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IVè Internationale - Page 13

  • Où en est le processus révolutionnaire tunisien ? (Essf)

     

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    Cinq mois après la mise en place du nouveau gouvernement, la Tunisie voit s’aggraver sa crise économique et sociale : la croissance économique est faible, le chômage augmente et le pouvoir d’achat ne cesse de se dégrader.
    Simultanément, la dette explose et le FMI veut imposer que la Tunisie remplisse au 31 décembre tous les engagements liés à celle-ci. Cerise sur le gâteau, les heurts se multiplient entre l’armée et des groupes jihadistes.

    Une avalanche inégalée de luttes sociales

    Après l’effervescence ayant entouré le 14 janvier 2011, les mobilisations sociales se sont stabilisées puis ont reflué. Elles n’ont redémarré vraiment qu’après le départ des islamistes du gouvernement en janvier 2014 : fin octobre 2014 le nombre de jours de grève depuis le début de l’année avait déjà dépassé le total du record enregistré pour toute l’année 2011. Pendant le premier semestre 2015, on a assisté à une véritable explosion de grèves (1).

    Les grèves de ces derniers mois ont principalement été menées par des salariés ayant un emploi stable, essentiellement dans la fonction publique et le secteur public (2). Elles portent avant tout sur le pouvoir d’achat (classifications et primes), mais certaines d’entre elles incluent la volonté de défendre et améliorer le service public face à l’offensive néolibérale (3). Ces grèves, ont été parfois déclenchées de façon subite et sans préavis, comme dans les transports urbains, les chemins de fer ou l’électricité.

    Les mobilisations menées par les précaires et les chômeurs ont surtout pris la forme de sit-in et parfois de grèves de la faim (4). Il en a notamment résulté le blocage total du bassin minier de Gafsa pendant deux mois et la paralysie de toute l’industrie chimique tunisienne liée au phosphate. Dans le sud du pays, des chômeurs bloquent des sites de production de pétrole ou de gaz pour exiger des emplois et la contribution des sociétés pétrolières au développement de la région. Des confrontations violentes ont lieu avec les forces de l’ordre.

    Comme l’écrit Fathi Chamkhi (5), « la tension sociale est à son comble face à un gouvernement, critiqué de toute part, à qui les institutions financières internationales et l’Union européenne assignent la tâche suicidaire de maintenir le cap de l’austérité, de la restructuration néolibérale du marché intérieur ».
    Même si certaines luttes se terminent par des échecs, une série d’avancées ont été obtenues ces derniers mois : transports publics urbains, enseignement secondaire, personnel ouvrier des établissements scolaires, la poste, radio et télévision publique, ministère des transports, journalistes de la presse écrite, Orange, grandes surfaces, etc.

    Après environ deux mois de blocage total du bassin minier par les chômeurs de la région, quelques avancées ont été obtenues avec une promesse de 1 500 embauches dans les trois ans dont 520 dans les mois qui viennent (6). Mais ces mesures ne réglant pas le problème du chômage de masse dans la région (7), les mobilisations se poursuivent.

    Par ailleurs, une mobilisation est en cours pour combattre les tentatives de restreindre les libertés au nom de la lutte contre le djihadisme. Des projets de lois visent en effet à assurer l’impunité aux forces armées, permettre le recours à la peine de mort, banaliser les écoutes téléphoniques, condamner les auteurs d’articles critiquant les forces de l’ordre, etc. Simultanément, la police est accusée d’exactions contre les journalistes ainsi que d’actes de torture.

    Le positionnement de l’UGTT en débat

    La direction de la principale centrale syndicale, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), a connu une longue période de bon voisinage avec le syndicat patronal UTICA dans le cadre du « dialogue national » visant à mettre un terme aux violences islamistes. L’UGTT avait proposé cette orientation dès le 18 juin 2012 et avait fini par la mettre en place en octobre 2013. Dans ce cadre, elle avait fait passer les revendications sociales au second plan, suscitant l’impatience grandissante des secteurs les plus combatifs.

    Avec le départ, en janvier 2014, de la coalition gouvernementale dirigée par Ennahdha et Marzouki, les mobilisations sociales se sont multipliées.
    Dans ce contexte tendu, la direction centrale de l’UGTT a dénoncé publiquement certaines grèves :
    • soit pour non-respect de procédures comme le déclenchement soudain de grèves sans préavis, par exemple dans les chemins de fer ou l’électricité ;
    • soit pour franchissement de certaines « lignes rouges » comme le boycott des examens dans l’enseignement.

    Mais la direction centrale de l’UGTT a maintenu son habitude de faire en sorte qu’un accord acceptable par les principaux intéressés soit négocié. Rappelons que lors de la grève de la faim des ouvrières de Latelec en juillet 2014, c’est le secrétaire général de l’UGTT en personne qui a finalement pris les affaires en mains pour trouver une solution. (8)

    L’insatisfaction des salariés est telle que le Bureau exécutif serait de toutes les façons dans l’impossibilité d’endiguer la marée revendicative. Par ailleurs, l’époque est révolue où le Bureau exécutif était en capacité d’imposer ses volontés aux structures intermédiaires. Malgré les réticences du Bureau exécutif, le syndicat de l’enseignement secondaire avait par exemple maintenu son orientation qui a débouché sur une victoire historique. De même, le Bureau exécutif élargi du 5 juin a décidé de soutenir l’appel au boycott des examens par le syndicat de l’enseignement primaire, forme de lutte que le Bureau exécutif restreint avait précédemment publiquement condamné.
    Reste à connaître sur quoi déboucheront les menaces de sanctions internes annoncées contre les syndicalistes ayant organisé des grèves sans préavis dans les chemins de fer.

    Un phénomène conjoncturel vient amplifier cette évolution des rapports entre la direction centrale de l’UGTT et ses structures intermédiaires. Un congrès national est en effet annoncé pour fin 2016, et beaucoup de responsables sont attentifs au nombre de mandats que pourraient recueillir les différentes orientations et candidat-e-s en présence (9). Comme l’écrit Fathi Chamkhi, « le Secrétaire général de l’UGTT a fini par hausser le ton à l’égard des patrons, considérant que les salariés ont consenti d’énormes sacrifices, contrairement aux patrons qui s’en sortent plutôt bien, eu égard à la situation dramatique actuelle ».

    Les fédérations et syndicats qui sont à la tête des conflits actuels avaient joué un rôle central dans la solidarité avec les luttes du bassin minier en 2008-2010, puis dans le déclenchement des grèves générales régionales ayant contraint Ben Ali à partir. Ils font aujourd’hui le constat amer que les gouvernements qui se sont succédé depuis 2011 ont appliqué la même politique néolibérale que l’ancien dictateur. Certes, des marges de liberté ont été gagnées, mais sur le plan des droits économiques et sociaux, la situation est catastrophique : certains acquis existant avant la révolution ont même disparu.

    Nombre de ces militant-e-s aimeraient que l’UGTT joue un rôle de contre-pouvoir. Ils reprochent à la direction de la centrale d’avoir consacré l’essentiel de ses efforts à trouver un consensus pour sortir de la crise politique de l’année 2013, sans chercher à résoudre les problèmes économiques et sociaux. Beaucoup reprochent à la direction centrale d’être ensuite devenue un « partenaire » du pouvoir et estiment que c’est pour cette raison qu’elle ne répond pas aux demandes des syndicats qui la composent. Ils entendent se battre dans le cadre du prochain congrès national de l’UGTT pour un changement profond des orientations de la centrale syndicale ainsi qu’une démocratisation de son fonctionnement.

    Absence de débouché politique immédiat

    Entre le 14 janvier et le 27 février 2011, la Tunisie avait connu une période d’ouverture du champ des possibles. La mise en place du gouvernement Essebsi s’était accompagnée du torpillage des embryons de structures d’auto-organisation, avec notamment la mise en place d’une « Haute instance » ayant un rôle limité et uniquement consultatif. Le principal parti de la gauche, le PCOT (devenu depuis Parti des travailleurs), avait alors déclaré : « Le but de cette instance est de torpiller le Conseil national de protection de la révolution et de l’anéantir, pour que le gouvernement agisse sans aucun contrôle » (15 mars 2011). Un hiver islamiste de près de deux ans avait suivi les élections du 23 octobre 2011.

    Les bifurcations potentielles de l’histoire ayant suivi chacun des deux assassinats de dirigeants du Front populaire (6 février 2013 et 25 juillet 2013) ont été rapidement endiguées par les forces ne voulant pas de rupture avec l’ordre ancien. À la place s’est mise en place, entre octobre 2013 et fin 2014, une solution de « consensus national » autour de l’UGTT et du syndicat patronal UTICA (10).

    Suite aux élections de fin 2014, un gouvernement ayant pour fonction de tenter d’opérer une « normalisation » néolibérale a vu le jour (11).
    Même si des slogans demandant le départ du ministre de l’Education ont été lancés lors du rassemblement des instituteurs du 9 juin, le but des militant-e-s animant les luttes actuelles n’est pas de « dégager » le pouvoir en place. Ils veulent, par les mobilisations, lui imposer la satisfaction de droits économiques et sociaux, à commencer par l’application des accords conclus parfois depuis 2011.

    Et le Front populaire ?

    Les zigzags du Front en 2013 ont laissé de nombreuses cicatrices : atermoiements après l’assassinat de Chokri Belaïd (12), durcissement du discours début juillet 2013 (13), alliance avec Nidaa Tounès après l’assassinat de Mohamed Brahmi (14).
    Par la suite, le Front a connu en 2014 de nombreuses tensions autour de la désignation des têtes de liste aux législatives, des éventuelles alliances électorales et/ou gouvernementales, de la consigne de vote au second tour des présidentielles (15).

    Malgré cela, le Front n’a pas éclaté. Il a multiplié par 2,5 le nombre de ses députés et est arrivé en troisième position aux présidentielles avec 7,8 % des suffrages. De plus, il a exclu toute participation ministérielle, n’a pas voté le budget 2015 et a refusé de voter la confiance au gouvernement.
    Le Front populaire s’est ainsi positionné comme le leader de l’opposition politique au gouvernement néolibéral dirigé par Nidaa Tounès et Ennahdha.

    Ce Front rassemble aujourd’hui l’essentiel de la gauche, et aucune nouvelle force politique de gauche ayant un minimum de poids n’a été en capacité de se constituer depuis 2011. Même certain-e-s des militant-e-s qui ne ménagent pas leurs critiques à son égard se félicitent de l’existence du Front et estiment qu’il constitue une force susceptible de se radicaliser (16).

    Reste au Front à surmonter une série de faiblesses. Il y a tout d’abord sa difficulté à préciser son orientation en termes d’indépendance de classe, ainsi qu’à élaborer son programme. Il y a ensuite sa difficulté à se structurer.
    Deux autres questions clés concernent : la place des militant-e-s ne faisant partie d’aucune des organisations ayant constitué le Front ainsi que la très faible féminisation des structures du Front populaire. Tout cela se conjugue avec le débat sur la transformation éventuelle du Front en parti. Cette position semble majoritaire au sein de la base, mais est très minoritaire au niveau de la direction. La conférence d’octobre 2015 devrait permettre d’éclaircir ces différents points.

    La porte étroite de la LGO

    La Ligue de la gauche ouvrière (LGO) n’a vu le jour qu’au lendemain du 14 janvier, à partir de militant-e-s ayant appartenu une dizaine d’années auparavant à l’organisation tunisienne de la IVe Internationale. Ayant perdu une partie des militant-e-s qui ont participé à sa fondation, la LGO compte aujourd’hui moins d’une centaine de membres. Il convient de noter que toutes les tentatives de quitter la LGO pour créer une nouvelle force politique ont à ce jour échoué. La LGO reste faiblement structurée et dispose de ressources financières limitées. Ses militants les plus actifs doivent simultanément maintenir une insertion syndicale et/ou associative, construire la LGO et participer à la construction du Front.
    Peu de Tunisien-ne-s connaissent la LGO en tant que telle. Quant au Front populaire, il est avant tout connu par les déclarations de son porte-parole Hamma Hammami, dirigeant historique du Parti des travailleurs (ex-PCOT).

    Étant beaucoup plus faible que les deux organisations issues de la tradition marxiste-léniniste (Parti des travailleurs et Parti des patriotes démocrates unifiés), la LGO a souvent eu du mal à faire entendre sa voix au sein du Front. Le souci de ne pas se retrouver isolée a parfois poussé la LGO à un certain suivisme, comme par exemple fin juillet 2013 lors de la création du Front de salut national (FSN). Le congrès de la LGO a corrigé le tir en septembre de la même année en décidant à 80 % de sortir du FSN, tout en continuant à appartenir au Front populaire (17).

    Par la suite, la LGO a participé activement à la bataille pour que le Front refuse toute alliance électorale avec Nidaa Tounes ou des forces liées à ce parti. Les militant-e-s de la LGO se sont battu-e-s pour que Front refuse de voter le budget et la confiance au gouvernement, et à plus forte raison participe à ce dernier. Ses représentants avaient d’ailleurs annoncé par avance qu’ils étaient prêts à une rupture de discipline au cas où cette position ne l’emporterait pas. Ils n’ont heureusement pas eu besoin de le faire.

    La LGO dispose d’une certaine influence politique au sein du Front populaire, notamment par la présence de deux membres à la direction du Front populaire, qui sont également députés. L’opportunité s’ouvre à la LGO de jouer un rôle actif dans l’élaboration des réponses aux questions auxquelles le Front doit faire face aujourd’hui.

    Reste à la LGO à parvenir à se structurer, ainsi qu’à réussir à travailler collectivement avec ses deux députés. Le renforcement de ses liens internationaux, notamment au sein de la région arabe, pourrait être de nature à aider la LGO à se construire.

    Le 9 juin 2015 LEROUGE Dominique

    http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article35163

  • Syrie: solidarité avec la ville de Salamieh sous la menace de l’Etat Islamique (Npa)

  • Sous le bleu de Bab-El-Oued, l'hommage à M'Hamed Rachedi, "l'arabe" héros du printemps amazigh (Al Huffington)

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    M’hamed Rachedi était "l’arabe" héros du printemps amazigh. La fondation Bacha a exhumé son étincelant souvenir. Sous le bleu de Bab El Oued.

    C’était une silhouette aérienne, une énergie explosive haranguant les assemblées générales étudiantes du printemps 1980. Un jeune homme d’un grand courage.

    "Il savait qu’il en prendrait pour 20 ans incompressibles dans sa situation" a rappelé un de ses compagnons de lutte de cette période sur sa tombe ce samedi 25 avril, jour choisit par la fondation Bacha, grande figure du militantisme des années 80, pour faire le pèlerinage commémorative du cimetière El Kettar à Alger.

    M'hamed Rachedi, est né en mars 1955 d’une modeste famille de la basse Casbah. Il restera pour l’éternité le détenu arabophone parmi les 24 historiques de Berrouaghia, les animateurs du mouvement avril 1980 que le régime "débutant" de Chadli Bendjedid, voulait traduire devant la cour de sureté de l’Etat.

