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Histoire - Page 13

  • Les journées de décembre 1960 : le tournant décisif (Babzman)

    manifalger

    Il y a 55 ans, le 11 décembre 1960, au chant de « Min djibalina talaa saoutou el ahrar », le peuple algérien descendait dans la rue, la poitrine nue, face aux mitrailleuses françaises. « C’est fini, on ne se taira plus, même s’il faut en mourir », clamait-il.

    Bravant la mort, le peuple occupe le haut du pavé dans les grandes villes comme Alger, Oran et Constantine, où la population algérienne – les indigènes comme les Européens les appelaient – est surveillée de très près par les officiers français de l’action psychologique à travers les S A U. Le peuple descend dans la rue également à Skikda, Annaba, Bejaia, Blida, Cherchell, Tlemcen …

    Pour illustrer l’ampleur des manifestations populaires patriotiques du 11 décembre 1960 qui urent lieu sur tout le territoire national, je voudrais évoquer, à titre introductif au débat, l’exemple de Belcourt et de la Casbah
    Belcourt. Il est 10 heures. Sous une pluie fine, une marée humaine, brandissant le drapeau de l’Algérie combattante, surgit des quartiers populaires du Vieux Kouba, du Ruisseau, du Clos-Salembier, de Birmandreis, en passant par le Ravin de la Femme Sauvage. Grossie par la foule descendue des hauteurs de Belcourt et des lieux environnants, elle s’approche du quartier européen du Champ-de-manœuvres où s’étaient groupés les partisans de l’Algérie française.
    Sur fond du chant patriotique Min Djibalina, des milliers de voix entonnaient à l’unisson :

    « Vive le GPRA
    Abbas au pouvoir
    Algérie musulmane
    Vive l’ALN !
    Vive le FLN ! « 

    « C’est un spectacle qui coupe le souffle, écrit un journaliste français. La rue Albert – Rozet (laaguiba comme les enfants de Belcourt la nomment), une ruelle de 3 mètres de large, qui descend sur près de 800 mètres des hauteurs de Belcourt, semble prête à éclater sous la tempête qui s’y déchaîne. 5000 Musulmans sont entassés et brandissent des drapeaux vert et blanc à croissant rouge, des pancartes :

    -Algérie indépendante
    – Libérez Ben Bella
    – Referendum sous contrôle de l’O N U
    – Lagaillarde au poteau

    Au premier rang, des jeunes lèvent le poing. Derrière eux des jeunes juchés sur des épaules, brandissent des banderoles « Vive le FLN », témoigne le journaliste français.

    Sur une large banderole barrant la rue de Lyon (aujourd’hui Mohamed Belouezdad), on lit Négociations.
    Une sorte de réponse au général de Gaulle, Président de la République française, qui, avant d’entamer son voyage en Algérie au mois de décembre 1960, avait réaffirmé son refus de discuter avec le GPRA de l’avenir de l’Algérie, lors d’un discours prononcé à Paris le 4 novembre, un mois auparavant. Le but de son voyage en Algérie était de présenter aux corps constitués son projet de loi qu’il devait soumettre à référendum le 8 janvier 1961. Le projet de loi portait sur la mise en place d’un Parlement et d’un exécutif algérien « qui, une fois établis, détermineront en temps utile, la date et les modalités du référendum d’autodétermination ». « Construire l’Algérie algérienne sans et contre le FLN », disait Bernard Tricot, collaborateur immédiat de de Gaulle. C’est cette Algérie que les officiers de l’action psychologique voulaient faire plébisciter par les Algériens.

    Les militants du Front de l’Algérie française, le FAF, accueillirent, par des cris hostiles, le général de Gaulle, arrivé en Algérie le 9 décembre 1960. Ils appelèrent à la grève générale. C’est pour étendre cette grève aux quartiers musulmans qu’ils entrèrent en force dans Belcourt. « Ils sont venus nous provoquer, déclara un jeune de Belcourt à l’envoyé spécial du quotidien français Le Monde. Nous avons réagi ». D’où le caractère apparemment spontané de la manifestation, comme le souligne un responsable de la zone 6 de la wilaya IV. Mais le peuple d’Alger était conscient de l’enjeu. Sa réaction fut politique. Il surprit les officiers de l’action psychologique qui pensaient l’entendre crier « Algérie algérienne », lui faisant avaliser, par- là, la politique néocoloniale du général de Gaulle intéressé par les gisements de pétrole de l’Algérie.
    En voyant le drapeau de l’Algérie combattante surgir dans Alger qu’il pensait « pacifiée », un des officiers confia à un journaliste français : « Nous avons subi un véritable Diên Biên Phû psychologique… Pensez qu’on crie « Vive le FLN ! ». Reprenant cette réaction, le journaliste écrivait : « L’explosion des sentiments populaires…réduisait à néant les constructions de l’action psychologique ».

    Un autre exemple pour illustrer ces manifestations sorties des entrailles de la société humiliée par le colonialisme français. Celui de la Casbah, berceau du nationalisme algérien, symbole de la lutte permanente contre l’ordre colonial sanguinaire, la Casbah qui connut la torture et les disparitions au cours de la Bataille d’Alger.
    La Casbah, encerclée par les Zouaves, entourée d’une triple rangée de barbelés, la Casbah des guillotinés réveillée par les you you des mères des martyrs crie à pleins poumons :

    « Tahya el Djazair,
    Yahia el Istiqlal. « 

    A travers les ruelles en escaliers, les enfants arborent le drapeau de l’Algérie combattante.
    Les manifestations patriotiques de masse gagnèrent tout le territoire, malgré les dangers de mort. Car il y a eu des morts par dizaines. Les militaires français tirèrent sur la foule à Alger, à Oran. Ils tuèrent la petite écolière Saliha Ouatiki (13 ans) dont l’enterrement au cimetière Sidi M’Hamed fut troublé par les tirs des militaires français sur la foule qui accompagnait l’enfant-martyr à sa dernière demeure.

    En ce mois de décembre 1960, la guerre d’indépendance entrait dans sa septième année. Les manifestations de masse, se conjuguant à la lutte armée, contraignirent le gouvernement français de discuter de l’avenir de l’Algérie avec le GPRA et de signer avec lui le cessez-le-feu, le 18 mars 1962.
    Les manifestations populaires, prélude de la victoire finale, marquèrent ainsi un tournant décisif dans la longue lutte du peuple algérien pour l’indépendance.

    Si le peuple, un jour, …….

    Mohamed Rebah Déc 11, 2015

    • C’est à Diên Biên Phû, au Viet Nam, que le corps expéditionnaire français subit la défaite qui sonna le glas du colonialisme français dans cette région. Un historien allemand qualifia les manifestations de décembre 1960 en Algérie de Diên Biên Phû politique pour la France impériale.

    http://www.babzman.com/les-journees-de-decembre-1960-le-tournant-decisif-par-mohamed-rebah/

  • Einstein et le sionisme (Que faire?)

    L’homme qui révolutionna la physique il y a tout juste 100 ans était plein de contradictions.

    Pour n’évoquer que ses idées politiques, il rejetait les nations et éprouvait une répugnance viscérale à l’égard des militaires. Ses engagements concrets furent pourtant en faveur de la bombe atomique américaine et en faveur du sionisme. Dans le cas de la bombe, c’est la peur de voir les nazis brandir le feu nucléaire qui le conduit à écrire au président Roosevelt pour l’inciter à les devancer. Il s’en mordit les doigts dès le mois de mai 1945, sans attendre Hiroshima.

    Pour le sionisme, on comprendra peut-être mieux comment cette idéologie a pu exercer un tel attrait si on examine comment Einstein a pu y adhérer.

    Le premier soutien de l’idée sioniste était un certain Napoléon Bonaparte. En 1799, il occupe l’Egypte et une partie de la Palestine. Afin de contrôler la région, il a l’idée d’inciter les Juifs de France à venir la coloniser. Pour cela, il prévoit de détruire la mosquée d’Al-Aqsa et de reconstruire le Temple de Salomon. Il fut vite chassé du Moyen-Orient et n’eut pas le temps de mettre son projet à exécution. Mais d’autres grandes puissances reprendront à leur compte l’idée d’une colonisation juive pour contrôler la Palestine.

    C’est finalement la montée de l’antisémitisme tout au long du XIXe siècle, puis jusqu’à la Shoah, qui alimentera le sionisme.

    Ces deux idéologies sont basées sur un même mensonge : sur l’idée que les Juifs seraient des étrangers dans leurs pays respectifs. Pourtant, ces pays ont aussi été bâtis par les Juifs, et c’est justement dans les pays qu’ils ont le plus contribué à construire que l’antisémitisme est le plus virulent au début du XXe siècle. En Russie, par exemple, ils sont accusés de tous les maux. Le gouvernement multiplie les brimades à leur encontre et encourage les pogroms. La police tsariste rédige le Protocole des sages de Sion, un document censé démontrer l’existence d’un complot juif pour conquérir le monde. Certains dirigeants russes envisagent même leur extermination. Et pourtant, la Russie doit son existence même aux Juifs.

    En effet, les Russes se sont sédentarisés au Xe siècle, après s’être emparés de la ville khazare de Kiev (Kiev signifie au bord de l’eau en Khazar). Apparentés aux Bulgares, les Khazars avaient bâti depuis le VIIe siècle un empire prospère entre la Mer Noire et la Mer d’Aral. Leur conversion au Judaïsme, décidée au IXe siècle par l’empereur Bulan, est la plus massive retenue par l’Histoire pour cette religion. Les Khazars sont l’un des rares peuples de l’époque à savoir frapper la monnaie, ce qu’ils font pour plusieurs voisins. Ils introduisent aussi le papier en Europe. Les marchands affluent d’Europe et d’Asie à la grande foire de Samandar, sur la célèbre Route de la soie (entre la Chine et l’Europe), tandis que par le port de Tmurtorokan transite le commerce de Bagdad et Constantinople avec la Scandinavie ou l’Europe de l’est. Avec l’aide des Byzantins, les Russes s’emparent des terres khazares, et s’efforcent au cours des siècles d’effacer les traces du peuple auquel ils doivent leur civilisation. Jusqu’à Staline, qui ordonna la construction d’un barrage dont les travaux causèrent malencontreusement la destruction de la forteresse de Sarkel. L’ultime trace que les nationalistes russes veulent effacer, ce sont les Juifs eux-mêmes. Ils les déportent vers la Crimée en 1942, ce qui revient à les livrer à Hitler.

    Naissance du nationalisme juif

    Persécutés en Russie, en Pologne, en Ukraine, quelques Juifs commencent dès le début du XXe siècle à adhérer au sionisme et à partir vers la Palestine. Mais beaucoup de réfugiés choisissent l’Europe occidentale, et particulièrement l’Allemagne. D’autres Juifs sont sur place depuis des siècles et se considèrent à bon droit comme des Allemands à part entière. A eux aussi, l’Allemagne doit beaucoup. D’anciennes familles juives sont si assimilées qu’elles sont devenues protestantes. Einstein, lui, ne croit qu’au Dieu de Spinoza, qui ne se préoccupe pas des humains, qui n’intervient jamais dans le monde qu’il a créé, et qui ne saurait ni passer une alliance avec un peuple élu ni même fonder une religion. Il ne se serait sans doute jamais considéré comme Juif s’il n’avait pas été confronté à l’antisémitisme.

    Il le rencontre lors de son installation à Prague en 1911 : il se déclare « sans religion » au guichet administratif mais voit le fonctionnaire écrire « Juif » sur son dossier. Invité en 1914 par l’Académie des Sciences de Saint-Pétersbourg, il prend position pour la première fois : « Je trouve scandaleux de me rendre sans nécessité dans un pays où les gens de ma tribu sont persécutés avec tant de brutalité. » Mais ce qui le choque plus encore, c’est l’attitude de la bourgeoisie juive allemande vis-à-vis des réfugiés. Celle-ci approuve la politique de la République de Weimar, qui les parque dans des camps et des ghettos. Einstein prend publiquement la défense des réfugiés. « Les Juifs n’ont pas à plaider à charge contre une partie de leur peuple pour être acquittés par les antisémites. [...] Nous ne devons pas consacrer tous nos efforts à ne pas passer pour des Juifs, bien au contraire, nous devons nous imposer en tant que Juifs. » II commence à parler de « nationalité juive ». Ce sont en effet les antisémites qui lui imposent sa judéité et, pour lui, celle-ci ne peut pas être de nature religieuse.

