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Histoire - Page 20

  • Hommage Faten Hamama, une grande actrice et une femme rebelle (Courrier Inter)

    Faten Hamama, en janvier 2001 -AFP/Ramzi Haidar

     

    L'actrice égyptienne Faten Hamama, icône du cinéma arabe et ex-épouse du célèbre comédien Omar Sharif, est décédée le 17 janvier et a été inhumée le 18 janvier au Caire. Le site tunisien Leaders revient sur le parcours de cette grande dame de l'écran arabe.

     

    Tout un chacun, dans tous les pays arabes, connaît, ne serait-ce que par ouï-dire, la grande Faten Hamama qui vient de disparaître le 17 janvier à l'âge de 84 ans. Tout le monde connaît "la grande dame de l'écran", tout le monde l'a vue dans au moins un des cent films dans lesquels elle a joué.

    En effet, depuis ses 7 ans, cette séduisante – c'est le sens du mot "faten" en arabe – brune a tourné avec les plus grands réalisateurs : Ezzedin Zoul-Fikar – son premier mari qu'elle a épousé contre la volonté de son père qui s'y opposait en raison de leur écart d'âge –, Henri Barakat, Youssef Chahine... On l'aura compris, Faten Hamama a touché à tous les genres, les mélodrames populaires, les comédies musicales et les films réalistes et engagés. La variété de cette offre lui a gagné une large popularité qui explique la haute fréquence du prénom Faten dans l'onomastique arabe contemporaine.

    Un splendide couple mythique

    La séduisante colombe – traduction littérale du prénom [Faten] et du nom [Hamama] – a eu comme partenaires à l'écran tous les jeunes premiers et tous les grands acteurs égyptiens, mais elle a attiré le plus séduisant et le plus célèbre d'entre eux, un certain Michel Demitri Chalhoub, un Grec catholique melkite d'Alexandrie [d'origine libanaise, ses parents s'étaient installés en Egypte au début du XXe siècle] qui, par amour et pour pouvoir l'épouser, s'est converti à l'islam et pour harmoniser son nom au sien est devenu Omar Sharif. Ainsi, après la transgression du tabou paternel en s'opposant à la volonté de son père, elle en a accompli une deuxième en divorçant de son réalisateur de mari et en épousant un non-musulman.

     

    Après la naissance de leur fils Tareq, Faten Hamama et Omar Sharif constitueront jusqu'aux années 1970 un couple mythique. Mais aussi mythique fût-il, ce couple sera défait par la volonté de la rebelle Faten. En effet, lorsque son époux a cédé aux sirènes d'Hollywood, où il deviendra une star internationale en jouant notamment dans Docteur Jivago et Lawrence d'Arabie, elle a refusé de le suivre et a continué son combat social et féministe en Egypte.

    Et, pour se libérer et libérer Omar, elle a décidé de divorcer. Sans doute inspirée par son vécu, elle est parvenue à tourner en 1975 dans le film Ouridou Hallan [Je veux une solution], où elle interprète le combat d'une femme égyptienne pour obtenir un divorce. Ce film a suscité des débats houleux et des polémiques passionnées et a permis en fin de compte une révision de la législation égyptienne en faveur des femmes désirant le divorce.

    Engagement féministe

    C'est sans doute en raison de sa popularité, de ses combats pour la liberté – elle a manifesté un soutien sans faille à la guerre d'indépendance des Algériens – et surtout de son engagement féministe qu'elle a été nommée docteur honoris causa de l'Université américaine de Beyrouth (AUB) en même temps que trois autres lauréats dont Noam Chomsky, l'esprit américain le plus libre et le plus rebelle.

    Quant à l'ultime rébellion, l'ultime transgression, elle ne sera pas accomplie par Faten, mais par son petit-fils, Omar Sharif Jr, le fils de Tareq. Titulaire d'une maîtrise en sciences politiques de la London School of Economics, le petit-fils de l'interprète de Lawrence d'Arabie et du Docteur Jivago est top-modèle et il parle l'anglais, l'espagnol, le français, l'hébreu et le yiddish. En mars 2012, le jeune homme, qui a fui son pays après l'arrivée au pouvoir des Frères musulmans, a fait son coming out dans un article du magazine The Advocate : "Je suis égyptien, je suis juif et je suis gay", lâchait-il. Son grand-père, Omar Sharif, a alors pris la parole pour soutenir de tout son cœur son petit-fils : "Personne n'a le droit de contrôler ses actions ou de limiter sa liberté", a-t-il affirmé.

    Et ainsi la boucle de la tolérance, de la rébellion et de la liberté se trouve-t-elle bouclée.

    Slaheddine Dchich 19 janvier 2015

    http://www.courrierinternational.com/article/2015/01/19/faten-hamama-une-grande-actrice-et-une-femme-rebelle

     

  • Un homme, une double Révolution et des zones d’ombre (El Watan, Alger)

     

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	Samy Allam (au centre) dans le rôle de Krim Belkacem

    Samy Allam (au centre) dans le rôle de Krim Belkacem

    Le film d’Ahmed Rachedi sur Krim Belkacem aborde avec prudence l’assassinat de Abane Ramdane en 1957.

    Mission accomplie.» Krim Belkacem, le négociateur en chef des Accords d’Evian, aurait eu ces mots à la conclusion de l’accord avec Louis Joxe, en mars 1962. Le film d’Ahmed Rachedi consacré à ce grand homme de la Guerre de Libération nationale, présenté jeudi en avant-première à la salle El Mouggar d’Alger, n’est pas allé au-delà de l’indépendance de l’Algérie, n’a pas suivi l’itinéraire de celui qui allait s’opposer au régime militaire de Boumediène.

    Une opposition qui le conduira à la condamnation à mort en 1967, puis à l’assassinat en 1972. «Il faudrait faire un autre film, avoir tous les éléments constitutifs d’un scénario sur Krim Belkacem après 1962», a expliqué Ahmed Rachedi lors de la conférence de presse qui a suivi la projection.