    "Ces interrogatoires à la sécurité militaire étaient particulièrement féroces". Les barbouzes ne comprenaient pas ce qu’un non kabyle faisait là, à la pointe d’un mouvement pour la reconnaissance du tamazight.

    M’hamed Rachedi ne s’est pas retrouvé par hasard dans cette galère. Il était militant clandestin du GCR , l’organisation de la gauche révolutionnaire - d’où le risque des 20 ans de prison sous le régime du parti unique – et l’un des leaders les plus actifs des campus d’Alger – avant 1980 - pour le droit des étudiants à s’organiser librement en dehors de la tutelle de l’UNJA, l’organisation de jeunesse du FLN.

    Il a été, à la salle Ben Baatouche de la faculté centrale, lieu mythique du mouvement à Alger, l’un des meilleurs pédagogues du lien entre la reconnaissance de la pluralité linguistique et culturelle de l’Algérie et l’avancée des libertés démocratiques. Tribun hors pair, M'hamed Rachedi était un cauchemar pour les RG de la DGSN. Après son intervention à la tribune, les actions du mouvement devenaient plus audacieuses, plus subtiles aussi.

    Salarié puis élu syndical à l’ARDESS, ancêtre du CNEAP, (Le Centre National d'Etudes et d'Analyses pour la Population et le Développement), à la fin de son cursus de licence, Mhamed avait également une expérience du syndicalisme d’entreprise, qui a beaucoup servi, avant son arrestation, la coordination des comités étudiants autonomes d’Alger durant le printemps 1980.

    Une étoile filante

    Face à la superbe crique de Bab El Oued, sur les pentes du cimetière d’El Kettar, un attroupement de quelques dizaines d’amis de M’hamed Rachedi a évoqué, ce samedi matin, le militant disparu en mars 1989 à quelques jours de son 35e anniversaire.

    Une étoile filante du combat démocratique et social en Algérie. Après les épreuves de l’interrogatoire et de la prison, le reflux du mouvement les années suivantes, M’hamed a poursuivi son crédo sur la scène du monde. A partir de Paris.

    Toujours engagé dans sa famille politique de la gauche révolutionnaire (LCR – Trotskyste), il a, comme en Algérie était de tous les combats. Celui du peuple palestinien était un qui lui tenait le plus à cœur. Mhamed était l’homme au Keffieh. Elégance et fierté.

    Au cœur de l’attroupement, deux hommes, Mahmoud Rachedi, son frère cadet, porte-parole du PST, et Karim Bacha, frère cadet de Mustapha Bacha et co-fondateur de la fondation éponyme.

    Mahmoud témoigne de ce moment de la dernière volonté où M’hamed, condamné sur son lit d’hôpital à Paris, chuchote son souhait de revenir voir la lumière d’Alger avant de partir.

    Il a revu sa Casbah natale avant de s’adosser à son flanc d’El Kettar. Karim a rappelé combien il était important que la génération qui a animé les luttes démocratiques des années 80 transmette des repères aux jeunes d’aujourd’hui. M’hamed Rachedi, Mustapha Bacha et Salah Boukrif, les trois aujourd’hui disparus, étaient amis. C’étaient, sans doute avec Arezki Ait Larbi, les figures les plus emblématiques du printemps amazigh à Alger.

    Publication: 25/04/2015 21h54 CEST Mis à jour: 25/04/2015 22h07 CEST
     
  • Algérie, 1er Mai 2015 Pour une convergence anti libérale et anti impérialiste (Essf)

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    Les travailleurs et les travailleuses algériens célèbrent le 1er Mai 2015, journée internationale de mobilisation et de lutte de la classe ouvrière, dans un contexte de persistance de la crise du système capitaliste et d’accentuation des pressions libérales pour imposer plus d’austérité, plus de précarité et de démantèlement de nos acquis démocratiques et sociaux.

    A la faveur de la chute des prix du pétrole, une offensive sans précédent du patronat privé et du gouvernement est orchestrée pour mettre en œuvre la privatisation du secteur public, y compris dans les secteurs stratégiques et de souveraineté, ( les hydrocarbures, transport aérien…), selon une feuille de route dictée par le FMI, la Banque mondiale et l’OMC. Elle vise fondamentalement la soumission de notre économie et nos richesses nationales aux intérêts privés d’une nouvelle classe de prédateurs alliée des multinationales et des puissances impérialistes.

    Toutes les nouvelles lois et les dispositions qui sont entrain d’être prises (Code du travail, code de la santé, loi régissant la sécurité sociale, code de l’investissement …) visent la diminution du pouvoir d’achat et la suppression des subventions aux produits de première nécessité, la généralisation des CDD et la précarité sociale, la suppression de la médecine gratuite, le démantèlement du secteurs public et l’accaparement des terres agricoles et du foncier public. L’adhésion à l’OMC achèvera ce qui reste de notre tissu industriel, aggravera le chômage et la précarité et profitera, à l’instar de l’accord d’association avec l’UE, aux multinationales et à l’économie des puissances étrangères.

    La crise de succession engendrée par la maladie de Bouteflika suscite des luttes d’intérêts entre les factions au pouvoir et une course effrénée à l’accaparement des biens publics amplifiant la corruption et les détournements. Dans ce contexte, les « oppositions » exprimées par les partisans de la « transition démocratique » ou par les promoteurs du « consensus national » s’inscrivent dans la perspective du partage du pouvoir dans le cadre du même projet libéral. Cependant, les luttes des travailleurs et les mobilisations des mouvements sociaux, en dépit de leur faiblesse et leur manque de coordination, atténuent relativement le rythme de cette offensive libérale.

    Pour le PST, le désastre social du projet libéral menace sérieusement l’indépendance de notre pays parce qu’il affaibli nos capacités de résistance sur le plan économique et politique. Pour le PST, les choix économiques et sociaux doivent être décidés démocratiquement et souverainement par le peuple algérien. Ni le pouvoir en déficit de légitimité, ni les organisations patronales, et encore moins les institutions financières du capitalisme mondial ne sont habilités à nous imposer le suicide libéral.

    Les travailleurs et les travailleuses, les chômeurs et les jeunes, les femmes et les masses populaires démontrent à travers leurs luttes la nécessité de stopper le projet politique libéral et d’imposer une autre politique. Les grèves des cheminots et des enseignants, les grèves des travailleurs de la zone industrielle de Rouiba et de la santé, les mobilisations des chômeurs et des citoyens pour le logement et des conditions de vie meilleures montrent la voie de la résistance. Mais, ces luttes doivent s’unir dans le mouvement syndical et se renforcer sur le plan politique dans une convergence anti libérale et anti impérialiste pour imposer les libertés démocratiques et une économie au service des besoins sociaux de notre peuple. Pour imposer une politique qui offre l’emploi à tous et amorce notre développement par l’industrialisation de notre pays et la modernisation de notre agriculture. Une politique qui consacre notre souveraineté et notre indépendance nationale.

    • Pour la défense de nos libertés démocratiques, nos droits de manifestation, d’organisation et de grève !

    • Pour la défense de notre pouvoir d’achat exigeons l’indexation des salaires sur le coût de la vie ! Pour un SNMG à 45 000 DA !

    • Pour l’unité du mouvement syndicale et son indépendance ! Pour un syndicat démocratique, combatif et indépendant !

    • Pour la solidarité internationale des travailleurs ! Pour la solidarité avec les peuples en lutte pour leur émancipation !

    • Vive la lutte des travailleurs ! Vive le 1er Mai !

    Le secrétariat National du PST

    Alger, le 28 avril 2015

    http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article34855
  • Irak, Syrie… – La contre-révolution et l’organisation de « l’Etat islamique » (ESSF)

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    Depuis juin dernier, le monde, à en croire les grands médias ou les dirigeants des principaux pays impérialistes, serait exposé à un danger inédit et imminent, n’affectant pas seulement la sécurité des pays de la région arabe, mais qui s’en prendrait à la « paix mondiale » et la « Sûreté nationale » des pays impérialistes de l’est et de l’ouest, avec à leur tête les Etats-Unis, à un point tel que le Conseil de Sécurité a adopté une résolution le 15 août 2014 (n°2170), en vertu du chapître 7 qui autorise le recours à la force contre l’organisation de l’Etat islamique et le Front Al-Nosra, que la résolution caractérise comme terroristes. La résolution prévoit des sanctions contre quiconque les soutiendra ou les aidera. Cette alerte du danger de l’organisation de « l’Etat islamique » intervient après que cette dernière eut mis en place l’Etat du califat islamique le 3 juillet de l’année passée.

    L’Irak, un pays dévasté

    L’Irak a subi un régime dictatorial et sanguinaire, à l’ombre du Baath depuis 1968, dirigé par Ahmad Hassan Albakr, puis Saddam Hussein. Ce pouvoir qui a été aux commandes d’un pays riche en ressources naturelles, particulièrement pétrolières, a écrasé le mouvement ouvrier et communiste, l’un des plus actifs et massifs dans la région ; il a tout fait aussi pour écraser le mouvement de libération nationale kurde, par des moyens brutaux, comme le recours aux armes chimiques contre des civils à Halabja.

    Le parti Baath au pouvoir dans le passé en Irak, se distingue, en dépit d’une ressemblance en matière de sauvagerie, de son parti frère et rival en Syrie, sous Assad le père, puis son fils héritier, par le fait qu’il était plus chauvin que le second car c’est un parti dont la légitimité se réclame de l’idée du nationalisme arabe chauvin. Il n’a pas hésité à accuser la majorité « chiite » et les Kurdes, soit l’essentiel des masses paupérisées et populaires et le terreau essentiel du mouvement ouvrier et communiste, d’être d’origine « iranienne » ou Safavides, comme cela est courant dans le discours chauvin crétin, pour les premiers, et des agents d’Israël pour les seconds.

    Trois décennies de guerres, de destruction et de dévastation

    L’Irak en tant que pays vit effectivement un état de guerre depuis 1980, soit trois décennies, avec des effets désastreux pour la société irakienne sur tous les plans. Le régime bourgeois et dictatorial de Saddam Hussein a mené sa première guerre, soit la première guerre du Golfe, contre l’Iran en 1980, une guerre qui a duré huit ans, et a entraîné une destruction massive en Irak. Les pertes dans l’infrastructure irakienne à la suite de cette guerre sont évaluées à 200 à 350 millions de dollars.

    Deux ans après la fin de la guerre du régime baathiste irakien contre l’Iran, ce même régime a envahi le Koweït au début du mois d’août 1990, à la suite d’un différend sur les champs de pétrole et d’un changement des politiques saoudiennes et des pays du Golfe à son endroit, passant de l’alliance à l’endiguement. L’impérialisme américain a utilisé cette invasion comme prétexte pour réaffirmer son hégémonie, non seulement dans la région, mais aussi à l’échelle mondiale, d’autant plus que cela était concomitant de l’effondrement du bloc de l’est et de l’Union soviétique, pour déclencher début 1991 une guerre dévastatrice contre l’Irak et de détruire ses forces armées au Koweït, lors de ce que l’on a appelé la seconde guerre du Golfe. Cela a entraîné une destruction supplémentaire des infrastructures irakiennes, estimée à 232 milliards de dollars environ. La seconde guerre du Golfe a été suivie d’un blocus impérialiste assassin, et l’un des plus meurtriers, en Irak qui a duré jusqu’à l’invasion impérialiste de l’Irak en 2003, soit la troisième guerre du Golfe qui a détruit le reste du pays et de la société irakiennes. A elles seules, la première et la seconde guerre du Golfe avaient causé la mort d’un million et demi de civils et de militaires.

    Les pertes supportées ou qui vont être supportées par l’Irak en raison de ces guerres sont évaluées à un trillion (mille milliards) et 193 milliards de dollars. En d’autres termes, les richesses pétrolières de l’Irak ont été vendues par anticipation, pour les 85 années à venir. Mais l’impérialisme américain a été défait en Irak et contraint de se retirer en 2011, après une résistance acharnée des masses irakiennes de toutes sensibilités politiques. Avant son retrait, cet impérialisme a mis en place un régime politique faible et corrompu reposant sur les quotas confessionnels qui n’a fait qu’exacerber le caractère catastrophique de la situation et préjudiciable à la majorité écrasante des Irakiens. En plus de l’injustice sociale et politique à laquelle se sont heurtés des secteurs larges d’Irakiens en raison des mesures d’exclusion confessionnelle, les politiques de « éradication du Baath » ont contribué à exclure des centaines de milliers de fonctionnaires, les militaires irakiens de l’ancien régime, ce qui a exacerbé chez beaucoup de ces derniers une hostilité illimitée envers le régime mis en place par l’occupation américaine, pas toujours en tant que réponse politique organisée à ce confessionnalisme, mais sous la forme d’une réaction confessionnelle, ce que n’ont fait qu’exacerber les politiques confessionnelles et corrompues de Nouri Al Maliki.

    La fondation

    Il est notoire et répété dans la plupart des écrits que la formation initiale du futur « Daech », était « le groupe d’unification et de combat » fondé par le Jordanien Abou Mossab Al Zarkaoui (Ahmad Fadhel Al Khalaïla) en 2004, après l’invasion américaine de l’Irak, où ont afflué un grands nombre de jihadistes pour résister à cette invasion. Le nom du groupe est devenu, après qu’il eût prêté allégeance à Ben Laden « Al Qaïda du Jihad au pays de la Mésopotamie ». Mais à la suite de l’assassinat de Al Zerkaoui le 7 juin 2006, a été annoncée le 15 octobre de la même année la constitution de « l’Etat islamique d’Irak ». Le 19 avril 2010, Abou Omar Al Baghdadi et Abou Hamza Al Muhajer se sont succédés à la tête de l’organisation, jusqu’à ce que soit enfin nommé Abou Bakr Al Baghdadi (Ibrahim Awad Al Badri Al Samraï) chef et qu’il se soit désigné comme calife, par la suite.

    « L’Etat islamique d’Irak » fut l’une des plus importantes organisations de la scène irakienne, d’autant qu’elle avait attiré des dizaines d’officiers du régime de Saddam Hussein, des baathistes, surtout après la disparition d’autres forces militaires où étaient enrôlés ces officiers, comme les phalanges de la Révolution d’Achrin, l’Armée islamique, l’Armée de Mohammad, l’armée de la Confrérie Naqchabandie. Cette dernière a des origines baathistes mais avait adhéré aux thèses islamistes pour se rapprocher d’un milieu social sunnite qui n’a toujours pas trouvé d’expression politique moderne. Sans parler d’autres groupes armés opposés à l’occupation américaine et au régime politique mis en place sur la base de quotas confessionnels. D’une part, ces groupes se caractérisaient par une surenchère religieuse ou confessionnelle qui avait permis leur émergence, d’autre part, la destruction sociale et économique du pays, et la discrimination confessionnelle et politique dont étaient victimes les sunnites par le régime confessionnel ont entraîné des contestations face aux inégalités croissantes. L’un de ces officiers baathistes, qui ont joué un rôle important pour améliorer la situation organisationnelle, militaire et de renseignement de l’Etat islamique d’Irak, est le colonel de l’Etat Major Hajji Bakr (de son vrai nom Samir AlKhalifawi), sans parler d’autres personnages moins connus, comme le brigadier Abou Mohand Al Sweïdani, les colonels Abou Muslim Al Turkmeni, Abdurrahim Al Turkmeni et Ali Aswad Al Jabouri, le lieutenant colonel Abou Amor Al Naïmi, le lieutenant colonel Abou Ahmad Al Alwani ,le lieutenant colonel Abou Abdurrahmane Al Bilawi, le lieutenant colonel. Abou Aquil Moussoul et Abou Ali Al Anbari. Ils font partie de l’instance dirigeante de l’Etat islamique.