    En 1921, il accompagne aux Etats-Unis le président du Mouvement Sioniste, Chaïm Weizmann, afin de récolter des fonds pour l’Université hébraïque de Jérusalem. Mais, déjà, des affrontements opposent en Palestine les colons sionistes aux populations arabes. Einstein s’inquiète d’un « nationalisme juif très virulent qui menace de dégénérer en étroitesse d’esprit ». La pression antisémite l’empêche pourtant de rompre lui-même avec ce nationalisme, qu’il qualifie de nécessité mais qui est si contraire à ses autres convictions. « Si nous n’étions pas contraints de vivre au milieu de gens violents, étroits d’esprit, je serais le premier à rejeter le nationalisme au profit d’un humanisme universel. »

    Contradictions

    Les idées politiques d’Einstein sont plus confuses que ses théories scientifiques. Et il n’est certainement pas le seul, alors, à connaître une telle confusion. Tout en faisant la promotion du sionisme, il déclare en 1938 : « Ma conscience du judaïsme résiste à l’idée d’un État juif avec des frontières, une armée, et une part de pouvoir temporel ». En 1946, il accuse les Anglais de diviser Juifs et Arabes pour mieux régner et s’oppose au partage de la Palestine en deux États. Il prône un État binational où Juifs et Arabes vivraient ensemble. L’ONU ne l’écoute pas et vote un plan de partage qui accorde 57 % de la Palestine aux Juifs et 43 % aux Arabes. À l’époque, pourtant, les terres détenues par les colons sionistes ne représentent que 5,5 % de la Palestine. Aussi les Arabes refusent-ils ce partage et déclarent-ils la guerre à l’État naissant d’Israël. C’est ainsi qu’ils vont tout perdre. Les Palestiniens sont chassés de leurs maisons et deviennent des réfugiés à leur tour.

    Einstein se résigne. Il admet que les Israéliens « doivent se battre pour leurs droits ». Parce qu’il prône le désarmement, il est aux États-Unis la cible des maccarthystes, comme il était en Allemagne la cible des nazis. Il en vient donc à considérer Israël comme sa patrie. Mais en 1952 il refuse la proposition de David Ben Gourion, qui voulait faire de lui le nouveau président de l’État d’Israël : « Si j’avais été président il m’aurait fallu dire parfois au peuple israélien des choses qu’il n’a pas enve d’entendre ». En fin de compte, l’erreur d’Einstein aura été de ne pas analyser le problème en terme de classes.

    Si la bourgeoisie juive allemande méprisait les Juifs de l’Est, ce n’est pas parce qu’elle avait perdu sa « conscience juive » mais parce qu’elle trouvait son intérêt dans l’exploitation de ce sous-prolétariat. C’est elle qui, comme le reste de la bourgeoisie et pour mieux régner, divisait les travailleurs entre Allemands et étrangers. Une autre erreur aura été de faire des concessions à l’antisémitisme : de se considérer comme étranger dans son propre pays simplement parce que ses ennemis le proclamaient. Après la Shoah, beaucoup de Juifs ont commis les mêmes erreurs, et c’est bien compréhensible. Aujourd’hui encore, la montée de l’antisémitisme dans le monde provoque un nouvel afflux de Juifs vers Israël, où ils remplissent les colonies, toujours à cause de ces erreurs. Des erreurs tragiques que Palestiniens et même Israéliens n’ont pas fini de payer.

    Brice Errandonea 6 septembre 2009

    Sources :

    Ne dites pas à Dieu ce qu’il doit faire, François de Closets, Ed. France Loisirs

    Le vent des Khazars, Marek Halter, Ed. Robert Laffont

    Histoire de l’autre, 12 historiens israéliens et palestiniens. Ed. Liana Levi

    http://quefaire.lautre.net/Einstein-et-le-sionisme

    Commentaire: La conversion des Kazhars serait une théorie (pour le moment)

  • Les fondements du sionisme (Julien Salingue)

    L’État d’Israël est le fruit d’un projet, conçu en réaction à l’antisémitisme qui sévissait en Europe, dont il faut connaître l’histoire pour comprendre le conflit d’aujourd’hui.

    En août 1897, le premier Congrès sioniste adopte une déclaration se fixant pour objectif « d’assurer au peuple juif un foyer en Palestine garanti par le droit public ». L’idée sioniste, née au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, se cristallise en un mouvement politique. Les théoriciens et dirigeants sionistes déduisent de la montée de l’antisémitisme en Europe l’impossibilité de la coexistence entre Juifs et nations européennes. La solution qu’ils préconisent est la constitution d’un État juif, refuge face aux persécutions. Le sionisme est paradoxalement l’expression d’un défaitisme face à l’antisémitisme, substituant le départ à la lutte organisée.

     Si le principal idéologue du sionisme, Theodor Herzl, est un Juif occidental, c’est à l’Est que le mouvement se développe, pour des raisons d’ordre socio-économique. Les Juifs y sont victimes de la brutale pénétration du capitalisme industrialisé dans des économies de type féodal. Les bases de leurs activités traditionnelles (petit commerce et artisanat) ont été sapées et le développement du machinisme a compromis leur éventuelle assimilation économique via la prolétarisation. Des centaines de milliers de Juifs sont éjectées du système de production et émigrent, devenant la cible d’un antisémitisme attisé par les classes dominantes, qui recourent à la stratégie du bouc émissaire.

    C’est chez ces Juifs déclassés et stigmatisés que le sionisme rencontre son principal écho. On peut comprendre la genèse idéologique du sionisme en le situant dans son contexte politique. La seconde moitié du XIXe siècle est la période de l’exaltation des nationalismes chauvins et de la glorification des expéditions coloniales. Le sionisme est un nationalisme qui postule l’existence d’un peuple juif sur des critères raciaux et l’impossibilité de son assimilation aux autres Européens. C’est un projet colonial, qui prône l’installation d’une population européenne sur une terre arabe. Herzl se situe dans le cadre colonialiste et écrit que l’État juif sera « l’avant-garde de la civilisation contre la barbarie » [1].

     Le congrès de Bâle préconise « l’encouragement systématique à la colonisation de la Palestine » et « des démarches […] afin d’obtenir des gouvernements le consentement nécessaire pour atteindre le but du sionisme ». Ces deux recommandations sont annonciatrices de deux contradictions qui structurent encore le conflit entre Israël et le peuple palestinien. La première est la contradiction entre la volonté de créer un État juif en Palestine et l’existence d’un peuple autochtone sur cette terre (il n’y a que 5 % de Juifs, en Palestine, en 1900). La seconde est la contradiction entre la rhétorique émancipatrice du sionisme et sa communauté d’intérêts avec les puissances impérialistes.

    Un cap est franchi, en novembre 1917, lorsque la Grande-Bretagne, qui va devenir puissance mandataire en Palestine à la suite de la décomposition de l’Empire ottoman, affirme par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Lord Balfour, que « le gouvernement de sa Majesté envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif ». C’est un encouragement à l’entreprise sioniste, et la colonisation s’accélère, a fortiori durant les années 1930 et l’avènement du nazisme. L’opposition des Arabes palestiniens à la colonisation s’exprime à de multiples reprises, notamment en 1936, avec une grève générale de six mois. En 1939, les Juifs représentent environ 30 % de la population de la Palestine.

    Le génocide confère une légitimité nouvelle au sionisme et les grandes puissances voient d’un bon œil la création d’un État allié au cœur d’une région aux enjeux géostratégiques majeurs, dans laquelle se développent les mouvements anticoloniaux. C’est ainsi qu’en novembre 1947, l’ONU décide d’un partage de la Palestine entre un État juif (54 % du territoire) et un État arabe (46 %). Les dirigeants sionistes acceptent le partage mais vont tout mettre en œuvre pour étendre au maximum la superficie de l’État juif et pour en expulser les non-Juifs. Lorsqu’en mai 1948, Israël proclame son indépendance, qui déclenche la première guerre israélo-arabe, 400 000 Palestiniens ont été chassés. À l’armistice, en 1949, Israël a conquis 78 % de la Palestine et 800 000 Palestiniens sont réfugiés.

    La Cisjordanie et la Bande de Gaza (lignes d’armistice) sont nées, respectivement sous autorités jordanienne et égyptienne. Des camps de réfugiés sont établis par l’ONU, qui existent toujours, à Gaza, en Cisjordanie, mais aussi en Jordanie, en Syrie et au Liban. En juin 1967, au cours de la guerre des Six-Jours, Israël conquiert, entre autres, 100 % de la Palestine. Cette conquête crée une situation nouvelle, car Israël n’a pu mettre en œuvre un plan d’expulsion, comme en 1947. L’État « juif et démocratique » administre l’ensemble des zones palestiniennes et devra, tôt ou tard, choisir entre la nature sioniste de l’État et ses prétentions démocratiques.

    La violence de l’occupation, la colonisation et le développement du mouvement national palestinien débouchent, en 1987, sur un soulèvement dans les territoires occupés, la première Intifada, qui conduit l’État sioniste à des adaptations : Israël garde le contrôle de 90 % de la Palestine et laisse la gestion des zones les plus peuplées à un pseudo-appareil d’État créé pour l’occasion, l’Autorité palestinienne (AP). Israël ne prend aucun engagement quant aux colonies, à Jérusalem ou aux réfugiés, et il se contente de « transférer des compétences », notamment sécuritaires, à l’AP, composée de la fraction la plus bureaucratisée et capitularde du mouvement national, la direction de l’OLP, jusqu’alors exilée à Tunis. Ce sont les Accords d’Oslo (1993-1994).

    La poursuite de la colonisation, de la répression, l’impasse des négociations, auxquelles s’ajoutent les pratiques autoritaires, clientélistes, voire mafieuses de l’AP, conduisent à une nouvelle révolte palestinienne, en septembre 2000. C’est le début de l’effondrement du projet de mise en place d’un pouvoir palestinien soumis à Israël et aux puissances impérialistes, qui se poursuit en 2006 avec l’élection du Hamas. En votant pour une organisation qui affirme vouloir poursuivre la résistance, la population a parlé : elle refuse un pseudo-État constitué de cantons gérés par un gouvernement collaborationniste et elle n’est pas prête à abandonner ses droits, y compris le droit au retour pour tous les réfugiés.

     Tout a été mis en œuvre, depuis, pour isoler le Hamas, le mettre sous pression, faire payer à la population ses choix démocratiques et, à terme, imposer un « règlement » aux conditions israéliennes. Dernier avatar de cette politique, l’offensive contre Gaza n’est que l’expression de la nécessaire fuite en avant d’Israël, pris dans ses contradictions. L’État sioniste ne peut reconnaître les droits du peuple palestinien, mais il ne peut pas non plus faire disparaître ce peuple. Par sa politique de répression criminelle, il ne fait que jalonner son avenir d’autant de bombes à retardement qui, tôt ou tard, exploseront. Cette offensive est aussi l’expression de l’exacerbation du conflit entre les pays impérialistes, leurs alliés, et les peuples du monde entier.

    Julien SALINGUE  31 décembre 2015

     Notes : [1] Theodor Herzl, L’État des Juifs (1896).

    Source:

    http://jeunes.npa2009.org/spip.php?article275

    http://www.anti-k.org/2015/12/31/les-fondements-du-sionisme/

    Lire aussi:

    https://www.marxists.org/francais/leon/CMQJ00.htm

    https://www.marxists.org/francais/cliff/1998/00/cliff_19980000.htm

    https://www.marxists.org/francais/4int/suqi/1967/05/manifeste_matzpen.htm

    http://revolutionsarabes.hautetfort.com/theses-du-groupe-trotskyste-palestinien-marxists-org

    http://revolutionsarabes.hautetfort.com/la-partition-de-la-palestine-marxist-org

  • Demain on enterre Aït Ahmed dans la Wilaya de Tizi Ouzou, Kabylie, Algérie (Anti-k)


    L’arraisonnement d’Alger aout 56

    Hocine Ait Ahmed est mort le 23 décembre 2015, à 89 ans. Il aura passé sa vie à lutter pour un pouvoir socialiste et démocratique en Algérie. Le dernier des neufs chefs historiques de la Révolution Algérienne, cofondateur du FLN s’est éteint en Suisse. Il sera enterré demain en Suisse. Il est l’un de ceux qui en France dans les années 80, permirent de mieux comprendre pour des milliers de Français l’histoire de cette guerre d’indépendance du côté Algérien.

    Revenu lors du soulèvement kabyle en 1988, il repart en 1992 après l’assassinat de BOUDIAF lui-même, chef historique… On peut les voir tous deux avec BEN BELLA, KHIDER, LACHERAF, menottes aux poignets, à ALGER après avoir été arraisonnés dans un avion RABAT TUNIS …Coup monté en 56 par le gouvernement MOLLET qui élu pour rétablir la paix en Algérie, enverra le contingent et des milliers de Français jeunes dans cette sale guerre, qui entacha la SFIO des pratiques sales de la torture systématique, après avoir donné les plein pouvoirs à l’armée, multiplié les exécutions et les assassinats contre un FLN qui ne fit qu’accroître son influence sur le Peuple Algérien en Algérie, comme en métropole.

    Son bras droit du FFS (fondé en Kabylie lors de l’affrontement avec le pouvoir de BEN BELLA de Septembre 63 à 65) sera assassiné en 88 par un obscur petit truand financé par les services algériens, à PARIS. Arrèté, le tueur est réexpédié en Algérie, sans aucun jugement par l’Etat Français en pleine période de cohabitation.

    Le FFS, le parti créé par AIT AHMED, est à l’origine du pluralisme algérien. Il est créé à la suite du fameux discours de TIZI OUZOU où AIT AHMED appelle au soulèvement. La Kabylie se soulève. Ben Bella chef de l’état, envoie le Colonel Boumédienne qui ratisse la région sans parvenir à ses fins. On relève plus de 400 morts dans les villages et les villes et des milliers d’arrestations.. pourtant le mouvement d’AIT AHMED survit, même après son arrestation et son emprisonnement à la prison de LAMBESE, condamné à mort, puis gracié.

