Beaucoup a été dit et écrit sur un régime illégal qui conduit, entre prédation et in-compétence, l’Algérie vers une zone de turbulences que l’on pressent extrêmes.
Mais, le sujet semble inépuisable car en matière de régression politique et morale, ceux qui maintiennent le pays dans une désastreuse impasse se révèlent en effet particulièrement féconds.
Au fil de son délitement, ce système semble avoir fait le serment d’extirper – ou au moins de porter systématiquement atteinte à – tout ce qu’il y a de plus élevé et de plus digne de respect dans le capital politique du peuple algérien. Ceux qui le dirigent et en tirent bénéfice semblent avoir fait le serment de ne laisser qu’un champ de ruines en héritage aux générations qui viennent. Cette dictature amnésique, dont la brutalité n’a d’égale qu’une illégitimité intrinsèque, a habitué les populations aux agissements les plus répréhensibles, aux scandales et aux discours plus démagogiques les uns que les autres.
Régression et machisme
La camarilla au pouvoir, qu’elle apparaisse sous les feux de la rampe du gouvernement des apparences ou tapie dans l’ombre, situation qu’elle affectionne car elle se sait imprésentable, parvient à chaque détour de l’actualité à étonner par sa capacité à descendre toujours plus bas les échelles de l’indignité. Hocine Aït-Ahmed avait observé avec sa finesse légendaire que « ce régime ne se reproduit que par amputations successives ». Les événements ne cessent de donner sens à l’oxymore du leader disparu. À corruption égale et continue, ceux qui se succèdent pour incarner le système semblent décidément à chaque fois plus ineptes.
Désemparés par la contraction durable des revenus pétroliers depuis la chute des prix du baril, les porte-voix du régime rentier exposent leur incompétence au grand jour. Ainsi, les déclarations d’une « ministre de la Solidarité, de la Famille et de la Condition féminine » ( !) qui propose le 30 novembre que les femmes cadres reversent leur salaire au Trésor public, car « nos maris s’occupent de nous », n’ont pas fini de choquer une opinion qui pensait pourtant avoir tout entendu. Même si bien peu de monde garde quelque illusion sur une bureaucratie dont la vaine parole est le fidèle écho du vide qui la constitue. Et l’on voit bien que face à une crise dont elle appréhende l’ampleur, cette bureaucratie panique et ne trouve de ressources que dans sa culture d’expédients et de bricolages, dénuée de la moindre vision et de toute morale.
Cette autorité, benoitement inculte, relaie une vision du monde approximative construite sur les représentations machistes à rebours du siècle. Pour scabreuses qu’elles soient, ces déclarations d’une ministre illustrent bien la vulgarité commune d’un personnel de troisième zone formé au cœur du système. Il est vain d’espérer de ces milieux la moindre renouvellement sociopolitique ; on peut constater en toute objectivité qu’ils sont, bien au contraire, les fourriers de l’obscurantisme. Tout aussi gravement, cette sortie augure des difficultés que devra affronter le pays, une fois les réserves de change épuisées.
Rafle raciste
Mais ces sottises ministérielles ne sont que vétilles à côté de la rafle de quelque 1 400 sans-papiers africains dans la nuit du 1er au 2 décembre dernier. La descente de police et de gendarmerie qui a commencé jeudi soir s’est poursuivie vendredi matin. Des éléments de ces services de « sécurité » ont fait irruption dans des locaux occupés par des migrants subsahariens en les sommant de monter dans des bus.
Selon la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme, les personnes ra-flées, dont des femmes et des enfants, ont été d’abord regroupées dans un camp insalubre dans la périphérie de la capitale. À l’issue de ce voyage au bout de la nuit, ces malheureux devaient être transférés manu militari à Tamanrasset avant leur expulsion du pays.
Il s’agit là d’une forfaiture renouvelée digne d’un régime fasciste. Par ces pratiques criminelles réitérées, l’Algérie de la Révolution africaine, l’Algérie solidaire de tous les peuples en lutte, l’Algérie de Fanon est ainsi ramenée au rang honteux des pays racistes. Sans fard ni vergogne, des Algériens occupant des fonctions d’autorité ont ordonné la déportation brutale et inhumaine de frères et de sœurs de notre commun continent broyé par les guerres et la misère.