    Cette fusion entre officiers batistes – formés au sein d’une régime despotique et dogmatique basé sur un crédo nationaliste chauvin et d’un courant tekfiri empruntant le voie salafiste jihadiste, de l’organisation Al Qaïda, dans les circonstances précitées de l’Irak d’alors, a conféré à l’organisation de « l’Etat islamique d’Irak », dont le nom deviendra par la suite « Etat islamique en Irak et au Levant » (Daech), une spécificité qui le distingue des autres organisation jihadistes traditionnelles. Le combat pour elle consiste à fonder un Etat (le Califat), dans sa forme la plus réactionnaire et féroce, hic et nunc, sur terre, suivant une stratégie militaire, politique et médiatique claire, en écrasant tout ce qui est démocratique et progressiste dans la société.

    Quoi qu’il en soit, la direction de Daech est majoritairement irakienne. Les vingt commandants les plus importants dans l’organisation sont tous irakiens, à l’exception d’un Syrien.

    La constitution de Daech

    Le régime syrien a compris dès le départ le danger que ferait courir la poursuite des manifestations pacifiques de masse ; pour cette raison, il les a dépeintes dès le début comme terroristes et tekfiries, et a mené une politique de provocation confessionnelle par la diffusion en continu par les appareils sécuritaires, surtout pendant la première année de la révolution, de vidéos sur les réseaux sociaux, puisque c’étaient eux qui étaient le plus prisés par les militants de la révolution, des scènes de torture et de meurtre perpétrés par les forces du régime contre les manifestants avec brutalité et en mettant en avant le caractère confessionnels de ces actes vus dans ces films,. Il a mené cette politique avec force cynisme et ruse. De même le régime dans la seconde moitié de l’année 2011 et au début de l’année 2012 a libéré des centaines de jihadistes détenus dans ses prisons et qui avaient été arrêtés à leur retour d’Irak.

    Le noyau originel du Front Al-Nosra s’activait déjà en Irak au sein de « l’Etat islamique d’Irak ». Ce dernier les a envoyés dans la seconde moitié de 2011 en Syrie, pour y constituer une branche d’Al Qaïda ce qu’Al-Nosra a fait avec succès, dont le nom a commencé à émerger au début de l’année 2012 et qui a acquis de la notoriété et de l’influence en raison du courage de ses combattants, et leur discipline alors. A ses débuts il n’avait pas de projet d’édification d’un Etat islamique, du moins pas en public, sans parler de son armement de qualité qui surpassait celui des brigades de l’Armée libre, tout cela a poussé de jeunes Syriens à le rejoindre.

    Depuis avril 2013, à la suite de l’ordre d’Abou Bakr Al Baghdadi, chef de l’Etat islamique en Irak de fusionner Al-Nosra avec l’Etat Islamique en Irak pour former une seule organisation, il y a eu une divergence entre les deux branches de la même organisation d’Al Qaïda en Syrie, l’une refusant de rejoindre Daech et l’autre l’ayant rejointe. Si les deux puisaient à la même idéologie religieuse réactionnaire et terroriste, cependant la divergence entre les stratégies et les intérêts l’a emporté pour se transformer en affrontement armé. Pour paraphraser le philosophe italien Antonio Labriola : « Les idées ne tombent pas du ciel et rien ne vient par les rêves ».

    Dans le débat entre les deux parties, il est utile de faire remarquer l’influence de cette « fusion », précitée entre des nationalistes baathistes et un courant salafiste jihadiste au sein de Daech. Abou Mohammad Al Adnani a répondu le 20 juin 2013 à l’invitation d’Ayman Al Zahouahiri de dissoudre Daech et restituer à chaque organisation son nom et les limites de son action, à savoir l’Etat islamique en Irak, et Jabha Al-Nosra en Syrie, en disant que : « Si nous acceptons la décision de dissoudre l’Etat (Islamique), c’est une reconnaissance des frontières de Sykes Picot » Effectivement, l’une des actions symboliques de Daech – le symbolisme et l’utilisation des médias font partie de la stratégie de cette organisations – fut d’effacer une partie des frontières qui séparent l’Irak de la Syrie, et de diffuser ces images à une large échelle, au début du mois de juin 2014.

    Ce mélange de « nationalisme » et islamisme extrémiste chez Daech va au-delà des frontières de l’Irak et de la Syrie, pour faire appel à la mémoire de l’empire musulman et évoquer un passé révolu. Abou Bakr Al Baghdadi lui-même a affirmé le 30 juillet 2013 : « Nous renouvelons l’ère de la Oumma (nation musulmane), nous ne saurions vivre sans avoir libérer les captifs musulmans en tous lieux, repris Jérusalem, être revenus en Andalousie et nous allons conquérir Rome » lors d’un discours flattant les sentiments nationalistes et religieux et se présentant comme un adversaire de l’Etat sioniste et l’Occident, bien que de façon très réactionnaire.

    Dans son message il affirme le penchant de Daech pour le combat et la violence, y compris dans le domaine de la prédication. Il insiste sur le fait que « le combat est une partie de la prédication aussi, et nous allons traîner les gens enchaînés paradis ».

    Dans son discours, Adnani a centré sur l’importance de l’édification de « l’Etat islamique » même si les conditions n’en sont pas réunies. Il y a ajouté une autre spécificité de Daech par rapport aux autres organisations jihadistes. Il ne prend pas position par rapport aux autres parce que ces dernières auraient décidé d’embrasser le « vrai » islam, la foi et la pratique de la religion, mais il en exige l’allégeance à l’Etat qu’il a l’intention d’édifier : « l’Etat islamique », avant même la proclamation de l’Etat du Califat. Alors que Al Zaouahiri appelait les Frères musulmans d’Egypte « mes frères », Adnani quant à lui dit d’eux dans un message intitulé « Le pacifisme est la religion de qui ? » du 31 août 2013 : « les Frères (Musulmans) ne sont qu’un parti laïc avec une pèlerine islamique, ils sont les pires et les plus répugnants des laïcs ».

    Donc nous notons une sorte de rupture, idéologique et politique entre Daech et toute une série de forces islamistes aux positions réactionnaires diverses, dont les forces jihadistes qui ont précédé comme Al Qaïda et sa branche syrienne. Nous avons déjà parlé des origines matérielles de cette rupture qui n’est pas issue seulement de divergences d’interprétation religieuse, comme le disent certains opposants libéraux dans leur analyse « confessionnelle » du conflit. Karl Marx écrivait dans sa préface à l’Economie politique : « nous ne jugeons pas une période d’après sa conscience, c’est au contraire la conscience qui va être expliquée par les contradictions de la vie matérielle ». Daech s’en distingue en Syrie en se basant essentiellement sur des dirigeants et des combattants dont la majorité ne sont pas Syriens, alors que la majorité des combattants et des directions du Front Al-Nosra sont d’origine syrienne. C’est ce qui peut expliquer en partie leur prise en compte la spécificité de la situation syrienne, en comparaison avec l’organisation Daech dont la majorité des directions et une large part des ses combattants ne sont pas Syriens. Par ailleurs ils se disputent le contrôle et l’influence matérielle, des sources de richesses, comme les puits de pétrole et les points de passages frontaliers.

    L’occupation rapide par Daech de Mossul en Irak le 10 juin 2014, son extension aux zones kurdes et yézidies, les massacres hideux commis à l’encontre des militaires et des civils ont été le préliminaire à la proclamation par l’organisation de ce à quoi il avait appelé ouvertement, l’établissement de l’Etat du Califat, le 29 juin 2014 et l’allégeance prêtée au chef de l’organisation, Abou Bakr Al Baghdadi, comme Calife, permettant à Daech une présence se partageant entre l’Irak et la Syrie, soit sur un tiers de la surface des deux pays.

    L’influence des groupes islamistes extrémistes a progressivement prévalu sur la scène de l’action armée dans les régions « libérées », en raison de la faiblesse de l’organisation et de l’armement de l’Armée libre et de l’abandon par les pays du groupe des « Amis du peuple syrien » des promesses qu’ils avaient faites de l’armer – du reste, il n’en avaient jamais eu l’intention, mais ils leur avaient offert des armes légères qui ne pouvaient les prévenir de l’extermination. Dans le même temps les pays de la région comme le Qatar et l’Arabie Saoudite, la Turquie, sans parler d’importants réseaux soutenant le jihad islamique, dans les pays du Golfe et autres, ont pourvu les groupes islamistes extrémistes en armes et argent de façon illimitée, ce qui leur a permis d’imposer leur hégémonie, devenue évidente fin 2014 dans la plupart des régions qui sortent du contrôle du régime.

    Le développement de Daech et des islamistes extrémistes en Syrie suppose une désintégration sociale

    Il faut remettre la domination de la contre révolution croissante, dans les zones « libérées » et plus particulièrement de l’organisation de l’Etat islamique, mais aussi d’Al-Nosra et de Ahrar Al Cham et autres groupes jihadistes hyper réactionnaires, dans son contexte temporel, soit au printemps 2013 et l’annonce ultérieure de la constitution de Daech, le 9 avril 2013. Il faut également la relier à la situation sociale globale des masses syriennes, dans les zones libérées. Ces masses avaient souffert d’une guerre sanglante menée par les forces du régime qui avait détruit les infrastructures sociales, les quartiers et les municipalités et toutes les composantes de la vie, civile et agricole, lors d’affrontements avec des forces sous armées, sous organisées, et populaires, dénommées « Armée libre ».

    Pour dépeindre ce dont souffrent les masses des régions libérées au début de l’année 2013, les conditions objectives l’expliquent dans une certaine mesure, en ce qu’elles ont permis la progression des forces islamistes jihadistes réactionnaires avec à leur tête Daech. Un rapport publié sous le titre « Réalités socio-économiques à la lumière de la révolution syrienne » du 24 novembre 2013, par le « Centre syrien de recherches et d’études », résume ainsi la situation dans les zones « libérées » en mars de la même année :

    « Dans le cas de la Syrie, les opérations militaires, les bombardements, les arrestations, les déplacements et les exodes de masse, ont affecté la situation humanitaire et économique des Syriens. En dépit du rôle croissant de la société civile, la crise a entraîné une détérioration des relations sociales et la propagation de l’extrémisme et du fanatisme. Elle a affecté négativement les valeurs et les normes sociales, en attisant des idées et des comportements de vengeance. Tout cela a causé une perte énorme de l’harmonie, de la solidarité sociale et des ressources humaines au niveau socioculturel, bien difficile à compenser. Cela a contribué à l’augmentation des gains illicites, par l’utilisation de la violence, ce qui renforce des facteurs du développement inversé. »

    Bien sûr, le chiffre a cru depuis lors, plus de la moitié des habitants de la Syrie sont pauvres, dont 6,7 millions sont passés sous le seuil de la pauvreté depuis le début de la révolution et au printemps 2013, environ 2,3 millions de fonctionnaires et de travailleurs avaient perdu leur poste et leur emploi, le chômage s’établissant aux alentours de 50%.

    En réponse aux interrogations sur le rôle des travailleurs-qui ont participé aux manifestations dès le début de la révolution, mais à titre personnel en général en raison de l’absence de structures syndicales indépendantes, ou de partis politiques et révolutionnaires, puisque la loi de la clique au pouvoir n’autorise que le parti Baath ou des partis satellites, comme le Parti communiste de Bagdach et ses diverses scissions, toutes caractérisées par le même opportunisme et leur trahison de la lutte de la classe ouvrière, l’activité dans les milieux ouvriers- ce rapport indique que : « plus de 85 000 travailleurs ont été licenciés pendant la première année de la révolution. La moitié des licenciements concernent les gouvernorats de Damas et ses banlieues. Et ce nombre n’inclue pas les gouvernorats de Homs, Hama et Idlib où, selon les chiffres officiels, 187 entreprises du secteur privé ont été complètement fermées lors de la période allant du 1er janvier 2011 au 28 février 2012. Il convient de noter que ces chiffres n’ont pas une grande crédibilité, car le nombre d’ateliers et d’usines fermée est de l’ordre de 5000, sans parler des commerces, des marchés qui ont été totalement pillés et détruits, à Homs, Alep, et autres gouvernorats. »

    Ajoutons le nombre de logements entièrement détruits qui s’élevait au début de l’année 2013 à un demi million, et autant de logements partiellement détruits. Cette situation tragique a conduit en 2013 un tiers des habitants de la Syrie, essentiellement des régions révoltées, à se transformer en réfugiés dans les pays voisins ou en déplacés d’une région à l’autre, plus sûre, à l’intérieur du pays. Evidemment en 2014 la moitié des habitants étaient soit des déplacés soit des réfugiés.

    Dans cette situation socio économique de dévastation totale, de désintégration sociale, de désertification humaine, Daech essentiellement, ainsi que les groupes islamiques réactionnaires jihadistes, ont pu se développer et être hégémoniques. L’autre condition de leur développement a été la marginalisation et l’écrasement de l’Armée libre, considérée pour l’essentiel comme la forme populaire de la résistance, face à la violence et la sauvagerie du pouvoir baathiste, et le produit de la révolution populaire. C’est ce qu’ont fait Daech et Al-Nosra, et leurs pairs jihadistes.

    Le développement de Daech et de la contre révolution suppose l’écrasement du mouvement populaire et démocratique

    L’exemple de la ville de Raqqa, qui est la première à s’être libérée des forces de la clique au pouvoir le 4 mars 2013, est sans doute central pour mettre à jour les pratiques de Daech face au mouvement populaire. Cette ville a connu une grande émulation culturelle, politique et populaire à la suite de sa libération et jusqu’à ce qu’elle tombe sous l’emprise de Daech. Un reportage de l’envoyé du Sunday Telegraph, Richard Spencer publié le 30 mars 2014 indique que : « la ville de Raqqa est sous la domination des opposants des groupes libéraux. La ville située au nord de la Syrie est le théâtre de nombreux cercles de discussion philosophiques et politiques, au point que l’un des groupes participait à la plantation des arbres et des plantes vertes pour protéger l’environnement, dans une serre au centre ville. Les activités ont démarré avec une intensité et une vitalité impressionnantes. Les activistes ont lancé plusieurs campagnes (« nos rues respirent la liberté », « notre drapeau », « notre pain »), une exposition de travaux manuels et artistiques, dont les revenus allaient aux familles des martyrs, une campagne (« Notre Raqqa est un paradis »), une initiative qui se déroule tous les vendredis pour nettoyer une artère de la ville. »

    La situation à Raqqa était emblématique de la majorité des villes et des régions « libérées » avant que Daech ne la reprenne. En dépit des pratiques de nombreuses autres brigades islamiques, ou non islamiques, violentes à l’encontre de tel ou tel militant, de l’arrestation d’un tel ou d’un tel, ou d’exécutions arbitraires, les pratiques de Daech se sont distinguées de celles de ses pairs, par leur totalitarisme violent contre toute activité indépendante ou démocratique, imposé par la violence et la force de son idéologie, par l’imposition de pratiques sociales réactionnaires à la population sous sa domination.