    BEN BELLA est contraint de négocier… le pluralisme est sur le point de naître d’un accord passé entre le pouvoir et le FFS… mais trois jours après la signature, le 19 Juin 1965, BOUMEDIENE prend le pouvoir. BEN BELLA sera assigné à résidence pendant plus de 12 ans… AIT AHMED réussit à s’évader.

    En 1988, un soulèvement a lieu à TIZI OUZOU.. la répression s’abat… AIT AHMED rentrera en 1989, fort d’avoir su entre 63 et 65 contenir le conflit entre Alger et Tizi Ouzou en évitant l’ethnicisation du conflit intérieur.

    En 92 à la mort de BOUDIAF, AIT AHMED après avoir relancé le FFS s’exile pour ne revenir que sporadiquement en Algérie.. Comme le dit POLITIS … à ce moment là, alors que l’armée assassine BOUDIAF se servant de la confusion créée par l’émergence des islamistes, peut être scelle t’il son destin… Certes il a gagné la guerre d’Algérie… Il a par contre perdu la paix du temps de son vivant.

    Il reste une des références du pluralisme algérien, de la lutte pour l’indépendance et de l’idée démocratique et socialiste en Algérie.

    Il sera enterré Vendredi aux côtés de sa mère. Jugurtha son fils, lui rendait cet après midi à LAUSANNE un hommage émouvant.

    En AVRIL 1992, dans le cadre d’une conférence Méditerranéenne, il prononçait un discours qui n’est pas totalement sans rapport avec la situation que nous vivons en France….alors que le FIS émergeait dans les urnes algériennes.

    Blog mediapart – 31 DÉC. 2015 – PAR PASCAL GERIN-ROZE

    Khider_-_Lacheraf_-_Aït_Ahmed_-_Boudiaf_-_Ben_Bella

    “Le processus démocratique en Algérie et la coopération en Méditerranée”

    Extrait  de l’Intervention de Hocine Aït-Ahmed, Colloque à Madrid, avril 1992

    Madame le président, Mesdames, Messieurs,

    Quelques paroles en espagnol pour exprimer mes vifs remerciements et vous dire la joie d’être ici, parmi vous.

    Pour moi, l’Espagne est, bel et bien, le pays où je suis venu souvent, pendant et après la guerre de libération de mon pays. Mais le souvenir le plus émouvant est la dernière rencontre que j’ai eu, à Madrid, en mars 1955 avec Larbi Ben M’Hidi, l’un des meilleurs dirigeants de la Révolution Algérienne. C’était la veille de son retour, vers ce peuple qu’il a tant aimé. Il sera fusillé, comme vous le savez, par la soldatesque coloniale. L’Espagne, c’est également cette civilisation hispano-musulmane qui a marqué la culture universelle. C’est surtout, pour nous, aujourd’hui, le succès d’une transition pacifique et progressive, de la dictature à la Démocratie.

    Ce succès est dû à la maturité de votre peuple, à la lucidité de vos dirigeants et des forces vives du pays. Sans la Démocratie, comment l’Espagne serait-elle devenue ce qu’elle est, libre, plurielle et prospère. Comment pouvait-elle devenir un vrai pôle culturel qui rayonne dans tous les domaines.

    Madame le président, Mesdames, Messieurs,

    Ainsi se termine votre torture, je poursuis mon intervention en langue française.

    Il n’est pas question de refaire ici l’histoire de si qui conduit l’Algérie au désastre. Mais avant d’évoquer la situation actuelle, je voudrais rappeler deux données fondamentales du système politique algérien sans lesquelles il est impossible de comprendre ce qui se passe :

    • L’une concerne le FLN :
    • Le parti unique n’a jamais été l’instance suprême dont dériveraient tous les instruments du pouvoir qui détermineraient la stratégie du système. C’est au contraire un pluralisme d’appareils qui a caractérisé le FLN. On y retrouve l’armée, la police politique, les syndicats, les organisations dites de masse, les associations professionnelles…Et ces clans se sont livré entre eux des luttes souvent plus dures que s’ils se réclamaient de partis différents.
    • l’autre concerne l’armée :

    Depuis 1962, elle est érigée en maîtresse du destin national. Ayant défini la stratégie du système jusqu’en 1990, elle assume désormais davantage de responsabilités dans la gestion directe du pouvoir. Elle a partagé et partage encore l’essentiel du pouvoir avec la police politique dans un rapport complexe fait parfois d’alliances mutuelles. C’est dans le jeu subtil entre ces deux instances – parti unique et armée – que s’est décidée toute la vie politique de notre pays.

    Les événements d’Octobre 1988 ont constitué un séisme qui a mis à nu l’impopularité et le discrédit du FLN. L’ouverture démocratique qui les a suivis fut pour le pouvoir la seule sortie honorable de la crise économique et sociale et pour fuir ses propres contradictions.

    En effet, les luttes féroces entre les différents groupes du pouvoir avaient fini par totalement paralyser les institutions. Acculé par la révolte des jeunes, le régime n’avait plus le choix qu’entre une dictature militaire – dont notre armée ne voulait pas – et une sortie qui assurerait la pérennité du système. Il a opté pour une transition démocratique…à petites doses, à doses calculées ! A lui seul, le terme d’ “ association politique ” pour désigner les partis autres que le FLN, montre l’ambiguïté de cette transition. Le code de l’Information – que tous les journalistes estiment être un “ code pénal bis ”- ; la multiplication des partis politiques sans aucune base sociale, phénomène encouragé quand il n’a pas été organisé, montraient aussi les limites d’une transition où le FLN poursuivait sa domination de la vie politique. N’ayant ni relais ni crédit dans la population, le pouvoir optait pour la parcellisation et l’atomisation du champ politique, tout en maintenant son hégémonie sur les institutions étatiques.

    Ce pari était dangereux et nous n’avons pas fini d’en payer les conséquences : il a donné aux Algériens une vision caricaturale du “ politique ” et à continuer à les dégoutter du pluralisme. Malgré ces obstacles, notre peuple est sorti de sa léthargie : même imparfaits, même avec parfois une déontologie très…approximative, des journaux se sont crées, le mouvement associatif s’est développé, le combat pour les droits de la personne humaine a acquis le droit de cité.

    Le succès du FIS aux élections municipales en juin 1990, aurait pu être l’occasion pour le pouvoir de tirer des enseignements sérieux et de renoncer à sa stratégie de bipolarisation FIS – FLN qui a pris en otage la société algérienne. Il a réussi à manipuler l’opinion nationale et internationale en attribuant sa défaite à un simple “ vote sanction ”, qui nécessiterait seulement de réorganiser l’ex-parti unique, au lieu d’analyser cette défaite comme celle du régime politique. De plus, il a tenté de faire porter au FFS, qui avait boycotté ces élections municipales, la responsabilité de la victoire du FIS. Ce qui démontrait au passage qu’il considérait le FFS comme un contrepoids politique réel et crédible. Parallèlement, on a continué à essayer d’organiser un champ politique sur mesure qui permettrait au gouvernement de rester le seul arbitre.

    Tout a été mis en œuvre pour qu’aucun parti ne puisse apparaître comme une alternance. Et surtout pas le FFS. Nos prises de position, nos deux premières marches en mai et décembre 1990 n’ont pas été médiatisées alors qu’elles avaient, chacune, réuni plus de monde que l’ensemble des autres marches. Nous avons eu les pires difficultés à obtenir des locaux. Sans parler du plus grave : les efforts pour nous fixer en Kabylie dans un premier temps, et pour nous empêcher de nous structurer au niveau national, dans un second temps. A la veille des élections législatives de juin 1991, les exactions du FIS – tolérées voire suscitées – ont été le prétexte à une première interruption du processus électoral et à quatre mois d’asphyxie politique sous état de siège.

    Mais l’événement nouveau dans le processus démocratique est l’implication directe de l’armée qui apparaît ainsi comme la gardienne du système politique. Certes, elle intervient contre les débordements du FIS, mais elle impose en même temps le départ d’un chef de gouvernement qui avait la confiance de chef de l’Etat. Mais ne nous y trompons pas : ces interventions comportent un risque pour une institution qui s’est voulue “ l’émanation du peuple ” : l’échec des politiques suivies par le gouvernement Ghozali, et éventuellement par le Haut Comité d’Etat, pourrait être considéré comme celui de l’intervention de l’armée elle-même. C’est le risque devant lequel nous nous trouvons aujourd’hui, trois mois après le coup d’Etat. Avant d’aller au-delà dans l’analyse de la situation actuelle, je voudrais être clair sur un point : Le DANGER que représenterait pour nous une Algérie qui sombrerait dans l’intégrisme.  Je sais que beaucoup d’Algériens et que beaucoup d’entre vous, ici, en Europe, sont sincères lorsqu’ils disent redouter l’arrivée au pouvoir d’extrémistes religieux.

    Passons d’abord sur l’étrangeté qui réside à vouloir singulariser la démocratie en Algérie en affirmant qu’elle doit être sauvée, non par son peuple, mais par des tanks !…Et venons en à l’essentiel. Nous avons trop dénoncé depuis 1989 le laxisme de l’Etat face aux menées du FIS pour que notre position en la matière souffre la moindre ambiguïté. Cela nous donne le droit de rappeler que ceux qui se proclament aujourd’hui les pourfendeurs du FIS ont une terrible responsabilité dans son ascension.

    Qui peut contester en effet que l’intégrisme religieux en Algérie est l’héritier d’un intégrisme nationaliste fondée sur la pensée unique, l’enfermement sécuritaire allié à la haine anti – occidentale ?

    Qui a décrété l’Islam religion d’Etat ?

    Qui a élaboré et imposé un Code de la Famille des plus obscurantistes ?

    Qui, autre que le FFS, a affronté le FIS sur le terrain quand il tentait de perturber ici un gala, là d’expulser une association musicale ?

    Je ne suis, nous ne sommes au FFS, ni des rêveurs, ni des manipulateurs : avant d’appeler au deuxième tour des élections, nous avons bien réfléchi à ce scénario qui, à partir d’une majorité parlementaire intégriste, pouvait faire basculer notre pays vers le modèle iranien.

    Mais nous avions le sentiment qu’à l’épreuve du pouvoir, le FIS se serait affaibli, voire aurait implosé étant donné qu’il n’a pas d’expérience de gestion, qu’il n’a pas de programme de substitution à sa démarche magico- métaphysique et qu’il est traversé par des courants contradictoires. Nous l’avons dit et répété : la Constitution permettait au Président de la République d’intervenir pour défendre la démocratie et les Droits de l’Homme. Et si on n’avait pas confiance en la magistrature suprême, si opération de choc il devait y avoir, elle pouvait attendre de prendre les “ comploteurs ” en flagrant délit. La tenue du second tour aurait par ailleurs, j’en suis sûr, permis le ressaisissement du corps électoral. La réussite de la manifestation à laquelle j’ai appelé le 2 janvier le montre. Nous avions la quasi- certitude – et le pouvoir le reconnaissait – que remporterions à Alger des victoires sur le FIS hautement symboliques, ainsi qu’à Sétif et Boumerdès.

    Si nous avons voulu jouer le jeu, c’est parce que nous rejetons notamment les amalgames trop rapides qui visent à faire passer l’Algérie pour l’Iran. A qui fera-t-on croire que la religion a, dans notre pays, les mêmes racines qu’elle a en Iran ?  Comparaison n’est décidément pas raison. J’ajouterai à propos de l’Algérie et de l’Iran que comparaison est déraison. Car, pouvait-on imaginer à Téhéran, en pleine ascension de Khomeini au pouvoir, une manifestation comme celle organisée par mon parti le 2 janvier à Alger, qui fut la plus importante et la plus joyeuse depuis l’indépendance ?  Non, soyons sérieux : ce qui s’est passé en Algérie en deux étapes – juin 91 et janvier 92 – est une espèce de révolution de palis, une énième tentative de restructuration du pouvoir en place par le sommet. Un groupe du système a remplacé un autre groupe.  En Octobre, comme en Juin, comme en Janvier, l’escalade a été programmée. Chaque fois, pour ne citer que cet exemple, des voitures banalisées ont tiré sur la foule.