La servilité du régime
Comment une telle atrocité a-t-elle pu se reproduire ? Les précédentes expulsions auraient dû servir de leçons. Au regard des valeurs de ce peuple, une telle atrocité est totalement injustifiable et rigoureusement inacceptable. Qui a pris sur lui de cracher à nouveau sur l’Histoire ? Au nom de quel racisme « d’État », au nom de quelle xénophobie officielle expulse-t-on des femmes, des enfants et des hommes réfugiés sur le sol national ? Aucune « raison » ne saurait être opposée à la tradition nationale d’accueil et de solidarité forgée au cours des âges et souvent lors des plus sombres périodes.
Aucune logique de pseudo-maintien de l’ordre n’excuse l’action policière où certains ont cru voir une manière de flatter les bas instincts d’une catégorie de la population. Bien peu sont dupes cependant. Qui n’a pas compris qu’il s’agit avant tout d’envoyer un signal aux protecteurs européens de la dictature ? Cette punition collective est d’abord destinée à montrer aux Occidentaux que le régime d’Alger est plus que disposé à servir de supplétif docile aux politiques de « containment » des migrations africaines.
Cet acte cruel et inhumain est un odieux désordre.
Il est le fait d’un régime mercenaire sans assise populaire et sans repères historiques qui s’empresse de complaire à ses maîtres. Le peuple algérien bâillonné est la première victime de la brutalité d’une tyrannie servile, sans éthique et sans mémoire. Il n’est en rien complice des crimes de la dictature qui l’opprime avec férocité. Les nombreuses expressions concrètes de solidarité de citoyens anonymes en sont la preuve. Ce n’est point en son nom que ce régime commet ces exactions à l’endroit de personnes vulnérables.
La déliquescence de l’État
Ce que révèlent essentiellement les pratiques d’expulsion éminemment condam-nables de la dictature et les propos choquants d’une ministre, c’est avant tout l’inquiétante carence de l’État. Incapable de formuler des stratégies d’adaptation à la crise des recettes pétrolières et incapable de concevoir des politiques d’accueil des migrants, le régime n’a plus d’autres recours que d’ineptes balbutiements et la brutalité policière.
La confusion et le désordre qui caractérisent l’action publique sont flagrants. De fait, cette rafle intervient le jour même de l’ouverture du Forum économique africain, « accueillant » - dans une exhibition honteuse d’impréparation et de désorganisation - les partenaires africains dont le régime expulse les ressortissants.
De fait, le recul de l’État peut être observé à tous les niveaux d’autorité. De l’administration locale complétement défaillante jusqu’aux centres de décision les plus élevés, entre absence et incompétence avérée. Les annonces qui se succèdent ne sont suivies d’aucun effet, sinon de scandale, conférant à l’action officielle un caractère de pure gesticulation. S’agissant des populations de migrants condamnées à la précarité et aux violences, l’inexistence d’une politique publique claire et cohérente fondée sur les principes fondateurs de l’État algérien est la démonstration claire et nette de l’irresponsabilité du pouvoir face à la situation de quelque 100 000 migrants subsahariens qui vivent dans des condition déplorables en Algérie, comme l’a dénoncé Amnesty International.
L’informel, dont sont directement victimes ces populations sans droit ni titre de séjour, ronge la société toute entière et contrecarre à la racine les évolutions rendues urgentes par l’imminence des ruptures sociopolitiques. Il est donc vital pour tous ceux qui aspirent à une transition la moins coûteuse possible d’envisager les formes de mobilisations pacifiques qui doivent pallier le déficit d’État et les manipulations politiciennes visant à stimuler les fausses contradictions pour opposer migrants et citoyens. Une démarche elle aussi importée d’Europe ou elle connaît un tragique succès.
Dans ce contexte de dégradation des conditions générales, pour dérisoires qu’elles soient, les considérations de la ministre ne sont donc pas seulement anecdotiques. Elles disent l’impuissance et le désarroi du système sans autre base sociale que ses clientèles. Privé de moyens financiers opulents hier encore assurés par la rente, le seul levier du régime est la répression.
L’interdiction des manifestations, les arrestations et condamnations de syndicalistes forment le quotidien d’un régime complétement dévoyé. Dans ces conditions, l’appui de l’Occident est d’autant plus crucial pour la dictature. La déportation massive de migrants est la démonstration implacable qu’un nouveau palier supplémentaire dans une honteuse collaboration a été franchi. Les rafles des Africains sont une autre souillure indélébile que devra assumer ce régime.
Installé dans une surenchère démagogique et brutale, les « décideurs » sont ainsi aspirés dans une spirale d’indignité qui les entraîne à chaque fois plus bas dans l’infamie.
Omar Benderra 7 décembre 2016
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