    La commission d’enquête des Nations Unies a publié un rapport intitulé « Le règne de la terreur : vivre sous l’Etat islamique en Syrie », le 14 novembre 2014 où il est indiqué que l’organisation Daech « a diffusé la peur en Syrie en perpétrant des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre ». Elle a demandé que ses dirigeants soient poursuivis devant la Cour Pénale Internationale. Le rapport qui a recueilli les témoignages d’environ 300 victimes et témoins oculaires, dit que l’organisation Daech « vise à dominer tous les aspects de la vie des civils sous son contrôle, par la terreur, l’endoctrinement, et la fourniture de services à ceux qui lui obéissent. De même, il mène une politique de sanctions discriminatoires comme les taxes ou les conversions forcées, sur la base de l’identité ethnique ou religieuse, la destruction des lieux de culte et l’expulsion systématique des minorités ». le rapport ajoute que Daech a « décapité ou lapidé des hommes de femmes et d’enfants en place publique, dans les villes et les villages du nord-est de la Syrie » et « exposé les cadavres des victimes sur des croix pendant trois jours, planté les têtes sur les grilles des parcs, en guise d’avertissement à la population sur les conséquence du refus de se soumettre à l’autorité du groupe armé ». Le rapport révèle les viols commis à l’encontre des femmes, qui poussent les familles à marier précipitamment leurs filles mineures, de peur qu’elles ne soient mariées de force aux combattants de Daech. Il pratique également publiquement dans des scènes visant à effrayer les habitants, l’application des « peines légales », en coupant les mains des « voleurs » ou la flagellation ou la crucifixion.

    Le rapport de cette commission révèle que cette organisation barbare, dont les étrangers sont la majorité des combattants, donne la priorité aux « enfants comme supports d’une loyauté à long terme, d’une adhésion idéologique, et comme un groupe de combattants dévoués qui considèrent la violence comme un mode de vie ».

     L’Etat « daechiste » … nous traînons les gens au paradis enchaînés

    A la différence des autres groupes salafistes jihadistes, Daech a un projet de construction d’un Etat et d’une société de type particulier, maintenant et pas dans le futur, par la force des armes et la violence. Après que cette organisation eût affronté l’Armée libre et les groupes jihadistes concurrents, afin d’étendre ses zones d’influence et son « Etat », il s’est occupé de garantir ses sources de financement, plus précisément les points de passage et les puits de pétrole. Il pratique une sauvagerie intense contre les tribus chaîtat à Dir Ez Zor, il en a tué des centaines et contraint à l’errance des milliers d’entre eux, pour faire main basse sur deux champs pétroliers en juillet 2014, l’un d’eux est le champ d’Al Amor, le plus grand champ de pétrole et de gaz de Dir Ez Zor. Le site de Middle East Online révèle dans un reportage du 13 août 2014 que Daech contrôle 50 puits de pétrole en Syrie et 20 puits de pétrole en Irak. Si leur nombre a quelque peu diminué avec le retour des forces gouvernementales irakiennes, dans le dernier mois de 2014, les recettes pétrolières quotidiennes de Daech sont estimées à trois millions de dollars. Il perçoit les impôts plus particulièrement auprès des commerçants, estimés à 60 millions de dollars par tête et par mois, Il exige des rançons pour les otages, vend des pièces archéologiques volées et est financé par ses sympathisants dans les pays du golfe et en Europe.

    En sus de l’utilisation de la violence et de la terreur, il utilise d’autres moyens pour gagner la faveur des habitants. Ainsi, après ses massacres commis contre les tribus Chaïtats à Dir Ez Zor, il a distribué le gaz, l’électricité, le carburant et la nourriture, pour obtenir le soutien des habitants sur place et parce que ces régions sont très pauvres. Après qu’il eût mis fin aux vols et puni les « voleurs », il a pu gagner un peu de soutien dans les milieux marginalisés et pauvres. Il a notamment commencé à payer des salaires « très faibles » aux chômeurs, et des salaires de 300 dollars à ses combattants, auxquels qui il assure un logement et la couverture des besoins élémentaires, tandis que la population vit dans des conditions très difficiles. Il est devenu ainsi attractif pour ces groupes socialement marginalisés dont les intérêts de classe n’ont pas trouvé de représentation politique adéquate.

    L’organisation Daech gère et intervient dans tous les détails de la vie quotidienne des gens dans sa capitale de Raqqa et dans les autres régions qu’il contrôle. Ses membres se déplacent – eux seuls ont le droit de porter des armes – dans les rues de Raqqa avec des Kalachnikovs ou des pistolets. Daech a chargé deux forces distinctes des forces de sécurité (la police islamique) du contrôle des femmes et des hommes. La brigade « Al Khansa » est composée de femmes de l’organisation qui portent des armes et ont le droit de fouiller n’importe quelle femme dans la rue tandis que le bataillon « Al Hasba » fait de même avec les hommes. Elles doivent aussi imposer la vision de l’organisation de la législation islamique.

    L’affaire ne se réduit pas à cela. Daech a formé également un gouvernement dont le siège est dans sa capitale de Raqqa, avec les ministres de l’Education, de la Santé, des Ressources hydrauliques et de l’Electricité, des Affaires religieuses et de la Défense, qui occupent les bâtiments qui étaient ceux du gouvernement syrien.

    La majorité des Syriens, dans les régions précitées, considéraient Daech en 2013 comme une organisation « étrangère » et « occupante » où comme l’a dépeint un activiste de Dir Ez Zor : « un mouvement colonisateur, comme Israël a occupé la Palestine avec les colons ». Malgré la persistance de cette approche chez la majorité des gens, Daech a pu trouver un support social important en 2014 dans ces régions, même s’il est resté relativement faible. Ce qui retient l’attention c’est ce sur quoi a insisté un activiste de la ville de Raqqa, sur le site « On égorge Raqqa en silence » que Daech n’avait apporté ni proposé aucune nationalisation ou loi limitant la cupidité des grands commerçants monopolistiques, avec lesquels ils ont de bonnes relations.

    Qu’est-ce que le « daechisme » ?

    Une étude rapide de l’évolution de Daech, en tant qu’organisation sortie de la matrice des courants salafistes jihadistes islamistes, aux orientations hyper réactionnaires, n’est pas suffisante pour expliquer la spécificité idéologique et pratique par rapport à la majorité de ce courant salafiste jihadiste, dont l’organisation la plus importante est celle, terroriste, d’Al Qaïda. Et pour autant ceci montre que l’apparition de Daech constitue premièrement une rupture totale avec ces groupes relevant du salafisme jihadiste, allant jusqu’aux liquidations physiques. Ceci d’une part, et d’autre part une tendance notable à la « daechisation » touche des pans entiers des organisations jihadistes elles-mêmes, dont la plus importante est le front Al- Nosra, qui semble être devenu deux fronts, l’un se rapprochant de Daech de par ses prises de position et pratiques, et l’autre resté fidèle à lui-même. Quant au mouvement d’Ahrar Al Cham il maintient dans une certaine mesure son identité salafiste jihadiste, bien que des brigades en son sein inclinent à adopter le « daechisme ». Mais le pire dans tout cela reste l’allégeance de groupe jihadistes réactionnaires à Daech et à son Califat dans des pays d’Afrique du Nord et dans d’autres régions.

    Certains penseront qu’il n’y a pas d’intérêt politique ou pratique à rechercher une autre caractéristique à Daech. Dans la mesure où il est une composante de la contre révolution réactionnaire. Mais ce phénomène « nouveau » ne peut être compris, comme nous l’avons vu plus haut, hors des conditions matérielles socio-économiques sur lesquelles il repose. Il n’est pas possible de s’y opposer politiquement sans comprendre ces conditions matérielles qui ont conduit à sa constitution et à l’élargissement de son influence, avant de passer à l’élaboration de politiques appropriées pour y faire face, du point de vue des classes exploitées et opprimées, c’est-à-dire d’un point de vue marxiste.

    Il est nécessaire de rappeler encore une fois que dans notre exposé du processus de la genèse de Daech, dans un contexte déterminé, comme force réactionnaire et contre révolutionnaire, et de l’élargissement de son influence en Irak et en Syrie, nous nous sommes concentrés sur le fait qu’une des causes essentielles de son émergence résidait dans les régimes en place eux-mêmes et leurs politiques réactionnaires brutales de marginalisation, sans parler de l’intervention impérialiste. L’occupation américaine de l’Irak, détruisant le reste d’infrastructure et de tissu social, a permis de créer les conditions de développements de tels mouvements. De même, « la guerre contre Daech » depuis de nombreux mois, dans laquelle les Etats Unis sont à la tête d’une alliance impérialiste, ne mènera pas à sa défaite, mais lui attirera des sympathies populaires plus grandes, puisqu’il sera considéré comme affrontant l’impérialisme américain, son premier ennemi.

    Nous pensons que l’approche du processus d’émergence de Daech, de sa spécificité par rapport aux autres mouvements jihadiste traditionnels précités, de cette apparition rapide et « surprenante » dans le cadre d’un processus révolutionnaire, du fait qu’il ait écrasé toutes les expressions de la révolution dans ses zones et ait imposé un mode de vie social et idéologique à ses habitants, la construction de « son Etat » incitent à une approche et à un examen du phénomène Daech à travers l’expérience fasciste, non pas comme cela s’est passé en détail dans les pays d’Europe, mais plutôt dans le cadre des nouveaux mouvements fascistes, dans un concept bien délimité et spécifique. Ce tournant dangereux dans le cours de la révolution syrienne, et dans l’histoire du pays, en a surpris beaucoup, et ainsi « brusquement le destin historique et le destin individuel de milliers d’êtres humains, puis de millions ensuite deviennent un. Les partis politiques ne se sont pas seulement effondrés, mais l’existence de grands groupes humains et leur existence matérielle est un enjeu de doute subitement » selon la description de la montée du fascisme dans le livre de l’intellectuel marxiste révolutionnaire Ernest Mandel, « Les éléments constitutifs de la théorie de Trotsky sur le fascisme ».

    Il est sûr que la définition qu’en a donné le Comintern (stalinien) dans les années trente du siècle passé, est l’acception commune que le fascisme n’est que « le pouvoir du capital financier ». Elle ne s’applique pas pour l’émergence de Daech, comme elle ne suffisait d’ailleurs pas pour interpréter le phénomène du fascisme en Europe, ou les nouveaux mouvements fascistes qui progressent dans les pays européens ou ailleurs.

    Trotsky a été le plus éminent intellectuel marxiste pour son explication et son analyse de l’émergence du fascisme en Europe. Il ne s’est pas contenté de dire que le fascisme « accède au pouvoir porté par la petite bourgeoisie », mais il a fourni une analyse plus approfondie, considérant que les couches sociales sur lesquelles s’appuie le fascisme sont ce qu’il appelle « poussière humaine  », à savoir les artisans et les commerçants des villes, les fonctionnaires, les employés, le personnel technique et l’intelligentsia, les paysans ruinés, selon la définition de Trotsky et on pourrait y ajouter les chômeurs.

    Dans son analyse du fascisme, Trotsky est parti d’une analyse de classe de la société, et d’une compréhension profonde de la loi du développement inégal et combiné où cohabitent des structures de production avec leurs rapports et leurs idéologies héritées des siècles passés avec des structures de production, des rapports et des idéologies plus modernes. Ernest Mandel a résumé dans son livre « Dynamique de la pensée de Trotsky » la compréhension profonde qu’avait Trotsky du phénomène fasciste : «  Trotsky a compris, à l’instar de quelques autres écrivains marxistes (Ernst Bloch, Kurt Tucholsky) la désynchronisation entre formes socio économiques et formes idéologiques, en d’autres termes, que des idées, des sentiments et des représentations très fortes de l’époque pré capitaliste continuent d’exister dans des pans importants de la société bourgeoise (surtout dans les classes moyennes menacées par la paupérisation mais aussi dans des rangs de la bourgeoisie, des intellectuels déclassés, et même dans des franges diverses de la classe ouvrière) ». Mieux que quiconque, Trotsky en a tiré les conclusions socio-politiques : dans des conditions de contradictions socio-économiques de classe croissantes de façon insupportable, des secteurs significatifs des classes et couches précitées – que Trotsky a qualifié avec sagacité de poussière humaine – peuvent fusionner pour former un mouvement de masse puissant qui, fasciné par un leader charismatique et armé par des secteurs de la classe capitaliste et leur appareil d’Etat, peut être utilisé comme un outil pour détruire le mouvement ouvrier, par la terreur sanglante et l’intimidation. »

    Trotsky a également insisté sur ce qui distingue le fascisme du bonapartisme et des autres formes de dictature, à savoir que le fascisme « est une forme spécifique « d’appareil exécutif fort » et de « dictature ouverte » qui se caractérise par la destruction totale de toutes les organisations de la classe ouvrière – y compris les plus modérées, dont les organisations social-démocrates, sans aucun doute. Le fascisme tente d’interdire matériellement toute forme d’auto-défense de la classe ouvrière organisée, par la pulvérisation totale de la classe ouvrière. Arguer du fait que la social-démocratie prépare le terrain au fascisme pour déclarer que la social-démocratie et le fascisme sont des alliés, et bannir toute alliance avec la première contre le second est donc une erreur »

    La caractérisation du phénomène fasciste, en tant que mouvement qui repose sur des masses de la « poussière humaine » s’applique totalement au processus de formation de Daech. Le fascisme se forme en général comme un parti-milices pour combattre l’Etat en place et établir un Etat fasciste. Et les fascistes, selon le chercheur italien Emilio Gentile : « se considèrent comme une élite (aristocratie) d’hommes nouveaux, nés dans la guerre et qui se doivent de prendre le pouvoir, pour renouveler une nation corrompue ». Le fascisme vise à organiser les gens « en tant que masses et non en tant que classes » et le chercheur affirme que les études historiques ont souligné que le fascisme ne cherche pas vraiment comme il l’affirme « à changer le monde, ni la société, mais à changer la nature humaine elle-même » en disciplinant les gens et en utilisant la violence brute.

    En ce sens, seulement, nous pouvons dire que Daech a beaucoup de traits de l’une des nouvelles formes de mouvements fascistes et que l’Etat du Califat est un Etat fasciste, d’un nature particulière dans des circonstances spécifiques.

    Conclusions

    Affirmer que Daech a une caractéristique fasciste, dans des circonstances de destruction et de désintération sociales, pose d’emblée la question des modalités d’intervention des forces révolutionnaires, si l’on considère qu’il s’agit d’un danger mortel pour le mouvement révolutionnaire et populaire. Quelles sont les positions et les formes pratiques de l’affrontement ? D’autre part, cela met à l’ordre du jour immédiat la constitution d’un front uni des forces révolutionnaires démocratiques et de gauche. Il soulève également la question des modalités d’action face à la clique au pouvoir qui écrase et détruit notre peuple et notre pays.