    • Si la lutte contre le FIS avait été le seul moteur de l’interruption du processus électoral, pourquoi l’armée n’avait pas imposée sa dissolution dès juin 1991, au moment où le FIS était au plus bas de sa popularité ?
    • Pourquoi a-t-on laissé des mairies contrôlées par le FIS établir les listes des indigents qui pouvaient recevoir une aide au lieu de confier cette tâche à l’administration ?
    • Le FIS n’en aurait pas tiré le profit électoral que je vous laisse imaginer… Pourquoi le gouvernement s’est- il empressé de faire voter à un parlement moribond et discrédité des lois aussi importantes que celles sur les hydrocarbures, l’ordre public, le parjure ?
    • Le pouvoir ne croyait-il pas vraiment à la tenue des élections, et donc à l’avènement d’un nouveau parlement ?
    • Si le FIS était véritablement l’ennemi n° 1, pourquoi le chef du gouvernement a-t-il pris pour cible le FLN – et accessoirement le FFS – pendant toute la campagne électorale ?
    • Ignorait-il que traiter de “ menteur ” et de “ corrompu ” un parti (qui est aussi le sien) et qui se confond depuis trente ans avec le pouvoir aurait FATALEMENT des conséquences désastreuses sur l’électorat ?
    • Pourquoi un scrutin majoritaire à deux tours qui octroie à 25% des suffrages 60% des sièges ?
    • Pourquoi un découpage électoral qui a enlevé environ 45 sièges dans les régions où le FFS est le mieux implanté ?
    • Ne parlons pas du véritable charcutage électoral visant à nous enlever encore quelques sièges ici et là ?

    Non, ce n’est décidément pas l’ “ immaturité du peuple algérien ” qui explique le résultat du 26 décembre.

    L’absence d’alternative démocratique crédible ne l’explique pas davantage. Si c’était le cas, le pouvoir n’aurait pas autant d’énergie à tout faire pour entraver le FFS. Il n’aurait pas eu la même peur devant le FIS que devant la possibilité de voir le FFS devenir une alternative, c’est-à-dire le rassembleur non seulement des démocrates, mais aussi d’une partie de la majorité silencieuse après le succès de la marche organisée entre les deux tours.

    Est-il exagéré après cela de dire que ce coup était loin d’avoir une SEULE CIBLE ?

    Aujourd’hui, trois mois après l’interruption du processus électoral, nos prévisions les plus sombres sont, hélas, dépassées. Notre pays est dans une impasse politique qui met en danger sa cohésion et son devenir. Le FIS, c’est banal de le dire, a prospéré et mobilisé les “ lumpens ” en exploitant trois problèmes cruciaux de notre société :

    • La crise économique et sociale
    • L’illégitimité et la corruption du pouvoir
    • Le “ vide politique ” qui, pendant trente ans, fait des mosquées le seul lieu de parole.

     

    Où sommes-nous de ces problèmes ?

    La crise économique et sociale ?

    Elle s’est aggravée. Le régime affirme que les problèmes de l’Algérie sont “ avant tout d’ordre économique ”. Mais ne soyons pas hypocrites : les nouvelles autorités ont perdu tout espoir de stabiliser la faillite économique, au moins pour le court terme. Les indicateurs socio-économiques sont au rouge. Des millions d’Algériennes et d’Algériens vont s’enfoncer davantage dans la pauvreté et la précarité.

    Croit-on qu’ils pourront accepter le traitement de choc qu’on veut leur administrer ?

    Il est clair, hélas, qu’il n’y aura pas de coup de baguette magique qui redressera notre économie.

    Le problème de la légitimité ?  

    On attendait des ruptures avec l’ordre ancien, d’ailleurs promises par le HCE dès son installation. On les attend toujours. Le discours actuel s’inscrit dans la continuité. Tournant le dos à ses promesses, le pouvoir a reconduit les principaux responsables du régime. Et il y a ajouté quelques renégats des trois formations politiques importantes pour donner l’impression qu’il existe une volonté d’associer celles-ci à la gestion du pays. Le gouvernement Ghozali avait promis des élections libres et propres. Il a mené le pays à la catastrophe. Et il est toujours là, alors qu’il avait lui-même proclamé lors de son investiture que l’échéance législative était sa seule raison d’être. On fait en outre semblant de croire que la légitimité historique peut servir de substitut à la légitimité tout court, tout en continuant d’exploiter la légitimité religieuse…

    Mais qui croira qu’on accorde un réel intérêt à ce problème pourtant crucial de la légitimité quand l’absence de dialogue avec les forces politiques issues des urnes est évidente ?

    La logique de l’octroi et les pratiques de cooptation sont à nouveau mises en avant. On n’envisage pas la reprise du processus électoral avant deux ans. Mieux : on envisage de faire la Constitution par un organe consultatif qu’on ne parvient pas à créer et dont on ignore les prérogatives précises.

    La lutte contre la corruption ? Elle prend aujourd’hui des allures de règlement de comptes personnels. Tout se passe comme si l’étalage de quelques dossiers était destiné à faire oublier l’essentiel. L’éradication de ce fléau passe en effet par l’instauration d’un état de droit respectueux des libertés publiques et de la séparation des pouvoirs. Rien n’est fait pour s’attaquer aux causes fondamentales de cette gangrène : la nécessité de mette fin au pouvoir absolu qui engendre la corruption absolue.

    Comment imaginer qu’avec les mêmes hommes, les mêmes méthodes, les mêmes justifications, on puisse enrayer un fléau profondément ancré dans le système ?

    Le “ vide politique ” ? Sans grand espoir de pouvoir améliorer la situation économique et sociale de millions de chômeurs et d’exclus, le pouvoir ne fait rien par ailleurs pour ne pas laisser au FIS le monopole de la moralisation de la vie publique et de l’opposition. Ainsi, on n’hésite pas à affirmer qu’il “ n’existe pas de parti démocratique ”… et ce n’est pas vrai, on fait tout pour qu’il en soit ainsi. Ce qui explique notamment l’acharnement à vouloir étouffer ou discréditer le FFS.

    Il faut regarder les choses en face : le processus démocratique est bel et bien stoppé. On nous dira que rien n’est interdit. C’est vrai ! Mais il n’y a pas besoin d’interdire, puisque tout est soumis à autorisation et que les autorisations ne sont pas données…On arrive ainsi à une EXTINCTION SUBTILE de la VIE POLITIQUE. En février dernier, nous n’avons pas eu l’autorisation de tenir un colloque dans une salle fermée sur “ l’avenir de la démocratie ” auquel devait participer de nombreuses personnalités. Des locaux de notre parti ont été fermés. L’interpellation pour deux heures ou pour 24 heures de militants du FFS est là pour intimider et réintroduire la peur.

    Les atteintes à la liberté de la presse témoignent elles aussi, de la volonté d’embrigadement des média. Les associations syndicales, alliées d’hier, et aujourd’hui critiquées, sont dans le collimateur. La volonté affirmée de “ recomposer le champ politique ” procède toujours du même fantasme : inventer des forces qui n’existent pas, hier, c’était les “ indépendants ” – dont on a vu l’échec électoral -, aujourd’hui, un “ grand rassemblement ”. Qu’il soit entendu que je ne conteste à personne, et surtout pas à celui qui fut mon compagnon de lutte et de prison et qui, de surcroît, s’est toujours réclamé de la démocratie – le droit de vouloir se constituer une base politique en créant un parti. Mais pas avec les moyens et au nom de l’Etat, au moment où, précisément, on annonce le retrait de toute subvention aux partis qui, comme le nôtre, est loin de disposer des moyens considérables du FLN.

    Bref, je suis inquiet car on recrée le “vide politique” qui a fait le lit du FIS. Et ce “vide” ne pourra être rempli que par les extrémistes…

    Hocine Ait Ahmed

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     31 décembre 2015

    http://www.anti-k.org/2015/12/31/demain-on-enterre-ait-ahmed-dans-la-wilaya-de-tizi-ouzou-kabylie-algerie/

    Voir aussi:

    http://www.algeria-watch.org/fr/article/tribune/haroun_a_propos_ait_ahmed.htm

  • «Le meilleur hommage à Si L’Hocine, c’est l’instauration de la démocratie» (Algeria Watch)

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    Proche collaborateur durant la période difficile des années 1990, Mustapha Bouhadef apporte son témoignage sur le leader Aït Ahmed, le politique et l’homme qui se confondent. «On ne peut distinguer, chez Hocine Aït Ahmed, l’être humain de l’homme politique. Sa lutte pour les droits de la personne humaine et la démocratie est indissociable du vécu quotidien des Algériens.»

    Vous étiez l’un des collaborateurs directs de Hocine Aït Ahmed au sein du FFS pendant de longues années. A quand remonte votre premier contact et dans quel contexte ?

    Mon premier contact avec Hocine Aït Ahmed date de 1990, au moment de l’ouverture politique ayant suivi les événements d’Octobre 1988, qui laissait espérer enfin une voie démocratique. C’est dans ce contexte que j’ai rencontré Si L’Hocine, qui recevait beaucoup de monde à l’époque et qui m’a convaincu, par son charisme et le programme politique, de rejoindre le FFS.

    Dans le cadre de la préparation des textes du premier congrès, j’ai eu le privilège de diriger une commission sur l’éducation et la culture, qui a élaboré le projet du «système éducatif» du parti, avec le concours de beaucoup de compétences avérées dans ce domaine particulier. La période de la préparation de ce congrès était particulièrement féconde et constructive, période où j’ai commencé à mieux connaître Si L’Hocine.

    La période la plus difficile était la décennie rouge, notamment les années 1994 à 1996. Comment l’avez-vous vécue au FFS ? Avez-vous subi des pressions ?

    En effet, c’était une période très difficile. Hocine Aït Ahmed a été obligé de reprendre le chemin de l’exil pour différentes raisons, dont la «liquidation» en direct à la télévision de Mohamed Boudiaf pendant une conférence à Annaba, qui signifiait à la population jusqu’où les assassins pouvaient aller ; la fermeture de plus en plus dure des champs politique et médiatique ; la gestion, par un pouvoir autoritaire, de la société, avec une restriction drastique des libertés individuelles et collectives, faisant fi des droits de la personne humaine, droits qui furent le combat permanent d’Aït Ahmed.

    C’était une période où, pour le FFS, il s’agissait de résister, pacifiquement bien sûr, et de préserver ses militants, au moment où les enlèvements et les assassinats étaient le quotidien de la population algérienne. N’oublions pas le lourd tribut payé par le FFS avec les assassinats de militants, membres du conseil national, de M’barek Mahiou, secrétaire national, tant regrettés par tous. C’était aussi la période du contrat national qui aurait pu constituer une sortie de crise pacifique et qui aurait pu éviter la tragique effusion de sang. C’est dans cette conjoncture que, fin décembre 2001, des individus armés se sont présentés à mon domicile, alors que je n’y étais pas…

    Quels étaient vos rapports avec Aït Ahmed à ce moment-là ? Comment réagissait-il aux événements ?

    Nous nous rencontrions régulièrement à l’étranger, le secrétariat national et lui-même, pour faire des analyses de la situation du parti et du pays ; pendant ces séances il écoutait tout le monde et des décisions étaient prises concernant la marche du parti. De plus, son contact avec le FFS était pratiquement quotidien et on réalisait qu’il suivait attentivement l’évolution politique dans le pays.

    Qu’est-ce qui vous a le plus marqué chez l’homme ? Au-delà de l’homme politique, Aït Ahmed, l’humain, comment le décrivez-vous ?

    On ne peut distinguer chez Hocine Aït Ahmed, l’être humain de l’homme politique. Sa lutte pour les droits de la personne humaine et la démocratie est indissociable du «vécu quotidien» des Algériens. Doué d’une intelligence politique aiguë, il ajoute constance, persévérance, pugnacité dans les idées et les actions. J’ai pu apprécier sa capacité d’écoute, la pertinence de ses remarques, son esprit de synthèse, ses connaissances dans pratiquement tous les domaines, sa grande culture et surtout sa propension à proposer d’innovantes initiatives de dépassement aux événements conjoncturels.

    Mais ce qui m’a le plus marqué chez Hocine Aït Ahmed, c’est son humanisme, sa simplicité, sa défense permanente des droits de l’homme et son abhorration de la police politique dont il ne cessait de réclamer la dissolution. Toutes les précautions prises lui ont, peut-être, permis de finir son cycle de vie militante par une mort naturelle parmi ses proches. Cette hauteur de vue fait, peut-être, qu’il n’a pas su éviter parfois de sacrifier ses proches collaborateurs, dans certaines circonstances.

    Ceux qui l’ont combattu violemment hier le célèbrent aujourd’hui. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

    Cette question me rappelle ce qu’il m’avait dit lors de la disparition d’un opposant, ancien responsable de la Révolution, que le pouvoir s’est soudainement mis à glorifier : «Ils nous préfèrent morts plutôt que vivants.» Il n’a pas échappé à cette règle. D’aucuns veulent déjà s’ériger en héritiers de son combat qu’ils ne partageaient pas de son vivant. Cela prouve, s’il en était besoin, la valeur universelle et la justesse de sa lutte pour la liberté et la démocratie.

    Comment avez-vous vécu la disparition de Si L’Hocine ?

    J’ai été frappé par le large mouvement de sympathie de la part de la population algérienne. Quant à moi, j’ai perdu quelqu’un qui m’a beaucoup appris. J’ai ressenti, au moment de l’annonce de son décès, que l’Algérie perdait un grand dirigeant politique et surtout un repère. C’est le seul qui a continué le combat pour la démocratie après l’indépendance du pays : le pays s’est libéré du colonialisme certes, mais sans liberté des personnes hélas ! Faire aboutir l’instauration de la démocratie et le respect des droits de la personne humaine, y compris dans les institutions, la société civile, la société politique, c’est le meilleur hommage que nous pouvons rendre à Hocine Aït Ahmed. 

