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Histoire - Page 16

  • Bref rappel de l’affaire Si Salah (Le Matin.dz)

    Le colonel Si Salah voulait dialoguer avec De Gaulle pour la fin de la guerre.

    Le 10 juin 1960 a eu lieu une rencontre entre le conseil de la wilaya IV historique, conduit par son chef, le colonel Salah Zaamoum et le général de Gaulle. Le colonel Si Salah voulait dialoguer avec De Gaulle pour la fin de la guerre.

    Mise à part l’histoire officielle qui n’en fait nullement mention, cette affaire donne lieu à deux versions antinomiques. La première, de surcroît simpliste, fait état de la trahison pure et simple du conseil de la wilaya IV et l’autre, plus raisonnable, relate les faits en les rapprochant autant que faire se peut de la réalité.

    De toute évidence, bien que le discours du 16 septembre 1959 – où le général de Gaulle parle du droit du peuple algérien à l’autodétermination – ait un poids considérable dans le processus de la prise de décision, il n’en demeure pas moins que les raisons sont davantage endogènes à la révolution algérienne. En fait, la mésentente entre le conseil de la wilaya IV et l’organisation extérieure atteint son paroxysme vers janvier 1960.

    Lors du conseil de wilaya, Si Salah reproche amèrement au GPRA son mutisme aux appels de détresse qui lui sont lancés par les maquisards de l’intérieur. Dans un rapport rédigé par Boualem Seghir, les chefs de la W4 dressent un tableau noir de la situation. «Le peuple a trop souffert… Le peuple est en voie de nous abandonner», constatent-ils. Selon Gilbert Meynier, dans "Histoire intérieure du FLN", "ce fut à qui fulminerait le mieux contre le GPRA et les planqués de l’extérieur qui avaient abandonné les combattants à leur triste sort."

    Cependant, à l’époque des faits, la révolution vit au rythme d’une crise interne sans précédent. En effet, sous le règne des 3B (Belkacem Krim, Abdelhafid Boussouf et Abdellah Bentobbal), la révolution allait à vau-l’eau. Cela dit, bien que les organismes issus du CNRA (16 décembre 1959 – 18 janvier 1960), lui-même précédé de la réunion des dix colonels (11 août – 16 décembre 1959), soient un pur dosage entre les forces en présence, une décision capitale est tout de même prise : le retour des forces combattantes, stationnées aux frontières marocaine et tunisienne, à l’intérieur du pays. Ce qui correspond, de façon sous-jacente, aux desiderata des combattants intérieurs.

    Hélas, le CNRA commet une erreur irréversible en confiant le commandement militaire unifié à Houari Boumediene. Alors que les maquis de l’intérieur sont pris en étau, le chef de l’état-major général se projette dans l’après-guerre. Du coup, ne voyant rien venir, le conseil de la W4 revient à la charge, en mars 1960, en accusant les chefs extérieurs d’opportunistes. «Les vieux griefs contre Boumediene le voleur d’armes resurgirent à propos d’un contingent de 17000 armes promises à la 4 et qui auraient été accaparées par la 5 et l’armée des frontières du Maroc», écrit Gilbert Meynier.

    Ce sont, sans doute, ces divergences internes qui ont motivé les combattants de la wilaya IV de se rendre à l’Élysée en vue de rencontrer le général de Gaulle. "Nous ne voulons plus que notre million de martyrs serve de slogan publicitaire… en connaissance de cause et en qualité de responsables des combattants, il nous est plus permis de laisser mourir un seul Algérien en plus. Dans l’intérêt supérieur du peuple et de l’armée de libération, il est urgent de cesser le combat militaire pour entrer dans la bataille politique", écrivent les membres du conseil de la wilaya IV.

    Enfin, dans son ultime tentative d’infléchir la position du GPRA, Si Salah écrit une lettre, le 15 avril 1960, dans laquelle il se montre intransigeant. "Vous avez interrompu radicalement tout acheminement de compagnie et de matériel de guerre depuis 1958… Nous ne pouvons plus en aucune manière assister les bras croisés à l’anéantissement progressif de notre chère ALN", écrit-il.

    Concomitamment à ces remontrances, le conseil de la W4 noue des contacts avec des responsables français. Prenant les choses au sérieux, le général de Gaulle envoie deux émissaires : Bernard Tricot et le colonel Mathon. Après moult conciliabules, ces rencontres aboutissent à la rencontre du 10 juin 1960 à l’Élysée. Enfin, bien qu’ils jugent leur démarche responsable, les chefs de la wilaya IV demandent à ce que leur accord soit soumis au GPRA ou à l’approbation des chefs historiques emprisonnés.

    Pour conclure, il va de soi qu’une action séparée, dans un mouvement de libération nationale, est improductive. Cela dit, si jamais une telle action devait être condamnée, il faudrait condamner les causes qui l’ont produite aussi. Enfin, s’il y a un point sur lequel les membres du conseil de la W4 ne sont pas trompés, c’est la mise à nue du système militarisé se profilant à la fin de la guerre. Du coup, condamner de façon simpliste leur action revient à cautionner l’emprise du groupe de militaires sur la souveraineté nationale.

    Boubekeur Aït Benali

    Par Le Matin | 11/06/2015 09:23:00

    http://www.lematindz.net/news/17678-bref-rappel-de-laffaire-si-salah.html

  • La majorité des harkis est restée et n’a pas été tuée (La Marseillaise)

    Avec « Le Dernier tabou », le journaliste Pierre Daum signe un nouvel ouvrage explosif sur l’histoire de la guerre d’Algérie. 

    Après Immigrés de force, les travailleurs indochinois en France (1939-1952), et Ni valise ni cercueil, les Pieds-noirs restés en Algérie après l’indépendance, le journaliste Pierre Daum signe chez Actes Sud Le Dernier tabou, les harkis restés en Algérie après l’Indépendance un nouvel ouvrage qui questionne le passé colonial de la France.

    Qu’est-ce qui vous a conduit à consacrer ce livre aux harkis qui témoigne d’une réalité plus complexe que celle communément admise par la mémoire collective ?

    Cette nouvelle enquête s’inscrit dans le fil de mon précédent travail sur les pieds-noirs restés en Algérie après l’Indépendance. Elle permet de complexifier notre connaissance du passé colonial français en Algérie qui parfois reste figé sur certaines idées reçues. Mon travail sur les pieds-noirs m’avait permis de fissurer un des piliers du discours des nostalgiques de l’Algérie française qui martèlent qu’à l’Indépendance c’était « la valise ou le cercueil ».

    Avec cette nouvelle enquête, je fais exploser un deuxième pilier de leur discours selon lequel la France gaulliste aurait lamentablement abandonné en 1962 les harkis à la vengeance du FLN qui les aurait « massacrés » jusqu’au dernier. Je montre que ce ne fut pas le cas, et que la majorité des « harkis » est restée vivre en Algérie, sans y être tuée. Issus de la paysannerie, écrasés par une misère renforcée par la guerre après 130 ans d’oppression coloniale, ces hommes sont retournés dans leurs villages où les sociétés paysannes se sont retrouvées à devoir recoller les morceaux.

    Qui appelez-vous « harkis » ? Quel était leur nombre ?

    Au départ je pensais me concentrer sur les harkis au sens premier du terme, c’est-à-dire des supplétifs de l’armée française. Au total, les différentes catégories de supplétifs de l’armée françaises comptaient 250 000 hommes adultes. Au cours de mon enquête, je me suis rendu compte que les supplétifs (civils avec des fonctions militaires) n’avaient pas été les seuls à porter l’uniforme français pendant la guerre.

    Il y avait également des militaires de carrière intégrés à l’armée française comme dans toutes les armées coloniales (50 000 hommes), ainsi que les appelés algériens du contingent (120 000 hommes). La conscription s’appliquait en effet aux jeunes d’Algérie comme de métropole et, dans une Algérie façonnée par 130 ans de colonisation, l’idée très ancrée que les Français étaient «ceux qui gouvernent» a conduit l’immense majorité des jeunes de 18 ans à répondre à l’appel du service militaire.

    À tous ceux-là, j’ai ajouté les notables algériens ouvertement pro-français : maires, caïds, conseillers généraux, etc. Leur nombre est évalué à 30 000. En tout, ce sont donc 450 000 hommes adultes algériens qui se sont retrouvés à un moment ou à un autre du côté des Français.