    L’état actuel du processus révolutionnaire en Syrie est très mauvais. La dépression du mouvement populaire est due aux attaques dévastatrices du régime d’Assad, aux massacres et aux déplacements forcés de millions de Syriens, ce qui veut dire que la moitié des Syriens sont aujourd’hui déplacés. S’y ajouter la montée en puissance des forces réactionnaires de la contre révolution, comme Daech, Al-Nosra, et autres aux dépens de l’Armée libre, et la réduction de l’espace du mouvement populaire, y compris dans les zones « libérées » du régime.

    Tout appel au repli, au silence et à la démission à des forces populaires révolutionnaires, qui signifie leur capitulation devant cette attaque féroce des forces diverses de la contre révolution – et qui se combattent entre elles –, serait désastreux et ne ferait qu’aggraver encore plus la situation dégradée de la révolution, au contraire de ce que croient certains. En revanche, nous considérons que la mobilisation des groupes, des coordinations et des organisations révolutionnaires, partout, pour poursuivre les mobilisations, les manifestations et toutes les formes de lutte du mouvement populaire, la résurgence de ce dernier, même s’il est faible et dispersé, c’est ce que nous devons réaliser de toutes nos forces. D’autant plus que le mouvement populaire est toujours vivant et a commencé à recouvrer sa vitalité, même dans les zones contrôlées par les forces jihadistes extrémistes comme le Front Al-Nosra.

    Mais nous avons besoin d’un outil pour réaliser cela. Ce dont nous avons besoin, c’est d’un Front uni des forces révolutionnaires démocratiques et de gauche à même d’élaborer une stratégie d’action combative et centralisée reprenant les revendications de base de la révolution populaire. Dans les zones de l’Armée libre, ou de la résistance populaire armée, l’affrontement avec les forces réactionnaires, par les armes, n’est pas un luxe, mais une question de vie ou de mort pour la révolution et le mouvement populaire, en dépit de son manque d’armes sérieuses. Ce qu’elle a sa à sa disposition sera suffisant si ses forces sont unies sous une direction militaire et politique nationale et centralisée aussi. On ne peut borner la constitution de ce front uni au plan politique, il doit englober le militaire aussi. Et plus particulièrement car l’adversaire principal des forces révolutionnaires n’est pas seulement les forces réactionnaires de la contre révolution, c’est aussi la clique au pouvoir. Il faut toujours garder à l’esprit que la faire tomber est la condition préalable pour abattre ces forces fascistes et réactionnaires. Le maintien de ce régime, même superficiellement modifié, constituerait une défaite écrasante pour la révolution populaire et une victoire manifeste de la contre révolution. Il faut conjuguer nos efforts pour renverser le rapport de forces en faveur des classes populaires qui étaient et sont toujours les forces sociales motrices de la révolution, et en faveur des forces politiques révolutionnaires.

    La guerre impérialiste contre Daech a fourni aux impérialistes et leurs alliés régionaux un prétexte pour « reproduire » le régime d’Assad. Nous avons remarqué un regain des discours en faveur d’une solution politique en Syrie dans les dernier mois, saluée par les pays impérialistes, qui prétendent être amis du peuple syrien et dont le but n’a jamais été d’abattre le régime, mais de le pousser à un changement interne par en haut et une réorientation politique et la destruction des capacités économiques et militaires de la Syrie. De même nous voyons que les gouvernements d’Arabie Saoudite, du Qatar et de pays du Golfe, cœur et bastions de la contre révolution dans la région, avec le gouvernement de la contre révolution en Egypte ont tout mis en œuvre pour vendre cette solution politique pour remettre à flot le régime d’Assad. Tant et si bien que la coalition nationale, leur rejeton, s’est plainte publiquement de l’arrêt du financement saoudien et de pays du Golfe, depuis plus de six mois, afin de la pousser à rejoindre la solution politique maintenant en place le régime. Elle sera probablement amenée à le faire par la suite, compte tenu de sa nature opportuniste et corrompue. Notons qu’elle s’est abstenue de participer à la fin du mois dernier à la réunion de Moscou, à laquelle ont participé des groupes de la dite opposition de l’intérieur pour l’essentiel le Comité de coordination, aux positions ambiguës depuis le début de la révolution et des groupes venant de l’étranger sans poids réel sur le terrain. Moscou, Téhéran et l’Egypte semblent être chargés de parrainer ces tentatives, pour promouvoir la « solution politique » qui émane de démarches dont l’objectif n’est en réalité que de reproduire le régime.

    Nous ne pouvons nous opposer à aucune mesure qui vise à soulager les souffrances des masses populaires, sans pour autant oublier les revendications exprimées dans leur révolution populaire ; la « solution politique » en question impose la vigilance et la prudence des forces de la révolution, et impose de démasquer et dénoncer toute concession de ceux et celles qui sont ou en seront partie prenante dans des négociations de « solution politique » pour maintenir le régime dictatorial. Il faudra aussi combattre toute concession sur les libertés démocratiques, ou la revendication d’édifier un régime démocratique radical sur les ruines du régime dictatorial, ou de marchander les sacrifices des masses populaires pour abattre le régime et construire la Syrie de la liberté, de la démocratie, de l’égalité, de la justice sociale.

    Les marxistes révolutionnaires du courant de la gauche révolutionnaire, dans ce combat aux fronts multiples, sont attelés également à une tâche fondamentale pour laquelle ils oeuvrent sans relâche, à savoir la construction du parti ouvrier révolutionnaire et de masse.

    Ghayath Naïsse

    * Paru dans la revue en langue arabe Révolution permanente n°5, mars 2015.

    http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article34842

  • Sur la situation au Yémen (Lcr.be)

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    Déclaration des organisations marxistes révolutionnaires dans la région arabe

    Le 26 mars 2015 à minuit des avions de combat appartenant à dix pays arabes, et musulmans (Pakistan), commandés par l’Arabie saoudite, ont effectué leurs premiers raids au Yémen. Le prétexte est de faire face à une milice confessionnelle yéménite (les rebelles houthis), liée à un Etat étranger, à savoir la République islamique d’Iran, qui essaye de prendre le contrôle sur l’ensemble du pays, et de faire un coup d’Etat contre l’autorité légitime incarnée par le président de la République Abed Rabbo Mansour Hadi, dont l’intervention n’est soi-disant qu’une réponse favorable à sa requête.

     

    D’une part cette campagne militaire a trouvé un bon écho auprès de gouvernements occidentaux impérialistes, et d’autre part, très particulièrement, elle a suscité une solidarité immense chez la plupart des gouvernements arabes, qui se sont réunis, cette fois, lors d’un sommet tenu à Charm El-Cheikh, avec une hâte surprenante, moins de deux jours après le début des opérations militaires, et qui a été marqué par la présence de la grande majorité de ces gouvernements. En plus de la décision de soutenir l’attaque contre le Yémen, jusqu’à la réalisation des objectifs initiaux, à savoir l’élimination de la rébellion des houthis et leur désarmement en vue de rétablir l’autorité légitime dirigée par le président Hadi, ce sommeil a pris une décision curieuse concernant la constitution d’une force militaire commune pour, d’un côté, faire face à ce que ces gouvernements considèrent un danger qui menace la nation dans son ensemble, et, de l’autre, lui garantir la protection ; en réalité ils visent avant tout la protection des différents régimes en place. Et ce notamment après la recrudescence, au cours des dernières années, de mobilisations populaires à l’échelle de la région arabe-maghrébine visant la destitution de ces régimes.

     

    Ce n’est certes pas la première fois que l’Arabie saoudite s’ingère dans les affaires du Yémen. Déjà dans les années 1960 elle s’est dépêchée pour défendre, avec tous les moyens qu’elle dispose, y compris militaires, le système de l’imamat contre la révolution yéménite, qui bénéficiait de l’appui militaire et financier égyptien, sous le règne nassérien. Il ne faut pas oublier non plus le rôle qu’elle a joué récemment pour contrecarrer le soulèvement pacifique de la population yéménite, et ce, à travers la pression qu’elle a exercé conjointement avec les autres pays du Conseil de coopération du Golfe en vue d’imposer un règlement qui ne va pas au-delà du départ d’Ali Abdullah Saleh du pouvoir, tout en maintenant le régime, sans changements sérieux. C’est ce qui a facilité à ce dernier de permettre aux houthis, en dépit d’une longue lutte contre eux, — et après qu’ils sont devenus ses nouveaux alliés, forts plus particulièrement du soutien iranien et roulant pour l’autorité des mollahs et des ayatollahs et leurs aspirations impériales nationalistes, qui se couvrent d’idéologie religieuse et n’hésitent pas à utiliser les facteurs confessionnels diviseurs pour réaliser leur projet — de prendre le contrôle de la capitale Sanaa il y a quelques mois, puis de la plupart des provinces et régions du Yémen, avant les récents développements spectaculaires que connaît le pays.

     

    Cependant, l’attaque saoudienne en cours contre le Yémen diffère clairement des précédentes. Riyad, ayant bénéficié de l’expérience de l’administration américaine en matière des ses campagnes néo-impérialistes depuis la guerre en Irak en 1991, a impliqué dans ses raids aériens neuf autres pays, dont un au moins non arabe (le Pakistan), et s’est empressé de convoquer tous les pays de la Ligue arabe, à l’exception de la Syrie, au sommet susmentionné. C’est sans doute pour les engager en faveur d’une mobilisation de leurs forces armées dans un guerre terrestre très coûteuse et très complexe, qui sera lancée, probablement, à une date ultérieure, sur le territoire yéménite, et qui durera probablement plusieurs mois, le pays étant caractérisé par ses terrains accidentés et ses montagnes escarpées. Une guerre susceptible de provoquer un conflit civil confessionnel dont l’étincelle, rien ne peut l’exclure, pourrait embraser d’autres pays arabes, et même non arabes. Ceci conjointement avec une course effrénée à l’armement dans la région, tandis que les plus grands bénéficiaires du commerce des armes sont les pays impérialistes et leurs institutions militaires. Sans parler des réactions dangereuses probables dont personne ne peut prédire les implications dans une région qui regorge de richesses inestimables cependant sous domination impérialiste.

     

    Il est par ailleurs évident que les premières victimes de cette attaque sont et seront des civils, qui n’ont rien à voir avec l’une ou l’autres des parties au conflit, et qu’elle causera, en plus des pertes humaines, une dévastation des sites urbains et des infrastructures, et un amenuisement des capacités militaires du peuple yéménite. Ceci concerne un pays parmi les plus pauvres dans la région arabe, mais aussi dans le monde entier.

     

    Enfin, il convient de noter que parmi les décisions prises par les dirigeants arabes lors de leur dernier sommet, il n’y avait aucune qui concerne le peuple palestinien. Bien que ce somment se soit tenu juste après la guerre israélienne contre Gaza, qui a engendré des pertes considérables en vies humaines et en infrastructures, alors qu’une grande majorité de la population venait juste de restaurer ses habitations, détruites lors de guerres d’agression précédentes, en plus du fait que l’ennemi sioniste poursuit sa politique de colonisation accélérée en Cisjordanie et à Jérusalem, avec la démolition des maisons et des constructions, et la destruction au bulldozer de vergers et de terres agricoles palestiniens, ainsi qu’une continuation des mauvais traitements envers les Palestiniens, allant des assassinats à l’emprisonnement ou l’exil forcé… En dépit de tout cela il n’y avait parmi les décisions des dirigeants arabes aucune pour répondre à cette politique, même pas une élémentaire position de principe pour la condamner ou la dénoncer, à défaut de menacer de recourir aux diverses procédures approuvées par le droit international, entre autres l’usage de la dissuasion, l’encouragement des actes de résistance, et la mise à disposition des moyens de les mener au profit d’un peuple sous occupation sans fin, à cause de la trahison et la lâcheté des dirigeants arabes et de la médiocrité de ses propres directions.

     

    En contraste avec la déclaration de guerre contre un pays arabe misérable tel le Yémen, et la décision de former une force militaire arabe unifiée capable de s’engager dans différentes guerres — comprendre qu’elle ne sera pas dirigée contre l’Etat sioniste ou utilisée pour riposter à ses agressions mais dirigée plutôt contre des soulèvements populaires en territoires arabes —, les mesures effectives de solidarité avec le peuple palestinien se sont résumées à verser les tranches dues à l’autorité de l’accord d’Oslo en Cisjordanie !

     

    Les organisations marxistes révolutionnaires signataires de cette déclaration, tout en dénonçant fortement les différents actes d’agression auxquels se sont livrés les houthis, au Yémen, en alliance avec l’appareil militaire toujours contrôlé par l’ancien tyran du Yémen, Ali Abdullah Saleh, et avec le soutien de la République islamique des mollahs d’Iran, condamnent avec les termes les plus forts l’agression récente criminelle et brutale toujours en cours du royaume saoudien et ses alliés, et appellent à la cessation des hostilités de la part des différentes parties concernées et à leur retrait du Yémen avec l’engagement des différents pays étrangers, y compris l’Iran et les divers gouvernements du Golfe, notamment l’Arabie saoudite, de verser des compensations financières en rapport avec les pertes énormes subies par le peuple yéménite ces dernières années, en raison des ingérences agressives de ces gouvernement dans les affaires du Yémen, qui appellent notre condamnation absolue. Nous appelons également à laisser la liberté au peuple yéménite d’exercer son droit à l’autodétermination, et de choisir librement la forme de pouvoir qu’il souhaite sans aucune contrainte ou ingérence étrangères.

     

     

    Non à l’intervention réactionnaire étrangère au Yémen, que ce soit de la part de l’Iran ou de l’Arabie saoudite et ses alliés  

     

    Non à l’ensemble des traitres et des corrompus unis qui se sont réunis à Charm El-Cheikh

     

    Non à l’appui impérialiste à cette nouvelle agression militaire réactionnaire

     

    Non à la guerre civile … Oui au droit du peuple du Yémen à l’autodétermination

     

    Oui à toutes les formes d’aide pour la relance du processus révolutionnaire des masses populaires yéménites

     

    Oui pour l’unité des masses laborieuses de la région arabe, de toutes les nationalités, toutes les confessions

     

     

    Organisations Signataires :

     

    Socialistes révolutionnaires (Egypte) – Mouvement de la Gauche révolutionnaire (Syrie), Union des Communistes en Irak – Courant Al Mounadil-a (Maroc) – Le Forum socialiste (Liban) - Ligue de la Gauche ouvrière (Tunisie)

     

     

    Traduction de l’arabe par Rafik Khalfaoui

     

    Source : http://al-manshour.org/node/6252

    http://www.lcr-lagauche.org/declaration-des-organisations-marxistes-revolutionnaires-dans-la-region-arabe-sur-la-situation-au-yemen/

  • Algérie, le secrétaire général du PST (Essf)

     
     
    « La dynamique de la gauche est de se construire dans les mouvements réels »

    Dans cet entretien, le parti socialiste des travailleurs, par la voix de son secrétaire général, réaffirme ses positions et ses oppositions. De la constitution aux initiatives des partis pour regrouper l’opposition en passant par les questions économiques, le PST ne veut pas dévier d’un iota de la ligne adoptée depuis quelques années.