    «Nous avions peur de soulever encore une fois les polémiques», a confié, pour sa part, le commandant Azzeddine qui a co-écrit le scénario avec Boukhalfa Amazit. L’histoire contemporaine de l’Algérie a retenu, même si cela n’est pas encore visible, que Houari Boumediène, qui gérait le pays sous un pseudonyme, avait éliminé, neutralisé, éloigné et marginalisé toutes les grandes personnalités de la guerre de libération : Ahmed Ben Bella, Hocine Aït Ahmed, Mohamed Boudiaf, Benyoucef Ben Khedda, Ferhat Abbas, Krim Belkacem, Saâd Dahlab, Kaïd Ahmed...

    Un hasard ? Krim Belkacem (Samy Allam), nommé vice-président au gouvernement provisoire (GPRA) en 1958 derrière Ferhat Abbas, s’étonnait, dans le film d’Ahmed Rachedi, de la volonté de Abdelhafid Boussouf (Kamel Rouini) de «nommer» Houari Boumediène à la tête de l’état-major de l’armée. Le cinéaste et les deux scénaristes ne sont pas allés loin. Le commandant Azzedine, qui était au cœur de l’action durant la guerre, a confier, lors de la conférence de presse, que Abdelhafid Boussouf et Lakhdar Bentobbal (Younès M’rabet) refusaient que Krim Belkacem prenne le ministère de la Défense et l’armée.

    «Ils ne voulaient pas que l’armée leur échappe», a-t-il dit. Le rapport ambigu entre Krim Belkacem et Abane Ramdane (Mustapha Laribi) est montré dans le film mais pas assez pour savoir ce qui se passait réellement. Jalousie ? Guerre de leadership ? On comprend bien que Abane Ramdane se battait pour la primauté du politique sur le militaire et l’intérieur sur l’extérieur, mais la position de Krim Belkacem était restée assez floue.

    Se comportait-il comme un chef de guerre ? Il est vrai qu’Ahmed Rachedi a osé évoquer l’assassinat de Abane Ramdane au Maroc, en 1957, à travers le personnage de Frantz Fanon qui en faisait le reproche à Krim Belkacem. «Il était notre ami», lui dit-il. Frantz Fanon montrait la une honteuse d’El Moudjahid du 28 mai 1958 : «Abane Ramdane est mort au champ d’honneur».

    C’est le mensonge le plus célèbre de la Guerre de Libération nationale ! «Il est vaste le champ d’honneur !», a répliqué Frantz Fanon. «Il n’existe aucun document qui confirme que tel ou tel était présent lors de l’assassinat de Abane Ramdane. On ne sait pas quand cela a eu lieu et où», a soutenu Ahmed Rachedi, qui a tenté de mener sa petite enquête à Tétouan, au nord du Maroc.

    Abdelhafid Boussouf, Lakhdar Bentobbal, Mahmoud Cherif et Krim Belkacem avaient fait le déplacement au Maroc avec Abane Ramdane à la fin de l’automne 1957. Arrivés à l’aéroport, les hommes se sont séparés. Ce voyage et les questionnements qui l’entourent ne figurent pas dans le film d’Ahmed Rachedi. «Abane Ramdane n’était pas opposé à un ou deux chefs, il avait un projet de société différent des autres.

    Le premier à avoir condamné le Congrès de la Soummam était Ben Bella, parce qu’il avait son propre projet», a souligné Boukhalfa Amazit, évoquant le souci de redonner à la Révolution algérienne une dimension humaine. Le commandant Azzedine a rappelé que Krim Belkacem était présent à tous les rendez-vous de la lutte d’indépendance. «J’ai connu tous ces hommes. Ils se sont sacrifiés pour le pays. Lorsqu’ils arrivaient à des postes, à un moment donné, chacun voulait devenir chef de la Révolution. C’est humain. Un homme politique doit avoir une ambition nationale.

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    Les trois B étaient les piliers de la Guerre de Libération nationale. A chaque fois que la Révolution allait exploser, la cohésion revenait», a-t-il noté, rappelant la fameuse réunion des dix colonels pendant cent jours à Tunis pour «sauver» la Révolution (les maquis étouffaient en raison du manque d’armement et de ravitaillement). «Il y a parfois des personnalités qui cachent l’histoire du pays. Krim Belkacem était de ceux là. Il fallait donc faire le choix, parler de ce personnage passionnant mais également de l’histoire de l’Algérie. C’est une fiction.

    Il y a la vie et l’œuvre de Krim Belkacem, mais il y a aussi l’apport de ceux qui ont écrit le film et surtout celui qui l’a réalisé», a précisé Boukhalfa Amazit. «Krim Belkacem a commencé la Révolution sept avant le déclenchement de celle de 1954. Il avait précédé tout le monde. Après 1954, il a accompagné toutes les périodes de la Guerre de Libération nationale. Les impératifs cinématographiques imposent de se limiter à certaines choses. Nous avons axé sur les aspects politiques parce qu’ils sont importants», a estimé Ahmed Rachedi. Selon lui, le cinéma pose des questions, mais ne peut pas apporter de réponses.

    «Nous nous attendons à un grand débat sur ce film. Krim Belkacem est lui-même une double Révolution. Il a été de toutes les étapes de la guerre de libération jusqu’à la signature des Accords d’Evian. Il y a des questions qui suscitent encore la polémique. C’est tout à fait normal. Après tout, c’était une action menée par des hommes», a souligné Djamel Yahiaoui, directeur du Centre national d’études et de recherches sur le mouvement national et la Révolution du 1er Novembre 1954, qui a produit le film (la production exécutive a été assurée par Arfilm Télécinex).

    Ahmed Rachedi, qui a relevé qu’il était tenu par le respect du scénario, a survolé «la crise berbère» et n’a pas beaucoup insisté sur les fissures au sein du PPA-MTLD. Messali Hadj, qui avait rencontré Krim Belkacem, n’a été montré qu’une seule fois dans un long métrage de 153 minutes.

