tunisien, la société a pu se développer et les femmes du pays ont très vite conquis un haut degré d’autonomie comparé à la plupart des sociétés du monde arabo-musulman. Mais à partir des années soixante-dix, la dette qui s’est pourtant accumulée durant ces années a obligé l’état tunisien à recourir aux prêt du FMI. Ce dernier a conditionné le versement des fonds à un revirement complet de la politique économique de l’état emprunteur. Ceci a eu pour conséquence une dégradation de la vie des travailleurs et une contestation sociale grandissante. Pour endiguer cette menace, l’état a donc fait monter les mouvements extrémistes religieux afin de détourner l’attention des travailleurs de la question sociale au profit de la question religieuse.

    La même chose s’est passée en Egypte après la mort de Nasser en 1970. Le nouveau président Anouar El Sadate qui lui a succédé a opté pour un revirement total de l’économie après une décennie de politique collectiviste. Celle-ci, même si elle était motivée par des revendications nationalistes, n’en revêtait pas moins un caractère progressiste sur le plan social et des droits des femmes. La conduite autoritaire de Nasser n’a pas empêché qu’à sa mort ait eu lieu la plus grande manifestation de l’histoire de l’humanité. Or ce revirement soudain de la politique économique a suscité comme en Tunisie et à la même période un renforcement de la lutte des classes. Et comme en Tunisie, l’Etat a profité du sentiment religieux de la population pour faire en sorte que la conscience religieuse occulte la conscience sociale des masses.

    L’histoire sur le temps long montre ainsi que la religion a été instrumentalisée par certains Etats arabes pour freiner la lutte des classes. Tout comme la question nationale a été utilisée – et jusqu’à aujourd’hui – en Europe pour le même objectif. On voit du coup que la question religieuse se confond avec la question nationale dans les pays à dominante musulmane, dans un premier temps pour combattre l’impérialisme et dans un second temps pour le soutenir.

    Le nationalisme européen est quant à lui un moyen de légitimer la politique impérialiste de pays comme la France et le Royaume-Uni et un moyen utile pour endiguer la contestation sociale. En témoignent les récents événements en France depuis les attentats contre Charlie Hebdo, et les autres qui ont suivi jusqu’à celui du Bataclan. Tous étaient liés au terrorisme islamiste et la motivation première des assaillants était une réaction aux bombardements de la Syrie par les états occidentaux. Or le terrorisme islamique trouve ses origines dans la politique impérialiste des années 70 qui a consisté à faire monter le sentiment religieux des populations arabes afin d’endiguer la montée du mouvement ouvrier.

    L’intensification des bombardements en Irak et en Syrie suite à l’attentat de Nice ne fera qu’exciter davantage le ressentiment des populations de ces pays et le sentiment de stigmatisation que vit une grande partie de la jeunesse d’origine maghrébine en France. L’attentat de Nice, qu’il ait été ou non commandité par l’organisation Etat Islamique, est  une aubaine pour tous les protagonistes des guerres civiles syrienne et irakienne. Du côté des Etats impérialistes occidentaux, cela représente un boulevard pour l’accentuation de la guerre de classes qu’ils mènent dans leurs propres territoires et de l’accaparement des ressources pétrolières de la région mésopotamienne. Du point de vue de l’impérialisme russe, cela représente une légitimation accrue de son soutien à Bachar El Assad en Syrie. En France, cela signifie un ancrage des idées islamophobes encore plus grand dans la population, portées par le Front National, Les Républicains et une partie des responsables « socialistes ». Sur le plan de la politique du gouvernement Valls, cela présage d’un recul encore plus grand des libertés démocratiques au détriment du mouvement ouvrier. En pleine contestation de la Loi El Khomri, cela va porter un rude coup à la cohésion de la classe ouvrière contre la régression sociale dont elle est la victime, et un pas de plus vers le repli nationaliste. Sur le plan international, cela représente le risque très probable de l’intensification de la guerre par procuration que se livrent la Russie et les Etats-Unis. Le mouvement ouvrier ne peut s’en sortir que par une coordination internationale basée sur une analyse marxiste de la réalité d’aujourd’hui et de perspectives révolutionnaires pour l’avenir.