    Reporters : Pourquoi la gauche aujourd’hui n’est-elle ni visible ni audible sur le terrain. Qu’en est-il réellement ?

    Mahmoud Rachedi : Quel terrain justement (rire). Nous sommes sur le terrain, mais le terrain réel. Nous sommes dans les mouvements étudiants, travailleurs, chômeurs et aux côtés de tous ceux qui luttent pour la justice sociale. Et cela, au niveau de tous les secteurs.

    Maintenant, si vous analysez notre absence à travers les médias, c’est vrai. Nos actions ne sont pas médiatisées. Les journalistes, aujourd’hui, rapportent la mode du moment, les stars et les personnages politiques et ils ne s’intéressent pas aux maux et contestations sociaux. Il y a des partis politiques qui ne représentent absolument rien du tout sur le terrain réel et concret, mais qui sont très visibles sur la presse.

    Et puis, peut-être que vous n’êtes pas bien branché, mais nous avons animé des rencontres avec la presse nationale, des conférences thématiques et topos avec nos militants et nous restons toujours attachés à nos valeurs. Certes, vous pouvez dire que c’est insuffisant pour un parti comme le PST, mais cela est dû à diverses raisons. Y a un autre élément, et vous le savez très bien, nos conférences de presse ne sont pas hautement médiatisées. Il y a aujourd’hui des personnes qui n’existent qu’à travers la presse. Et cela n’est pas notre objectif. Cela ne veut pas dire non plus qu’on n’aime pas être médiatisés, au contraire.

    En fait, même les partis au pouvoir n’existent pas dans la réalité.

    Ils existent qu’à travers les institutions de l’Etat et des élections antidémocratiques. Ce que je veux dire, c’est que le phénomène n’est pas propre à la gauche ou autre courant politique, mais c’est un constat qui s’applique sur tout le monde.

    La dynamique de la gauche est de se construire dans les mouvements réels. Nous avons organisé un rassemblement de soutien à la population d’In Salah bien avant que des partis aillent se mettre au-devant d’une manifestation à laquelle ils n’ont jamais travaillé ou construit. Sur la dernière grève qui a secoué le secteur de l’éducation, plusieurs de nos cadres étaient même des meneurs. On est impliqués dans les luttes réelles !

    Il y a aujourd’hui des velléités de rassemblement pour le changement en Algérie.

    La CLTD appelle à une élection présidentielles anticipée pour une transition démocratique le FFS appelle, quant à lui, à la reconstruction d’un consensus national. Le PST ne s’est affiché avec aucune partie… En ce qui concerne de la CLTD qui s’est constituée au lendemain de la « réélection » de Bouteflika pour un quatrième mandat, des partis politiques ont décidé de se rassembler, de discuter et de préparer ce qu’ils ont appelé plus tard la réunion de Zéralda. 24 h avant, on nous adresse une invitation pour y assister. Pour une plate-forme démocratique, on aurait aimé être associé et concerté à l’avance. Et ce n’est pas au moment de rendre publique devant la presse leur plate-forme qu’on invite un parti.

    Ce que je veux dire par là, c’est que ça ne nous intéresse pas d’y aller juste pour remplir la salle en servant de décor et applaudir leur plate-forme. Cela dit, si l’invitation avait été faite dans les normes, on aurait assisté par principe au combat démocratique. Et puis dans la plate-forme de Mazafran, ils dénoncent les grèves, or un front démocratique est censé défendre et consolider les grèves. De plus, leur concept de transition démocratique ne prévoit à aucun moment le peuple.

    C’est dire que dans leur philosophie, ce sont les partis politiques qui négocient avec le pouvoir. Inadmissible ! C’est comme si le peuple algérien n’était pas concerné, alors que la souveraineté est censée lui revenir. Nous combattons pour la démocratie et pour que le peuple puisse s’exprimer en toute liberté.

    Quid du FFS ?

    S’agissant du FFS qui appelle à un consensus national, c’est-à-dire trouver un consensus entre les différentes parties, il a demandé à nous voir, et nous l’avons reçu pour exposer sa démarche. Sur le principe, que ce soit avec la CLTD ou le FFS, au PST on est partant quand il s’agit d’un front démocratique, car il y a ce qu’on partage ensemble, comme la question de la femme, les libertés, tamazight… Mais quand il s’agit des questions sociales, on est certainement différents.

    Contrairement à eux, nous, on est anti-impérialiste et anticapitaliste.

    Le FFS nous a dit qu’il allait associer le pouvoir à sa démarche, nous lui avons dit que s’il s’agit d’un front, nous allons le constituer, mais dans ce cas on aura des exigences. Si le pouvoir veut s’associer pour trouver une solution démocratique, ce dernier doit montrer un minimum de volonté. C’est quoi ? Il doit lever toutes les entraves à l’exercice des libertés démocratiques en Algérie. C’est une condition sine qua non, le gel de tous les grands projets qui hypothèquent l’avenir de l’Algérie : le Code du travail, le Code sur la santé et l’adhésion de l’Algérie à l’OMC. Car on ne peut pas négocier avec un pouvoir qui nous interdit de manifester.

    Le débat économique est aujourd’hui saturé par les inquiétudes sur l’avenir énergétique du pays et le recours au schiste. Etes-vous pour ou contre l’exploitation de cette énergie non conventionnelle ?

    Nous nous sommes exprimés depuis longtemps sur cette question. Le système capitaliste et à l’échelle mondiale a atteint dans son développement une étape où la destruction de la planète est réelle. Le réchauffement de la planète et la crise écologique dans le monde sont devenus une réalité. Maintenant, sur l’exploitation du schiste, au PST même pour les hydrocarbures conventionnels, nous sommes contre une exploitation effrénée. Et nous plaidons pour des énergies alternatives, notamment dans le renouvelable pour préserver un minimum d’équilibre écologique.

    Pour le gaz de schiste, il y a un certain nombre de pays et d’experts qui disent qu’il y a danger pour son exploitation. Il y en a d’autres qui disent le contraire. Tant mieux. Et du moment qu’il y a ces deux thèses, on exige au moins qu’il y ait une transparence dans un débat large et national sur la question. Car, ça concerne les Algériens, c’est leur destin et leur avenir, et non pas Total ou autres multinationales américaines.

    Nous ne sommes pas des experts pour dire de manière catégorique non il y a danger sur les nappes albiennes ou autre chose, mais nous sommes un parti qui exige un débat politique. On est pour un référendum, on veut que le peuple algérien soit souverain sur des questions qui engagent son avenir. Et le développement ne se fera pas avec le schiste, mais dans les énergies alternatives, comme le solaire et l’halieutique.

    Il y a un débat sur le secteur public et son incompétence à relever les défis, surtout économiques. Pourquoi et que préconise le PST pour sa réhabilitation ?

    Je démens la thèse qui soutient que ça ne marche pas dans le secteur public. Ça marche bien et plus que la propagande le dit. Car il y a des préparatifs pour privatiser le tissu qui reste. De prime abord, la gratuité est un acquis arraché de longue lutte. Il faut dire qu’il y a un manque d’infrastructures destinées au service public. Si on prend l’exemple du secteur de la santé, il est clair que l’effectif ne répond pas au flux des patients et malades, et donc il est tout à fait normal que la qualité ne soit pas bonne et efficace. Mais cela n’est pas dû à la gratuité, car cette dernière est censée permettre à tous les Algériens de se soigner en leur assurant une bonne qualité, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. En Algérie, il y a une volonté de marchandisation et c’est ce qui est grave et dangereux à nos yeux.

    A chaque fois, il y a propagande sur tel ou tel secteur dont le but escompté est de le privatiser, comme c’était le cas avec Naftal et qui s’est avéré par la suite que c’est Qatari Wouqoud qui veut s’installer en Algérie et privatiser Naftal. Et je tiens à préciser que les multinationales ne créent aucun emploi ou autre avantage comme on le dit, elles sont là pour s’enrichir sur le dos des travailleurs, avec bien évidemment leurs relais au pouvoir, sinon d’où vient l’argent dont les comptes révélés dernièrement par la presse sur les ministres et dirigeants algériens, si ce n’est pas l’argent du peuple ?

    Que reste-t-il du secteur public ?

    Il est détruit depuis les accords avec le FMI et l’accélération de cette spirale du libéralisme. J’ajoute que dans les années 1990, on a détruit tout le secteur du bâtiment et 500 000 travailleurs ont été mis dehors. Où sont-elles les entreprises communales, de daïras et de wilayas ? Et le ministre de l’Habitat vient aujourd’hui nous dire qu’on n’a pas d’entreprises suffisantes pour construire les logements !

    Il est impératif de défendre le secteur public.

    Et ce qui est logique, l’argent public doit aller au secteur public. Le secteur public existe, on doit le préserver, le moderniser et lui assurer des outils de travail adéquats et l’Etat doit investir dans son élargissement. Et l’Etat ne doit pas se retirer du commerce extérieur, et j’en veux pour preuve que dès qu’il s’est retiré pour laisser champ libre aux importateurs, on a atteint 60 milliards de dollars d’importation, car, il ne faut pas se voiler la face, le privé pense qu’à gagner et s’enrichir, l’économie nationale et son épanouissement viennent en second plan.

    Nous allons vers la révision constitutionnelle. Quel est votre commentaire ?

    Tout d’abord, je signale que nous n’avons pas pris part aux consultations sur la Constitution initiées par Ouyahia, mais nous avons adressé un mémorandum à la présidence de la République pour exposer notre vision des choses. Si la démarche du pouvoir va jusqu’au bout, ça sera tout simplement un passage en force. Il est regrettable que les avis divergents portés par des hommes du gouvernement s’affichent à la télévision ! C’est comme si la Loi fondamentale du pays ne concerne par le peuple en premier lieu, mais juste quelques personnes. C’est du théâtre !

    Ce qu’on dit nous, c’est que le peuple algérien doit se battre pour une autre Constitution issue d’une Assemblée nationale constituante et d’un projet de société garantissant les libertés, l’égalité des sexes, la justice sociale et le libre choix économique du peuple, dont l’Assemblée constituante sera l’émanation de la seule volonté des masses populaires.

    RECHIDI Mahmoud

    * Reporters

    http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article34762

    Commentaire: Le PST est notre "parti frère" en Algérie, le PT est (était?) lié au POI

  • Contre DAESH et Al-Assad (Lcr.be)

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    Appel urgent à la solidarité internationale avec les populations syrienne et kurde

    La situation en Syrie reste dramatique. Le pouvoir dictatorial continue à massacrer son peuple sans gêne, les groupes terroristes djihadistes continuent à semer la mort là où ils passent. Quant aux populations civiles, tant syrienne que kurde, piégées entre ces groupements d’hommes armés, elles sont condamnées à payer un lourd tribu pour avoir réclamé la liberté et la justice sociale.

    La solidarité internationale tarde à se manifester.

    Le bilan de la dernière attaque des escadrons de la mort de l’Etat islamique (DAESH) les 30 et 31 mars dernier contre le village de Maboujah, dans la banlieue est de Salmyah à Hama, fait état d’une cinquantaine de morts dont des femmes et des enfants et de dizaines de blessés.

    Les groupes terroristes ont attaqué le petit village de plusieurs endroits et se sont acharnés sur les humbles citoyens laissés pour compte. Ils ont exécuté plusieurs personnes sur-le-champ, dont certaines battues à mort ou brûlées vives, avant de se livrer au pillage de dizaines d’habitations, mettant le feu à plusieurs autres. Ils ont ensuite emporté plusieurs femmes avec eux.

    Les populations des villes et villages rebelles vivent toujours sous la menace des incursions des groupes terroristes ou des bombardements aveugles du régime sur des quartiers d’habitation. Ces jours-ci elles redoutent que le scénario de Maboujah ne se reproduise à Salmyah. Déjà le mois de mars dernier les groupes terroristes ont attaqué la localité d’al-Qanafez dans la banlieue est de Salmyah ; cette incursion s’est soldée par plusieurs morts et blessés.

    Après quatre années du déclenchement de la révolution syrienne, l’on comptabilise 215 518 morts dont le tiers sont des civils parmi lesquels plus de 10 000 enfants . Il y a plus de 3 millions de réfugiés et presque un tiers de la population totale (soit plus de 6,5 millions de personnes) est déplacée dans son propre pays. Les réfugiés syriens survivent dans des conditions très précaires et manquent de tout. Ceux qui ont réussi à atteindre le continent européen sont confrontés à des obstacles énormes pour obtenir l’asile et la protection quand ils ne sont pas contraints au retour forcé, et leur situation dans les pays voisins (Liban, Egypte…) n’est pas meilleure.

    Les puissances internationales et leurs alliés dans la région sont scandaleusement engagés aux côtés du régime dictatorial d’Al Assad, ou dans les meilleurs des cas sont en train de chercher une « sortie politique » dont Assad et son régime feraient partie, alors que leurs armes parviennent facilement entre les mains des divers groupes terroristes qu’ils entendent combattre ! Ces dernières semaines, tout le monde en est bien informé, les puissances impérialistes et leurs alliés dans la régions s’inquiètent plus de la situation au Yémen et de la « montée en puissance » des houthis plus que de l’expansion de DAESH qui a mis sous son contrôle des pans entiers des territoires syrien et irakien, réduit en esclavage des milliers de personnes, surtout des femmes, et menace d’égorger d’autres populations.

    Suite au massacre terrible dans la village de Maboujah, des militants révolutionnaires et des activistes de la banlieue et la ville de Salmyah qui craignent pour leur sécurité et celle de leurs familles ont lancé un appel à toutes les forces progressistes pour qu’ils affirment leur solidarité et leur soutien au peuple syrien et à ses aspirations justes.

    Plus que jamais, les militant.e.s et les organisations révolutionnaires et progressistes et les peuples du monde entier doivent affirmer leur solidarité avec la lutte et la résistance des masses populaires syriennes qui se sont soulevées pour la dignité, la liberté et la justice sociale. Seule la solidarité internationale peut aider à relancer le processus révolutionnaire.

    Nous appelons à construire cette solidarité afin de consolider la lutte contre le régime dictatorial d’Al-Assad et ses alliés dans la région et ailleurs et contre les groupes djihadistes obscurantistes jusqu’à leur démantèlement.

    A bas le régime dictatorial !

    A bas les groupes djihadistes terroristes ennemis de l’émancipation de peuples.

    Oui à toutes les formes d’aide pour l’auto-organisation et l’autodéfense des masses populaires syriennes !

    Oui à toutes les formes d’aide et de solidarité pour la relance du processus révolutionnaire !

    Vive la solidarité internationale !

    Le secrétariat national de la LCR-SAP

    —————————-

    L’Association Solidarité Syrie (association enregistrée en France) a pour objectif d’apporter son aide au Courant de la Gauche Révolutionnaire.