    L’action militante de Benyoucef Ben Khedda, de Ferhat Abbas et de Tayeb Boulahrouf a été mise de côté dans le film. Il y a donc des blancs. Mais également des zones d’ombre, peu éclaircies donc. Le cinéaste a choisi la langue médiane pour élaborer ses dialogues, chargés parfois d’un surdosage idéologique. Les scènes de bataille, qui sont difficiles à tourner du propre aveu du réalisateur, ne sont pas toutes réussies. Le recours aux effets spéciaux n’a parfois pas servi la construction de l’image.

    Le cinéaste aurait pu mieux utiliser les moyens aériens, convoqués pour la reproduction des scènes de bombardements notamment lors du Congrès de la Soummam, en 1956. L’exploitation des archives a été minimaliste. Pour les Accords d’Evian, Ahmed Rachedi n’a utilisé que la célèbre image de Krim Belkacem avec les autres négociateurs algériens entrant dans le bâtiment abritant les discussions. Un effort a été toutefois fourni pour représenter la salle où étaient réunis les négociateurs d’Evian, un lieu désormais historique.

    Le casting est à moitié réussi. Samy Allam a fait tout ce qu’il pouvait pour camper le personnage complexe de Krim Belkacem. Il en est de même pour Mustapha Laribi qui n’a pas totalement réussi à jouer le rôle de Abane Ramdane, contrairement à Ahmed Rezzak qui a su rendre à l’écran la détermination patriotique de Amar Ouamrane. Ferhat Abbas a été maigrement représenté par Djamel Hamouda, alors que Djamel Dekkar a sombré dans les gestes inutiles dans l’interprétation du rôle de Saâd Dahlab aux négociations d’Evian.

    Même s’il s’agit d’une fiction, ce n’est pas du tout une raison pour en rajouter des couches qui cachent la peinture fraîche ! Le jeune Younes M’rabet est resté effacé dans l’incarnation du personnage, pourtant important, de Lakhdar Bentobbal. Farid Aouamer, qui a composé la musique originale, a su créer une certaine ambiance historique alors que Hamid Aktouf, directeur de la photographie, a été quelque peu avare en images montrant les décors naturels de Kabylie et de l’Est algérien.

    Djamel Yahiaoui a précisé que le ministère des Moudjahidine a décidé de réaliser une série de films sur les personnalités qui ont marqué la Guerre de Libération nationale. Après Mustapha Ben Boulaïd et Krim Belkacem, un film sera bientôt consacré à la vie du colonel Lotfi. Le lancement du tournage d’un long métrage sur Ben M’hidi est également prévu, il sera suivi par d’autres sur Si El Haouès, Zighout Youcef et M’hamed Bouguerra. 

     

    Fayçal Métaoui

    http://www.elwatan.com/actualite/un-homme-une-double-revolution-et-des-zones-d-ombre-17-01-2015-285186_109.php

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    Histoire : le PCF et la question algérienne, une aura anticolonialiste usurpé

    KRIVINE Alain - 1er novembre 2014

     

  • Nouveautés sur "Lutte Ouvrière"

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    Il y a 60 ans, 1er novembre 1954 : le début de la guerre d'Algérie

  • Immigration, école et rapports de domination (A l'Encontre)

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    Un ouvrage posthume d’Abdelmalek Sayad [1], réalisé à partir de ses archives personnelles, rassemble un ensemble de textes inédits consacrés aux relations entre l’école et les enfants de l’immigration. Il y livre sa vision de l’école et des rapports de domination à l’égard de ce public scolaire.

    Abdelmalek Sayad, né en Algérie en 1933 et mort en France en 1998, est un sociologue spécialiste des questions d’immigration. Avant d’exercer le métier de sociologue, il était instituteur en Algérie. À son arrivée en France il fut l’un des collaborateurs de Pierre Bourdieu. Il a été directeur de recherche au CNRS ainsi qu’à l’école des Hautes Études en Sciences Sociales.

    Abdelmalek Sayad est considéré comme l’un des spécialistes les plus reconnus des questions d’immigration et de l’altérité. Ses travaux de recherche portent principalement sur la problématique de l’émigration, de l’immigration algérienne notamment dans le contexte post-colonial. Ses principaux ouvrages sont, avec Pierre Bourdieu, Le déracinement. La crise de l’agriculture traditionnelle en Algérie, Paris, Les Éditions de Minuit, 1964 ; L’immigration, ou les paradoxes de l’altérité, De Boeck, 1992 ; La double absence. Des illusions de l’émigré aux souffrances de l’immigré, Paris, Seuil, « Liber », 1999.

    C’est un travail considérable qu’ont réalisé Benoit Falaize et Smaïn Laacher de sélection et de mise en forme de cet ensemble de textes inédits d’Abdelmalek Sayad concernant l’école et les enfants de l’immigration.

    Si l’on pouvait déjà percevoir des éléments de la pensée de Sayad sur l’éducation, dans des textes comme Les enfants illégitimes (Actes de la recherche en sciences sociales n° 25, 1979), la question scolaire est ici au centre du propos. À l’heure où les thématiques des ségrégations et des discriminations scolaires sont particulièrement vives, cette contribution est sans nul doute très importante. L’ouvrage est composé de dix textes rédigés entre 1977 et 1997. Dans la préface Benoit Falaize et Smaïn Laacher rappellent leur contexte de production, depuis le moment où l’école française était tenue d’accueillir de nouveaux élèves issus du regroupement familial au début des années 1970 jusqu’à la construction progressive du problème de « l’échec scolaire » durant les décennies suivantes. Les textes d’Abdelmalek Sayad retracent la façon dont l’école a « accueilli » ces élèves de façon très problématique entre vision culturaliste, de retour au pays, et de relégation dans des dispositifs spécifiques (CLIN, Classe d’initiation pour élèves non-francophones, CLAD ; Classe d’adaptation, ELCO, Enseignements langues et cultures d’origine).