    Hacen Ouali El Watan, 29 décembre 2015

    Mustapha Bouhadef. Ancien premier secrétaire national du FFS

    http://www.algeria-watch.org/fr/article/tribune/bouhadef_haa.htm

    Lire aussi:

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Front_des_forces_socialistes

  • Non, Aït Ahmed n’est pas récupérable par les clans (Anti-k)

    HOCINE AÏT AHMED N’EST PAS RÉCUPÉRABLE. IRRÉMÉDIABLEMENT, IL A PRIS LE CAMP DE LA SOCIÉTÉ CONTRE LE RÉGIME. NON, AÏT AHMED N’EST PAS RECUPERABLE PAR LES CLANS, IL EST L’HOMME DE LA NATION

    Saïd Djaafer, directeur éditorial du Huffington Post Algérie
    Huffpostmaghreb le 25 décembre 2015

    La mort de Hocine Aït Ahmed donne lieu à des expressions de reconnaissance venant même de ceux qui l’ont constamment insulté, dénigré et qui ont menti sur lui avec un aplomb extraordinaire. C’est inévitable et ses proches, sa famille, qui ont l’élégance du défunt sont obligés de faire avec et de laisser passer, d’attendre que la poussière retombe…

    Pourtant, avouons-le, il nous est insupportable d’entendre Ammar Saadani dire, avec une absence de pudeur qui nous hérisse, que Hocine Aït Ahmed, « comme Boudiaf et même Bouteflika… ont fait l’objet d’injustice de la part de petits ».

    Il nous est insupportable de l’entendre dire que lui et son clan veulent la démocratie que voulait Hocine Aït Ahmed. C’est faux. Hocine Aït Ahmed a combattu un régime autoritaire avec tous ses clans, par conviction et sans aucune compromission.

    Il nous est insupportable d’entendre de la part d’un représentant d’un clan du régime suggérer que Hocine Aït Ahmed ait besoin d’une quelconque « réhabilitation ». Cela est indécent de la part d’un représentant qualifié d’un régime qui a dilapidé le capital historique et humain d’une des plus grandes révolutions du 20ème siècle.

    Que ses proches nous pardonnent d’exprimer notre colère en ces temps de recueillement, Ammar Saadani, ne s’étant pas contenté de faire le minimum protocolaire mais a rompu la trêve de la pudeur.

    Il faut donc lui rappeler que Hocine Aït Ahmed a combattu l’ensemble du régime avec sa police politique et ses meutes d’aboyeurs politiques et médiatiques qu’il lâchait contre les militants de la démocratie et de la liberté.

    Il faut donc lui rappeler que Hocine Aït Ahmed n’a jamais, au grand jamais, joué un clan contre un autre et qu’il les considérait, tous, comme faisant partie d’un même régime, d’une même entreprise de saccage systématique de l’énorme potentiel de notre nation.

    Hocine Aït Ahmed était bien dans l’opposition au régime mis en place à l’orée de l’indépendance, il n’était pas seulement opposé « à certains responsables dont il contestait le mode de gouvernance et la méthode de gestion. », selon la formule de Bouteflika.

    Non, Hocine Aït Ahmed n’est pas récupérable. Irrémédiablement, il a pris le camp de la société contre le régime. Et ce n’est pas une déclaration scandaleusement opportuniste de M.Saadani qui changera les choses.

    Hors de question d’apporter une quelconque légitimité à certaines parties du régime contre d’autres. Ils font partie, pour lui, du même désastre.

    Il était ce que vous nous avez empêché d’être

    Hocine Aït Ahmed, contrairement aux éléments de langage que le régime a fourni à ses fonctionnaires politiques et à ses médias, n’a jamais été un homme qui ne dit « que non ». C’était un grand homme politique, un dirigeant responsable, soucieux d’éviter que le pays n’éclate en morceaux en raison de l’impéritie de ceux qui le gouvernent.

    Et même s’il ne tenait pas en grande estime ceux qui détenaient le pouvoir, il a toujours affiché sa disponibilité à discuter la recherche d’un compromis vertueux pour faire sortir le pays et la société de la régression, pour aller vers le rétablissement de la souveraineté de peuple et sortir d’une confiscation aux conséquences désastreuses.

    Disponibilité au compromis mais intransigeance absolue sur sa finalité qui ne peut être qu’un sortie ordonnée et pacifique vers l’Etat de droit et la démocratie. Hors de question de participer à la guerre des clans ou de l’alimenter.

    C’est ce qui rendait absolument pitoyables ces journaux qui ont « vu » Hocine Aït Ahmed avec le général Toufik à l’aéroport de Boufarik ou ceux qui n’en finissaient pas de trouver les preuves du « deal ».

    Ce n’est pas aujourd’hui qu’on instrumentalisera SI L’Hocine. Aucun clan ne peut l’utiliser car il était contre le système des clans. Il n’était pas contre Toufik pour être avec Bouteflika ou Saadani.
    Trop grand pour ces mesquineries. Il avait une autre idée de la politique et de l’Algérie.

    Il était jusqu’au bout ce rêve d’une Algérie humaine, plurielle, moderne et citoyenne que les clans nous ont empêché d’avoir. Et de voir. Et que nous voulons toujours.

    Laissez-nous donc enterrer Hocine Aït Ahmed, sans vos pitreries, sans vos opportunismes. Laissez les Algériens saluer le départ d’un grand sans vos parasitages. Que l’on ne nous force pas à aller plus loin. Ne nous forcez pas à rompre la trêve de la pudeur.

    Qu’on se le dise : Hocine Aït Ahmed n’a pas besoin d’une « réhabilitation » de la part du régime, de ses hommes, de ses clans. Il est au paradis des révolutionnaires, dans le cœur des femmes et des hommes. Dans nos cœurs.

    Sources : Huffpostmaghreb.com


    HOCINE AIT AHMED

    L’HOMME QUI AIMAIT LES MILITANTS ET LES ALGÉRIENS

    HuffPost Algérie
    Par Saïd Djaafer
    le 24 décembre 2015

     

    Ceux qui lisent ou relisent, les « Mémoires d’un combattant, l’esprit d’indépendance » de Hocine Aït Ahmed (republié et traduit en arabe aux éditions Barzakh) découvrent une chose assez rare : les notes de renvoi en bas de page sont aussi importantes que le récit.

    On ne les lit pas en « passant », on s’y informe. On y découvre des noms d’une multitude de militants que le jeune Hocine Aït Ahmed a côtoyés durant la période couverte par le livre, 1942-1952. C’était un témoignage respectueux pour ces faiseurs, peu connus en général, de l’histoire que les règles du récit obligeaient de les présenter de manière succincte.

     

    On lit le livre avec ses notes de bas de page en découvrant ce grand réservoir de militants sur lesquels on ne connait pas grand-chose. Quand on rencontre Hocine Aït Ahmed, il pouvait s’étaler longuement sur ces noms – et d’autres qui jalonneront son parcours – pour en parler avec respect, affection et aussi avec humour.

    Hocine Aït Ahmed était un militant. Il aimait les militants. Il aimait leur parler, les toucher, leur donner des tapes sur le dos, les plaisanter, les chambrer. Il aimait en parler. Pour lui, c’est cette multitude de militants qui a fait le mouvement national et la révolution.

    Les dirigeants « historiques » – il n’aimait pas particulièrement ce terme – sans en amoindrir leur rôle étaient portés par l’abnégation de ces militants qui n’auront pas les honneurs des journaux ou des manuels d’histoire.

    Et ces notes de bas de page succinctes devenaient dans sa bouche des récits extraordinaires sur les femmes et les hommes du mouvement national dont le carburant essentiel a été – et il le demeurera pour lui-même après l’indépendance et ses nouveaux combats – une quête de dignité, une affirmation d’humanité.

    Parfois, le nom ne revenait pas – et il s’en excusait avec humour, « mon cerveau est un disque dur qui est plein, on ne peut pas le formater me disent les médecins, il faut juste rebooter » – mais il persistait. Il avait trouvé la technique : il racontait la situation toujours avec humour, le décor, le nom du lieu… et par magie, le nom du militant revenait. Son visage s’illuminait alors d’une vraie joie d’enfant. Et ce nom, il le répétait plusieurs fois, comme pour s’excuser de l’avoir oublié…

    Une lutte permanente pour la dignité

    Ce combattant au long cours connaissait les servitudes du militantisme dans une adversité absolue, cet arrachement permanent au confort de l’abandon et du renoncement, du refus de la réflexion et de l’engagement. Il connaissait l’énorme effort sur soi que le militant, sous le poids d’une menace existentielle permanente, devait faire constamment pour renouveler la flamme, pour se renouveler.

    Il avait un immense respect des militants, ces déblayeurs de terrain, ces fabricants de progrès et de perspectives. Il n’acceptera jamais le fait que le régime qui s’est mis en place à l’indépendance a décidé que l’indépendance pouvait se passer de la liberté et des libertés. Il a continué, lui, avec d’autres à militer contre cette régression, ce coup d’arrêt brutal au mouvement d’émancipation de la société algérienne.

     

    Une lutte sans concession. Cet homme « historique » restera fidèle au combat premier : la dignité pour lequel on s’est battu, pour laquelle on est mort, ne pouvait s’accommoder de la chape de plomb militaro-policière qui s’est mise en place à l’indépendance. Une confiscation à laquelle il ne s’est jamais résigné. La primauté du politique sur le militaire, c’était en définitive, la primauté du citoyen, l’affirmation de sa souveraineté. C’était la primauté du militant politique sur l’agent de la police politique.

    Hocine Aït Ahmed a dirigé l’OS (organisation spéciale) C’était en quelque sorte un militaire. Il n’avait pas la naïveté de croire que l’Algérie indépendante pouvait se passer d’une armée ou de services de renseignements. Mais il avait la conviction absolue, totale, que ces instruments ne devaient pas se substituer à la nation et ni exercer, au nom de la légitimité révolutionnaire, une tutelle sur la société.

    La police politique et les « dobermans »

    Il a toujours combattu l’existence d’une police politique et il savait qu’il lui devait la campagne de dénigrement systématique qui le présentait comme un séparatiste, un agent de l’impérialisme… Il rendait les coups parfois à ces « dobermans » qui, dans les médias, se piquaient de lui faire des leçons de patriotisme.

     

    Il a été écœuré par l’outrance de la campagne de haine et d’accusation de « traîtrise » qui l’a ciblée ainsi que Abdelhamid Mehri – avec qui il a retrouvé une vieille complicité de militant – après la signature de la plateforme de Rome.

    Ce rejet de la police politique relève de sa conviction démocratique. Mais il y avait aussi une position éthique : quand la police politique phagocyte le champ social, on tue le militant, on fabrique des indicateurs, on tue le politique, on fabrique des marionnettes.

     

    Et pour Hocine Aït Ahmed cette entreprise organisée d’élimination du militant et du militantisme était le plus grand tort fait à l’Algérie. Une régression, un appauvrissement qui peut mener à l’asservissement dans un monde dangereux où les puissants n’hésitent pas à fabriquer des guerres pour remodeler les pays.

    Cette vision globale d’une Algérie – et d’un Maghreb uni – qui doit se donner les moyens par l’adhésion de la population et l’action des militants de toutes les tendances de se défendre recouvre une vision très moderne de la sécurité nationale.

    | Hocine Aït Ahmed avait en effet une vision très réaliste de ce que veut le « centre » : « l’ordre brutal du monde, du capitalisme colonial hier et de la globalisation néolibérale aujourd’hui, nous dit une seule et même chose : vous avez le droit d’être des peuples unis dans la soumission au colonialisme ou la dictature mais la démocratie et la liberté vous ne pouvez les vivre que comme des petites coteries, des clans, des ethnies, des sectes et que sais-je encore ! ». –

    Seules les libertés, celles-là qui permettent aux militants des différents courants de se concurrencer politiquement mais également de fabriquer en permanence un consensus national sont à même de nous prémunir d’une « fumisterie néocoloniale qui convient parfaitement à certains, qu’ils l’habillent d’extrémistes religieux, du despotisme des castes mercantilistes appuyées sur des dictatures militaires ou qu’il s’agisse des régionalismes racistes et belliqueux incapables de construire une route ou des tracés de pâturage entre deux communes sans provoquer une guerre ! »

    Un dessein

    Le chef politique et le chef militaire de l’OS en a tiré de manière définitive la conclusion de la supériorité morale, politique et même sécuritaire du militant sur l’agent et de la dangerosité absolue pour la nation du rôle assumé par la police politique.

    Les dégâts de cette mise au pas, de cette entreprise systématique du discrédit du politique, de la manipulation des partis et des médias et de la dissuasion à l’action militante écœuraient Hocine Aït Ahmed. Pour lui, c’était une entreprise d’affaiblissement du pays, une dilapidation d’un capital humain inestimable, celui-là même dont on a besoin dans les moments difficiles.

    Les militants pour Hocine Aït Ahmed n’étaient pas et ne sont pas des notes de bas de page. Ils sont beaucoup plus. Infiniment plus. Ils sont la nation qui se renouvelle sans cesse et qui accumule dans la liberté et la fidélité aux idéaux.