    Ce chiffre que vous avancez provoque la fureur des deux côtés de la Méditerranée. Pourquoi est-il selon vous le « dernier tabou » de la guerre comme l’annonce le titre de votre ouvrage ?

    Pour des raisons différentes. En Algérie, le simple fait d’avoir collecté ce chiffre en confrontant toutes les sources -ce que d’autres auraient pu faire- a créé un scandale. J’ai été attaqué par le ministre des Moudjahidine car mon livre contredit le discours officiel selon lequel le 1er novembre 1954, le peuple algérien se serait soulevé tout entier contre la puissance coloniale.

    Ceux qui ont pris les armes n’étaient qu’une minorité. Ils n’en sont que plus admirables. En France, le scandale c’est de dire que de nombreux harkis sont rentrés au village sans se faire « mas- sacrer ». Cela met en fureur les associations de rapatriés et de harkis dont le discours est conditionné par les idéologues de l’Algérie française. Mais les harkis rapatriés en France -qui y ont été scanda- leusement mal traités- forment une petite minorité : 25 000 hommes au maximum, auxquels s’ajoutent leurs familles. C’est bien là la révélation de mon livre : sur 450 000 Algériens qui ont combattu du côté de la France, une majorité est restée et n’a pas été tuée. Ce qui n’efface pas les milliers d’assassinats de « harkis » en 1962, dans une situation de chaos politique et de justice populaire expéditive.

    Comment s’est déroulée l’après-guerre d’Algérie pour cette majorité de harkis qui n’a pas été passée par les armes ?

    La première année a été très douloureuse. Certains ont subi la torture, l’emprisonnement, des travaux forcés. Ensuite, leur réintégration aux sociétés paysannes traditionnelles s’est souvent accompagnée d’une cruelle relégation sociale. Aujourd’hui encore, alors que le peuple paysan algérien est progres- sivement sorti de l’extrême pauvreté, on constate que les harkis et leurs enfants ont tendance à avoir été maintenus dans cette misère originelle.

    Quelles étaient les motivations des harkis de l’époque ? Soixante ans après le début de la guerre que vous en ont dit les témoins que vous avez retrouvés ?

    Mon enquête confirme des travaux antérieurs qui depuis une dizaine d’années ont complètement démonté cette fausse idée selon laquelle les harkis se seraient massivement engagés par amour du drapeau tricolore, par patriotisme, voire par désir de maintenir l’Algérie française. Ce discours est tenu depuis 50 ans par différents groupes sociaux.

    D’abord par les nostalgiques de l’Algérie française, mais aussi en miroir par toute une partie de la gauche et de l’extrême gauche françaises qui ont un rapport très suspicieux vis-à-vis des harkis qu’ils considèrent comme des traîtres, ce qui est aussi le point de vue de l’histoire officielle algérienne. Dans les médias algériens, je n’hésite pas à dire que finalement, le regard porté par les officiels algériens sur les harkis est exactement le même que celui des anciens de l’OAS.

    En réalité, les motivations principales des harkis étaient la pauvreté et la façon que l’armée française avait de mouiller certaines familles dans les villages aux yeux d’un FLN qui n’hésitait pas à pratiquer une violence aveugle. Les harkis, que j’ai retrouvés dans soixante villages différents, témoignent de cet aspect terriblement pervers de l’oppression coloniale. La France a placé des millions d’Algériens dans une situation telle que la seule solution pour donner à manger à leur famille ou pour se soustraire aux menaces du FLN était de frapper à la porte de la caserne française.

    Comment analysez-vous le rapport de suspicion qui existe encore aujourd’hui dans la gauche anti-coloniale à l’égard des harkis ?

    Il résulte selon moi d’une erreur de compréhension de la complexité de la guerre d’Algérie. La grille de lecture de la Seconde Guerre mondiale et de l’Occupation nazie, avec le clivage collaboration-résistance, a été plaquée à tort sur la guerre d’Algérie. Les harkis de 1954 ne sont pas les collabos de 1940, parce que leurs motivations n’étaient pas idéologiques. à l’issue de mon enquête, j’ai compris que les harkis constituent les ultimes victimes de la colonisation française en Algérie.

    Entretien réalisé par Léo Purguette jeudi 4 juin 2015 13:42

    http://www.lamarseillaise.fr/culture/livres/39308-la-majorite-des-harkis-est-restee-et-n-a-pas-ete-tuee#.VXBBbNMd82c.facebook

    Lire aussi El Watan:

    http://www.berberes.com/histoire/5424-pierre-daum-journaliste-auteur-de-le-dernier-tabou-les-harkis-restes-en-algerie-apres-l-independance

  • Les harkis, le dernier tabou", de Pierre Daum (Le Matin.dz)

    Des dizaines de milliers de harkis étaient engagés au côté de l'armée française.  

    Des dizaines de milliers de harkis étaient engagés au côté de l'armée française.

    Ce livre démontre qu’il y a encore des anciens harkis qui vivent encore en Algérie.

    Il bat en brèche la tapageuse campagne menée depuis un demi-siècle par les nostalgiques de l’Algérie française qui ressassent jusqu’à la nausée le massacre massif de ces hommes engagés aux côtés de l’Armée contre le FLN/ALN.

    Eh oui, tous les harkis restés en Algérie ne sont pas éliminés, tués, massacrés, trucidés. Les témoignages recueillis dans ce livre par Pierre Daum en sont les meilleures preuves. Les maquisards de l’ALN ne sont pas tous ces méchants égorgeurs, non. Le mensonge savamment entretenu par les porte-voix de la colonisation et leurs relais dans la presse a touché ses limites.

    "A l’issue de cette longue enquête, j’ai acquis la conviction que la plupart des «harkis» sont restés en Algérie sans y être tués (…) Reconnaître ce fait historique oblige en France à s’extraire radicalement de la vision imposée depuis 50 ans, qui affirme que tous ceux qui sont restés se sont fait «massacrer», payant de leur sang leur "amour du drapeau français". Toujours selon ce discours, ces hommes et leurs souffrances seraient la preuve de la légitimité de la présence française en Algérie (puisque tant de "musulmans" ont défendu l’Algérie française", écrit en conclusion Pierre Daum, auteur déjà de "Ni valises ni cercueil" qui retrace la vie de ces pieds-noirs restés en Algérie et paru en 2012.

    L’auteur commence son livre avec une longue et riche introduction historique. Pierre Daum bouleverse les idées entendus et distillées ici et là. D’abord, il n’y a aucune directive du FLN visant à tuer les harkis. Ensuite le chiffre de 10 000 harkis tués pendant l’été 1962. Il n’y a aucune source qui vient étayer le nombre exact de harkis tués. Mais au-delà de la guerre des chiffres il est important de rappeler que la situation des Algériens était autrement des plus préoccupantes en cette première année de l'indépendance.

    Pierre Daum écrit en parlant des autorités algériennes et françaises que "ni les uns ni les autres ne se sont préoccupées des harkis". Aussi dramatique que pouvait être en effet la situation de ces hommes qui ont choisi (ou ont été poussés) l’armée française, il est manifeste que, pour les nouveaux responsables de l’Algérie, l’urgence était ailleurs. Elle dépassait celle d’une communauté, par ailleurs qui avait choisi son camp. Outre les sanguinaires commandos de l’OAS qu’il fallait neutraliser, il y avait la prise en charge des milliers de prisonniers libérés et les autres milliers de civils libérés des camps de regroupement. Sans oublier la guerre sourde d’abord puis frontale entre les moudjahidine de l’intérieur et l’armée de l’extérieur. La tâche des nouvelles autorités algériennes était immense. Le constat est, certes, vrai, mais le contexte est des plus compliqués et la situation trouble, notamment pour les Algériens.

    Le livre de Pierre Daum est épais, dense, plus de 500 pages entre analyses des sources et la soixantaine de témoignages recueillis auprès d’anciens harkis, vivant toujours en Algérie. Le mérite de ce livre-enquête est qu’il ne prend pas de raccourcis, traquant toutes les hypothèses et autres assertions sur les harkis, autant d'approximations, voire de mensonges devenus avec le temps des "vérités" pour nombre de personnes. Chiffres et sources croisés à l’appui, Pierre Daum analyse et met sur la table les éléments d’information disponible sur ces supplétifs de l'armée française. A l'indépendance, ces hommes et leurs familles ont été oubliés par ceux qui les avaient engagés à leur côté.