    « Cultures d’origine » et mauvaise conscience coloniale et postcoloniale

    C’est la logique de cette « politique éducative » qui est discutée par Sayad à l’occasion de ses différentes interventions auprès de professionnels ou dans le champ politique. Le centre de sa critique concerne le maintien de dispositifs visant la valorisation des « cultures d’origine », notamment les ELCO (Enseignements langues et cultures d’origine). Les ELCO consistent à proposer aux enfants de travailleurs migrants des enseignements visant à conforter la langue (supposée) maternelle, celle du pays d’origine, dans la perspective de maintien d’un lien symbolique avec la « culture d’origine » et d’anticipation d’éventuels retours au pays. Les ELCO sont dispensés par des intervenants ressortissants des pays étrangers dans le cadre d’accords diplomatiques [2]. Réalisés durant le temps de classe, ils consistent à en extraire les enfants concernés pour les diriger vers ces dispositifs. Pour Sayad, cette politique différentialiste n’est que la face immergée d’un rapport d’altérité qui traverse l’école tout entière comme en témoigne le vocabulaire officiel : « enfants étrangers » : « enfants de migrants », « pédagogie interculturelle », « respect des différences », etc. Autant de témoignages de cet « engouement culturaliste » qui a envahi l’école et dont on comprend les risques de dérives essentialisantes et folklorisantes.

    Cet « engouement culturaliste », qui trouve sa source dans une vision pseudo-généreuse du respect de la « diversité culturelle », est empreint de rapports post-coloniaux et contribue à la reproduction des rapports de domination en maintenant l’élève immigré dans une situation d’infériorité sociale. Le point d’orgue de cette ethnicisation de la question scolaire est la publication en 1985 du rapport de Jacques Berque, L’immigration à l’école de la République, à la demande du Ministre de l’Éducation nationale d’alors, Jean-Pierre Chevènement. Sayad, membre de la commission Berque, en a finalement démissionné en raison de fortes divergences, le rapport Berque symbolisant selon lui la pensée dominante sur l’école et l’immigration, qui considère les enfants de l’immigration dans un statut d’infériorité et d’altérité.

    L’obsession des catégorisations scolaires

    Pour Sayad, la contradiction originelle de l’école française est son obsession des catégorisations qui nient toute complexité. Si les enfants de l’immigration sont renvoyés à une altérité mythifiée, c’est en rapport aux élèves français, dont la définition est tout aussi floue : « un Français moyen, c’est-à-dire abstrait ». Non seulement l’école est incapable de penser en dehors du schème de l’intégration, mais s’obstine à interpréter l’échec scolaire en fonction de catégories naturalisantes en dehors de toute considération sociologique : capitaux économiques, conditions d’habitat, précarité, rapport des familles à la culture scolaire légitime, etc. La question de fond soulevée par Sayad concerne la reconnaissance de la légitimité de présence [3] des enfants de l’immigration dans l’école française. Les enfants d’immigrés payent le prix fort d’une école et d’une société française qui considèrent que le « surgissement » des enfants d’immigrés dans l’espace national constitue « un accident », une « aberration sociologique ».

    L’école française est ainsi prise en défaut « d’impréparation » à l’accueil de ces nouveaux élèves et d’incompréhension de la situation vécue par leurs parents. Si les difficultés au sein de la famille sont réelles, ce n’est pas en raison de la prégnance de modèles culturels du pays d’origine, mais précisément parce que ceux-ci sont profondément déstabilisés par la situation d’immigration. Que fait l’école par exemple de la « supériorité linguistique » des enfants par rapport à leurs parents ? De fait les enfants de l’immigration, de surcroît ceux nés en France, sont plongés dans un bain linguistique francophone et dans des styles de vie qui les éloignent de leur « culture d’origine ». Pourquoi l’école feint-elle de nier cette évidence en les renvoyant systématiquement à « leurs » origines ? Pourquoi l’État français et l’école ne se soucient-ils pas de considérations autres que culturalistes ? Sayad évoque notamment l’insécurité économique, la « dépendance totale », le sentiment de honte, et la peur qui constituent la condition d’immigré et qui pèsent sur la scolarité des enfants.

    La relégation dans des classes « infamantes »

    Ce sentiment d’infériorité et d’illégitimité est renforcé par la relégation des enfants dans des classes « infamantes ». Quant aux enseignements de « langues et cultures d’origine », ils symbolisent la hiérarchie des langues dans l’école française. L’enseignement de certaines langues à l’école ne renvoie en effet à aucune présence de ressortissants des pays concernés : anglais, allemand, russe, chinois, etc. D’autres au contraire sont liés à la présence d’immigrés et à leur intention exclusive. Le principe même de considérer ces langues comme des « langues d’immigrés » témoigne de leur statut de langues dominées. La participation d’Abdelmalek Sayad à la commission Berque est peu connue, cette expérience s’est pourtant avérée importante. Du point de vue privilégié qui fut le sien au sein de la commission, Sayad n’a pas hésité à prendre des contre-pieds. Il constate en effet que la commission considère l’immigration comme une extériorité. Le vocabulaire de la commission consacre les oppositions entre le « eux » (les immigrés) et le « nous » (la Nation). Sayad s’inquiète des propos de façade qui proposent la suppression des enseignements spécialisés pour les élèves issus de l’immigration. Il craint que cette proposition « généreuse » ne dissimule la possibilité de reconstitution d’autres formes d’« enseignement-ghetto ». Il s’inquiète notamment de l’existence de ségrégations spatiales particulièrement préoccupantes : « cités pour immigrés », « écoles pour immigrés ». Pour Sayad, « La hiérarchie des espaces commande la hiérarchie des écoles, la hiérarchie des personnels et la hiérarchie des enseignements ».

    Quelle école construire ?