    Un jour, au détour d’une longue discussion en privée à Alger, il nous disait son espoir de voir les jeunes Algériens, malgré les difficultés et malgré un environnement dissuasif, renouer avec le militantisme politique.

    « Les militants politiques sont précieux, ils sont des citoyens en alerte, des vigilants. Ils sont engagés dans une action qui transcende leurs propres vies. Et dans notre cas, hier comme aujourd’hui, militer c’est être dans un dessein d’une société de progrès où les femmes et les hommes recouvrent leur dignité, leur humanité. Y a-t-il plus noble dessein que celui-là… ? » 28 décembre 2015

    Sources : Huffpostmaghreb

    LIRE AUSSI :

    Mécili : « Comprendre, se souvenir, pas pour se venger mais pour sortir du cauchemar… » (Hocine Aït Ahmed)

    Hocine Aït Ahmed, combattant de l’indépendance et infatigable militant de la démocratie en Algérie est mort

    http://www.anti-k.org/2015/12/28/non-ait-ahmed-nest-pas-recuperable-par-les-clans/

  • Messali Hadj et le mouvement nationaliste algérien (Que Faire?)

    http://quefaire.lautre.net/local/cache-vignettes/L180xH168/arton46-4f974.jpg

    L’occupation anglo-américaine de l’lrak et la résistance irakienne à propulsé de nouveau la question nationale sur les devants de la scène.

    L’analyse de la nature progressiste ou non des mouvements de libération nationale, les rapports entre le mouvement national et le mouvement ouvrier et avec ses organisations, la place d’idéologies contradictoires telle que la religion et l’attitude des révolutionnaires à l’égard des mouvements de libération nationale sont toutes des questions débattues dans le nouveau contexte de l’lrak occupée aujourd’hui.

    Il peut être intéressant de revenir sur des aspects du mouvement de libération en Algérie, et ce par le biais de son fondateur, Messali Hadj, et les organisations qu’il à contribué à construire. D’une part ce n’est que très récemment qu’on à commencé à admettre à une plus grande échelle la brutalité de la colonisation de l’Algérie et de la guerre de libération nationale. La sortie récente du film La bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo en est un symbole. Mais l’analyse du mouvement national algérien peut aussi éclairer les débats actuels par rapport à la lutte de libération nationale.

    L’étoile Nord-africaine

    La première organisation à revendiquer l’indépendance pour l’Algérie est l’étoile Nord-africaine (ENA). Entre 1920 et 1924, 120 000 travailleurs immigrés maghrébins, dont 100 000 Algériens, s’installent en France et pour beaucoup dans la région parisienne. L’ENA est fondée en 1924 parmi les travailleurs immigrés algériens sous l’impulsion du Parti communiste français et suite à une décision du 6e comité exécutif de l’Internationale communiste (IC). Le PCF avait présenté Hadj Ali AbdelKader aux élections législatives de 1924, et il lui manqua seulement 20 voix pour être élu. Selon les rapports de police, le travail du PCF parmi ces travailleurs algériens à porté ses fruits : on estime à 8 000 le nombre de musulmans sympathisants ou adhérents du PCF. Le même rapport les cite comme « les régiments de choc du bolchévisme ». Hadj Ali, un communiste, sera le premier dirigeant de l’ENA. Le Journal de l’ENA l’Ikdam est imprimé par la CGTU (syndicat d’obédience communiste). Messali Hadj rejoint l’organisation en 1926 et deviendra le principal dirigeant du mouvement national algérien pendant 30 ans.

    Le contexte politique est important.

    Cela se passe sept ans seulement après l’espoir soulevé par la Révolution russe. La crise à la fin de la guerre à vu l’émergence de partis communistes dans la plupart des pays industrialisés, des tentatives de révolution en Allemagne, en Hongrie, en Italie, et des soulèvements dans les colonies. Avec la guerre du Rif, la révolution chinoise en 1925-27, un vent de liberté souffle dans les colonies et semble faire écho au premier congrès des peuples à Bakou en 1920, organisé à l’apogée de l’lnternationale communiste. Mais à partir du milieu de la décennie le mouvement communiste international entre en crise.

    En Russie la politique du « socialisme dans un seul pays » à pris le pas sur le développement de la révolution mondiale, et l’épuration et la bureaucratisation du parti bolchevik est bien en cours. Au niveau international, les généraux du Kuomintang, soutenus par l'IC, occupent Shanghaï en 1927 puis massacrent les ouvriers du parti communiste chinois tuant dans l’œuf la révolution chinoise. La stratégie des partis communistes fut dictée par la nécessité pour Moscou de forger des alliances avec des bourgeoisies et donc de freiner les revendications les plus radicales. Ce tournant marque tout le développement du mouvement nationaliste algérien.

    Radicalisation et rupture

    Messali Hadj émerge comme principal dirigeant de l’ENA en 1926-27, notamment à partir du congrès international de Bruxelles, organisé par l'IC. Il développe les revendications centrales pour les peuples opprimés et en particulier pour l’Algérie, opposant celle de l’indépendance totale à celle soutenue par la gauche française d’une autonomie avec un parlement indigène. L’influence internationaliste de la révolution russe est bien présente dans les tentatives de rapprochements avec les organisations du mouvement ouvrier français, notamment le PCF, mais aussi dans la revendication d’indépendance pour la Tunisie et pour le Maroc, et pour l’unité du Maghreb. Cette dernière revendication est aussi un signe précurseur évident du panarabisme de Nasser dans les années 50.

    D’ores et déjà, l’islam, méprisé par le colonisateur, apparaît comme un agent culturel susceptible d’être un facteur d’unité dans la lutte de libération nationale : «  la France a laissé les Algériens dans l’ignorance de leur propre religion (...) heureusement le peuple arabe, inspiré par une foi ardente (...) ne pliera jamais devant la force matérielle ». À ce stade, la base sociale de l’ENA ce sont les ouvriers algériens travaillant en France. Le PCF favorise sa construction en fournissant des militants et des moyens financiers (Messali est payé comme permanent pendant plus d’un an par le PCF).

    Des centaines de musulmans, membres du Parti communiste français s’associent à la construction de l’ENA. Au niveau de la propagande, de l’agitation et des meetings l’organisation s’inspire largement des structures des partis communistes. Mais en 1927, le désaccord sur la revendication centrale d’indépendance ou d’autonomie mène à la rupture avec le PCF. C’est précisément à ce moment que la doctrine du « socialisme dans un seul pays » est adoptée par Staline. Dorénavant sa politique sera conditionnée par la recherche d’alliances avec des bourgeoisies européennes, tout soutien à une révolution dans les colonies est alors à proscrire.

    Atteignant rapidement plusieurs milliers d’adhérents, l’ENA influence largement des dizaines de milliers de travailleurs algériens. Elle est dissoute par l’Etat français en 1929, mais les structures de l’organisation lui permettent de résister à la répression pour réapparaïtre en 1933.

    L’ENA participe activement au front anti-fasciste du 12 février 1934 au nom de la défense de la démocratie, et pour la première fois noue des liens avec la gauche non communiste, notamment l’aile gauche de la SFIO de Pivert et Guérin. Des milliers d’Algériens « indigènes » participent aux manifestations antifascistes qui se déroulent à Alger en 1934.

    Entre 1934 et 1936, la radicalisation des masses à gauche mène à la victoire électorale du Front populaire. Cette nouvelle situation élève l’espoir d’indépendance des Algériens. La polémique « indépendance ou autonomie » revient au premier plan autour du projet Blum-Viollette en 1936. Le gouvernement du Front populaire propose une assemblée indigène avec une forme de suffrage censitaire. Messali et l’ENA rejettent cette réforme car elle créerait des divisions entre riches et pauvres en Algérie, et au sein du mouvement nationaliste. lis réclament l’indépendance totale. Sans le soutien de la majorité de la SFIO et du PCF, l’ENA est de nouveau dissoute, mais cette fois-ci par un gouvernement de gauche.

    L’année 1936 voit aussi la percée de l’ENA en Algérie, les meetings de Messali Hadj sont de véritables moments de mobilisation de masse, alimentant la crise politique au sein du Front populaire sur la question de l’indépendance pour les colonies.

    Du massacre de Sétif à la lutte armée

    Opposant de Vichy, l’ENA maintient néanmoins la revendication d’indépendance. Le mouvement refait surface en 1945 à Sétif. Les manifestations du 8 mai expriment à la fois une défense de la démocratie et l’aspiration à l’in-dépendance. Parmi les revendications on trouve notamment la libération de Messali Hadj, détenu par l’Etat français de Vichy depuis 1941. La répression fait plusieurs dizaines de milliers de morts, et le Parti communiste algérien traite les militants du parti de Messali Hadj d’« agents hitlériens » et réclame qu’ils soient « châtiés conformément aux lois en vigueur ».

    On ne peut pas assez souligner l’importance du tournant de Sétif.

    Pour beaucoup de jeunes algériens c’est la confirmation que l’indépendance ne peut être acquise que par la force des armes. C’est aussi la raison pour laquelle ils commencent à s’impatienter avec la politique de Messali Hadj qui soulignait la nécessité de compter sur les masses, sans néanmoins exclure pour autant la lutte armée. Enfin, pour les militants nationalistes les évènements de Sétif marquent une rupture quasi définitive avec une part importante de la gauche française.

    La vitrine légale du PPA (Parti populaire algérien) de Messali Hadj, le MTLD (Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques) fondé en 1946, effectue une percée impressionnante lors des élections de 1946. Mais l’obtention d’élus pose un nouveau problème : le danger de cooptation dans le système colonial. Un défenseur de l’Algérie française de l’époque, J.Chavallier, conscient des enjeux, critique en 1956 les tentatives faites pour chasser les élus Messalistes de l’assemblée : « ...tant qu’ils défendaient chez nous leurs idées, avec violence, mais verbalement, ils ne dirigeaient pas les commandos pour la libération de leur pays. »

    Trois courants commencent à s’afficher au congrès du MTLD en 1953.

    Le courant réformiste dit centraliste, composé de la majorité des membres du comité central du MTLD, axe sur la bataille électorale. Le courant messaliste qui regroupe la plupart des cadres politiques historiques du mouvement, crée une organisation paramilitaire, l’organisation spéciale (OS), et n’exclut plus la lutte armée. Enfin un courant rassemblant des jeunes favorables à l’insurrection immédiate et qui rejettent les anciennes divisions dans le mouvement.

    Un premier pas vers ce qui deviendra le FLN est la fondation par Mohammed Boudiaf à l’age de 26 ans du comité révolutionnaire pour l’unité d’action, le CRUA. En 1954, d’autres futurs dirigeants politiques comme Ahmed Ben Bella et Hocine Aït Ahmed le rejoignent.

    Tous les futurs cadres du FLN passeront par le MTLD.

    Les Messalistes tiennent un congrès à Hornu (Belgique) en 1954 qui confirme la scission et qui décide de préparer une insurrection. Dans les faits le FLN les prendra de vitesse. Hornu est aussi un congrès qui voit des positions politiques s’affirmer et qui seront déterminantes dans la guerre d’indépendance.

    Le FLN et la guerre fratricide

    Ces positions reflètent dans une certaine mesure les mutations en oeuvre dans la société algérienne de l’après guerre. Bien que l’emploi agricole concerne encore 60-70 % de la population, le rôle des villes est de plus en plus important. Une classe ouvrière, d’abord d’origine européenne puis musulmane se développe. La bourgeoisie algérienne naissante est de plus en plus dépendante du rattachement à la France. Stora la décrit comme une bourgeoisie "compradore".

    Cependant, il se développe aussi une petite bourgeoisie urbaine (étudiants, intellectuels, quelques professions libérales) qui commence à articuler des revendications d’indépendance nationale pour leur pays. Les effets de cette différenciation sociale ne sont pas analysés par Messali Hadj ou au mieux abordés de façon empirique sur le moment.

    Par exemple les critiques du mouvement de Ferhat Abbas, l’union démocratique du manifeste algérien (l’UDMA) ne tient pas compte de sa base sociale. Messali insiste sur l’unité du peuple ou de « peuple-classe » dans la lutte nationale. Le FLN, issu du CRUA, portera le même défaut. Ayant précédé tout le reste du mouvement dans l’action avec l’insurrection du 1er novembre 1954, il devient le centre de la lutte de libération nationale et rallie les communistes algériens, les oulémas et l’UDMA.

    Aucun de ces courants n’avait comme revendication principale l’indépendance complète de l’Algérie mais ils se rallient au FLN devenu hégémonique et qui bénéficie d’un soutien important à l’étranger, notamment de l’Egypte. Messali refuse de rallier le FLN sans clarification sur les revendications politiques et fonde son propre mouvement de lutte, le MNA (Mouvement national algérien).