    RB, PCF Saint-Denis, 15 juillet 2016

    http://www.lariposte.org/2016/07/fascisme-vert-imperialisme/

  • L'assimilation à la hussarde des musulmans français : « Merci, très peu pour nous » (Pambazuka)

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    Des Antilles à l’Afrique du Nord, jusqu’au Moyen-Orient et à l’Asie du Sud-est, les Français sont majoritairement considérés comme des tortionnaires chevronnés, dont la langue gracieuse et raffinée ne sert pas tant à décrire une sauce crémeuse ou un décolleté plongeant, qu’à enrober les douleurs et les souffrances indicibles qu’ils infligent à des millions d’innocents.

    Les Français sont peut-être mieux connus, tant à leurs yeux qu’à ceux des Européens de l’Ouest et des US-Américains blancs, comme des créateurs de haute couture et des maîtres dans l’art culinaire dont le langage amoureux est particulièrement adapté à la romance. Cependant, les Américains blancs, comme les Allemands et les Britanniques, ont une relation d'amour-haine avec les Français, mais clairement faite de plus d’amour que de haine, comme en témoigne tout récemment la publication dans le New York Times d’une tribune de Marine Le Pen, leader du Front National d’extrême-droite.

    Mais dans le reste du monde – des Antilles à l’Afrique du Nord, de l’Ouest et centrale, jusqu’au Moyen-Orient et à l’Asie du Sud-est –, les Français sont majoritairement considérés comme des assassins et des tortionnaires chevronnés, dont la langue gracieuse et raffinée ne sert pas tant à décrire une sauce crémeuse onctueuse ou un décolleté plongeant sur une robe de soirée, et moins encore à faire la cour ou à flirter, qu’à enrober les douleurs et les souffrances indicibles qu’ils infligent à des millions d’innocents.

    Pourtant, la culture dominante française persiste à ne vouloir se voir qu’à travers ses propres yeux, et la plupart des Français sont scandalisés à l’idée même que quiconque dans le monde puisse seulement remettre en question l’image élogieuse et raffinée qu’ils ont d’eux-mêmes.

    BARBARIES COLONIALES

    Ce contraste est à la fois dû à l’histoire de la France et à sa politique actuelle. Commençons par l’Histoire : un rapport sur les atrocités coloniales françaises en Indochine pour les années 1930-33, suite au déclenchement de la mutinerie de Yên Bái en février 1930, recense certaines des méthodes monstrueuses de torture chères aux officiers français. Selon la célèbre militante française Andrée Viollis, les méthodes de torture incluaient – en plus de l’utilisation de l’électricité – la privation de nourriture, le bastinado (flagellation de la plante des pieds, aussi appelée falaka), les épingles introduites sous les ongles, les semi-pendaisons, la privation d’eau et l’usage de tenailles appliquées sur les tempes (pour faire jaillir les orbites), entre autres. Une méthode plus délicate comprenait l’utilisation d’ « une lame de rasoir [pour] couper la peau des jambes en longs sillons, combler la plaie avec du coton et brûler ce coton [1]. »

    En 1947-48, les autorités coloniales françaises se sont déchaînées à Madagascar, tuant et violant la population et incendiant des villages entiers, en guise de châtiment suite au soulèvement nationaliste malgache. Certaines des pratiques et spécialités de torture spécifiquement françaises qui furent employées contre le peuple de Madagascar incluaient les « vols de la mort », où des indigènes étaient jetés depuis des avions militaires au milieu de la mer, se noyaient et devenaient des « disparus ».

    Cette méthode meurtrière était une spécialité dont la France s’enorgueillissait tellement que les autorités coloniales françaises en Algérie continuèrent à y recourir plusieurs années plus tard, pendant la bataille d’Alger en 1956-57. Dans le cas de l’Algérie, les parachutistes français ont décidé de perfectionner cette méthode lorsque des cadavres d’Algériens ont commencé à refaire surface, exposant cette pratique. La modification consistait à attacher des blocs de béton aux pieds des victimes pour s’assurer qu’ils coulent définitivement (les généraux argentins soutenus par les Usa trouveront cela très utile dans leurs efforts pour réprimer la résistance à leur dictature à la fin des années 1970).

    Ce ne sont pas des méthodes de torture ad hoc que les Français ont élaboré sur place, mais des cruautés bien conçues et bien rodées. Dans l’Algérie du 19e siècle, le général Saint-Arnaud enfumait les révolutionnaires algériens dans des grottes et ses soldats violaient les femmes algériennes, comme le feront les soldats Français tout au long de la révolution algérienne, des années 1950 au début des années 1960.