    Sayad ne se limite pas à une analyse critique des contradictions de la politique scolaire à l’endroit des enfants de l’immigration, il formule un ensemble de propositions résumées par la formule suivante : « Plutôt que de confirmer les contradictions propres à la condition d’immigré, plutôt que de les redoubler ou de les renforcer en leur apportant la consécration culturelle qui est en son pouvoir, l’école se doit de dissiper pour elle-même et pour ses élèves l’illusion ou les illusions qui habitent l’immigration ». Pour Sayad l’école doit dépasser plusieurs contradictions lourdes à commencer par le rapport au temps. L’action scolaire de fait s’inscrit dans le temps long. Or les ELCO, avec leurs impensés de retour au pays, entretiennent les élèves dans une situation provisoire et précaire. L’école doit admettre et reconnaître que le retour au pays est une chimère, qu’il ne sera plus pour la grande majorité des élèves. L’école doit donc les traiter comme les autres dans un souci d’égalité. L’école doit également lutter contre le sentiment de méfiance et de défiance qu’elle suscite auprès des parents en leur accordant le temps nécessaire au dialogue.

    En lieu et place d’un enseignement de « langues et cultures d’origine » Sayad proposait un enseignement prenant en charge l’histoire de la composition historique de la population française par l’apport des différentes migrations et adressé à tous les élèves. À ce titre, Abdelmalek Sayad considérait que les enseignants devraient bénéficier non seulement d’une formation scolaire et pédagogique mais également politique. Par le biais de programmes scolaires universels adressés à tous les élèves sans aucune distinction, l’école devrait contribuer à enraciner les élèves, à leur donner une légitimité. La proposition centrale de Sayad consistait à abolir la confusion scandaleuse entre enseignement pour enfants d’immigrés et enseignement spécial, par crainte que les classes spéciales constituent le refuge de toutes les déficiences et de toutes les inadaptations scolaires (ce qui est aujourd’hui partiellement le cas).

    École et situation postcoloniale : une perspective à poursuivre

    Nous manquons aujourd’hui singulièrement d’ouvrages et de recherches concernant les relations entre l’école et la situation postcoloniale en France [4]. L’ouvrage posthume d’Abdelmalek Sayad couvre partiellement ce manque. Certes la problématique des enfants étrangers, immigrés, n’est pas totalement absente des travaux de recherche. Peu en revanche, comme ceux de Sayad, se sont à ce point attachés à analyser les catégories de pensée, à déconstruire les fausses évidences et à lutter contre certains points de vue réducteurs et stigmatisants. Sa perspective qui pourrait troubler plus d’un politique ne s’oriente pas vers la reconnaissance d’un quelconque particularisme culturel mais prioritairement vers la lutte contre toute forme d’enfermement et d’assignation identitaire.

    Certes les analyses de Sayad soulèvent des questions.

    Comment ne pas voir que son propos se situe sur une ligne de crête entre «l’indifférence aux différences», dénoncée par Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, et la prise en compte différentialiste d’une «culture d’origine» ? En réfutant toute forme d’essentialisation Sayad ne prône pas pour autant une approche totalement indifférenciée et assimilationniste de l’ordre scolaire. Ce qu’il appelle de ses vœux c’est une reconnaissance de la légitimité des enfants de l’immigration et l’obligation de leur octroyer le droit à disposer eux-mêmes de leur avenir dans une visée émancipatrice, grâce aux outils fournis par l’école. Si l’école ne doit pas être indifférente aux différences, c’est bien à propos des conditions de vie objectives, des désavantages économiques sociaux et spatiaux qui pèsent sur leur rapport à l’école.

    Pour le reste l’école doit admettre que les enfants dont elle a la charge, sont devenus « illégitimes » aux yeux de leurs parents, en raison de leur acculturation, parce qu’ils sont « les enfants de la France », comme le soulignait déjà Sayad dans Les enfants illégitimes. Ce constat, d’autant plus juste aujourd’hui avec de nouvelles générations « d’enfants de l’immigration » nés en France, ne devrait-il pas convaincre les institutions à renoncer définitivement au vocable récurrent et pesant de la « diversité » : « politique de diversité », « candidats de la diversité », « chartes de la diversité » ?

    Article publié dans La Vie des idées, 27 octobre 2014. ISSN : 2105-3030.

    Publié par Alencontre le 28 - octobre - 2014
    Par Choukri Ben Ayed

    [1] Abdelmalek Sayad, L’école et les enfants de l’immigration. Essais critiques, Le Seuil, 2014 (textes rassemblés par Benoît Falaize et Smaïn Laacher). 249 p.

    [2] Ces enseignements perdurent encore aujourd’hui.

    [3] Cette expression est issue des travaux d’Abdeljalil Akkari, Akkari A., (2001), « Les jeunes d’origine maghrébine en France. Les limites de l’intégration par l’école », Esprit critique, vol. 03/8.

    [4] On se référera notamment à la note de synthèse de Jean Paul Payet et Agnès van Zanten publiée dans le n°117 de la Revue française de pédagogie de 1996 : L’école, les enfants de l’immigration et des minorités ethniques. Dans cette note les deux auteurs constatent la quasi-inexistence de travaux consacrés aux relations entre école et minorités ethniques.

    http://alencontre.org/europe/france/immigration-ecole-et-rapports-de-domination.html

  • Livres

    http://revolutionsarabes.hautetfort.com/media/01/01/2135359966.jpeg

    Rencontre-débat avec Bernard Zimmermann autour de l'ouvrage “Les résistances pieds-noires à l'OAS”

    Mercredi 12 Novembre 2014, 19:00 Rencontre-débat avec Bernard Zimmermann autour de l'ouvrage 'Les résistances pieds-noires à l'OAS' Le 12 novembre 2014 au 11ème Art à Paris

    L’histoire des Européens d’Algérie –les Pieds-noirs- est encore l’objet de tabous ; la question des résistances pieds-noires à l’OAS en est un. S’appuyant sur des travaux dispersés de diverses disciplines et des témoignages de Pieds-noirs, Bernard Zimmermann fait le constat qu’il y a bien eu des résistances pieds-noires à l’OAS, résistances multiformes, manifestées dans tous les milieux de la société européenne de la colonie, dont la dénomination de « libéraux » ne rend pas compte avec exactitude. Ce constat va à l’encontre d’idées reçues persistantes sur les Pieds-noirs.