    La défaite militaire de la France en Indochine à Dien-Bien-Phu marque un tournant. Deux ans après, la crise de Suez constitue une nouvelle défaite pour l’impérialisme français et propulse Nasser à la tête des mouvements anti-coloniaux, marquant aussi la percée du panarabisme. Nasser (Egypte) et Bourguiba (Tunisie) arment ouvertement le FLN. Celui-ci dispose de moyens considérables mais ses ressources politiques sont faibles et ses cadres sont peu formés et peu expérimentés. Une guerre fratricide se développe entre le FLN et le MNA pour l’hégémonie du mouvement de libération nationale. Ce qui est déjà en jeu est l’après-guerre.

    Cette rivalité tragique fait des milliers de morts, dont l’épisode le plus connu est le massacre en mai 1957 de 300 villageois de Mélouza soupçonnés de sympathies Messalistes. Beaucoup de cadres du MNA sont aussi assassinés. Comme par exemple Ahmed Bekhat, le premier secrétaire du premier syndicat de travailleurs algériens (USTA) qu’il à fondé en 1956 avec Messali Hadj. En réponse à l’USTA le FLN fonde l’UGTA.

    Les divisions du mouvement nationaliste sont évidemment encouragées par la France, mais les méthodes employées sont de mauvais augure pour la démocratie dans le futur Etat algérien du FLN. Déjà face à la répression de l’armée française le prix payé par les nationalistes algériens en termes de cadres politiques tués était très élevé. Mais la guerre fratricide en a rajouté, laissant la voie ouverte aux hommes avec peu d’expérience politique et plus d’expérience militaire comme Boumédiène.

    La guerre est tellement sanglante que Messali Hadj finit par déclarer qu’il faut négocier avec de Gaulle, renonçant momentanément à la revendication nationaliste de l’indépendance totale. En 1958 il déclare « il y a des ouvertures susceptibles de permettre la création d’un état algérien, pour aller ensuite à un Commomvealth (...) France-Maghreb (...) ». Dans un entretien avec Pierre Lambert de l’organisation trotskyste, l’OCI, il explique : « Il y a la guerre, le flot de sang qui coule (...) Il faut arrêter la guerre. »

    Il revient sur cette position en 1962 pour soutenir de nouveau l’indépendance, mais est totalement marginalisé par le FLN qui devient le seul interlocuteur pour l’Algérie au niveau international. Pour beaucoup de militants du FLN, Messali Hadj a trahi la cause nationale.

    Limites du mouvement national

    La nature de l’ENA/PPA/MTLD/MNA et celle du FLN était la même : un mouvement de libération nationale qui visait à réunir le peuple entier derrière cette revendication.

    Paradoxalement, Messali Hadj, plus politique, à largement sous-estimé l’influence d’abord des intellectuels, des nouvelles classes moyennes en Algérie mais aussi l’impatience de la plus jeune génération marquée non pas par quinze ans de lutte politique patiente mais par le massacre de Sétif et par le manque de solidarité de la part de la gauche française. Le FLN visait à réunir et dominer l’ensemble des organisations anticoloniales. Mais pour cela il lui fallait gommer les différences sociales, par exemple avec les très conservateurs oulémas. Il défendait la lutte armée comme principe pour arracher l’indépendance, et laissait en suspens complet les questions sociales. Vu le niveau de développe-ment du mouvement ouvrier algérien il aurait été difficile d’apporter des réponses aux questions sociales, mais elles auraient pu au moins être posées.

    Le mouvement nationaliste à su forger une idéologie face à l’occupation coloniale. Sa grande faiblesse était l’absence de courants démocratiques et révolutionnaires capables d’argumenter pour une extension sociale de la lutte et de faire face politiquement à la confiscation de la révolution algérienne. Elle eu lieu d’abord en partie par Ben Bella lors de la dissolution du gouvernement provisoire de la république algérienne pendant l’été 1962 et la répression des militants de l’intérieur de la IIIe wilaya (la Kabylie), puis, et avant tout, par le coup d’état de Boumédiène en 1965 qui mettait fin aux expressions démocratiques d’opposition et ouvrait la voie au système étatique dirigé par l’appareil du FLN.

    La gauche française

    La solidarité avec la lutte de libération nationale aurait du être automatique pour la gauche française. Les ravages du stalinisme et le chauvinisme de la social-démocratie ont, au contraire, contribué à isoler l’ENA du mouvement ouvrier français. Le recours de Messali Hadj à l’idée du « peuple-classe » était alors d’autant plus fort, au lieu du développement d’un nouvel internationalisme qui aurait pu s’articuler avec la revendication d’indépendance. Les faiblesses d’analyses politiques de Messali Hadj comme celles des dirigeants du FLN tels que Ben Bella et Boudiaf sont évidentes, bien qu’inégales. Boudiaf et Hocine Aït Ahmed ont refusé de cautionner l’action de Ben Bella en 1962 et se sont exilés, comprenant bien de manière presque prophétique les dangers encourus par la nouvelle république algérienne en termes de démocratie.

    La question de la religion n’a presque à aucun moment été un obstacle au développement du mouvement nationaliste. Pourtant, elle était omniprésente dans les discours des dirigeants nationalistes. C’était la revendication elle-même d’indépendance qui posait problème pour la gauche française.

    Il y avait heureusement des exceptions : les porteurs de valise, une partie de l’extrême gauche, les Jeanson, Sartre, l’UNEF. Mais ils représentaient une minorité.

    L’attitude de la gauche par rapport au FLN lors du tournant vers le terrorisme en 1955 ne pouvait pas non plus se résumer uniquement à une condamnation des attentats, mais devait continuer à développer une solidarité avec la lutte d’indépendance comme question prioritaire. Entre 1924, date de la fondation de l’ENA, et 1962, seule une minorité de la gauche française à su articuler une solidarité juste avec le mouvement nationaliste algérien. Si elle avait été plus importante le coût en termes de vie humaine de la guerre aurait été sans doute moins élevé. En outre, des dialogues établis avec le mouvement auraient encouragé et renforcé des courants démocratiques d’inspiration socialiste et révolutionnaire au sein du mouvement, peut-être en définitive le seul garant d’un processus menant à une véritable libération nationale et sociale.

    C’est le défi qui est posé pour la résistance, complexe et différenciée (sur des bases de classe, d’ethnie ou de religion), à l’occupation anglo-américaine de l’Irak. La responsabilité des courants de gauche dans les pays occidentaux est particulièrement importante.

    Seule une minorité de la gauche française a su articuler une solidarité juste avec le mouvement nationaliste algérien.

     Nick Barrett 6 septembre 2009

    Une grande partie des notes qui précèdent s’appuient sur l’excellent livre de Benjamin Stora Messali Hadj (1898-1974) Hachette 2004.

    http://quefaire.lautre.net/Messali-Hadj-et-le-mouvement

  • Décès de Hocine Ait-Ahmed (Siwel)

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    Hocine Ait-Ahmed lors d'un meeting du FFS (PH/DR)

    GENEVE, SUISSE (SIWEL) — Le plus vieil opposant kabyle au régime algérien, Hocine Ait-Ahmed, l'un des dirigeants historiques de la guerre d'Algérie est décédé ce mercredi matin à Lausanne (Suisse), à l'âge de 89 ans.

    Hocine Ait-Ahmed, figure de l'indépendance algérienne, est né le 20 août 1926 à At Yahya (Michelet / Ain El Hammam, dans le département de Tizi-Ouzou), en Kabylie.

    Le dernier encore en vie des neuf "fils de la Toussaint", les chefs qui ont déclenché la guerre d'Algérie contre la puissance coloniale française le 1er novembre 1954, est décédé à l'hôpital "à la suite d'une longue maladie", a indiqué le FFS dans un communiqué sans mentionner de quoi il souffrait.

    Après avoir été entre 1945 et 1949 le chef de l'OS (Organisation Spéciale du PPA MTLD note du blog) et pendant la guerre d'Algérie l'un des principaux chefs du Front de libération nationale (FLN), Hocine Aït Ahmed démissionne du gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) et de tous les organes du nouveau pouvoir algérien après le coup d'Etat militaire orchestré par le clan d'Oujda et l'armée des frontières.

    En septembre 1963, il fonde le Front des forces socialistes (FFS) et réclame la démocratie et le pluralisme politique. Avec les derniers maquisards de la wilaya III (Kabylie), il prend le maquis contre le nouveau gouvernement algérien pan-arabe et mènera une guerre contre lui pendant deux ans.

    La Kabylie, lessivée par sept années de guerre, perdra la nouvelle guerre contre la dictature arabo-islamiste du Gouvernement algérien. Près de 400 maquisards kabyles seront liquidés par la nouvelle armée algérienne, toute fraîche et formée à l'étranger pour liquider le peuple kabyle et dévoyer l'indépendance acquise de haute lutte.

    La Kabylie vient de perdre l'un de ses grands hommes

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    Suite au décès du dirigeant historique de la révolution algérienne et du FFS, le PST présente ses sincères condoléances a la famille Ait Ahmed , au peuple Algérien et aux camarades du FFS.

    Le PCF:

    http://www.humanite.fr/hocine-ait-ahmed-un-des-chefs-historiques-du-fln-est-decede-593950

    Wikipedia:

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Hocine_A%C3%AFt_Ahmed

  • Syrie 1925 : quand la France bombardait Damas (Lutte Ouvrière)

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    Les dirigeants français se présentent comme les défenseurs de la civilisation face à la barbarie, pour justifier leurs actions guerrières au Proche-Orient. Pourtant, les interventions militaires de la France dans la région ont, bien avant les interventions américaines, contribué à y attiser les haines religieuses et communautaires.

    En 1914, Beyrouth, Damas, Jérusalem étaient ensemble dans l’Empire ottoman, où chrétiens, juifs et musulmans coexistaient depuis des siècles. Cet empire vermoulu était contesté par les nationalistes arabes, et les intérêts des puissances capitalistes européennes s’y affrontaient. Quand la guerre se déclencha, les dirigeants ottomans choisirent le camp de l’Allemagne. La diplomatie secrète anglaise, à la recherche d’alliés, multiplia les promesses de partage de l’Empire ottoman. Elle promit à un prince d’Arabie, le chérif Hussein de la Mecque, un grand royaume en échange de son soutien, et au mouvement sioniste, par la déclaration Balfour, l’installation d’un foyer national juif en Palestine. Mais en même temps elle planifiait secrètement le partage du Proche-Orient avec la France, par l’accord Sykes-Picot de 1916 : à l’Angleterre devaient aller les territoires de l’actuelle Jordanie, d’Irak, de Palestine occupée et d’Israël, et à la France ceux de Syrie et du Liban.

    Bien entendu, ces promesses étaient contradictoires, et celle faite aux Arabes ne fut pas tenue. En juillet 1919, un congrès national syrien revendiqua l’indépendance de la Syrie tout entière, Palestine et Liban actuels inclus, et en mars 1920 le prince arabe Fayçal la proclama. Mais la Société des nations l’ignora, déclarant que les peuples du Moyen-Orient n’étaient pas « encore capables de se diriger eux-mêmes dans les conditions particulièrement difficiles du monde moderne », et devaient donc être confiés à une puissance mandataire, c’est-à-dire qu’elle entérina l’accord Sykes-Picot.

    En Syrie, les troupes françaises expulsèrent Fayçal et mirent le pays sous le contrôle d’une administration coloniale, avant de le dépecer. Un Liban majoritairement chrétien fut créé autour de Beyrouth, et le reste de la Syrie fut morcelé en quatre États et deux territoires autonomes, selon des lignes religieuses et communautaires. Un État fut donné aux Alaouites, minorité religieuse pauvre, pour obtenir leur soutien contre la majorité sunnite vivant à Damas ou à Alep, deux villes elles-mêmes séparées au sein de deux États distincts. Les Alaouites, enrôlés dans l’armée coloniale, formèrent des années plus tard l’ossature de l’armée syrienne et la base de la dictature des Assad, toujours au pouvoir aujourd’hui. C’est une conséquence parmi d’autres de la politique cynique de la France en 1920.

    Ce dépeçage en règle de la Syrie, ajouté aux lourds impôts imposés aux populations, suscita des révoltes de plus en plus massives. En juillet 1925, l’arrestation et la déportation d’une délégation de notables druzes venue porter des doléances au haut-commissaire français mit le feu aux poudres. La révolte éclata à partir de la région druze, dite djebel druze, dirigée par le jeune chef nationaliste Sultan Al-Atrash. Il revendiquait l’unité syrienne, la démocratie, la formation d’un gouvernement indépendant, autant de revendications inacceptables pour le gouvernement du Cartel des gauches, alors au pouvoir en France.