    L’auteur écrit que sur les 40 500 harkis à qui l’armée française a proposé différentes options, "21000 ont demandé à être licenciés avec prime, 1000 se sont engagés, 2000 ont souscrit au contrat de six mois, 1500 ont demandé à venir en France avec leurs familles et 15000 sont rentrés chez eux sans demander à bénéficier des dispositions prévues en leur faveur".

    L’auteur avance, argument à l’appui, que la majorité des harkis a choisi de rester en Algérie. Cependant un demi-siècle plus tard, renversement de tendance, les anciens harkis et leur descendance font des mains et des pieds pour quitter l’Algérie. L’administration française est assaillie de demande de nationalité. Des centaines de dossiers d’Algériens se réclamant harkis arrivent sur les bureaux. Certains ont la haine recuite contre ce qu’ils appellent le fellaga, d’autres essayent de tirer un trait sur ce passé lourd à porter.

    Même si l’auteur aurait pu se passer de certains détails qui n’ajoutent en rien à l’importance du livre, "Le dernier tabou, les harkis restés en Algérie après l’indépendance" demeure comme l’un des meilleurs titres sur cette question qu’on refuse d’aborder avec la sérénité nécessaire encore en Algérie.

    La plaie, laissée par la participation de ces hommes à la guerre contre le FLN/ALN, n’est pas pansée et les éléments d’explication, d’études et d’analyse non encore mis en place par les Algériens et pour les Algériens. Ce travail est à mener comme celui de la réappropriation de l’histoire nationale.

    Kassia G.-A.

    "Le dernier tabou, les harkis restés en Algérie après l'indépendance", chez Actes sud.

    Par Le Matin | 01/06/2015 15:01:00

    http://www.lematindz.net/news/17581-les-harkis-le-dernier-tabou-de-pierre-daum.html

  • 13 mai 1958, campagne anti haïk en Algérie (Babzman)

     

    Le 13 mai 1958 débute une campagne d’occidentalisation (c’est le terme employé par les médias de cette époque) et visant la femme algérienne.

    Le pouvoir colonial aidé par la population européenne veut, par la contrainte et la force, obliger la femme algérienne à se débarrasser du haïk, voile traditionnel, symbole de l’identité et de l’histoire du pays, porté depuis des lustres par la gente féminine algérienne.

    S’en suit des actes de menaces, de renvoi des femmes musulmanes de leur travail ou des actes délibérés d’arrachage de voile sur la voie publique par la population européenne. Sous les cris de joie et du slogan «vive l’Algérie française» martelé à l’envie par les Européens. On assiste à des scènes de prosélytisme barbare où des femmes musulmanes sont exhibées sur des podiums improvisés pour les dévêtir de leur voile et le bruler ainsi sur la voie publique.

    Le haïk est bien plus qu’un symbole culturel bien encré dans la société algérienne, c’est également une arme efficace contre l’occupant. Pendant la guerre d’Algérie et notamment lors de la bataille d’Alger, cet accoutrement a permis aux femmes de transporter au péril de leur vie des armes et des bombes destinées aux combattants algériens afin de mener des actions armées contre les forces de l’occupant. Ce vêtement a donc été un moyen d’émancipation et de combat pour les femmes algériennes et qui leur a permit de s’engager pleinement dans le processus de libération du pays.

    Frantz Fanon, psychiatre en 1953 à l’hôpital psychiatrique de Joinville (Blida) est né le 20 juillet 1925 à Fort-de-France en Martinique. Héros de la lutte antinazie en 1943 et figure de proue du combat contre le colonialisme et pleinement engagé pour l’indépendance de l’Algérie évoque dans son livre « Sociologie d’une révolution » le fait que le haïk de la femme algérienne était un des enjeux de la guerre libération.

    «Convertir la femme, la gagner aux valeurs étrangères, l’arracher à son statut, c’est à la fois conquérir un pouvoir réel sur l’homme et posséder les moyens pratiques, efficaces, de déstructurer la culture algérienne…Chaque voile qui tombe, chaque corps qui se libère de l’étreinte traditionnelle du haïk, chaque visage qui s’offre au regard hardi et impatient de l’occupant, exprime en négatif que l’Algérie commence à se renier et accepte le viol du colonisateur».

    Il est fort intéressant de faire un parallèle avec l’actualité brulante d’aujourd’hui et le débat prégnant qui secoue actuellement la société française. Le voile pose problème et interpelle le monde occidental. La campagne de mai 1958 en Algérie en est une illustration, elle a été menée par les mêmes qui gouvernent aujourd’hui la France. Le parti socialiste est hégémonique, colonialiste et le restera, même si la parure ou l’étiquette change.

    Le hijab, ou voile islamique, foulard musulman s’est donc imposé ces dernières années comme un symbole. Il se positionne en balise entre le dedans et le dehors, le montré et le caché, le visible et l’invisible… mais, porté par des jeunes françaises issues de l’immigration maghrébine, il devient un signifiant polysémique, qui donne à voir autant qu’il cache. Le voile met l’accent sur un conflit identitaire plus que religieux.

    Il semble pertinent de mettre en exergue le caractère relativement universel de la symbolique que l’on dénote à travers le port du voile. En effet, quelles que soient les obédiences et les traditions, on retrouve sous le voile l’idée de la Vérité, de la connaissance cachée ou révélée. Le dévoilement a une valeur initiatique et révélatrice et par conséquent ne relève pas du corps législatif ou décisionnaire.
    « Rien ne se trouve voilé qui ne doive être dévoilé» (Mathieu, 10-26)
    « Tu restais indifférent à cela. Et bien, Nous ôtons ton voile, ta vue est perçante aujourd’hui». (Coran, Sourate El kaf, verset 22)

    13 mai 2015
    Akim Koceir

    http://www.babzman.com/2015/13-mai-1958-campagne-anti-haik-en-algerie/

  • La restauration de l’empire colonial français (Npa)

    La « Libération » n’en a pas été une pour les peuples des colonies françaises, qui se sont pourtant souvent trouvés en première ligne dans le combat contre l’Allemagne nazie. Après la guerre, la bourgeoisie française voulait remettre la main sur les colonies. A n’importe quel prix.

    Du côté des peuples coloniaux, la guerre avait changé bien des choses. Pour la deuxième fois (après 1914-1918), la métropole avait eu le plus grand besoin des troupes « indigènes » pour son combat dans la reconquête de son pays. Les populations avaient souffert et, à un moment où tout le monde parlait de liberté retrouvée, elles voulaient leur part de celle-ci. La France, une grande puissance pourtant à la tête d’un immense empire colonial, avait par ailleurs fait la démonstration en 1940 de sa faiblesse, puisque défaite presque sans combat par l’Allemagne nazie. 

    Mais l’impérialisme français tenait à ses colonies et était déterminé à les conserver, coûte que coûte. Et ça a coûté très cher ! La restauration de l’empire colonial ne se fit pas sans peine, ni massacres intensifs et prolongés. Les épisodes les plus connus sont les guerres d’Indochine et d’Algérie, mais il y eut de nombreux autres conflits souvent méconnus et cachés en France.

    L’ambition de De Gaulle était de restaurer l’Etat, la police, l’armée, et... l’empire colonial français.

    La reconquête de la métropole grâce aux colonies

    C’est apparu pour tous comme une évidence : c’est grâce à ses colonies que l’impérialisme français avait pu figurer à la fin de la guerre parmi les grandes puissances. C’est en effet par l’Afrique centrale que De Gaulle avait commencé la reconquête et ce, dès 1940, grâce au Cameroun et au Tchad. Le Cameroun était en effet la porte d’entrée vers les autres colonies, où une poignée de gaullistes étaient prêts à soutenir De Gaulle, qui y envoya Leclerc, le futur « libérateur » de Paris.

    Ancienne colonie allemande, la majeure partie du Cameroun était tombée dans l’escarcelle de la France en 1916. Certains colons, au début de la Deuxième Guerre mondiale, s’inquiétaient de voir le pays retomber dans les mains des Allemands et firent appel à De Gaulle, qui comprit très vite l’importance que cela avait pour lui. Il en fit un symbole et la première étape de la reconquête. Douala, grand port et principale ville du Cameroun, fut la première ville libérée, en même temps que Fort Lamy, capitale du Tchad, où le gouverneur, Felix Eboué, avait aussi rejoint De Gaulle. Le général  débarqua à Douala en octobre 1940. C’est donc à partir du Cameroun et du Tchad que les troupes gaullistes partirent à l’assaut des positions africaines de l’Allemagne nazie. Et c’est là que naquit l’épopée de la 2ème DB de Leclerc.