    Coordonnées du compte de l’association:
    SOLIDARITE SYRIE
    LIEU DIT LA VOLINIERE
    27270 ST AUBIN DU THENNEY FRANCE
    CAISSE D’EPARGNE NORMANDIE
    c/ETABL.: 11425
    c/Guichet: 00900
    n/compte:08000936276
    c/Rib: 67
    BIC / CEPARFPP142
    FR76 1142 5009 0008 0009 3627 667

    http://www.lcr-lagauche.org/contre-daesh-et-al-assad-appel-urgent-a-la-solidarite-internationale-avec-les-populations-syrienne-et-kurde/

     

     

     

  • Tunisie : la dette, un instrument de domination néocoloniale (Essf)

    En Tunisie, nous sommes accablés par cette plaie qu’est la dette. On a fait une révolution, mais la dette est toujours là.

    Aujourd’hui la Tunisie est en crise et dans l’impasse. Elle est en quelque sorte coincée par deux intégrismes : l’intégrisme religieux, et l’intégrisme du néolibéralisme qui a fait tant de de mal au peuple tunisien, qui l’a saignée à blanc, notamment à cause de la dette. La dette est un outil de pillage, mais c’est aussi un outil de domination politique. A travers la dette, les multinationales et les Etats impérialistes imposent un régime néocolonial. Ils remettent en cause notre souveraineté nationale et nous empêchent d’avancer vers l’émancipation sociale.

    A en juger par le mécontentement actuel, la rage qui existe dans le cœur des Tunsien-ne-s, on est en droit de se demander si nous n’allons pas vers une seconde révolution.

    En ce moment, il y a par exemple un mouvement de grève très important des enseignants du second degré. Ils sont 90 000 et ont fait une série de grèves de 48 heures, et ils ont ensuite refusé de faire passer les examens trimestriels. La dernière Commission administrative de leur syndicat UGTT a décidé d’appeler à boycotter également les examens du troisième trimestre, ainsi que les examens nationaux si leurs revendications n’étaient pas satisfaites. J’ai cité ce mouvement social pour montrer combien les Tunisiens aspirent au changement. Il s’agit d’un désir énorme qu’ils ont exprimé à plusieurs reprises. Mais la dictature de la dette est là. L’économie et la société tunisienne ont été restructurées de façon à rendre le pays adict à la dette. Ce système qui nous a été imposé nous a fait beaucoup de mal, il a causé beaucoup de ravages sociaux.


    Il nous a été imposé par l’Union européenne qui impose sa dictature.

    La Commission européenne décide à la place des Tunisien-ne-s : la Commission donne ses ordres et le gouvernement les exécute. Le gouvernement actuel ne fait que gérer les affaires courantes :
    La Commission européenne ne se cache même plus lorsqu’elle donne des ordres au gouvernement tunisien, en se moquant royalement de l’expression démocratique des citoyens tunisiens.
    Le FMI, la Banque mondiale et la Banque africaine de développement sont autant d’instruments de domination. Ils disent tous dans leurs discours qu’ils sont pour l’aide, les réformes, leur désir de faciliter la transition démocratique. Mais ils sont les premiers à leur barrer la route.

    Nous menons la bataille contre la dette depuis le départ du dictateur.

    Nous disons aux Tunisiens que Ben Ali n’était qu’un paravent qui cachait la vraie dictature.
    Aujourd’hui, avec ses 15 députés, le Front populaire continue cette lutte, et l’opinion publique, les classes laborieuses et la jeunesse s’approprient cette question.

    A l’image de la Grèce et peut-être un peu plus encore car nous subissons cette dictature néolibérale de la dette depuis 29 ans.

    La Tunisie est aujourd’hui à la croisée des chemins :


    - ou bien ce sera l’impasse, et tous le dangers comme on l’a vu avec le terrible attentat terroriste du 18 mars dernier,
    - ou bien ce sera l’alternative, en avançant dans ce changement que veut la grande majorité des Tunsien-ne-s.


    Et nous sommes déterminés à faire triompher cette deuxième voie, comme l’étions face à la dictature de Ben Ali. Nous sommes décidés à ôter de notre route tous les barrages qui l’obstruent, en commençant par la dictature que nous impose la Commission européenne.

     

    CHAMKHI Fathi  26 mars 2015

     

    * Fathi est député du Front populaire, militant de la LGO, et animateur de RAID (Attac et Cadtm en Tunisie).
    Propos transcrits par Dominique Lerouge

    http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article34632

  • Tunisie, la « normalisation » est lancée (Npa)

    Le 5 février, le Parlement issu des élections du 26 octobre 2014 a voté la confiance au nouveau gouvernement à une écrasante majorité de 81,5 %.

    Un gouvernement pour tenter d’enterrer la révolution

    Le profil des principaux membres du gouvernement résume à lui seul sa fonction : tenter de « refermer la parenthèse révolutionnaire ouverte le 14 janvier 2011 ».
    Au-dessus de l’édifice trône le président de la République Beji Caïd Essebsi, fondateur en 2012 de Nidaa Tounes : sorte de monarque républicain, c’est sur lui que reposent toutes les décisions importantes. Ministre de la Défense puis de l’Intérieur sous Bourguiba (1), il incarne avant tout la volonté de maintenir l’ordre bourgeois. Fonction qu’il a notamment remplie en 2011 comme Premier ministre, du 27 février à la fin décembre (2).


    Sous ses ordres directs, se trouve le Premier ministre Habib Essid qui a participé au pouvoir sous Ben Ali, Essebsi, puis sous les islamistes (3). Ancien magistrat, le ministre de l’Intérieur a également été un serviteur zélé des régimes de Ben Ali et d’Ennahdha (4).
    Symbolisant le « compromis historique » réalisé entre les néolibéraux « modernistes » de Nidaa et les islamistes d’Ennahdha, un ministère (5) a été accordé à Zied Laâdhari, le porte-parole d’Ennahdha. Il est flanqué de trois secrétaires d’État de son parti.
    Incarnant une certaine continuité avec le régime de Ben Ali, on trouve également dans ce gouvernement trois ministres du parti UPL de l’affairiste douteux Slim Riahi (6) et trois ministres du parti ultra-libéral Afek Tounes.

     

    Ce gouvernement comporte au total 42 membres, dont un peu moins de la moitié représentent officiellement des partis politiques : Nidaa (19 %), Ennahdha (9,5 %), UPL (7,1 %), Afek Tounes (7,1 %) et FSN (2,4 %). Les autres ministres sont répertoriés comme « indépendants ».

    À propos du nouveau gouvernement, quelques commentaires de la gauche tunisienne :

    Ligue de la gauche ouvrière (7) communiqué du 28 décembre 2014 : « La Ligue de la gauche ouvrière (LGO) refuse de participer au gouvernement de la majorité parlementaire, non seulement à cause de l’alliance prévue entre Ennahdha et Nidaa Tounes avec la participation des islamistes au gouvernement, mais surtout en termes de rejet du programme économique et social hostile aux intérêts des larges masses comme il a été constaté dans le budget désastreux dernièrement adopté par l’Assemblée. La Ligue de la gauche ouvrière refuse d’accorder sa confiance à la composition gouvernementale attendue parce que son programme et ses composantes ne travailleront que pour restaurer l’ancien régime dans ses grands choix et orientations. La LGO appelle les députés du Front populaire à la nécessité de s’éloigner de la logique des polarisations politiques imaginaires entre Nidaa Tounes et Ennahdha au sein et en dehors du Parlement ».

    Hamma Hammami (Parti des travailleurs et porte-parole du Front populaire) (8) : « Certaines personnes accusées dans des affaires de terrorisme et d’assassinats, font partie du gouvernement Essid. Le militantisme se poursuit afin de révéler la vérité autour de l’assassinat de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, ainsi que la vérité concernant les affaires du terrorisme et des martyrs de la révolution. »

    Zied Lakhdhar (PPDU et Front populaire) (9) : « Dans le partage des ministères, là où il n’y a pas un représentant de Nidaa Tounes, il y a un représentant d’Ennahdha ou d’une formation politique proche de ce parti, comme si on voulait bien se garder d’ouvrir certains dossiers pas très catholiques de la troïka dans les domaines de l’agriculture, de l’équipement, de l’industrie, de la santé et des domaines de l’État. Pour cela, chaque ministre de Nidaa Tounes a été flanqué d’un secrétaire d’État d’Ennahdha ou proche de ce parti, tels la santé, l’agriculture, etc. »

    Mbarka Brahmi (Courant populaire et Front populaire) (10) : « Sur le fond et la forme, ce gouvernement représente une alliance entre les forces libérales, des personnalités de l’ancien régime et des restes de la troïka ».

    Zouhaier Maghzaoui (Mouvement du peuple) (11), les Tunisiens sont victimes d’une tromperie de la part d’Ennahdha et de Nidaa : « Tout au long de leurs campagnes électorales, ils se présentaient aux électeurs comme ennemis alors qu’aujourd’hui ils se retrouvent côte à côte au sein du même gouvernement ».

    Fathi Chamkhi (LGO et Front populaire) : « Qu’ils se réclament du ‘modernisme’, de l’islamisme ou franchement du libéralisme, ils n’ont en fait que des divergences de façade. Ils le savent très bien ! Aucun n’a véritablement de programme, encore moins un projet pour cette Tunisie qui a rejeté l’austérité et les restructurations néolibérales, et qui continue de refuser d’en supporter les frais. Ce qui compte pour eux, c’est de convaincre les vrais maîtres de la Tunisie, à savoir le capital étranger, qu’ils représentent une alternative viable à l’ancien pouvoir dictatorial. Il va de soi qu’ils poursuivent sa politique néolibérale, sans se soucier du droit des Tunisiens à disposer librement d’eux-mêmes. Leurs divergences de façade sont en train de passer à la trappe. Fini pour Nidaa les appels à l’alliance large des démocrates pour la défense de la ‘société civile’ contre ‘la menace islamiste’, qui lui ont permis de se construire puis de gagner les élections. Fini aussi, les discours du parti islamiste sur la nécessité de défendre la révolution contre les représentants de l’ancien pouvoir de Ben Ali. Une fois les élections passées, les masques sont tombés. L’heure est à ‘l’union sacrée’. Il est clair que les différentes expressions de la contre-révolution se préparent, en s’unissant, à passer à la contre-offensive contre les classes laborieuses et la jeunesse qui revendiquent une vie meilleure et un avenir ». (12)

    A propos du nouveau ministre de l’Intérieur

    Le nouveau ministre de l’Intérieur est considéré comme le symbole de la volonté de « normalisation » du nouveau gouvernement.

    * Kalthoum Kannou (Association des magistrats de Tunisie) : la nomination de Najem Gharsalli comme ministre de l’Intérieur « est le pire choix que pouvait faire Habib Essid », car il « a joué un rôle sous la dictature dans le harcèlement des juges honnêtes » (13).

    * Ahmed Seddik (Mouvement Baath et Front populaire) (14), « Le nouveau ministre de l’Intérieur dans le gouvernement Habib Essid, Najem Gharsalli n’est pas habilité à se voir confier le dossier des assassinats politiques. Najem Gharsalli est impliqué, sous l’ancien régime, dans de graves violations des droits de l’homme, s’agissant notamment de la transgression des droits des magistrats au rassemblement et à l’expression ainsi que sa tentative de renverser les structures légitimes de l’Association des magistrats de Tunisie. »

    * Mbarka Brahmi (Courant populaire et Front populaire) : « Najem Gharsalli a été désigné pour assurer la sécurité des Tunisiens, mais on ne peut lui confier la sécurité des Tunisiens sachant qu’il sera difficile pour lui de dévoiler les assassins des martyrs Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi ».

    À propos de la politique économique et sociale du gouvernement.

    Fathi Chamkhi (LGO et Front populaire) met les points sur les « i » : « Le train est déjà lancé ! Il poursuit dans la même voie sans issue, tout en essayant d’aller plus vite. Concrètement, le gouvernement veut poursuivre la mise en œuvre du second Plan d’ajustement structurel dicté par le FMI et la Banque mondiale, ainsi que des nouveaux accords de libre-échange avec l’Union européenne. L’holocauste social va se poursuivre, ce qui risque fort de rendre, de nouveau, la situation explosive ».

    Le « compromis historique »

    Après avoir passé leur temps à se diaboliser mutuellement pendant près de trois ans, Essebsi et Ghannouchi (respectivement présidents de Nidaa et d’Ennahdha) sont passés aux choses sérieuses dès les lendemains du deuxième tour des élections présidentielles (15). Les prémisses d’une alliance finale entre Nidaa et Ennahdha étaient en fait visibles depuis l’été 2013 : aux lendemains de l’assassinat de Mohamed Brahmi les présidents de Nidaa et d’Ennahdha avaient en effet fait le voyage à Paris pour une rencontre dont il avait été dit qu’elle était censée demeurer secrète. Par la suite, d’autres rencontres avaient suivi. Un deuxième indice de cette orientation avait consisté pour Ennahdha à ne pas présenter de candidat aux élections présidentielles contre Essebsi, et à prêcher la « neutralité » lors du vote. En agissant ainsi, la direction d’Ennahdha ouvrait la porte à une participation au futur gouvernement.

    Certes, Nidaa Tounes et Ennahdha se sont longtemps opposés sur certains sujets comme les rapports entre la religion et l’État, ou sur les droits des femmes et leur place dans la société. Mais chacun des deux partis a fait le constat qu’il était dans l’incapacité d’éliminer l’autre comme le prouvent les résultats des élections législatives : malgré son impopularité suite aux deux années passées au pouvoir, Ennahdha n’a obtenu que 7,8 % de députés de moins que Nidaa.
    Par contre, sur le plan économique et social rien de fondamental ne les différencie. Et visiblement, ce qui les unit a été plus important que ce qui a pu les diviser. Un tel rapprochement entre les deux frères ennemis s’est naturellement fait sous l’œil bienveillant, voire les pressions plus ou moins amicales, des grandes puissances et des institutions internationales.

    La seule chose qui avait empêché les deux vieux renards de mettre en œuvre trop rapidement ce projet de « compromis historique » était les remous qu’une telle politique était susceptible d’entraîner dans leurs partis respectifs. L’un comme l’autre avaient besoin de temps pour y limiter la casse. Simultanément, les dirigeants des deux partis chauffaient à blanc leurs bases respectives pour les rassurer et améliorer avant les législatives leur rapport de forces électoral réciproque.

    Le choix du roi

    Une grande partie de celles et ceux qui avaient voté pour Nidaa Tounes aux législatives, puis pour Beji Caïd Essebsi aux présidentielles y présentaient ce choix comme un moyen efficace de « se débarrasser une bonne fois pour toutes d’Ennahdha et de son allié Marzouki ». Ils en ont été pour leurs frais.
    Du côté de Nidaa, la participation d’Ennahdha au gouvernement a été difficile à faire avaler, notamment parmi les femmes. Fathi Chamkhi explique : « Beaucoup, surtout parmi celles et ceux qui ont voté pour Nidaa, se sentent trahis par cette alliance qui réinstalle au gouvernement les islamistes qu’ils voulaient écarter, en votant pour Nidaa. L’argument du “vote utile” contre le “danger islamiste” avait permis à Nidaa de siphonner les voix de plusieurs partis, ainsi que d’une partie de celles du Front populaire » (16).