    Les estimations des morts causées par les Français s’élèvent à un million de Vietnamiens et un million d’Algériens. Quant à Madagascar, on estime que plus de 100 000 personnes ont été tuées par les Français. Ce ne sont là que quelques exemples de la barbarie coloniale française dans certaines colonies, et en aucun cas une liste exhaustive. Le colonialisme français, sous le titre grandiose de « mission civilisatrice », a clairement échoué à civiliser, avant tout, les Français eux-mêmes. La « mission », semblerait-il, reste inaccomplie !

    CATHOLICISME LAÏQUE

    La question de la façon dont les Français sont perçus ne se limite pas seulement à l’histoire, mais reste pertinente dans le présent. Tandis que l’assimilation des indigènes aux coutumes du Français colonisateur a été le noyau du programme colonial français, cette philosophie est venue hanter les Français après qu’ils se sont partiellement retirés des colonies pour constater que les immigrants africains, arabes et indochinois, entre autres, n’étaient pas « assimilables » aux usages des « Français ». Il semble que seuls les immigrants allemands, russes, espagnols, italiens et certainement hongrois en France puissent être maintenant assimilés à la société française, mais pas les immigrés plus basanés et surtout non-chrétiens.

    Le massacre des Algériens français commis par la police française en octobre 1961, qui s’inspirait clairement de la spécialité des « vols de la mort » de l’armée française en Algérie et à Madagascar, a entraîné la mort de plus de 200 manifestants musulmans (certaines estimations vont jusqu’à 400) qui furent abattus ou jetés dans la Seine.

    Il a fallu attendre 1998 pour que le gouvernement français à dominante catholique [2] reconnaisse enfin que la police a tué à peine 40 des 200 à 400 Musulmans français assassinés. Les victimes du gouvernement français à dominante catholique considèrent ces actes barbares et cruels comme une des principales caractéristiques de la culture catholique française, voire comme une définition de celle-ci. Et non seulement n’est-ce pas une vue propre aux Musulmans français (les autorités coloniales françaises ont inventé la catégorie des « Français musulmans » dans l’Algérie du 19e siècle afin d’imposer légalement aux Algériens de renoncer à la « loi islamique », y compris la polygamie, pour pouvoir accéder à la pleine citoyenneté française), mais les Français juifs eux-mêmes ont également compris l’antisémitisme catholique français comme un élément central de la culture catholique française.

    Après tout, les Juifs français avaient été soumis par Napoléon à un « test pH » similaire – ou était-ce un test de « catholicité » ? – en 1806, visant à rassurer ses craintes au sujet des lois juives sur la polygamie et le divorce qui contredisaient les lois nationales françaises, et qui ne devaient plus être appliquées : c’était là une condition de l’émancipation juive. Bien sûr, ces lois de l’État étaient conformes à la monogamie catholique, mais pas à la polygamie juive. Pourtant, les Français continuent à se voir et à se présenter au monde et à eux-mêmes comme des amants sensibles et pensifs, des intellectuels engagés et des défenseurs du sécularisme ou « laïcité » !

    C’est ce dernier point qui fait désormais partie intégrante des campagnes sectaires et racistes officielles et officieuses des Catholiques français, « laïques » bien sûr, contre les Musulmans français, sans parler des musulmans hors de France. C’est là-bas que les Musulmans français sont considérés comme ayant en quelque sorte leurs origines géographiques, religieuses et culturelles, hors de France, une accusation qui n’est jamais portée contre les citoyens français d’origine immigrée italienne, allemande, russe, espagnole ou hongroise.

    Si les Catholiques français ont insisté pour que les Musulmans et Juifs algériens deviennent Français sous l’Algérie française (les Juifs français d’origine algérienne ont été considérés comme ayant réussi à effectuer cette transition avec succès depuis le décret Crémieux de 1870 qui les a légalement transformés en citoyens français et non plus Algériens, un statut qui a ensuite été révoqué sous le régime collaborationniste de Vichy pendant la Seconde Guerre mondiale, révélant la fragilité de la tolérance catholique française), les mêmes Catholiques français insistent pour que les Français d’origine musulmane algérienne en France soient contraints à s’assimiler encore à une sorte de francité fantasmatique prétendument séculaire ou « laïque » et en aucun cas chrétienne.

    Il est difficile de savoir si les Bretons, les Corses ou les Basques et les Alsaciens – en 2011, Nicolas Sarkozy croyait que ces derniers vivaient toujours en Allemagne – se sont déjà entièrement assimilés à cette francité présumée ou s’ils sont toujours dans l’attente de nouvelles instructions.