    L’empire colonial après guerre

    Grand comme 25 fois la métropole, l’empire colonial français était considérable. Il a fourni une très grosse partie des troupes des forces françaises : en 1944, celles-ci étaient composées dans leur grande majorité de troupes coloniales. Les sacrifices infligés aux populations ont été très durs : travail forcé, réquisition de produits destinés au ravitaillement des troupes, diverses contributions en argent, en travail ou en nature. Alors, à la fin de la guerre, les populations des colonies aspiraient à un changement de leur sort. Elles avaient contribué à la victoire de la métropole, avaient payé un lourd tribut à la guerre et estimaient devoir bénéficier de droits identiques, d’où le succès et le développement de nombreuses organisations nationalistes.

    Mais pour l’impérialisme français, il fallait recadrer les choses. Au début de l’année 1944, une conférence fut organisée à Brazzaville au Congo, capitale de l’Afrique équatoriale française, où de Gaulle traça sa vision pour l’après-guerre. S’il annonça des réformes sociales comme la suppression du travail forcé, des libertés syndicales, etc., il précisa qu’il était hors de question d’accorder l’autonomie et qu’il n’y avait pas d’évolution possible hors du bloc français de l’Empire, « la constitution de self-governments dans les colonies est à écarter. »

    Ces promesses pourtant très vagues étaient cependant ressenties comme inacceptables par les colons. Des « Etats généraux de la colonisation française d’Afrique noire » se réunirent en 1945 à Douala au Cameroun, puis à Paris en 1946, pour s’opposer à l’instauration d’un collège électoral unique dans les colonies et réclamer le maintien d’un minimum de journées de travail obligatoires pour les Africains.

    Il n’était donc pas question pour l’impérialisme français de laisser si peu que ce soit s’échapper les colonies de son empire, ni d’accorder même les maigres avancées demandées au départ par les premiers nationalistes, plutôt modérés. Ce fut donc l’usage de la force tout de suite partout où cela bougeait, partout où des revendications étaient exprimées, et surtout partout où des forces nationalistes pouvaient servir d’exemple dans les autres colonies. Ce fut le cas du combat acharné livré au Cameroun par exemple, qui allait durer dix longues années.

    Les premiers massacres : Thiaroye au Sénégal, décembre 1944...

    Il ne faudra pas attendre longtemps après la victoire des Alliés pour constater comment la France était décidée à traiter les habitants de ses colonies. Au Sénégal, un épisode sanglant se déroula dès le 1er décembre 1944. Un certain nombre de soldats issus de l’Afrique occidentale française (AOF), connus sous le nom de « tirailleurs sénégalais », mais provenant de nombreux pays africains, furent rapatriés à Dakar en 1944. Ces soldats, ex-prisonniers de l’armée allemande, devaient être démobilisés à la caserne de Thiaroye, banlieue sud de la capitale sénégalaise et y recevoir leur prime de démobilisation. Les autorités refusèrent de changer leur argent au taux légal, leur proposant un taux de change très défavorable, en clair les escroquant, en invoquant le fait qu’ils n’avaient pas besoin d’argent dans leurs cases !

    Le 30 novembre, las de tant d’humiliations, les soldats africains se mutinaient et retenaient le général français avant de le libérer au bout d’un jour. Le lendemain, les chars débarquaient dans le camp, massacrant les soldats africains désarmés. Bilan officiel : 25 morts et une quarantaine de blessés, chiffres largement sous-estimés, car la trace de 300 soldats a été perdue. Les survivants furent condamnés à la prison pour « insubordination ». Ils ne touchèrent jamais leur retraite de militaire.

    Le général Dagnan, responsable du camp, expliqua en des termes très clairs les motivations de la répression : « La répartition dans l’ensemble de nos territoires africains de cet afflux d’éléments animés vis-à-vis de la mère patrie de sentiments plus que douteux déterminera très vite un grave malaise parmi nos populations jusqu’alors parfaitement loyales et fidèles. Tous ces indigènes revenant de France donneront de notre pays l’image d’un pays vaincu à la remorque de puissants alliés et dont la puissance n’est plus à redouter. Partout où à proximité des villes ils resteront groupés ils formeront très vite le noyau agissant de tous les groupements hostiles à la souveraineté française. »

    … Sétif, Guelma, mai 1945

    Dès l’été 1943, les services de renseignement français constatèrent un fort mécontentement parmi la population algérienne, à cause notamment d’une situation alimentaire catastrophique. C’est donc dans un contexte tendu que se déroulèrent les commémorations de la victoire contre les nazis. Le 1er mai 1945 se déroulèrent dans tout le pays des manifestations pacifiques, où pour la première fois fut brandi un drapeau algérien. Des affrontements avec la police eurent lieu à Alger et à Oran. Le 8 mai 1945, tandis que partout en France se fêtait la victoire, en Algérie, un massacre allait être perpétré par  l’armée.

    Les manifestations étaient pourtant pacifiques, appelées pour fêter la victoire et rappeler à la France les revendications nationalistes de la population algérienne. Chez les Européens, la peur montait. L’égalité avec les Algériens était une idée qu’ils ne supportent pas. A Sétif, les policiers voulurent se saisir du drapeau du PPA (parti du peuple algérien, nationaliste). Un jeune fut tué, l’armée tira sur la foule. A Guelma, des arrestations combinées à l’action de milices de colons déclenchèrent la colère, qui se répercuta sur les colons des environs. Au total, 102 européens furent tués et autant blessés. Entre 5000 et 10 000 Algériens payèrent de leur vie la répression qui s’ensuivit.

    L’infanterie, la marine et l’aviation intervinrent pour bombarder les villages et massacrer la population. D’anciens FFI, FTP, intégrés à l’armée, furent envoyés en Algérie où on leur expliqua qu’il fallait poursuivre « leur action patriotique de nettoyage ». Ces massacres ont été le prélude de la guerre d’indépendance de l’Algérie, qui débuta le 1er novembre 1954.

    Indochine : la reconquête

    La péninsule indochinoise était occupée par les Japonais. Lorsque le Japon capitula, les nationalistes du Vietminh (front créé en 1941 par le parti communiste indochinois), qui combattaient les Japonais depuis près de quatre ans, prirent le contrôle du pays et constituèrent un gouvernement.

    La France, ne pouvant tolérer l’indépendance d’une de ses colonies, envoya le corps expéditionnaire en utilisant des mensonges comme le fait de porter secours aux troupes françaises contre les vichystes qui restaient. Comme en  Algérie, les soldats furent envoyés au nom de la lutte contre le fascisme. Le 6 mars 1946, un accord fut signé avec Ho Chi Minh, reconnaissant la république du Vietnam comme un Etat libre. Mais il ne fut pas respecté.  On connaît la suite : une guerre épouvantable, jusqu’à la défaite de l’armée française à Dien Bien Phu. 

    Le Cameroun : une histoire méconnue et peu enseignée

     « La raison principale de la hargne française s’appelle l’UPC (Union des populations du Cameroun) », écrivent les auteurs de « Kamerun, une guerre cachée aux origines de la Françafrique », un ouvrage magistral sur ces événements largement méconnus. L’UPC et son leader Ruben Um Nyobé, qui affirmait que l’heure n’était plus de s’opposer à l’hitlérisme comme en 1939, mais au colonialisme tout court, ont attiré la violence de l’impérialisme français.

    D’autant que les Camerounais avaient suivi la répression au Sénégal au camp de Thiaroye, et pu apprécier aussi comment les soldats camerounais étaient traités : après avoir été parqués dans des camps de transit au sud de la France, ils furent dépouillés de leur uniforme et de leurs chaussures avant d’être renvoyés chez eux, humiliés.

    Leur mécontentement faisait peur à l’armée. Au Cameroun aussi, la manifestation du 8 mai 1945 avait été l’occasion d’affirmer la montée du nationalisme, avec ce cercueil sur lequel était inscrit : « enterrons le nazisme, le racisme, le colonialisme ».  Des cercles d’études marxistes se forment alors à l’initiative de communistes de métropole, pour former les habitants à la revendication sociale. Des syndicats se créent. Une grève est déclenchée par des cheminots en septembre 1945, pour une augmentation de salaire. Fin septembre, une manifestation dégénère, des coups de feu sont tirés.