    D’après un responsable de Nidaa, près de 80 % des députés de ce parti étaient à la mi-janvier opposés à la participation d’Ennahdha au gouvernement (17). Il en allait de même pour 90 % du Bureau exécutif (18). Mais Essebsi a décidé le contraire et en final, le 5 février, un seul député de Nidaa a voté contre la confiance au gouvernement incluant des islamistes (19).


    En agissant ainsi, Essebsi voulait pouvoir disposer des voix d’Ennahdha qui, avec 69 députés, représentent 32 % de l’Assemblée. Il espère ainsi mettre la majorité parlementaire à l’abri des sautes d’humeur de ses différentes composantes, et cela d’autant plus que :


    • La majorité des deux tiers lui sera nécessaire pour faire adopter certaines lois devant être mises en conformité avec la Constitution votée en janvier 2014 ;
    • Le gouvernement devra être suffisamment solide pour affronter les mobilisations sociales suscitées par la mise en œuvre des mesures néo-libérales dictées par le FMI et la Banque mondiale.

    Les raisons de la direction d’Ennahdha

    Si les dirigeants d’Ennahdha ont décidé de prêter allégeance à Essebsi qu’ils avaient auparavant farouchement combattu (20), c’est avant tout parce que les islamistes voulaient absolument garder une place, même modeste, au sein de l’exécutif. En agissant ainsi, ils entendent se prémunir contre le sort qu’ont subi leurs cousins égyptiens. Ils espèrent également pérenniser les nombreux emplois dans les administrations qu’ils ont procurés à leur clientèle pendant les deux années où ils ont été au pouvoir.
    Être au gouvernement devrait également faciliter l’étouffement d’une partie au moins des exactions auxquelles ils sont liés : multiples voies de fait des milices islamistes, répression à la chevrotine du soulèvement de Siliana, attaque du siège national de l’UGTT, assassinats de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, etc.

    Le prix à payer pour un tel retournement est élevé dans les rangs d’Ennahdha. Une grande partie de ses membres et de son électorat voulait voter pour un candidat d’Ennahdha aux présidentielles. Ils ont refusé la consigne de « neutralité » et ont activement fait campagne pour Marzouki.
    Fathi Chamkhi commente : « Ennahdha assiste impuissante au rétrécissement de sa base électorale. Son discours idéologique, qui lui avait permis de gagner les élections de 2011, est en train de tomber en lambeaux. Après son échec au pouvoir, son alliance avec Nidaa lui ôte toute crédibilité aux yeux de larges couches des classes populaires qui étaient tombées, il y a trois ans, sous le charme de l’idéologie islamiste. »


    Certaines figures historiques, comme l’ancien secrétaire général et ancien Premier ministre Hamadi Jebali, ont claqué la porte. Mais, finalement, aucun député d’Ennahdha n’a voté contre la confiance au gouvernement (21).

    Lors du vote de confiance du 5 février, l’opposition parlementaire a regroupé 18,6 % députés (22) :
    • 9,3 % représentent l’opposition de gauche au gouvernement : essentiellement le Front populaire, plus le Mouvement du peuple (nassérien), le député du MDS et le député indépendant Adnen Hajji. Tous ont voté contre la confiance au gouvernement,
    • 4,9 % sont issus de la « troïka » au pouvoir en 2012-2013 : d’une part le CPR de Marzouki et le Courant démocratique (scission de 2013 du CPR) qui ont voté contre la confiance ; d’autre part les dissidents d’Ennahdha qui se sont abstenus.
    • 2,5 % sont des dissidents de Nidaa : l’un d’entre eux a voté contre la confiance, les autres se sont abstenus.

    Le positionnement du Front populaire

    Cette coalition, qui fonctionne au consensus, regroupe la plupart des forces de gauche et nationalistes arabes. Elle s’était constituée à l’automne 2012 sur la base du double refus des politiques d’Ennahdha et de Nidaa (23). Au lendemain de l’assassinat de Mohamed Brahmi (un des dirigeants nationaux du Front populaire), le 25 juillet 2013, le Front populaire avait néanmoins participé à un éphémère Front de salut national aux côtés de Nidaa Tounes, ce qui l’avait momentanément affaibli (24).

    Le Front a néanmoins réussi par la suite à franchir successivement plusieurs épreuves :


    • Refuser en janvier 2014 de voter la confiance au gouvernement qui a succédé à celui des islamistes du CPR et des sociaux-démocrates d’Ettakatol (25) ;
    • Parvenir à un consensus sur les têtes de liste aux élections législatives du 26 octobre ;
    • Multiplier par 2,5 le nombre de ses députés à l’Assemblée (26) ;
    • Multiplier ensuite au premier tour des présidentielles par 2,4 le pourcentage de voix obtenu aux législatives ;
    • Affirmer la nécessité de combattre à la fois Nidaa et le duo Ennahdha-Marzouki (au pouvoir en en 2012 et 2013), contrairement à ce que voulaient les partisans du « tout sauf Ennahdha et son allié Marzouki » (27) ;
    • Combattre le budget d’austérité et refuser de le voter à l’Assemblée (28) ;
    • Refuser de voter la confiance au nouveau gouvernement, et à plus forte raison d’y participer.

    Parvenir à un consensus sur ces différents points n’était pas joué d’avance étant donné l’hétérogénéité du Front, les différentes trajectoires politiques de ses composantes, certaines méfiances héritées du passé et le souvenir de l’explosion de la première expérience de regroupement intervenu dans la foulée du 14 janvier 2011.

    Politiquement, le défi posé au Front était simultanément de :


    • Ne pas se laisser satelliser par Nidaa ;
    • Mettre en échec les manœuvres de Nidaa qui voulait pouvoir justifier son revirement en affirmant fallacieusement que c’était le refus du Front populaire de s’allier à eux qui les aurait contraints à se tourner vers les islamistes pour constituer une majorité au Parlement (29) ;
    • Tenir un discours compréhensible par une partie de l’électorat et des militants du Front qui penchait pour un appel à voter Essebsi au deuxième tour des présidentielles, ainsi que pour l’abstention – voire même le vote favorable – lors du vote de confiance au futur gouvernement.

    Après de longs débats internes, le refus du Front populaire de participer au gouvernement et de voter la confiance a reposé sur trois arguments complémentaires :


    • Le refus de la présence de représentants d’Ennahdha ;
    • Le refus de la présence de symboles marquants de l’ancien régime ;
    • L’incompatibilité entre le programme du Front et celui du nouveau gouvernement.

    Jeudi 5 février en votant à l’unanimité contre la confiance au nouveau gouvernement, le Front populaire s’est affirmé comme le pivot de l’opposition politique de gauche au gouvernement.

    Un bilan d’étape du Front populaire

    Dans une interview du 8 février, Fathi Chamkhi explique notamment (30) :

    « Dans une situation de crise sociale grave, avoir 15 députés sur 217 (soit moins de 7 %), ce n’est pas assez. Je considère cela comme une défaite. Nous sommes largement derrière Nidaa (86 députés) et Ennahdha (69 députés). Le Front populaire s’est même laissé distancer par l’UPL (16 députés), un parti créé de toutes pièces par un homme d’affaires douteux, qui a longtemps séjourné en Libye et en est revenu après la chute de Kadhafi.


    Certes, le score du Front populaire aurait pu être pire vu ses défaillances organisationnelles, ses faiblesses d’analyse de la situation concrète, ses flottements politiques et ses hésitations à répétition. Le fait de s’être laissé piéger par Nidaa, après l’assassinat de Mohamed Brahmi en juillet 2013, dans le Front de salut national (FSN) a été une erreur. Cela est très clair aujourd’hui. Nidaa en a tiré un grand bénéfice politique, grâce à ses manœuvres au sein du FSN, puis la façon dont a eu lieu, en janvier 2014, l’éviction d’Ennahdha du pouvoir.


    Les répercussions fâcheuses des erreurs tactiques du Front populaire et de son manque de clarté stratégique, ont été atténuées par l’attitude de ses adversaires politiques. D’une certaine manière, le Front populaire a été tiré d’affaire par eux à plusieurs reprises. Il y a eu, par exemple, un débat intense au sein du Front populaire, autour de la question des alliances électorales : une partie du Front populaire se situait dans la vague du “vote utile” et était favorable à une alliance électorale large anti-Ennahdha. Nidaa a finalement aidé à trancher ce débat en décidant de se présenter seul aux élections. La même chose a eu lieu concernant le vote de confiance au nouveau gouvernement où le Front populaire donnait l’impression d’hésiter à propos de sa participation au gouvernement au côté de Nidaa (31). Dans le même temps, Nidaa était beaucoup plus tenté par une alliance avec Ennahdha. Il est vrai qu’un courant minoritaire, au sein de Nidaa, était opposé à cette alliance avec les islamistes et voulait renforcer sa position en cherchant un rapprochement avec le Front populaire. Mais, au final, Nidaa a opté pour l’alliance avec Ennahdha.


    Ce qui est positif c’est que, même si le Front populaire a fait des erreurs, il est parvenu à les surmonter. Maintenant, toutes les forces ayant voté la confiance au gouvernement vont essayer d’isoler le FP. Mais le FP a les ressorts suffisants pour serrer les rangs, améliorer son organisation, approfondir ses idées et avancer ses propres solutions. Je reste optimiste sur son avenir, même si ce n’est pas gagné d’avance. La situation est difficile, mais le FP a montré qu’il était en capacité de gérer ses tensions et de corriger ses erreurs. Il a gagné en maturité, même si des faiblesses demeurent au niveau de ses analyses. Le Front populaire compte en effet dans ses rangs des militant-e-s ayant les capacités et l’expérience nécessaires pour formuler un projet cohérent et compréhensible. Il lui reste à ne pas se limiter à agir au niveau du Parlement, mais à prendre toute sa place dans les mobilisations face à la crise économique et sociale que traverse le pays. »

    Faire face aux projets du nouveau gouvernement

    Le gouvernement dirigé par Nidaa Tounes a pour projet que la Tunisie reprenne pleinement sa place dans la politique voulue par les investisseurs étrangers et tunisiens, l’Union européenne, les États-Unis, la Banque mondiale, le FMI, etc.

    Dans la continuité des gouvernements précédents, le nouveau pouvoir veut notamment :


    • Continuer le remboursement de la dette extérieure, qui s’accompagne de coupes drastiques dans les dépenses sociales (par exemple dans la santé, l’éducation etc.) ;
    • Développer le libre-échange dans le secteur agricole, les services et les marchés publics, qui contribue à jeter dans la misère des millions de Tunisienn-e-s en particulier dans les régions déshéritées de l’intérieur ;
    • Abaisser les impôts sur les bénéfices des sociétés, ce qui creusera un trou béant dans les recettes de l’État ;
    • Privatiser des sociétés confisquées au clan Ben Ali ;
    • Poursuivre la compression des dépenses sociales en réduisant notamment les subventions aux produits de première nécessité ;
    • Imposer « l’ordre social » dans les grands centres ouvriers, en particulier le bassin minier ainsi que dans les entreprises du secteur privé où des structures syndicales s’étaient créées dans la foulée de la révolution (32).

    Nouveau cycle des luttes

    Après avoir été en partie parasitée pendant longtemps par la bipolarisation entre néolibéraux « modernistes » et néolibéraux islamistes, la question sociale est revenue au premier plan.

    * Les salariés ayant un emploi stable « sont aujourd’hui très touchés par la détérioration de leur pouvoir d’achat. Ils sont vraiment en train de s’appauvrir. Leur priorité est le pouvoir d’achat, le coût de la scolarisation des enfants puis de l’aide à leur apporter ensuite lorsqu’ils sont diplômés-chômeurs, etc. », explique par exemple Abderrahmane Hedhili (33). Il poursuit : « Cela est manifeste au niveau du taux de participation aux grèves. Auparavant, on atteignait des chiffres entre de 60 % et 90 %. Maintenant, c’est souvent 100 %, comme par exemple chez les enseignants ou dans les transports. Jamais les taux de grévistes n’ont été aussi élevés. »
    Pour 2014, fin octobre, le nombre total de jours de grèves avait déjà dépassé le chiffre record de toute l’année 2011. Depuis, de nombreuses grèves ont eu lieu, le niveau de mobilisation est tel que certaines se sont déclenchées sans respecter l’obligation de dépôt de préavis prévu par la législation. Cela a par exemple été le cas dans les transports en commun à Tunis et dans certaines régions.

    * Il y a par ailleurs « les plus précaires comme ceux qui travaillent sur les chantiers et dont beaucoup gagnent moins que le SMIC, ou encore les diplômés chômeurs, et les chômeurs non diplômés dont on parle peu mais qui sont beaucoup plus nombreux. Cette catégorie ne va pas rester les bras croisés. Ils ont attendu depuis quatre ans dans l’espoir d’une feuille de route prenant en considération leur situation. Mais il n’y a rien eu ».
    Preuve en est la vigueur des grèves de salariés précaires dans le bassin minier.

    * Symbolisant la convergence entre ces deux secteurs de la population, d’importantes mobilisations ont lieu, en particulier dans les zones déshéritées du sud du pays, incluant des grèves générales locales.

    En ce domaine, l’attitude de l’UGTT va jouer un rôle déterminant. En 2012 et 2013, sa direction nationale avait été essentiellement absorbée par sa volonté de faire partir en douceur le gouvernement Ennahdha. D’où son rôle moteur dans la mise en place du cadre consensuel ayant débouché en janvier 2014 sur l’adoption de la Constitution et la mise en place du gouvernement provisoire « de technocrates », chargé notamment de préparer les élections. Cette politique s’est accompagnée de relations de bon voisinage entre l’UGTT et le syndicat patronal UTICA.


    Maintenant que les objectifs politiques que la direction de l’UGTT s’était fixés ont été pour l’essentiel atteints, reste à savoir comment évolueront en son sein les rapports de forces entre ceux qui ne voudront pas « gêner » le nouveau gouvernement au nom de « l’intérêt national » et ceux qui considèrent que la défense résolue des intérêts des travailleurs reste le fondement de l’action syndicale.

    Reste à savoir également comment la gauche politique, associative et syndicale saura s’insérer dans les luttes et répondre aux attentes de celles et ceux qui ont été parmi les principaux moteurs de la révolution : la jeunesse, les chômeurs, les salariés, les femmes et les populations déshéritées de l’intérieur du pays (34). Il en va de même concernant la défense des libertés (qui sont à ce jour le seul véritable acquis de la révolution) et de l’environnement (35).
    L’essentiel reste aujourd’hui à faire parmi les masses pour stimuler leur organisation et leur conscientisation, afin de répondre aux besoins du nouveau cycle de luttes qui se joueront avant tout sur le terrain social.

    LEROUGE Dominique11 février 2015

    * Dominique Lerouge est militant du Nouveau parti anticapitaliste (NPA, France) et de la IVe internationale

    AVERTISSEMENT : cet article qui n’est disponible en version imprimee et en ligne que depuis le 21 mars a ete boucle le 11 fevrier, soit plus d’un mois avant l’attentat du Bardo.