    LES VALEURS DE LA REPUBLIQUE

    Au lendemain de l’attaque contre les bureaux du magazine Charlie Hebdo par deux Musulmans français, et l’attaque d’un supermarché juif français par un troisième (les origines géographiques des parents de ces hommes ont été immédiatement identifiées par les médias français comme significatives voire centrales dans leurs crimes), l’ancien président français d’origine catholique hongroise Nicolas Sarkozy (son grand-père maternel était un Juif grec qui s’est converti au catholicisme), a proposé « d’expulser tout imam [musulman français] qui soutient des points de vue qui ne respectent pas les valeurs de la République. »

    On ne sait pas si Sarkozy serait d’accord avec la proposition de l’expulser en Hongrie ou en Grèce s’il venait à épouser des vues « qui ne respectent pas les valeurs de la République ». De même, il reste difficile de savoir si cela devrait aussi être le sort réservé aux prêtres catholiques français et aux rabbins juifs français s’ils s’avèrent manquer de respect envers ces valeurs, bien qu’en se basant sur le statut des Juifs sous Vichy, il semble que les rabbins ne seraient pas épargnés non plus.

    Contrairement à la perception qu’ont la plupart des Catholiques français d’eux-mêmes, le problème avec la culture française contemporaine dominante catholique (« laïque ») est, avant tout, son manque de raffinement. Le racisme français s’exprime souvent de la manière la plus vulgaire, sans les moindres palliatifs ou euphémismes. En cela, les Français sont différents de leurs pairs des contextes Us-américain et britannique, où le racisme est souvent formulé dans un langage socialement plus acceptable, bien qu’il cache la même vulgarité raciste. La vulgarité du racisme catholique français, cependant, est plus similaire à celle du racisme juif israélien, qui n’a souvent que faire des périphrases et autres produits cosmétiques linguistiques.

    La politique et les crimes actuels du gouvernement français au Mali, en Libye et en Afghanistan, pour ne citer que les trois principaux lieux d'interventions militaires françaises, se poursuivent. Lorsque les troupes françaises ont ouvert le feu sur une voiture civile en Afghanistan en 2011, tuant trois civils, dont une femme enceinte et un enfant, le ministre français de la Défense, Gérard Longuet, a exprimé sa « profonde tristesse » pour ces morts, mais a déclaré que les soldats avaient agi en légitime défense car la voiture avait « refusé de s’arrêter en dépit des sommations répétées. »

    Le soutien français actuel apporté aux djihadistes syriens, y compris l’aide de la France et de l’Otan, sinon l’encouragement, prodigués aux Français musulmans désireux de prendre part aux combats en Syrie, démentent l’horreur officielle des Catholiques français face à la montée de l’État Islamique et à ses pratiques de décapitation. Peut-être que les membres Français de Daech ont trop bien assimilé la culture catholique française, surtout en ce qui concerne l’intolérance et la décapitation – car la pratique « laïque » de l’État français d’exécution des criminels par décapitation par la guillotine s’est poursuivie jusqu’en 1977, la dernière personne décapitée étant par coïncidence un criminel français musulman.

    QUI DEVRAIT S’ASSIMILER ?

    C’est cette France qui accuse sa population musulmane de refuser de s’assimiler à ses usages, mais ne se demande jamais pourquoi elle ne devrait pas s’assimiler à leurs manières – puisque les Musulmans français font tout autant partie de la France et de sa culture que les Catholiques français et puisque la France n’est plus la propriété exclusive des Catholiques français qui pourraient en disposer à leur guise. Peut-être que les Catholiques français (devrions-nous simplement les appeler Gaulois ?) pourraient apprendre des Musulmans français une certaine forme de tolérance.

    Après tout, ce sont les Musulmans français qui ont subi et continuent du mieux qu’ils peuvent à supporter le racisme et l’intolérance des Catholiques français depuis des décennies. Les Catholiques français pourraient-ils à leur tour apprendre à supporter la tolérance des Musulmans français ? Aussi choquante que cette dernière idée puisse être aux yeux des Catholiques français et des racistes sectaires (qui sont bien sûr « laïques »), ces mêmes personnes n’ont jamais considéré leurs actions choquantes lorsque, en tant que minorité coloniale, ils ont cherché à forcer la majorité des colonisés à s’assimiler à leurs usages – quels que soient leurs usages, bien sûr.