    Le Cartel des gauches réprime les insurgés

    Début août, le gouvernement français commença par envoyer 3 000 hommes de l’armée coloniale dans les montagnes druzes, mais elles furent mises en déroute par les insurgés nationalistes. La France fit alors venir d’importants renforts, appuyés par de l’artillerie lourde, des chars et bientôt des avions, qui multiplièrent les bombardements des zones insurgées. Des villages furent ratissés, brûlés, livrés au pillage, leurs populations arrêtées, déportées, massacrées. Mais ces exactions ne firent qu’alimenter la colère et élargir la révolte. Un correspondant du journal L’Humanité rapporta ainsi les événements : « Les paysans cultivateurs se tenaient à l’écart du mouvement, occupés qu’ils étaient par leurs travaux. Et ce furent les aéroplanes français qui, en bombardant stupidement et sans cause des villages entiers, provoquèrent la dissidence des paysans (…). Et la révolte est devenue un véritable soulèvement des masses. »

    L’insurrection s’étendit bientôt à d’autres régions de la Syrie, en particulier aux villes de Damas, Homs et Hama, et même au sud du Liban voisin. La riposte de l’armée française fut impitoyable. À Damas, l’aviation bombarda les quartiers populaires suspectés d’accueillir, d’aider ou simplement de sympathiser avec les insurgés. Le bombardement de la ville se prolongea durant des semaines. Pour punir la population de Damas, les autorités françaises exigèrent une amende de 100 000 livres-or, payable en trois jours, faute de quoi le bombardement recommencerait. Et il recommença.

    Cette répression reçut la bénédiction de l’ensemble des puissances impérialistes. La conférence de la Société des nations de février 1926 confirma le mandat français sur la Syrie et autorisa la puissance mandataire à employer tous les moyens qui lui semblaient bons pour rétablir l’ordre en Syrie.

    Le Parti communiste contre les interventions françaises

    En France, cette répression fut dénoncée de manière virulente par le Parti communiste. Fondé quelques années plus tôt, il était bien différent du PCF actuel. Il ne se contenta pas d’un appel platonique à la paix. Soutenu par l’Internationale communiste, il menait depuis des mois une agitation radicale contre la guerre coloniale que menait l’armée française dans le Rif marocain, prônant la fraternisation des soldats français avec les insurgés. Le 12 octobre 1925, il appela à une grève générale contre les expéditions impérialistes du Maroc et de la Syrie « voulues par les rois de l’industrie et de la finance, qui sont les maîtres de l’État et commandent aux gouvernants ». Des centaines de milliers d’ouvriers, dont beaucoup d’origine immigrée, mineurs, ouvriers du bâtiment, cessèrent le travail. Les arrestations furent nombreuses, et un ouvrier gréviste, André Sabatier, fut tué lors d’affrontements devant son usine. La grève ne suffit pas à faire reculer le gouvernement, mais la politique militante du Parti communiste de cette époque le mit à l’avant-garde des luttes anticoloniales, contre la politique impérialiste qui tendait à creuser un fossé entre travailleurs coloniaux et travailleurs de la métropole.

    L’insurrection syrienne se prolongea pendant des mois. Entre octobre 1925 et mai 1926, l’armée française ne parvint pas à réoccuper le djebel druze. Des opérations de guérilla continuèrent dans les campagnes jusqu’au printemps 1927. À Damas, la pacification des derniers quartiers insurgés ne se fit qu’au printemps 1926. Le gouvernement français dut envoyer 50 000 soldats pour mater l’insurrection. Elle fit 10 000 morts côté syrien, surtout des civils, et 2 500 côté français.

    Par la suite, l’État français ne réussit jamais vraiment à dominer la Syrie. L’armée française finit par quitter piteusement la Syrie en 1946, non sans avoir à nouveau bombardé Damas un an plus tôt. La présence française pendant toute cette période avait été celle d’une puissance coloniale, assurant la prédominance des intérêts commerciaux et financiers des capitalistes français, s’appuyant sur le communautarisme et l’arriération, écrasant au passage tous ceux qui avaient pu prendre au sérieux les valeurs de progrès hypocritement proclamées par cette république bourgeoise.

    Serge FAUVEAU 02 Décembre 2015
     
     
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  • L’Etat islamique et l’unification du monde avec le sang des victimes (Essf)

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    La question est arabe et nous devons rechercher une réponse rationnelle qui nous habilite à mener le combat contre ce danger absolu

    Abou Bakr al-Baghdadi a réussi à unifier le monde. Par le sang. De Beyrouth à Paris, les « kamikazes » de l’« État islamique » ont accompli un effroyable chaos insurpassable de tueries et de haine et les héritiers d’Al-Qaïda ont montré que le sanglant processus initié par les attentats du 11 septembre 2001 était en réalité un projet gigantesque capable de s’adapter aux circonstances tout en conservant sa constante fondamentale, à savoir la mission, pour reprendre l’expression du prédicateur Abou Bakr Al-Nâjî (l’un des grands théoriciens de « Dâ‘esh »), consistant à « administrer la sauvagerie ».

    L’ « administration de la sauvagerie » : ça n’est pas un chef d’accusation. Non : c’est le titre qu’ont peaufiné les théoriciens de Dâ‘esh pour présenter la vision qu’ils ont du monde. L’idée de « sauvagerie » fait partie de la « loi du sang » qui est la loi en vigueur dans cette armée islamiste qui rassemble des hommes et des femmes provenant de toutes sortes de nations et dont le but est de remettre à l’ordre du jour le califat islamique dans le style d’un Ibn Taymiyya ou d’un Muhammad Ibn Abdal-Wahhâb (fondateur du wahhabisme, ndt) et d’instituer un État du sang, de la sauvagerie et de la tyrannie.

    Le monde entier est pour lui un champ de bataille et tout est permis dans ses règles d’engagement des combats sans aucune sorte de restriction. Les prisonniers sont exécutés, leurs épouses et leurs enfants sont réduits en esclavage. La caméra devient une arme permettant de diffuser des scènes de sauvagerie surclassant et de très loin l’imagination du post-modernisme en matière visuelle, l’on y voit des gens sous les couteaux de coupeurs de têtes qui ne font aucune distinction entre civils et militaires. Tous les lieux conviennent pour verser le sang : les rues, les marchés, les théâtres, les mosquées, etc.

    Dâ‘esh a unifié le monde avec le sang de ses victimes. Mais le monde est impuissant et il ne désire pas unifier sa confrontation avec la sauvagerie daeshienne. La confrontation imbécile qu’ont inventée les États-Unis, lorsqu’une inspiration colonialiste perverse avait amené Bush à envahir l’Irak, était une confrontation entre deux sauvageries, c’est la raison pour laquelle il était naturel que la plus jeune de ces deux sauvageries, qui de plus se bat sur son propre terrain, soit (aujourd’hui) quasi victorieuse.

    Mais, allez-vous sans doute me demander : pourquoi le monde ne se serre-t-il pas les coudes ? Pourquoi ne s’unifie-t-il pas ?

    C’est une histoire qui a quelque chose à voir avec la sauvagerie du capitalisme, la convoitise colonialiste et la compétition autour de la partition du monde arabe.

    Cette question n’est pas adressée au monde, c’est-à-dire à l’Occident et à la Russie, mais bien au monde arabe qui perd son sang et qui est accablé par l’oppression et la tyrannie.

    C’est notre question à nous, et c’est nous qui devons y répondre les premiers, avant de demander une solidarité internationale qui est impossible dans les circonstances politiques internationales actuelles.

    L’attentat sauvage perpétré à Burj Al-Barajné le jeudi 12 novembre a été « complété » par une opération barbare à Paris au soir du lendemain. Deux actes barbares qu’il convient de condamner sans aucune hésitation et sans la moindre réserve. Mais en dépit de la douleur, de la colère et de la stupéfaction, en France, il faut que nous appelions un chat « un chat » : cet attentat n’était pas dirigé seulement contre Paris, mais bien en tout premier lieu contre les Arabes et contre les musulmans. Non pas seulement parce qu’il porte atteinte à leur image dans le monde, mais aussi parce qu’il expose la communauté arabe de France à de une épreuve considérable et parce qu’il contribue à faire monter le discours de droite fascisant en Europe. Le premier objectif des fous de mort de Dâ‘esh, c’est de nous tuer, nous (les Arabes et les musulmans), de nous contraindre à l’isolement et d’écraser la vie qui est en nous.

    La question est donc arabe et nous devons rechercher une réponse rationnelle qui nous habilite à mener le combat contre ce danger absolu qui veut éradiquer nos sociétés.

    Les réponses qui sont apportées aujourd’hui sont insuffisantes et impuissantes. Pire : elles servent, au final, les intérêts du terrorisme.

    La réponse communautariste n’est pas une réponse. En effet, le terreau sur lequel s’est développé Dâ‘esh en Irak était celui de la réponse stupidement communautariste apportée par le gouvernement de sinistre mémoire dirigé par Al-Maliki. Le fondamentalisme sunnite ne saurait être combattu en lui opposant un fondamentalisme chiite. La collision entre ces deux fondamentalismes a conduit nos sociétés à la folie, faisant de nous les otages de forces régionales et internationales. Lever contre Dâ‘esh des armes communautaires, c’est tomber dans un daeshisme à l’envers et cela ne fait que conforter et justifier la pensée fondamentaliste.

    Quant à la réponse par la tyrannie, c’est une recette assurée de la daeshisation de toute chose. Le choix n’est pas entre Assad et Dâ‘esh : l’un et l’autre sont des monstres et les deux sont des machines de destruction. Sans la tyrannie et sa prise d’appui sur les structures communautaires tant en Irak qu’en Syrie du temps du parti Baath, Dâ‘esh n’aurait pas pu s’étendre et devenir capable d’édifier une organisation suscitant la terreur et à la discipline de fer. Toute proposition de coalition à laquelle la tyrannie participerait et toute tentative de présenter la soldatesque sous les jours d’une « alternative » à Dâ‘esh ne feraient qu’accentuer la daeshisation de nos sociétés et à faire de guerres civiles de véritables modes de vie.

    Notre silence sur les collusions avec les monarchies du pétrole et du gaz qui exercent leur hégémonie sur les médias arabes et tentent de s’emparer de la culture arabe par leurs valeurs réactionnaires et leur diffusion de l’obscurantisme religieux est la traduction du fait que nous sommes restés incapables d’affronter cette obscurité. L’obscurantisme fondamentaliste ne saurait être notre allié dans cette bataille, puisqu’il est même, au contraire, la couveuse de la folie noire et l’une des sources de sa force et de son financement. Oussama Ben Laden est issu du sein de ce fondamentalisme, il est le porte-parole authentique de son projet qui est devenu la proie de la corruption après s’être transformé en appareil d’état. De la même manière, le fondamentalisme adverse qui gouverne l’Iran n’est guère en meilleur état. La tentative de renouer avec les sources de la religion (islamique) au moyen d’exégèses réactionnaires contemporaines constitue l’essence du problème.

    Les réponses (au terrorisme) majoritairement apportées en Egypte, en Syrie, en Irak et au Liban n’en sont pas et elles ne permettront pas à ceux qui les formulent de vaincre Dâ‘esh. En effet la guerre qui nous est imposée requiert des conditions qui diffèrent radicalement de cette réalité qui se décompose avec nous et qui contamine tout.

    Le premier problème c’est le fait que cette folie nous a fait perdre notre mémoire et qu’elle nous a fait oublier le combat féroce qui s’était déroulé dans les années 1960 entre le Congrès islamique dirigé par l’Arabie saoudite et le mouvement nationaliste arabe dirigé par l’Égypte nassérienne.

    La mémoire, ça n’est pas la nostalgie ni l’aspiration à l’époque de Nasser avec ses erreurs et ses péchés de tyrannie. Mais nous devons ne pas oublier que Nasser n’a pas été défait par les fondamentalistes, mais par Israël et ses alliés étatsuniens, et que cette folie a commencé par une alliance avec les États-Unis dans la dernière phase de la guerre froide.

    Cette analyse ne débouche pas sur le désespoir, mais sur l’après-désespoir. En effet, il est clair que les forces démocratiques et laïques ont été chassées de l’équation et qu’elles sont aujourd’hui dans un état de complète déréliction, et que donc compter sur un réveil soudain s’est terminé de manière mélodramatique avec le coup d’état militaire en Égypte, qui a surfé sur le refus populaire du pouvoir des « Frères » pour en finir avec la Révolution de janvier.

    Ce qui viendra, après le désespoir, c’est notre volonté de recommencer, modestement et en tenant compte des leçons de nos erreurs et en ayant la sagesse de ne pas réitérer les mêmes erreurs.

    Le début sera difficile, mais pas impossible. Et nous en avons vu des prémices au Liban au travers du mouvement populaire et jeune face à la crise des ordures. Nous assistons aujourd’hui à une ouverture de l’horizon avec le soulèvement en Palestine. Certes, les ordures encombrent encore les rues et la sauvagerie de l’occupation israélienne et son projet millénariste n’ont pas été dissuadés, et ce à quoi nous assistons aujourd’hui tant au Liban qu’en Palestine est une protestation qui ne s’est pas encore mutée en opposition, mais qui comporte la possibilité de cette mutation.

    Cette possibilité est un projet pour un nouveau départ qui ne commencera que lorsque nous disposerons d’une pensée nouvelle et d’une vision claire de la relation entre la liberté et la justice sociale.

    Grande est notre responsabilité. Nous n’avons pas le droit d’accepter de mourir en nous taisant.

    Elias Khouri* « L’unification du monde par le sang ». 16/11/2015


    http://souriahouria.com/lunification-du-monde-par-le-sang-par-elias-khouri-traduit-de-larabe-par-marcel-charbonnier/

    source : http://www.alquds.co.uk/?p=435742

    * Traduit de l’arabe par Marcel Charbonnier.

    http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article36450