    Les colons blancs, extrêmement minoritaires, particulièrement arrogants et remplis de haine envers les indigènes, décident de lancer une opération punitive, bien qu’aucun blanc n’ait été tué ni blessé. Ils en ont surtout contre les syndicalistes, et pourchassent les métropolitains. Le gouverneur arme les colons et les civils européens, comme à Sétif ou Guelma, prennent une grande part à la répression. Les avions mitraillent et les gendarmes ont l’ordre de tirer à vue sur tout indigène pendant le couvre-feu, de 19 heures à 6 heures. Une centaine de morts est décomptée pendant les affrontements de septembre 1945.

    L’UPC est formée en 1948. Ses actions sont d’abord pacifiques mais ne reçoivent comme réponse que la répression. Une première révolte éclate en 1955. Pendant plus de 15 ans, de 1955 à 1971, la France va ensuite mener au Cameroun une guerre coloniale qui fera des dizaines de milliers de victimes, une guerre totalement effacée des livres d’histoire officiels. En utilisant toutes les armes à sa disposition : bombardements des populations, escadrons de la mort, torture généralisée.

    Madagascar, une révolte écrasée dans le sang

    Là encore, dans cette île, possession de la France, la répression a été violente contre les aspirations des populations à se défaire de la tutelle française.  Le pays avait suivi ce qui se passait au Vietnam, et les députés nationalistes du Mouvement démocratique de rénovation malgache (MDRM) avaient même déposé un projet de loi déclarant Madagascar « un Etat libre ayant son gouvernement, son armée, ses finances au sein de l’Union française », dès que l’accord signé avec Ho Chi Minh avait été connu. Leur demande fut traitée par le mépris. L’agitation grandit, des grèves se déclenchèrent, et une insurrection éclata le 29 mars 1947. Un camp militaire français fut pris d’assaut, des fermes de colons détruites. Les insurgés s’étaient rendus maîtres d’une bonne partie de l’île.

    La riposte fut d’une violence rare : l’état de siège fut proclamé. L’infanterie, les paras et l’aviation intervinrent. C’est là que des prisonniers furent chargés en avion et lâchés vivants au dessus des villages dissidents. Des méthodes que l’armée française se chargera de  transmettre dans les années 1970 aux pires dictatures d’Amérique latine, notamment en Argentine1. L’armée exerça une répression aveugle. 18 000 soldats débarquèrent, et le nombre montera jusqu’à 30 000. Lwes derniers « rebelles », en proie à la faim, finirent par se rendre au bout de 21 mois. 

    Socialistes et communistes complices

    Le parti socialiste faisait partie du gouvernement provisoire dès 1943. Le parti communiste était entré en avril 1944 au Comité français de libération nationale, puis au gouvernement provisoire. Il écrivait fin 1944 : « le gouvernement maintiendra jalousement l’intégrité des territoires sous pavillon français et l’intégrité des richesses françaises en capital ».

    Les réformes politiques envisagées par le PCF se résumaient dans ces mots : « association véritable et assimilation progressive des populations d’outre-mer ». Et le PCF commença par condamner l’aspiration des peuples opprimés à se séparer de la France. Les lecteurs de L’Humanité apprirent ainsi qu’à Sétif,
    « des attentats fascistes ont eu lieu le jour de la victoire, le 8 mai 1945 ». En janvier 1946, ce fut Charles Tillon, ministre communiste de l’Armement qui fit voter à l’unanimité des députés le budget militaire, destiné à réprimer les colonies.

    Au lendemain de la Libération, socialistes et communistes réussirent à mettre la classe ouvrière française à la remorque des dirigeants pour rétablir l’empire colonial. Seuls des trotskystes apportèrent leur soutien aux peuples des colonies (notamment en organisant les travailleurs indochinois envoyés en métropole). Les peuples coloniaux se battirent bien seuls contre la bourgeoisie française, car les partis censés défendre l’internationalisme s’étaient rangés comme un seul homme derrière leur bourgeoisie. o

    Régine Vinon

    Pour aller plus loin

    Films :

    Camp de Thiaroye (1988) de Sembene Ousmane, primé à Venise, sorti en France en 1998 seulement.

    Công Binh, la longue nuit indochinoise de Lam Lê, sorti en 2013.

    Livres : 

    Les bouts de bois de Dieu de Sembene Ousmane (sur la grève en 1947 du chemin de fer au Sénégal-Mali).

    Remember Ruben, de Mongo Beti (Cameroun).

    Kamerun, une guerre cachée aux origines de la Françafrique, 1948-1971, de Thomas Deltombe, Manuel Domergue
    et Jacob Tatsitsa.

  • Paris-Sétif (Npa)

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  • Livre. «Marxisme, Orientalisme, Cosmopolitisme», de Gilbert Achcar (A l'Encontre.ch)

    9782330050948Par Samy Joshua

     

    Gilbert Achcar a fait ses classes politiques au Liban. Il est professeur à la School of Oriental and African Studies à Londres. Il est un des meilleurs spécialistes des questions qu’il traite (un «expert» pourrait-on dire, si ce terme ne s’attirait le dédain de l’auteur tout au long du livre, à juste titre, tant il en est d’autoproclamés sur la scène médiatique). Or éclairer ces questions dans l’état de confusion où la gauche française est plongée, en particulier depuis les attentats de janvier 2015 et leur suite, est une ardente nécessité. Ce court ouvrage y contribue grandement. Il comporte quatre contributions écrites à des dates différentes, dont l’une sur les rapports de Marx et l’orientalisme spécialement pour cette occasion. La première parution du livre s’est faite en anglais en 2013.

    «Religion et politique aujourd’hui: une approche marxiste»

    Le premier article concerne la conception marxienne de la religion, et l’analyse de la relation entre religion et politique en général, et plus spécialement l’analyse comparée de la théologie de la libération et de l’intégrisme islamique. L’auteur avance que «le fait que la religion survive encore à l’aube du Ve siècle après la «révolution scientifique» est une énigme pour quiconque adhère à une vision positiviste du monde, mais pas pour un entendement marxiste authentique… non seulement la religion a survécu jusqu’à notre époque en tant que partie de «l’idéologie dominante», mais elle a produit encore également des idéologies combatives de contestation des conditions sociales et/ou politiques en vigueur.».

    Les marxistes sont familiers de la fameuse Introduction à la Critique du Droit de Hegel, dans laquelle Marx donne ses formules tant citées: la religion est une expression de la «misère»; «l’expression sublimée» de la «misère réelle». Et aussi une protestation contre cette situation. Mais malheureusement, selon Achcar, «Marx n’a pas poursuivi sa réflexion sur la dimension «protestation» de la religion». De même que «Engels tenta maladroitement d’expliquer Münzer comme une «anticipation en imagination du communisme», et la dimension chrétienne comme un simple déguisement». Autrement dit, Achcar critique une vision trop peu dialectique entre la forme (religieuse) et le fond (social), comme si les deux n’interféraient pas. Or, ils le font, et il convient d’analyser ces liens dans chaque cas: quelle période historique, mais aussi quels thèmes religieux. C’est au nom même du matérialisme historique que l’auteur plaide «pour une sociologie comparative marxienne des religions». Où le concept d’origine Wébérienne «d’affinités électives» tiendrait une place importante (là entre certains aspects du «christianisme dans sa phase charismatique et un programme social communistique» repéré chez Thomas Münzer).

    Analyse que Achcar applique à la théologie de la libération d’un côté, à l’islamisme radical de l’autre. D’où il ressort que: «Tous les courants de l’intégrisme islamique se dédient pareillement à ce qui peut être décrit comme étant essentiellement une «utopie médiévale réactionnaire». L’affirmation que «L’idée orientaliste superficielle…selon laquelle l’intégrisme islamique est le penchant «naturel» anhistorique des peuples musulmans est totalement aberrante». Alors que: «Le parti le plus grand parmi les partis communistes qui n’étaient pas au pouvoir dans le monde (était), un parti qui s’appuyait officiellement, donc, sur une doctrine athée, se trouvait dans le pays comptant la plus grande population musulmane: l’Indonésie». Et que, d’un autre côté, «Nasser fut, sans aucun doute, un croyant sincère…quand bien même il devait devenir le pire ennemi des intégristes. » Gilbert Achcar résume alors ce qu’il a développé depuis longtemps quant aux racines qui ont permis le développement de l’islamisme. Défaite du nationalisme et carences de la gauche radicale; intégrisme promu contre la gauche par le royaume saoudien et son parrain américain; l’exacerbation de la crise…dans le Moyen Orient élargi; effets de l’offensive néolibérale et effondrement du « communisme soviétique».