    On ne sait pas vraiment si on attend des Musulmans français qu’ils adoptent la torture et les méthodes meurtrières des Catholiques français et leur intolérance « laïque » dans le cadre de leur processus d’assimilation. Si cela était effectivement requis, alors les trois seuls Musulmans français assimilés avec succès ne seraient autres que Cherif et Saïd Kouachi, les frères qui ont attaqué Charlie Hebdo, et Amedy Coulibaly, qui a attaqué le supermarché juif.

    De manière assez surprenante, le gouvernement français a refusé de reconnaître à quel point les frères Kouachi étaient des Français bien assimilés, et il a demandé au gouvernement algérien de les faire enterrer en Algérie, un pays où ils n’avaient jamais mis les pieds, plutôt qu’en France où ils s'étaient assimilés d’une manière exemplaire. Le gouvernement algérien a dûment refusé d’autoriser l’inhumation des deux Français sur son sol. La France a obtenu la même réponse du gouvernement du Mali, qui a rejeté une demande du gouvernement français de leur envoyer le corps du citoyen français Coulibaly pour qu’il y soit enterré.
    Malgré l’ampleur horrible des actes de ces trois hommes, leurs crimes restent numériquement modestes et pâles comparés aux bien plus cruelles monstruosités des Français catholiques et « laïques » qui ont atteint des proportions génocidaires à travers le monde. Cependant, si les frères Kouachi et Coulibaly avaient survécu, ils auraient encore eu besoin de beaucoup de leçons de cruauté et d’intolérance violente avant de pouvoir devenir entièrement assimilés à l’authentique francité catholique et laïque.

    Le reste des Musulmans français continuent à résister à l’assimilation à la francité catholique et « laïque » et à refuser de suivre l’exemple de l’intolérance des Français catholiques et « laïques » racistes et de leurs quelques émules musulmans. Pour la majorité des Musulmans français, la réponse à ces invitations catholiques françaises et laïques à l’assimilation est un « Non merci » explicite, ou plutôt, dans la langue raffinée des Français : « Merci, très peu pour nous ! »

    NOTES

    1] Andrée Viollis, SOS Indochine, p. 13. Également mentionnée, « Introduire un fil de fer en tire-bouchon dans le canal urinaire et le retirer brusquement. » Et, pour des femmes de 16 à 18 ans, « viols, pendaison par les orteils, flagellation sur les cuisses et la plante des pieds, introduction de nids de fourmis dans les parties intimes, leurs bras et leurs jambes attachés, jusqu’à ce qu’elles avouent faire partie d’un groupement communiste. »

    2] Il s’agit de la culture et de l’histoire chrétienne originelles, indépendamment de l’attachement à la foi, toute idée ou référence religieuse ayant été éradiquées avec succès par les voltairiens, malgré la résistance de Rousseau, Robespierre et Jaurès, entre autres. Aujourd’hui, les « racines judéo-chrétiennes » de la France sont néanmoins brandies par les athées les plus forcenés pour dénoncer l’Islam et les musulmans. Selon nous, les musulmans permettraient bien plutôt à la « fille aînée de l’Église » de renouer avec une identité, des traditions et des valeurs longuement enterrées.

    Il nous semble utile de préciser que l'auteur, né en Jordanie, est issu d'une famille palestinienne chrétienne.

    http://www.pambazuka.org/fr/l'assimilation-à-la-hussarde-des-musulmans-français

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      Ce communiqué a été rédigé avant le décès par balles d’un étudiant mercredi dernier.
      Depuis plusieurs jours, de nombreux étudiants manifestent au Soudan contre les menaces de déplacement et de privatisation de l’Université de Khartoum. Malgré la répression et les arrestations, ils luttent avec courage pour (...)

     

  • SOUVENIR DAY : 26 janvier 1997, Amel Zenoune assassinée par le GIA pour avoir refusé de porter le voile... (Essf)

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    Amel Zenoune jeune étudiante en droit quitte Alger dans un bus de l’université pour rentrer chez elle à Sidi Moussa, environ une heure avant la rupture du jeune.

    En ce dimanche 26 janvier 1997, 17e jour du ramadan. Sur le chemin le bus est arrêté par ce que les algériens appelleront « un faux barrage » pour le distinguer des barrages de contrôle assuré par les militaires.

    L’embuscade est mise en place par des terroristes du Groupe Islamiste armé GIA au lieu dit Benedja commune de Bentalha de triste mémoire pour avoir subit un des massacres les plus terrifiants des années 90.

    Les passagers du bus tremblent de peur et voient leur dernière heure arrivée. Mais les terroristes ne semblent pas se soucier d’eux. Une seule personne les intéresse : Amel Zenoune. On lui intime l’ordre de descendre du bus et la jeune fille s’exécute avec courage.