    Bernard Zimmermann est né à Oran dans une famille installée en Algérie depuis quatre générations. Il y a été instituteur dans un village jusqu’en 1966. En France, après des études de géographie, il a enseigné avant d’animer une association interculturelle en banlieue parisienne.

    Le mercredi 12 novembre à 19h au 11ème Art, 9 rue Camille Desmoulins, Paris, 75011. Métro Voltaire à 2 minutes. Consommation obligatoire. Possibilité de diner sur place avec formule spéciale pour les participants.

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    Paris - La Brèche - “L'Algérie au cœur”

    Mercredi 12 Novembre 2014, 18:00
     

    Présentation et débat sur la parution du livre de Clara et Henri Benoits"L'Algérie au coeur" :

    Révolutionnaires et anticolonialistes à Renault-Billancourt. Introduction de Jean Claude Vessilier et préface de Mohamed Harbi. En présence notamment des auteurs.

    http://npa2009.org/evenement/paris-la-breche-lalgerie-au-coeur

  • Faire du chiffre (Npa)

    http://npa2009.org/sites/default/files/styles/annonce2/public/dr_2.jpg?itok=cskv-RQS

    Comme chaque année, plusieurs centaines de militantEs se sont rassemblés sur le pont du Carrousel, sur celui de Bezons, pour commémorer le massacre de centaines d’AlgérienEs lors des manifestations organisées le 17 Octobre 1961 pour protester contre le couvre-feu imposé aux AlgérienEs par le sinistre Papon. Outre la monstruosité des actes commis ces jours-là (en fait la « la bataille de Paris » a commencée bien avant le 17 octobre et s’est poursuivie bien au-delà), ce qui frappe, c’est l’impossibilité, plus de cinquante plus tard, d'évaluer l’ampleur réelle du massacre.

    On connaît à l’unité près le nombre d’« AméricainEs » tués lors des attentats du 11 septembre 2001 : 2 977 selon la dernière mise à jour. Le nombre exact de morts européens dans le Constantinois le 8 mai 1945 est de 102, et il est établi qu’il a y eu 9 morts français à Charonne le 8 février 1962. Pour l’insurrection de mars 1947, il y eut à Madagascar 550 morts européens.

    Mais en regard de ces chiffres, pour les « étrangers », on est toujours dans l’innombrable. Pour Madagascar, les chiffres varient de 11 000 à 100 000 ! Dans le Constantinois, les premiers chiffres officiels parlaient de 900, les historiens donnent 8 à 10 000 et le gouvernement algérien 45 000. Dans le cas du bombardement du port d’Haïphong le 23 novembre 1946, on devra se contenter d’une évaluation de 6 000 morts... Pour le 17 Octobre 1961, après l’annonce initiale de 2 morts par Papon, on en est encore à de vagues estimations de plusieurs centaines de morts « nord-africains ».


    Quelques exemples, parmi d’autres, qui mettent en évidence que la guerre des chiffres est, elle aussi, une lutte bien inégale.

  • 29 0ctobre 2014: 49ème anniversaire de l’enlèvement de Mehdi Ben Barka (Ujfp)

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    Le mercredi 29 octobre 2014 18h00
    Boulevard St-Germain, devant la Brasserie Lipp

    Paris Métro St-Germain-des-Prés ou Mabillon

    http://www.ujfp.org/spip.php?article3558

  • l’algérie au coeur (4è Internationale)

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    Nos camarades Clara et Henri Benoits (militants de la IVe Internationale depuis 1944), militants du NPA, vont animer le
    mercredi 15 octobre à 19h,
    au Café-Bar Lieu-Dit (6 rue sorbier, 75020 Paris

    une discussion sur leur livre:

    L’ALGÉRIE AU COEUR – RÉVOLUTIONNAIRES ET ANTICOLONIALISTES À RENAULT BILLANCOURT CLARA ET HENRI BENOITS
    (AVEC JEAN CLAUDE VESSILLIER)
    (PRÉFACE DE MOHAMMED HARBI )
    224 pages / cahier photos / 14 € / Editions Syllepse, Paris 2014, Collection « Des paroles actes »


    Quelques mots de présentation de cet ouvrage :

    Clara et Henri Benoits : elle, fille d’immigrés hongrois, et lui, gamin des fortifs, se sont rencontrés au début des années 1950 dans l’usine Renault de Billancourt. Plongés dans cette Babel ouvrière, ils témoignent de l’irruption des guerres coloniales d’Indochine et d’Algérie et de l’activité de ceux qui y ont organisé le FLN, leurs camarades dans l’usine. L’Algérie a été au coeur de leur engagement militant.

    EN SOUTIEN AU PEUPLE ALGÉRIEN

    Que la Fédération de France du FLN ait choisi parmi les « témoins » de la manifestation du 17 octobre 1961 cinq militants salariés de cette usine, dont Henri et Clara, est la mesure de la portée politique de ce soutien.
    Investis dans le soutien aux Algériens, ils racontent les conséquences du vote des pouvoirs spéciaux en 1956 au gouvernement socialiste de Guy Mollet, entraînant le départ de la quasi-totalité des militants algériens du PCF vers le FLN. Ils décrivent la solidarité concrète manifestée dans les ateliers entre Français et Algériens lors d’incursions policières dans l’usine.

    L’ENGAGEMENT FÉMINISTE CHEZ UN COUPLE DE MILITANTS
    Clara et Henri, chacune et chacun a eu son histoire, ses engagements, ses adhésions politiques ou syndicales, et ce récit est celui de deux parcours distincts. Ce récit n’est pas le discours fusionné d’un couple qui ne saurait dire que « nous », mais celui de deux parcours mêlant singularités assumées et engagements partagés. Clara, rare déléguée aux côtés de ses collègues et camarades hommes, luttait dès les années 1950 contre les discriminations frappant les femmes dans les ateliers et services de Renault. Surnommée «mitraillette» pour sa pugnacité volubile à défendre ses collègues, son engagement féministe se prolonge dans sa participation au groupe femmes Renault.