    Un commentaire sur ce sujet complexe de la religion aujourd’hui. Si on peut approuver aisément l’auteur sur tous les points développés, il faudrait parvenir à élargir le tableau aussi à l’indéniable tendance mondiale à la sécularisation. Car si, incontestablement, la religion «survit», cela va de pair avec la progression d’un autre phénomène. Les enquêtes montrent que jamais les agnostiques déclarés (et même les athées explicites) n’ont été aussi nombreux dans le monde, et ceci y compris en pourcentage de la population. Phénomène qui touche désormais un pays aussi ancré dans les religions que les Etats-Unis. Et qui, à l’évidence, est une «marque de fabrique»  de l’Europe (et, loin devant encore, de la Chine). Et ce malgré le quasi-écroulement de la perspective de tradition marxiste. Comment rendre compte de ceci est une question en soi. Et plus encore, dans la sociologie marxiste des religions que Achcar appelle de ses vœux, se pose celle de la manière dont peuvent cohabiter les religions (dans leur diversité) et cette tendance de fond, au moins dans les endroits où elle est avérée, et ailleurs peut-être si elle se confirme dans les décennies à venir.

    «L’orientalisme à rebours: sur certaines tendances de l’orientalisme français après 1979»

    Le second article concerne la manière dont certains critiques de l’orientalisme classique ont évolué vers un «orientalisme à rebours», inversant les présupposés essentialistes du premier, tout en les conservant comme cadre méthodologique. Gilbert Achcar s’appuie sur le livre de Sadik Jala Al-Azm, Orientalism and Orientalism in Reverse, paru en 1981 (Khamsin, N° 8, Londres, Ithaca, 1981) avec ses deux catégories : « la première, déjà identifiée par Edward Saïd, consiste en une reproduction de la dichotomie essentialiste…mais avec des valeurs inversées…». La seconde est synthétisée par l’auteur en 6 points.

    1° L’Orient islamique et l’Occident sont antithétiques, y compris en ce qui concerne le marxisme; 2° le degré d’émancipation de l’Orient ne peut être mesuré à l’aune de critères occidentaux, comme la démocratie, la laïcité et la libération des femmes (on peut y ajouter je suppose la considération des orientations sexuelles); 3° les instruments épistémologiques des sciences sociales occidentales sont entièrement non pertinents dès qu’ils sont «exportés»; 4° la force motrice fondamentale qui meut les masses musulmanes est d’ordre religieux; 5° la seule voie des contrées musulmanes vers leur renaissance passe par l’Islam; 6° les mouvements de «retour à l’Islam» ne sont jamais réactionnaires mais des mouvements progressistes.

    L’auteur s’attache alors à décrire l’évolution de ce positionnement chez les orientalistes français après 1979 (révolution islamique iranienne), même si, bien entendu, la question ne se limite pas à eux. Si on laisse de côté Michel Foucault, qui, certes sans retour critique, mis fin assez rapidement à son soutien aux processus iraniens, cela concerne les penseurs phares dans le domaine: Olivier Roy, Olivier Carré, Gilles Kepel, François Burgat, entre autres. Dont les évolutions furent diverses, parfois contraires sur le plan politique (avec par exemple pour certains la mise au service des officines impérialistes de cette «compréhension» jugée imparable). Avec désormais sur la scène française « …deux écoles. L’une a été appelée «néo-orientalisme» par Farhad Khosrokhavar, bien qu’il s’agisse plutôt d’une tendance inhérente à «l’orientalisme» traditionnel; en deux mots, c’est l’idée que l’islam est incompatible avec la modernité. J’ai appelé l’autre école «nouvel orientalisme», car elle est véritablement nouvelle, et l’ai définie comme soutenant l’idée que l’islam… est en fait la seule et incontournable voie du monde musulman vers la modernité». Les deux partageant «un noyau commun…la vision essentialiste».

    L’auteur pourtant ne néglige pas de faire soigneusement la part entre ceux qui se rangent derrière les dominants occidentaux, et ceux qui, comme Burgat, se sont engagés « …courageusement…contre la vague d’islamophobie» touchant la France, même si c’est « …avec d’énormes illusions». Car on ne peut sans précautions étendre la condamnation de régressions historiques de grande envergure à la discrimination portée envers des populations minoritaires d’Occident. Complexité des positionnements politiques indispensable sur ces questions cruciales, excluant le simplisme, et condition incontournable d’un débat de fond.

    «Marxisme et Cosmopolitisme»

    L’auteur décrit quatre conceptions du cosmopolitisme à travers l’histoire. Ethique (remontant à Diogène se déclarant «citoyen du monde»); institutionnelle, en faveur d’un gouvernement mondial ; conception fondée en droit, comme dans le « Projet de paix perpétuelle» de Kant; ou économique (sources variées, mais souvent sous l’influence d’Adam Smith et sa «Richesse des Nations», où alors elle se ramène au libre-échange généralisé).

    Achcar nous fait parcourir les chemins du concept, en particulier au sein du mouvement socialiste et ouvrier, où, pendant longtemps, il n’eut pas le caractère péjoratif qu’on lui a connu par la suite (souvent synonyme «d’internationalisme» en fait à cette époque). Il décrit sa funeste transformation par Staline (une autre manière de dire «juifs», pétrie donc d’antisémitisme), mais refuse que cette riche idée, propre aux combats pour l’émancipation humaine, soit jetée aux orties. La notion de cosmopolitisme est au contraire au carrefour de son ancrage historique, et de ses relations avec les données contemporaines de la mondialisation et de l’altermondialisme. Bien entendu rien n’est simple en la matière et l’auteur fait sa place à la crainte de Hannah Arendt, convaincue qu’un «gouvernement mondial» serait synonyme de tyrannie et qui affirme : « Nul ne peut être citoyen du monde comme il est citoyen de son pays…Peu importe la forme que pourrait prendre un gouvernement du monde doté d’un pouvoir centralisé s’exerçant sur tout le globe, la notion même d’une force souveraine dirigeant la terre entière…ce serait là la fin de toute vie politique…Ce ne serait pas l’apogée de la politique mondiale mais très exactement sa fin». Mais le débat doit se ré-ouvrir dit Achcar : «Si la défense de la souveraineté nationale est certainement justifiée et nécessaire face à la coercition impérialiste, elle apparaît inévitablement anachronique…à une époque où la «mondialisation» est certainement une réalité et non une phrase creuse». Il s’inscrit dans ce que De Sousa Santos appelle: «le cosmopolitisme insurgé », et défend que « le combat socialiste doit aspirer à dépasser les réalisations cosmopolites du capitalisme en s’appuyant sur l’idée de justice mondiale».

    «Marx, Engels et «l’Orientalisme»: sur l’évolution épistémologique de Marx»

    Ce dernier article débute, inévitablement, sur l’approche critique de Edward Saïd, et de son œuvre majeure, L’Orientalisme (publié en anglais en 1978) en particulier à propos de ses caractérisations, infondées aux yeux d’Achcar, du marxisme comme seulement enraciné dans l’ethnocentrisme européen. Certes, comme le dit l’auteur à propos de l’ouvrage phare de Said,

    «L’orientalisme a bien été un jalon éminent sur cette longue voie menant à la liberté», par «le dévoilement, à une échelle de masse, d’un état d’esprit «occidental» eurocentrique et colonial omniprésent et profondément enraciné».

    Mais l’ouvrage, s’il fut durement attaqué par ceux qui niaient qu’il puisse exister un tel état d’esprit le fut aussi, et à juste titre nous dit Gilbert Achcar, par nombre de spécialistes de la question, au premier rang desquels Maxime Rodinson, pourtant abondamment cité par Saïd, mais sans, manifestement, qu’il ait saisi la totalité de sa pensée. Rodinson, tout en saluant «l’effet de choc de son livre (qui) se révélera très utile» craignait que ceci ne conduise dit l’auteur: ‘à une doctrine «dogmatique qui rejetterait apriori tout apport étiqueté «orientaliste» au nom d’une conception «antiorientaliste»…c’est l’appellation «postcolonial» qui allait plus tard être utilisée à cet égard jusqu’à l’abus».