    L’un des hommes armés aiguise son couteau sur une pierre et, sans le moindre état d’âme, égorge la jeune fille sous le regard des autres passagers terrifiés. Il leur dira en substance qu’elle servira d’exemple à toutes celles qui fréquentent les universités et qui vont au travail sans être voilées. Un message terrifiant pour celles qui refusent d’abdiquer à leur ordre moral inique.

    Elle avait tout juste 22 ans.

    Elle devait servir de modèle pour terrifier toutes les femmes et jeunes filles qui en Algerie, résistaient au diktat du FIS, Front Islamique du Salut et ses différents bras armés.

    Dans d’autres contrées du Monde, en terre d islam, des millions de femmes à l’image d’amal Zanoune continuent de résister, par tous les moyens, à l intégrisme islamiste et son ambition démesurée de soumettre les femmes et les sociétés à leur projet théocratique moyenâgeux.

    C’est à Paris, capitale de la France laïque, héritière des siècles des Lumières et de la République, promoteur des droits de l’Homme et de l’égalité des droits entre les femmes et les hommes qu’une initiative dite ’Hidjab day’ est lancée. Initiative mondiale lancée en 2013 par un réseau qui réussit parfaitement son marketing politique en Europe. La preuve est là sous nos yeux : c’est précisément à Sciences Po Paris , prestigieuse école où la raison est enseignée pour éclairer l’esprit que l’action démarre !

    Quelque soit les motivations des jeunes étudiantes « solidaires » qui se sont mobilisées pour « soutenir leurs copines voilées », qu’elles n’oublient pas que des centaines de milliers – non des millions – de femmes musulmanes occupent l’espace public tête nue dans leurs pays au péril de leur vie. Résister par tous les moyens pour dire leur aspiration à être libres et insoumises à l’ordre moral qui veut les cacher parce qu’objet sexuel ! Combien d’entre elles ont payé par le viol et la mort le tribut de « butin de guerre » ?

    Que ces jeunes étudiantes, sûrement laïques et émancipées, n’oublient pas que ce combat autour du « voile » cache avant tout l’ambition de forces politico religieuses violentes, déterminées à conquérir le monde pour transformer « le citoyen » en communauté de simples croyants soumis à un ordre totalitaire où les femmes sont appelées à se cacher, s’effacer, obéir, disparaître ...

    Que toutes les jeunes filles voilées à qui les prêcheurs et « dealers de paradis » courtisent par un faux discours de tolérance et de bienveillance fassent l’effort d’interroger cette pratique imposée hors contexte et qui est à des années lumières de l’islam le plus lumineux qu’elles pensent représenter ! Lisez IBN SINA , IBN ROCHD , Mohamed ARKOUN , Fatima MERNISSI pour porter un autre esprit de l’islam que celui qui s affiche en uniforme.

    Par cette expression qui ne fera surement pas l’unanimité, je crie ma rage de militante féministe algérienne ayant vécu comme des centaines de milliers de mes concitoyennes l’ordre intégriste en marche. Sans la résistance des femmes et tous les citoyens acquis à l’idée de la démocratie dans son sens plein d’humanité le visage de l’Algérie aurait été radicalement transformé.

    Certes la France n’est ni l’Algérie, ni la Tunisie, ni l’Irak, ni l’Égypte. Seulement n’oublions pas le credo unique des mouvements conquérants, intégristes d’extrême droite. Quelque soit l’habit sous lequel ils se présentent les premières victimes sont d’abord les femmes. C’est la leçon de notre histoire quotidienne.

    Porter le voile est-ce une question de Liberté garantie par l’exercice de la démocratie ? Je ne le pense pas. La bataille « du voile » est l’ expression la plus visible de la volonté des intégristes de soumettre les femmes. L’ évocation des principes de démocratie et de liberté sont seulement le moyen d’y arriver...

    N’oublions pas le sacrifice d’Amel l’étudiante, de Rachida l’agronome, de Khadidja la vétérinaire, de Lila l’enseignante, de Rabéa mère au foyer et de cette très longue liste de résistantes ...

    Zazi Sadou, RAFD Siawi , par SADOU Zazi

    http://www.siawi.org/article11394.html

    * Zazi Sadou a été la porte parole du RAFD (Rassemblement Al gérien des femmes Démocrates) pendant de nombreuses années.

    http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article37774

    Et aussi:

    http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article37762