    QUARANTANTE ANS DE LUTTES CHEZ RENAULT
    Entrés dans l’usine en 1949-1950 et membres actifs de la CGT, Clara et Henri Benoits ont travaillé et lutté pendant près de quarante ans à Renault Billancourt. Clara, militante du PCF jusqu’en 1969 et Henri, se revendiquant toujours du marxisme-révolutionnaire et de la 4e Internationale, aujourd’hui membre du NPA, ont été des militants critiques, mais jamais isolés.

    Dans cette chronique de plus de cinquante années de luttes se succèdent les premières manifestations syndicales de 1945 où tra- vailleurs algériens et vietnamiens défilent ensemble, le vécu quotidien de militants syndicaux au plus près de leurs collègues de travail, l’indé- pendance conquise par l’Algérie en 1962, l’occupation de Billancourt pendant la grève générale de 1968, les luttes des ouvriers immigrés, et l’agonie du site aujourd’hui partagé entre friches industrielles et immeubles de standing.

    Ce que transmettent Henri et Clara dans ce récit, c’est comment enraciner une activité militante dans des relations de fraternité, solidarité et de combat avec celles et ceux, de toute nationalité, que l’on côtoie dans la vie personnelle et sociale.

    SOLIDARITÉ OUVRIÈRE ET INTERNATIONALISME, VOILÀ LEUR FIL CONDUCTEUR

  • Comprendre l’impérialisme comme un système (Syria Freedom)

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    Dans plusieurs débats que j’ai menés récemment dans lesquels je dénonçais toutes les formes d’impérialismes, y compris l’impérialisme russe en Syrie et en Ukraine (sans parler de la répression Russe contre les Tchétchènes, ainsi que le système russe autoritaire, réactionnaire et économiquement néo libéral, avec une concentration des richesses du pays dans une clique d’affaires mafieuses affilié à Poutine), plusieurs personnes se revendiquant de la « gauche » m’ont répondu qu’il n’y avait pas d’impérialisme russe ou bien que ce dernier était une puissance qui s’opposait à l’impérialisme Etats-Unien et devait dès lors être soutenu.

    Ce genre d’analyse s’inscrit dans une compréhension complètement faussée de l’impérialisme qui le réduit à un (Etats-Unis) ou des acteurs (Etats occidentaux généralement).

    Plusieurs raisons peuvent expliquer ce raisonnement, que je n’ai pas le temps de développer en détail mais qui s’inscrit principalement d’abord dans une mauvaise compréhension du système capitaliste, et/ou dans un héritage de la guerre froide, qui voit la Russie et ses alliés (Iran et Syrie notamment) comme des Etats progressistes et anti-impérialistes, contre les Etats-Unis.

    Ce raisonnement mène à des positions hostiles dans le cas de certains soulèvements populaires, comme c’est le cas actuellement avec la Syrie et l’Ukraine ou bien dans le passé avec l’Iran en 2009.

    Pour précision, nous ne nions pas l’actualité de l’impérialisme Etats-Unien et/ou occidental, et sa volonté d’influencer certains processus de révolution ou de soulèvement à travers des acteurs politiques soumis à son influence mais souvent peu représentatifs des mouvements populaires comme en Syrie, Iran et Ukraine.

    L’impérialisme Etats-Unien reste le plus important à travers sa puissance militaire et éco- nomique, dont les conséquences se voient jusqu’à aujourd’hui avec l’utilisation de ses drones mortels au Pakistan, Yemen et autres ou bien dans les négociations en cours sur le traité transatlantique (Tafta), dont l’enjeu est clairement pour les États-Unis de s’appuyer sur le « partenaire » européen pour réaffirmer leur hégémonie face à la montée de la Chine, auquel il faut ajouter le déplacement de 60% de ses capacités militaires américaines vers le Pacifique pour faire face au défi chinois, vu comme la principale menace économique par les Etats Unis.

    L’impérialisme peut aussi s’affirmer à travers des accords économiques, comme lors du projet d’accord de partenariat économique (APE) signé le 10 juillet 2014 au Ghana, entre l’Union européenne et 16 pays de l’Ouest de l’Afrique. Il vise à supprimer 75% des droits de douane sur leurs importations en provenance de l’UE et à restreindre leur autonomie en matière de politique commerciale au-delà des exigences de l’OMC.

    Cela dit, il est nécessaire de comprendre l’impérialisme comme un système global lié au développement et aux transformations du système capitaliste, et non à quelques acteurs limités. L’influence de plus en plus affirmée de la Chine, qui est devenu la plus grande force industrielle et commerciale mondiale, et qui continue à connaître des rythmes de croissance importants malgré la baisse relative ces dernières années et de la Russie, qui a vu la concentration des matières premières et industries dans les mains de l’Etat et/ou affiliés à travers une équipe d’hommes d’affaires proche allié de Poutine dans une relations patron-client ainsi que l’augmentation des prix des matières premières comme le pétrole, doivent être vu dans cette perspective.

    L’impérialisme moderne ou capitaliste, qui remonte au développement de l’esclavage et prend de plus en plus forme par la suite à la fin du 19ème siècle, doit être compris comme l’intersection et la fusion de concurrences et compétitions économiques et géopolitiques. C’est cette relation dialectique entre ces deux logiques qui expliquent les dynamiques impérialistes actuelles. Les relations de pouvoir changent en effet à travers le temps selon le développement capitaliste de chaque pays et de la situation politique et dès lors de même que les alliances.

    De même, il faut comprendre que si le capitalisme tend à s’étendre au monde entier, il ne le fait pas de manière linéaire et harmonieuse, comme l’expliquait le révolutionnaire russe Trostky dans sa théorie de la « loi du développement inégal et combiné ». En effet les Etats ne suivent pas les mêmes formes et phases de développement et cela permet à certains acteurs de rattraper un retard sur d’autres comme ce fut avec l’Allemagne à la fin du 19ème et début du 20ème siècle ou bien ces dernières décennies la Chine qui rivalise avec les Etats-Unis comme puissance économique.