    L’article de Gilbert Achcar est plus spécialement consacré non à une étude détaillée des apports et des critiques (nombreuses dès l’origine, avec un fort renouvellement de nos jours, voir Kevin Anderson, Vasant Kaiwar, Vivek Chiber, David Harvey et autres) de l’ouvrage de Saïd, mais plus spécialement au rejet de l’affirmation (passablement peu informée et gratuite) de Saïd considérant Marx comme un spécimen du même «orientalisme général». Ce faisant il prend la suite d’auteurs critiques présents dès l’époque, Sadik Jalal Al-Azm, Mahdi ‘Amil, Samir Amin ou Aijaz Ahmad. Ainsi «‘Amil accusa la critique par Saïd de la pensée occidentale de tomber elle-même dans le piège de l’essentialisme en rangeant Marx dans le même sac que d’autres penseurs «occidentaux» sur la base d’une définition géographique de leur positionnement culturel». En fait dit l’auteur : «Omettant le lien entre essentialisme et idéalisme philosophique, Saïd ne mentionne pas une seule fois dans L’Orientalisme ce qui est certainement l’exposé le plus caractéristique de la perspective «orientaliste» occidentale – qui se trouve, sans surprise, dans le sommet de la philosophie idéaliste qu’incarnait Hegel».

    Avec son article Gilbert Achcar se livre alors à une analyse précise de cette question. Au-delà de la constatation, banale mais importante, que le point de vue de Marx et Engels fut scientifiquement et concrètement limité par leurs connaissances «eurocentrées», en ceci qu’elles furent pendant tout un temps indirectes, la vraie question est donc celle de la survivance de racines idéalistes chez Marx.

    On connaît la thèse de Althusser, très critiquée mais pourtant hautement roborative, de l’existence d’une «coupure épistémologique» entre le Marx encore partiellement idéaliste et le Marx marxiste, développant seulement ensuite vraiment la méthode du matérialisme historique. A l’appui de ceci, Achcar rappelle à quel point les premières approches de Marx en plusieurs domaines en sont témoin. Par exemple. l’ode unilatérale au rôle révolutionnaire de la bourgeoisie que l’on lit dans certaines pages du Manifeste, ou dans les premiers articles sur l’Inde et la conquête de l’Algérie. Et encore la «théorie» de la succession inévitable des modes de production développant à l’évidence la même vision que Hegel sur la progression unilatérale de «l’Idée» (la Raison) et de la «Civilisation». On en trouve aussi des éléments dans les premiers écrits concernant la religion. Même en prenant ses distances par rapport à l’approche purement idéelle de la question, on voit Marx utiliser des termes révélateurs quant à «l’essence du Juif» (dans un ouvrage, par ailleurs important par les bases qu’il jette quant à la distinction entre ce qui ensuite s’appellera droit formel et droit réel, mais avec des formules sur l’essence du Juif qu’on ne peut lire aujourd’hui sans frémir, rappelle Achcar) ou l’incomplétude des premières approches, encore bien essentialistes, du christianisme (voir le premier article du livre).

    Achcar suit Althusser sur ce point, mais tout en soulignant, avec raison, que les choses sont plus compliquées. D’un côté, le matérialisme historique est déjà à l’œuvre avant «la coupure», et de l’autre, des traces idéalistes subsistent tout du long, tout en se raréfiant. Et là Achar apporte à Saïd la critique la plus importante. En réalité le matérialisme historique de Marx et Engels (et au-delà de leurs productions à telle ou telle période) est justement l’antidote (et en fait le seul) à tous les essentialismes. On en voit d’ailleurs le développement quand l’un ou l’autre précisent, modifient voire bouleversent leurs conceptions sur le colonialisme par exemple. Certes ceci beaucoup à partir de l’exemple de l’Irlande qu’ils avaient sous les yeux, mais en saisissant aisément, à partir de là, la portée générale de la question. A ce titre, effectivement, le fantastique travail que représente L’Idéologie Allemande et les Thèses sur Feuerbach (non publiées de leur vivant pourtant) viennent poser les bases, à ce jour indépassables, à la fois de la compréhension de l’essentialisme comme de son ancrage dans l’idéalisme, et la possibilité d’en sortir.

    Oui, décidément, un ouvrage ramassé offrant une lecture indispensable à qui refuse de céder aux facilités intellectuelles du temps, facilités dont le simplisme et le «campisme» conceptuel nous habituent malheureusement aux temps de guerre en cours et à venir. Or, comme on le sait depuis longtemps, la première victime de la guerre c’est la vérité. (29 mai 2015)

    Gilbert Achcar, Marxisme, orientalisme, cosmopolitisme, Sindbad, Actes Sud, 2015, 248 p.

    Publié par Alencontre le 30 - mai - 2015
     
  • Germaine Tillion, une ethnologue au Panthéon (Cnrs)

    Germaine Tillion, photographiée en 1935 en Algérie.

     
    Figure de la Résistance, Germaine Tillion entre au Panthéon mercredi 27 mai, avec Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Pierre Brossolette et Jean Zay. L’historien Tzvetan Todorov nous retrace le destin de cette ethnologue d’exception, que son engagement mena en prison puis au camp de Ravensbrück.

    Germaine Tillion, ethnologue et historienne, résistante et déportée, est née le 30 mai 1907, à Allègre, dans la Haute-Loire. Après des études secondaires à Clermont-Ferrand, elle suit sa famille qui déménage dans la région parisienne. À partir de 1926, elle entreprend des études universitaires variées, d’abord en archéologie, préhistoire et histoire de l’art, puis elle suit des cours à l’Institut d’ethnologie et au Collège de France, où elle participe au séminaire de Marcel Mauss.

    1934 : début de sa thèse sur les Chaouias d’Algérie

    Tillion obtient son certificat de l’Institut d’ethnologie en 1932 et s’inscrit en thèse avec Mauss ; c’est lui aussi qui lui procure son premier travail. L’International Institute for African Languages and Cultures de Londres accorde deux bourses à des étudiantes françaises ; Mauss recommande Tillion pour l’une d’entre elles. Elle part en décembre 1934, en même temps que Thérèse Rivière, pour la région des Aurès, en Algérie, où elle restera jusqu’en février 1937, à étudier la société des Chaouias. De retour en France, elle transforme son sujet de thèse en « Étude totale d’une tribu berbère », toujours sous la direction de Mauss, secondé maintenant par Louis Massignon. Elle publie ses premières études ethnologiques, consacrées à la population des Aurès.

    En août 1939, elle repart sur le terrain avec une bourse du CNRS et y reste jusqu’à la fin mai 1940. Le travail sur la thèse est bien avancé, Tillion a rassemblé une abondante information sur la société qu’elle étudie, en mettant en pratique la méthode de Mauss et en cherchant d’abord la réponse à des questions concrètes : qui, quand, où, combien, comment, le tout conduisant à la construction du fait social total.

    1940 : engagement dans la Résistance

    Le retour de Tillion en France coïncide avec la débâcle, les armées allemandes déferlent sur le pays. Dès le mois de juin 1940, la jeune ethnologue cherche à participer à un mouvement de résistance. Elle monte un groupe qui entre en rapport avec le réseau dit du Musée de l’homme. Ce groupe aux dimensions fluctuantes se livre à des activités multiples : collecter des informations à envoyer à Londres, accueillir des soldats évadés ou organiser des évasions, fabriquer de faux papiers, diffuser des appels au combat, liquider des agents de la Gestapo. Plusieurs membres du réseau sont trahis et arrêtés, elle intervient pour essayer de leur sauver la vie, sans succès. En août 1942, à la suite à d’une trahison, elle-même sera arrêtée. Elle passe une année dans les prisons françaises, où elle a la possibilité de terminer sa thèse.