    L’impérialisme, défini par Lénine comme le dernier stade ou stade suprême du capitalisme, s’inscrit aussi dans cette dynamique de développement inégal et combiné.

    Karl Marx affirmait que le capitalisme s’inscrivait dans deux caractéristiques fondamentales :

    1) L’exploitation du salariat par le capital, antagonisme de classe fondamental et

    2) par le fait que la classe capitaliste n’étant pas un bloc unifié, il existe des rivalités entre les capitalistes qui se disputent sur les restes et profits de l’exploitation. En d’autres termes, l’impérialisme est un processus de conflits entre Etats capitalistes puissants sur le contrôle des butins de la planète.

    L’échec américain de l’invasion de l’Iraq, qui n’est plus à prouver et dont le peuple irakien souffre encore aujourd’hui de ses conséquences, et la crise économique et financière mondiale de 2007 et 2008 qui a porté un coup sévère économiquement et de prestige du modèle néo-libéral américain au niveau mondial ont provoqué un affaiblissement relatif de sa puissance globale, ce qui a non seulement laissé plus d’espace pour d’autres forces impérialiste mondiales comme la Chine et la Russie, mais aussi à des puissances régionales, que l’on appelle généralement sous-impérialisme, dans leurs régions respectives.

    Durant ces dernières décennies on a ainsi vu l’émergence de nombreux centres majeurs d’accumulation de capitaux qui sont de nouveaux pays industrialisés et ont une influence politique et des investissements régionaux toujours plus importants. Les classes dirigeantes de ces derniers, souvent nommés « pays émergents », ne sont pas des simples clients de l’impérialisme occidental et s’affirment de plus en plus comme des puissances régionales ayant leurs propres intérêts et ont la capacité de les défendre comme le Brésil en Amérique du Sud ou bien l’Afrique du Sud en Afrique Subsaharienne.

    Cela est aussi particulièrement visible au Moyen-Orient à la suite de l’affaiblissement relatif de la puissance américaine après son échec en Irak, où des Etats régionaux comme l’Iran, l’Egypte, la Turquie, l’Arabie Saoudite et le Qatar, ont joué un rôle grandissant dans la région et interviennent dans les processus révolutionnaires par leurs rivalités en soutenant différents acteurs en contradiction avec les demandes populaires pour la démocratie, la justice sociale et l’égalité.

    Dans une situation similaire, un certain nombre de personnes se revendiquant de la « gauche » ont un problème de dénoncer les ingérences militaires iraniennes (à travers les Pasdaran, les gardiens de la révolution) en Syrie et Iraq ainsi que l’assistance économique et soutien politique apporté au régime syrien ou au Hezbollah comme des formes d’interventions politiques pour maintenir son influence politique dans la région.

    Dans la région, l’Etat d’Israel est également au service de l’impérialisme occidental dans la région entière, à la différence qu’il s’agit dans son cas d’un projet colonial d’expulsion de la population indigène à savoir les palestiniens. Israel joue en effet depuis des décennies le rôle de chien garde des intérêts impérialistes occidentaux dans la région, notamment illustré par les propos du rédacteur en chef du quotidien Hareetz en 1951 « Israël devra être une espèce de chien de garde. Il n’y a pas lieu de craindre qu’il mette en oeuvre une politique agressive contre les états arabes si celle-ci est clairement contraire aux désirs de l’Amérique et de la Grande-Bretagne; par contre, si les puissances occidentales choisissent une fois, pour telle ou telle raison de fermer un oeil, on peut être certain qu’Israël sera capable de punir comme il se doit un ou plusieurs de ses états voisins dont l’impolitesse envers l’Occident dépasserait les limites de ce qui est autorisé. »

    L’affaiblissement relatif des Etats Unis au niveau mondial se voit d’ailleurs dans sa politique étrangère sous le gouvernement Obama par l’adoption d’une stratégie plus « multilatérale », de pousser et faire pression sur d’autres pays pour collaborer sur le plan mondial, et moins solitaire comme à l’époque de Bush. Le dernier exemple est la volonté des Etats-Unis de se doter une couverture internationale et de constituer une large coalition pour lutte contre le « terrorisme » de l’Etat Islamique en Syrie en Iraq.

    C’est qu’il faut également savoir c’est que les différentes puissances impérialistes mondiales et puissances régionales bourgeoises, en dépit de leur rivalité, collaborent lorsque le système global impérialiste est en danger, par exemple elles toutes un intérêt commun à la défaite des révolutions populaires de la région, que ce soit en Syrie et en ailleurs.

    Nous ne devons en effet pas imaginer les rivalités impérialistes à l’échelle mondiale entre les Etats-Unis, la Chine et la Russie comme impossibles à surmonter lorsque leurs intérêts sont en jeu et que les relations d’interdépendances sont en fait très présentes. Tous ces régimes sont des pouvoirs bourgeois qui sont ennemis des révolutions populaires, uniquement intéressés par un contexte politique stable qui leur permette d’accumuler et de développer leur capital politique et économique au mépris des classes populaires.

    En conclusion, le rôle des forces progressistes n’est pas de choisir entre deux forces impérialistes ou sous impérialistes qui s’affrontent pour des gains politiques et/ou exploiter davantage de ressources ou des peuples étrangers, cette compréhension affaiblit la lutte anti-capitaliste en mettant de côté le fait que le combat des forces progressistes doit toujours se situer en faveur des intérêts des classes populaires en lutte pour leur libération et émancipation contre toutes les formes d’impérialismes et qui par leurs luttes remettent en cause ce système impérialiste global. Choisir un impérialisme sur un autre, c’est garantir la stabilité du système capitaliste et d’exploitation des peuples.

    Joseph Daher  Posted on September 17, 2014

    http://syriafreedomforever.wordpress.com/2014/09/17/comprendre-limperialisme-comme-un-systeme/