    1943 : déportation à Ravensbrück

    En octobre 1943, elle est déportée dans le camp de Ravensbrück, sa mère, arrêtée en tant que complice, l’y suivra quelques mois plus tard. Le manuscrit de sa thèse disparaîtra au cours de ce déplacement. Dans le camp, elle se comporte encore – dans une certaine mesure – en ethnologue : elle réunit des informations, les analyse et communique les résultats de sa recherche à ses camarades de détention, ce qui les aide à mieux supporter l’épreuve. « Comprendre ce qui vous écrase est en quelque sorte le dominer », écrira-t-elle plus tard. Au cours des mêmes mois, elle rédige aussi une « opérette-revue », Le Verfügbar aux enfers, parodie d’Orphée aux enfers, qui décrit sur un mode ironique la condition des détenues : celles-ci auront ainsi l’occasion de rire de leurs propres infortunes. Tillion subit un coup dur en mars 1945 : sa mère est raflée et envoyée à la chambre de gaz en tant que personne inutile parce que trop âgée.

    1945 : réintégration de son poste au CNRS

    En avril 1945, les détenues sont libérées du camp et envoyées en convalescence en Suède. Tillion revient en France en juillet de la même année et retrouve son poste au CNRS. Mais sa thèse est perdue, les Chaouias sont loin, et elle choisit de passer dans la section d’histoire moderne, où elle se consacre à l’étude de la résistance et  de la déportation. Elle a cependant l’occasion de revenir à son travail ethnologique en 1947, car l’Institute de Londres lui demande un rapport sur son travail d’avant-guerre. En le rédigeant, elle se rend compte que, après Ravensbrück, elle n’interprète plus la société chaouia de la même manière, alors même qu’elle n’a collecté aucune nouvelle information. Ce fait l’incite à interpréter la connaissance en sciences humaines comme une interaction entre les faits objectifs et la subjectivité du savant, irréductible. Mais ses principaux travaux du moment portent sur l’histoire immédiate : elle rédige un premier texte sur Ravensbrück, une étude aussi sur les débuts de la Résistance en France. En même temps, elle participe à la Commission créée par l’ancien déporté David Rousset, qui lutte contre les camps de concentration toujours en activité, notamment dans les pays communistes en Europe et en Asie.

    1954 : en mission d’information en Algérie

    En 1954, au début de l’insurrection algérienne, Tillion est sollicitée par Massignon pour se rendre en Algérie en mission d’information. À la suite d’un séjour de deux mois, elle élabore le projet des Centres sociaux, lieux d’éducation destinés aux enfants et aux adultes, aux hommes et aux femmes, qui leur permettent d’acquérir une formation de base et leur offrent en même temps une aide médicale et administrative. De retour en France, elle expose à ses camarades de déportation  la situation en Algérie ; le texte de son rapport sera publié originellement sous le titre L’Algérie en 1956. Au début de l’année suivante la répression de l’insurrection par l’armée française s’intensifie, l’usage de la torture se généralise. Tillion renonce à la poursuite de tout projet politique et se consacre essentiellement à la protection d’individus dont la vie est menacée. Elle rencontre des responsables des insurgés, essaie de faire cesser les attentats aveugles, d’un côté, la torture et les exécutions, de l’autre. Dans ses démarches, elle échoue souvent, mais d’autres fois réussit, et grâce à elle des centaines de personnes échappent à la mort, à la torture, à la prison.

    1958 : inauguration de sa chaire de « Sociologie algérienne »

    En 1958, Tillion est élue directrice d’études à la VIe section de l’École pratique des hautes études (plus tard EHESS). Sa chaire s’intitule « Sociologie algérienne » : le centre de gravitation de ses travaux s’est déplacé de nouveau, cette fois-ci de l’histoire moderne vers l’ethnologie. Elle dirige dans ce cadre des dizaines de travaux d’étudiants, accomplit de nombreuses missions scientifiques dans le Maghreb, en Afrique noire et au Moyen-Orient. En 1960, elle publie son livre sur la guerre d’Algérie, Les Ennemis complémentaires. Elle travaille ensuite à la rédaction d’un ouvrage sur « l’apprentissage des sciences humaines », qu’elle abandonnera plus tard. En 1966, elle publie un essai d’anthropologie générale intitulé Le Harem et les cousins, sur la condition féminine dans l’aire méditerranéenne. Elle part à la retraite en 1977, mais continue d’enseigner jusqu’en 1980.
     

    2005 : réédition des « Ennemis complémentaires », son livre sur la guerre d’Algérie

    Pendant les dernières décennies de sa vie, Tillion publiera plusieurs ouvrages de fond. En 1973 paraît le volume intitulé Ravensbrück, étude approfondie de ce camp. Il illustre en même temps la méthode de Tillion qui refuse de séparer l’histoire objective et le vécu subjectif (ce livre connaîtra une ultime révision en 1988). En 1999, elle publie une version enrichie et complétée de son premier livre sur l’Algérie, sous le titre L’Afrique bascule vers l’avenir. En 2000 paraît Il était une fois l’ethnographie, écrit à partir des notes préparatoires qu’elle avait accumulées en vue de sa thèse sur les Chaouias. Deux autres titres sont publiés en 2001 : À la recherche du vrai et du juste, reprise de ses publications disparates entre 1940 et 2000, et L’Algérie aurésienne, en collaboration avec Nancy Wood, à partir des photographies qu’elle avait prises au cours de ses enquêtes sur le terrain, dans les années 1930. En 2005 voit le jour une nouvelle édition entièrement recomposée et enrichie des Ennemis complémentaires et, pour la première fois, le texte de son « opérette » de Ravensbrück, Le Verfügbar aux enfers. Germaine Tillion est décédée à son domicile le 19 avril 2008.

    15.07.2014, par
    Tzvetan Todorov

    Mis à jour le 22.05.2015
     
  • "Les juifs algériens dans la lutte anticoloniale. Trajectoires dissidentes (1934-1965)" (Ujfp)

    Juifs-algeriens-650x1024.jpg

     de Pierre-Jean Le Foll-Luciani.

    Présentation : « Pour nous qui venions à peine d’avoir l’âge de raison en ces jours d’humiliation, ces années de jeunesse ont à jamais marqué notre vie et c’est pourquoi nous sommes fiers de l’injure qu’on nous lançait comme un opprobre : Oui, nous sommes des juifs indigènes algériens… Et après ? Vous n’aurez pas notre cœur contre un certificat de nationalité dont vous vous servez comme d’un couperet de guillotine. »

    Diffusées clandestinement durant la guerre d’indépendance, ces lignes ont été écrites en 1957 par des juifs algériens qui, nés citoyens français vers 1930, déchus de la citoyenneté française durant trois années et exclus de l’école sous Vichy, sont devenus des militants communistes algériens après la Seconde Guerre mondiale avant de rejoindre le FLN en 1956.

    De l’entre-deux-guerres à l’indépendance de l’Algérie, une petite minorité de juifs issus de familles autochtones ont suivi des trajectoires comparables, les déplaçant en quelques années des projets sociaux ordinaires de leurs parents – faire de leurs enfants de bons Français plus ou moins juifs – vers le projet politique inouï de s’affirmer Algériens.

    Bouleversant l’ordre du monde colonial par leurs prises de position politiques, par leurs sociabilités transgressives et jusque dans leur intimité affective, ces hommes et ces femmes ont engagé leur vie pour une Algérie décolonisée et socialiste dont ils seraient citoyens, participant pleinement – mais non sans difficultés dans leur confrontation avec le nationalisme algérien dominant – au mouvement national, aux épreuves de la clandestinité et de la répression durant la guerre d’indépendance, et aux premières années de construction de l’Algérie indépendante.

    Basé sur des entretiens biographiques menés avec 40 anciens militants, sur des sources privées et sur des fonds d’archives souvent inexplorés, cet ouvrage met en lumière les ressorts de ces trajectoires dissidentes en les articulant à une réflexion générale sur le rapport des juifs algériens à la question coloniale. Au prisme de cette entrée minoritaire, il s’agit aussi de construire une histoire par le bas des juifs d’Algérie, du communisme algérien et, plus généralement, de la société algérienne colonisée et nouvellement indépendante.

    Ouvrage de 541 pages comprenant un cahier de 72 photographies.

    À lire en ligne : l’introduction de l’ouvrage et la table des matières.

    Le blog de l’auteur

    Rendez-vous

    À Lyon, présentation du livre :"Les juifs algériens dans la lutte (...) 
    Le mercredi 10 juin 2015 à 19h30
    Maison des passages

    44 rue Saint Georges
    LYON

    dimanche 24 mai 2015

     

    Ouvrage paru aux Presses universitaires de Rennes en mai 2015.

    http://www.ujfp.org/spip.php?article4179